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Commission des affaires étrangères

Mercredi 10 septembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 88

présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition de Mme Hélène Duchêne, directrice des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement, au ministère des Affaires étrangères et du développement international, sur le sommet de l’OTAN

– Informations relatives à la commission 11

Audition de Mme Hélène Duchêne, directrice des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement, au ministère des Affaires étrangères et du développement international, sur le sommet de l’OTAN.

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous recevons ce matin Hélène Duchêne, directrice des affaires stratégiques au ministère des affaires étrangères, pour une audition consacrée au bilan du sommet de l’OTAN, qui s’est tenu au Pays de Galles les 4 et 5 septembre derniers. Cette audition n’est pas ouverte à la presse.

Initialement, le sommet de Newport avait pour objet principal de définir la nouvelle vocation de l’OTAN, dans le contexte de son départ d’Afghanistan, au terme d’une décennie d’engagement. Avec la fin de cette dernière mission, certains observateurs estimaient que l’Alliance allait entrer dans une sorte d’interrogation existentielle. En fait, ce sommet s’est déroulé dans un contexte international particulièrement agité, avec la crise russo-ukrainienne et l’aggravation des conflits au sud et à l’est de l’Europe. La question de fond est de savoir si ces crises vont aider l’Alliance à refonder sa légitimité.

La « menace russe », telle que la perçoivent nos alliés orientaux et baltes, a occupé le devant de la scène à la faveur de la crise russo-ukrainienne. La situation est encore loin d’être réglée en Ukraine, en dépit des annonces de cessez-le-feu et de l’accord qui a été conclu ; le comportement de la Russie suscite beaucoup d’inquiétudes chez ses voisins ainsi que chez nous. Ces pays limitrophes veulent que l’Alliance se recentre sur sa mission de défense collective, au détriment des engagements extérieurs. L’un des objectifs majeurs du sommet était donc de répondre à cette inquiétude, en offrant des garanties substantielles à nos alliés de l’est, tout en gardant une posture équilibrée dans nos relations avec la Russie et dans la prise en compte des menaces auxquelles nous sommes exposés.

Cela s’est traduit par l’adoption d’un « plan de réactivité », dont un des piliers est la création d’une « force interarmée à très haut degré de réactivité », susceptible de se déployer en quelques jours, pour répondre à des actions comme celle de la Russie. Vous pourrez nous préciser dans quelles situations et selon quelles modalités cette force aura vocation à intervenir. Au total, l’approche équilibrée que nous promouvions sur la crise russo-ukrainienne a-t-elle prévalu ? Plus généralement, des perspectives ont-elles été évoquées pour l’avenir des relations de l’OTAN avec la Russie et avec l’Ukraine ? Le premier ministre ukrainien a fait part de son intention de relancer le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN : comment cette perspective est-elle accueillie par nous-mêmes et nos alliés ?

En vertu du principe de la politique dite de la porte ouverte, l’OTAN n’exclut pas de s’élargir aux pays de l’ex-URSS, dont l’Ukraine. Cette perspective représente un véritable chiffon rouge pour la Russie et entre en contradiction avec son projet de partenariat oriental. Cette question a-t-elle été vraiment abordée ? Si oui, comment a tourné la discussion ? Quelle est exactement notre position sur ce point, sachant qu’en 2008, notre pays a souscrit au sommet de Bucarest à des conclusions laissant cette porte ouverte, alors qu’il est parmi les plus prudents de l’Union européenne sur la perspective d’un élargissement aux anciennes républiques de l’Union soviétique, notamment l’Ukraine.

