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Commission des affaires étrangères

Mardi 10 juin 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 67

présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Avis de la commission sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence française du développement

– Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (n° 1845) – M. Alain Bocquet, rapporteur

– Géorgie : accord de coopération en matière de sécurité intérieure (n° 289) – M. Thierry Mariani, rapporteur

– Informations relatives à la commission

Avis de la commission sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence française du développement

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Plusieurs sujets sont à l’ordre du jour de notre réunion de cet après-midi et je vous propose de commencer par l’examen du contrat d’objectifs et de moyens de l’agence française de développement, sur lequel en application de la loi sur l’action extérieure de l’État, nous devons donner un avis.

M. Pouria Amirshahi a été désigné par le groupe SRC pour présenter une analyse du projet de COM.

Avant de lui donner la parole, je précise que nous n’avons pas la possibilité d’amender le projet et que notre délibération se limitera à un vote favorable ou défavorable.

En revanche, je pourrais si vous le souhaitez indiquer aux autorités de tutelle de l’AFD quels souhaits la majorité de la commission a émis et le compte rendu de notre réunion leur sera naturellement transmis.

M. Pouria Amirshahi. Nous pourrions, en effet, assortir notre délibération d’un certain nombre de réserves ou de recommandations. C’est pourquoi je voudrais rappeler brièvement, sans rouvrir la discussion, les principaux enjeux que nous avons évoqués la semaine dernière.

Tout d’abord, nous aurions souhaité retrouver dans ce projet de contrat d’objectifs et de moyens ce qui avait nourri nos débats sur la loi d’orientation et de programmation présentée par M. Pascal Canfin, qu’il s’agisse du renforcement des capacités, du rééquilibrage entre les dons et les prêts, de la consolidation d’un espace de solidarité dans lequel la France intervient naturellement, la francophonie, ou bien des coopérations décentralisées, trop peu souvent reconnues à leur juste valeur.

Comme vous l’aviez observé d’emblée, Madame la Présidente, il y a aussi un hiatus entre les objectifs et les moyens. Nous connaissons bien sûr le budget de l’Agence, chaque année, mais nous manquons d’informations sur les moyens prévus pour réaliser les objectifs fixés, notamment dans le cadre des zones prioritaires et en matière de diplomatie économique. Nous pourrions demander d’adjoindre au COM la lettre de cadrage que Pierre Moscovici avait adressée à la directrice générale de l’AFD, lorsqu’il était ministre de l’économie et des finances.

À la suite du comité interministériel de la coopération internationale et du développement qui s’est tenu le 31 juillet dernier, cette lettre précisait en particulier qu’il convient de construire, avec l’Agence, un modèle financier autonome, sans préjudice de la prise en charge par l’État de la bonification des prêts concourant à l’aide au développement et soutenables à long terme, dans l’hypothèse d’un niveau d’activité porté à 8,5 milliards d’euros par an en 2016, contre 7,8 milliards aujourd’hui.

La lettre proposait trois leviers d’action : une politique de dividendes révisée, afin de permettre à l’Agence de consolider progressivement ses fonds propres, suivant une méthodologie sur laquelle je ne reviens pas ; une augmentation du résultat et une amélioration du coefficient d’exploitation grâce à une maîtrise des charges d’exploitation non bancaires ; un renforcement transitoire des fonds propres.

Nous avons enfin insisté sur l’exigence de suivi des activités de l’agence. Il pourrait être assuré par une information continue des parlementaires, en particulier les présidents des groupes d’amitié concernés et les députés représentant les Français établis hors de France, mais aussi par des présentations plus régulières devant notre Commission, demande à laquelle Mme Paugam s’était dite favorable lors de son audition.

Dans ces conditions, il me semble que nous pourrions donner un avis favorable à la « feuille de route » qui nous est présentée.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Merci pour cette présentation très précise des discussions que nous avons eues et de ce que nous pourrions exiger.

Vous avez eu raison de mettre l’accent sur l’augmentation des fonds propres au moyen de l’affectation des dividendes que l’Agence doit en principe verser à l’État. Un engagement a été pris au niveau interministériel, mais il ne figure pas dans ce projet de COM.

