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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 17 mars 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 44

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de M. le préfet Alain Zabulon, coordonnateur national du renseignement

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous débutons aujourd’hui nos auditions sur la loi relative au renseignement, qui a été soumise au Conseil d’État et sera examinée jeudi en Conseil des ministres.

Monsieur le préfet, nous avons, dans ce cadre, souhaité vous inviter devant notre commission – où vous avez désormais l’habitude de venir régulièrement – afin que vous nous indiquiez quels sont les principaux objectifs pour vos services, les outils qui leur sont nécessaires, et que vous présentiez l’équilibre de ce texte.

M. le préfet Alain Zabulon, coordonnateur national du renseignement. La première raison d’un tel projet de loi, c’est que la France est l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un cadre légal cohérent et complet régissant l’action des services de renseignement. C’est une situation préjudiciable à la fois aux services, parce qu’un certain nombre d’outils, n’étant pas prévus par la loi, ne leur sont pas accessibles, et aux libertés, l’absence de régime légal impliquant l’absence de contrôle.

Ce projet de loi s’inscrit dans la continuité d’un mouvement de réforme initié à partir de 2007. Cette année-là a été créée une délégation parlementaire au renseignement : pour la première fois était ainsi reconnu le contrôle du Parlement sur cette politique publique. En 2007 la notion de communauté du renseignement a été définie, autour de six services : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), la direction du renseignement militaire (DRM), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), et le service Tracfin chargé du renseignement financier. A également été créé le Conseil national du renseignement, une instance présidée par le Président de la République et qui siège en présence du Premier ministre, des ministres ayant en charge les services de renseignement, des directeurs des services de renseignement dont la présence est requise, du coordonnateur national du renseignement, fonction elle-même créée en 2009 et du SGDSN qui en assure le secrétariat. En 2010 a été créée une académie du renseignement chargée de former les cadres des services et en 2014 une inspection des services de renseignement, désormais opérationnelle.

Une autre raison de légiférer, est que nous avons été sensibles au fait que les révélations Snowden sur les activités de la NSA avaient pu susciter des interrogations et des inquiétudes dans l’opinion publique. Il était légitime d’apporter une réponse législative afin de montrer que la politique du renseignement telle qu’elle est conçue par le Gouvernement de notre pays ne relève pas de la même philosophie que celle qui prévaut aux États-Unis.

La volonté de légiférer a également été exprimée par le Parlement. Dans son rapport de mai 2013, intitulé Pour un État secret au service de notre démocratie, la mission d’information présidée par les députés Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère a conclu à la nécessité d’une loi pour encadrer certaines activités des services.

Enfin, la loi du 10 juillet 1991 relative aux interceptions de sécurité – les fameuses écoutes téléphoniques, dont l’abus avait rendu nécessaire l’intervention du législateur – est antérieure à l’arrivée d’internet, du téléphone portable, de la massification des échanges d’informations sur les réseaux, et a donc considérablement vieilli.

Nous nous sommes mis au travail il y a plus d’un an. Ce projet de loi n’est ainsi nullement le résultat d’une réflexion précipitée à la suite des attentats de janvier, mais l’aboutissement d’une longue réflexion. Les attentats de janvier ont incité le Gouvernement à demander d’accélérer le calendrier et de tirer les enseignements de ces tragiques événements sur le plan opérationnel.

Ce texte répond à deux finalités. La première est de doter d’un cadre juridique les moyens techniques et opérationnels indispensables à l’accomplissement de leurs missions par les services de renseignement. En 1991, dans le cadre d’une écoute téléphonique, on écoutait une personne avec un téléphone filaire. Les individus que nous suivons aujourd’hui possèdent dix cartes SIM, cinq téléphones différents, une dizaine d’adresses internet, et utilisent des stratégies de contournement pour échapper à la vigilance des services.

Dans cette première partie du projet de loi, nous reprenons, en le toilettant, le dispositif des interceptions de sécurité et d’accès aux données de connexion tel qu’il résulte de la loi de 1991. Les données de connexion ne renseignent pas sur le contenu d’un échange ; elles indiquent par exemple que le portable de A s’est connecté au portable de B tel jour à telle heure. Elles peuvent apporter beaucoup d’informations sur la constitution de réseaux, les complicités entre individus, la préparation de projets. Dans le monde d’aujourd’hui, il est aussi important de savoir qui parle avec qui, que ce qui s’est dit. Le cadre juridique de l’accès à ces données a été défini par un article de la loi de programmation militaire de décembre 2013. La matière est reprise dans notre projet.

Ensuite, nous transposons dans le domaine de la prévention un certain nombre de techniques qui ne peuvent être utilisées actuellement que dans le cadre de procédures judiciaires. Dans ce cadre, en effet, les services de renseignement, sur instruction du juge, peuvent utiliser des techniques telles que le balisage de véhicules ou d’objets – pour en localiser les déplacements –, la sonorisation ou la captation d’images dans les lieux privés, la captation de données informatiques, et ils peuvent même procéder à des intrusions domiciliaires afin d’y installer ces moyens techniques. Le projet de loi a pour objectif de transposer l’ensemble de ces techniques dans le domaine de la police administrative, c’est-à-dire de la prévention. J’insiste sur la différence fondamentale, dans notre système juridique, entre la police administrative, qui vise à prévenir, et l’autorité judiciaire, dont l’objet est de réprimer. Le renseignement se situe très en amont du judiciaire et doit pouvoir intervenir sur certains individus à un moment où aucune infraction n’a été commise mais où il est indispensable de pouvoir lever le doute sur leurs intentions, avant, le cas échéant, de saisir l’autorité judiciaire s’il y a matière à le faire.