La France tenait tout particulièrement à ce que la situation dans ce pays ne phagocyte pas complètement la réflexion sur l’avenir de l’OTAN, dans un contexte où les menaces à la sécurité de l’Alliance ne se résument pas à la menace russe. Les conflits en Irak et en Syrie, mais aussi en Libye et dans la bande sahélo-saharienne sont là pour nous le rappeler avec une gravité sans précédent. Nous avons d’ailleurs plaidé pour que les mesures prises dans le cadre du plan de réactivité soient conçues comme renforçant structurellement la posture de l’Alliance face à l’ensemble des menaces, y compris sur son flanc sud. Au-delà de ces mesures structurelles, la gravité de la situation en Irak appelle une réaction de la part des pays de l’Alliance. Le Président Obama a demandé la mise en place d’une coalition internationale. Il semble pourtant que rien de concret n’ait été évoqué. Pourrez-vous faire le point sur cette question ? Qu’est-ce que cela impliquerait pour notre pays ? Jusqu’où pourrait aller un engagement militaire et quelles sont les perspectives ouvertes par la réunion internationale souhaitée par le Président de la République ?

Enfin, avec le départ d’Afghanistan, l’Alliance fait face à de multiples défis. Comment développer et maintenir les capacités critiques pour faire face à des menaces nombreuses et multiformes, dans un contexte de contraction des budgets de défense des pays de l’Alliance ? Comment rééquilibrer le partage du fardeau entre l’Europe et les États-Unis, mais aussi entre pays européens ? C’est là un point important pour les États-Unis, qui attendent des Européens qu’ils prennent en charge leur propre défense, mais aussi pour la France, qui demeure l’un des principaux contributeurs à la sécurité de l’Alliance par ses financements et ses engagements extérieurs. Enfin, comment améliorer le partenariat entre l’OTAN et l’Union européenne, de sorte que l’action de l’OTAN reste complémentaire et subsidiaire à celle de l’Union, tant pour le développement des capacités militaires que pour l’action sur les théâtres extérieurs ?

Sur l’ensemble de ces questions, des résultats concrets ont-ils pu être obtenus ? Quels ont été, à l’inverse, les points de blocage, les lignes de fracture entre alliés ? Au total, ce sommet a-t-il permis d’amorcer une véritable transformation de l’OTAN, conformément à l’objectif ambitieux qui lui avait été assigné ?

Mme Hélène Duchêne, directrice des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement, au ministère des affaires étrangères et du développement international. Ayant participé à quatre sommets de l’OTAN, je puis dire qu’au regard des objectifs que nous nous étions assignés, il s’agit d’un bon sommet, certains s’étant déroulé dans un contexte beaucoup plus difficile et d’autres s’étant révélés beaucoup plus ternes.

Le sommet a largement changé d’orientation avec la crise ukrainienne. À l’origine, il avait été décidé l’an dernier à la demande des États-Unis et les Britanniques avaient souhaité l’accueillir au moment où leur parlement s’était opposé à des frappes sur la Syrie et où ils souhaitaient conforter leur place au sein de l’Alliance. À l’époque, étaient à l’ordre du jour la fin de l’intervention en Afghanistan (la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) s’achevant à la fin de 2014 devrait être mise en place une présence de l’OTAN qui ne sera plus combattante, à partir du 1er janvier 2015) et une interrogation sur la vocation de l’Alliance après sa dernière opération, sachant que certains acquis devaient être préservés, notamment le fait que l’opération en Afghanistan avait engagé de nombreux pays – treize au-delà de l’Alliance – et qu’il fallait préserver l’interopérabilité, c’est-à-dire la capacité à travailler ensemble et à intervenir, que ce soit dans le cadre de la défense collective ou d’une intervention extérieure. La question était de savoir comment passer de « deployed NATO » (« l’Alliance déployée ») à «  prepared NATO » («  l’OTAN prête »). D’où tout le travail mené sur l’interopérabilité et la formation. L’OTAN est en effet une organisation assez souple que ses opérations façonnent.

Mais tout a changé bien sûr avec le début de la crise ukrainienne, l’annexion de la Crimée par la Russie, la déstabilisation en cours et la militarisation de la crise. L’Alliance a été rappelée à sa vocation historique, c’est-à-dire la défense collective de son territoire, car la crise ukrainienne remettait à plat toute l’architecture de sécurité européenne, les principes d’Helsinki venaient d’être bafoués par l’annexion d’une partie du territoire d’un Etat souverain et certains de nos alliés ayant des populations russophones sur leur sol ou des souvenirs difficiles dans leur relation avec la Russie ressentaient une menace.

