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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 30 mars 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 42

Présidence de M. Philippe Nauche, vice-président

— Audition de Mme Anne-Sophie Avé, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense

— Examen pour avis, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du Traité de l’Atlantique Nord (n° 3578) (Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis).

La séance est ouverte à neuf heures trente.

M. Philippe Nauche, président. Je suis heureux d’accueillir Mme Anne-Sophie Avé, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense.

S’il s’agit de votre première audition, après votre prise de fonction en janvier, votre prédécesseur était devenu en quelque sorte un habitué de notre commission. Il est vrai que ce qu’il est convenu d’appeler la « manœuvre RH » constituait l’un des éléments importants de la loi de programmation militaire (LPM). Elle l’est toujours depuis son actualisation, qui prévoit désormais des déflations dans des proportions bien moindres, et avec l’annonce par le président de la République de la fin des suppressions de postes. Aussi a-t-il paru nécessaire de vous entendre pour faire un point sur les enjeux du ministère en matière de ressources humaines.

Mme Anne-Sophie Avé, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense. Je vous remercie très sincèrement de m’accueillir au sein de votre commission. J’ai eu l’occasion, de façon plus informelle, de rencontrer plusieurs de ses membres dans le cadre de mes précédentes fonctions, et pu apprécier l’acuité de leurs connaissances sur les questions de défense. C’est donc avec une certaine émotion que, deux mois et demi après ma prise de fonction, je reviens devant vous qui êtes à la fois des spécialistes et des passionnés de ces sujets. Je tenterai de répondre à vos questions de la manière la plus précise possible et, si tel n’était pas le cas, je vous ferais transmettre dans les plus brefs délais les compléments d’information dont vous auriez besoin.

Je vois dans votre invitation à venir vous rencontrer une preuve de plus de l’attention et de l’intérêt que vous portez aux hommes et femmes de la défense – et je crois qu’ils en sont bien conscients –, hommes et femmes sans qui la France n’aurait ni l’histoire, ni le statut international qui sont les siens, et sans qui l’État ne pourrait aujourd’hui assurer la sécurité de ses concitoyens.

J’y vois aussi une occasion privilégiée d’évoquer avec vous la mission qui m’a récemment été confiée à la tête de la direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD).

J’y vois enfin une opportunité. Celle de vous présenter les grands enjeux de gestion actuels des ressources humaines du ministère : la situation de ses effectifs, la « manœuvre RH » en cours, à la suite de l’actualisation de la loi de programmation militaire et après les attentats du 13 novembre 2015, ainsi que la nécessaire complémentarité des personnels du ministère, civils et militaires, qui constituent notre communauté de défense.

Commençons donc par quelques rappels sur le rôle et les missions de la DRH-MD. Cette direction est tout d’abord composée de 3 800 collaborateurs, civils et militaires, au service de près de 300 000 personnels dans la plupart des dimensions de leur vie et de leur carrière – j’y reviendrai. Je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour rendre hommage à ces collaborateurs qui œuvrent au quotidien pour soutenir les hommes et les femmes de la défense, collaborateurs dont le rôle est souvent méconnu.

Dans un environnement complexe, où la situation internationale et la sécurité de nos concitoyens sur le territoire national font l’objet de menaces plus vives que jamais, la ressource humaine de la défense est essentielle et précieuse. La mission de la DRH-MD est donc fondamentale, et exigeante. Depuis qu’elle a été investie, en 2013, d’une « autorité fonctionnelle renforcée » qui a affermi son pilotage de la gestion des ressources humaines des armées, directions et services du ministère, la DRH-MD a entrepris de rénover la gouvernance des ressources humaines en associant, dans une logique que l’on pourrait qualifier de « transverse », la définition de l’organisation des armées, directions et services, le suivi des effectifs et la maîtrise de la masse salariale. C’est cette nouvelle gouvernance qui assure, aujourd’hui, la cohérence globale de la politique de recrutement, d’avancement et d’aide au départ conduite par le ministère. C’est cette nouvelle gouvernance qui permet à la DRH-MD de coordonner la politique des ressources humaines du ministère et de satisfaire aux besoins exprimés par les armées, directions et services.

Dans une organisation « matricielle » dans le vocabulaire de l’ingénierie administrative, la DRH-MD a mis en place des contrats d’objectifs, passés entre les « employeurs » (les armées, directions ou services) et les gestionnaires des ressources humaines, en vue de prioriser les besoins. Dans ce cadre, chaque employeur fait état de besoins en compétences, par exemple dans le domaine de la cyberdéfense, un métier sous tension ; et, constatant la rareté de la ressource, il appartient alors à la DRH-MD d’inciter les employeurs à hiérarchiser ces besoins.

Dans l’exercice de son autorité fonctionnelle renforcée (AFR), la DRH-MD veille aussi à la viabilité et à la soutenabilité des maquettes « cibles » à cinq ans qu’élaborent les employeurs pour définir ce que sera à moyen terme leur organisation, c’est-à-dire l’architecture de leurs services. Le rôle de la DRH-MD consiste alors à vérifier que ces maquettes ne prévoient pas, pour les personnels de certains grades ou de certaines catégories, un effectif qu’il serait matériellement impossible de fournir à cette échéance ou de faire vivre ensuite. Une fois construites de façon réaliste, ces maquettes nous donnent une visibilité à cinq ans, indispensable pour mettre en place la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), structurer les parcours de formation ou adapter les dispositifs de recrutement.

Enfin, c’est aussi dans le cadre de cette « AFR » que la DRH-MD a mis en place un référentiel unique et partagé des métiers, le « référentiel des emplois ministériels » (REM), qui nous permet de passer d’une logique de gestion de statuts à une logique de gestion de compétences. Dans ce cadre, des « comités de coordination des familles professionnelles » réunissent les gestionnaires et les employeurs autour de réflexions sur les métiers, leur attractivité, les ressources correspondantes, en particulier les compétences rares ou très concurrencées. Plusieurs groupes de travail existent déjà au sein du ministère pour les familles « achat », « finances », « nucléaire », « systèmes d’information et de communication – SIC », « renseignement ».

