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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 25 novembre 2014

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 24

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Aymeric, secrétaire général de la mer, sur l’action de l’État en mer

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le secrétaire général, nous sommes très heureux de vous accueillir ce soir, d’autant que cela faisait longtemps que la commission de la défense ne vous avait auditionné – la dernière fois que la commission s’est penchée sur l’action de l’État en mer, c’était à la fin de la législature précédente, dans le cadre du rapport d’information que M. Philippe Vitel et moi-même avions rendu en février 2012.

Nous souhaiterions à la fois connaître les suites que vous avez données aux conclusions de ce rapport d’information et resituer l’action de l’État en mer, notamment en matière de piraterie maritime : où en est l’application du texte adopté sur le sujet par le Parlement au mois de juin dernier ?

Avant de vous laisser la parole, je tiens à préciser que le bureau de notre commission a décidé l’organisation d’un déplacement à Douala, au Cameroun, où est centralisée la politique de lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée.

M. Michel Aymeric, secrétaire général de la mer. L’action de l’État en mer (AEM), je tiens à le rappeler, vise l’application du droit en mer. Le secrétariat mène donc des missions de service public et d’intérêt public telles que le sauvetage, la prévention de la pollution ou la lutte contre celle-ci. Ses missions de police administrative peuvent déboucher sur des actions judiciaires.

La première mission en nombre d’heures est la lutte contre la pêche illégale. C’est ainsi que nous menons en Guyane un combat constant contre des pêcheurs illégaux en provenance du Brésil et, dans une plus faible mesure, du Suriname. Ces actions, parfois de vive force, contre la pêche illégale sont quotidiennes.

Notre deuxième grande mission est la lutte contre les différents trafics, surtout le narcotrafic, notamment dans l’ensemble de la zone Caraïbes : à côté d’opérations strictement nationales, nous participons à des opérations internationales.

La politique française a été très dissuasive en matière de lutte contre la pollution, tant au plan opérationnel qu’au plan judiciaire : l’efficacité de l’action publique a entraîné la baisse de pollutions volontaires ou quasi-volontaires.

S’agissant de la mise en œuvre des six propositions du rapport d’information que vous avez évoqué, madame la présidente, je tiens à préciser tout d’abord que les membres du comité directeur de la fonction « garde-côtes » se rencontrent régulièrement. La prochaine réunion se tiendra le 10 décembre. Ces réunions permettent de faire le point sur les moyens et les différentes actions à conduire en commun.

La première proposition visait à « renforcer la capacité d’expertise et d’analyse du secrétariat général de la mer ». À cette fin, le ministre de la Défense a mis à notre disposition un ingénieur de l’armement originaire de la direction générale de l’armement (DGA), comme chargé de mission pour la fonction « garde-côtes ». Il anime le groupe de travail permanent sur le sujet. De plus, comme vous l’avez souhaité, nous avons mis en place des formations communes entre les différentes administrations. Je rappelle en effet que la France a fait le choix de s’appuyer sur les administrations existantes – marine nationale, douanes, affaires maritimes, police et gendarmerie – et non de créer un corps de garde-côtes, ce qui implique de fournir un effort de mutualisation et de créer une culture et des réflexes communs. Un cycle annuel de formation est organisé sur l’action de l’État en mer : il se tiendra au début du mois de décembre.

La force du système français repose sur l’unité de commandement : en métropole, tous les services travaillent sous les ordres d’un préfet maritime ; outre-mer, chaque préfet est également délégué du Gouvernement pour l’action de l’État en mer, qu’il pilote par le biais d’un commandement de zone maritime (CZM), placé sous l’autorité d’un amiral – c’est le cas de la Polynésie et des Antilles – ou, plus fréquemment, d’un capitaine de vaisseau.

Votre deuxième proposition, qui visait à « donner au secrétaire général de la mer une capacité d’arbitrage budgétaire des moyens consacrés à la fonction “garde-côtes” », n’a pas été satisfaite. La mise en place de la fonction « garde-côtes » n’est pas revenue sur l’architecture verticale de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui se décline en missions et programmes : je n’ai donc pas de pouvoir d’arbitrage budgétaire. Chaque responsable des administrations concernées – affaires maritimes, douanes, défense, police, gendarmerie – reste le patron de ses moyens. En tant que président du comité directeur de la fonction « garde-côtes », j’ai un simple pouvoir moral d’orientation et de mise en cohérence. Je ne peux, par exemple, commander aucun achat à une administration. Cela étant, le format global – ou schéma directeur – comprend un état des lieux et des besoins et donc des perspectives. Le dernier conseil interministériel de la mer (CIMER), de décembre 2013, a décidé l’acquisition de trois bâtiments multi-missions (B2M) : c’est la marine nationale qui a financé leur achat.

