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Commission des affaires étrangères

Mercredi 11 juin 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 69

présidence de Mme Odile Saugues, Vice-présidente

– Suite de l’examen du projet de loi autorisant la ratification du protocole modifiant l'accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et les États-Unis d'Amérique, d'autre part (n° 192) – François Loncle, rapporteur.

• Audition de M. Paul Schwach, directeur du transport aérien et de M. François Theoleyre, sous-directeur des transporteurs et services aériens à la direction générale de l'aviation civile au ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie.

Audition de M. Paul Schwach, directeur du transport aérien et de M. François Theoleyre, sous-directeur des transporteurs et services aériens à la direction générale de l'aviation civile au ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie.

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme Odile Saugues, présidente. Nous vous remercions, messieurs, d’avoir accepté d’éclairer notre commission sur le protocole modifiant l’accord de transport aérien signé en 2007 entre les États-Unis et l’Union européenne.

Le protocole nous a été présenté par notre rapporteur, M. François Loncle, lors de notre réunion du 13 mai dernier. Il vise à poursuivre l’ouverture des droits de trafic entre les États-Unis et l’Union européenne commencée avec l’accord de 2007. Mais cet approfondissement est soumis à la mise en œuvre, par les deux parties, de certains engagements : les Américains doivent faire évoluer leur législation relative à la nationalité économique des entreprises, afin d’en autoriser la détention et le contrôle effectif par des Européens ; de son côté, l’Union européenne doit faire évoluer la réglementation relative à l’introduction de restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports. Il s’agirait de donner compétence à la Commission européenne pour contrôler et uniformiser les procédures d’établissement de ces restrictions, sans pour autant qu’elle intervienne dans les décisions locales.

Notre rapporteur nous a bien montré en quoi ce protocole était favorable aux Européens : le marché aérien américain étant beaucoup plus fermé que le nôtre, il est dans notre intérêt d’aller vers plus d’ouverture.

Cependant, plusieurs membres de la Commission ont exprimé leur inquiétude à l’égard d’une évolution des règles relatives aux restrictions d’exploitation. La sensibilité des Européens sur ce sujet n’est pas la même que celle des Américains, ceux-ci ayant du mal à comprendre pourquoi nous sommes restrictifs en matière de trafic de nuit. Si nous acceptons l’intervention en amont de la Commission européenne, quelles garanties avons-nous que nous resterons libres d’établir les restrictions d’exploitation qui nous conviennent ? L’uniformisation attendue ne va-t-elle pas nécessairement conduire à un nivellement par le bas ?

En outre, plusieurs de nos collègues ont eu le sentiment qu’il existait un déséquilibre entre les concessions faites par les États-Unis et celles que les États membres de l’Union européenne ont consenties. Les États-Unis nous refusent toujours le droit de cabotage sur leur territoire, alors que les compagnies américaines peuvent effectuer des liaisons d’un État membre à un autre. Pourquoi cette asymétrie ? Ne devrions-nous pas adopter une position plus ferme dans la négociation à ce sujet ?

Enfin, notre rapporteur a laissé entendre que les États-Unis sont en réalité peu disposés à faire évoluer leur législation sur la propriété de leurs transporteurs aériens, ce qui constitue pourtant une des conditions posées par le protocole. Dès lors, peut-on vraiment en attendre des avancées ?

Telles sont les préoccupations qui nous ont incités à différer notre vote sur le projet de loi de ratification du protocole.

M. François Loncle, rapporteur. Je vous remercie à mon tour, messieurs, d’avoir accepté notre invitation. Vous avez très bien résumé le problème, madame la présidente. Il est rare que nous repoussions ainsi un vote sur une convention internationale. Mais la demande de mes collègues était pleinement légitime. M. Poniatowski, en particulier, s’est interrogé sur le déséquilibre qui semble exister entre les exigences américaines et nos propres impératifs en matière de préservation de l’environnement, notamment de lutte contre le bruit autour de nos aéroports la nuit. Nous nous posons, en outre, quelques questions annexes. Cela étant, nous avons bien compris l’intérêt de ce protocole, qui modifie et prolonge l’accord de 2007.

M. Paul Schwach, directeur du transport aérien à la direction générale de l’aviation civile. J’ai pris connaissance des débats que vous avez eus le 13 mai. Vous avez, selon moi, parfaitement analysé le sujet. Je ne vous apprendrai donc pas grand-chose sur le contexte de cet accord, ni sur ses tenants et aboutissants.

