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Commission des affaires étrangères

Mercredi 28 septembre 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n°93

Présidence de M. Paul Giaccobi, Vice-Président,

– Audition de M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France au ministère de l’intérieur, sur la situation migratoire à nos frontières et en Europe.

Audition de M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France au ministère de l’intérieur, sur la situation migratoire à nos frontières et en Europe

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

M. Paul Giacobbi, président. Je vous prie de bien vouloir excuser Mme la présidente Elisabeth Guigou, actuellement à Berlin pour assister à une réunion conjointe des commissions des affaires étrangères des assemblées d’Allemagne, de Pologne et de France.

Nous recevons aujourd’hui M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France au ministère de l’intérieur, sur la situation migratoire à nos frontières et en Europe. Je rappelle que cette audition est fermée à la presse.

Le sujet que nous évoquons est à la fois vieux comme le monde, et d’actualité. Je rappelle les efforts désespérés et totalement inefficaces, dès l’antiquité, déployés par l’empire romain pour contenir diverses migrations avec le mur d’Hadrien. Chacun connaît la grande muraille de Chine et sait qu’elle n’a rigoureusement servi à rien. Chacun sait aussi que depuis plusieurs siècles, la France a, elle aussi, connu des mouvements migratoires considérables, après une période de grandes émigrations vers les pays européens, suite notamment aux persécutions contre les protestants, mais aussi – fait moins connu – d’émigrations de la France vers l’Afrique du Nord, relatées notamment par Fernand Braudel. La question migratoire, au-delà de l’actualité, constitue un enjeu politique majeur dans les pays démocratiques tels que l’Allemagne, les États-Unis ou l’Autriche, mais aussi d’autres pays qui ne sont pas forcément les plus touchés par le phénomène.

Monsieur le directeur général, il serait utile que vous dressiez pour nous le tableau général de la situation sur les deux routes migratoires principales, à savoir celle de la Méditerranée centrale, qui se caractérise par une pression forte sur l’Italie, et celle de la Méditerranée orientale, où les flux seraient apparemment réduits, avec la route des Balkans, désormais fermée.

Pourriez-vous également faire le point sur les accords conclus entre l’Union européenne et la Turquie, dont la mise en œuvre se caractérise par une subtilité qui nous échappe parfois ? Il serait également bienvenu de nous présenter les effets de la crise migratoire en France, auprès de laquelle les demandes d’asile ont augmenté de 23 % l’an dernier, ainsi que la situation à Calais et à Vintimille où, au mois d’août dernier, des centaines de migrants ont passé irrégulièrement la frontière. Enfin, nous apprécierions un point sur la réponse européenne et, il faut bien le dire, son insuffisance.

Monsieur le directeur général, je vous cède la parole.

M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France au ministère de l’intérieur. Permettez-moi de débuter par un point de situation sur l’état des flux et des routes migratoires. Comme vous l’avez rappelé Monsieur le président, les mouvements de population sont une donnée historique, mais l’année 2015 a été exceptionnelle du point de vue de la pression migratoire, et sans commune mesure par rapport à ce qui avait été enregistré au cours des sept ou huit dernières décennies. Ce sont 1,8 million d’entrées irrégulières qui ont été détectées en Europe, entrées par l’Italie, la Grèce et la Hongrie – des doubles-comptes existant entre ces deux derniers pays. Pour rappel, le nombre d’entrées irrégulières était de 300 000 en 2014, ce qui constituait déjà une progression importante par rapport à 2013. L’année 2016 ne sera pas du même ordre que 2015, compte tenu du « freinage » constaté sur la route de la Méditerranée orientale.

La situation migratoire en Europe résulte de deux dynamiques différentes, en Méditerranée orientale et en Méditerranée centrale. Pour ce qui concerne la Méditerranée orientale, charnière turco-grecque dont l’explosion s’est traduite par celle des flux entrants, l’année 2015 s’est caractérisée par une augmentation des flux migratoires en deux temps : tout d’abord, une augmentation progressive de ces flux vers la Grèce au cours du premier semestre, puis une accélération très brutale au cours du deuxième semestre. Ce mouvement ne s’est pas prolongé en 2016 et les flux se sont ralentis en deux étapes. La première s’est tenue durant l’hiver, notamment du fait de conditions climatiques difficiles : le nombre d’arrivées journalières sur l’ensemble de la route menant de la Grèce à l’Allemagne, qui avait atteint un paroxysme de 10 000 en septembre et octobre 2015, n’était plus que de 2 000 en janvier 2016. La seconde étape résulte de deux événements consécutifs, ce que l’on appelle la « fermeture » de la route des Balkans, c’est-à-dire le renforcement des contrôles aux frontières à partir de février 2016, et l’entrée en application, à compter du 18 mars, de l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie. On enregistre désormais quelques dizaines d’entrées par jours sur cette route – entre 30 et 200. Au total, on a donc assisté à un freinage important à partir du mois de mars 2016. À l’heure actuelle, environ 180 000 personnes sont entrées en 2016 en Union européenne par cette route, mais l’essentiel des entrées est antérieur au mois de mars. Nous sommes aujourd’hui bien en-deçà des flux enregistrés l’an dernier.

Concernant la Méditerranée centrale, la dynamique est très différente. Le nombre d’arrivées est étalé sur les années 2014, 2015 et 2016. On a enregistré environ 130 000 entrées en Italie depuis le début de l’année, de personnes provenant essentiellement de Libye et subsidiairement d’Egypte. On devrait comptabiliser environ 150 000 entrées d’ici la fin de l’année, comme en 2015 – contre environ 180 000 en 2014.

Les flux diffèrent par ailleurs par leur composition. Les arrivées en Grèce sont surtout le fait de Syriens. Même si leur proportion tend à diminuer, ils constituent toujours la première nationalité, suivis des Afghans, dont le nombre augmente. On peut noter, secondairement, d’autres nationalités, notamment les Pakistanais. Concernant la route de la Méditerranée centrale, les arrivées en Italie sont de composition très différente. On peut distinguer trois catégories d’origine des flux : la majorité relative (près de la moitié) est constituée de ressortissants de pays d’Afrique de l’Ouest (Nigéria, Gambie, Sénégal, Ghana, Guinée) ; puis, viennent les ressortissants de pays d’Afrique de l’Est (Ethiopie, Soudan, Somalie, Erythrée), qui constituent un quart du flux ; enfin des nationalités tierces, issues notamment de pays d’Afrique du Nord. Il résulte de cette situation deux besoins de protection différents.

L’impact de ces flux migratoires sur les pays de l’Union européenne est également très différencié. En 2015 et au début de l’année 2016, la majorité des flux s’est concentrée sur un petit nombre de pays, au premier rang desquels l’Allemagne qui a, dans un premier temps, absorbé la majorité du flux. La Suède, pour sa part, a consenti un effort encore plus important en proportion de la taille de sa population, en accueillant 200 000 personnes. D’autres pays européens ont enregistré des arrivées en nombre inférieur, mais bien plus important que celui qu’ils accueillaient précédemment : c’est notamment le cas du Danemark, de la Norvège (membre de l’Espace Schengen), des pays du Benelux et de l’Autriche. L’ensemble de ces pays ont été le plus affectés en 2015, mais ont connu une forte baisse du nombre d’arrivées en 2016, ainsi qu’une diminution du nombre de demandes d’asile.

La France présente pour sa part un profil particulier. Elle a été moins affectée que d’autres en 2015, puisque le nombre de demandes d’asile y a augmenté de 23 % par rapport à 2014. Il s’agissait d’une augmentation sans précédent, mais dans une bien moindre mesure que ce qui était connu dans d’autres pays européens. En revanche, l’année 2016 est marquée par une moindre décélération que dans les autres pays, puisque l’augmentation du nombre de demandes d’asile devrait être du même ordre de grandeur qu’en 2015, soit environ 20 %. Cela peut être expliqué par plusieurs facteurs. En premier lieu, la France est affectée par des mouvements secondaires au sein de l’Union européenne, ce qui se traduit par l’augmentation du nombre de personnes éligibles au règlement dit de Dublin, qui ont laissé leurs empreintes ou déjà déposé une demande d’asile auprès d’un autre pays européen. Par ailleurs, il est possible que l’accès à la procédure d’asile, saturé lorsque les flux se sont intensifiés, étale dans le temps l’effet des demandes d’asile. Enfin, nous sommes plus concernés que d’autres pays par le flux en provenance d’Italie, ce que traduit, par exemple, le nombre important de demandes d’asile déposées par des ressortissants soudanais.

La deuxième caractéristique de l’exposition de la France aux flux migratoires réside dans la concentration de ces flux dans certains territoires, comme l’Île-de-France et le Nord. Dans ce domaine, la politique de la France poursuit un double objectif : la réduction des flux de migrants irréguliers et l’accueil des personnes en besoin de protection, que les réponses aujourd’hui mises en œuvre traduisent.