Toujours dans le cadre de cette autorité fonctionnelle renforcée grâce, d’une part, à la nouvelle architecture budgétaire qui a confié aux gestionnaires des ressources humaines les crédits de titre 2 auparavant dévolus aux employeurs, d’autre part, à un dialogue renforcé entre gestionnaires et employeurs, la DRH-MD pilote la gestion des effectifs et la masse salariale. C’est ce qui nous a permis de « tenir » le titre 2 depuis deux ans ‒ c’est-à-dire de ne pas dépasser la masse salariale prévue par les lois de finances ‒ et de remplir les obligations qui sont celles d’un ministère exemplaire, gérant de façon responsable les moyens comptés qui lui sont accordés. Je crois que nous pouvons nous en féliciter, ce que je fais d’autant plus facilement que je n’occupais pas encore mes fonctions actuelles, il y a deux ans !

Je l’évoquais au début de mon intervention – et c’est là une spécificité du ministère de la Défense –, c’est tout au long de leur carrière que la DRH-MD accompagne les personnels, civils comme militaires, depuis leur recrutement jusqu’à leur départ de l’institution. Elle le fait bien entendu dans le respect des cultures et des logiques de milieux, très prégnantes dans nos armées, et constituant même une grande part de leur identité, mais elle le fait aussi en cherchant à mutualiser ce qui peut l’être, dans une logique de subsidiarité.

La DRH-MD participe ainsi à l’organisation de la formation des personnels. Elle copréside avec l’état-major des armées (EMA) le comité de coordination de la formation, qui détermine les politiques de formation, les mutualisations possibles, l’adaptation des contenus pédagogiques aux besoins professionnels, les outils, les moyens, etc. À travers les comités de coordination des familles professionnelles que j’évoquais précédemment, la DRH-MD pilote également l’élaboration des parcours professionnels de transverses.

Ma direction veille aussi aux conditions de travail et de vie des personnels en mettant en œuvre des politiques de prévention – en matière de santé et de sécurité au travail –, et en élaborant des indicateurs et des objectifs en matière d’égalité professionnelle. Comme vous le savez, le ministre a signé avec les organisations syndicales un protocole sur l’égalité professionnelle le 16 décembre dernier.

En outre, et c’est une spécificité du ministère de la Défense, nous consacrons chaque année un budget important à l’action sociale pour accompagner et soutenir les familles au quotidien, en particulier pendant l’absence du conjoint militaire projeté en opération extérieure ou mobilisé sur le territoire national. Ce budget s’est élevé à près de 180 millions d’euros en 2015. Vous savez que la suractivité actuelle ‒ on pourrait même parler de surchauffe opérationnelle ‒ impose un accompagnement social tout particulier ; le président de la République l’a rappelé lors de ses vœux aux forces armées le 14 janvier dernier, et nous nous y attachons.

La DRH-MD s’attache aussi, comme vous le savez à la reconversion des personnels de la défense, terme qui n’est pas très heureux et auquel je préfère celui « d’accompagnement vers une seconde carrière réussie ». La DRH-MD dispose pour cela d’un outil remarquable, Défense Mobilité, qui accompagne également les conjoints de nos personnels dans leur recherche d’emploi. C’est un domaine dans lequel le ministère de la Défense est exemplaire, mais où il va poursuivre ses efforts, en particulier en direction des militaires du rang actuellement recrutés en masse pour les besoins de l’armée de terre, surengagée sur le territoire national et en OPEX, et en direction des personnels civils non titulaires. Ce dispositif d’accompagnement est, aussi, un véritable levier d’attractivité pour notre ministère.

Enfin, dans le cadre de son autorité fonctionnelle renforcée, la DRH-MD participe à la modernisation de l’État en développant de nouveaux processus de transformation de la gestion des ressources humaines : des systèmes d’information agiles, comme Source Web, des processus de dématérialisation de l’information, avec des coffres-forts électroniques, ou des dispositifs de sécurisation des données personnelles. Bien sûr, nous devons aussi corriger certaines erreurs du passé, comme le logiciel Louvois, que vous ne connaissez que trop bien, et qui reste encore aujourd’hui un fardeau qu’il nous faut gérer tout en avançant, lentement mais sûrement, dans la conception du logiciel qui le remplacera : Source Solde.

Satisfaire les besoins des armées, piloter les effectifs et la masse salariale, rénover la gouvernance, accompagner le personnel, participer à la modernisation de l’État, tout cela renvoie à la « manœuvre RH » que je dois aujourd’hui conduire, en liaison avec les armées.

Si j’avais à la définir, je dirais qu’il s’agit d’une manœuvre de stabilisation. Les événements dramatiques que nous vivons ont eu pour conséquence une prise de conscience générale des ressources nécessaires à notre pays pour faire face aux menaces qui pèsent sur lui et sur nos concitoyens. La lutte contre le terrorisme nécessite en effet des moyens matériels et humains importants, sur le territoire national comme sur les théâtres d’opérations extérieures où nous intervenons pour détruire ceux qui veulent voir nos modes de vie et nos sociétés disparaître.

C’est pour cette raison que, devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre dernier, le président de la République a annoncé sa décision de renoncer aux suppressions de postes au sein du ministère de la Défense. Ce sont ainsi environ 10 000 suppressions de postes encore prévues sur la période 2017-2019 qui devraient être redéployées, conformément à la volonté du président de la République, au profit des unités opérationnelles et de leurs soutiens, de la cyberdéfense et du renseignement. Sans cet effort dont nous mesurons l’importance, la lutte que mènent nos armées et leur engagement en France et hors de France ne pourraient être soutenus dans la durée.

Concrètement, comment cette manœuvre de stabilisation va-t-elle s’organiser ?

Elle va d’abord se traduire par la création de nouveaux emplois dans des domaines indispensables pour prendre l’ascendant sur l’adversaire : plus de 5 000 emplois au profit des forces opérationnelles ; plus de 1 000 emplois dans les fonctions de renseignement et de cyberdéfense ; plus de 1 500 emplois pour assurer le soutien de ces personnels supplémentaires, créés notamment au sein du service du commissariat des armées, du service de santé des armées et du service d’infrastructures de la Défense, trois services très mobilisés pour le soutien opérationnel et dont nous avons pu constater qu’en cas d’urgence ils sont autant mobilisés que les unités directement opérationnelles.

Cette manœuvre va également s’attacher à préserver le soutien de nos forces dans le nouveau contexte opérationnel où nous évoluons en renonçant à certaines suppressions qui étaient programmées. Tel est, par exemple, le cas dans le domaine du maintien en condition opérationnelle, avec le maintien en poste ou le recrutement de 1 400 ouvriers de l’État.