Nous estimons à plus de 3 000 le nombre d’individus qui, sur le territoire national, représentent, à des degrés d’intensité variable, une menace pour notre sécurité. Le grand défi des services de renseignement est de parvenir à détecter, parmi ces 3 000 individus, ceux qui sont susceptibles de passer à l’acte. Pour suivre physiquement un individu H24, il faut en moyenne dix-huit à vingt fonctionnaires de police, ce qui signifie que l’effectif de la DGSI devrait être de 60 000 fonctionnaires, contre les 3 200 qu’elle compte actuellement. Malgré les arbitrages du Gouvernement en vue d’augmenter les effectifs de ce service, ce serait entrer dans une logique folle que d’imaginer recruter en permanence des fonctionnaires pour courir après des terroristes. Pour être efficace, il faut donc pouvoir suivre en temps réel, sur internet et les réseaux, les connexions de ces individus, parce qu’elles nous renseignent sur leurs intentions. Savoir que tel individu s’est connecté à tel autre individu bien connu des services depuis des années est une information qui s’appelle un « signal faible », et le défi des services est d’être capable de détecter ces micro-informations qui, mises bout à bout, permettent de renseigner sur un éventuel projet d’attentat. Un article du projet de loi permettra donc d’accéder aux données de connexion des individus qui ont été repérés comme présentant une menace, de manière à suivre leurs intentions en temps réel.

Enfin, la loi fixe un cadre juridique pour les mesures de surveillance internationale. Ces mesures ne concernent que les personnes à l’étranger. La France est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU ; elle est amenée à ce titre à prendre position sur les grands dossiers internationaux.

La DGSE, collecte du renseignement hors de nos frontières pour informer le gouvernement sur ces sujets. Nous avons souhaité fixer un cadre juridique car ces mesures d’interception – puisque c’est de cela qu’il s’agit –, couvertes par le secret de la défense nationale, sont parfois réalisées à partir du territoire national. Toutefois, le choix a été fait de réserver le régime juridique le plus protecteur pour les actions sur le territoire national. L’utilisation de ces techniques intrusives est assortie d’un cadre juridique contraignant qui veille à garantir le respect des libertés de nos concitoyens : c’est la seconde partie du projet de loi.

Premier élément de garantie, la loi définit de manière limitative les finalités pouvant justifier l’utilisation de ces techniques. Les services de renseignement peuvent être autorisés à recourir à ces techniques « pour le recueil de renseignements relatifs aux intérêts publics » énumérés sous le chef de sept items correspondant aux actuelles missions des services. Un œil non averti pourrait s’imaginer que nous ouvrons un champ d’investigation illimité aux services de renseignement ; il n’en est rien, les finalités sont celles qui correspondent à l’action des services aujourd’hui.

Ces finalités sont la sécurité nationale, un concept reconnu en droit public, qui recouvre notamment la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, la contre-ingérence et le contre-espionnage : les intérêts essentiels de la politique étrangère ; les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France – cela vise les actions d’ingérence, en très forte augmentation, contre nos laboratoires et nos entreprises pour piller les technologies, nos savoir-faire, la recherche fondamentale, les nanotechnologies, l’aéronautique, le médical… – ; la prévention du terrorisme ; la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ; enfin, la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique – il ne s’agit en aucun cas d’utiliser les moyens du renseignement pour espionner des mouvements sociaux qui font partie de la vie politique de notre pays, mais de renseigner sur certains groupements qui pratiquent la violence de manière délibérée. Ces finalités, qui correspondent à celles qui sont déjà assignées aux services, chacun dans le cadre de leurs missions respectives, sont désormais inscrites dans la loi ; le progrès tient à un encadrement, qui faisait défaut jusqu’alors, de leur action

La procédure d’utilisation de ces techniques est très précisément définie. La demande doit être écrite et motivée. Elle est validée par le ministre en charge du service ou son directeur de cabinet. Les décisions d’autorisation sont prises par le Premier ministre, après l’avis d’une autorité administrative indépendante dont je parlerai tout de suite après. Ces décisions d’autorisation ont une durée maximale fixée par la loi : plus le moyen est intrusif et susceptible d’être attentatoire à la vie privée, plus la durée d’autorisation est encadrée. Elle ne peut être reconduite que selon les mêmes modalités que la demande initiale.

La clé de voûte du dispositif est l’intervention d’une nouvelle autorité administrative indépendante se substituant à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Aux termes de la loi de 1991, cette dernière est censée émettre une simple recommandation a posteriori. La nouvelle loi met le droit en conformité avec la pratique, car cette commission émet dans la pratique des avis préalables. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) formulera un avis avant la décision du Premier ministre, et pourra contrôler l’utilisation des techniques et intervenir a posteriori.