S’est également invitée dans la discussion la question de la situation en Irak, qui constitue aussi une menace pour la sécurité de l’Europe et des Alliés. L’accent mis sur le flanc sud a ainsi permis de rééquilibrer les débats au sommet.

Notre priorité était le maintien de l’unité et de la crédibilité de l’Alliance. Nous avions dit au départ que l’OTAN devait contribuer à la solution de la crise ukrainienne et ne pas être une partie du problème. Dès l’origine, en effet, il avait été clairement indiqué qu’il n’y aurait pas de réponse militaire. L’action de l’OTAN devait être fondée sur la défense collective et permettre à l’Alliance de se renforcer face à une menace plus pressante. Ce sujet n’était pas simple car nous n’avions pas tous la même perception de la menace : il aurait même pu diviser l’Alliance, ce qui, avec un conflit militaire à ses portes, l’aurait affaiblie deux fois.

Notre deuxième objectif était de ne pas anéantir les efforts diplomatiques accomplis pour trouver une solution politique à la crise, alors qu’il y avait un risque d’escalade avec la Russie.

Notre souhait consistait également à garder une Alliance flexible, capable de répondre à différentes menaces, sans se limiter à certaines zones et en évitant le repli sur la seule défense collective – certaines menaces n’étant pas directement de la responsabilité de l’OTAN nous intéressent, notamment dans la bande sahélo-sahariene.

Nous voulions donner une impulsion nette au partenariat entre l’Union européenne et l’OTAN, sachant que le Conseil européen de décembre 2013 avait fixé un certain nombre d’objectifs et que le Conseil européen de juin prochain serait de nouveau consacré à la défense européenne.

Nous souhaitions conserver également tous les gains en termes d’interopérabilité, notamment par une initiative permettant aux forces de continuer à travailler et à s’entraîner ensemble.

Nous avons aussi continué à coopérer sur les lacunes capacitaires : l’Alliance a enregistré seize domaines en la matière, dans lesquels les pays cherchent à avancer. C’est important pour nous, et la France est leader d’une initiative dans le domaine du partage du renseignement en opérations (joint ISR).

Nous voulions également poursuivre la réforme de l’OTAN – adaptation des commandements et réforme de la gouvernance – car la structure est souvent un peu lourde.

Un autre sujet s’est imposé : le renforcement du lien transatlantique. Il a d’ailleurs donné lieu à une déclaration. Il était essentiel pour nous que ce lien se conçoive, non seulement comme un engagement politique, mais aussi comme un rééquilibrage des dépenses de défense, y compris entre Européens. À la suite de la crise ukrainienne, tous les Alliés ont dit qu’ils allaient se rapprocher du taux de 2 % du PIB, ce qui est important pour nous comme pour la défense européenne.

Au début du sommet, il y a eu une réunion sur l’Afghanistan avec une commémoration symbolique, les pays de l’Alliance ayant perdu beaucoup de soldats dans ce pays. Tous les textes que l’OTAN souhaitait voir adoptés ne l’ont pas été, notamment s’agissant de la mission qui va succéder à la FIAS, dans la mesure où le président afghan n’a pu venir – le résultat des élections n’étant pas encore proclamé : il ne peut y avoir de signature des accords de stationnement des forces de l’OTAN, et américaines, tant qu’il n’y aura pas de président. Le volet sur l’Afghanistan est donc resté relativement modeste.

Il y a eu ensuite une rencontre entre les chefs d’État et le président Porochenko dans le cadre de la Commission OTAN-Ukraine. Une déclaration rappelant le soutien de l’OTAN à l’Ukraine a été adoptée à cette occasion.

A suivi un dîner des chefs d’État, qui a porté sur les défis de sécurité, concernant principalement l’Ukraine et l’Irak.

Le lendemain, se sont tenues des séances formelles sur l’avenir de l’OTAN et les défis du futur, notamment les questions de sécurité, capacitaires, le lien transatlantique et les ressources consacrées à la défense.