Parce que cette manœuvre de préservation de postes de soutien opérationnel et de création de postes dans le domaine de la protection, de la cyberdéfense et du renseignement doit s’effectuer à effectifs constants, elle va encore nécessiter, par « effet de ciseau », la poursuite d’une manœuvre de transformation contraignante, qui justifie le maintien de mesures d’accompagnement spécifiques, et en particulier du plan d’aide aux restructurations. Il en va de notre capacité à recruter et donc, in fine, à générer les forces.

Dans le cadre de la « manœuvre RH », nous poursuivrons l’effort de « dépyramidage infra-catégoriel » concernant le groupe de grade de colonel / lieutenant-colonel. Cet effort vise à respecter nos objectifs de maîtrise de la masse salariale. Il vise aussi à permettre le recrutement de jeunes officiers sous contrat, nécessaires en particulier pour l’encadrement de contact de la force opérationnelle terrestre (FOT) comme pour les nouvelles missions de défense. En tout état de cause, nous devons à ces cadres de haut niveau que sont ces colonels et lieutenants-colonels de les accompagner dignement vers une seconde carrière réussie ; il nous appartient de valoriser leurs compétences vis-à-vis de l’extérieur.

La « manœuvre RH » concernera le personnel militaire, pour 8 000 postes environ, comme le personnel civil, de l’ordre de 2 000 postes. Bien entendu, on ne peut pas se cantonner à des approches arithmétiques de ces mouvements d’effectifs ; néanmoins, il est important de s’assurer que la proportion civils / militaires ne pâtisse pas outre mesure de cette manœuvre, et que l’on applique de façon équitable les objectifs définis par le Livre blanc et la LPM, au respect desquels je vous sais attentifs.

Dans le cadre de cette « manœuvre RH », le recrutement est en enjeu majeur. Il est indispensable à nos armées, directions et services pour remplir leurs missions. Le financement des recrutements, des équipements, de la formation, devra bien sûr être assuré conformément aux objectifs de la LPM. Mais les conditions de réalisation de ces recrutements restent complexes.

Complexe tout d’abord au plan quantitatif car, sur la période 2017-2019, il nous faut augmenter les effectifs de près de 6 800 militaires du rang et sous-officiers de plus que ce qui était prévu par la LPM, pour assurer les missions opérationnelles et leur soutien. Ce sont aussi plus de 700 officiers et 400 civils de catégorie A de plus que prévu qui seront nécessaires au bon fonctionnement de services spécialisés et des unités de haute technologie dans le domaine de l’armement, de la cyberdéfense, du renseignement, de la conception des opérations terrestres, navales ou aériennes. Par ailleurs, il conviendra de maintenir un flux de recrutement significatif d’ouvriers de l’État – de l’ordre d’environ 400 recrutements par an – afin de préserver les compétences critiques dont le ministère a impérativement besoin, notamment dans le domaine du maintien en condition opérationnelle en particulier l’aéronautique.

Tel est l’objet des efforts menés par la DRH-MD pour permettre le recrutement des personnels militaires et civils. Cette année, ce sont 26 000 jeunes qui vont rejoindre le ministère de la Défense – nous serons le troisième recruteur de France, après Carrefour et McDonald’s… Ces jeunes rejoindront le ministère non seulement en tant que militaires d’active mais aussi en tant que réservistes – comme vous le savez, l’objectif est de passer de 28 000 à 40 000 réservistes d’ici fin 2017 pour permettre le déploiement de 1 000 réservistes par jour sur le territoire national –, ou en tant que personnels civils.

S’agissant du recrutement des personnels civils, je souhaite souligner devant vous toute son importance. Trop souvent, l’opinion publique associe la défense au seul statut militaire, or le ministère recrute chaque année près de 3 000 personnels civils, qui viennent remplacer des départs ou apporter des compétences nouvelles. Sans ces recrutements, des pans entiers du soutien ne seraient plus assurés, notamment dans le domaine de la maintenance.

Pour recruter ces personnels, il convient donc de veiller avec une extrême attention à la qualité de notre communication, à l’instar de ce que les armées réalisent de manière très professionnelle pour le personnel militaire – vous avez pu le constater à l’occasion des dernières campagnes de recrutement, qui sont remarquables. De plus, il convient de proposer aux candidats potentiels des statuts et / ou des régimes indemnitaires attractifs, comme le permet par exemple le statut des ouvriers de l’État dans certains domaines techniques.

Cela suppose que l’État se dote d’une véritable politique d’emploi des agents non titulaires, lui permettant d’être concurrentiel sur le marché du travail pour certaines spécialités où le vivier de candidats potentiels est limité. Cela suppose que l’État assure une certaine cohérence et une certaine lisibilité entre les politiques salariales des différents ministères, pour éviter la concurrence interministérielle pour des compétences rares – a fortiori depuis la mise en place du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP), qui permet aux agents et aux postulants de se comparer à compétences et grades égaux entre les ministères. Cela suppose aussi que l’État propose aux ministères des outils permettant, dans le respect du statut général des fonctionnaires, de favoriser la mobilité des personnels civils. Tout cela est précisément le rôle qui revient désormais à la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) en tant que « DRH de l’État ».

Au-delà du volet quantitatif de cette « manœuvre RH », il convient aussi de veiller à la qualité des personnels recrutés. Le processus de sélection des officiers et des sous-officiers est rigoureux, que ce soit au regard de leur niveau de recrutement dans les écoles ou à la suite de la sélection exigeante dont ils font l’objet, au titre de leurs états de service, des formations qu’ils suivent ou de la validation de leurs acquis de l’expérience. Il faut toutefois rester vigilant s’agissant des militaires du rang que nous recrutons aujourd’hui massivement. Rester vigilant, d’abord, parce que les restrictions du statut militaire peuvent apparaître contraignantes au regard des attentes des jeunes générations et des évolutions de la société. Rester vigilant, ensuite, parce qu’être militaire du rang aujourd’hui, c’est faire preuve d’une totale disponibilité, d’un engagement qui ne permet pas toujours un équilibre entre vie privée et vie professionnelle tel que cette génération s’estime en droit de l’attendre, et ce malgré les efforts que nous faisons.

Le taux de sélection d’environ deux dossiers « utiles » pour un recrutement est un seuil en deçà duquel il ne faut pas descendre, même si ce taux est très variable selon les armées et selon les armes.