Au niveau européen, des mesures ont ainsi été prises pour réduire les flux de migrants irréguliers. La plus spectaculaire est l’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 18 mars 2016. Cet accord s’est révélé efficace, bien que l’application de ses clauses ait été très inégale. Cet accord s’inscrit dans la suite des discussions avec la Turquie qui avaient abouti au premier accord de novembre 2015. Les paramètres généraux étaient donc déjà connus : un équilibre entre réadmissions et libéralisation des visas ; une aide financière à l’accueil des réfugiés – et non un soutien à l’État turc ; une poursuite des négociations dans le cadre du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE ; une coopération policière dans la gestion des flux migratoires.

L’apport principal de l’accord du 18 mars 2016 a été l’instauration de la règle du « 1 pour 1 », soit l’engagement de la Turquie de réadmettre l’ensemble des migrants arrivés en Grèce après l’accord, même si ces derniers présentent une demande d’asile, avec comme contrepartie l’engagement des pays européens à réinstaller sur leurs territoires autant de ressortissants syriens qu’il y en aurait de réadmis. Ce volet de l’accord n’a pas connu une mise en œuvre poussée : on compte aujourd’hui 500 réadmissions en Turquie depuis la Grèce, mais elles concernent en majorité des personnes qui ne sont pas de nationalité syrienne, ni demandeuses d’asile, ou qui étaient volontaires pour se rendre en Turquie. À l’inverse, on compte 1 200 réinstallations en Europe depuis la Turquie, dont 200 en France et 400 dossiers en cours approuvés.

Le volet financier de l’accord est en revanche mis en œuvre à un rythme satisfaisant : sur les 3 milliards d’euros d’aide à l’effort d’accueil de la Turquie prévus dans l’accord de novembre 2015, plus de 2,2 milliards ont déjà été engagés et près de 500 millions déjà décaissés.

La libéralisation des visas constitue un volet sensible de l’accord. L’interprétation de la France est que cet accord ne délie pas la Turquie de l’obligation de respecter l’ensemble des critères imposés pour que cette libéralisation intervienne. Or, en juin dernier, la Commission européenne a publié un rapport constatant que certains critères ne sont pas remplis. La libéralisation des visas n’est donc pas intervenue au 1er juin comme prévu et n’est toujours pas effective aujourd’hui. Par ailleurs, la clause de réadmission des ressortissants des pays tiers n’est pas non plus entrée en vigueur au 1er juin dernier.

La réduction importante des flux a démontré l’efficacité globale de l’accord signé. Celle-ci tient cependant plus de l’engagement de la Turquie dans le contrôle de ses côtes, que de la mise en application des dispositions relatives aux conditions d’accueil des demandeurs d’asile.

En Méditerranée centrale, des mesures de réduction des flux apparaissent plus difficiles à mettre en place. En effet, en Méditerranée orientale, il existe un accord avec la Turquie, soit un État qui jouit de moyens d’action pour exercer un contrôle effectif des flux, ce qui n’est pas le cas de l’État libyen : un même schéma d’accord ne peut pas être reproduit.

Dans cette zone, l’Union européenne développe donc une stratégie différente, de nature plus indirecte, visant à obtenir des résultats de moyen terme, à travers la conclusion de pactes migratoires avec les pays d’origine des migrants, notamment les États subsahariens, et les pays de transit.

Le renforcement des contrôles aux frontières constitue une autre mesure de réduction des flux. L’agence Frontex a amplifié ses opérations : elle mène notamment deux opérations maritimes, « Triton » en Italie et « Poséidon » en Grèce. Au sein des centres d’accueil, dits « hotspots », ont été déployés de nombreux agents Frontex ainsi que du Bureau européen d’appui à l’asile (EASO) pour effectuer des contrôles de sécurité et procéder à l’enregistrement des personnes franchissant les frontières.

Pour répondre à l’initiative des ministres de l’Intérieur français et allemands, la Commission européenne a également présenté en décembre 2015 le « Paquet Frontières », visant à renforcer les dispositifs européens de contrôle aux frontières extérieures, et qui comporte deux textes.

Le premier est une révision ciblée du code des frontières Schengen, guidée par un objectif de sécurité, qui a pour but de permettre un contrôle plus systématique des ressortissants de l’Union européenne lorsque ceux-ci franchissent les frontières intérieures de l’Europe, dans le contexte du retour de combattants de nationalité européenne depuis les théâtres de guerre du Proche Orient.

Le second texte vise à transformer Frontex en une agence européenne de garde-frontières et garde-côtes, pour accroître l’intégration de la gestion des frontières dans l’UE. Ce texte a fait l’objet d’un accord interinstitutionnel et a été adopté le 16 septembre dernier. Il entrera en vigueur le mois prochain. Frontex conduit actuellement les mesures de préparation de cette mutation, qui lui conférera une autonomie d’action et une réserve opérationnelle portée à 1 500 agents, ainsi qu’une capacité renforcée de surveillance de la mise en œuvre par les États membres de leurs obligations de contrôle aux frontières.

L’Union européenne a en outre engagé une réforme du régime d’asile commun. Celle-ci s’est traduite par plusieurs initiatives législatives, représentant plus d’une dizaine de textes en un an.

Il s’agit tout d’abord des décisions ayant mis en application le processus de relocalisation visant à faire face à la situation exceptionnelle que connaissait l’Europe, pour assurer une meilleure répartition des demandes d’asile tout en renforçant le contrôle aux frontières. Tel était l’objet des « hotspots ». Le bilan quantitatif de la relocalisation apparaît cependant inférieur aux prévisions établies. Celle-ci devait en effet bénéficier à 160 000 personnes. Or, à l’heure actuelle, seules 4 700 relocalisations ont été effectuées, dont 1 700 en France, ce qui place notre pays en première position.

L’Union européenne a aussi adopté des décisions en matière de réinstallation au profit de plusieurs pays puis a lancé une réforme du régime d’asile. Ont été ainsi présentées des propositions de réforme du règlement de Dublin et du règlement « Eurodac », ainsi qu’une proposition de transformation du Bureau européen d’appui à l’asile en agence européenne. Ont enfin été présentées plusieurs propositions de rénovation des dispositions du droit d’asile et des procédures applicables, qui font aujourd’hui l’objet de négociations.

Ce chantier législatif très ambitieux prendra du temps : l’objectif de la Présidence slovaque est d’aboutir à un accord entre les États membres sur deux de ces textes, à savoir le règlement « Eurodac » et celui visant à transformer le Bureau européen d’appui à l’asile en une agence européenne dotée de pouvoirs renforcés.

Le règlement « Eurodac » a une double vocation, à la fois migratoire et sécuritaire. Sa réforme vise à faciliter l’accès au fichier Eurodac pour les forces de police, initialement mis en place pour déterminer l’État membre responsable de l’examen des demandes d’asile. Il fournit toutefois des données intéressantes sur le parcours de personnes susceptibles d’être recherchées dans le cadre de procédures judiciaires.

Au niveau français, les différentes réponses apportées poursuivent les deux orientations déjà mentionnées : lutter contre l’immigration irrégulière et accroître l’effort d’accueil.

La France a ainsi largement participé au mouvement d’augmentation des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne et reste le premier État contributeur de l’agence Frontex : plus de 60 experts français y sont actuellement déployés en permanence. L’effort accompli au niveau des frontières a changé de cadre depuis la décision du 13 novembre 2015 rétablissant les contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen. En effet, cette décision a eu pour conséquence un accroissement du nombre de contrôles, d’interpellations et de non admissions. Ces dernières s’élèvent à environ 40 000 depuis un an, soit un quadruplement des chiffres.

Cette situation s’illustre de manière emblématique à Vintimille, où le nombre de non admissions est très important. Toutefois le nombre d’interpellations demeure stable, autour de 60 à 70 personnes par jour dans les Alpes-Maritimes, soit un ordre de grandeur semblable aux années précédentes. Le taux de réadmission vers l’Italie s’est en revanche amélioré cette année, atteignant les deux tiers des personnes interpellées. De manière globale, la coopération avec l’Italie progresse.

Le nombre de filières démantelées par les forces de l’ordre croît également régulièrement, tandis que l’effort d’éloignement se poursuit.

S’agissant des personnes en besoin de protection, l’effort d’accueil de la France a concerné l’ensemble de la chaîne du droit d’asile. L’OFII bénéficie ainsi d’une augmentation de 25 % de ses effectifs et l’OFPRA de 70 % entre 2014 et 2017, pour renforcer les capacités de traitement des demandes d’asile. Il s’agit d’éviter que l’augmentation de leur nombre n’entraîne un allongement des délais d’examen, ce qui aurait pu rendre critique le problème de l’hébergement des demandeurs, augmenter le montant des allocations versées et retarder l’accès à la protection des personnes qui y ont droit. Grâce à ces mesures, le mouvement de réduction des délais d’examen, observé depuis 2014 et ralenti par l’augmentation des flux de migrants, ne s’est pas significativement inversé.