La troisième proposition visait à « élaborer un document de politique transversale sur l’action de l’État en mer ». Cette proposition étant liée à la précédente, ce document n’a pas encore été élaboré. J’ai posé la question aux différents membres du comité directeur : en tant que directeurs d’administration centrale ou chefs de services, ils n’ont pas souhaité l’élaboration d’un tel document. En revanche, nous établissons un état annuel physique et financier de la fonction « garde-côtes » – je vous le laisserai, madame la présidente, à la fin de l’audition. Cet état permet notamment de connaître le nombre d’heures en mer consacrées à l’action de l’État en mer – 226 000 en 2013, hors opérations de défense. Certes, la frontière est parfois ténue, notamment dans le canal du Mozambique ou la zone Pacifique pour assurer notre souveraineté : cette présence participe à la fois de la sauvegarde maritime et de la défense du pays, contrairement, par exemple, au contrôle des pêches, qui relève en propre de l’AEM : la lutte contre la pêche illégale a mobilisé 60 000 heures en mer, à savoir plus d’un quart du total, contre 48 000 heures pour la lutte contre les trafics et 19 000 heures pour le sauvetage et l’assistance. L’état physique et financier comptabilise également les heures de vol.

Toutefois, la comptabilité analytique – calculer par exemple le coût d’une heure de mer – reste un exercice difficile du fait que l’AEM recourt à des bâtiments de taille et d’armement très différents : un patrouilleur de quarante mètres n’est ni un semi-rigide d’une capacité de quatre hommes ni une frégate de 120 mètres avec 100 hommes à bord. Il en est de même de la différence entre hélicoptères et avions. Pour obtenir un coût horaire précis, il faudrait le calculer mission par mission et moyen par moyen.

La quatrième proposition visait à « organiser au Parlement chaque année un débat sur la politique maritime de la France »…

Mme la présidente Patricia Adam. La balle est dans notre camp…

M. Michel Aymeric. Oui, madame la présidente.

J’y suis prêt. Le Cluster maritime français rappelle également chaque année cette proposition. La question sera évoquée lors des assises de l’économie de la mer qui se tiendront à Nantes les 2 et 3 décembre prochains.

Quant à la cinquième proposition, elle visait à « prendre en compte les enjeux liés à la sûreté et à la sécurité maritime dans le futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ». Le Livre blanc a été écrit. Un travail a été lancé au plan européen sur la stratégie de sécurité maritime de l’Union européenne (SSMUE), qui comprend la sécurité des approvisionnements – 90 % du commerce mondial emprunte la voie maritime –, la sécurité des approches, la sauvegarde, la sécurité du trafic maritime et des transits ou la lutte contre la piraterie. La France étant évidemment un des acteurs majeurs de la SSMUE, j’ai proposé au Premier ministre de bâtir une stratégie de sécurité maritime française – une « SSMF » : j’ai reçu un accord de principe de son cabinet pour travailler sur ce projet et le ministère de la Défense y est également favorable. Une première réunion doit se tenir le 15 décembre. Par exemple les Britanniques ont édité un document d’une cinquantaine de pages qui résume la stratégie de sécurité-maritime du Royaume-Uni : la France va lancer la rédaction d’un document similaire, l’action de l’État en mer ne constituant qu’une partie de la stratégie de sécurité maritime française.

S’agissant des missions de souveraineté, je tiens à préciser que le canal du Mozambique est une zone dans laquelle la France doit affirmer sa souveraineté. Si la situation maritime de la Nouvelle-Calédonie est satisfaisante, toutefois, des armements asiatiques viennent pêcher dans la zone sans licence. Lorsque, dans le cadre de la stratégie des grands fonds marins, nous développerons un programme de recherche de minerais sous la mer, il conviendra d’être présent et d’assurer la protection des zones concernées.