Si nous donnions un avis favorable, je pourrais en faire part aux ministres de tutelle de l’Agence en même temps que notre souhait, si possible unanime, que cet engagement important soit tenu.

M. Pierre Lellouche. Il me semble que l’unanimité ne devrait faire l’objet d’aucun problème sur ce point. Elle est même nécessaire.

Mais il faudrait aussi mettre en perspective les moyens de l’AFD et ceux dont disposent les banques de développement des autres grands pays. Le décalage avec les grands émergents asiatiques est considérable, en particulier pour les contrats d’export. Nous pourrions demander un tel comparatif.

Il serait par ailleurs souhaitable d’assurer une meilleure coordination avec l’aide extérieure de l’Union européenne, qui est par exemple le premier bailleur de fonds au Proche-Orient. Notre pays contribue à hauteur de 20 %, mais ce financement français n’est jamais mentionné, et il n’existe pas de coordination avec notre propre stratégie d’aide et nos objectifs de politique étrangère. Nous ne devrions pas hésiter à demander une sorte de droit de regard sur l’aide européenne, même si certains groupes politiques rechignent, au sein du Parlement européen, à considérer cette aide comme un moyen de politique étrangère et d’influence.

J’aimerais enfin vous convaincre, Madame la Présidente, de mentionner dans votre courrier la nécessité de remettre sur le métier la question de l’aide liée. Les crédits de l’AFD devraient servir aux entreprises françaises. Or, bien souvent, ce n’est malheureusement pas le cas. J’ai pu constater que ces fonds profitent fréquemment à des entreprises chinoises, indiennes, japonaises ou coréennes, y compris pour de grandes infrastructures dont l’AFD est le moteur en Afrique ou en Asie. On y trouve tout au plus un peu d’ingénierie française. Alors que nos concurrents ne se privent pas d’utiliser les outils d’aide au développement pour leurs entreprises exportatrices, nous nous infligeons une castration qui est contraire aux objectifs de notre propre ministre des affaires étrangères, qui prône la diplomatie économique. Il faudrait lui rappeler que les services de Bercy, de l’AFD et du Quai d’Orsay doivent travailler davantage ensemble.

M. Jean-Pierre Dufau. La première remarque qui me semble devoir être faite est que cette proposition de contrat d’objectifs et de moyens entre l’État et l’AFD a le mérite d’exister. En effet, il est régulièrement arrivé par le passé que notre Assemblée ne soit saisie de ce dossier qu’au moment de la loi de finance. La présentation du COM à notre Commission et le débat d’aujourd’hui permettent donc une mise en perspective et un suivi appréciables sur ces questions.

Il ne me paraît pas nécessaire de revenir sur les objectifs prioritaires mis en avant dans ce COM, puisqu’ils recoupent très largement le contenu du projet de loi dont nous avons débattu en première lecture sur le développement et la solidarité internationale. Nous nous y retrouvons pleinement.

Le COM montre aussi de façon convaincante pourquoi l’AFD s’implique dans les pays émergents, en mettant en évidence l’intérêt de ces interventions et les bénéfices que l’Agence est susceptible d’en tirer.

Le COM témoigne par ailleurs de la progression des moyens de l’AFD, de 7,2 à 8,5 milliards d’euros, ce qui est une évolution que nous ne pouvons que saluer. La priorité accordée aux fonds propres de l’Agence, qui s’inscrit dans un effort plus large de restructuration de celle-ci, est également une évolution très positive qui va permettre à l’AFD d’agir de façon plus autonome.

Enfin, un certain nombre de remarques relatives à l’amélioration des performances de l’Agence qui sont présentées dans le document nous semblent pertinentes et aller dans le bon sens.

Cette proposition de COM est certes un document d’intentions et de perspectives, mais la nature-même de l’exercice l’exige. Elle a surtout le grand mérite d’apporter davantage de transparence et de renforcer le contrôle parlementaire.

Notre Assemblée doit toutefois continuer à se montrer vigilante en exigeant un suivi de la feuille de route que constitue ce COM, notamment à travers des auditions régulières de représentants de l’Agence. Il s’agit en définitive tout simplement d’exercer notre travail de contrôle parlementaire.