Un autre enjeu majeur de la qualité du recrutement est l’attractivité du ministère. Comme je l’ai évoqué, certains métiers et certaines compétences sont rares ou « en tension ». Or le ministère de la Défense, comme d’autres d’ailleurs, entre en concurrence avec les entreprises privées dans le domaine des systèmes d’information, de la cyberdéfense, du maintien en condition opérationnelle aéronautique, de l’audit ou encore des finances. J’évoquais les rigidités du statut général car, comme vous le savez, les ministères ne peuvent recourir aux contractuels que lorsqu’il n’existe pas de corps de fonctionnaires correspondant à une spécialité. C’est donc à ce titre que le ministère de la Défense se bat pour préserver les statuts particuliers, lorsqu’ils existent et ont fait la preuve de leur attractivité : tel est par exemple l’objet du combat que nous menons aujourd’hui en faveur du statut spécifique des ouvriers de l’État, que j’évoquais précédemment. Tel est également l’objet de notre action en faveur des ingénieurs d’études et de fabrication (IEF) que nous souhaitons voir bénéficier du grade à accès fonctionnel (GRAF), dispositif qui permet à des agents ayant occupé pendant un certain temps des emplois fonctionnels bien précis ou exercé des fonctions correspondant à un niveau de responsabilités élevé d’accéder à un grade supérieur.

Nous souhaitons aussi nous assurer du niveau de qualification des personnels que nous recrutons, et ce, tout au long de leur carrière. Tel est l’objet de nos critères d’incorporation, au moment du recrutement, ainsi que des actions de formation dispensées, tout au long de la carrière, y compris aux personnels civils qui bénéficient du droit individuel à la formation (DIF). Tel est aussi l’objet des parcours professionnels proposés par les armées aux personnels militaires comme civils ou des actions de la défense en faveur de la validation des acquis de l’expérience (VAE) – Défense Mobilité a d’ailleurs mis en place un guichet unique pour rassembler l’ensemble des informations nécessaires à la validation de ces acquis de l’expérience. Enfin, telle est la logique de la gestion dite « en flux » des personnels du ministère, où les départs permettent le renouvellement continu des compétences et assurent la jeunesse des personnels, nécessaire à l’exercice du métier des armes. C’est au titre de cette logique de flux que s’explique le recours massif du ministère de la Défense au statut contractuel pour le personnel militaire comme pour le personnel civil. C’est aussi dans ce contexte que les leviers d’aide au départ consentis au ministère trouvent toute leur signification, et que nous souhaitons vivement qu’ils soient conservés, y compris après 2019. C’est enfin dans le but de réaliser cet objectif que la DRH-MD a développé l’ensemble des services de l’agence Défense Mobilité.

S’agissant des populations qui servent au ministère de la Défense, je sais que vous avez à l’esprit l’équilibre qu’il doit y avoir entre les personnels civils et les personnels militaires, équilibre qui est justifié par le souci d’assurer une juste complémentarité entre civils et militaires. Au quotidien, la complémentarité entre ces deux catégories de personnels est une réalité : ils travaillent main dans la main. Mais rien n’est jamais acquis, et les enquêtes statistiques montrent que chacun observe avec attention le statut de l’autre, et porte des appréciations dessus. L’évolution des effectifs, généralement à la baisse ces vingt dernières années, ainsi que l’évolution des règles statutaires ou des rémunérations, constituent aussi autant d’occasion, pour ces deux catégories, de se comparer. L’un des grands combats de la DRH-MD et du ministère est donc, à ce titre, de s’assurer que les dispositifs mis en place pour les personnels civils le soient également pour les militaires. C’est ce que rappelle régulièrement le haut comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM). C’est aussi un combat permanent que mène la DRH-MD au niveau interministériel : c’est ainsi qu’elle a travaillé sans relâche à l’alignement de la rémunération des militaires du rang sur le SMIC, ou à la définition d’un équivalent de la catégorie A+ pour les militaires. C’est aussi l’attention et les travaux que se propose d’engager le DRH-MD avec les armées en faveur de la place des personnels civils au ministère de la Défense.

Je pourrais également vous parler, si vous le souhaitez, du travail de la DRH-MD sur le handicap physique et psychique, sur l’égalité professionnelle ‒ puisqu’il m’échoit désormais d’être le Haut fonctionnaire à l’égalité des droits ‒, et sur la mobilité du personnel civil.

Pour conclure, j’aimerais partager avec vous certaines réflexions et certaines convictions de la DRH-MD.

Tout d’abord, que la force de nos armées réside dans la juste reconnaissance de la qualité et de la complémentarité des personnels. C’est notre devoir que de veiller à l’équité de traitement, à compétences égales, de tous les personnels, et ce non seulement entre civils et militaires, mais aussi entre militaires de toutes les armées et de tous les services – au ministère de l’Intérieur, au ministère de l’Écologie qui emploie des militaires aux affaires maritimes, et au ministère de la Défense. La DRH-MD est en effet la garante et la gardienne de l’unicité du statut militaire.

Ma seconde conviction est que le système d’autorité fonctionnelle renforcée de la DRH-MD sur l’ensemble de la chaîne de gestion des ressources humaines est arrivé à maturité. Le renouvellement de la gouvernance des ressources humaines et l’intensification du dialogue entre employeurs et gestionnaires permettent désormais à la DRH-MD de satisfaire les besoins des armées, contribuant ainsi très concrètement à la réalisation des missions qui leur sont confiées.

Troisième idée : nous comptons sur la DGAFP pour nous aider à faire reconnaître par l’État les spécificités du personnel militaire et de ses statuts, comme l’évolution des besoins des personnels civils. Il faut qu’elle définisse une politique interministérielle de recrutement et de rémunération qui nous permette d’éviter une concurrence interministérielle entre recruteurs publics.

Enfin, la quatrième conviction que je tiens à exposer devant vous tient au soutien que vous pouvez nous apporter, vous, représentants élus de la Nation. En effet, les changements de format des armées de ces dernières années ont exigé la création de leviers spécifiques pour accompagner les restructurations : le « pécule » proposé aux militaires pour les inciter à quitter l’institution ; la « pension afférente au grade supérieur » qui permet aux militaires acceptant de quitter l’institution de bénéficier d’une pension plus attractive ; la « promotion fonctionnelle » qui permet à un militaire d’obtenir une promotion conditionnée à un engagement à quitter le ministère après quelques années, et les indemnités de départ volontaire proposées aux personnels civils. Néanmoins, renoncer à 10 000 suppressions de postes ne signifie pas pour autant une sorte d’« arrêt sur image », c’est-à-dire un arrêt de la « manœuvre RH » : celle-ci continue. Par conséquent, ne serait-ce que pour atteindre les modèles d’armées définis par la LPM, poursuivre le plan stratégique « SSA 2020 » qui définit la transformation et la modernisation du service de santé des armées, poursuivre la réforme des chaînes de gestion des ressources humaines, nous avons encore besoin de ces outils d’aide au départ qui sont indispensables pour réaliser les recrutements dont le ministère a besoin. Enfin, pour préparer l’avenir, nous souhaiterions bien entendu que les dispositions annoncées par le président de la République puissent être inscrites dans une disposition législative et, idéalement, dans une sorte d’actualisation de l’actualisation de la loi de programmation militaire.