Un communiqué final présente l’opinion de l’Alliance sur la plupart des sujets de sécurité actuels, à savoir la Russie, le Moyen-Orient, le Sahel, et des décisions sur la posture de l’Alliance. Il y a eu une déclaration sur le lien transatlantique, que les Britanniques concevaient comme un document de vision politique, rappelant la solidité du lien entre les deux rives de l’Atlantique. Nous avons tenu à ce qu’elle rappelle aussi l’importance de la défense européenne. Il est d’ailleurs précisé qu’une défense européenne plus forte contribuera à une OTAN plus forte. Il y a aussi des rappels sur les engagements de défense. Il était important de se fixer un objectif de 2 % du PIB et de 20 % des budgets de défense consacrés aux équipements et à la modernisation.Quant à la déclaration sur l’Afghanistan, elle sera le vecteur politique de ce qui se fera après la FIAS.

S’ajoute une déclaration aux forces armées, pour rappeler le soutien des Chefs d’Etat et de Gouvernement aux hommes et aux femmes engagés dans les opérations de l’OTAN. Il s’agissait d’une priorité personnelle de David Cameron, qui souhaitait que cette déclaration soit signée par les chefs d’État.

Le plan d’action sur la réactivité, endossé par le sommet, est encore très largement à l’état de projet. Des mesures de réassurance adoptées face à la crise ukrainienne ont été maintenues, comme la police du ciel dans les pays baltes, qui a été renforcée, ou le survol des Awacs au-dessus de la Roumanie, de la Pologne et de la Bulgarie. La France y a pris toute sa part puisque, dès le début de la crise, elle a envoyé des chasseurs pour surveiller le ciel balte, à partir de la Pologne. Des Awacs français continuent en outre à patrouiller dans le ciel de certains alliés.

Par ailleurs, un certain nombre de mesures ont été annoncées et doivent encore être affinées. Le plan d’action est pour l’instant constitué de têtes de chapitre avec des mandats qui feront l’objet de développements et de négociations dans les semaines qui viennent, ce qui permettra à l’Alliance de préciser sa posture.

Il est important pour nous d’avoir dans ces mandats des mesures permettant de conserver la flexibilité de l’Alliance, d’avoir une posture militaire plus réactive – la situation l’impose – sans figer l’OTAN dans une posture statique. D’où la création de la « force interarmée à haut degré de réactivité », dont le périmètre va être discuté. Il s’agit d’une force plus déployable, plus rapidement mobilisable et plus petite que la force de réaction rapide (NRF) de 25 000 hommes. N’ayant pas les moyens d’entretenir deux forces, le souhait de la France était que cette force constitue une partie de la NRF, ce que nous avons obtenu.

Il était également important pour nous de reconnaître la relation OTAN-Union européenne (UE) et le rôle de la défense européenne. Cela veut dire que les efforts capacitaires faits par les pays dans le cadre de l’OTAN bénéficient aussi à l’UE.

Nous avons en outre obtenu ce que nous voulions sur le partage du fardeau, notamment l’obligation d’avoir d’autres alliés finançant leur défense et la défense collective. De même, avons-nous obtenu, à quelques mois de la conférence d’examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), une réaffirmation de l’importance de la dissuasion.

La question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’a pas été abordée pendant le sommet. Si le premier ministre ukrainien avait formulé une demande en vue d’une éventuelle adhésion la semaine précédente et si les Ukrainiens avaient annoncé la sortie du statut « hors bloc » – prévu par une loi adoptée en 2010 –, ce souhait n’a pas été représenté par eux. De plus, il y a de la part de la France et des Alliés une grande prudence à cet égard, car cette adhésion serait de nature à compliquer la situation.

Au sommet de Bucarest, il a en effet été écrit que l’Ukraine et la Géorgie avaient vocation à rejoindre l’OTAN, mais cela ne veut pas dire que c’est d’actualité. Tout cela a été dit par le Président de la République lors de sa conférence de presse.