Pierre Lellouche a soulevé la question du rôle que peut jouer l’AFD en faveur de nos entreprises dans les zones où elle agit. Cette question mérite d’être posée même si je ne suis pas certain que j’y apporterais la même réponse que M. Lellouche. Il est clair que les entreprises doivent prendre toute leur place et être considérées comme des partenaires dans le cadre de nos politiques en faveur du développement. Il faut donc renforcer la coopération et la concertation avec celles-ci mais il ne convient pas pour autant de favoriser un mélange des moyens ou de rapprocher outre-mesure les outils de la diplomatie économique et ceux du développement.

Le groupe SRC, sous réserve de l’exigence de suivi que je viens de formuler, émettra donc un avis favorable sur cette proposition de COM.

M. Gwenegan Bui. Ce contrat d’objectifs et de moyens constitue une nécessité démocratique de contrôle et de suivi. Je soutiens la proposition de Madame la Présidente consistant à conditionner l’avis favorable de notre Commission aux réponses qui nous seront fournies sur un certain nombre de points qu’elle abordera dans sa lettre au Gouvernement.

En effet, ce document ne fournit pas les informations que nous attendions quant à la stratégie concernant Proparco. Il ne donne pas non plus les tableaux d’AE/CP permettant d’observer la ventilation des crédits par aires géographiques. Enfin, certains des objectifs mis en avant dans le COM sont flous ou ne semblent pas nécessaires. En particulier, l’objectif 15 est de « renforcer l’innovation financière au service du développement », sans que l’on sache véritablement ce à quoi renvoient ces « innovations ». Or, il semble que l’AFD a suffisamment d’outils à sa disposition pour pouvoir se passer de renforcer les innovations financières, d’autant plus que les mésaventures récentes de Proparco plaideraient plutôt pour davantage de clarté.

J’ai beaucoup d’espoir quant à l’avenir et au fait que cette Commission puisse désormais mieux suivre et encadrer l’action de l’AFD, mais je reste pour ma part en partie insatisfait du document qui nous est présenté.

M. Pouria Amirshahi. Je rejoins totalement les remarques de Gwenegan Bui relatives aux informations manquantes dans le document, notamment sur Proparco. Etant donné que nous ne pouvons que donner un avis positif ou négatif, j’estime que la Commission devrait émettre un avis positif tout en demandant à ce que ces informations complémentaires nous soient fournies.

Concernant la question de l’aide liée et non liée sur laquelle Jean-Pierre Dufau et Pierre Lellouche sont intervenus, il me semble pertinent de rebondir sur la proposition qu’avait faite Madame Paugam. Cette proposition consistait à dire qu’à défaut de changer les règles de l’OCDE auxquelles la France a souscrit, une action ciblée peut être menée au niveau du cahier des charges des projets de développement rédigés avant les appels d’offre puis au niveau des critères indiqués dans les appels d’offre eux-mêmes. Il s’agirait que ces critères ciblent précisément nos entreprises, nos technologies, nos compétences et nos savoir-faire. Ce procédé permettrait de contourner la problématique de l’aide non liée.

M. Jean-Pierre Dufau. Il me semble que l’intervention de Pierre Lellouche ne portait pas uniquement sur la question de l’aidée liée, mais aussi sur la possibilité de financement de nos entreprises par l’AFD.

M. Pierre Lellouche. Il semble y avoir un malentendu sur les propos que j’ai tenus. Je voulais simplement mettre en avant le fait que la plupart de nos compétiteurs sur les marchés où intervient l’AFD utilisent le même type d’agences ou de banques de développement que l’AFD dans le cadre de stratégies économiques offensives, afin que les projets financés profitent à leurs entreprises nationales. La France est le seul pays à ne pas procéder de cette manière même si, comme le dit M. Pouria Amirshahi, des critères ciblés commencent à être mis en avant dans les appels d’offre.

Il est donc souhaitable que soit fournie à la Commission une étude permettant de comparer au niveau international l’action de l’AFD à celle des agences équivalentes à l’étranger dans ce domaine. La Commission a également besoin que lui soit donné un tableau indiquant la ventilation des crédits de l’AFD par zones géographiques, ainsi que des informations sur la coordination de l’aide française avec l’aide de l’Union européenne. Le courrier que Madame la Présidente se propose d’adresser au Gouvernement sera à ce titre d’une grande importance.