Je rappellerai néanmoins l’historique des accords. En 1998, la France et les États-Unis ont conclu un accord bilatéral sur le transport aérien. Au cours de la même période, une dizaine d’États européens ont signé des accords bilatéraux analogues avec les États-Unis. Dans plusieurs arrêts, la Cour de justice des Communautés européennes a critiqué la manière dont ces accords avaient été établis ; sans les interdire totalement, elle en a modifié le contenu et la portée. Les États membres ont alors donné mandat à la Commission européenne pour négocier un texte entre l’Union et les États-Unis. Après une phase de négociation assez longue, un accord dit « ciel ouvert » a été signé en 2007.

Nous l’avons appelé accord « de première phase », car il était clair, dès 2007, qu’il ne répondait pas à toutes les attentes des deux parties, notamment sur les deux points principaux que vous avez rappelés. D’une part, l’Union européenne avait demandé avec insistance une libéralisation des règles américaines en matière de propriété des compagnies aériennes. Il existait – et existe toujours – un déséquilibre : alors que les Européens autorisent les étrangers à détenir jusqu’à 49,9 % du capital de leurs compagnies aériennes, les Américains limitent ce taux à 25 % pour leurs compagnies. L’objectif de l’Union était également de favoriser des consolidations entre compagnies aériennes. Or, pour des raisons de patriotisme économique, mais aussi à cause de la pression des syndicats, les États-Unis ont opposé un refus catégorique à toute évolution en la matière. Si l’administration fédérale était relativement ouverte, le Congrès y était farouchement opposé.

D’autre part, les États-Unis avaient réitéré avec force leur demande d’une évolution des règles européennes en matière de restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports. La Convention de Chicago, qui a institué l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), prévoit dans son article 1er que chaque État exerce une souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire. Mais l’OACI a également formulé des recommandations pour éviter que chaque pays ne prenne des mesures contradictoires qui finiraient par bloquer le transport aérien international. Dans une résolution de 2001, elle a ainsi défini une doctrine en matière de restrictions d’exploitation, dénommée « approche équilibrée ». Or, depuis 2001, les États-Unis ont le sentiment d’appliquer convenablement cette approche, alors que les Européens ne joueraient pas le jeu. Aux États-Unis, une administration centralisée, la Federal Aviation Administration (FAA), a le pouvoir d’adopter des restrictions sur chacun des aéroports américains. En Europe, cette compétence appartient aux différents États – au ministère compétent ou aux préfets –, voire aux collectivités territoriales. De plus, les Américains affirment imposer peu de restrictions d’exploitation, tandis que les Européens prendraient des mesures dans tous les sens sans respecter la méthode fixée par l’OACI, soit pour des motifs purement locaux, soit pour pratiquer un protectionnisme déguisé.

Les questions relatives aux règles de propriété et aux restrictions d’exploitation n’ayant pas été traitées, l’accord de 2007 a prévu que les parties ouvriraient des négociations complémentaires, en vue de conclure un accord « de deuxième phase ». Celui-ci a été signé en 2010 : c’est le protocole qui vous est soumis actuellement, avec un certain retard.

Il était très important de l’adopter dans les délais prescrits car, à défaut, l’une ou l’autre partie aurait pu dénoncer l’accord de 2007, en vertu d’une clause contenue dans ce dernier. Or ledit accord a été jugé utile et bénéfique par les deux parties, tant pour les États que pour les compagnies aériennes et pour les passagers. Il a notamment favorisé les alliances et les partages de codes entre compagnies pour les liaisons transatlantiques. Il a sans doute évité que certains accords de coopération ne subissent les foudres de l’administration américaine pour des questions relatives au droit de la concurrence. Il a contribué à un accroissement de la concurrence et, partant, à une baisse relative des prix. Le trafic transatlantique s’est certes beaucoup moins développé que ne l’anticipaient les prévisions, en raison de la crise économique de 2008. Mais seuls les Britanniques portent un jugement mitigé sur cet accord, en raison de la place particulière de l’aéroport de Heathrow dans le trafic transatlantique. Pour sa part, la France estimait nécessaire de signer un protocole additionnel, afin que personne ne dispose d’un prétexte pour dénoncer l’accord. D’où l’attitude ouverte et positive qu’elle a adoptée dans la négociation.