M. Olivier Audibert Troin. Vous avez évoqué l’arrêt de la déflation des effectifs et les nouveaux recrutements, particulièrement pour compléter les effectifs de la force opérationnelle terrestre. Nous savons que vos services sont saturés, et on nous dit que le dispositif de recrutement et de formation ne peut prendre en charge que 5 000 recrutements supplémentaires par an par rapport à ce qui était prévu. Aussi, envisagez-vous de renforcer les moyens attribués à la chaîne de gestion des ressources humaines du ministère ?

Vous avez évoqué le recrutement d’ouvriers de l’État, qui avait été abandonné car trop onéreux. Pouvez-vous nous donner les raisons de l’inflexion de cette politique ?

Par ailleurs, s’agissant de ce que l’on appelle le « dépyramidage » des effectifs, particulièrement pour les colonels et lieutenants-colonels, pourriez-vous apporter des précisions ?

Enfin, puisque vous avez souligné que la DRH-MD est la garante de l’unicité des statuts militaires, quel est l’état de vos réflexions sur les mesures d’harmonisation statutaire et indemnitaire envisageables entre les opérations intérieures et les opérations extérieures ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. J’aimerais vous poser quelques questions au sujet de Louvois et Source Solde car dans le cadre de la mission que nous menons avec mon collègue Damien Meslot, nous avons pu constater que les erreurs de Louvois provenaient à la fois des dysfonctionnements du calculateur mais aussi d’anomalies dans les données des systèmes d’information de gestion des ressources humaines (les SIRH). Or, Louvois ne filtrait pas ces anomalies. Nous avons auditionné la semaine dernière les dirigeants de la société Sopra Steria, qui ont affirmé que Source Solde bloquerait toutes les anomalies. Or, c’est un travail considérable qui devra être fait pour analyser les données et corriger ces anomalies. Quels sont les méthodes et les moyens humains que vous allez employer pour réaliser ce travail, nécessaire afin que les données soient fiables au moment où entrera en fonction le logiciel Source Solde, en 2017 ?

M. Jean-David Ciot. Ma question porte sur la mise en place de Source Solde et notamment sur les garanties en matière de sécurité des données. En effet, la mission en charge de piloter la mise en œuvre de Source Solde s’est vue assigner des objectifs très clairs, mais on peut imaginer qu’il en était de même pour les responsables du déploiement de Louvois… Or, le ministère a une véritable obligation de résultat dans l’atteinte des objectifs de qualité du service rendu. Comment faire pour que l’on n’en vienne pas à constater d’éventuels dégâts à la fin ? Pourra-t-on évaluer le fonctionnement du logiciel et par conséquent les éventuels désordres mois par mois ?

M. Daniel Boisserie. Madame la directrice, le dispositif des conventions de partenariat de la défense, avec les entreprises comme avec le secteur public, vous donne-t-il satisfaction ? Vous connaissez bien les contraintes qui pèsent sur les employeurs dont le personnel est réserviste. Ne pourrait-on pas aller vers des mesures plus incitatives en faveur des employeurs dans ce domaine ?

Mme Anne-Sophie Avé. Pour le recrutement, l’armée de terre a fait preuve d’une incroyable efficacité, lorsqu’il a fallu se mettre en ordre de bataille. Elle a en effet été capable de recruter par des redéploiements d’effectifs au sein des centres d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA), et de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour recevoir les dossiers, les analyser, et soumettre les candidats aux tests d’aptitudes. Cela prouve que l’armée de terre est aujourd’hui capable d’assurer ces recrutements.

Pour montrer sa capacité à s’adapter à ses missions et à leurs contraintes, et à déployer ses moyens là où ils sont nécessaires, je prendrais volontiers un exemple échappant un peu au domaine du recrutement : la mise en place du service militaire volontaire, ou SMV. Alors que la création de ce dernier a été annoncée en février 2015 par le président de la République, puis votée en juillet suivant, le premier centre SMV était opérationnel dès le mois de septembre 2015. Je vous invite d’ailleurs à vous rendre dans l’un des centres du SMV à Metz, à Brétigny ou à La Rochelle pour visiter ce remarquable dispositif. Mettre en place un tel dispositif dans des délais aussi restreints, c’est assez incroyable.

Au sujet des ouvriers de l’État, vous savez que le ministre est particulièrement attaché à ce statut. Certes, alors qu’il devait bénéficier à des personnels possédant des compétences rares, ce statut extrêmement coûteux, comme vous le dites, a peu à peu été étendu à des personnels exerçant des métiers qui ne le justifiaient pas : secrétariat, jardinage. Est-il pour autant totalement injustifié ? Au contraire il faut en effet garder à l’esprit que dans certains domaines, comme le maintien en condition opérationnelle, les compétences sont rares et que, pour les recruter, la concurrence est vive entre l’État et le secteur privé. Or, aucun statut de la fonction publique ne permet au recruteur public de s’aligner sur les conditions d’embauche et les parcours de carrière offerts, par exemple, par l’industrie de défense. Par ailleurs, une fois recrutés, il nous faut aussi les conserver, car seuls ces personnels expérimentés peuvent permettre d’entretenir un dialogue intelligent avec les entreprises prestataires du maintien en condition opérationnelle. On ne peut pas, en effet, par exemple, se laisser dire par une entreprise du MCO aéronautique qu’une pièce est à changer, quand on pourrait la réparer : or, nos ouvriers de l’État connaissent parfaitement le matériel sur lequel ils travaillent.

Il faut, aussi, bien évaluer le coût réel du statut d’ouvrier de l’État. Si ce statut a en effet un coût en matière de dépenses de personnels (dites de titre 2) à court terme, c’est un coût que nous récupérons à long terme par les économies que nous réalisons sur dépenses de maintien en condition opérationnelle grâce à leur expertise dans le dialogue avec les entreprises prestataires : il en va de la crédibilité du ministère. Il faut aussi accepter l’idée que si nous devions mettre en place, pour la catégorie de personnels concernés, un autre statut attractif, il coûterait tout aussi cher. S’agissant du régime de pension de retraite des ouvriers de l’État, qui agace au regard de son coût, il faut enfin garder à l’esprit que ce régime contribue à l’attractivité du ministère pour les personnels concernés : c’est ce qui nous permet d’attirer les meilleurs et surtout de les garder.

