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Commission des affaires étrangères

Mercredi 14 décembre 2016

Séance de 10 heures

Compte rendu n°029

Présidence de M. Michel Vauzelle, Vice-président

– Audition de Son Exc. M. Emmanuel Bonne, ambassadeur de France au Liban.

– Informations relatives à la commission.

Audition de Son Exc. M. Emmanuel Bonne, ambassadeur de France au Liban.

La séance est ouverte à dix heures dix.

M. Michel Vauzelle, président. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir M. Emmanuel Bonne, ambassadeur de France au Liban. Je vous prie de bien vouloir excuser notre présidente, Mme Guigou, qui est en déplacement en Allemagne.

Notre commission porte une attention particulière au Liban, pays auquel nous sommes liés par une amitié multiséculaire et qui traverse actuellement une période très difficile. Nous lui avons d'ailleurs consacré récemment une mission d'information présidée par Axel Poniatowski et dont le rapporteur était Benoît Hamon.

Nous nous sommes évidemment réjouis de voir le pays commencer à sortir de l'impasse institutionnelle, grâce à l'élection d'un nouveau président, le 31 octobre dernier. Après de nombreuses péripéties, le général Aoun a fini par être élu par la Chambre des députés. Le Liban était tout de même resté sans président depuis mai 2014... Saad Hariri a ensuite été désigné Premier ministre, mais un nouveau gouvernement peine à voir le jour. Quelles sont les principales raisons de ce blocage et quelles sont les perspectives ?

Le Liban a d’autant plus besoin d'institutions pleinement fonctionnelles qu'il est confronté à de très graves défis depuis le début de la crise syrienne. Comment ne pas penser aux événements qui se sont déroulés cette nuit à Alep et à ce qu’a subi cette ville, à notre grande honte, depuis tant d’années ? Cette crise a provoqué l’afflux de plus d’un million de réfugiés syriens au Liban, s'ajoutant à 400 000 réfugiés palestiniens. Le Liban subit aussi les répercussions du conflit syrien sur le plan sécuritaire – des cellules terroristes continuent à être démantelées régulièrement – et en matière économique. Pourriez-vous dresser un panorama général de la situation au Liban ?

Dans ce contexte difficile, l'hypothèse d'une nouvelle conférence des donateurs a pu être évoquée, de même qu'une reprise du contrat Donation Arabie saoudite (DONAS) pour le moment interrompu. Qu'en est-il précisément et à quelles conditions pourrait-on avancer sur ces différents chapitres ? De manière plus générale, pouvez-vous faire le point sur l'aide apportée par la France au Liban ?

M. Emmanuel Bonne, ambassadeur de France au Liban. Merci, mesdames et messieurs les députés, de votre accueil et de l’attention que vous portez à ce dossier très important pour la France. J’ai eu le plaisir d’échanger avec certains d’entre vous lorsqu’ils sont venus au Liban dans le cadre de leur mission d’information. À chaque fois, la visite des parlementaires a été comprise par les Libanais, autorités et habitants confondus, comme un geste d’amitié. La mission d’information avait dressé un panorama très complet de la situation du pays, des défis auxquels il se trouve confronté et des leçons que nous pouvons tirer des événements récents. Dans une région qui est à feu et à sang, le Liban tient le coup en dépit de toutes ses faiblesses. À l’ambassade, nous avons souvent résumé la situation par la formule suivante : tout va mal, mais pas si mal. Le grand défi pour le Liban et pour tous ceux qui veulent soutenir ce pays pour ce qu’il représente est de faire en sorte que cela n’aille pas plus mal.

Les membres de cette commission connaissent bien le Liban ; ils y ont des amitiés ; ils entretiennent un dialogue avec de nombreux segments de l’opinion libanaise. Je ne vais donc pas revenir en détail sur la situation d’un pays qui est structurellement divisé – une multitude d’intérêts politiques et confessionnels y interagissent – et donc fragile. Je vais néanmoins vous donner quelques éléments de contexte, avant de parler des derniers développements politiques et de ce que la France peut faire durant cette période compliquée pour soutenir le Liban.