Cette Commission serait composée de quatre magistrats ou anciens magistrats, d’une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques, proposée par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) – il est important qu’un membre de cette Commission parle le même langage que les techniciens des services qui utilisent ces moyens très sophistiqués –, et de quatre parlementaires, deux députés et deux sénateurs, issus de la majorité et de l’opposition, de manière à renforcer l’indépendance de cette autorité.

Des garanties supplémentaires ont été prévues pour les techniques nécessitant une intrusion dans les lieux privés. Lors d’une perquisition judiciaire, les policiers, sous le contrôle du juge, peuvent ouvrir les tiroirs, fouiller, emporter les ordinateurs et les documents présents, tandis que l’intrusion domiciliaire n’est autorisée en police administrative que pour déposer un dispositif technique permettant de capter du son, de l’image ou des données informatiques. Une demande spécifique devra être formulée et les agents spécialement habilités. L’avis de la Commission devra avoir été rendu de manière expresse par l’un des quatre magistrats membres de la Commission.

Les durées maximales de conservation des données recueillies grâce à ces techniques sont également prévues par la loi.

Enfin, un droit au recours juridictionnel a été ouvert. Cela peut paraître banal mais, dans le domaine du renseignement, c’est une novation très importante. Le Conseil d’État pourra être saisi d’un recours juridictionnel par tout citoyen ayant intérêt à agir – toute personne estimant, à tort ou à raison, avoir fait l’objet d’une surveillance par l’une des techniques de renseignement que j’ai évoquées – après avoir déposé une réclamation auprès de la CNCTR. Le Conseil d’État pourra également être saisi par la CNCTR lorsque celle-ci estimera qu’une décision d’autorisation a été prise par le Premier ministre en méconnaissance de la loi. S’il juge qu’une illégalité a été commise, le Conseil d’État pourra annuler l’autorisation accordée, ordonner la destruction des renseignements illégalement obtenus, indemniser le requérant et saisir en cas d’infraction le procureur de la République.

Encore une fois, c’est une révolution. Nous avons estimé que ce projet de loi ne serait pas crédible s’il se contentait de donner des moyens techniques renforcés aux services, sans prévoir de garanties. Dans le grand débat, que nous aimons bien en France, entre libertés et sécurité, nous avons introduit un troisième terme : les garanties. C’est ce qui rend possible une action des services plus efficace sans porter atteinte aux libertés.

M. Philippe Nauche. Vous n’avez pas évoqué la protection de l’identité des agents, point sur lequel il semblerait que le texte n’apporte pas de précision particulière. Par ailleurs, qu’en est-il des échanges entre les six services composant la communauté du renseignement et les autres services qui concourent au renseignement sans faire partie de cette communauté : renseignement territorial, renseignement pénitentiaire, service d’anticipation de la gendarmerie nationale ? Ces derniers sont-ils concernés par les mesures du texte ?

M. le préfet Alain Zabulon. Vous avez raison de souligner l’importance de coopérer avec les services hors de la communauté du renseignement. Cela se pratique très largement. En matière de lutte antiterroriste, par exemple, le nombre d’individus suspects est tel qu’une partie est suivie par la DGSI et l’autre par le service du renseignement territorial, sans parler de ceux qui le sont par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris. La DGSI a également des liens avec le renseignement pénitentiaire car le milieu carcéral, on le sait, est souvent un lieu de radicalisation. Nous n’avons pas attendu l’évolution officielle du périmètre de la communauté pour créer entre ces services les indispensables synergies sans lesquelles nous ne serions pas efficaces.

La loi traite indirectement de ces services en permettant qu’un décret en Conseil d’État puisse élargir de manière contrôlée l’utilisation de ces techniques par d’autres services hors de la communauté du renseignement. Ce décret précisera quels services, pour quelles missions et quelles techniques. Nous ne sommes pas favorables à ce que la loi permette l’utilisation sans contrôle, de toutes les techniques par tous les services. Nous voulons que cette extension soit maîtrisée, et ne serve pas pour toutes les finalités. Le renseignement territorial renseigne les préfets sur l’actualité économique et sociale du département ; il est hors de question d’utiliser des techniques intrusives pour renseigner sur des événements qui n’ont aucun rapport avec la sécurité nationale ou la prévention du terrorisme. En revanche, que le Service central du renseignement territorial (SCRT) demande l’utilisation de ces techniques pour suivre les quelque centaines d’individus qu’il surveille au titre de la prévention du terrorisme peut être pertinent.

Mme Agnès Deletang, magistrate, conseillère auprès du Conseil national du renseignement. La loi LOPPSI 2 de mars 2011 comportait trois types de dispositions protectrices des agents et des sources.

Tout d’abord, cette loi a inséré dans le code de la défense la légalisation de l’identité d’emprunt ou de la fausse qualité prise par un agent de renseignement dans le cadre d’une mission intéressant la défense et la sécurité nationale. L’article renvoie à un arrêté du Premier ministre qui liste les services pouvant prendre de telles dispositions pour leurs agents, et qui sont les six services de la communauté du renseignement.