La sixième et dernière proposition visait à « créer une fonction de coordination de la politique maritime européenne » : ce serait d’autant plus utile qu’aucune organisation maritime d’un État membre n’est similaire à celle d’un autre État membre. Il n’existe non plus aucune unité d’organisation au plan européen puisque la question maritime est partagée entre plusieurs directions générales. La direction générale des affaires maritimes et de la pêche (DG Mare) est désormais englobée au sein d’une direction générale chargée de l’environnement, des affaires maritimes et de la pêche, qui s’occupe notamment de la politique maritime régionale – méditerranéenne, atlantique, baltique, adriatique – et des sujets transversaux, notamment environnementaux. La « DG Move » – mobilité et transports – s’occupe de la politique portuaire, notamment de la réforme des ports, de la sécurité du transport maritime et de la lutte contre la pollution. Quant à la DG Affaires intérieures – « DG Home » –, elle traite de l’immigration. Chaque direction générale a, de plus, son agence miroir : l’agence européenne de sécurité maritime de la DG Move est située à Lisbonne, l’agence européenne du contrôle des pêches, à Vigo, en Espagne et Frontex, à Varsovie. Il n’existe pas de grand patron « maritime » européen qui ferait le lien entre toutes ces politiques sectorielles.

Un forum annuel des garde-côtes européens a toutefois été mis en place : l’Italie, qui en assumait la présidence cette année, nous a invités à bord du Costa Serena. L’année prochaine, la Finlande l’organisera à Helsinki. Chaque année un État membre l’organise – l’an dernier, c’était la Grèce. Ce forum nous a permis de lancer des travaux communs et d’établir un répertoire des formations et un annuaire. Nous avons également décidé de créer un secrétariat central de la fonction garde-côtes, qui sera basé à Bruxelles : c’est une étape vers la constitution d’un noyau de la fonction garde-côtes au plan européen. À ce stade, toutefois, aucune décision politique de création d’une garde côtière européenne n’a encore été prise. Elle appartiendrait au Gouvernement et au Parlement.

Nous travaillons également sur le cadre juridique des interventions, notamment sur la dissociation, dans la répression du narcotrafic, qui offre, par exemple, la possibilité, lors d’une opération en mer, de détruire la cargaison sur place ou de confier, avec l’accord de la chancellerie, à un autre État les poursuites judiciaires contre les trafiquants. Les Britanniques et les Américains la pratiquent déjà. Nous travaillons également sur le problème des coques abandonnées et sans valeur vénale : lors d’une opération en mer, si la coque n’est pas saisie par la justice, celle-ci est conduite dans un port où elle est gardiennée aux frais de l’administration qui a pris en charge l’opération et se trouve ainsi pénalisée. Un décret sera bientôt publié sur le sujet. Les administrations concernées conduisent ce travail de conserve.

Madame la présidente, vous avez évoqué la loi dite « E2PM », qui autorise le recours à des entreprises privées de protection des navires contre la piraterie : les textes d’application devraient être publiés prochainement. Il est par ailleurs prévu que le Premier ministre se déplace à Nantes le 2 décembre : il fera, je pense, des annonces en matière de politique maritime, qu’il s’agisse de ses aspects régaliens, économiques ou environnementaux.

Quant au problème des délimitations maritimes, il n’est pas entièrement résolu – j’ai évoqué le canal du Mozambique. Je tiens à rappeler qu’il appartient au service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) de définir les lignes de base sur lesquelles les décrets sont pris pour déterminer la mer territoriale, la zone contiguë et la zone économique exclusive (ZEE). Or, tous les territoires ne sont pas délimités de manière définitive. Nous travaillons par ailleurs au programme d’extension du plateau continental (Extraplac) : la France a déposé des demandes devant une commission spécialisée des Nations unies pour différentes zones du monde – archipel des Crozet, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie. Cette extension doit remplir des conditions géologiques précises, à savoir la continuité du plateau continental sous-marin. Les dossiers avancent.

S’agissant enfin de la recherche dans les grands fonds, nous sommes présents sur trois sites : un est situé dans la ZEE de Wallis et Futuna ; un autre, pour lequel nous disposons d’un permis depuis 2001 valable jusqu’en 2016, est situé dans la zone internationale qui s’étend entre Clarion et Clipperton ; quant au président-directeur général de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), il a signé avec le secrétaire général de l’Autorité internationale des fonds marins un permis de recherches d’amas sulfureux dans la zone médio-atlantique, entre le Sénégal et l’Amérique du Sud. Préparer ainsi l’avenir implique de conduire une action régalienne de souveraineté. En effet, l’économique et le régalien sont liés : par exemple, l’installation de fermes éoliennes en mer pose des problèmes de sécurité maritime et de régulation du trafic.

M. Jean-Jacques Candelier. La flotte française est vieillissante : notre pays désarme cinq navires de surface. Sommes-nous encore suffisamment efficaces pour protéger le deuxième espace maritime mondial ? Ne pensez-vous pas qu’il est urgent d’engager un plan de reconstruction navale ?

Par ailleurs, la Royal Navy fait-elle toujours de la sous-traitance pour la France dans la Manche ?