M. Pouria Amirshahi. Il conviendrait en effet de rendre visible, identifiable, la part des contributions françaises dans les interventions menées par l’Union européenne.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Nous pourrions procéder de la façon suivante : tout d’abord, transmettre d’une part le compte-rendu de notre débat en même temps que l’avis puis, d’autre part, accompagner ce compte- rendu d’une lettre qui mettra l’accent sur certains aspects en particulier, à savoir :

– La question de l’affectation des résultats car si une réponse officielle était obtenue à cet égard, cela pourrait constituer un point d’appui considérable pour l’AFD.

– La question d’une visibilité plus grande des zones géographiques prioritaires à déterminer.

– La question d’une visibilité plus grande concernant les nouveaux critères que nos entreprises doivent respecter.

Comme l’avait rappelé Mme Paugam lors de sa venue, l’AFD n’est pas une banque du commerce extérieur. Il convient de mettre l’accent d’une part sur le fait que la nouvelle politique de l’AFD implique des critères qui s’imposent à nos entreprises et qu’elles sont amenées à respecter (qualité, respect de l’environnement, etc.) et, d’autre part, de considérer comment cela pourrait être orienté. Les points importants soulevés lors de vos diverses interventions seront évoqués dans la lettre et le compte-rendu.

Aussi, puis-je indiquer dans cette lettre que la Commission donne un avis unanimement favorable au projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence française du développement ?

M. Pierre Lellouche. Cela me paraît difficile sans avoir davantage de précisions à ce stade.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Dans ce cas, nous allons transmettre un avis favorable à l’unanimité sous réserve que nos remarques soient prises en compte. En effet, s’agissant de la question de l’affectation des résultats, la Commission est unanime à soutenir cette demande.

La Commission émet un avis favorable à l’approbation du Projet de Contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence française du développement, sous réserve de réponses satisfaisantes apportées par le gouvernement au courrier transmis par la Présidente.

*

Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (n° 1845)

La commission examine, sur le rapport de M. Alain Bocquet, le projet de loi autorisant la ratification du protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (n° 1845).

M. Alain Bocquet, rapporteur. Nous examinons le projet de loi de ratification du protocole se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, projet de loi qui a pour objet d’améliorer la protection de droits dits à tort « de deuxième génération », c’est-à-dire les droits économiques, sociaux et culturels.

Il s’agit de droits fondamentaux mis à mal par la crise des subprimes et du système boursier, qui s’est étendue à l’ensemble de l’économie et fait payer le prix fort aux peuples et aux salariés.

Depuis des années ces droits sont fragilisés en France, en Europe et dans le monde avec, au-delà même des ravages sociaux que chacun constate, des conséquences très préoccupantes sur le repli de la citoyenneté, et des pertes de repères qu’illustrent les résultats électoraux de ces derniers mois. Voilà pourquoi il serait urgent de passer d’une situation d’effondrement des droits à une perspective d’élargissement de leur nombre et de leurs contenus.

Notre système national est, comparé à d’autres, plutôt protecteur pour ces droits. Mais cette protection n’est pas infaillible, et pour cette raison, il est important que nos concitoyens bénéficient de voies de recours supra-étatiques.

Or, jusqu’à récemment, les droits économiques, sociaux et culturels ne bénéficiaient pas d’une véritable reconnaissance à l’échelle internationale. Ils avaient été proclamés par le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels – le PIDESC – adopté par les Nations Unies en 1966. Mais ce Pacte n’était pas considéré sur un pied d’égalité avec le Pacte relatif aux droits civils et politiques. Ces derniers étaient, dans l’esprit de beaucoup, les « véritables » droits fondamentaux, tandis que les droits dits « de deuxième génération » restaient confinés au rôle de lointains idéaux. D’ailleurs, selon les termes mêmes du Pacte, les Etats n’étaient pas vraiment tenus de les respecter, mais simplement d’en « assurer progressivement le plein exercice », en fonction de leurs « ressources disponibles ».

Cela fragilisait donc l’idée même d’une « justiciabilité » de ces droits. Comment, en effet, fonder un recours sur des notions demeurées délibérément vagues dans la définition qu’en retenaient les Etats et les Institutions internationales ?