De même, un article sanctionnant la révélation directe ou indirecte de toute information qui conduirait à divulguer l’appartenance d’un agent à un service de renseignement, le nom ou l’identité d’emprunt d’un agent ou d’une source d’un service de renseignement a été introduit dans le code pénal. Enfin, un article protégeant l’anonymat des agents des services spécialisés de renseignement appelés à témoigner lors de procédures judiciaires, afin que leur couverture ne soit pas dévoilée, a été inséré dans le code de procédure pénale. Il a été renforcé par la loi de programmation militaire de 2013 : ce témoignage peut désormais s’effectuer dans un lieu que le directeur du service de renseignement peut choisir lui-même.

Il avait été envisagé de faire référence à ces articles dans le code de la sécurité intérieure, dans lequel s’inséreront les nouvelles dispositions ; si cela n’a finalement pas été estimé nécessaire, il a cependant été ajouté un nouvel article protecteur de l’anonymat des agents des services de renseignement, aménageant la publicité des actes réglementaires et individuels les concernant.

M. Sylvain Berrios. Ma question rejoint celle de M. Nauche, concernant la coordination des activités entre les services à l’intérieur de la communauté du renseignement et hors de cette communauté. Vous avez expliqué que cette loi fixait des finalités correspondant aux actuelles missions des six services de la communauté du renseignement. Or les services hors communauté du renseignement sortent de ce spectre et peuvent avoir leurs propres finalités. Je ne vois donc pas comment un décret en Conseil d’État pourrait coller parfaitement aux missions des six services.

M. le préfet Alain Zabulon. Si nous avons pris la peine d’inscrire les finalités dans la loi, ce n’est pas pour que d’autres services, qui font du renseignement tout en étant hors de la communauté, puissent s’en affranchir. L’article de la loi sur les finalités s’imposera si tel ou tel service hors communauté, tel que le renseignement territorial, venait à utiliser des techniques intrusives. Je prends l’exemple du renseignement territorial à dessein car c’est le service hors communauté dont le spectre d’activité est le plus large. Il fait du renseignement ouvert : il prend contact avec les acteurs institutionnels du département et rend compte au préfet. Il est tout à fait exclu de recourir à des techniques intrusives pour ce type de renseignement.

M. Jean-Jacques Candelier. Avez-vous, ces dernières années, été confrontés à des suppressions de postes ou baisses budgétaires ? De quels moyens supplémentaires disposez-vous depuis la mise en place du dispositif Sentinelle ? Sont-ils suffisants ? Enfin, il y aurait 3 000 personnes à risque dans notre pays ; sur quelle période est-on arrivé à ce chiffre inquiétant ?

M. le préfet Alain Zabulon. Nous sommes arrivés à ce chiffre en moins de deux ans. Sur ces 3 000 individus, il y a tout d’abord ceux qui sont impliqués dans les filières syro-irakiennes, au nombre de 1 432, un nombre qui se décompose comme suit : 413 individus détectés comme étant physiquement présents sur les théâtres de combat en Syrie, 295 en transit, c’est-à-dire en train de s’y rendre – nous invitons les autorités turques à les interpeller et à les renvoyer en France, –, 261 ayant quitté les zones de combat, dont 201 sont revenus en France, 85 présumés morts et 376 projetant de partir.

S’y ajoutent des individus radicalisés qui ne sont pas impliqués dans les filières mais présentent un profil suffisamment inquiétant pour représenter une menace, au nombre de 430. Le service de renseignement territorial suit les individus réputés les moins dangereux, ceux dont on pense qu’ils sont davantage dans le verbe que dans l’action, au nombre d’environ 180. Si l’on y ajoute un millier de profils préoccupants d’individus détectés comme fréquentant assidûment les sites internet les plus radicaux, les sites terroristes, cela fait environ 3 000 personnes.

Tout cela est apparu dans des délais extrêmement brefs. Depuis trois ans, je rencontre régulièrement le directeur général de la sécurité intérieure ; nous ne parlons de ce phénomène des filières syriennes que depuis fin 2013, début 2014. Le nombre de 1 432 individus que j’ai cité représente une augmentation de 158 % en un an. Une explosion qui a incité le Gouvernement à agir dès le mois de mars 2014, avec une série de mesures arrêtées en Conseil de défense – création d’une plateforme téléphonique dotée d’un numéro vert, confiscation du passeport, instauration d’une procédure d’opposition parentale à la sortie du territoire de leur enfant mineur –, puis la loi antiterroriste de novembre, avant l’adoption de la loi sur le renseignement. La réponse étatique s’est construite étape après étape, à mesure que le phénomène grandissait.

Depuis les attentats, le Gouvernement a annoncé des arbitrages importants en faveur des moyens des services. Des mesures exceptionnelles ont été adoptées en Conseil des ministres le 21 janvier : création de 1 400 emplois sur trois ans au ministère de l’Intérieur, dont 1 100 pour renforcer le renseignement, et 530 dès cette année, création de 950 emplois au ministère de la Justice, de 250 emplois au ministère de la Défense, plus quatre-vingts emplois au ministère des Finances, dont une dizaine pour TRACFIN et soixante-dix pour les douanes, la direction du renseignement douanier jouant un rôle important dans la lutte contre cette menace terroriste. Cela représente environ 736 millions d’euros sur les trois prochaines années, dont 246 millions dès 2015.