Premier élément de contexte : ce pays est plus divisé que jamais alors qu’il a besoin de consensus pour être protégé – paradoxe libanais. Ouvert à toutes les influences, il vit au milieu de grandes tensions régionales et a lui-même des difficultés intérieures. Dans cet environnement conflictuel, il absorbe beaucoup de problèmes mais n’en exporte que très peu. Pour avoir payé le prix de la guerre civile, les Libanais sont instruits par l’expérience et savent qu’il est vital pour eux de ne pas être, une nouvelle fois, entraînés dans des conflits qui les dépassent.

Deuxième élément de contexte : ce pays est sous la pression de la crise syrienne. Lorsque l’on vit à Beyrouth, il ne faut pas oublier que la guerre est à soixante-dix kilomètres. Il y a eu des affrontements et des sièges très durs dans des villes comme Qusayr, Zabadani et Madaya. La pression est sécuritaire et est d’autant plus forte que le Hezbollah libanais est lui-même impliqué dans la guerre en Syrie. Mais la pression est aussi humanitaire : un million de réfugiés syriens ont été enregistrés mais ils sont probablement 1,2 million. Pour l’essentiel, ce sont des gens très modestes, venus de la Syrie centrale en 2012 et 2013, lorsque l’on se battait à Homs et à Hama.

Ces réfugiés, à présent disséminés sur l’ensemble du territoire, sont pris en charge dans des conditions précaires car leur présence soulève des questions extrêmement sensibles. A travers le prisme confessionnel des Libanais, les réfugiés sont aussi des sunnites dont l’implantation peut provoquer une nouvelle modification de la démographie et des équilibres communautaires du pays. Extrêmement fragiles, ces équilibres avaient déjà été rompus dans les années 1960 par l’afflux de réfugiés Palestiniens, ce qui avait conduit au désastre de la guerre civile.

La crise syrienne provoque une angoisse existentielle chez les Libanais. Elle menace aussi la sécurité du pays sur fond de problèmes économiques et sociaux. Beaucoup craignent aussi l’infiltration d’extrémistes parmi les réfugiés même si cela n’a pas été confirmé par les services de sécurité. L’un de ses chefs me disait récemment que Daech peut commettre des attentats au Liban mais ne peut pas y tenir une seule rue. C’est sans doute juste.

Quoi qu’il en soit, la crise syrienne est pour le Liban un problème dans l’immédiat et à long terme car ni les Libanais ni les réfugiés ne sont vraiment maîtres de leur destin. La question du retour dans leur pays des populations réfugiées au Liban est posée à tous. La communauté internationale insiste sur le fait que ce retour doit se faire de manière ordonnée et dans des conditions de sécurité suffisantes qui ne sont actuellement pas réunies. Il n’empêche qu’il y a, dans tous les secteurs de l’opinion libanaise, une demande croissante de renvoi des réfugiés dans leur pays.

Troisième élément de contexte : le pays tient le coup. C’est une qualité très libanaise que de survivre à tout et d’encaisser les coups sans s’effondrer. Le Liban est résilient. Les institutions du pays sont fragiles mais la société se caractérise par un esprit d'initiative et une solidarité communautaire et locale tout à fait remarquables. Au cours des cinq dernières années, le Liban a évité le pire : être entraîné dans la guerre en Syrie. Il y est parvenu malgré l’engagement du Hezbollah dans le conflit et les divisions de la société au sujet de la crise syrienne. En dépit de tout cela, le Liban a finalement élu un président. Il n’y est pas parvenu au terme d’un processus parfaitement maîtrisé. Il a élu un président après deux ans et demi de vacance et de blocage du parlement par les amis du candidat finalement élu. Ce dernier n’a pu être élu qu’après avoir obtenu le ralliement de ses adversaires, eux-mêmes pressés de revenir au pouvoir.