Le parc d’hébergement a enfin connu une extension remarquable : il a doublé en cinq ans, en passant de 20 000 à 40 000 places dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA). Les dispositifs d’hébergement d’urgence ont également augmenté de manière importante.

M. Paul Giaccobi, président. Mes collègues ont sans doute été frappés, comme moi, par la clarté et la simplicité des dispositions adoptées par l’Union européenne dans ce domaine. Nos frontières européennes sont désormais entourées de maquis, dont on sait à quel point ils sont accueillants pour ceux qui s’opposent à l’ordre établi, pour le meilleur ou le pire, et en ce moment plutôt pour le pire.

M. Jean-Marc Germain. Merci pour votre exposé, en effet plus clair que les règlementations européennes.

Vous avez évoqué la stratégie concernant la route de la Méditerranée centrale, sans doute la plus complexe. S’agissant de la Grèce, quel que soit le jugement que l’on peut porter sur le caractère sûr de la Turquie comme pays d’accueil pour certaines populations de demandeurs d’asile, la situation est stabilisée et je ne crois pas que les Turcs aient intérêt à rouvrir cette voie, car ils courent le même risque que nous avec Calais si le message est que l’on passe à nouveau en Grèce.

S’agissant des pactes migratoires, que l’Union européenne envisage de conclure avec un certain nombre de pays d’Afrique pourvoyeurs de migrations, nous avons tous noté la réaction de Matteo Renzi lors du sommet de Bratislava. Je crois comprendre que son mécontentement portait en particulier sur ce qu’il considère comme un engagement insuffisant de l’Europe dans cette politique. Pouvez-vous donc revenir sur le contenu de ces pactes, qui mêleraient aide au développement et accords policiers, notamment pour la réadmission des migrants ne relevant pas du droit d’asile ?

Par ailleurs, quelles sont les pistes envisagées pour la réforme de Dublin ? Portent-elles sur la question du pays de première entrée ?

La stabilisation de la durée d’instruction des demandes d’asile est à l’évidence une autre question clef. Une recommandation récente de l’OCDE était de descendre à trois mois. Où en est-on en France et quelles sont les perspectives ?

Il est beaucoup question des routes orientale et centrale, mais qu’en est-il aussi de la route occidentale ? Pourquoi les migrants ne passent-ils pas par Gibraltar, qui semble pourtant la voie la plus simple ? Est-ce parce qu’il y a au Maroc un Etat capable d’exercer un contrôle policier fort ou existe-t-il d’autres éléments dans les accords noués par l’Espagne avec un certain nombre de pays africains ?

M. Thierry Mariani. Vous avez parlé de la relocalisation avec une grande honnêteté sur les chiffres. C’est en réalité une vraie catastrophe. Vous l’avez dit : sur les 160 000 relocalisations prévues, 4 700 ont été effectuées, dont 1 700 en France. Contrairement à ce que l’on entend souvent, notre pays prend véritablement sa part du fardeau. Nous sommes à la veille d’un référendum en Hongrie, qui aura lieu le 2 octobre et dont la réponse fait peu de doute. Ce plan de relocalisation a-t-il encore un avenir ?

Vous avez dit qu’à nos yeux l’accord avec la Turquie n’a pas de caractère suspensif en ce qui concerne les critères de libéralisation des visas, mais que les Turcs ont une interprétation opposée. Que dit exactement l’accord ? Et quel est le calendrier ?

Une partie du regroupement familial est régie par des accords entre Etats, prévoyant des mesures particulières. Dans ces conditions, s’il y a aujourd’hui un concours de propositions sur le regroupement familial, elles s’appliqueraient en réalité à des pays qui ne sont pas les principales sources d’immigration. Pour remettre en cause ou suspendre le regroupement familial avec l’Algérie ou le Maroc, par exemple, il faudrait dénoncer de tels accords. Pourriez-vous nous adresser un tableau récapitulant les pays avec lesquels ont été signés des accords bilatéraux dérogatoires du droit commun en matière de regroupement familial, ainsi que les mesures spécifiques qui sont prévues ? Ce serait utile pour le débat des mois à venir.

M. Christian Assaf. Je voudrais revenir sur les propositions législatives publiées par la Commission européenne le 13 juillet dernier, dont on voit bien qu’elles nous conduisent à un véritable régime européen d’asile. Quelle serait l’échéance ?

S’agissant de l’application des accords du Touquet, pouvez-vous rappeler les mesures adoptées ou en passe de l’être, ainsi que les positions respectives des autorités britanniques et françaises ? Enfin, quelles seraient les conséquences d’une dénonciation de ces accords ?

M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France. Je partage votre appréciation relativement optimiste, Monsieur Germain, sur la volonté des autorités turques de ne pas aboutir à une dégradation de la situation migratoire sur cette route. La relation UE-Turquie est une relation complexe, reposant sur de nombreux déterminants, mais la puissance des intérêts qui unissent les deux parties va les conduire, me semble-t-il, à trouver des compromis sur les sujets importants, qu’ils soient sécuritaires ou migratoires.

Les pactes migratoires avec les pays d’Afrique sub-saharienne s’inscrivent dans l’esprit du sommet UE-Afrique de la Valette, où ont été dessinés les paramètres d’un compromis sur une bonne gestion des flux migratoires. Ils reposent d’une part sur des projets de développement concernant soit les causes profondes de la migration soit les instruments permettant de la réguler, comme la mise en place d’un état-civil ou d’un système de gestion des frontières plus efficace dans les pays d’origine, et sur une forte demande de facilitation de la migration légale de la part de ces pays, et d’autre part sur une demande de l’Union européenne qui porte en premier lieu sur l’amélioration de la coopération consulaire, de manière à favoriser les procédures d’éloignement pour les personnes qui seraient entrées dans l’Union de manière irrégulière.

Ces pactes migratoires se déploient de manière prioritaire en direction de cinq pays, présentant des enjeux importants en termes de numérisation et avec lesquels on peut dire que la coopération consulaire est très perfectible : le Niger, le Mali, le Sénégal, l’Ethiopie et le Nigéria. Le chef de file de cette stratégie est la Haute représentante, Mme Mogherini.

S’agissant du règlement de Dublin, les propositions de la Commission peuvent être résumées en deux objectifs.

D’une part, il s’agit de rendre plus effectif ce règlement, très difficile à mettre en œuvre. Lorsqu’une personne fait l’objet d’une procédure Dublin, c’est-à-dire que le pays où elle présente sa demande d’asile parvient à la conclusion que cette demande relève de la responsabilité d’un autre pays, il est très difficile de faire en sorte que ce soit ce pays qui traite la demande d’asile. Il est en particulier très difficile d’effectuer des transferts contraints. Compte tenu de l’importance du critère de première entrée, ce serait normalement en Italie et en Grèce qu’il devrait y avoir le plus de demandes d’asile. Mais cela fait plusieurs années que le règlement Dublin n’est plus appliqué à l’égard de la Grèce, en raison de la déshérence de son système d’asile, et le règlement est également appliqué avec difficulté à l’égard de l’Italie. Un des objectifs de la Commission est de le rendre plus effectif, parce que plus contraignant, en facilitant les transferts contraints.

Un deuxième objectif, poursuivi concomitamment par la Commission, est de favoriser une meilleure répartition de la demande d’asile en Europe. La proposition de règlement de la Commission incorpore ce que l’on a appelé à une époque le mécanisme de relocalisation permanent. Il n’aurait pas vocation à s’appliquer tout le temps, mais à se déclencher dès lors qu’un afflux aurait été constaté. Ce mécanisme correcteur permanent, qui vise à recalculer la responsabilité des Etats membres à partir du moment où l’un d’entre eux est confronté à un afflux exceptionnel, sera au cœur de la discussion. Si la France accepte le principe d’un tel mécanisme, il faut qu’il soit adapté dans ses conditions de déclenchement et dans ses effets. Aujourd’hui, la proposition de la Commission ne nous satisfait pas à cet égard, car elle prévoit un déclenchement trop automatique. Il nous semble qu’un Etat ne doit pouvoir bénéficier d’un tel mécanisme correcteur que s’il remplit ses obligations au titre du contrôle aux frontières et de l’asile. Sinon, il s’agirait d’un mécanisme déresponsabilisant.

Concernant la route occidentale : cette route était importante au début des années 2000, mais son importance a depuis lors diminué, avec seulement 6 000 à 7 000 passages depuis le début 2007. Nous pouvons peut-être tirer des leçons de cette évolution. En premier lieu, l’Espagne a fait des efforts s’agiassant du contrôle aux frontières et de son système d’asile.