Enfin, pourrions-nous connaître dans ses grandes lignes le matériel mis à votre disposition ?

M. Michel Aymeric. La question des navires nous inquiète au plus haut point pour l’avenir. En effet, si la force de notre système c’est l’unité de commandement, nos faiblesses seront de plus en plus d’ordre capacitaire. Nos moyens diminuent, même s’il nous est parfois possible de les remplacer par des moyens plus modernes ou mieux adaptés, comme en Guyane, où nos deux vieux patrouilleurs P400 seront remplacés par deux autres, sans compter l’achat d’une barge remonte-filet, destinée à saisir les filets des pêcheurs clandestins. Nous cherchons en revanche une solution pour remplacer dans le sud de l’océan Indien le navire Osiris, affecté au contrôle de la pêche. Je vous adresserai un état des lieux complet des différents moyens existants. Je le répète, car cela ne servirait à rien de le cacher : globalement, nos moyens diminuent.

Compte tenu de la situation, nous devons nous adapter, en faisant appel notamment à des moyens satellitaires pour surveiller le sud de l’océan Indien, les mers australes ou l’océan Pacifique : se rendre sur ces vastes zones peut demander à un navire près d’une semaine. Il y a quelque dix ans, nous avions réussi à juguler la pêche illégale de la légine, grâce notamment au satellite Radarsat 1, un système d’acquisition de données. Le projet Trimaran est aujourd’hui expérimenté par le ministère de la Défense : les images qu’il procure permettront d’économiser des heures de mer en permettant de cibler les interventions. Toutefois, il conviendra auparavant de déterminer les ministères qui financeront l’utilisation du système.

Il faut également développer, chaque fois que c’est possible, la surveillance par avion, plus rapide, qui permet, elle aussi, d’économiser des heures de mer.

Je vous le confirme, monsieur le député, la question des capacités est une question cruciale pour l’avenir. Vous le savez : je ne suis pas maître du budget consacré à la mer.

Quant à la Manche, je ne sache pas que la Royal Navy ait jamais travaillé comme sous-traitant de la marine française. Nous avons des accords de coopération non seulement avec la Navy mais également avec la Maritime and Coastguard Agency (MCA) : nous travaillons ensemble pour organiser les secours ou lutter contre la pollution dans la Manche. Je rencontre régulièrement le préfet maritime de Cherbourg, l’amiral Carlier : les relations sont bonnes avec les Britanniques qui, il faut le savoir, sont très économes de leurs moyens. Je ne reviendrai pas sur le fait qu’ils ne veulent plus financer de remorqueur d’assistance maritime dans la Manche : ils nous ont laissé nous débrouiller seuls – le seul remorqueur actuellement présent est français. L’approche britannique est commerciale : entre Londres, Rotterdam et Anvers, le nombre des remorqueurs commerciaux présents sur zone leur semble suffisant pour répondre aux besoins en cas de difficulté.

M. Philippe Folliot. Je vois tout un symbole dans le fait que le secrétaire général de la mer soit un Français de l’intérieur, plus précisément du plateau d’Anglès, dans le Tarn : c’est le signe que la France devient une vraie nation maritime !

Cela étant, la souveraineté maritime de la France m’inquiète.

Je citerai trois exemples particulièrement frappants.

Le premier, qui révèle l’affaissement diplomatique, moral et politique de notre pays, est le traité de cogestion de l’îlot de Tromelin signé avec l’île Maurice. Je tiens à saluer Gilbert Le Bris, ici présent, qui soutient à mes côtés le combat contre la ratification de ce traité, lequel met en péril l’avenir de 280 000 kilomètres carrés de zone économique exclusive, à comparer aux 345 000 kilomètres carrés de la ZEE de la métropole. Tant que ce traité ne sera pas ratifié, il ne sera pas appliqué. Nous serons nombreux, sur tous les bancs de l’Assemblée nationale, à veiller à ce qu’il ne le soit pas car il aurait un effet domino tout à fait préjudiciable à nos intérêts, compte tenu des revendications nombreuses qui visent non seulement les îles Éparses mais plus généralement les terres australes et antarctiques françaises (TAAF). De probables ressources pétrolières, notamment dans le secteur de l’île de Juan de Nova, suscitent en effet bien des convoitises ! Il y a lieu de se montrer particulièrement vigilant sur le sujet.