Le protocole de 2010 était censé traiter les questions restées en suspens en 2007. Cependant, de notre point de vue, comme de celui de nombreux observateurs, il ne comporte aucune avancée notable. Les États-Unis ont confirmé leur opposition à tout changement relatif aux règles de propriété des compagnies aériennes. L’Union européenne, quant à elle, est restée très prudente sur l’évolution du cadre en matière de restrictions d’exploitation. Le protocole ne prévoit qu’un dispositif virtuel : si l’une ou l’autre partie fait évoluer sa réglementation, elle bénéficiera de quelques droits de « septième liberté » supplémentaires. En réalité, il était nécessaire de conclure un protocole, aussi vide soit-il, pour empêcher que la clause de dénonciation de l’accord de 2007 ne puisse jouer.

Vous avez soulevé deux questions à propos de ce protocole. La première porte sur le droit de cabotage. D’une manière générale, les accords bilatéraux, y compris ceux conclus au niveau de l’Union européenne, ne prévoient pas de libéraliser le cabotage, c’est-à-dire de donner le droit aux compagnies aériennes étrangères d’exploiter des vols sur les lignes intérieures. Tel était notamment le cas des accords bilatéraux conclus séparément par les pays européens avec les États-Unis, notamment de l’accord franco-américain de 1998 : les compagnies françaises n’avaient pas le droit de pratiquer le cabotage aux États-Unis, de même que les compagnies américaines ne pouvaient pas le faire en France. Néanmoins, la plupart de ces accords, notamment les accords franco-américain et franco-allemand, octroyaient des droits de « cinquième liberté ». Ainsi, une compagnie française qui proposait des vols Paris-New York-Mexico pouvait embarquer des passagers à New York pour les emmener jusqu’à Mexico. De même, une compagnie américaine qui aurait exploité une ligne New York-Paris-Milan aurait pu transporter des passagers sur la seule portion Paris-Milan. En 2007, lorsque l’accord entre l’Union européenne et les États-Unis a été négocié, il a été convenu de ne pas revenir sur les droits de « cinquième liberté » accordés aux compagnies américaines, qui devenaient, de fait, des droits de cabotage intra-européen. Il était de toute façon très difficile de faire autrement, la conclusion d’un accord au niveau européen devant se traduire par une libéralisation accrue, et non l’inverse. De leur côté, les États-Unis n’ont pas proposé d’accorder la réciprocité en matière de cabotage aux compagnies européennes.

Toutefois, selon nous, cette situation ne nuit guère aux compagnies françaises : les droits de « cinquième liberté » sont utilisés en Europe par quelques compagnies américaines spécialisées dans le fret, telles que FedEx, mais pas par celles qui transportent des passagers. En effet, le modèle dominant reste celui des hubs : les compagnies américaines préfèrent que leurs avions effectuent des allers-retours entre New York et Paris, d’une part, et entre New York et Milan, d’autre part, plutôt que des liaisons New York-Paris-Milan. Ce ne serait guère rentable pour elles. D’une manière générale, les grandes compagnies internationales ont noué des alliances ou conclu des accords de partage de codes afin de proposer ce type de trajets. Reste qu’il existe bien une asymétrie entre les États-Unis et l’Union européenne en matière de droit de cabotage. Mais celle-ci préexistait à l’accord de 2007, et n’a fait que perdurer d’une négociation à l’autre. L’Union européenne paie le fait qu’elle est non pas un État intégré, mais la juxtaposition de vingt-huit États membres.

Votre deuxième question concerne les restrictions d’exploitation liées aux nuisances sonores. Comme je l’ai indiqué, la résolution adoptée par l’OACI en 2001 enjoint aux États d’appliquer une « approche équilibrée » lorsqu’ils adoptent de telles restrictions. S’ils constatent des nuisances sonores autour d’un aéroport, ils doivent envisager quatre types de mesures, qu’ils peuvent combiner : réduire le bruit à la source, en imposant l’utilisation d’avions moins bruyants ; prendre des mesures opérationnelles d’exploitation, par exemple en modifiant la trajectoire des avions ou en instaurant une procédure de descente continue ; limiter l’urbanisation des zones proches de l’aéroport, comme nous le faisons en France avec les plans d’exposition au bruit ; décider de restrictions d’accès à l’aéroport telles que le couvre-feu ou les créneaux nocturnes. Les États doivent réaliser une étude coûts-bénéfices et appliquer les éventuelles restrictions sans discrimination. Ils ne sauraient en aucun cas les utiliser à des fins de protectionnisme ou de limitation de l’ouverture du marché aérien.