Au moment où la DCRI est devenue la DGSI, en 2014, 432 recrutements étaient déjà prévus sur trois ans, ce qui signifie que, sur les trois années à venir, les effectifs de la DGSI grossiront d’environ un miller d’agents. C’est un effort substantiel.

En ce qui concerne le dispositif Sentinelle, le plan Vigipirate, permet de mobiliser 10 000 soldats pendant un mois. Nous avons largement dépassé la période d’un mois. C’est un effort très important : 10 000 soldats, c’est près de trois fois les effectifs de l’opération Barkhane dans la bande saharo-sahélienne. Le Président de la République a décidé de sanctuariser le budget du ministère de la Défense, qui restera à 31,4 milliards d’euros ; ces dépenses seront couvertes par redéploiements.

Les services de renseignement ont vu leurs effectifs préservés et même, pour certains d’entre eux, augmenter, ce qui correspond à la nécessité à laquelle nous sommes confrontés.

M. Joaquim Pueyo. Le fait d’accorder un accès administratif plus grand aux services de renseignement est nécessaire, mais c’est tout de même un changement de culture, car on fait sortir le magistrat du dispositif. Pour compenser cela, la loi crée la CNCTR, où siégeront des magistrats et anciens magistrats. Nous sommes un État de droit et il convient de prévoir des contrôles fins garantissant le respect des libertés individuelles. Qui désignera les membres de cette nouvelle Commission ?

M. le préfet Alain Zabulon. Vous avez raison de souligner que le mode de désignation de ses membres joue un rôle important dans la crédibilité de cette commission. Les deux députés et sénateurs seront, je cite l’article, « désignés respectivement, pour la durée de la législature, par le président de l’Assemblée nationale et, après chaque renouvellement partiel du Sénat, par le président du Sénat, de manière à assurer une représentation pluraliste du Parlement ». Siégeront par ailleurs deux membres ou anciens membres du Conseil d’État d’un grade au moins égal à celui de conseiller d’État, nommés sur proposition du vice-président du Conseil d’État. Cela signifie que sera pris un décret recognitif dans lequel ne pourront être retenus que les deux noms proposés. Il en va de même pour la Cour de cassation, avec une proposition conjointe du premier président et du procureur général. Enfin, la personnalité qualifiée sera nommée sur proposition du président de l’ARCEP. Sur l’ensemble des membres, l’exécutif n’intervient pas puisque ce sont les institutions d’origine qui les désignent.

En revanche, nous sommes attachés à ce que le Gouvernement conserve le pouvoir de désignation du président de l’instance, qui devra obligatoirement être choisi parmi les magistrats ou anciens magistrats. Cette désignation par l’exécutif ne sera pas un cas unique parmi nos autorités indépendantes. Dans un domaine éminemment régalien, il n’est pas illégitime que le Gouvernement choisisse le président de la commission de contrôle, sans que cette formule n’altère en quoi que ce soit son indépendance. C’est déjà le cas avec le président de l’actuelle CNCIS dont l’indépendance n’est contestée par personne.

M. Joaquim Pueyo. Le fait que le président soit nommé parmi les magistrats est un point important. Quant au choix de deux députés, le texte précise-t-il que l’un doit être de la majorité et l’autre de l’opposition ?

M. le préfet Alain Zabulon. C’est un peu plus souple que cela : le texte prévoit « une représentation pluraliste du Parlement », comme c’est le cas pour l’actuelle CNCIS.

M. Joaquim Pueyo. Il faut être très précis. J’y insiste, car j’ai quelques inquiétudes pour l’avenir.

M. le préfet Alain Zabulon. Quand vous dites que le juge est absent du dispositif, je ne partage pas votre point de vue. C’est vrai pour le juge judiciaire mais non pour le juge administratif. Le Conseil d’État jouera un rôle de recours juridictionnel de plein exercice. Comme en témoigne sa jurisprudence, le juge administratif est aussi exigeant que le juge judiciaire en matière de protection des libertés.

M. Joaquim Pueyo. Ce n’est pas la même chose, et il est d’ailleurs bon que le premier président et le procureur général de la Cour de cassation désignent des magistrats de l’ordre judiciaire. Le juge judiciaire ne doit pas être écarté.

M. le préfet Alain Zabulon. Nous partons de rien. Les interceptions de sécurité conduites par les services de renseignement ne font aujourd’hui intervenir aucun juge. La CNCIS, si elle estime qu’une technique a été indûment utilisée, peut faire une recommandation a posteriori. Enfin, quand un administré présente une réclamation, on lui répond : « Nous avons vérifié : tout va bien. » Je ne caricature pas. L’état du droit, actuellement, c’est à peu près le néant.

Nous avons construit un dispositif global dans lequel les garanties sont aussi consistantes que les moyens accordés aux services. Nous avons eu de très longues séances au Conseil d’État, chaque article a fait l’objet d’une analyse très approfondie : le Conseil d’État nous a donné quitus de ce que ce texte réalisait un équilibre satisfaisant entre les deux exigences. Il a notamment démontré qu’une politique de prévention pouvait se placer sous l’empire de la police administrative sans que le droit ne s’en trouve violé. Son avis sera rendu public jeudi, en même temps que le projet de loi.