Ma deuxième interrogation concerne l’îlot de Clipperton, auquel personne ne s’intéresse, alors qu’il représente 450 000 kilomètres carrés de ZEE. Nous avons signé à son sujet le 27 mars 2007 un accord de pêche avec le Mexique qui se révèle léonin : en effet, les Mexicains peuvent pêcher dans la zone sans aucun contrôle de notre part. Depuis plusieurs mois, j’essaie, en vain, d’avoir connaissance du compte rendu d’une réunion qui devait être consacrée, en janvier dernier, à un bilan d’étape de l’application du traité de pêche : quels éclaircissements pouvez-vous nous apporter sur le sujet ? Au regard des importantes ressources du secteur en thonidés, une redevance de quelques centimes par kilogramme pêché ferait entrer des dizaines de millions d’euros dans les caisses de l’État, lesquels nous permettraient d’assurer notre souveraineté sur l’îlot.

Les îlots Matthew et Hunter, au large de la Nouvelle-Calédonie, constituent mon troisième sujet de préoccupation : les revendications du Vanuatu sur ces îlots n’ont aucun fondement juridique. L’enjeu est important, compte tenu des ressources en nodules polymétalliques et en terres rares de la zone. Vous avez évoqué Wallis et Futuna. Pouvez-vous nous faire un état de la question ?

Quelle est, enfin, la date butoir pour faire valoir d’éventuelles revendications supplémentaires dans le cadre d’Extraplac ?

M. Michel Aymeric. En vous écoutant, j’ai compris que l’accord de cogestion de la ZEE de Tromelin n’a pas été ratifié par l’Assemblée nationale.

M. Philippe Folliot. Le Sénat l’a voté.

M. Michel Aymeric. Comme l’Assemblée nationale ne l’a pas ratifié, l’accord n’est pas valide.

M. Philippe Folliot. Après avoir été inscrit en procédure d’examen simplifiée, l’accord est sorti de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

M. Michel Aymeric. Clipperton, qui est au large du Mexique, relève de la compétence du commandement de la zone maritime de la Polynésie, dont l’île est à huit ou dix jours de mer.

M. Philippe Folliot. Elle est située à cinq jours de mer des Marquises.

M. Michel Aymeric. C’est pourquoi les moyens s’y rendent très rarement.

En accordant des licences officielles à des armateurs mexicains, l’objectif des initiateurs était de faire exercer la police de la zone par les pêcheurs eux-mêmes, qui auraient intérêt à empêcher la pêche clandestine. Toutefois, comme vous l’avez souligné, nous n’avons aucune information sur ce qui se passe là-bas. C’est pourquoi je vais essayer d’obtenir, de la part de la direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA), un bilan de la situation sur zone. Je sais que deux fois par an se tient avec les Mexicains une conférence sur le sujet, que j’ai évoqué avec l’ambassadrice de France au Mexique lors de sa prise de fonction.

S’agissant du désaccord entre la France et le Vanuatu, je tiens à souligner qu’il ne porte pas que sur Hunter et Matthew : aucun accord sur les délimitations maritimes entre nos deux pays n’a été signé. Je rappelle qu’un palangrier chinois, le Yu Hu 911, a été arraisonné dans notre ZEE où il pêchait illégalement – il était titulaire d’une licence délivrée par le Vanuatu. L’arrêt de la cour d’appel de Nouméa, qui a relaxé le pêcheur, nous a étonnés ; le procureur général de Nouméa a formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

En ce qui concerne Extraplac, le principe est que les dossiers avancent tant qu’ils ne sont pas bloqués par le dépôt, par un pays riverain, d’un contre-dossier.

M. Philippe Folliot. Ce qu’a fait le Canada.

M. Michel Aymeric. Par exemple.

M. Daniel Boisserie. Présidant la fonction « garde-côtes », vous bénéficiez d’outils de contrôle, de gestion et de performance. Vous travaillez avec la gendarmerie nationale, la police, les douanes, les affaires maritimes et la sécurité civile : avez-vous observé des défaillances chez vos cinq interlocuteurs ? Leur collaboration est-elle suffisante ?

Quelles sont par ailleurs les perspectives d’exploitation des grands fonds marins ?

M. Michel Aymeric. Le secrétariat développe une culture de la mutualisation. Même si chaque administration a une spécialité, chacune doit être capable de tout faire. Tel est l’esprit de la fonction « garde-côtes ». Le tableau du compte rendu montre que toutes les administrations remplissent presque toutes les missions.