Cette doctrine a été reprise dans la directive européenne 2002/30 relative à l’établissement de règles et procédures concernant l’introduction de restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports de la Communauté. La directive prescrit aux États membres de réaliser une évaluation des mesures qu’ils envisagent et de la présenter à la Commission européenne.

Lors de la négociation du protocole de 2010, les États-Unis ont cherché à obtenir un peu plus que ce que prévoit la directive. Ils ont demandé non seulement que les Européens appliquent l’approche équilibrée, mais aussi que la Commission européenne contrôle davantage l’action des États membres et des autorités locales en la matière. Ils souhaitaient disposer d’un interlocuteur unique et centralisé, doté de véritables pouvoirs, à l’image de la FAA. Or, le protocole a seulement prévu que, si l’Union européenne s’engageait dans cette voie, alors les compagnies européennes obtiendraient des États-Unis quelques droits de « septième liberté » supplémentaires. Il ne contient ni calendrier ni engagement précis de la part des Européens.

Quelle a été, dans ce cadre, l’action de l’Union européenne ? Elle a proposé, il y a un peu plus de deux ans, un « paquet aéroportuaire ».

Mme Odile Saugues, présidente. Quand vous parlez de l’Union européenne, faites-vous référence à l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), pendant de la FAA ?

M. Paul Schwach. Non, à la Commission européenne. Il s’agit du cadre législatif, et non des mesures techniques pour lesquelles l’AESA est compétente.

Le « paquet aéroportuaire » comprenait trois volets, portant respectivement sur l’assistance en escale, sur les créneaux et sur le bruit. Au titre du troisième volet, la Commission a proposé un règlement modifiant la directive 2002/30. Celui-ci a été amendé, puis adopté par le Conseil et par le Parlement européen. Il devrait être publié dans les prochains jours. En définitive, il ne renforce que modérément le dispositif prévu par la directive. Désormais, lorsqu’une autorité – selon les pays, l’État ou une collectivité territoriale – envisage d’introduire une restriction d’exploitation liée au bruit dans un grand aéroport, la Commission européenne peut, à la demande d’un État membre ou de sa propre initiative, examiner si l’approche équilibrée a bien été respectée. Si elle estime que tel n’est pas le cas, elle peut en informer ladite autorité. Celle-ci doit alors examiner les remarques de la Commission et l’informer de ses intentions avant d’adopter la mesure. Le règlement instaure donc une obligation pour les autorités compétentes de dialoguer, de fournir des explications et de détailler le processus qu’elles ont suivi. La Commission peut faire des commentaires, auxquelles ces autorités sont tenues de répondre, mais celles-ci gardent la liberté de mettre en œuvre ou non la restriction. Leur souveraineté ultime n’est donc pas remise en cause.

Bien que le règlement ne soit pas encore publié, nous avons déjà eu l’occasion de le tester « en vraie grandeur », lorsque nous avons introduit des restrictions d’exploitation à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle à la suite de la publication du rapport Dermagne et de l’élaboration de la charte d’aménagement durable du Grand-Roissy. Ainsi, nous avons souhaité interdire l’accès de nuit à l’aéroport aux appareils les plus bruyants, c’est-à-dire aux avions certifiés « chapitre 3 » dans la terminologie de l’OACI. Cette interdiction devait s’appliquer, en 2012, aux avions qui présentent une marge cumulée des niveaux de bruit inférieure à huit décibels et, en 2014, à ceux dont la marge cumulée est inférieure à dix décibels.

Nous avons respecté l’approche équilibrée et appliqué exactement la procédure prévue par le règlement. Nous avons remis à la Commission européenne un rapport expliquant le problème des nuisances sonores et comprenant de nombreuses données sur le bruit ressenti, les populations concernées et leurs revendications. Nous avons également étudié les conséquences économiques pour les compagnies aériennes, compte tenu du nombre d’avions susceptibles d’être touchés par les restrictions. Par ailleurs, nous nous sommes conformés à la nouvelle règle prévue par le protocole de 2010 : chaque partie doit informer l’autre de toute nouvelle restriction d’exploitation au moins 150 jours avant son entrée en vigueur. Nous avons donc remis aux autorités américaines le même rapport qu’à la Commission. Le protocole donnait alors le droit à la partie américaine, tout au plus, de formuler des commentaires.