En deuxième lieu, elle s’est aussi beaucoup investie dans la coopération consulaire et policière avec les pays de départ, notamment avec le Sénégal, où elle peut faire réadmettre un grand nombre de personnes.

Concernant la relocalisation, le dispositif a sa logique. La relocalisation vise à obtenir des pays de première entrée dans l’Union un meilleur contrôle des frontières en échange d’une dérogation au règlement Dublin. Un État confronté à un afflux risque en effet de juger dans son intérêt de laisser se dérouler les transits afin d’éviter d’avoir à faire un effort de contrôle aux frontières et d’accueil sur son territoire. Pour contrer ce calcul, la relocalisation vise à garantir à ces États une répartition de l’afflux tout en exigeant d’eux un effort de contrôle aux frontières.

La relocalisation n’a pas fonctionné comme prévu faute d’un outillage administratif et opérationnel qu’il a fallu mettre en place. Les objectifs fixés à l’automne 2015 étaient trop ambitieux : ils supposaient en effet que les passages soient enregistrés dans des centres d’accueil qu’il a fallu mettre en place. Ces centres fonctionnent désormais en Grèce - différemment depuis le 18 mars puisqu’ils n’ont plus la même fonction. Les entrées sont désormais enregistrées, les demandeurs faisant l’objet d’une prise de leurs empreintes et d’un enregistrement.

En Italie, la situation est différente. Il y a quatre centres d’enregistrement, mais à capacité limitée. En outre, la majorité des migrants ne passe pas par des centres, même s’ils ont été sauvés en mer par des bateaux européens ; par conséquent ils ne sont pas enregistrés et ne peuvent être l’objet d’une relocalisation, à laquelle ils ne sont d’ailleurs pas éligibles puisqu’il s’agit surtout de migrants économiques.

Concernant la libéralisation des visas, l’accord du 18 mars prévoyait que l’ensemble des 72 critères de la feuille de route devaient être remplis pour qu’elle puisse avoir lieu. L’interprétation française, qui s’est imposée par la force des choses, était que l’échéance du 8 juin ne déliait pas la Turquie de ses obligations. La Commission a constaté en juin dernier que sept critères n’étaient pas remplis, dont la délivrance de passeports biométriques et certaines adaptations de la législation turque sur des points très sensibles, comme les lois sur le terrorisme. Or, pour la France, l’intégralité de ces critères doit être remplie.

Par ailleurs, la France et l’Allemagne ont obtenu une clause de suspension plus efficace, prévoyant que si un pays ayant bénéficié de la libéralisation cesse de satisfaire aux critères, il soit possible de mettre fin plus facilement à la libéralisation.

Concernant le regroupement familial, il doit être distingué de l’immigration familiale, qui concerne la moitié environ des titres délivrés chaque année, soit environ 100 000 sur 200 000. Le regroupement familial n’en est qu’une petite part, puisque sur les 100 000 titres délivrés chaque année, environ 55 000 ne concernent pas le regroupement familial mais les familles de Français, les conjoints de Français représentant à eux seuls environ 40 % de l’immigration familiale. Avec les ascendants et les descendants, cela représente environ 60 % de l’immigration familiale.

Les 40 % restant relèvent de deux catégories : les membres de famille et les liens personnels et familiaux, ce qui inclut la régularisation pour motif familial. Le regroupement familial n’est qu’une sous-catégorie du regroupement des membres de famille. En outre, les membres de famille n’entrent pas seulement au titre du regroupement familial. Le titre de séjour de l’étranger peut en effet permettre l’entrée des personnes concernées. Il en va ainsi, par exemple, des titres délivrés aux chercheurs.

En tenant compte de tout cela, le regroupement familial représente environ 12 000 personnes par an, avec un régime de droit commun défini par le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui pose des conditions de durée de résidence, de niveau de ressources et de caractéristiques du logement, et des accords dérogatoires, le plus important étant l’accord franco-algérien de 1968 révisé.

Concernant l’uniformisation du régime européen d’asile, les propositions présentées par la Commission sont très ambitieuses puisqu’elles consistent à substituer à des directives des règlements visant les procédures et la qualification des réfugiés. C’est donc un effort d’harmonisation important.

La France est favorable à une plus grande convergence, mais soucieuse de ce que cette convergence soit progressive et tienne compte des disparités qui existent aujourd’hui dans les régimes nationaux d’asile. La France est notamment attachée aux traditions nationales, et notamment à la sienne, en matière d’asile.

Concernant les accords du Touquet, ces derniers se traduisent essentiellement par la mise en place à Calais et à Douvres du système des contrôles nationaux juxtaposés, qui prévoit que les contrôles d’entrée comme de sortie ont lieu dans le pays de départ. Le système a été adopté pour le tunnel sous la Manche, par le traité de Cantorbéry et le protocole de Sangatte. Les accords du Touquet de 2003 répliquent ce dispositif pour les ports de Calais et Douvres et tirent les conséquences de cette extension du dispositif en prévoyant que la responsabilité de l’examen de la demande relève du pays sur lequel le contrôle est effectué.

L’analyse qui est la nôtre est que la remise en cause de ces accords aboutirait à une situation aggravée, du point de vue humanitaire dans le Calaisis. L’expérience montre, en effet, que les pays qui ont choisi d’effacer leurs contrôles pour encourager le transit ont fini par être débordés, comme l’ont été les pays des Balkans ou l’Autriche, par l’afflux qu’ils avaient contribué à provoquer, et ont fini par rétablir des contrôles aux frontières. On pourrait dire la même chose de la Turquie et de la Grèce. Les accords du Touquet ne sont pas la cause de la concentration migratoire dans le Calaisis. S’ils étaient efficaces, les migrants passeraient ailleurs. Il n’y a pas en effet de contrôles juxtaposés à Dunkerque ou à Cherbourg, mais les migrants passent tout de même par Calais, même si les passages ont beaucoup diminué, parce que c’est là que les capacités de trafic sont concentrées. C’est le seul endroit où des milliers de camions se dirigent tous les jours vers le Royaume-Uni. Dès lors, si l’on signale que le passage est désormais plus facile, l’effet attractif sera plus important, puisque le Royaume-Uni présente une attractivité importante, que ce soit en raison de ses services publics, de son marché du travail ou des effets de diaspora. Si on affaiblit les contrôles aux frontières, les candidats au passage seront plus nombreux.

M. Jacques Myard. Il n’y a jamais eu de frontières hermétiques, c’est une évidence. Même le rideau de fer ne l’était pas. Les flux migratoires sont même l’histoire du monde. Mais vous n’avez pas assez souligné, sinon indirectement, l’effet d’appel, qui est constant dans ce que vous venez de nous dire. C’est d’abord la faute de Mme Merkel. Dès lors que l’on sait que les migrants vont être relocalisés et que la jungle va être détruite, cela crée un appel. Nous sommes tous des humanistes, mais tout ce que nous faisons est lu en direct dans tous les pays. Il eût fallu faire cela presque en catimini.

Un point majeur que je voudrais souligner est ce qui se passe avec la Libye. On marche sur la tête. Il y a là-bas des passeurs qui poussent des barcasses dans lesquelles ils ont mis des gens hors des 12 miles. Ces migrants sont alors sauvés par des navires européens et amenés en Europe. Le seul moyen d’arrêter cela, c’est de les reconduire en Libye et de le faire savoir, sans quoi le flux sera ininterrompu. Il y a un vrai problème de méthode qui souligne un problème politique majeur aux niveaux français et européen.

Concernant les certificats d’hébergement, il n’y a dans les faits aucun contrôle a posteriori. Que prévoit le gouvernement dans ce domaine pour éviter la fraude, car il y en a ?

M. Pierre Lellouche. A la différence de M. Myard, je ne suis pas d’accord avec l’introduction historique de notre président, mais ce n’est pas le sujet.

Je voudrais féliciter M. Molina pour sa présentation d’un sujet presque impossible, à peu près convaincante pour quelques experts bien intentionnés du café de Flore. Si vous faites la même chose à Calais ou au métro Stalingrad, on verra vite les limites de votre exposé, par ailleurs factuellement juste sur beaucoup de points.

Je souhaiterais vous poser deux questions avant de vous critiquer :

Vous avez parlé de 180 000 entrées illégales en Europe cette année. J'ai vu des chiffres plus proches de 600 000 pour l’Europe et de 70 000 à 80 000 pour la France, en plus des 200 000 légaux, avec une augmentation cette année, de sorte qu’on aboutit à 100 000 demandes d’asiles.

Le gouvernement aurait par ailleurs libéralisé l’octroi pour atteindre 40 ou 50% de taux d’admission dans certains cas au lieu des 15 à 20 % des années précédentes, afin de convaincre ces gens de quitter les installations sauvages. Combien de personnes rentrent-elles et à combien donne-t-on de visas ?