La marine disposant des moyens les plus lourds, il va de soi que c’est elle qui conduit les opérations en haute mer. De même, la douane dispose de moyens très modernes en matière de surveillance aérienne – elle renouvelle actuellement sa flotte en acquérant des Beechcraft. Les patrouilleurs de la gendarmerie maritime font quant à eux du contrôle de pêche. Toutefois, je le répète, leur spécialisation de fait n’interdit pas aux administrations d’intervenir partout. Seule la police de l’air et des frontières, compte tenu de sa spécificité, ne souhaite pas développer ses activités en mer et préfère se retirer. En revanche, la gendarmerie départementale intervient souvent en mer.

M. Daniel Boisserie. Quels sont les moyens de chaque administration ?

M. Michel Aymeric. J’ai déjà souligné le tassement général des moyens.

Les deux administrations qui disposent des moyens les plus importants sont la marine et les douanes, ce qui est logique. Le tassement est progressif, puisqu’il procède du non-remplacement de moyens devenus obsolètes. Les patrouilleurs, par exemple, ont une durée de vie de quarante ans : l’effet de leur non-remplacement ne sera donc pas immédiat. Je crains toutefois que nous n’observions une diminution, par attrition, de nos moyens sur dix ou vingt ans.

S’agissant de l’exploitation des grands fonds marins, trois sites nous intéressent. Le plus prometteur et le plus avancé est Wallis et Futuna, qui est situé en ZEE française. Il convient d’adapter le droit minier pour le rendre applicable à Wallis et Futuna – le décret est en cours –, puis de publier au journal officiel de l’Union européenne un appel à candidature pour l’attribution d’un permis exclusif de recherche. Des Français feront partie des grands candidats. Il faut savoir – j’ai évoqué la question la semaine dernière avec le secrétaire général, géologue d’origine, de l’Autorité internationale des fonds marins – que la première mise de fonds pour le passage à la phase industrielle sera très coûteuse : seuls quelques grands pays pourront se la permettre, tels que la France, les États-Unis, la Chine ou l’Allemagne. Il va de soi qu’une exploitation à 2 000 mètres de fond n’aura pas le même coût qu’une exploitation à 400 mètres ! Les grands spécialistes de recherche pétrolière ont le savoir-faire – je pense à un groupe français comme Total. Il conviendra également de procéder à une étude économique pour évaluer la qualité des minerais, calculer l’étendue de la zone et déterminer si les ressources attendues se mesurent en milliers ou en millions de tonnes. Les problèmes environnementaux posés par l’exploitation seront également surveillés de très près. Le projet demandera donc plusieurs années avant d’être réalisé. Je le répète : le passage de la phase de la recherche à la phase de l’exploitation industrielle sera long, complexe et coûteux, d’autant que son intérêt dépendra également du cours du minerai ou des terres rares sur le marché.

M. Philippe Nauche. Dans le cadre de la fonction « garde-côtes », envisagez-vous de recourir à des drones de surveillance ?

M. Michel Aymeric. Oui, certainement.

Mme la présidente Patricia Adam. Quelle administration pourrait en prendre l’initiative ?

M. Michel Aymeric. Des études pourraient être lancées par la direction générale de l’armement ou les douanes.

Je crois également beaucoup dans la fourniture d’images par les satellites. Elles sont de très bonne qualité.

Le problème central demeure le coût de tous ces dispositifs. Pour mettre un terme à des discussions interminables entre les administrations, le cabinet du Premier ministre doit, parfois, répartir d’autorité les dépenses entre celles-ci.

M. Francis Hillmeyer. Collaborez-vous avec l’OTAN ou les grandes puissances – États-Unis, Chine, Russie ?

M. Michel Aymeric. Le secrétariat général de la mer n’entretient en tant que tel aucune relation avec l’OTAN.

Nous travaillons en revanche avec nos homologues européens : nos partenaires sur zone les plus importants sont les Britanniques, les Espagnols, les Italiens et les Portugais.

Nous rencontrons les grandes puissances dans le cadre de conférences mondiales sur l’avenir de la haute mer. C’est ainsi que j’ai rencontré M. John Kerry au mois de juin dernier, les États-Unis ayant organisé une grande conférence sur la gouvernance de la haute mer – protection de l’environnement, aires marines protégées… Au quotidien, nous travaillons plutôt entre Européens.

M. Gilbert Le Bris. Je ne doute pas de votre utilité. Il n’y avait en effet qu’une alternative : un secrétariat général de la mer ou un ministère de la mer. Ma préférence allait au second membre de l’alternative, à savoir un ministère de plein exercice disposant de toutes les prérogatives en matière maritime à l’exception, évidemment, de la défense. L’autre choix ayant été fait, le secrétaire général de la mer doit assurer la coordination de toutes les questions relatives à la mer, d’autant que celle-ci ne fait pas encore l’objet d’une attention suffisante au regard de ses potentialités.