M. Daniel Boisserie. En écoutant votre réponse à Philippe Nauche, j’ai cru comprendre que la DGSI avait la compétence du renseignement en milieu carcéral.

M. le préfet Alain Zabulon. Le renseignement en milieu carcéral est traité par un service ad hoc, le service du renseignement pénitentiaire, qui relève de la direction de l’administration pénitentiaire, et dont les moyens ont été renforcés à la faveur des arbitrages postérieurs aux attentats de janvier.

La radicalisation en milieu carcéral est un vrai sujet. Un certain nombre d’individus entrent petits délinquants et sortent djihadistes, car ils ont été en contact avec des individus fanatisés et radicalisés qui leur ont « lavé le cerveau » en quelques semaines. D’où l’expérimentation, qui est en voie d’extension, consistant à isoler les détenus déjà radicalisés pour éviter qu’ils ne contaminent les autres. Il ressort en première analyse que le climat en détention s’est apaisé à la suite de cette mesure, car les moyens de pression parfois violents utilisés par les détenus radicalisés créent un climat de tension extrême.

Le nombre de personnes détenues, prévenues ou condamnées pour faits de terrorisme est de 170 ou 180. Le lien avec la DGSI est essentiel au moment où ces individus sortent de prison. Il faut absolument que ce service continue de les suivre. Cette synergie entre les deux services existe, un protocole a été signé. Le DGSI me fait part du climat tout à fait constructif dans lequel se passe cette collaboration.

M. Daniel Boisserie. Vous avez évoqué 3 000 individus, une courbe de croissance vertigineuse. Quel est votre pronostic pour l’avenir ? Par ailleurs, où en est l’Europe en ce qui concerne le projet de fichier PNR (Passager Name Record) ?

M. le préfet Alain Zabulon. Le PNR français a été voté dans la loi de programmation militaire, les décrets d’application sont parus, et il devrait entrer en application progressivement d’ici fin 2015, début 2016, nécessitant l’intégration des données de plus de 230 compagnies aériennes et plates-formes de réservation. Il permettra de collecter les données de réservation des passagers entre la France et l’étranger, hors Union européenne, c’est-à-dire que nous pourrons suivre le passager d’un vol Paris-Berlin mais non celui du vol Berlin-Rome : il aurait fallu, pour cela, que l’Allemagne et l’Italie aient chacune leur propre PNR. Le PNR français ne verra ainsi qu’une partie de l’information. Des démarches ont donc été entreprises par le ministre de l’Intérieur auprès des autorités européennes pour que l’Europe se dote de cet outil absolument indispensable. Cela suscite un débat sur la protection des données, mais une personne qui réserve un billet d’avion ne dévoile pas ses opinions politiques, sa religion ou ses orientations personnelles. Ces données de réservation peuvent être utiles aux services de renseignement car elles permettent de connaître les trajets des individus qui les intéressent.

Le PNR européen avance laborieusement. Il existe encore un blocage au niveau de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen. Nous espérons que le sujet évoluera positivement dans les mois à venir et le ministre de l’Intérieur s’est fortement mobilisé sur le sujet. Nous avons quelques alliés, notamment les Britanniques, qui ont déjà leur propre PNR eux aussi. Les Allemands sont plus partagés.

S’agissant de votre seconde question, nous ne sommes pas optimistes pour l’avenir. Nous pensons que ce phénomène de djihad à la française est désormais durablement ancré dans une partie de notre jeunesse. Je préfère parler d’idéologie plutôt que de religion, car ces jeunes gens ont en réalité une formation religieuse des plus sommaires, voire inexistante. Ils voient dans le djihad un exutoire à leurs frustrations. Ces jeunes gens se marginalisent en basculant dans la radicalité. Ils y trouvent un nouveau sens à leur vie. J’appelle d’ailleurs votre attention sur l’effet d’attractivité extrêmement puissant exercé par le mouvement Daech sur cette fraction heureusement très minoritaire de notre jeunesse.

Le phénomène n’est pas uniquement français. La Belgique est au moins aussi touchée que la France, comme nous l’avons vu avec les récentes interpellations de Verviers. Des pays comme le Canada ou l’Australie sont également concernés. Cela relativise les explications franco-françaises qui consistent à dire que tout cela serait le résultat de l’échec de nos politiques d’intégration, politiques de logement, politiques de la ville. Que ces politiques aient été insuffisantes pour réaliser l’intégration, c’est vrai, mais cette explication n’est pas suffisante. Le phénomène du djihad est aujourd’hui mondial. Dans les troupes de Daech, les contingents les plus importants sont ceux des pays du Maghreb, comme la Tunisie. Si quelque 400 Français sont sur place, les Tunisiens sont plus de 3 000.