S’agissant du « dépyramidage infra-catégoriel » des effectifs, aucun objectif chiffré n’est fixé par la LPM. Notre démarche consiste à repérer les personnels éligibles à une aide au départ, et qui ont le plus de chances d’avoir une seconde carrière réussie en dehors du ministère. Elle vise aussi à rationaliser ce que l’on appelle de façon peu élégante des « stocks » de personnels qui ne progresseront plus en grade : à l’évidence, on ne créera pas autant de généraux que nous avons de colonels. Il vaut donc mieux qu’on aide le plus tôt possible les personnels concernés à valoriser leurs compétences. Nous avons d’ailleurs des cas de reconversions très réussies, ce qui constitue le meilleur des exemples pour les autres personnels concernés, même si leur nombre est encore difficile à connaître avec précision, car il résulte autant de départs « naturels » que de décisions individuelles. Ainsi, certaines aides au départ peuvent représenter un effet d’aubaine mais ni plus ni moins que certaines indemnités de départ volontaire, ce qui peut se comprendre lorsque la conjoncture économique est faite plus d’incertitude que de garantie d’emploi.

Pour ce qui est de l’unicité du statut, on entend par « statut militaire » l’application des mêmes règles pour l’ensemble des militaires. Ce statut est constitué de l’ensemble des droits et des obligations qui s’appliquent aux personnels. À ce titre, la comparaison des régimes respectifs des OPEX et des opérations intérieures ne constitue donc pas stricto sensu une question touchant à l’unicité du statut militaire. S’il existe des dispositions juridiques exorbitantes du droit commun pour les personnels engagés en OPEX, car être « projeté » sur un théâtre d’opérations extérieures au péril de sa vie constitue des conditions très spécifiques pour les militaires, et que pour l’application de ces dispositions, une OPEX doit être décidée par le président de la République et définie dans le temps et l’espace par un arrêté interministériel (dont le détail n’est d’ailleurs pas publié, comme vous, législateurs, l’avez souhaité, afin que restent confidentiels les territoires limitrophes de la zone d’intervention principale, territoires sur lesquels nous pourrions avoir à opérer), à l’inverse, les opérations intérieures n’ont pas de définition juridique aussi précise que les OPEX. Dès lors que c’est au quotidien que des forces de sécurité opèrent sur le territoire national, définir les bornes temporelles d’une opération est complexe ; en outre, pourquoi Sentinelle serait-elle assimilée à une opération et pas l’ensemble des missions de sécurité intérieure ? Il est vrai que certaines missions conduites sur le territoire national, comme la mission Harpie en Guyane, ressemblent terriblement à des OPEX… mais cela est pris en compte, y compris dans la loi au regard par exemple du congé du blessé.

En effet, dans l’actualisation de la loi de programmation militaire vous avez voté une disposition présentant une forme de définition de l’opération intérieure comme une opération visant à garantir et préserver la souveraineté de l’État, d’une dangerosité d’une intensité comparable à celle d’une OPEX.

Au sujet de Louvois, Madame Gosselin-Fleury, c’est notre caillou dans la chaussure, et le logiciel n’est à l’évidence ni fiable, ni stabilisé. À chaque fois que nous avons pu penser en stabiliser le fonctionnement de nouveaux problèmes sont apparus. Les deux derniers mois ont été difficiles. En arrière-cuisine, si je puis m’exprimer ainsi, c’est un désastre même si les mesures correctives et palliatives que nous avons prises (et le dévouement du personnel qui s’y consacre est remarquable) permettent de corriger ce désastre avant l’arrivée des plats à table… Il n’en reste pas moins que le système n’est pas fiable, ne sera jamais fiable, quelque effort que nous fassions, et nous nous réjouissons tous les jours de la décision du ministre, qui a bien perçu les limites de l’acharnement thérapeutique sur Louvois, d’abandonner ce logiciel pour passer à Source Solde, développé suivant une méthode plus robuste.

Il y a d’abord un énorme travail de fiabilisation des données constitutives de la solde dans les SIRH. Il faut revenir au strict réglementaire, préciser les fiches qui recensent les droits financiers de chaque militaire (les fiches appelées « médrofim »), de sorte que les données de gestion des ressources humaines fournies au calculateur de solde soient exemptes de toute ambiguïté. Un système informatique, c’est binaire : il comprend « zéro » ou « un », mais pas « un peu » ou « oui mais quand même ». Les problèmes de qualité des données dans les systèmes d’information de gestion des ressources humaines ont contribué aux dysfonctionnements de Louvois. Les armées s’attachent aujourd’hui à améliorer la qualité des données de leurs SIRH. Tel est le cas, en particulier, pour la marine nationale, qui va « entrer en premier » dans le système Source Solde et qui a mobilisé à cette fin ses meilleurs « soldiers ».

Deuxième point de méthode : nous avons conduit le programme Source Solde comme un programme d’armement, c’est-à-dire piloté par la DGA et conduit par étape, avec des validations, des qualifications, des vérifications et des tests et ce jusqu’à ce que l’on puisse basculer en toute sécurité.

S’agissant de la réserve et du réseau de partenaires de la défense, Monsieur Boisserie, voilà un sujet très politique, comme l’avait montré d’ailleurs la discussion du projet de loi actualisant la programmation militaire. Nous sommes bien conscients de la difficulté qu’ont les employeurs à libérer leurs salariés, d’autant qu’en cas de crise, certains sont tout aussi indispensables dans leurs fonctions habituelles : à titre d’exemple, un médecin réserviste est aussi utile dans son hôpital public ou une clinique privée en cas de crise majeure que dans un hôpital d’instruction des armées. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, le ministère de la Défense a lui-même encouragé ses propres personnels civils à s’engager dans la réserve ; nous en observerons les résultats. Je note cependant qu’il y a une véritable demande dans la population, qu’atteste le nombre de candidats à l’engagement en 2015 dans la réserve opérationnelle ou la réserve citoyenne.

M. Jean-Michel Villaumé. Concernant le « Pacte défense cyber », on entend parler de difficultés de recrutement liées au statut militaire, notamment pour les ingénieurs. Le ministre de la Défense, devant nous, l’avait présenté quasiment comme une quatrième armée. Où en est la mise en œuvre de ce pacte ?