M. Folliot a eu raison d’évoquer les problèmes essentiels posés par la souveraineté maritime, notre zone économique exclusive représentant un des atouts majeurs de la France au XXIe siècle, à côté de ceux que représentent son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, ses grandes entreprises internationales et la francophonie. Disposer d’un tel espace maritime est une belle chose, le protéger en est une autre : avoir la possibilité de l’exploiter serait encore mieux.

Or notre intérêt pour la mer recèle encore bien des faiblesses. Je pense notamment aux biotechnologies marines : je m’inquiète de voir nos universités et nos instituts se contenter de recueillir en ordre dispersé des miettes de subventions européennes dans ce domaine alors même que les pays nordiques chassent en meute, ce qui leur permet de valoriser les subventions de l’Union. La France doit, dans le domaine des biotechnologies marines, à la fois fixer un objectif clair et conduire une politique cohérente permettant de l’atteindre.

En revanche, le système français de la fonction « garde-côtes » me semble tout à fait opérationnel : il peut s’exercer, de manière cohérente, du grand large au plus près des côtes. Il subsiste toutefois des zones moins bien surveillées : je pense notamment au golfe de Gascogne.

En avril 2013, la Cour des comptes a rendu public un référé sur la place, le rôle et la gestion du secrétariat général de la mer. Il a fixé des pistes d’évolution, tout en notant ces faiblesses que sont l’absence de pouvoir d’arbitrage budgétaire et celle d’un document de politique transversale. Le secrétariat aura vingt ans en 2015 : comment le voyez-vous évoluer ?

M. Michel Aymeric. J’ai été auditionné en 2012, peu après ma prise de fonctions, et le rapport de la Cour porte sur l’année 2011.

Les principales constatations de la Cour des comptes ont porté sur l’absence de pouvoir d’arbitrage budgétaire et décisionnel. Il faut savoir que, si je dépends du Premier ministre, je ne suis pas membre de son cabinet. J’ai sa délégation pour signer différents documents mais je ne saurais arbitrer une réunion interministérielle.

La Cour des comptes a souligné également que le secrétariat général de la mer est trop dépendant des administrations dans la mesure où les chargés de mission sont, pour la plupart d’entre eux, mis à disposition, en particulier par les ministères chargés de la Défense, de l’Écologie ou des Douanes. Ils restent donc payés par leur administration d’origine. Seul le secrétaire général et les assistants et chauffeurs émargent au budget de la direction des services administratifs et financiers du Premier ministre. Ce système manque de souplesse : je ne peux pas choisir mes collaborateurs. Une des préconisations de la Cour des comptes était donc d’inscrire dans le budget du Premier ministre des équivalents temps plein (ETP) au bénéfice du secrétariat général de la mer. J’ai eu l’accord du secrétaire général du Gouvernement : je pourrai en 2015 transformer quatre emplois en emplois « Premier ministre ». Cette politique sera poursuivie en 2016 : le secrétaire général de la mer aura enfin la capacité de recruter lui-même ses collaborateurs.

Je tiens à noter qu’un ministère de la mer de plein exercice ne pourrait pas traiter de la totalité des sujets maritimes, notamment en matière énergétique ou industrielle. La principale faiblesse du SGM est de n’être pas membre d’un cabinet, contrairement au secrétaire général des affaires européennes (SGAE), qui est en même temps membre du cabinet du Premier ministre. Si le secrétaire général de la mer était également le conseiller « mer » du Premier ministre, il serait plus proche de la décision. En effet, chaque ministère fonctionne avec son propre cabinet qui entretient des relations de travail avec celui du Premier ministre. La faiblesse du SGM est d’être trop éloigné de la décision : le véritable pouvoir est situé dans les cabinets.

Mme la présidente Patricia Adam. Notre rapport d’information avait souligné cette faiblesse.

M. Gwendal Rouillard. Quel regard portez-vous sur la stratégie de l’État en matière de développement des énergies marines ?

Pouvez-vous nous aider à convaincre l’État d’accélérer le développement des énergies marines, s’agissant notamment du lancement de l’appel à manifestations d’intérêt pour l’éolien flottant, lequel offre des perspectives d’exportation dans les années à venir ?

M. Michel Aymeric. En tant que secrétaire général de la mer, si je participe à plusieurs aspects de ce dossier, c’est le ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE) qui le pilote.