La poussée de l’islamisme radical et l’émergence d’un mouvement terroriste qui s’est transformé en État, ont tellement bouleversé cette partie du monde que l’influence du phénomène sur une fraction de notre jeunesse est, je crois, durable. La réponse de l’État ne peut être uniquement sécuritaire ; elle doit être également sociétale, par l’éducation, par la représentation du culte musulman en France, par un contre-discours déconstruisant le processus de radicalisation. Le phénomène est nouveau et le contre-discours reste encore à bâtir.

M. Jean-Michel Villaumé. Nos services de renseignement ont pointé, il y a quelques mois, le manque de coopération avec nos partenaires étrangers. Comment serait-il possible d’améliorer la synergie internationale, notamment concernant la question des combattants étrangers en Syrie, dont 90 % se recrutent par internet ? Les moyens sont-ils suffisants pour permettre de développer cette synergie essentielle ?

M. Alain Zabulon. La coopération avec nos partenaires étrangers est intense. Nous travaillons en très bonne intelligence – c’est le cas de le dire – avec nos homologues britanniques et américains. Ce sont ceux avec qui la coopération en matière de lutte contre le terrorisme est la plus ancienne et la plus forte. Nous coopérons de plus en plus avec l’Allemagne mais aussi avec d’autres pays européens

On pense parfois que cette coopération est inexistante parce qu’elle reste secrète. Elle doit le rester. Nous ne pouvons mettre sur la place publique tout ce que nous faisons en matière de coopération, qui, je vous rassure, n’attente en rien aux libertés, mais passe par le maniement d’informations très sensibles. Il existe une règle fondamentale dans les relations entre services de renseignement, la règle du tiers service : si je vous donne une information, vous ne devez jamais la révéler à un tiers sans mon autorisation. Cette relation reste donc très discrète mais elle est néanmoins tout à fait efficace.

Certains voudraient que nous allions vers l’Europe du renseignement. L’Europe peut apporter une aide sur certains points : il existe déjà des structures qui produisent de la synthèse, de l’analyse, de la coordination stratégique. Mais il ne peut y avoir d’Europe opérationnelle du renseignement. Les traités de l’Union donnent aux États une compétence exclusive en la matière.

J’ai des relations très suivies avec mes homologues, par exemple le DNI (Director of National Intelligence) américain, le patron des seize agences de renseignement, avec lequel j’ai tous les mois une visioconférence, ou que je rencontre, à Paris ou à Washington. Nous échangeons sur nos pratiques et nos analyses stratégiques.

Autant en matière économique, nous n’avons pas d’amis, seulement des concurrents – , autant en matière de contreterrorisme, c’est l’union sacrée, car nous savons que tous nos pays peuvent être frappés.

M. Philippe Vitel. Vous avez évoqué les centaines de Français qui partent pour la Syrie et l’Irak. Quelles informations avez-vous sur d’éventuels départs de Français en Afrique pour rejoindre Boko Haram ? Ce dernier groupe venant de faire allégeance à l’État islamique, n’est-ce pas là une source de problèmes à venir, dans la mesure où nous avons en France, dans nos quartiers, beaucoup de jeunes musulmans d’origine africaine ?

Ensuite, la loi va faire peser de nouvelles contraintes sur les opérateurs de réseaux sociaux. Y sont-ils préparés ? Comment fonctionnera l’interaction de vos services avec ces opérateurs ?

Enfin, s’agissant de la cybersécurité, quelles sont vos relations avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) ?

M. le préfet Alain Zabulon. Par sa nature et son intensité, le phénomène des filières syriennes est inédit. Nous avions perçu certains signes annonciateurs. Quand la France était présente en Afghanistan, quelques combattants français, de l’ordre d’une vingtaine, étaient partis dans ce pays. Lorsque l’opération Serval s’est déclenchée au Mali, les velléités de départ ont été vite contrariées, l’armée française ayant obtenu des résultats très rapides sur le terrain, et il ne s’est pas créé de filière malienne. À notre connaissance, il ne se crée pas non plus de filière vers Boko Haram, et la déclaration d’allégeance de ce mouvement à Daech, ne nous fait pas craindre, à court terme, compte tenu des distances entre les théâtres d’opérations et des capacités d’organisation logistique de ces groupes, un phénomène de coagulation qui verrait se créer une immense armée terroriste.

Boko Haram a un agenda régional. Son objectif est de créer le califat au nord du Nigéria, dans la région des grands lacs. D’autres mouvements, comme Al-Qaïda, ont un agenda international. Al-Qaïda maintient l’objectif de frapper ce qu’il appelle l’ennemi lointain. Aujourd’hui, Al-Qaïda dans la péninsule arabique est le mouvement terroriste le plus à même de projeter un attentat en Europe. Ce qui rassemble ces mouvements, c’est la haine de l’Occident. Le premier pays visé – cela figure dans les déclarations de tous leurs leaders du terrorisme international –, c’est la France, car notre pays est engagé militairement dans le combat contre le terrorisme, il participe aux frappes en Irak pour contrer les menées territoriales de Daech, il est engagé au Sahel, et par ailleurs, en matière de politique intérieure, notre concept de la laïcité, notre loi sur le voile, les débats sociétaux sur la place de l’islam, sont perçus ou interprétés par ces mouvements comme des agressions contre le monde musulman.