Dernier point, vous avez été assez elliptique sur les reconduites, peu nombreuses selon la Cour des Comptes. Pouvez-vous faire la lumière sur tout cela ?

Sur le contenu de la politique, il y a plusieurs points faibles.

D’abord la Turquie : l’accord de mars ne fonctionne pas complètement. Nous avons élargi Schengen en donnant les clefs à la Turquie, avec la levée des visas qui est fondamentale pour Erdogan en prévision des élections de 2024. Pouvez-vous camper sur la ligne des sept critères non remplis, compte tenu des pressions exercées en Europe pour rendre cet accord définitif ? Je ne le crois pas.

En outre, cet accord montre en creux que la Turquie a organisé l’explosion des migrations. Les trafics en 2015 se sont élevés à 5 milliards d’euros. Pour qui connaît ce pays et la force de sa police et de ses services de renseignements, envoyer jusqu’à 10 000 personnes par jour vers la côte grecque sans que le gouvernement le sache est impensable.

L’Europe n’a d’ailleurs pas émis l’ombre d’une protestation à propos de la répression qui a suivi le coup d’État de juillet dernier. Si vous pensez tenir durablement avec ce dispositif, vous vous trompez. À moyen terme, nous nous mettons dans la main des Turcs.

Concernant notre politique en Méditerranée centrale, si notre politique de contrôle des frontières de l’Union se limite au sauvetage en mer, nous rentrons complètement dans la logique des trafiquants. Ces derniers, qui prennent jusqu’à 1 000 euros par personne, mettent dans les bateaux suffisamment de carburant pour dépasser les 12 miles, puis appellent eux-mêmes les navires européens pour qu’il aillent chercher les passagers qui sont conduits en Italie aux frais du contribuable, puis entretenus par différents pays et qu’on retrouve enfin au métro Stalingrad.

Tant que nous continuons ainsi, il n’y a aucune raison pour que nous parvenions à vider Calais ou Stalingrad. J’appelle à ce qu’on change ces paradigmes.

En troisième lieu, je voudrais souligner une autre faiblesse, qui est l’accord de La Valette. Ce que je constate, c’est que les pays africains ne nous donnent pas d’accords de réadmission et que les programmes de développement ne sont pas au rendez-vous.

En quatrième lieu, vous parlez d’un renforcement des hotspots et de Frontex, mais on est à peine en train de mettre en œuvre le règlement datant de novembre dernier.

En cinquième lieu, ce que vous disiez sur les gens que nous ramassons en mer et qui ne font pas l’objet de contrôles ni de relevés d’empreintes ajoute au constat que ce système est extrêmement dangereux d’un point de vue sécuritaire.

Enfin, le système du droit d’asile, dont vous dites qu’il va être réformé une nouvelle fois, a été acté dans la loi française au mois de mai dernier. Ces lois sont d’une générosité exceptionnelle. Des réfugiés économiques ont automatiquement droit au regroupement familial, à l’exercice d’un emploi et à des cartes de résident de longue durée. Cette politique est extrêmement dangereuse. Je milite pour une remise à plat de l’ensemble du système, même si vous avez fait la meilleure présentation possible de notre politique actuelle. Je vous félicite pour la qualité de votre exposé.

Mme Chantal Guittet. Je souhaite dire à M. Lellouche que j’ai également travaillé sur le texte sur le droit d’asile et que nous n’en avons pas la même interprétation. Il est faux de dire que les réfugiés économiques ont le statut de réfugié. La France est par ailleurs le pays européen qui accueille le moins de réfugiés érythréens.

L’Union européenne enterre aujourd’hui le droit d’asile en se défaussant sur des pays non européens. C’est une façon habile d’avoir bonne conscience. Nous sommes le pays des droits de l’homme. Jean-Claude Juncker a dit qu’il fallait appliquer la convention de Genève, mais je n’ai pas l’impression que la Turquie l’applique. Elle a signé le protocole de 1967 mais ne l’applique apparemment qu’aux réfugiés européens. Elle a voté en 2014 une loi censée en reprendre les dispositions, mais qui ne les reprend pas réellement. Comment l’Union européenne peut-elle confier l’accueil des réfugiés à un pays qui ne respecte pas la convention de Genève et le protocole de 1967 ?

En outre, plus personne ne réagit à la répression, je suis d’accord en cela avec M. Lellouche, parce qu’on demande à ce pays de s’occuper des réfugiés.

Concernant les protocoles signés avec d’autres pays, ceux qui reçoivent le plus de réfugiés sont les pays pauvres, pendant que des pays très riches comme l’Arabie saoudite, avec lequel nous signons beaucoup de contrats, refusent de mettre un centime sur l’accueil des réfugiés. Ne devrions-nous pas être plus fermes et ne pas faire toujours passer l’intérêt économique avant le respect des droits de l’homme pour faire en sorte que le droit d’asile, qui a fait l’honneur des démocraties, soit respecté partout.

M. Jean-Jacques Guillet. Merci Monsieur le Directeur pour votre exposé. J’ai deux questions précises. Premièrement, est-il envisagé, au Niger, un camp de transit de façon à faire stationner les migrants qui pourraient arriver en Libye via le Sahara afin de les empêcher de venir dans ce pays ? Non pas seulement pour les empêcher de franchir la Méditerranée mais aussi pour leur éviter le calvaire qu’ils pourraient éventuellement subir en Lybie. Il est, en effet, difficile de renvoyer les migrants dans ce pays vu les conditions actuelles.

Deuxièmement, quels sont les moyens mis en œuvre pour lutter contre les passeurs et les organisations de passeurs ? Quelle connaissance avons-nous de ces organisations sans lesquelles il n’y aurait pas de migrations ?

Enfin et de façon plus générale, votre propos révèle une réponse à des problèmes purement conjoncturels. Lorsque vous évoquez les Syriens et les Afghans qui sont les deux populations les plus importantes de migrants actuellement, vous parlez de crises qui sont conjoncturelles. Mais il existe également des crises structurelles, comme les crises environnementales, démographiques, en particulier en Afrique, qui nous menacent à terme. Quels sont donc les moyens mis en place pour anticiper ces crises qui aboutiront à des migrations importantes dans l’avenir ?

M. Jean-Paul Dupré. Quelles sont les perspectives de flux migratoires en direction de l’Europe en provenance du continent africain sur le moyen terme, sachant qu’il comptera bientôt près de 4 milliards d’habitants, que les conditions économiques et climatiques auront un impact sur la volonté de migration de ces populations ? Pensez-vous donc qu’il sera possible d’organiser l’accueil de ces réfugiés ou migrants sur le continent européen ?

M. Jean-Paul Guibal. Je suis sur le terrain à la frontière italienne, près de Vintimille. Je ne cesse de m’étonner de l’écart considérable entre la politique, les moyens mis en œuvre pour maitriser l’immigration au niveau européen et la réalité de tous les jours. J’ai l’illustration de ce décalage avec les élaborations très sophistiquées de modalités de procédures, de techniques au niveau des bureaux et la réalité vécue par les gens. On parlait des réseaux de passeurs, des migrants, ils sont très organisés, très élaborés également mais ils le sont de manière pratique.

Comment peut-on confier à la Grèce qui a 5 000 kilomètres de côtes le contrôle des frontières extérieures de l’Europe en Méditerranée orientale ? Comment peut-on laisser l’Italie, avec 2 000 km de côtes et des îles qui ne sont pas éparses, mais Lampedusa n’est pas loin de la Lybie, faire face seule à l’afflux de migrants en Méditerranée centrale ?

Au niveau de la frontière française, on nous donne des chiffres officiels. Mais les personnes chargées d’assurer le contrôle de la frontière (les fonctionnaires de la police aux frontières et les membres de la gendarmerie) nous disent que le nombre de migrants traversant la frontière est de 700 par jour. La frontière est totalement poreuse. Elle est contrôlée sur les infrastructures routières, là où il est facile de contrôler. Mais les migrants passent également par les montagnes avec l’aide de passeurs, qui eux aussi « s’ubérisent ». Je veux dire par là qu’il existe des organisations mafieuses en Lybie composées de gens qui sont originaires des pays sources (Erythrée, Soudan ou autres). A la frontière franco-italienne, ce ne sont pas les mafias italiennes qui interviennent mais des individus isolés qu’ils soient italiens ou français, depuis l’entreprise de travaux publics jusqu’à l’artisan, aux taxis qui s’improvisent passeurs. Cela fait 700 entrées par jour. Il est impossible de tenir la frontière. Ceux qui en sont chargés le font avec une application et un professionnalisme admirables mais leur nombre et leurs moyens sont, à l’évidence, insuffisants. Il ne peut pas, de plus, être augmenté puisque les sorties d’écoles de policier ne suffisent pas à renforcer les moyens mis en œuvre le long de la frontière.

Mon interrogation est donc de savoir à quoi nous jouons. Est-ce que nous nous donnons l’illusion de mettre en œuvre une politique alors que nous n’en avons pas les moyens ni humains ni même politiques ?