Au terme de ce processus, le ministre des transports a pris les arrêtés instaurant les restrictions. Le processus de décision a été relativement long – les arrêtés, qui étaient prêts au printemps 2011, n’ont été signés qu’à la fin de cette même année –, mais il n’a pas été bloqué. Les arrêtés sont aujourd’hui en vigueur et sont respectés.

Il est donc tout à fait possible d’adopter des restrictions d’exploitation liées au bruit à condition de respecter la procédure. Il s’agit, pour l’essentiel, de celle qui a été acceptée dans le cadre de l’OACI en 2001. La seule nouveauté consiste à informer la Commission européenne et les autorités américaines.

Mme Odile Saugues, présidente. S’agissant du droit de cabotage, le protocole de 2010 est, selon moi, un accord a minima pour l’Union européenne.

Quel rôle l’AESA joue-t-elle dans le dispositif que vous avez décrit ? De quels recours dispose l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) en matière de lutte contre le bruit ?

M. François Loncle, rapporteur. Cette audition est très utile. La première partie de votre exposé, monsieur le directeur, m’a plutôt inquiété : la situation apparaissait compliquée et les exigences américaines semblaient excessives au regard de la nature du protocole et de son évolution. En revanche, la seconde partie de votre propos m’a plutôt rassuré : vous soulignez l’importance de l’approche équilibrée, qui permet aux États de prendre des mesures en fonction de leurs préoccupations, aéroport par aéroport. En outre, si la Commission est en droit de faire des commentaires auxquels les États doivent répondre, ce sont eux qui décident in fine. Cela répond à l’une de nos principales interrogations.

M. François Rochebloine. Je vous remercie, monsieur le directeur, de ces informations.

Le protocole introduit de nouvelles dispositions relatives à la dimension sociale. Qu’en est-il pour l’âge limite des pilotes ? Celui-ci est plus élevé aux États-Unis qu’en France. Les pilotes français demandent d’ailleurs de le repousser.

M. Axel Poniatowski. Je vous remercie à mon tour, monsieur le directeur, de votre exposé très intéressant et instructif. Contrairement au rapporteur, je suis plutôt préoccupé par la fin de votre propos. Je comprends bien l’intérêt de l’accord de 2007 : il donne davantage de flexibilité aux compagnies européennes en matière de coopération et d’alliances avec d’autres compagnies, européennes ou américaines. Quant au protocole de 2010, son principal mérite est de neutraliser la clause de dénonciation de l’accord de 2007. Cependant, les Américains semblent avoir obtenu à cette occasion des concessions de la part des Européens en matière d’introduction des restrictions d’exploitation. Conformément à leur souhait, ils peuvent désormais faire appel à un interlocuteur unique : la Commission européenne. Quelle est précisément la personne ou la structure compétente au sein de la Commission ? Quels sont ses pouvoirs d’arbitrage ? Ses décisions peuvent-elles s’imposer aux autorités nationales ? Vous avez indiqué que celles-ci restaient souveraines. Pouvez-vous être plus précis sur ce point ?

Quoi qu’il en soit, confirmez-vous bien que le protocole ne donne aucune autorisation supplémentaire d’atterrissage de nuit aux compagnies américaines ? Dans le cas contraire, ce serait une véritable déclaration de guerre !

Indépendamment de l’accord, quel bilan faites-vous des nouvelles trajectoires d’atterrissage et de décollage mises en place en région parisienne il y a un an ? Ont-elles eu un effet positif en matière de réduction du bruit ?

Enfin, quel intérêt avons-nous à négocier avec les États-Unis au niveau européen plutôt qu’au niveau national ? Si nous en étions restés à des accords bilatéraux entre chacun des États membres et les États-Unis, le problème du cabotage ne se poserait pas et nous pourrions faire jouer à plein la « cinquième liberté ». En 2007, Jacques Barrot, commissaire européen aux transports, avait expliqué à cette commission que le fait de parler au nom de l’Union européenne lui donnait plus de poids face aux États-Unis : cela n’apparaît guère dans le résultat de la négociation.

M. Paul Schwach. Je reconnais que le protocole de 2010 ne met pas fin à l’asymétrie qui existe entre l’Union européenne et les États-Unis en matière de droit de cabotage, mais il ne l’a pas aggravée. Celle-ci préexistait aux accords conclus au niveau européen et a perduré.