Du point de vue des autorités françaises, ce développement politique est toutefois très positif. Nous avons salué l’élection du général Michel Aoun à la présidence de la République pour plusieurs raisons :

Le député de notre circonscription, M. Alain Marsaud, connaît très bien la première raison : le président Aoun étant le leader du parti chrétien le plus important, son élection a eu pour premier effet d’apaiser les frustrations chrétiennes au Liban. C’est très utile à la stabilité du pays car cela permet d’espérer que les chrétiens jouent enfin le rôle qui est le leur au terme de l’accord de Taëf sur la répartition du pouvoir entre les grandes communautés libanaises. Pour mémoire, l’accord de Taëf a été signé en 1989 et mis en œuvre dans des conditions difficiles, au cours de l’occupation syrienne puis dans le cadre d’un compromis signé à Doha en 2008. Ce dernier, assez frustrant pour tout le monde, avait conduit à l’élection du général Michel Sleiman.

Actuellement, les chrétiens ont le sentiment d’être revenus au pouvoir. Je parle de l’opinion majoritaire car il y a bien sûr des opinions divergentes. Cela étant, l’élection de Michel Aoun a d’ores et déjà produit une forme de rééquilibrage entre les trois grands pôles de pouvoir au Liban : la présidence de la République, la présidence du Parlement et la présidence du gouvernement.

Deuxième raison : l’élection de Michel Aoun permet de revenir à un fonctionnement normal des institutions. C’est aussi un point très important pour nous, Français, qui voulons nous tenir aux côtés du Liban et avons besoin d’institutions qui fonctionnent pour pouvoir aider efficacement le pays. L’Agence française de développement (AFD) peut ainsi offrir des prêts très concessionnels au Liban mais n’a pas pu le faire au cours des deux dernières années parce que le parlement ne s’est pas réuni et n’a pas été en mesure d’approuver un endettement supplémentaire.

Troisième raison qui nous fait considérer l’élection de Michel Aoun comme un bon signe : les règles du jeu ont changé. Depuis l’assassinat de Rafic Hariri, le pays était divisé entre deux grands blocs : la Coalition du 8-Mars, dominée par le Hezbollah chiite ; la Coalition du 14-Mars, dominée par Saad Hariri et le Mouvement du futur, qui est sunnite. L’introduction d’un élément chrétien fort dans cette équation permet de rééquilibrer le jeu. La situation est assez curieuse aujourd’hui : on ne sait plus très bien qui représente la majorité ou l’opposition mais on a retrouvé une certaine fluidité dans le jeu politique. C’est certainement utile à la définition de quelques objectifs d’intérêt commun pour tous. L’organisation des élections législatives en 2017 permettra de clarifier la situation.

Dans l’immédiat, il faut encore que le gouvernement soit formé. L’élection du Président de la République ne permet pas, à elle seule, d’apporter toutes les réponses. Les intérêts de chaque communauté doivent être bien pris en compte pour que les institutions fonctionnent. Dans ce jeu compliqué, on assiste à de nouvelles crispations. Le président Aoun essaie de prendre de la hauteur et sans doute de se dégager de ses anciennes alliances. Le président du parlement, Nabih Berri, essaie de peser sur la formation du gouvernement et fait comprendre que rien ne sera décidé qu’il n’aura pas d’abord approuvé. Le Premier ministre désigné, Saad Hariri, cherche à maximiser les gains de son alliance avec Michel Aoun, notamment pour réduire le poids du Hezbollah.