M. Alain Marsaud. J’ai l’impression que les chiffres que vous évoquez ne tiennent pas compte d’une réalité que vous devez pourtant connaitre. Lorsqu’un étranger, quelle que soit sa situation, a mis les pieds sur le territoire nationale, il n’y partira uniquement que s’il le veut bien. J’ai assisté à une scène lors de laquelle un garçon algérien condamné à sept ans de réclusion criminelle pour viol sur mineur devait être reconduit en Algérie. Ce pays avait délivré un sauf conduit à cette personne. Cette personne a refusé de monter dans l’avion, d’être reconduit de force en Algérie. Ce cas n’est sans doute pas isolé.

Ma question est donc de savoir quelle est le nombre d’étrangers en situation irrégulière reconduits de force dans leur pays d’origine quand celui-ci veut bien les recevoir ?

Les Algériens tiennent un discours qui consiste à dire que si un Algérien a commis un crime en France, c’est en raison d’une culture que nous lui aurions inculquée et que, par conséquent, ils n’en veulent pas chez eux. Il existe donc une difficulté pour obtenir un sauf-conduit. Que faites-vous, en conséquence, pour le faire monter dans l’avion ? Quel est le nombre d’individus reconduits dans ces conditions ?

Mme Marie-Louise Fort. J’aimerais vous interroger sur le démantèlement prévu de Calais et la répartition dans tout le pays. Vous avez dit que lorsque les migrants arrivaient, ils ne pouvaient pas être enregistrés puisqu’ils arrivaient sur des bateaux européens. Je suis allée deux fois à Calais où j’ai posé des questions aux associations. Je me suis rendu compte qu’il y avait des migrants qui ne voulaient pas se faire enregistrer. Ils ne voulaient donner ni leur empreinte ni leur identité car ils voulaient aller en Angleterre.

Dans ma circonscription, une trentaine de migrants ont été hébergés dans un hôtel, pris en charge totalement par l’Etat en raison de 25 euros par jour.

Ma première question est de savoir si vous avez vraiment identifiés tous ceux que vous allez répartir dans le pays.

Ma deuxième question porte sur les chiffres. On nous présente en effet des images assez « tendres » des migrants, notamment des familles ou des Syriens. Cependant, et les sources sont nombreuses à ce sujet, il y a de nombreux migrants venant d’Afghanistan ou d’ailleurs, âgés de moins 25 ans. Paradoxalement, nous voyons peu de femmes. Je souhaiterais donc davantage d’honnêteté en matière de communication des chiffres. A Calais, on compterait aujourd’hui 10 000 personnes sous les tentes. On peut aussi évoquer le camp en cours de construction, constitué de lits superposés pour accueillir les femmes et les enfants. Mais il y a finalement peu de femmes et d’enfants. Quelle est la répartition de ces populations dans le nombre total de migrants ?

Mme Marylise Lebranchu. Je souhaite revenir sur l’organisation des réseaux. A Roscoff ou à Ouistreham, devant un certain nombre d’échecs à Calais, des organisations commencent à s’y implanter afin de voir quels camions pourraient potentiellement être utilisés.

Je souhaiterai mettre le doigt sur une autre réalité. En Bretagne, nous avons dans un certain nombre de grandes entreprises agricoles, composées d’environ 30 à 40 personnes, 80% de travailleurs détachés. Mais les mêmes réseaux qui ont organisé l’arrivée de ces travailleurs détachés organisent sans doute d’autres types de flux. Si l’on pouvait croiser un certain nombre d’informations, on réussirait à trouver des filières nouvelles. Certaines d’entre elles ont pignon sur rue, et commencent à organiser l’arrivée d’un certain nombre de migrants.

M. Jean-Marc Germain. Merci Monsieur le Président. Quel état des lieux pouvez-vous faire et quelles sont les perspectives au sujet de la durée d’instruction des demandes d’asile ?

Ma deuxième question porte sur les systèmes de répartition qui existent en Allemagne et en Italie. Ils sont fondés sur des critères démographiques et économiques entre les différentes régions. Est-ce une inspiration pour la France ? L’Italie envisage d’ailleurs de passer à un système de répartition commune par commune dans les prochaines semaines.

Troisièmement, vous ne nous avez pas parlé de l’opération Sofia, qui a vocation à aller au-delà des côtes européennes pour aller vers les côtes libyennes. Il avait notamment été envisagé pour cette opération une phase trois, consistant à projeter de Casques bleus sur le territoire libyen. Cette phase a été mise en suspens, au bénéfice d’une opération de formation des gardes côtes libyen. Quelle a été la position de la France sur ce point et quelles sont les perspectives ?

Ma dernière question porte sur le mécontentement de M. Renzi. L’une des raisons fut l’ouverture de la France et de l’Allemagne vis-à-vis de la position des Etats de Visegrad, et le concept de flexibilité solidaire, qui consiste en un assouplissement pour certains pays des mécanismes de répartition.

M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France. Je vais m’efforcer de répondre à l’ensemble des questions de manière aussi complète et synthétique que possible.

Tout d’abord au sujet des flux, il n’y a pas de différences entre les chiffres que j’ai présentés et ceux de M. Lellouche. Les 180 000 entrées dans l’UE concernent les entrées par la Grèce depuis le début de l’année. Si l’on fait le total de toutes les voies d’entrées, nous atteignons aujourd’hui 400 000, avec le même problème de double compte que l’an dernier, puisque l’on ajoute les entrées en Grèce et en Hongrie. D’ici la fin de l’année, nous atteindrons 500 000 entrées, en prenant en considération les doubles comptes. L’an dernier, nous étions à 1 800 000.

Concernant les flux à plus long terme, deux horizons temporels sont à prendre en compte. Pour les prochains mois, il faut être conscient des difficultés et des risques sur la route de la Méditerranée orientale, et sur la solidité de l’accord UE Turquie. Je fais le pronostic que cet accord est amené à tenir, car aucune des deux parties n’a intérêt à son échec, en raison de ce qu’il y aurait à perdre. La Turquie porte en effet un intérêt au contrôles des côtes, et elle a fait la démonstration qu’elle était capable de contrôler les départs tant qu’elle y mettait les moyens nécessaires. Maintenant que cette démonstration a été faite, il y aurait un coût non négligeable à revenir en arrière. Une démonstration de non volonté de contrôle serait explicite. Sur la route de la Méditerranée orientale, les flux devraient donc rester aux niveaux actuels et ne vont pas changer d’échelles.

De même sur la Méditerranée centrale, les flux ne vont pas évoluer. Mais sur cette route, nous n’avons pas les mêmes réponses immédiates à travers les relations UE-Libye qu’à travers celle entre l’UE et la Turquie. Nous prévoyons donc que l’ordre de grandeur de cette année sera le même l’an prochain.

Sur le plus long terme, l’exercice de prévision est très difficile. Nous sommes confrontés aux analyses démographiques, qui font état qu’une part importante de la croissance démographique mondiale s’exercera en Afrique, en particulier en Afrique subsaharienne mais aussi en Afrique Australe. Ces prévisions laissent augurer des départs importants.

Cependant, deux variables restent inconnues, ayant un effet sensible sur les migrations : la variable démographique d’abord, en particulier l’évolution du taux de fécondité. Il y a eu des erreurs majeures dans le passé sur la rapidité de l’adaptation du taux de fécondité. Par exemple, la baisse rapide du taux en Iran post-1979 a pris de court les démographes, qui avaient prévu une explosion de la population iranienne qui n’a finalement pas eu lieu. L’évolution du taux de fécondité au Niger n’inspire pas un optimisme démographique. Mais rien n’interdit de penser qu’à travers la disponibilité des soins de base et la scolarisation des jeunes filles, les deux déterminants principaux, il peut y avoir une évolution du taux de fécondité rapide dans ce pays. La deuxième inconnue est d’évaluer, à travers le niveau de développement, la capacité des Etats à absorber cette croissance démographique. Sur le long terme, il y a donc beaucoup d’inconnues.

Sur les sujets internationaux sur lesquels M. Lellouche m’a interrogé, et en particulier la Turquie, les Turcs attachent en effet une grande importance au processus de libéralisation des visas. Sur ce processus, la décision sera prise au niveau européen selon les procédures européennes, qui prévoient la majorité qualifiée dans ce domaine. C’est la raison pour laquelle nous avons accordé beaucoup d’importance à la négociation d’une clause de suspension robuste. Il existe aujourd’hui une telle clause mais elle est difficile à mettre en œuvre. Nous avons donc élargi ses critères et facilité son déclenchement. Le but était d’obtenir un mécanisme crédible de suspension dans le cas où une fois la libéralisation effectuée, les critères cesseraient d’être remplis. Auparavant, on s’attachait beaucoup au respect des critères à un instant t, celui de la libéralisation des visas, pour ensuite interrompre l’examen de ces critères. Le fait de maintenir des mécanismes de vérification afin que les critères demeurent remplis après la libéralisation des visas est quelque chose de très important.