Pour le moment, le phénomène des combattants étrangers se limite à la Syrie. Nous ne voyons pas de filière se créer vers Boko Haram, et je ne crois pas vraiment à une telle éventualité.

En ce qui concerne les opérateurs, Mme Deletang était présente ce matin à une réunion que nous avons organisée pour leur présenter le texte de loi, qui leur créera certaines obligations. Ils ne sont pas inquiets, dès lors qu’ils auront une base légale. Ils souhaitent par ailleurs qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrence, comme ce serait le cas si les obligations étaient imposées à certains et non à d’autres.

Mme Agnès Deletang. Des discussions auront lieu dans les semaines à venir avec les opérateurs. Ils considèrent que, compte tenu de l’évolution des technologies, le champ de la loi devrait concerner l’ensemble d’entre eux. Ils indiquent travailler en confiance avec le groupement interministériel de contrôle (GIC), le service spécialisé du Premier ministre centralisant les interceptions de sécurité du régime de la loi de 1991.

M. le préfet Alain Zabulon. Nous constatons une augmentation très forte des attaques cyber et un degré de sophistication toujours plus poussé. L’ANSSI, qui n’est pas un service de renseignement, a bénéficié dans la période récente d’arbitrages favorables : ses effectifs sont en augmentation et ses moyens juridiques ont été accrus par la loi de programmation militaire de décembre 2013. Devenue l’autorité d’État dans le domaine cyber, elle a créé une obligation de déclaration auprès d’elle des attaques cyber constatées par les opérateurs d’importance vitale. Sa mission est de protéger les sites informatiques de nos grandes administrations et institutions, à l’aide d’un système de veille H24 très performant.

Les services de renseignement ont évidemment leur rôle à jouer dans la détection des attaques. Nous développons nos propres moyens de cyber-attaques, dans une logique non pas agressive mais de dissuasion. S’il y a un domaine dans lequel il ne faut pas prendre de retard, c’est bien celui-là. Tous les conflits mondiaux montrent que l’arme cyber, non létale, anonyme, est très largement utilisée. On le constate dans tous les conflits internationaux en cours.

M. Gwendal Rouillard. Comment qualifiez-vous la capacité de nos services à travailler entre eux, à la fois sur notre sol et sur les théâtres extérieurs ? Je pense en particulier à la cellule Hermès, que le ministre de la Défense a évoquée ici. Par ailleurs, pouvez-vous préciser notre politique de renseignement concernant les individus radicalisés de retour d’Irak et de Syrie ? C’est un sujet qui donne lieu à débat.

M. le préfet Alain Zabulon. La culture traditionnelle de la communauté du renseignement privilégie la coopération bilatérale. Il existe par exemple ainsi un axe fort DGSE-DGSI – les relations entre les deux n’ont jamais été aussi intenses –, un axe fort DGSE-DRM, les deux ayant vocation à faire du renseignement à l’extérieur du territoire national, un axe fort DNRED-DGSE, la DNRED, qui lutte contre les grands trafics internationaux, ayant des méthodes d’action de terrain proches de celles de la DGSE. Je pourrais ainsi multiplier les exemples.

Un mois après les attentats de janvier, une fois passée la période d’émotion et de pression très forte sur les services, j’ai organisé une réunion sur les enseignements à tirer de ces attentats. Le consensus s’est dégagé autour de l’idée qu’il fallait intensifier la coopération multilatérale qui se développe déjà rapidement. La DGSI accueille dans ses locaux, à Levallois, des officiers de liaison des autres services qui viendront échanger sur les individus qu’ils suivent avec les services partenaires. Sur un même individu, la DNRED pourra par exemple, s’adresse à Tracfin pour connaître les mouvements sur sa carte bleue, à la DPSD s’il s’agit d’un ancien militaire radicalisé… Tous ces éléments convergent vers la DGSI qui est le chef de file en matière de lutte antiterroriste sur le territoire national.

La cellule Hermès l’avait un peu préfigurée. C’est, dans les locaux de l’état-major des armées, un espace ouvert aux six services de renseignement qui viennent tous les jours échanger sur les filières syriennes. C’est un lieu de synthèse du renseignement, qui reçoit un soutien appuyé du ministre de la Défense, véritable préfiguration de la communauté du renseignement de demain fondée sur la coopération multilatérale. Le grand défi des services, je l’ai dit, est la capacité de détecter des signaux faibles. Un individu souscrivant un emprunt à la consommation, et qui en retire le montant en liquide le lendemain peut être une information stratégique si elle est bien exploitée.

S’agissant des individus radicalisés de retour des théâtres de combat,ils font presque systématiquement, quand ils sont détectés, l’objet d’une interpellation par la DGSI.

Lorsqu’il y a matière à saisir le parquet antiterroriste, la DGSI le fait immédiatement, tandis que les autres continuent de faire l’objet d’un suivi attentif de la part des services.

Je souligne que le fait que notre pays soit doté d’un parquet antiterroriste, qui travaille en bonne intelligence avec les services de renseignement, est un atout qui nous est envié par d’autres pays.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. Guy Delcourt, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Alain Chrétien, M. Yves Foulon, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. François Lamy, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. François de Rugy, M. Michel Voisin