Tout cela fait partie d’un jeu assez normal au Liban. Cinq semaines après la désignation de Saad Hariri, il n’y a pas encore de raison de trop s’inquiéter pour la formation du gouvernement. Le précédent gouvernement avait été formé au terme de neuf mois de négociations. Je suis confiant que le gouvernement Hariri sera bientôt investi par le parlement. Cela étant, nous disons aux acteurs libanais qu’en cette période très délicate, il est fondamental que personne n’exagère et que la recherche du consensus prime sur tout le reste. Durablement enclavé dans une Syrie d’Assad reconstituée, le Liban a besoin de se réunir, de prendre en compte les intérêts de chacun et d’éviter des divisions plus profondes et donc une nouvelle période de confrontation.

La France insiste beaucoup sur un enjeu important pour les prochains mois voire les prochaines années : la dissociation avec le conflit syrien. C’est très important car le Liban est fragile mais peut être un modèle de pluralité et envoyer un excellent signal à la région en résolvant ses problèmes de politique intérieure. L’élection du président Aoun a montré que les graves tensions opposant les Iraniens, les Saoudiens et d’autres pouvaient être contenues et que des solutions pouvaient être trouvées. Il y a d’autres défis que le Liban peut relever sans avoir besoin de la validation de parrains étrangers. Le pays a besoin de reconstruction et de développement. Ceux d’entre vous qui sont venus au Liban ont pu le constater. En raison des crises régionales et de l’instabilité en Syrie, le Liban a perdu beaucoup de son attractivité et de sa croissance. Celle-ci est nulle sinon négative, alors que le pays a absorbé une hausse de 30 % de sa population en quatre ou cinq ans. Les transferts issus de la diaspora – la première source de recettes – représentent environ 7 à 8 milliards de dollars par an, assez généreusement rémunérés par les banques libanaises. Cependant, ces transferts d’argent diminuent en raison de la baisse des cours du pétrole en Afrique et dans le Golfe où la diaspora libanaise est très implantée.

Nous voulons être présents aux côtés du Liban pour qu’il puisse relever ces défis et éviter davantage de tensions.

La France peut continuer de faciliter le processus politique au Liban, où elle a une approche aussi unanimiste que possible : nous parlons à tout le monde, ce n’est pas si courant au Liban, où beaucoup de nos partenaires – les Américains mais aussi les Européens – s’abstiennent de rencontrer certains interlocuteurs. Nous sommes écoutés, légitimes, personne ne conteste notre intérêt pour le pays et tout le monde crédite la France d’être un pays qui parle du Liban sans arrière-pensées, ne cherche pas à échanger une chose là contre une autre ailleurs, ce que beaucoup de pays influents sont soupçonnés de faire. Personne ne conteste non plus notre intérêt particulier pour la présidence libanaise, ni pour la pluralité du pays dont les communautés chrétiennes sont une composante nécessaire. En bref, personne ne nous conteste une forme de leadership sur le dossier libanais. Nous le voyons sur la scène internationale : c’est la France qui, au Conseil de sécurité des Nations unies, rédige les résolutions et les déclarations relatives au Liban, et c’est elle qui a suscité la formation du groupe international de soutien au Liban, dont elle continue d’être l’inspiratrice.

Cela nous permet de mobiliser nos partenaires au profit du Liban quand c’est nécessaire. Plusieurs initiatives en ce sens ont été prises dans le passé. Le Groupe international de soutien s’est réuni à Paris en 2014. Et nous avons aussi organisé trois conférences des donateurs pour le Liban. Peut-on en organiser une quatrième ? Il faut pour cela que les conditions d’un succès soient réunies, donc que les grands donateurs y participent. Ce n’est pas absolument certain car d’une part, les pays du Golfe et l’Arabie saoudite ont pris leurs distances à l’égard du Liban, d’autre part, nombre de nos partenaires estiment donner déjà beaucoup pour le Liban et ne sont pas nécessairement prêts à faire un effort supplémentaire.