Quant à la question de l’Irak, elle a été évoquée en raison de l’actualité, mais aussi parce que l’OTAN s’y est investie pendant des années dans le cadre de la mission NTMI de formation des forces de sécurité irakiennes et qu’il y avait une réflexion sur ce que pouvaient faire l’Alliance et ses États membres dans ce pays. Des réunions se sont tenues en marge sur la construction d’une coalition.

En fait, le rôle de l’Alliance sera très modeste, si tant est que les autorités irakiennes le réclament, et il sera axé plutôt sur la coordination – si nécessaire – de l’aide militaire, le soutien à la réforme de l’outil de défense irakien et, éventuellement, la collecte de renseignement.

Il y a enfin eu une réflexion sur la construction d’une coalition. D’ailleurs, les choses avancent et la France va accueillir lundi une conférence internationale sur la paix et la sécurité en Irak. La situation va en outre devenir plus claire pour l’Irak, qui dispose maintenant d’un gouvernement. Notre position est de soutenir un processus politique inclusif.

Pour conclure, ce sommet était une première étape. Mais beaucoup de mandats ont été donnés, notamment pour préciser le plan d’action sur la réactivité et la posture de l’Alliance. Il s’agit aussi de veiller, dans le développement de la crise ukrainienne – qui est, on peut l’espérer, en voie de règlement puisque nous avons maintenant un cessez-le-feu –, à ce que l’OTAN se place dans une posture correspondant à une nouvelle perception de la menace, sans s’impliquer au-delà de ce qui est nécessaire dans la résolution de la crise.

Mme Chantal Guittet. J’ai lu que Dmitri Rogozine traitait l’OTAN de fille hystérique de la Guerre froide et je n’ai pas l’impression qu’il considère que ce sommet favorise la stabilité dans le monde.

L’extension de l’OTAN à l’est et l’installation dans cette zone de trois à cinq bases ne sont-elles pas des provocations à l’égard de la Russie ? Est-ce opportun alors qu’il y a eu une amorce de paix entre l’Ukraine et ce pays ?

Arrivera-t-on à concilier ce que fait l’OTAN et la politique de la Russie sur ce qu’elle appelle la zone de l’étranger proche ? Comment trouver une solution si on exclut toujours ce pays des discussions et s’il a le sentiment qu’on le considère toujours comme un ennemi potentiel ?

M. Jacques Myard. Notre collègue François Rochebloine, qui n’a pu être là ce matin, souhaiterait savoir si on ne pourrait pas prendre des initiatives pour éviter la prolifération sauvage des armes partout en Europe.

À la veille du sommet, le président Obama a tenu en Estonie un discours sans ambiguïté sur la possibilité pour l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. A-t-on fait remarquer aux Américains que cette politique était aventureuse ?

Par ailleurs, dans la déclaration commune de la Commission OTAN-Ukraine, il est indiqué : « Nous appelons la Russie à revenir sur « l’annexion » autoproclamée de la Crimée, que nous ne reconnaissons et ne reconnaîtrons pas ». Je trouve là qu’on en rajoute et que, ce faisant, on affaiblit le texte. Cette affaire est terminée et personne n’ira se battre pour la Crimée : ni l’OTAN, ni nous. Comment envisagez-vous cette question ?

M. François Asensi. Sur l’Ukraine, la position des Occidentaux et de l’OTAN est assez ambiguë car on parle d’opportunité : la France a-t-elle l’intention de soutenir l’adhésion de ce pays à cette organisation ? J’y verrais pour ma part une provocation et une faute politique.

Y a-t-il une menace russe sur la France et les Occidentaux aujourd’hui ? La Russie est-elle désignée comme un adversaire déterminé dans l’arène internationale ? La Guerre froide reprend quelque peu aujourd’hui et ce sommet s’inscrit dans une politique de tension internationale qui rendra la situation en Europe plus difficile.

Je ne vois pas pourquoi les Occidentaux et la France interdiraient à la Russie d’être une puissance et d’avoir une sphère d’influence proche de ses frontières. C’est la raison pour laquelle l’adhésion de la Géorgie me paraît également être une provocation, qui nous conduit à des lendemains difficiles.