Concernant la Libye, vous avez décrit les effets pervers des opérations de contrôle de frontières voire les opérations militaires en Méditerranée sur les flux. Je ne remets pas en cause la situation que vous avez décrite. Le cynisme des passeurs est sans limite. Ils font monter, parfois de force, des personnes sur des bateaux dont ils savent qu’ils ne tiennent pas la mer. Ils préviennent la marine européenne, parfois même avant le départ des bateaux, afin que les opérations de sauvetage soient effectuées. C’est une situation dramatique à laquelle nous avons été confrontés, et à laquelle l’opération italienne Mare Nostrum a été confrontée.

Les Européens ont tenté d’y échapper en mettant en place des opérations européennes. Ses opérations, Triton et EU Sofia, ont permis d’ajouter à la dimension sauvetage une dimension contrôle à l’entrée, débriefing et lutte contre les filières. Mais cela n’a pas conduit à réduire les opérations de sauvetages puisqu’il s’agit d’une obligation du droit de la mer, et une obligation humaine d’aller secourir ces personnes. Les opérations de sauvetage se sont donc poursuivies et intensifiées. Il n’existe pas d’alternative au sauvetage en mer, et les évènements d’avril 2015 l’ont démontré. Les nombreux naufrages ont conduit les Etats européens à renforcer les moyens disponibles pour le sauvetage.

La réadmission en Libye est très difficile à envisager, voire impossible pour plusieurs raisons. Nous sommes dans l’application de deux droits : le droit de secours en mer et éventuellement le droit d’entrée et de séjour et le droit d’asile. L’opérateur de secours en mer détermine, en lien avec le commandant du navire, le lieu où les personnes sauvées sont débarquées. Lors du sauvetage en mer, la priorité est de sauver les personnes et de les mettre en sécurité, et la question du droit d’asile se pose a posteriori. C’est la raison pour laquelle l’organisation des sauvetages en mer Egée a abouti aux débarquements en Grèce. L’organisation de sauvetage en Libye étant inexistante, l’organisateur de sauvetage en mer ne peut pas demander de débarquer dans ce pays. D’abord car il n’est pas libyen et qu’il n’a aucune garantie sur les possibilités de débarquement. C’est un obstacle opérationnel : pour débarquer les personnes, il faut des ports, du personnel et des infrastructures. Or ou l’on ne connaît pas les autorités portuaires en Libye, ou elles sont inexistantes.

La troisième raison est juridique. Pour l’application du droit d’asile et pour une éventuelle réadmission, ces opérations appellent à des qualifications juridiques, et à un contrôle juridictionnel. Or aujourd’hui, je ne vois pas une juridiction française valider une réadmission en Libye, sachant qu’il est interdit de réadmettre des personnes dans des pays où elles seraient exposées à des traitements inhumains ou dégradants, soit à être refoulées. Les conditions pour une réadmission en Libye ne sont donc aujourd’hui pas réunies à la fois pour des raisons juridiques et opérationnelles.

Troisièmement, la Valette dessine les paramètres des accords qui peuvent être trouvés. Ils peuvent se rejoindre à des niveaux différents d’ambition. La volonté des pactes migratoires est de rehausser ce niveau d’ambition, afin d’obtenir davantage en matière de coopération consulaire de réadmission. Cela ne passe pas forcément par des accords de réadmission, car ils ne sont pas forcément nécessaires ou efficaces. Nous voulons des réadmissions effectives à travers la coopération consulaire. Davantage peut être fait en matière de développement, que ce soit sur l’efficacité de l’appareil étatique ou sur les causes profondes. Aujourd’hui, nous avons identifié cinq pays prioritaires avec lesquels nous travaillons, mais les résultats ne seront pas immédiats.

Au sujet des flux, je suis d’accord sur l’importance des signaux. Dans la gestion des flux migratoires, les incitations ou les désincitations sont fondamentales. L’exercice des contrôles constitue l’un de ces signaux. Le gouvernement français a voulu envoyer des signaux équilibrés : les personnes qui relèvent du droit d’asile ont vocation à être accueillies et ce dans de bonnes conditions, mais les personnes qui n’en relèvent pas ont vocation à être renvoyées. C’est à ces signaux que les autorités françaises se sont tenues constamment.

S’agissant des contrôles, ce qu’il s’est passé en 2015 atteste de l’importance des contrôles aux frontières. Lorsque ces contrôles ne sont plus exercés, les flux s’amplifient immédiatement. Avoir des contrôles crédibles est donc fondamental. D’ailleurs, les contrôles des frontières extérieures de l’UE ont considérablement progressé au cours des deux dernières années. Nous avons renforcé les moyens, triplé le budget et multiplié les opérations de Frontex. Frontex qui était une agence de coordination devient désormais une agence opérationnelle, qui agit par elle-même, déploie des experts et effectue des contrôles.

Les contrôles sont aussi renforcés dans leur contenu. Nous enregistrons une part beaucoup plus importante des entrées en Grèce. Le contrôle y est beaucoup plus poussé, et notamment le contrôle sécuritaire. Par exemple, les dispositifs informatiques, le contrôle des fichiers ont été développés, et les équipements ont été renforcés.

A Vintimille, il y a un effort considérable de contrôle. Quatre unités de forces mobiles sont dédiées à ces contrôles et sont présentes aux points de passage routiers et dans les gares. Loin de moi l’idée de démentir votre constat sur le niveau de sophistication des réseaux de passeurs, leur adaptabilité ou le niveau d’informations des filières. En revanche, les contrôles effectués à la frontière italienne ont une certaine efficacité. Nous avons effectué 23 000 interpellations depuis le début de l’année. La concentration de la population migrante à Vintimille témoigne de cette efficacité, même si les filières cherchent à s’adapter en permanence à nos opérations de contrôle.

Au sujet des questions d’asile, nous n’avons pas non plus de divergence sur les chiffres : il y a eu 80 000 demandes d’asile l’an dernier, et nous en prévoyons entre 80 000 et 100 000 cette année. Contrairement à ce qui a été indiqué, il n’y a pas de politique de libéralisation d’octroi du droit d’asile en France. L’octroi du droit d’asile relève, en toute indépendance, de l’OFPRA. Le gouvernement ne décide pas d’accorder l’asile en France. Le taux d’octroi a augmenté en France de manière sensible les deux dernières années en passant de 15 à 30%.

Cette augmentation traduit l’évolution de la composition du taux d’octroi. Il y a deux ans, les demandeurs d’asile venaient du Kosovo, d’Albanie, du Bangladesh ou de République Démocratique du Congo. Ces quatre pays sont des pays dont les demandeurs d’asile sont souvent déboutés. L’année dernière, les demandeurs venaient essentiellement de Syrie et du Soudan. Or les taux de protection des Syriens et des Soudanais sont bien plus élevés que ceux des Albanais ou des Kosovars. C’est l’évolution de la composition de droit d’asile qui explique donc l’évolution du taux de protection.

Pour répondre à M. Germain au sujet de la durée d’inspection, les objectifs de l’OFPRA portent sur une durée d’examen de trois mois, objectif que nous espérons atteindre en 2017. L’accélération des flux nous a empêchés d’atteindre cet objectif initialement prévu en 2016. Nous sommes aujourd’hui à une durée moyenne d’examen de sept mois.

Pour la répartition, nous nous sommes inspirés d’exemples étrangers, notamment allemand. C’est ce qui a été à l’origine de la répartition directive et de la mise en place des schémas d’accueil des demandeurs d’asile. Ces schémas assignent à chaque région une cible en matière d’accueil, cible qui dépend de la richesse des populations et, de manière inverse, de la part des populations situées en zone urbaine sensible. Cela nous a conduits à faire un grand effort de rééquilibrage. Si spontanément, les demandes d’asile se portent d’abord sur la région Ile de France et la façade est du pays, nous avons assigné des objectifs ambitieux de création de places d’hébergements sur la façade ouest. La Bretagne, les Pays-de-la-Loire, l’Occitanie, la Nouvelle Aquitaine ont un important effort de création de places à effectuer.

Au sujet de Calais, la grande majorité du public est composée de jeunes hommes isolés, soudanais et afghans. Le public vulnérable est minoritaire. Les jeunes hommes se divisent en deux sous catégories. Il y a d’abord une proportion non négligeable de mineurs étrangers isolés. D’après France Terre d’Asile, on en compte 900, pour majorité de nationalité afghane. Ils appellent à une prise en charge spécifique et une protection.