M. Damien Meslot. Depuis 2012, 108 000 paiements de contournement ont dû être effectués pour corriger les erreurs du système Louvois : combien coûte cette « arrière-cuisine », comme vous le dîtes ?

S’agissant de la méthode retenue pour développer Source Solde, force est de constater que l’on ne pourra guère faire pire que l’incompétence, l’amateurisme et le manque de professionnalisme qui ont marqué le développement du système Louvois. Mais si le programme Source Solde est bel et bien mené comme un programme d’armement, cela n’exclut pas quelques probables retards, qui pourraient conduire à ce que Source Solde entre en fonction au même moment que le prélèvement « à la source » de l’impôt sur le revenu. Une telle concomitance ne risquerait-elle pas de créer de nouvelles difficultés ? Quelles dispositions avez-vous prises pour les éviter ?

M. Philippe Nauche, président. Voilà en effet un sérieux enjeu.

M. Alain Rousset. Vous avez évoqué le recrutement d’ouvriers de l’État, notamment pour pourvoir des postes de maintien en condition opérationnelle, et l’on peut s’interroger sur les difficultés que ce statut peut présenter, notamment pour les ateliers industriels de l’aéronautique (les AIA). Ces ateliers possèdent de précieuses compétences : là où les entreprises privées fourniraient plus volontiers des pièces de rechange, nos AIA possèdent toutes les compétences nécessaires pour effectuer des réparations et développer l’ingénierie des technologies additives, qui est d’ailleurs considérée comme particulièrement porteuse et attractive.

Mais les AIA sont des entreprises, qui ont des plans de charges fluctuants. Il faut donc que leurs charges, y compris leurs dépenses de personnel, puissent être gérées avec souplesse, ce que ne permet pas le statut d’ouvrier de l’État. Le recours au contrat à durée indéterminé, peut-être moins attractifs que le statut d’ouvrier de l’État en matière d’assurance vieillesse, ne donnerait-il pas aux AIA une souplesse bienvenue ?

Dans l’agglomération bordelaise, par exemple, un AIA prévoit de recruter une soixantaine de personnes pour faire face à des plans de charge particulièrement élevés, avec notamment les opérations de « retrofit » sur les moteurs de Rafale et de maintenance des moteurs d’A400M. Mais est-on certain de faire vivre dans la durée ces AIA s’ils ne recrutent que des ouvriers de l’État, c’est-à-dire des fonctionnaires ? Avec des charges de personnels trop fixes, c’est l’existence même des AIA qui peut être remise en cause. Les initiatives que j’ai pu prendre afin de permettre des recrutements plus souples, en CDI, ne sont pas arrivées à leur terme.

Mme Catherine Coutelle. Vous qui êtes haut fonctionnaire à l’égalité des droits, vous savez que nous avons les armées les plus féminisées du monde, à 15 % des effectifs, fruit de dix ans d’efforts en faveur de la féminisation des personnels de la défense, militaires comme civils. Cette mixité est une conquête, et même une conquête récente, puisque ce n’est qu’en 1998 qu’a été mis un terme à la politique des quotas limitant la proportion de femmes dans telle ou telle unité. Outre différentes mesures, comme la parité dans les jurys, le ministre avait souhaité que soit élaborée une batterie d’indicateurs « sexués » : en disposez-vous ? Le ministre avait aussi soutenu les efforts de lutte contre le harcèlement, sur la base d’un rapport d’enquête du général Didier Bolelli et du contrôleur général Brigitte Debernardy. Si la féminisation demeure une exigence, restent des écarts marqués entre les armées, directions et services, qui dénotent encore une orientation très « sexuée » des carrières. Comment mettrez-vous en place notre politique d’égalité, ainsi que notre politique de lutte contre le harcèlement et les discriminations ? Le ministre a très bien agi, mais comment fonctionnent les dispositifs mis en place ?

Mme Anne-Sophie Avé. Le ministre m’a confié les fonctions de haut fonctionnaire à l’égalité, et toutes les statistiques concernées « sexuées », y compris concernant les rémunérations, sont désormais publiées dans le bilan social, conformément à la volonté de transparence exprimée par le ministre. Les femmes représentent aujourd’hui 15,3 % des effectifs militaires, 13,9 % des officiers, et 38 % de nos civils. Le ministre voulait doubler d’ici 2019 la part des femmes dans les effectifs d’officiers généraux : c’est en bonne voie.

La cellule Thémis, a été mise en place pour accueillir les victimes d’agressions, de discriminations ou de harcèlement sexuels, mais aussi pour apporter soutien et conseil au commandement en la matière. Les choses fonctionnent bien : les victimes sont accompagnées, le commandement est conseillé, et les associations concernées sont étroitement associées, notamment aux travaux de prévention, avec des supports pédagogiques qui fonctionnent très bien. La prise de conscience, à tous niveaux de la chaîne, me semble remarquable. Auparavant, ce n’est pas que l’on cachait les choses, mais on ne savait pas les gérer. Aujourd’hui, le commandement est mieux épaulé, mieux préparé à ces situations très délicates. Il n’hésite pas à dénoncer les faits graves au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, lorsque la victime hésite à porter plainte.

Nous avons aussi fait de considérables progrès dans la mise en place de tous les outils de la mixité. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple qui vous paraîtra peut-être anecdotique, une note du secrétariat général pour l’administration du ministère vient de rappeler les règles applicables en matière d’opacité et de verrouillage des portes de douches.

Le ministre a reçu le 8 mars dernier une quarantaine de femmes de la défense, de tous horizons, et dévoilé une feuille de route. Dans ce cadre, se constitue un réseau de femmes qui, sur la base du volontariat, constituera un lieu d’échange. La plupart ne rencontrent pas de difficultés particulières, et être une femme dans les armées, c’est avant tout pour elles être militaire. D’autres peuvent partager leur expérience en cas de difficultés et se sentir moins seules.

S’agissant des recrutements dans le domaine de la cyberdéfense, Monsieur Villaumé, la DGA dispose d’un statut plutôt attractif, celui des ingénieurs cadres technico-commerciaux, mais le reste du ministère n’en dispose malheureusement pas. Nous y travaillons, mais pour l’heure, nous ne pouvons recruter des contractuels que dans le cadre prévu par la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État. Dans ce cadre, le niveau de salaire offert par le ministère dépend du bon vouloir du contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM), tant à l’embauche qu’à chaque renouvellement de contrat. Il nous est donc difficile de proposer des contrats et des évolutions de carrière attractifs. On touche là aux limites du statut général, et une politique interministérielle plus ambitieuse en matière de recrutements contractuels nous serait fort utile.