Le rôle de l’AESA n’est pas déterminé par les accords dont nous parlons. L’AESA et la FAA ont conclu des accords particuliers en matière de sécurité aérienne, qui visent à la reconnaissance mutuelle des certifications et des autorisations qu’elles délivrent. Ainsi, lorsqu’elle certifie un nouveau modèle tel que l’A350, la FAA n’exige pas qu’Airbus recommence tous ses tests : elle prend en compte le travail déjà réalisé par l’AESA. C’est un grand progrès pour le secteur de la construction aéronautique. La reconnaissance mutuelle s’applique également aux certificats de transporteurs et aux licences de pilotes.

Les accords de 2007 et 2010 ne modifient pas non plus le rôle de l’ACNUSA. Celle-ci dispose essentiellement d’un droit d’interpellation : elle réalise un rapport annuel, formule des propositions et peut appeler l’attention du Gouvernement sur tel ou tel point. De même que la Commission consultative de l’environnement, elle est obligatoirement consultée lorsque des restrictions d’exploitation sont envisagées.

S’agissant de l’âge limite d’activité en vol des pilotes, Monsieur Rochebloine, les règles de sécurité européennes et américaines sont désormais alignées sur celles de l’OACI : un pilote peut être aux commandes d’un avion jusqu’à soixante-cinq ans dès lors que le copilote est âgé de moins de soixante ans. Cependant, les compagnies aériennes peuvent avoir des pratiques très différentes. Ainsi, Air France encourage le départ à la retraite de ses pilotes dès soixante ans, au moyen de divers dispositifs.

M. François Théoleyre, sous-directeur des transporteurs et services aériens à la direction générale de l’aviation civile. Le protocole de 2010 a une portée très générale dans le domaine social. Il ne prévoit aucune harmonisation réglementaire en matière de droit du travail ou de délivrance des licences de pilotes. En revanche, il contient un article qui invite les parties à mesurer l’impact social de la libéralisation prévue par l’accord, et qui peut être invoqué dans le cas où l’une d’elles constaterait une dégradation des conditions de travail des salariés du secteur, un contournement du droit du travail par certaines entreprises, voire des formes de dumping social. Cette clause donne les moyens aux parties de soulever le problème dans le cadre bilatéral et de s’opposer à de tels développements.

M. Paul Schwach. L’article 4 du protocole stipule : « Les parties reconnaissent l’importance de la dimension sociale de l’accord et les avantages qui découlent de l’application de normes de travail élevées à des marchés ouverts. Les opportunités créées par l’accord ne sont pas destinées à affaiblir les normes de travail. » Il s’agit d’une réponse à ceux qui craignent qu’une concurrence accrue n’incite les entreprises à pratiquer le dumping social. Les signataires de l’accord affirment leur intention de ne pas accepter une telle dérive. Le comité mixte, qui se réunit chaque année, peut procéder à des évaluations pour s’assurer que l’article 4 est bien respecté.

En ce qui concerne les restrictions d’exploitation, l’article 3 souligne l’importance de la protection de l’environnement. Surtout, en vertu de ce même article, lorsqu’une partie introduit une nouvelle restriction d’exploitation dans un aéroport comptant plus de 50 000 mouvements d’avions à réaction par an – les restrictions existantes ne sont donc pas concernées –, elle s’engage, d’une part, à respecter l’approche équilibrée – elle devait déjà le faire dans le cadre de l’OACI – et, d’autre part, à informer l’autre partie 150 jours avant son entrée en vigueur – c’est là l’élément nouveau. L’autre partie peut formuler des commentaires, notamment faire valoir que la restriction nuit à tel ou tel de ses intérêts, mais elle ne dispose d’aucun droit de veto et ne peut pas bloquer la mesure.

Par ailleurs, l’article 6 prévoit une « extension des possibilités » largement virtuelle : si les parties modifient leur cadre législatif dans le sens indiqué dans le protocole, leurs compagnies pourront obtenir des droits de trafic supplémentaires. Pour les États-Unis, il s’agirait d’assouplir leurs règles en matière de propriété des compagnies aériennes, mais ils se sont toujours opposés à une telle évolution. Pour l’Union européenne, il s’agirait d’adopter des textes qui « octroient à la Commission européenne le pouvoir d’évaluer le processus avant l’imposition de mesures restrictives et d’engager l’action judiciaire appropriée ».