Il est bien artificiel de diviser les droits de l’homme en deux catégories. Le préambule du PIDESC le dit expressément : « l’idéal de l’être humain libre, libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels, aussi bien que de ses droits civils et politiques, sont créées. » Or ces conditions sont loin d’être évidentes, tant dans les pays en voie de développement que dans les Etats occidentaux.

Voilà pourquoi même si cette démarche de ratification ne saurait suffire loin s’en faut, à répondre à l’objectif d’émancipation des peuples et des hommes, il est impératif d’améliorer la protection de ces droits.

Si le texte qui nous est proposé ne constitue pas une « révolution » des droits, il en marque une avancée.

Ce protocole a été adopté par les Nations Unies en 2008 et signé par la France en 2012. Il met en place un mécanisme de communications, à l’image de celui existant pour les droits civils et politiques, qui permet de donner une voix aux victimes de violations.

Les particuliers ou groupes de particuliers – ONG, syndicats ou autres – pourront désormais déposer une communication devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels lorsqu’ils estiment que leur Etat a violé un de leurs droits. Le Comité examinera la communication et en tirera des recommandations auxquelles l’Etat devra répondre dans un délai de six mois.

A côté de ce mécanisme de communications individuelles, le protocole ouvre deux autres possibilités auxquelles les Etats pourront se rallier en faisant une déclaration en ce sens. La première consiste à donner compétence au Comité pour examiner des requêtes inter-étatiques. Un Etat qui estimerait qu’un autre Etat viole des droits garantis par le Pacte pourra saisir le Comité, après une phase de règlement amiable.

Par ailleurs, les Etats peuvent reconnaître la compétence du Comité pour effectuer des enquêtes sur leur territoire, en cas de suspicion d’atteintes graves à un droit garanti par le Pacte. A l’issue de ces enquêtes qui se font avec l’accord de l’Etat concerné, le Comité communique ses recommandations. L’Etat soupçonné de violation doit y répondre sous six mois.

Le Gouvernement n’a, pour le moment, pas l’intention de reconnaître la compétence du Comité sur ces deux points. Votre rapporteur souhaite évidemment que les choses n’en restent pas là et que cette position évolue, car notre pays se doit d’être moteur en matière de protection des droits de l’homme.

De plus, et c’est le moins que l’on puisse dire, tous ces mécanismes sont très encadrés. Pour rallier l’ensemble des Etats au projet, il a fallu faire des compromis. Ce texte en porte la marque. Les conditions de recevabilité des communications sont très strictes. Il faut avoir épuisé les voies de recours internes. Les dossiers sont instruits à huis clos. La coopération avec les Etats est recherchée à chaque étape. Enfin les avis du Comité ne sont en aucun cas contraignants : les Etats sont juste tenus d’informer le Comité des suites données.

Ces mécanismes restent donc largement soumis au bon vouloir des Etats. Et il y aurait beaucoup à faire pour améliorer en faveur des peuples et des personnes, les conditions d’usage du recours ouvert.

Faut-il pour autant rejeter le dispositif au prétexte qu’il manque d’ambition ? Certes non ! Le protocole reste, malgré ses limites, un petit pas en avant dans la protection de ces droits. Et, à défaut de portée juridique, les décisions du Comité pourront avoir une portée symbolique non négligeable. Un constat de violation conduira à stigmatiser un Etat sur la scène internationale, ce qui pourra s’avérer dissuasif. Dans cette perspective, l’opinion publique a clairement vocation à se saisir de ces dispositifs pour se situer davantage qu’aujourd’hui, en « juge » des politiques des Etats sur ces enjeux.

Encore faut-il que la diffusion des travaux du Comité soit effectivement assurée. Le protocole en donne la responsabilité aux Etats mais jusqu’à ce jour, les travaux du Comité ont eu une audience restreinte.

Tous les cinq ans, les Etats transmettent au Comité un rapport sur la mise en application sur leur territoire, des droits que garantit le Pacte. Le Comité répond par des recommandations. Je pense qu’il serait bon que le Gouvernement transmette systématiquement ces documents au Parlement, afin que nous soyons associés à ce dialogue.

Dans le cadre du protocole, si les procédures se déroulent à huis clos, les recommandations du Comité seront publiées sur Internet. On ne peut qu’en appeler à la responsabilité des gouvernements dont celui de la France, pour en assurer une large diffusion parallèlement aux initiatives des acteurs de la société civile.

Faut-il autoriser la ratification de ce protocole ? Votre rapporteur pense que oui, car il marque un progrès, même modeste. Faut-il s’en satisfaire et refermer d’emblée le débat sur la protection de ces droits ? Votre rapporteur pense bien évidemment que non.

Les mécanismes instaurés par le protocole sont insuffisants pour assurer à eux seuls une protection efficace de ces droits de nos concitoyens victimes de logiques économiques porteuses d’austérité, de récession, de déflation. Une situation que traduisent l’explosion du chômage, les coups portés aux services publics, l’insuffisance de pouvoir d’achat, les reculs des politiques de protection sociale, de santé, de retraites… Tout cela alors que les moyens existent de répondre aux attentes des Français en réévaluant le partage de la richesse produite, ou en s’attaquant à l’évasion fiscale qui prive notre pays de 60 à 80 milliards d’euros par an.

Et puis, il y a le problème des délais. Il faut, pour déposer une communication, avoir épuisé tous les recours internes. Il faut ensuite que le Comité examine la communication et transmette ses recommandations à l’Etat. Ce dernier dispose de six mois pour répondre. Il faut, dans ces conditions, des années pour qu’une victime de violation puisse faire entendre sa voix !

En guise de conclusion, il faut d’abord retenir que ce protocole a le « mérite » de mettre à l’ordre du jour la protection de ces droits, et que cette démarche s’inscrit dans un mouvement général du monde où s’affirme la volonté des peuples et des citoyens d’être entendus et respectés.

Il faut donc saisir l’opportunité qu’ouvre cette ratification d’avancer dans ces objectifs. Et de même, il faut soutenir la nécessité d’étendre les compétences du Comité en accordant toute la publicité nécessaire à ses travaux.

Je pense enfin, que nous ne pouvons qu’être unanimes à souhaiter que la France soit à l’offensive sur ces enjeux au sein de l’Union européenne et des Institutions internationales.

Je vous engage à adopter ce projet de loi de ratification qui résonne avec l’engagement international de la France en faveur des droits de l’homme.

M. Jean-Pierre Dufau. Au regard des conclusions apportées par le rapporteur, nous pouvons dire qu’il a cerné l’ensemble de la problématique et qu’il a résumé l’avancée des droits induite par ce Protocole.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 1845).

*

Géorgie : accord de coopération en matière de sécurité intérieure (n° 289)

La commission examine, sur le rapport de M. Thierry Mariani, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Géorgie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (n°289).

M. Thierry Mariani, rapporteur. Madame la Présidente, chers collègues, plusieurs raisons justifient que l’accord de coopération sur la sécurité intérieure avec la Géorgie soit ratifié.

Ces raisons tiennent d’abord aux enjeux que représente le développement de la criminalité d’origine géorgienne en France. Il existe dans plusieurs des anciennes républiques soviétiques, et notamment en Géorgie, une tradition de crime organisé, avec des organisations que l’on peut qualifier de mafieuses et qui sont souvent désignées par l’expression, traduite du russe, de « Voleurs dans la loi ». Depuis une dizaine d’années, ces bandes investissent notre territoire.

Elles se font assez peu remarquer, car elles se spécialisent dans la délinquance non violente, cambriolages, escroqueries à la carte bancaire, trafic de cigarettes, etc., préfèrent les zones rurales ou péri-urbaines aux grandes villes et évitent d’affronter le milieu local.

Mais les chiffres sont là : entre 2009 et 2012, la criminalité géorgienne, mesurée par le nombre de personnes mises en cause, a augmenté de 68 % en zone police, avec plus de 2 500 mises en cause en 2012, et même de 229 % en zone gendarmerie. Le nombre de mis en cause de nationalité géorgienne dépasse désormais celui des Arméniens ou des Russes. En juillet 2013, l’administration pénitentiaire française recensait 275 citoyens géorgiens incarcérés, contre 150 en octobre 2011.