Si ce développement est souhaitable à la fois pour l’économie générale du pays et pour son économie maritime, le dossier n’en est pas moins complexe. Après avoir déterminé la zone propice – les choix ont été faits via les deux premiers appels d’offres –, il faut assurer l’équilibre du projet, qui repose sur le prix de rachat de l’électricité. Or il est relativement élevé. Si le mégawatt nucléaire amorti s’élève à quelque 50 euros et le mégawatt éolien terrestre à quelque 100 euros aujourd’hui, le mégawatt maritime atteint, lui, 200 euros : tout dépend donc de la volonté de l’État et, in fine, du consommateur, de payer le kilowatt à un tel prix. Il faut savoir que des pays comme l’Allemagne, le Danemark ou le Royaume-Uni, qui sont en avance dans le domaine de l’éolien maritime, freinent à l’heure actuelle son développement en raison du coût de l’énergie produite.

La France en est, elle, à la phase de développement : elle devra s’y engager avec détermination après avoir résolu les problèmes juridiques complexes que pose ce dossier. Il convient également de raison garder en matière industrielle – la question sera abordée les 2 et 3 décembre aux assises de l’économie de la mer : chaque port français ne saurait devenir le grand pôle français de l’éolien en mer !

L’éolien flottant concerne surtout les secteurs où il est impossible de planter des éoliennes en mer, notamment en Méditerranée. Une expérimentation est actuellement menée au large de Fos-sur-Mer.

Le rapport « Innovation 2030 » de Mme Lauvergeon contient des propositions en la matière. Le concours mondial de l’innovation a permis de retenir des projets. L’éolien en mer sera la traduction concrète de la croissance bleue que chacun appelle de ses vœux, notamment pour les régions côtières. La sagesse voudrait toutefois qu’on ne l’envisage pas comme la mono-industrie de l’avenir car, je le répète, son développement dépend largement du prix d’achat du kilowatt produit.

Mme Marie Récalde. Quelle est la capacité réelle du SGM à coordonner et à mutualiser, notamment, les informations ? De quels moyens humains précis dispose-t-il ? Quelles devraient être, à vos yeux, les priorités de l’action de l’État en mer jusqu’en 2017 dans un contexte budgétaire contraint ?

M. Michel Aymeric. Si mon équipe est restreinte, elle est constituée de chargés de mission de haut niveau qui travaillent en réseau. En ce qui concerne le réseau AEM des trois préfectures maritimes métropolitaines – Cherbourg, Brest et Toulon –, c’est l’adjoint du préfet maritime qui s’occupe directement des relations avec les chargés de mission du SGM. Il en est de même outre-mer : dans chaque préfecture, un jeune commissaire ou un jeune officier est chargé du réseau AEM. Nous connaissons en temps réel ce qui se passe outre-mer. Nous organisons également des visioconférences : une l’a été il y a quinze jours avec le préfet de Guyane.

Un des piliers de la fonction « garde-côtes » est le centre opérationnel de la fonction garde-côtes (CoFGC), qui porte mal son nom : c’est un centre d’information et de synthèse plutôt qu’un centre opérationnel stricto sensu, puisqu’il ne dirige pas d’opérations. Il est installé à l’état-major de la marine pour des raisons de commodités des réseaux. Il centralise l’information maritime : tous les jours, tous les services intéressés reçoivent vers six heures et demie du matin un bulletin d’information, notamment sur les opérations de secours, l’immigration clandestine ou la lutte contre la pêche illicite. Ces informations peuvent être accompagnées d’analyses. La circulation de l’information ne pose donc aucun problème.

Comme toute administration, le SGM doit prouver en permanence sa valeur ajoutée. C’est ainsi que, dans le domaine des énergies maritimes, qui est du ressort du MEDDE, nous aidons ce ministère par une expertise sur des problèmes particuliers. Le fait que les zones du Tréport et de Fécamp soient encore truffées de mines de la Seconde guerre mondiale relève du domaine régalien, puisque le droit français encadre strictement le déminage. Ce sont également des chargés de mission du SGM qui traitent la totalité du dossier Extraplac ou la question de la dissociation. Nous nous occupons également des navires abandonnés. Le SGM n’a pas à se substituer aux ministères : il répond à des questions ponctuelles et assure la cohérence de l’ensemble de l’action de l’État en mer.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, monsieur le secrétaire général.

La séance est levée à dix-huit heures dix-neuf.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. Philippe Folliot, M. Yves Fromion, M. Francis Hillmeyer, M. Gilbert Le Bris, M. Alain Marty, M. Jacques Moignard, M. Philippe Nauche, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard

Excusés. - M. Claude Bartolone, M. Sylvain Berrios, M. Philippe Briand, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Damien Meslot, M. François de Rugy, M. Philippe Vitel