L’action bilatérale que nous devons en tout cas poursuivre est d’obtenir la relance du don par l’Arabie saoudite de 3 milliards d’euros d’équipements français à l’armée libanaise. Pour l’essentiel, c’est maintenant une affaire saoudo-libanaise, l’Arabie saoudite voulant être rassurée sur les orientations politiques du Liban avant de renouveler son soutien. Pour ce qui nous concerne, nous continuons d’honorer notre part du contrat DONAS et souhaitons que, le moment venu, un geste soit fait pour soutenir l’armée libanaise qui consent de grands efforts dans la lutte contre le terrorisme et pour assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire.

Parce que nous avons une place privilégiée au Liban, il nous faut aussi renouveler notre aide bilatérale et démontrer ainsi que l’amitié franco-libanaise n’est pas seulement un héritage liés à une histoire et à des affinités anciennes mais est aussi une opportunité pour l’avenir. Nous devons renouveler l’offre française dans les domaines de l’éducation, de l’économie, de l’innovation, de la culture pour entretenir chez les jeunes une préférence spontanée pour la France qui est toujours celle de la plupart des Libanais.

M. Axel Poniatowski. Lorsque notre mission d’information, que vous aviez excellemment organisée, est rentrée du Liban il y a un an, le blocage politique était entier et, en corollaire, la vacance présidentielle persistait. Tout s’est débloqué il y a quelques semaines parce que M. Saad Hariri a fait volte-face. Comment expliquez-vous ce retournement dont l’impact dépasse le Liban ? Traduit-il une autorisation donnée par l’Arabie saoudite ou bien le lâchage de la famille Hariri et du clan sunnite par les Saoudiens ? L’hypothèse retenue traduit soit une volonté, soit une perte d’influence de l’Arabie saoudite dans la région.

Le nombre de réfugiés syriens au Liban était déjà de 1,2 million il y a un an. S’il est resté inchangé en dépit de l’évolution de la situation en Syrie, c’est que les réfugiés sont allés ailleurs. Est-ce dû à la fermeture de ses frontières par le Liban depuis plus d’un an par l’imposition d’une taxe à l’entrée sur son territoire ?

Les trois piliers de l’économie du Liban ont toujours été le tourisme, les services financiers grâce aux revenus reçus de la diaspora et l’immobilier. Où en est-on ? La santé de ces secteurs est-elle suffisante pour qu’ils puissent contribuer à la reconstruction du pays ? Si ce n’est pas le cas, on voit mal comment le Liban pourra se reconstruire à court terme.

Enfin, je suis plus réservé que vous ne l’êtes sinon dubitatif, sur la réalité du leadership de la diplomatie française au Liban. Car si ce leadership a très longtemps été souhaité par les Libanais, il n’a pas été réellement reconnu en tant que tel au regard de l’influence exercée par l’Iran, l’Arabie saoudite et les États-Unis.

M. Jacques Myard. Être ambassadeur dans un Liban balkanisé tient de la quadrature du cercle ; le grand écart est permanent entre de multiples factions et communautés alternativement alliées et ennemies. Vous avez dit la nécessité pour la France de renforcer sa coopération avec le Liban, mais encore doit-elle en avoir les moyens – et, pour avoir trop donné à la coopération multilatérale, elle ne les a pas, ce que je déplore.

Pour ce qui concerne l’élection du général Aoun à la présidence du Liban, il est évident que M. Saad Hariri a tiré les conclusions de ses bisbilles avec Riyad et de la perte d’influence d’une Arabie saoudite empêtrée au Yémen et qui éprouve les plus grandes difficultés à assurer la sécurité sur son propre territoire où prospèrent de multiples nids de frelons, cause d’une instabilité très préoccupante. Je pense que l’accord s’est fait en raison de la faiblesse de l’Arabie saoudite ; reste pendante la rivalité avec l’Iran. Partagez-vous ce sentiment ?

M. François Rochebloine. L’élection de M. Michel Aoun à la présidence du Liban, bien qu’attendue depuis de nombreuses années, a créé la surprise. Elle a emporté une assez forte adhésion de la population. M. Aoun avait dénoncé les accords de Taëf ; une réforme électorale est-elle envisagée ? Quelles sont, selon vous, l’importance et l’influence des chrétiens maronites ?

J’ai malheureusement constaté l’effacement marqué de la langue française au Liban. Plus grave encore : de nombreux bacheliers libanais ne poursuivent plus leurs études en France comme c’était le cas auparavant ; aujourd’hui, les États-Unis viennent chercher les meilleurs d’entre eux. Je partage donc l’analyse de notre collègue Poniatowski.

Mme Chantal Guittet. Quelles sont les relations entre le Hezbollah et le pouvoir libanais actuel? Cette force militaire non-étatique est de plus en plus puissante ; son chef, Hassan Nasrallah, ayant appelé récemment encore à la destruction d’Israël et attaquant l’Arabie saoudite, quelles conséquence cela peut-il avoir sur la stabilité du Liban ? Comment la France se situe-t-elle vis-à-vis du Hezbollah ?

M. l’ambassadeur Emmanuel Bonne. La présidence du Liban est restée vacante pendant 2,5 ans parce que le parlement a été bloqué par ceux-là même qui voulaient l'élection du général Aoun. Faute de quorum, les députés n'ont pas pu voter jusqu'à ce que M. Saad Hariri décide d'apporter ses voix à Michel Aoun pour la simple et bonne raison qu'il n’avait pas d'autre option, comme l'impossibilité d’élire un président de consensus ou même un autre candidat issu du 8 Mars, en l'occurrence Sleiman Frangié, l'ont montré. En apportant ses voix à Michel Aoun, M. Saad Hariri a obtenu ce qu’il demandait, c'est à dire sa nomination à la présidence du conseil des ministres. Et il faut dire que leur entente offre aujourd'hui une opportunité de restaurer le fonctionnement normal des institutions, ce qui est bien l'intérêt commun des Libanais et le plus important dans cette affaire.

M. Saad Hariri s'est assuré que les Saoudiens pouvaient accepter l'élection de Michel Aoun. Ils lui ont donné leur feu vert en dépit de leur prévention à son égard et de la méfiance que leur inspire son alliance avec le Hezbollah. Je ne crois pas que l’Arabie ait ainsi cédé à l'Iran et se soit résignée à perdre le Liban. Je crois au contraire qu'elle a accepté l’idée que Michel Aoun pourrait s'entendre avec Saad Hariri pour modérer l'influence du Hezbollah au Liban. Il est d'ailleurs remarquable que le roi Salman ait appelé Michel Aoun pour le féliciter de son élection et ait dépêché le gouverneur de La Mecque, le prince Khaled Al Faysal, à Beyrouth pour lui transmettre une invitation en Arabie. Il n'est pas moins remarquable que le président Aoun ait signalé son intention d'y effectuer sa première visite à l'étranger, sans doute en janvier 2017, sans que cela suscite de polémique au Liban. Pour autant, l'Arabie n'a pas décidé -en tout cas pas encore - de réinvestir au Liban. Sans doute attend-t-elle de voir comment la situation évolue. Et elle sait aussi que les rapports de force n'ont pas changé après l'élection de Michel Aoun. Le Hezbollah reste dominant. C’est un fait. Mais il y a clairement une tentative de l'Arabie et d'autres pays - le Qatar, l'Egypte et la Jordanie ont aussi invité Michel Aoun - de « garder le Liban dans le camp arabe" comme disent les adversaires de l’Iran.

Les Libanais ont collectivement intérêt à équilibrer leurs relations avec l'Arabie et l’Iran. Ils ne peuvent être dans le camp de l'un ou de l'autre sans prendre de graves risques compte tenu de leurs divisions internes. Y parviendront-ils ? On le verra au cours des prochaines semaines. Comme le souligne Saad Hariri avec humour, il n’y a qu’au Liban que sunnites et chiites dialoguent aujourd’hui. Chaque semaine, les représentants du Courant du futur rencontrent ceux du Hezbollah, non pas pour se mettre d’accord sur tout mais pour réduire les tensions et préserver l'essentiel : sécurité et stabilité.

S'agissant des réfugiés, le chiffre de 1,2 million reste une estimation. Jusqu’à ce que le gouvernement libanais lui demande de ne plus les enregistrer à l’été 2015, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en avait recensé un million. La plupart sont des gens très modestes - souvent des ouvriers qui travaillaient au Liban avant la guerre et y ont fait venir leur famille puis se sont dispersés sur l'ensemble du territoire. Il y a moins d'arrivées à présent mais le HCR ne constate encore aucun retour en Syrie où rien n'est prévu pour prendre en charge les réfugiés, où ceux-ci craignent pour leur sécurité et où ils ne sont pas nécessairement bienvenus. Les réfugiés sont aujourd'hui très vulnérables au Liban, sans ressources et très dépendants de l'aide internationale comme des conditions que leur offrent des communautés d'accueil, qui sont elles-mêmes souvent pauvres et en difficulté.

L’économie libanaise souffre. Un effort de relance est indispensable. Avant la guerre en Syrie, la croissance du produit intérieur brut (PIB) était de presque 10 % par an, alimentée notamment par le secteur immobilier et le tourisme. Et il y avait aussi une petite production agricole et industrielle qui pouvait être exportée par la Syrie, vers le Golfe, l’Egypte et la Turquie. La fermeture des frontières et l’hésitation des touristes du Golfe à venir au Liban ont aggravé la crise économique. Les piliers de l’économie restent néanmoins les mêmes. Le président Poniatowski les a mentionnés : la banque, le tourisme… Si les transferts d’argent sont en diminution du fait notamment de difficultés économiques liées à la chute des cours du pétrole dans le Golfe et en Afrique, le secteur bancaire libanais demeure solide car les Libanais de l’étranger lui font confiance. En poste depuis 20 ans, le gouverneur de la Banque du Liban, M. Riad Salamé, pratique une ingénierie financière qui lui permet de maintenir l’édifice. Sa recette est assez simple et consiste dans le versement d’intérêts élevés : les dépôts sont rémunérés à hauteur de 6 ou 7 % et sont attractifs pour la diaspora libanaise. Mais cela a un coût important et il faudra bien que le pays trouve enfin des relais de croissance.

Malgré une réelle fragilité économique, il y a quelques raisons d’espérer : les pays arabes du Golfe semblent pouvoir autoriser de nouveau leurs ressortissants à se rendre au Liban, le gouvernement veut relancer les travaux d’infrastructures, les entreprises se projettent déjà vers la reconstruction de la Syrie.

J’en viens au leadership de la France. Le fait que notre pays s’intéresse plus que d’autres au Liban lui permet d’agir et d’être entendu des acteurs locaux comme des pays qui ont une influence sur place. Nous jouons bel et bien un rôle de premier plan qui n’est pas contesté. Avons-nous pour autant la capacité de changer la donne avec nos seules forces ? La réponse est négative. Mais nous sommes capables de rassembler et de catalyser les efforts internationaux en faveur du Liban. Cela étant, il ne faut pas se faire d’illusions : c’est aussi une question de moyens. Or d’autres investissent aujourd’hui davantage que nous au Liban, que ce soit dans le domaine de la sécurité, du soutien humanitaire ou de l’influence culturelle. Et vous avez raison, monsieur le président, de mentionner un point très important : il y a aujourd’hui une prime aux acteurs régionaux, notamment l’Arabie Saoudite et l’Iran, qui ont chacun un agenda particulier au Liban. Mais nous gardons un statut et donc un rôle très particulier.