Démanteler ces réseaux transnationaux implique une coopération internationale, avec nos voisins européens, mais aussi avec les pays d’origine, dont la Géorgie. En 2013, deux opérations policières, en France et en Italie, ont permis d’arrêter des dizaines de membres de deux de ces clans mafieux. Ces opérations ont reposé sur une coopération étroite entre les forces de police de différents pays.

C’est pourquoi la France a tissé tout un réseau d’accords de coopération sur la sécurité intérieure, au total près d’une quarantaine, dont celui avec la Géorgie n’est que l’un des maillons.

Nous devons aussi ratifier cet accord au regard des choix politiques faits par la Géorgie.

La politique extérieure de la Géorgie est totalement déterminée par le problème de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, ces deux entités qui ont, avec le soutien de la Russie, fait sécession au début des années 1990 lors de l’indépendance de la Géorgie. Comme vous le savez, cette crise a été réactivée en 2008 avec la guerre russo-géorgienne, achevée par la médiation du président Nicolas Sarkozy. Depuis, la situation est bloquée et l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle majorité en Géorgie il y a un an a tout au plus permis un début de reprise du dialogue politique avec la Russie.

Dans ces conditions, la Géorgie s’inscrit clairement, depuis dix ans, dans une optique d’intégration à l’Union européenne et à l’OTAN. La Géorgie a paraphé en novembre dernier son accord d’association avec l’Union européenne, au sommet de Vilnius, et cet accord devrait être définitivement signé lors du Conseil européen des 26 et 27 juin prochains.

C’est dans ce contexte que la Géorgie cherche à entretenir les meilleures relations bilatérales avec les grands pays occidentaux, dont la France. Il y a de nombreux contacts au plus haut niveau, le dernier en date étant la visite du président François Hollande à Tbilissi il y a un mois. Il y a aussi chez les Géorgiens une volonté manifeste de complaire à la France. Ils ont ainsi pris la décision de principe d’envoyer un contingent en République centrafricaine.

Tout un ensemble de coopérations bilatérales se sont donc déjà développées avec la Géorgie, y compris, avant même la signature de l’accord que nous examinons, dans le domaine de la sécurité intérieure. Nous avons un attaché de sécurité intérieure à Tbilissi depuis 2002 et une coopération opérationnelle depuis 2006. De nombreuses formations et missions d’experts sont organisées. En corollaire, les demandes opérationnelles des services français ont constamment augmenté, de même que les demandes d’assistance des enquêteurs chargés de l’exécution de commissions rogatoires internationales. Les autorités géorgiennes sont coopératives, y compris pour aider à l’éloignement de leurs ressortissants en situation irrégulière. Il y a aussi une importante coopération technique en matière de sécurité civile.

En termes de politique intérieure, la Géorgie est devenue, malgré sa situation internationale difficile, l’un des États à la fois les plus stables et les plus démocratiques de l’ex-URSS. Cela est attesté par le fait qu’elle a connu, en 2012-2013, une alternance politique pacifique, par la voie des urnes. L’exemple de l’Ukraine montre qu’encore aujourd’hui cela ne va pas de soi dans l’ex-URSS. La Géorgie a aussi obtenu des résultats dans la lutte contre la corruption : dans le classement de l’ONG Transparency International, elle est la mieux notée des ex-républiques soviétiques derrière les trois pays Baltes.

En matière économique, enfin, la Géorgie n’a pas de pétrole mais a la chance d’être sur la route vers l’Europe des hydrocarbures de la mer Caspienne. Elle a aussi fait des choix résolument libéraux, lesquels l’ont propulsée au 8ème rang mondial du classement Doing Business de la Banque mondiale, qui porte sur la facilité à faire des affaires. Si vous allez à Tbilissi, ne manquez pas de visiter la maison des entreprises : on y crée une entreprise en trois heures et on en ressort même avec un crédit. Après la crise financière, qui l’a frappée, la Géorgie a connu en 2010-2012 une croissance annuelle remarquable, supérieure à 6 %, même si on a aujourd’hui un ralentissement, avec 3 % de croissance en 2013.

L’accord que nous examinons vise à donner une base juridique solide à la coopération policière avec la Géorgie, qui existe déjà, en délimitant clairement son objet et en prévoyant aussi les clauses restrictives et protectrices des libertés qui figurent habituellement dans un accord de cette nature. C’est en effet un accord de facture classique, dont les stipulations sont très proches de celles de la quarantaine d’accords similaires signés par notre pays.