La question est donc : voulons-nous nous engager dans cette voie ? Tel était le souhait de la Commission, car cela lui aurait conféré de nouveaux pouvoirs. Elle a d’ailleurs tenté de le faire avec le projet de règlement relatif au bruit des aéroports que j’ai évoqué. Mais, dans le cadre du processus de codécision, le Conseil et le Parlement européen ont l’un et l’autre atténué le dispositif qu’elle avait présenté. En définitive, la Commission européenne sera informée des restrictions d’exploitation, pourra formuler des commentaires et demander des explications. Mais elle ne disposera d’aucun droit de veto, et ne pourra même pas suggérer de modifications. La souveraineté des États est donc préservée, en tout cas à ce stade. Mais je doute que les États membres et le Parlement européen soient plus enthousiastes à l’avenir, si la Commission propose de nouveaux d’aller au-delà de ce règlement.

Les Européens et les Américains sont donc dans la même situation : ni les uns ni les autres n’ont modifié leur législation dans le sens souhaité par l’autre partie. L’article 6 n’est donc pas appliqué.

Pour ce qui est de votre question sur le niveau de négociation le plus approprié, Monsieur Poniatowski, nous ne sommes pas favorables à une extension tous azimuts des accords multilatéraux. Nous ne devons négocier au niveau de l’Union qu’avec certains pays, lorsque nous y avons intérêt.

M. François Théoleyre. Tout dépend de la situation de départ. Avec les États-Unis, le marché était déjà très libéralisé, et l’accord de 2007 a permis à la France de bénéficier de la même ouverture de la part de certains États membres. Ainsi, Air France a pu lancer une liaison au départ de Londres vers les États-Unis, ce qui aurait été impossible si nous en étions restés à un accord bilatéral.

Avec la Canada, nous partions au contraire d’un cadre très restrictif : les transporteurs français ne pouvaient desservir que Montréal et Toronto. Mais, là aussi, l’accord conclu entre l’Union européenne et le Canada – que vous avez examiné il y a quelques mois – s’est avéré très bénéfique : Air France-KLM a obtenu le droit d’établir des liaisons avec toutes les villes du Canada, et a pu fortement développer son offre vers ce pays à partir de son hub secondaire à Amsterdam.

Toutefois, la libéralisation, qui constitue le principe de base des accords conclus par l’Union européenne, n’est pas toujours dans l’intérêt des transporteurs français. Dans ce cas, nous nous opposons à ce que les accords soient négociés au niveau européen, ou nous veillons à ce que les sauvegardes nécessaires soient introduites dans le mandat de négociation de la Commission, lorsque celui-ci est examiné par le Conseil.

M. Paul Schwach. S’agissant des nouvelles trajectoires mise en place en région parisienne, nous avons atteint nos objectifs sur le plan technique : les avions empruntent bien ces nouvelles trajectoires ; ils volent globalement plus haut. De nombreux riverains ont bénéficié de ce nouveau dispositif, même s’ils ne le disent pas nécessairement. Les mesures que nous avons réalisées avant et après sa mise en œuvre montrent que le bruit a été nettement réduit. En revanche, les oppositions politiques qui s’étaient exprimées au moment où nous avons pris l’arrêté demeurent. En effet, certaines zones – par exemple Conflans-Sainte-Honorine – sont aujourd’hui survolées par les avions, alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant. Leurs habitants sont désormais exposés au bruit et le font savoir. Néanmoins, les recours déposés devant le Conseil d’État ont été rejetés, et les différents acteurs se sont habitués au dispositif. Nous disposons de données très précises sur cette question, que nous pourrons vous communiquer.

Mme Odile Saugues, présidente. Je vous remercie, messieurs, d’avoir éclairé la Commission.

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Pprotocole modifiant l'accord de transport aérien entre l’Europe et les États-Unis d'Amérique (n° 192) – François Loncle, rapporteur.

La Commission examine, sur le rapport de M. François Loncle, le projet de loi autorisant la ratification du protocole modifiant l’accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et les États-Unis d’Amérique, d’autre part (n° 192).

Suivant les conclusions du rapporteur, la Commission adopte le projet de loi sans modification.

La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 11 juin 2014 à 16 h 30

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Guy-Michel Chauveau, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Alain Marsaud, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean-Claude Buisine, M. Jean-Louis Christ, M. Édouard Courtial, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, Mme Françoise Imbert, M. Patrick Lemasle, M. Noël Mamère, M. Jacques Myard, M. Jean-Luc Reitzer, M. René Rouquet, M. Michel Vauzelle