Le Hezbollah, comme je l’ai indiqué, est un parti dominant mais pas hégémonique. Le Hezbollah est le seul parti en armes mais ne détient pas toutes les clefs. C’est un grand acteur politique, qui représente l’essentiel des intérêts chiites dans le pays, mais ne peut contrôler seul le pays. Comme tout le monde au Liban, il a besoin d’avoir des alliés et de participer à des compromis. Toutefois, le Hezbollah est aussi une projection de la puissance iranienne au Liban et dans la région comme en témoigne son engagement militaire en Syrie. Et cela pose problème à de nombreux Libanais même si la montée des groupes jihadistes a pu en convaincre certains que le Hezbollah était en première ligne pour les défendre.

Pour ce qui est de la francophonie, elle n’est sans doute plus ce qu’elle était mais reste bien vivante. Elle fait partie de l’identité de nombreux Libanais qui y sont donc très attachés. Et je crois que cette francophonie a un bel avenir. Les étudiants libanais sont ainsi 5 000 dans notre pays. Nous restons leur première destination à l’étranger. Nous sommes par ailleurs très présents au Liban avec 41 écoles homologuées qui scolarisent 57 000 élèves. C’est considérable. A cela s’ajoutent les écoles publiques et privées – 650.000 élèves - qui suivent le programme libanais en français et que nous aidons aussi. Mais nous devons faire un effort d’imagination, renouveler l’offre française et démontrer qu’elle est pertinente pour les jeunes générations. C’est dans cet esprit que nous avons inauguré récemment notre incubateur de start-up à l’École supérieure des affaires, qui est une très belle réussite française à Beyrouth, qui permet d’attirer des étudiants de toute la région avec le soutien de la chambre de commerce et d’industrie d’Ile-de-France et de nos meilleures écoles de commerce. Grâce à cet incubateur, nous avons vérifié notre capacité à faire venir à nous de jeunes Libanais qui n’étaient pas nécessairement francophones ou francophiles par tradition et à qui nous avons pu démontrer l’opportunité de travailler avec nous. C’est très important pour l’avenir.

Bref, notre ambition doit être de poursuivre la belle histoire des relations franco-libanaise en démontrant qu’elles restent pertinentes et mutuellement avantageuses dans tous les domaines. Nous avons un acquis extraordinaire au Liban que nous avons encore les moyens de valoriser.

M. Michel Vauzelle, président. Nous vous remercions tous infiniment, monsieur l’ambassadeur, pour les éléments d’information que vous venez de nous donner. Nous sommes tous très attachés au Liban ; la France a besoin d’un Liban qui se rétablisse. C’est un honneur d’être ambassadeur de France et c’est un honneur singulier de l’être au Liban et nous vous remercions pour ce que vous y faites pour la France avec courage et détermination.

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Informations relatives à la commission.

Au cours de sa réunion du mercredi 14 décembre 2016 à 10 heures, la commission des affaires étrangères a nommé :

– M. Philippe Baumel, rapporteur sur le projet de loi autorisant l'adhésion de la France au deuxième protocole relatif à la convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (n° 4263),

– M. Boinali Saïd, rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Secrétariat de l'accord relatif aux pêches dans le sud de l'océan Indien portant sur le siège du Secrétariat et ses privilèges et immunités sur le territoire français (n° 4246).

La séance est levée à onze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 14 décembre 2016 à 10 heures

Présents. - M. Kader Arif, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Édouard Courtial, Mme Seybah Dagoma, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Cécile Duflot, Mme Françoise Dumas, M. Nicolas Dupont-Aignan, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, Mme Linda Gourjade, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, Mme Bernadette Laclais, M. Jean Launay, M. Pierre-Yves Le Borgn', Mme Marylise Lebranchu, M. Bernard Lesterlin, M. François Loncle, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Alain Bocquet, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Paul Dupré, M. Éric Elkouby, M. François Fillon, Mme Valérie Fourneyron, M. Jean-Marc Germain, M. Paul Giacobbi, M. Philippe Gomes, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, M. Meyer Habib, M. Benoît Hamon, M. Serge Janquin, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Lionnel Luca, M. Jean-Luc Reitzer, M. René Rouquet, M. Guy Teissier