Il y a ensuite une population de jeunes hommes majeurs, âgés de 18 à 25 ans, pour qui l’accès aux droits est plus complexe. Ils ne sont notamment pas éligibles au RSA. Nous devons donc trouver des solutions à travers la formation professionnelle par exemple, pour leur assurer, une fois le statut de réfugié accordé, l’accès à un logement. Nous y travaillons avec la Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle et la Direction Générale de la Cohésion Sociale.

Pour répondre à Madame Lebranchu, nous assistons à une augmentation nette des tentatives de passages irréguliers à travers des ports comme Roscoff même s’ils sont loin des ordres de grandeur constatés à Calais. Face à cette augmentation, le ministre a transmis aux préfets de la façade ouest des instructions très claires sur le contrôle de ces passages. Nous avons envisagé un programme d’investissements afin de sécuriser les ports, et d’éviter les reports importants sur les autres ports de la façade ouest. Par ailleurs, le travail sur les filières des passeurs ne se dément pas : en 2015, nous avons assisté à une augmentation de 30% des filières démantelées sur le territoire. Cet effort se poursuit en 2016, et je pense que cette augmentation se maintiendra.

Sur les chiffres de la reconduite, la politique de reconduite de ce gouvernement est une politique de gestion des flux migratoires, et non une politique du chiffre. Elle vise à donner des signaux, notamment aux personnes qui ne relèvent pas d’un accueil en Europe et qui n’ont pas vocation à s’y trouver. Une politique d’éloignement est avant tout une politique dissuasive. Elle doit faire peser sur l’étranger en situation irrégulière une menace crédible qui peut se traduire par un renvoi contraint. Cette politique s’est traduite par une augmentation du nombre d’éloignements contraints, qui étaient de l’ordre de 15 000 l’an dernier.

L’indicateur le plus symptomatique de l’efficacité de cette politique est le nombre d’éloignements contraints de ressortissants de pays tiers vers les pays tiers. Il s’agit là des éloignements les plus difficiles mais aussi les plus efficaces. En effet, dans le cas d’un éloignement d’un ressortissant de l’UE ou d’un ressortissant d’un pays tiers vers un Etat de l’UE, il lui est plus aisé de retourner vers le territoire. Ces éloignements vers les pays tiers ont doublé sur les cinq dernières années, pour atteindre l’an dernier le chiffre de 8000.

Nous attendons cette année, pour les chiffres publiés en janvier prochain un tassement des éloignements contraints et des éloignements des ressortissants des pays tiers vers les pays tiers. L’action de lutte contre la migration irrégulière s’exerce en effet davantage aux frontières. Il y a donc une explosion des non admissions aux frontières, qui ont quadruplé, et une diminution des interpellations depuis la profondeur du territoire.

Le constat des tactiques employées par les étrangers pour échapper aux procédures d’éloignement est exact. La plupart des personnes qui font l’objet d’une procédure d’éloignement ne coopèrent pas à cette procédure, alors que les textes nous demandent de mettre en avant la méthode volontaire. Lorsque les personnes ne coopèrent pas, il y a une gradation des instruments de contraintes que l’on peut employer, jusqu’au placement en rétention ou le renvoi sous escorte. Il y a aussi des refus d’embarquer, qui constituent un délit et appellent une réponse pénale. Dans ce cas, nous demandons à nos services de rechercher cette réponse pénale.

Pour répondre à Mme Guittet, la répartition internationale de la prise en charge des réfugiés était le sujet du sommet du HCR organisé en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies la semaine dernière. Lorsque l’on fait face à des flux importants de réfugiés, on constate que les personnes chassées de chez elles par les conflits cherchent en général à se fixer près de leur domicile dans un premier temps. C’est la raison pour laquelle la plupart des déplacés sont aujourd’hui en Syrie. Ensuite, parmi les personnes qui ont franchi les frontières syriennes, la plupart d’entre elles se sont établies en Turquie, au Liban ou en Jordanie. 90% des personnes qui ont quitté leur foyer ont l’espoir de revenir chez elles. Elles cherchent par ailleurs des milieux dans lesquels elles peuvent évoluer en autonomie et donc souhaitent s’installer le plus près possible des endroits qu’elles fuient. Donc les pays proches absorbent une part disproportionnée des réfugiés.

L’Europe prend sa part, elle a accueilli l’an dernier plus d’un million de demandes d’asiles. Il y en a eu cette année plus de 750 000. L’Europe effectue donc un effort considérable. Mais l’effort porte d’abord sur les pays de la région. Le sens des discussions qui ont eu lieu aux Nations Unies consistait à dire que la responsabilité de protéger pèse sur chaque pays. Je souhaiterais d’ailleurs mettre en garde contre la tentation de certains pays, de ne pas protéger les personnes qui viennent chercher refuge sur leur sol, puisqu’il s’agit de partager le fardeau. Ce n’est pas comme ça qu’il faut entendre le partage des responsabilités.

En revanche, l’UE et la France adhèrent à un système dans lequel on peut renforcer les voies légales qui permettent de mieux répartir la charge. La France s’est donc engagée pour la réinstallation et la délivrance de visa pour l’asile. Cette substitution par les voies légales ne vaut cependant que s’il y a une protection crédible des frontières.

M. François Loncle. Qui décide de la pertinence de l’admissibilité des réfugiés politiques en fonction de la situation des pays concernés ? Est-ce au niveau du Ministère des Affaires étrangères, du Ministère de l’Intérieur, de l’OFPRA ? Nous avons assisté par le passé à des aberrations totales. Par exemple, nous avons accepté des Kosovars pendant des années alors que nous avions donné l’indépendance à ce pays depuis longtemps. Je pourrai aussi citer des pays africains, dont le contingent d’asiles politiques est fort. Or ce problème devrait être traité en Afrique. Il existe donc des aberrations au niveau décisionnaire français dans l’appréciation des demandeurs d’asile.

M. Jean Claude Guibal. Marie Louise Fort voulait savoir si vous pouviez répondre à la question sur l’identification des personnes qui feront l’objet d’une répartition dans les différentes communes françaises.

M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France. La détermination du statut de réfugié est la responsabilité de l’OFPRA qui statue de manière indépendante, comme l’exige les textes européens. Les décisions de l’OFPRA sont susceptibles d’un recours devant une juridiction, la Cour nationale du droit d’asile, qui peut être saisie en cas de décision négative de l’OFPRA.

Les autorités étatiques ne sont pas pour autant dépourvues d’instruments pour influer sur la détermination du statut. Elles peuvent par exemple classer un pays comme un pays d’origine sûr. Elles peuvent aussi recourir à d’autres instruments comme l’asile interne, qui peuvent influer sur la pratique l’OFPRA. Ce sont en effet les autorités étatiques qui fixent les règles que l’OFPRA est ensuite appelée à appliquer.

Sur la question de Madame Fort, les personnes accueillies sur le territoire dans le cadre du démantèlement de Calais feront l’objet d’une évaluation sociale systématique. Des travailleurs sociaux et des agents de l’OFII se rendront dans les lieux d’hébergement pour examiner la situation de chaque personne au regard de sa vulnérabilité, mais aussi de son droit au séjour, afin de déterminer les procédures dont ces personnes doivent faire l’objet : la procédure d’asile, ou d’autres procédures seront considérées si ces personnes n’en relèvent pas, y compris les procédures de retour si les personnes en relèvent.

Concernant les certificats d’hébergement, il s’agit d’une problématique bien identifiée. Le contrôle est difficile. Nous demandons à nos services de l’effectuer de deux manières : d’abord par les postes consulaires lorsque nous avons un doute sur le certificat d’hébergement, nous pouvons demander aux postes de systématiser les visites retours. Cela permet de mettre fin à des systèmes de délivrance de faux certificats d’hébergements. Ensuite par les services préfectoraux, la loi relative aux étrangers en France permet de basculer une partie des ressources de ces services vers la lutte contre la fraude tout en réduisant la pression qui s’exerce aux guichets.

Je vous remercie une nouvelle fois M. le président d’avoir écouté ces explications.

M. Paul Giaccobi, président. Nous vous remercions de la part de tous ceux qui ont assisté à cette séance. Tous ont été frappés par la clarté et la qualité de vos propos. Vous vous êtes efforcés de répondre avec précision, et par conséquent cet exercice a été utile et profitable.

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La séance est levée à onze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 28 septembre 2016 à 9 h 30

Présents. - M. François Asensi, M. Christian Bataille, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gérard Charasse, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean-Marc Germain, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, M. Jean Launay, Mme Marylise Lebranchu, M. Pierre Lellouche, M. Bernard Lesterlin, M. François Loncle, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Boinali Said, M. André Santini, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Jean-Paul Bacquet, M. Alain Bocquet, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Guy-Michel Chauveau, M. Philippe Cochet, Mme Seybah Dagoma, M. Éric Elkouby, M. Philippe Gomes, Mme Élisabeth Guigou, M. Meyer Habib, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Lionnel Luca, M. Noël Mamère, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mignon, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle