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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 6 mai 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 57

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Examen, ouvert à la presse, du rapport d’information sur l’état d’avancement de la manœuvre ressources humaines du ministère de la Défense et les conséquences des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 2 octobre 2014 (Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Alain Marleix, rapporteurs).

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous allons procéder à l’examen, ouvert à la presse, du rapport d’information sur l’état d’avancement de la manœuvre ressources humaines du ministère de la Défense et les conséquences des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 2 octobre 2014. Compte tenu de l’importance de ces deux sujets, qui seront au cœur du projet d’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) bientôt examinée par notre assemblée, le bureau avait décidé dès novembre dernier de mettre en place une mission d’information. Une partie des auditions ayant été au surplus effectuée en commission, cela nous permet d’anticiper sur le travail à venir en mai.

M. Alain Marleix, rapporteur. Ma collègue Geneviève Gosselin-Fleury et moi-même sommes devant vous aujourd’hui pour vous présenter les conclusions de nos travaux sur l’état d’avancement de ce qu’il est convenu d’appeler la « manœuvre RH » du ministère de la Défense. Vous nous avez chargés de ce rapport le 17 décembre dernier. Qui aurait pu imaginer alors les profonds bouleversements qui auraient lieu en janvier 2015, et encore moins leur répercussion sur nos armées.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. En effet, les paramètres de la « manœuvre RH » ont été profondément modifiés depuis les attentats de janvier 2015 : bien évidemment, les cibles de déflation des effectifs ont été immédiatement réajustées et l’actualisation de la loi de programmation militaire a été avancée. C’est donc avec un certain pragmatisme que les pouvoirs publics et nos armées ont su réviser leurs plans pour dégager les ressources humaines, techniques et financières nécessaires à la protection du territoire national.

Permettez-moi un bref rappel de ce qu’est cette « manœuvre RH » planifiée en 2013, avec la loi de programmation militaire. On réduit souvent la « manœuvre RH » à un objectif de déflation des effectifs du ministère ; mais elle est en réalité plus complexe.

Tout d’abord, s’agissant des effectifs, la LPM 2014-2019 organisait la superposition de deux plans de déflation, portant au total sur 33 675 emplois : pour un tiers environ des postes à supprimer, ces suppressions étaient prévues par la précédente LPM et la révision générale des politiques publiques (RGPP) ; pour les deux tiers restant, soit 23 500 postes, il s’agissait de mesures nouvelles.

Mais la « manœuvre RH » articulait également d’autres paramètres. Notamment, un effort dit de « dépyramidage » était prévu : cela consiste, concrètement, à ramener le taux d’encadrement du ministère à son niveau de 2010 ; nous avons pu constater que les progrès sont, sur ce point, en ligne avec les prévisions. Ensuite, la « manœuvre RH » comprend aussi un objectif de « rééquilibrage des effectifs entre civils et militaires » – c’est ce que l’on appelait la « civilianisation » dans la précédente LPM. Car il faut bien souligner que cet objectif n’est en rien nouveau : la LPM de 2009 fixait même un objectif chiffré de civilianisation, alors que celle de 2013 indique simplement une orientation. En la matière, nous avons pu constater que les choses avancent progressivement : les postes qui correspondent sans conteste à des compétences civiles sont peu à peu pourvus par des civils, souvent d’ailleurs d’anciens militaires devenus civils. Naturellement, l’augmentation bienvenue de nos capacités de combat ne permettra pas d’aboutir à l’équilibre d’ensemble initialement souhaité, car ce sont bien évidemment des militaires que l’on recrute. Mais pour être parfaitement claire sur ce sujet parfois polémique, je tiens à souligner que l’effort fait en faveur des civils n’a rien de dogmatique : il s’agit d’une approche pragmatique, d’une démarche de bonne gestion. Il s’agit d’attribuer des postes civils à des civils pour des activités ne supposant pas de projection, et des postes militaires à des militaires – rien de plus. Aussi est-il parfaitement justifié que l’effort se poursuive dans les fonctions d’administration et de soutien.

Enfin, la « manœuvre RH » répond à un objectif particulier : maîtriser la masse salariale du ministère. Notre commission a déjà relevé que celle-ci avait connu une croissance soutenue, avant que les efforts entrepris à partir de 2010, et relayés par la LPM 2014-2019, aboutissent à ce qu’aujourd’hui, cette masse salariale soit de nouveau sous contrôle.

M. Alain Marleix, rapporteur. Précisons que l’on a donné aux gestionnaires des ressources humaines de nouveaux outils pour réussir cette « manœuvre RH ». D’abord, la DRH « centrale » du ministère (la « DRHMD ») a été dotée d’une plus grande autorité sur chacune des DRH d’armée, de direction et de service : c’est ce que l’on appelle « l’autorité fonctionnelle renforcée » de la DRHMD. C’est un système assez équilibré, qui garantit un pilotage central assez ferme, sans pour autant donner dans un centralisme excessif. Les chefs militaires comme les responsables administratifs en sont tout à fait satisfaits.

Ensuite, pour faciliter les déflations, la loi a prévu des incitations au départ. Mais le législateur a eu la sagesse – je crois pouvoir le dire au nom d’un grand nombre d’entre nous – de s’en tenir à des outils incitatifs. On attribue des primes au départ sous diverses formes – pécule, pension de retraite revalorisée, etc. – mais en aucun cas, on en vient à un système coercitif, à un système de dégagement des cadres.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. Voilà pour la « manœuvre RH » telle qu’elle était prévue. Mais les attentats de janvier 2015 ont changé beaucoup de choses, principalement s’agissant des cibles de déflation.

Dès le 21 janvier, le Président de la République a annoncé que ces cibles de déflation seraient révisées, afin de dégager les ressources nécessaires au maintien dans la durée de l’opération Sentinelle. En effet, Sentinelle, ce sont 7 000 militaires – principalement de l’armée de terre – déployés en permanence. Et, pour que 7 000 militaires soient sur le terrain, avec le système des relèves indispensables pour la récupération et l’entraînement, il faut disposer de trois fois plus de soldats – ce qui fait 21 000. Or, le format de la force opérationnelle terrestre ne nous laissait qu’une marge de 10 000 hommes pour la protection du territoire : il en manquait donc 11 000, ne serait-ce que pour l’opération Sentinelle. Ajoutez à cette opération le plan Cuirasse, qui organise la protection renforcée des implantations militaires sensibles, et le besoin de renforcement de nos services de cyberdéfense et de renseignement. Et c’est ainsi que s’explique la décision du Président de la république, annoncée le 29 avril, de réviser les cibles de déflation afin de préserver un nombre d’emploi qui se situera sans doute à 18 500.

M. Alain Marleix, rapporteur. Il faut bien sûr se féliciter de voir nos effectifs militaires ainsi renforcés ; il n’y a sans doute pas lieu de polémiquer sur le sujet.

Mais si l’opération Sentinelle était bel et bien imprévisible, d’autres éléments expliquant la révision de la « manœuvre RH » ne l’étaient pas autant.

Je m’explique. Nos travaux nous ont permis d’apprendre que même avant les attentats, les armées et les directions et services du ministère n’arrivaient plus à trouver suffisamment de postes à supprimer. Et ce n’est pas dans l’épaisseur du trait que cela se jouait. Le ministère lui-même avait renoncé à 1 500 suppressions de postes : concrètement, elles n’avaient été attribuées à aucun des « grands subordonnés ». De plus, les armées avaient fait savoir qu’elles n’arrivaient pas à identifier entre 3 500 et 5 000 suppressions de postes sans consentir des sacrifices irréversibles dans nos capacités opérationnelles, en les portant très en deçà des contrats opérationnels : les chefs d’état-major ont pris leurs responsabilités, il faut le dire et les en féliciter. Et de surcroît, même l’administration et les soutiens n’y arrivaient plus : le Secrétariat général pour l’administration ne trouvait pas 500 postes à supprimer. Faites le total : ce sont entre 5 500 et 7 000 postes (« fourchette haute » et « fourchette basse ») que l’on n’arrivait pas à supprimer. Ainsi, lorsque le chef de l’État a annoncé le 21 janvier qu’il entendait sauvegarder 7 500 postes, cela ne dégageait quasiment pas de marges de manœuvre nouvelles.

Nous nous sommes donc demandé pourquoi, un an à peine après le vote de la LPM, la « manœuvre RH » butait déjà. Nous avons interrogé sur ce point non seulement les responsables militaires et civils du ministère, mais aussi des experts reconnus, et nous en sommes venus à la conclusion suivante.

L’objectif de déflation a été fixé en 2013 sans que l’on sache vraiment où et combien on pouvait supprimer de postes sans casser la cohérence de notre outil militaire. Certes, on peut trouver des défauts à la RGPP, mais au moins tous les gestionnaires s’accordent-ils aujourd’hui à lui trouver un avantage : le ministère disposait d’analyses fonctionnelles approfondies avant de se lancer dans un plan de déflation d’effectifs. Mais il faut bien dire qu’en 2013, rien de tout cela. Aussi, la révision des cibles de déflation est bienvenue.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. Pour conclure sur ce volet, il faut souligner que le ballon d’oxygène que constituent les 18 500 postes sauvegardés ne met pas fin à la « manœuvre RH ». Au contraire, ce sont aujourd’hui deux « manœuvres RH » qui se superposent, et il ne faut pas qu’une manœuvre en éclipse une autre. En effet, reconstituer des forces de combat dans un bref délai constitue un défi en soi : recruter, former, déployer, c’est une manœuvre à part entière. Et parallèlement, les efforts d’optimisation et de modernisation doivent continuer.

Venons-en maintenant à la seconde partie de nos travaux : les suites à donner aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui ont condamné la France au motif que notre code de la défense interdit aux militaires de constituer des associations professionnelles.

Le Gouvernement a fait le choix de ne pas faire appel de ces arrêts, estimant, sur la base d’une analyse approfondie que le président Bernard Pêcheur est venu nous présenter, ici-même, en janvier dernier, que les chances de succès étaient quasiment nulles.

La question est dès lors de savoir comment encadrer ce droit nouveau des militaires pour éviter tout débordement. Le président Bernard Pêcheur a formulé des propositions, et nos travaux nous ont permis d’étudier en détail ce que le ministère entend en faire.

M. Alain Marleix, rapporteur. Je tiens à dire d’emblée que, personnellement, je suis loin de voir cette affaire d’un bon œil. Il y a quand même quelque chose d’étonnant – pour ne pas dire : « de choquant » – à voir des juges européens, nommés par des gouvernements qui ont pour beaucoup renoncé à leurs ambitions militaires – on le voit bien sur les théâtres où la France est à peu près seule –, s’immiscer dans une affaire qui, à mes yeux, est strictement nationale. Franchement, on peut se demander si ceux de nos prédécesseurs qui ont ratifié la Convention de Rome de 1950 imaginaient qu’un jour, la Cour qu’elle institue viendrait autoriser, je cite, « la liberté syndicale » dans nos armées !

C’est d’ailleurs pour cela que le groupe auquel j’appartiens a déposé au début de l’année une proposition de résolution, discutée le 2 avril dernier, invitant le Gouvernement à renégocier les conditions de saisine et les compétences de la CEDH sur les questions touchant notamment à la sécurité nationale et à la lutte contre le terrorisme. Je n’hésite pas à le dire tout net : le gouvernement des juges, cela suffit. Quand la CEDH s’occupe de la fessée, c’est déjà assez risible ; mais quand elle en vient à s’immiscer dans le fonctionnement de nos armées, l’outil de notre souveraineté et de notre sécurité, là, la Cour agit de façon franchement déstabilisante.

Mme la présidente Patricia Adam. Si nous pouvions nous en tenir aux questions de défense… (Sourires)

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. Soulignons que le Gouvernement a développé devant la Cour tous les arguments possibles pour éviter la condamnation. Mais aujourd’hui, la jurisprudence de la Cour, c’est le droit. Et il vaut mieux encadrer le mouvement que le laisser se développer sous des formes incompatibles avec la cohésion, la cohérence et l’efficacité de nos armées.

Qu’est-ce qui ressort de ces travaux ?

D’abord, que personne ne souhaite que l’on abandonne notre système de concertation militaire, organisé autour des conseils de la fonction militaire – un par « couleur d’uniforme » – et du Conseil supérieur de la fonction militaire.

Ensuite, que personne ne veut de « syndicats » au sens propre dans les armées. La nuance n’est pas seulement sémantique : on accepte des « associations », mais ni des syndicats, ni le syndicalisme.

Enfin, qu’il faut éviter que les futures associations professionnelles nationales de militaires ne perturbent le bon fonctionnement de nos forces. Cela passe par quelques règles, que le législateur peut imposer à toutes les associations : par exemple, interdire les structures corporatistes – il ne s’agit pas de défendre une unité ou une arme contre les autres – ; rappeler avec force l’interdiction de la grève et des manifestations, ainsi que les devoirs de neutralité et de réserve.

Une fois ceci fait, restent deux risques. D’une part, le risque que les instances de concertation et les associations constituent deux systèmes de légitimité concurrents : la concurrence pourrait conduire à la surenchère, et serait particulièrement déstabilisante. D’autre part, le Conseil constitutionnel est très attaché au principe de la liberté d’association : il faudra donc bien mesurer les limites que nous mettons à ce droit s’agissant des militaires.

Une façon de régler les deux problèmes à la fois consiste à instituer un mécanisme de représentativité des associations professionnelles nationales de militaires. En effet, en intégrant les associations représentatives au CSFM, on évite la concurrence de deux systèmes de légitimité. Par ailleurs, on peut poser des conditions beaucoup plus strictes pour la représentativité que pour la création des associations : par exemple, un critère de pourcentage des adhérents de l’association par rapport à l’effectif total qu’elle entend représenter ; un critère de représentation de l’ensemble des « couleurs d’uniforme » ; ou encore un critère de représentation de l’ensemble des grades. Alors, les pouvoirs publics pourront éviter toute évolution indésirable du paysage associatif des militaires.

Mme la présidente Patricia Adam. Il me semble que vous vous êtes déplacés dans d’autres pays européens confrontés aux mêmes problèmes que nous pour mettre leur législation en conformité avec la jurisprudence européenne concernant le droit d’association des militaires. Il serait intéressant que vous nous en parliez.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. Nous nous sommes effectivement rendus en Italie, où nous avons rencontré des parlementaires, des personnels du ministère de la Défense, ainsi que les autorités civiles et militaires compétentes. Huit projets et propositions de loi ont déjà été déposés sur ce sujet où deux thèses s’affrontent : celle de l’opposition, qui souhaite donner une liberté syndicale aux militaires, et une autre qui milite plutôt en faveur des associations professionnelles. Nos interlocuteurs italiens se sont montrés particulièrement intéressés par nos travaux et ils ont d’ores et déjà souhaité obtenir rapidement notre rapport d’information !

M. Alain Marleix, rapporteure. Nous nous sommes également rendus en Espagne. Dans ce pays, le droit d’association a été reconnu en 2007 aux militaires de la Guardia Civil, qui est l’équivalent de notre gendarmerie – avec un effectif de 100 000 hommes environ, même si leur nombre de généraux est inférieur. Le droit d’association a été reconnu en 2011 pour les autres militaires. Ce déplacement à Madrid a été l’occasion d’un entretien fructueux avec le directeur général de la Guardia Civil, qui est un magistrat et se trouve avoir exercé auparavant des fonctions politiques. Nous avons constaté qu’une fois ce droit d’association reconnu, des dérives ont eu lieu. Des membres de la Guardia Civil ont ainsi été jusqu’à manifester en uniforme pour revendiquer une augmentation de salaire ; l’écho médiatique de ces manifestations a suscité une certaine émotion. Pour l’armée, les choses se sont apparemment mieux passées. À l’occasion d’un diner de travail organisé par l’ambassadeur de France en présence des principaux responsables civils et militaires de la Guardia Civil et des forces armées, nous avons appris que les effectifs de ces associations demeuraient extrêmement réduits, voire marginaux, et qu’il subsistait un doute sur la légitimité de ces associations dans la mesure où certaines d’entre elles ont recueilli aux élections professionnelles nettement moins de voix qu’elles ne revendiquent d’adhérents… La sous-secrétaire d’État à la Défense s’est ainsi montrée réservée dans son appréciation du système associatif des militaires. En un mot, ce n’est pas une réussite.

Mme la présidente Patricia Adam. Vous ne vous êtes donc pas déplacés dans des pays où les syndicats de militaires sont en place depuis longtemps. Il est vrai que nous avions déjà auditionné des attachés de défense de pays où existent des associations de militaires et nous avions pu constater des différences importantes avec par exemple un pays comme l’Allemagne où une grande majorité des militaires est, conformément à leur culture, syndiquée.

M. Alain Marleix, rapporteur. Nous avons choisi de concentrer nos observations sur l’Espagne et l’Italie dans la mesure où ce sont les deux pays qui disposent de forces militaires de sécurité intérieures comparables à notre gendarmerie nationale sous statut militaire, ce qui rend plus pertinent les comparaisons. Il n’existe pas de gendarmerie en Allemagne ou au Royaume-Uni.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. Le droit d’association en Espagne existe depuis 2007 pour la Guardia Civil, et depuis 2011 pour le reste des armées. En outre, il semble ne pas y avoir d’appétence particulière pour ces associations en Espagne.

M. Damien Meslot. Je souhaite revenir sur la manœuvre RH. Vous avez indiqué que plusieurs milliers d’emplois seraient préservés, ce qui est une bonne chose, mais vous n’avez pas parlé du financement de cette mesure. Or la réduction des effectifs avait été planifiée, précisément, dans le seul but de faire des économies. Aussi, ne peut-on craindre que ces moindres suppressions de postes aient pour conséquence des économies supplémentaires dans d’autres domaines, comme l’équipement des forces ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. Vous avez comme nous entendu les annonces du dernier Conseil de Défense qui a fixé des objectifs de moindre déflation et évoqué un financement complémentaire. Il est néanmoins trop tôt pour dire comment ces mesures seront traduites dans l’actualisation prochaine de la LPM.

Mme la présidente Patricia Adam. L’actualisation de la LPM comportera à la fois des aspects financiers et des dispositions relatives aux ressources humaines, y compris sur les conséquences à tirer des propositions du rapport Pêcheur. Je compte bien demander aux deux rapporteurs de continuer à travailler sur ce sujet et je pense qu’on peut leur faire pleinement confiance pour suivre ces thèmes attentivement.

M. Gilbert Le Bris. S’agissant de la révision des cibles de suppression de postes au ministère de la Défense, je souhaiterais savoir si vous disposez de chiffres sur la répartition de ces postes armée par armée et année par année. Pour ce qui concerne les arrêts de la CEDH, je ne partage pas l’appréciation de M. Marleix. Celle-ci a en effet rempli sa mission sur la base de règles que nous, politiques, avons fixées. La CEDH ne demande pas une syndicalisation dans les armées, mais elle reconnaît aux militaires le droit de s’organiser pour défendre leurs intérêts, ce qui ne revient pas au même. Je suis convaincu qu’il ne faut pas de syndicats dans l’armée française. Nous sommes en effet une grande Nation présente au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, et aucun autre membre de ce Conseil n’a autorisé la création de syndicats militaires. Il convient absolument d’évacuer cette notion de syndicat, dont personne ne veut dans les armées. Il reste le problème du droit d’association professionnel, sur lequel la France a longtemps refusé d’avancer. Que veut-on exactement ? Un droit d’association global, avec une seule association comme en Allemagne, ou un droit d’association par armée, voire plusieurs associations par armée ? Quelle serait selon vous la meilleure solution ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. 18 500 moindres déflations ont été annoncées et il sera nécessaire de renforcer de 11 000 hommes les effectifs de la force opérationnelle terrestre. Pour le reste, c’est le prochain comité exécutif du ministère et l’actualisation de la LPM qui fixeront la répartition des postes sauvegardés entre les différentes armées. Je note que certaines déflations sont déjà engagées pour 2015. Dans l’ensemble, les effectifs globaux du ministère de la Défense sont appelés à être stabilisés.

Quant aux associations professionnelles de militaires, il est envisagé de les autoriser mais de n’intégrer au conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) que celles qui rempliront certains critères de représentativité. Il conviendra donc de fixer ces critères, comme par exemple : qu’elles aient un nombre d’adhérents significatif, et qu’elles représentent l’ensemble des « couleurs d’uniforme » et l’ensemble des grades. Nous proposons par ailleurs de refuser que soient reconnues comme représentatives des associations qui seraient liées exclusivement à une seule armée – il s’agit d’éviter tout corporatisme.

M. Alain Marleix, rapporteur. S’agissant des arrêts de la CEDH, ils impliquent de respecter les éléments essentiels de la liberté d’association, qui sont détaillés dans notre rapport qui compte 150 pages. Le CSFM joue un rôle fondamental, mais il convient de ne pas oublier les sept conseils de la fonction militaire (CFM), lieux de concertation consacrés respectivement à l’armée de terre, à l’armée de l’air, à la marine nationale, à la gendarmerie, au service de santé des armées, au service des essences des armées et à la direction générale de l’armement. Quant à lui, le CSFM, présidé par le ministre de la Défense, est composé de 85 membres, dont 79 militaires en activité élus par les membres des sept conseils, et six représentants de militaires retraités qui entendent bien rester dans ces instances.

M. Alain Moyne-Bressand. Le système de liquidation des soldes des militaires fonctionne-t-il enfin ? Le climat dans les armées est-il redevenu plus serein après les remous provoqués par les dysfonctionnements de LOUVOIS ? Par ailleurs, je souhaiterais savoir si nous pouvons encore réfléchir longtemps sur les conséquences à tirer des arrêts de la CEDH ou s’il existe une date butoir.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. Compte tenu des délais très contraints dans lesquels nous devions vous présenter notre rapport, du fait de l’examen plus précoce que prévu du projet de loi d’actualisation de la LPM, nous avons considéré que le système LOUVOIS ne faisait pas directement partie des premiers sujets à traiter dans le cadre de notre mission sur la « manœuvre RH », d’autant plus que ce objet avait déjà été traité par Damien Meslot et moi-même lors une précédente mission d’information. Nous avons préféré axer notre travail sur la manœuvre des effectifs, le ciblage des moindres déflations et les arrêts de la CEDH. Nous avons toutefois posé une question relative à LOUVOIS lors de certaines auditions : il en ressort que ce système ne fonctionne toujours pas correctement et que le marché pour son remplacement a été attribué. C’est la seule information dont nous disposons à ce sujet.

En ce qui concerne les arrêts de la CEDH, s’il n’existe pas à proprement parler de date butoir pour réformer notre droit, il est prévu qu’un des articles du projet de loi d’actualisation de la LPM procède aux modifications nécessaires.

Mme la présidente Patricia Adam. Le texte a été présenté au Conseil des ministres de la Défense européens par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. À l’heure actuelle, ces arrêts définitifs s’imposent à nous dans la mesure où nous n’avons pas demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour.

M. Alain Marleix, rapporteur. Je voudrais insister sur l’élément important que constitue la représentativité. Il existe un problème vis-à-vis de celle-ci en Espagne bien que ce système soit connu et existe depuis plusieurs années. Ce dernier ne fonctionne pas bien car les membres de la Guardia Civil et les autres militaires ont marqué peu d’appétence pour les associations professionnelles. Or, le Gouvernement envisage d’établir à 2 % le critère d’audience retenu pour qu’une association soit reconnue représentative, ce taux devant passer progressivement à 5 %. Dans un corps comme la gendarmerie, qui compte plus de 100 000 hommes, cela suppose un nombre d’adhérents très conséquent.

M. Yves Fromion. Je voudrais tout d’abord féliciter les rapporteurs pour la qualité et la précision de leurs informations pour ce rapport délicat réalisé avec toute la mesure nécessaire dans ce type d’exercice. La révision des cibles d’effectifs de nos forces armées revient à s’éloigner du modèle d’armée établi par le Livre blanc et la LPM – il faut en effet rappeler que le plan de déflation initial avait pour conséquence, pour l’armée de terre, la suppression d’une brigade sur huit, ce qui n’est pas neutre. Savez-vous comment la révision des cibles de déflation s’articule avec nos modèles d’armées ? Par ailleurs, la mesure annoncée a des répercussions financières directes et immédiates : la presse avance par exemple que sur les 3,8 milliards d’euros supplémentaires alloués aux armées, 600 millions sont prévus pour l’année 2016 et 700 millions pour l’année suivante. Disposez-vous d’informations supplémentaires à ce sujet ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. Effectivement, l’actualisation de la LPM prendra en compte la définition du nouveau modèle d’armée de l’armée de terre, notamment pour répondre aux besoins de l’opération Sentinelle. Ce modèle sera présenté très prochainement. En outre, nous savons d’ores et déjà que la force opérationnelle terrestre a besoin de 11 000 hommes supplémentaires.

M. Alain Marleix, rapporteur. Le nouveau modèle de l’armée de terre sera présenté le 28 mai par son chef d’état-major à l’École polytechnique au cours d’une manifestation à laquelle seront certainement invités les membres de la commission. Par ailleurs, des mesures concrètes ont déjà été dévoilées, comme la création de deux divisions.

Mme la présidente Patricia Adam. Cette manœuvre porte le nom de « Au contact » et je vous invite tous à assister à cette présentation.

M. Philippe Vitel. En premier lieu, je constate que les capacités de nos armées ne dépendent pas uniquement du facteur « nombre » mais aussi du facteur « compétence ». Alors que la nouvelle manœuvre RH permet de préserver 18 500 postes qui devaient initialement faire l’objet d’une déflation, ces emplois devront apporter une réelle plus-value à nos forces armées. Or, cet apport de compétence a un coût qu’il convient de ne pas occulter dans nos réflexions.

Par ailleurs, ma question concerne la cyberdéfense. La France mène dans ce domaine une politique exemplaire, qui se traduit notamment par un plan de recrutement important en faveur notamment de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Avons-nous les moyens de ce recrutement nécessitant une très forte compétence et parvenons-nous à trouver des profils suffisamment qualifiés pour ce type de postes ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. Lors de l’audition du directeur des ressources humaines du ministère de la Défense, nous avons pu faire le point sur les difficultés de recrutement, notamment dans le domaine de la cyberdéfense. En la matière, la principale difficulté rencontrée par l’État tient au niveau de rémunération qu’il peut offrir, et qui reste relativement faible au regard du niveau de compétences des candidats potentiels, car très encadré par les grilles de la fonction publique. Le ministère se heurte ici à la concurrence du secteur privé qui offre des salaires nettement supérieurs. La difficulté tient donc davantage aux conditions salariales qu’à un manque de compétences sur le marché.

M. Daniel Boisserie. Il me semble que nous sommes tous ici des Européens mais je ne suis pas loin de penser comme Alain Marleix qu’il eût été plus urgent que l’Europe s’attelle à des sujets tels que les droits sociaux, le temps de travail, les charges sociales, etc., toutes initiatives dont la France aurait pu attendre des retombées positives.

Avez-vous senti chez vos interlocuteurs espagnols un enthousiasme pour ces droits nouveaux ? La Guardia civil vous semble-t-elle heureuse de disposer du droit de former des syndicats ou des associations et quels sont aujourd’hui les points positifs et les points négatifs ?

Pensez-vous par ailleurs qu’une harmonisation puisse un jour aboutir dans cette Europe très disparate où les fonctionnaires n’ont pas le droit de se présenter à un mandat électif dans certains pays alors que les militaires y sont autorisés dans d’autres ?

M. Alain Marleix, rapporteur. Il serait faux de dire que nous avons ressenti l’enthousiasme que vous mentionnez. L’affiliation à une organisation politique ou un syndicat national étant autorisée en Espagne, il existe dans la Guardia civil une association liée au parti Podemos dont les valeurs peuvent sembler en contradiction avec celles de la Guardia civil, laquelle s’interroge d’ailleurs sur son devenir. J’ai le sentiment que ce corps souhaiterait être dirigé par un militaire à l’instar de la gendarmerie française, regardée avec quelque envie, mais il s’agit là de politique intérieure espagnole.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. On compte à ce jour une minorité de militaires et de membres de la Guardia civil adhérents de ces associations qui sont, nous a-t-on dit, souvent « infiltrées » par des syndicats, voire des partis politiques, qui exercent une influence marquée.

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La commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport d’information sur l’état d’avancement de la manœuvre des ressources humaines du ministère de la Défense et les conséquences des arrêts de la CEDH du 2 octobre 2014 en vue de sa publication.

La séance est levée à dix heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, Mme Danielle Auroi, M. Frédéric Barbier, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Malek Boutih, Mme Isabelle Bruneau, M. Laurent Cathala, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, Mme Marianne Dubois, Mme Geneviève Fioraso, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Edith Gueugneau, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. François Lamy, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Frédéric Lefebvre, M. Christophe Léonard, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Alain Rousset, M. Stéphane Saint-André, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Claude Bartolone, M. Nicolas Bays, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Jean-David Ciot, M. Lucien Degauchy, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Laurent Kalinowski, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. Eduardo Rihan Cypel, M. François de Rugy