Enfin, le renforcement de la nouvelle doctrine de l’OTAN ne conduit-il pas à un affaiblissement de l’ONU ? Contrairement à vous, je crois que cela retarde la création d’une défense européenne.

M. Thierry Mariani. La France est-elle, oui ou non, favorable à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ? Il y a un double jeu permanent : on voit, d’une part, se succéder à Kiev les responsables polonais, baltes et d’Europe centrale expliquant que l’Union européenne est pour l’entrée de ce pays en son sein et dans l’OTAN et, d’autre part, des pays, dont la France, avoir une attitude ambiguë. Selon moi, cette adhésion serait une provocation.

Comme le dit Jean-Pierre Chevènement, on a engagé depuis plusieurs mois la « machine à bêtises » dans cette crise, où l’on suit aveuglément les positions du nord de l’Europe et américaine. Dans le point 9 de la page 4 de la déclaration du sommet, qui est quasiment illisible, on fait référence aux sanctions prises par l’Union. Mais a-t-on étudié les scénarios dans le cas où les Russes se décideront vraiment à répondre ? On en est à la quatrième ou cinquième vague de sanctions et, en dehors de quelques produits agricoles, il n’y a pas véritablement de réponse. Que se passerait-il si le survol de la Sibérie était interdit pour nos compagnies aériennes ou s’il y avait un embargo sur le titane, l’Airbus dépendant à 60 % du titane russe selon les industriels ? Jusqu’ici, la Russie et Poutine me paraissent faire preuve d’une patience extraordinaire.

Mme Nicole Ameline. Au sein de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, nous nous sommes réunis le 2 septembre à Londres pour évoquer les priorités : nous avons senti que les besoins de réassurance étaient considérables à l’est, notamment pour les pays baltes. Il est donc indispensable que nous soyons clairs sur la stratégie politique et que ces besoins de réassurance militaires aillent de pair avec un renforcement de la démocratie. Si la France est assez claire sur l’absence d’option militaire, il y a une divergence d’appréciation entre les voisins de la Russie et les autres pays. Il est important que nous retrouvions une unité européenne sur ce sujet.

Que pensez-vous du partenariat transatlantique, alors qu’on est passé du pivot américain à un rééquilibrage ? Les menaces cernant l’Europe, de l’Ukraine au Sahel ou au Moyen-Orient, peuvent-elles entraîner les Américains à s’investir davantage sur notre continent ?

Enfin, peut-on espérer une plus grande coopération européenne s’agissant des forces de réactivité ? Et peut-on passer des principes affichés à une réalité opérationnelle ?

M. Pierre Lellouche. Je suis inquiet de ces réunions où il ne se passe rien alors que le feu est tout autour de nous, aussi bien au Moyen-Orient qu’en Ukraine. La déclaration du sommet est en effet un laïus illisible plein de vœux pieux. Ce genre de sommet ne sert finalement qu’à affaiblir l’Alliance, qui a pourtant un rôle de dissuasion pour la sécurité de l’Europe.

Dans la crise ukrainienne, personne n’y gagne. Ni les pays comme la Pologne ou les pays baltes, qui se sentent menacés et voulaient des forces statiques depuis longtemps, américaines voire françaises ; or ce n’est pas demain que l’on créera la force de réaction rapide, dont l’emploi ne peut au surplus être décidé qu’à l’unanimité des membres du Conseil. Ni la Russie, qui a toutes les raisons de continuer à grogner puisqu’il n’y a pas d’effort sérieux sur la sortie de crise.

Mme Nuland, secrétaire d’État adjointe américaine pour l’Europe, a déclaré au début de la crise à son ambassadeur « Fuck the Europeans ! ». Et, depuis, la politique américaine a été totalement erratique : elle n’a toujours pas de stratégie et les Européens ne veulent ni la guerre ni faire entrer l’Ukraine dans l’UE. Nous sommes au point mort et le dialogue avec Poutine pour en sortir n’a toujours pas commencé.

Quelle est donc notre politique vis-à-vis de l’Ukraine ? Est-on prêt à entamer un dialogue sur le statut de ce pays avec une modification de la Constitution et un régime de neutralité ? À défaut, on entretiendrait un climat d’insécurité dommageable pour de nombreux pays européens.

Au Moyen-Orient, la situation est encore plus pathétique car le président américain annonce qu’il n’a pas de stratégie. L’année dernière, il voulait bombarder la Syrie et, maintenant, l’Irak. Que font l’OTAN et la France ? Je n’ai pas entendu de message clair autre que le suivisme de cette politique erratique. S’il est évident que l’OTAN va mal et est incapable de prendre des décisions, on aurait pu espérer que la France propose quelque chose d’autre. Et si on peut espérer que la conférence internationale suggérée par notre pays sera fructueuse s’agissant de l’Irak, sur l’Ukraine, il y a de quoi être déçu.

Ce sommet n’a servi a rien et est inquiétant pour la suite de la crédibilité de l’Alliance.

M. Jean-Claude Guibal. Dans l’hypothèse où l’OTAN serait prête à se mettre d’accord avec ses arrière-pensées, quelle serait sa stratégie à l’égard de la Russie ? Je comprends qu’il puisse y avoir des hésitations en fonction du caractère en effet erratique de l’attitude américaine à l’égard du conflit ukrainien. Mais, sur le long terme, la Russie est-elle considérée comme un partenaire possible ou un adversaire potentiel par rapport aux autres conflits agitant le monde, concernant notamment l’OTAN et ce qui se passe entre l’Irak et la Syrie ?

Mme Hélène Duchêne. Merci de vos questions qui stimulent la réflexion et montrent la diversité des approches dans notre pays, ce qui est un signe de richesse. Certains disent qu’il faudrait arrêter d’embêter les Russes et d’autres que l’on fait preuve de faiblesse : la réponse est sans doute entre ces deux positions.

S’agissant de Dmitri Rogozine, qui était ambassadeur à l’OTAN, je crois qu’il est sous sanctions. Cela dit, il faut se rappeler que l’OTAN était l’alliance militaire qui faisait face au Pacte de Varsovie, qui a disparu : pour la Russie, elle n’a plus de raison d’être. D’ailleurs, au moment de l’annexion de la Crimée, Vladimir Poutine a dit qu’il n’aurait pas été concevable qu’un jour la flotte russe mouille dans un pays de l’OTAN. Il y a une inquiétude de la part de Moscou de voir s’approcher l’Alliance, qui rappelled’une certaine façon la période de la Guerre froide et un ennemi. Il convient de le prendre en compte.

Il faut aussi regarder le coût de la faiblesse et de l’inaction. Les Russes ont bien vu qu’après l’attaque chimique en Syrie, il ne s’était rien passé car les Américains n’ont pas voulu frapper. Cette absence de réaction a sans doute permis aux Russes de penser qu’on pouvait prendre une partie de l’Ukraine sans réaction forte. Or si on ne réagit pas d’une façon ou d’une autre à ce qui s’est passé dans ce pays, d’autres pays peuvent être tentés de remettre en cause l’intégralité territoriale de leur voisin. . Il faut donc s’efforcer d’entrer par la porte étroite car, d’un côté, la Russie est un élément d’architecture européenne de sécurité et, de l’autre, nous n’avons aucun intérêt à faire preuve de faiblesse.

Il est vrai que l’architecture de sécurité est à repenser, alors que certains principes ont été bafoués, notamment ceux d’Helsinki et du respect de l’intégrité territoriale, et que nous partageons un ciel et l’Europe avec la Russie. On a vu à cet égard resurgir l’OSCE, à laquelle on ne pensait plus beaucoup. Cette organisation, dont la Russie est membre et qui a pour responsabilité la sécurité européenne, s’installe aujourd’hui comme médiateur dans la crise ukrainienne.

La France a toujours dans les discussions au sein de l’Alliance une position très modératrice, consistant à apporter une réponse forte sans casser définitivement les liens avec la Russie, qui est un partenaire stratégique, comme le rappelle le communiqué de l’OTAN.

Le partenariat stratégique avec ce pays est incarné dans le cadre de l’OTAN par l’acte fondateur OTAN-Russie, adopté en 1997, au moment des premiers élargissements. Il prévoit une coopération politique et pratique avec ce pays. Or il a été décidé de suspendre la coopération pratique tout en maintenant le lien politique ; cet acte fondateur, qui comporte une partie sur l’OTAN et une autre sur l’OSCE, ne doit pas être jeté aux orties.

Il était clair depuis juin dernier que ce sommet ne serait pas consacré à l’élargissement. Ce n’était pas opportun au moment où l’Alliance doit se recentrer sur sa posture.

Mais deux pays avaient vocation à rejoindre celle-ci et deux autres le plan d’action pour l’adhésion (MAP). C’est la raison pour laquelle le communiqué de l’OTAN explique les efforts faits par ces pays et ceux restant encore à faire, par exemple s’agissant de la dévolution des propriétés de défense entre les entités pour la Bosnie.

Si l’OTAN a annoncé depuis longtemps une politique de la porte ouverte, il n’y a pas d’élargissement en vue. Pour l’heure, l’Ukraine n’a pas fait de demande d’ adhésion dans l’OTAN, son président n’en a pas parlé et aucun pays n’a fait de démarche en ce sens, pas même les États-Unis. Le Président de la République a dit par ailleurs que, pour la France, l’OTAN ne devait pas s’ouvrir aujourd’hui et que nous devions protéger les États membres et aider les pays à assurer leur propre sécurité. La candidature ukrainienne à l’OTAN n’est donc pas d’actualité.

M. Jacques Myard. N’avons-nous pas prévu des manœuvres en Ukraine ?

Mme Hélène Duchêne. Il pourrait y avoir des exercices, non des manœuvres.

La relation avec l’Ukraine n’est pas née d’aujourd’hui : ce pays fait partie du partenariat pour la paix, c’est-à-dire de tous les pays d’Europe centrale et orientale ayant une relation avec l’OTAN. Qu’il y ait des formations, des exercices ou un bureau de l’OTAN à Kiev n’est pas nouveau.

M. Thierry Mariani. Quelle différence faites-vous entre des exercices et des manœuvres ?

Mme Hélène Duchêne. Les exercices sont ciblés et déterminés à l’avance.

Quant à l’Europe de la défense, elle a été très présente, d’autant plus que les pays ont décidé d’augmenter les dépenses de défense et comptent dessus. Elle l’est notamment pour la France, qui est très attentive à l’autonomie stratégique de l’Union européenne et au fait que nous avons réussi à convaincre des Européens de nous rejoindre dans des opérations que nous avions lancées, que ce soit au Mali ou en Centrafrique, avec l’opération EUFOR RCA, qui fait un excellent travail.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie de cet exposé précis.

Nous essayons de tenir une position qui est une sorte de ligne de crête entre la nécessité de montrer de la fermeté vis-à-vis de la Russie et de ne pas couper les liens.

S’agissant de l’éventuelle adhésion de pays comme l’Ukraine, j’ai bien compris que l’OTAN avait pour principe de ne pas fermer la porte, mais il n’est pas de notre intérêt de procéder à cet élargissement, d’autant que certains affirment qu’il avait été promis à M. Gorbatchev de ne pas élargir l’OTAN à l’est. Cela étant, les déclarations du Président de la République ont été nettes.

La séance est levée à dix-heures quarante-cinq.

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa réunion du mercredi 10 septembre 2014 à 9h30, la commission des affaires étrangères a nommé :

Par ailleurs, en remplacement de M. Jean-Philippe Mallé :

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 10 septembre 2014 à 9 h 30

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, M. François Asensi, M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean-Paul Bacquet, M. Philippe Baumel, M. Jean-Claude Buisine, M. Jean-Christophe Cambadélis, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Gérard Charasse, M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, Mme Chantal Guittet, M. Serge Janquin, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Guy Teissier, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Patrick Balkany, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Paul Dupré, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. François Lamy, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Jean-Luc Reitzer, M. René Rouquet, M. André Santini

Assistait également à la réunion. - M. Christophe Premat