Comme ces autres accords, l’accord avec la Géorgie délimite son champ en nommant les domaines de coopération concernés. Il prévoit ensuite diverses formes de coopération, telles que l’échange d’informations policières, l’envoi d’experts ou d’officiers de liaison, l’organisation de formations, etc.

Il comprend ensuite des garde-fous habituel. D’abord, le rappel du respect nécessaire des engagements internationaux et de la législation nationale des parties dans la mise en œuvre de l’accord. Ensuite, la faculté pour les deux pays de refuser des demandes de l’autre qui porteraient atteintes aux droits fondamentaux des personnes, à leur souveraineté, à l’ordre public, à leur organisation judiciaire, plus généralement à leurs intérêts essentiels. Cette formule générale préserve la possibilité de freiner la coopération pour des raisons politiques supérieures. Enfin, l’accord prévoit le respect de la confidentialité des informations échangées.

On peut ajouter que, même si l’accord ne comprend pas de dispositions portant spécialement sur l’échange d’informations nominatives, qui est essentiel en matière policière, il devrait faciliter l’obtention par la partie française de telles informations en provenance de Géorgie. Alors que dans l’autre sens, l’application de notre législation interne limite très fortement, voire interdit sauf exceptions, la transmission de telles informations à des partenaires non membres de l’Union européenne, ce qui restera vrai nonobstant l’accord.

Cet accord est donc respectueux de nos engagements internationaux et de notre législation et notamment de notre conception de la protection des données personnelles. Il est passé avec un pays qui a fait des efforts remarquables vers la démocratie et la bonne gouvernance, un pays ami de la France, un pays qui se veut européen. Enfin, il devrait réellement faciliter la lutte contre la criminalité transnationale, car celle-ci a notamment des sources en Géorgie. Nous avons donc toutes les raisons de l’approuver.

M. Jean-Pierre Dufau. Dans cet accord qui respecte le modèle classique pour ce type d’accords, des dispositions particulières ont-elles été réclamées par l’une ou l’autre des parties ?

M. Thierry Mariani, rapporteur. A ma connaissance, non.

Mme Chantal Guittet. Des bandes organisées géorgiennes sont présentes en France, notamment en Bretagne. Comment expliquer que la Géorgie, qui connaît pourtant une croissance assez élevée et se porte relativement bien économiquement, soit à l’origine de ce type de criminalité transfrontalière ? Est-ce lié aux inégalités que creuse cette croissance, ou ce phénomène peut-il s’expliquer par les conflits relatifs à l’Abkhazie et à l’Ossétie du Sud ?

M. Thierry Mariani. La question de la criminalité transfrontalière n’a rien à voir avec ces conflits. Cela renvoie plutôt à des spécificités régionales ancrées dans la tradition, qui remontent au temps de l’Union soviétique.

Par ailleurs, il est vrai que le taux de croissance de la Géorgie est important mais au prix d’inégalités considérables, en particulier entre Tbilissi et le reste du pays.

Mme la Présidente Élisabeth Guigou. La Géorgie est un pays proche de la France. Nous avons tout intérêt à développer toutes les formes de coopération possibles avec ce pays, a fortiori en matière de lutte contre la criminalité. Seule une coopération internationale intensive peut permettre de lutter contre toutes les formes de criminalité transfrontalière organisée.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 289).

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa réunion du mardi 10 juin 2014, la commission a nommé les rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2015 :

– Affaires européennes

– Aide publique au développement :

– Action extérieure de l’Etat :

– Action extérieure de l’Etat :

– Défense :

– Écologie, développement et aménagement durables :

– Économie :

– Immigration, asile et intégration :

– Médias :

La commission a également nommé M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification de l'amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 (n° 1880).

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 10 juin 2014 à 17 heures

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Alain Bocquet, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Guy-Michel Chauveau, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Hervé Gaymard, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Didier Quentin, M. Boinali Said, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Danielle Auroi, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Claude Guibal, Mme Françoise Imbert, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, Mme Odile Saugues, M. Michel Vauzelle