Concernant, Monsieur Meslot, le coût du traitement des erreurs du système Louvois, nous n’avons pas de comptabilité analytique précise, mais on peut l’évaluer pour 2015 à 26,7 millions d’euros. Ce sont 150 emplois équivalents temps plein qui sont spécialement mobilisés à Nancy, 44 à Toulon, 25 pour le centre de maintenance interarmées de la solde, 27 au service ministériel opérateur des droits individuels (SMODI) au sein du commissariat aux armées, ainsi que 232 vacataires. 375 millions d’euros d’indus ont été notifiés, 348 millions d’euros mis en recouvrement et 210 millions d’euros ont été encaissés. Bref, les chiffres donnent le vertige, et l’opération aura été catastrophique pour les comptes publics. Le désastre est aussi et surtout social, car la confiance est entamée entre l’administration et les militaires ou leurs familles, d’autant que les erreurs tombent souvent sur ceux qui sont engagés en OPEX, loin de chez eux.

Nous avons bien pris en compte le projet de la retenue à la source, mais nous ne disposons pas encore des spécifications permettant d’anticiper. Informatiquement, cela n’est pas la meilleure nouvelle qui soit… Si cette retenue à la source est bien mise en œuvre au 1er janvier 2018, elle interviendra en effet presque en même temps que la « bascule » de la marine sur Source Solde, sachant que l’armée de terre utilisera toujours Louvois, qu’il faudra donc y intégrer la retenue à la source (RAS) et que l’armée de l’air sera encore sur l’ancien dispositif (gestion de solde). Notez toutefois que c’est loin d’être la seule modification réglementaire qui nécessite une modification des systèmes d’information de liquidation des soldes, même si je vous concède que celle-ci sera énorme. Nous n’avons pas encore de visibilité sur les détails de l’opération, mais d’autres ministères doivent être inquiets aussi.

La sécurisation de la solde passe aussi par la clarification de la chaîne de liquidation de la solde. Il est en effet toujours difficile de décrire les procédures en vigueur eu égard aux pratiques d’une armée à l’autre et donc de savoir demain qui devra faire quoi. Nous y travaillons. La comitologie est intense, sous l’égide du cabinet du ministre. Il faut que les SIRH convergent, et nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Concernant les ouvriers de l’État, je me dis, en vous écoutant Monsieur Rousset, qu’une voie moyenne pourrait permettre de mettre fin à la dichotomie « tout ouvrier de l’État versus tout CDI ». La question est au centre d’un débat interministériel avec la direction générale de l’administration et de la fonction publique qui souhaite des statuts interministériels, démarche que nous approuvons. Mais il ne nous a été proposé à ce jour aucun statut attractif retenant les avantages du statut d’ouvrier de l’État, tels que les examens professionnels permettant une progression, tout en prenant en considération les reproches faits à ce statut. C’est pour cela que nous sommes attachés au statut d’ouvrier de l’État en raison des avantages qu’il présente, dont la pérennité. Un statut de contractuel, tel que nous l’envisageons aujourd’hui, serait un statut complémentaire, car dans les métiers concernés, il est difficile de conserver le personnel contractuel au-delà de trois à six ans ; si nous n’avions plus que des contractuels, nous deviendrions une sorte d’école de formation et d’apprentissage pour le maintien en condition opérationnelle aéronautique et l’armement…

M. Alain Rousset. Je ne comprends pas. Il faut trouver une solution au risque de voir à terme mourir les AIA en raison des contraintes imposées par le statut d’ouvrier de l’État, qui les empêchent de recruter. Le résultat de cette situation, c’est qu’ils ne peuvent donc pas faire face à leur charge. Je rappelle que les AIA proposent des CDI qui permettent une progression de carrière au même titre que les ouvriers de l’État, mais avec moins de contraintes pour l’employeur.

Mme Anne-Sophie Avé. Certes, mais la progression de carrière en CDI est moins attractive que sous le statut d’ouvrier de l’État. Les contraintes ne sont pas liées à ce statut mais au contingentement qui nous est imposé en interministériel. On devrait pouvoir recruter librement, pourvu que ce soit pour des professions sous tension et dans le respect de son plafond ministériel d’emplois.

Or nous devons faire avec ce contingentement, qui s’impose même au service industriel de l’aéronautique (SIAé), alors que celui-ci opère en compte de commerce et est libre de ses recrutements, non comptabilisés dans le titre 2 du ministère ‒ et ce, grâce à l’amendement que vous avez fait adopter lors de la discussion du projet de loi de programmation militaire, Monsieur Rousset.

M. Alain Rousset. Je crains que la restriction des recrutements à des postes de fonctionnaires n’empêche la respiration des effectifs et ne conduise les AIA à devoir refuser des commandes, lesquelles seront alors récupérées par les équipementiers, se contentant le plus souvent de proposer de coûteuses pièces de rechange plutôt que des services de réparation.

Une forme de respiration dans la gestion des effectifs est indispensable pour la viabilité du modèle économique des ateliers. Il en va d’ailleurs certainement de même pour le ministère de la Défense. Je ne suis, en la matière, pas d’accord avec le discours d’arsenal que tient la CGT.

M. Philippe Nauche, président. Cela m’étonne de vous, président (Sourires).

Mme Anne-Sophie Avé. C’est un sujet qui vous passionne, comme il passionne le ministre avec lequel vous l’abordez souvent. Le jour où nous aurons la possibilité de recruter en CDI avec des salaires attractifs et des perspectives de carrière, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, nous pourrons le faire sans risque. Pour revenir aux AIA, la tendance actuelle est aujourd’hui à la croissance de leurs plans de charge, ce dont nous nous réjouissons.

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La commission examine pour avis, sur le rapport de Mme Nathalie Nieson, le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du Traité de l’Atlantique Nord (n° 3578).

M. Philippe Nauche, président. Nous en venons à présent à l’examen, pour avis, du projet de loi autorisant l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux, créés en vertu du Traité de l’Atlantique Nord, dit « Protocole de Paris », et je passe immédiatement la parole à notre rapporteure.

Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis. Monsieur le président, chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour examiner, pour avis, le projet de loi autorisant l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux, créés en vertu du Traité de l’Atlantique Nord, dit « Protocole de Paris », comme vient de l’indiquer notre président.

Ce projet de loi de ratification a été examiné hier par la commission des Affaires étrangères, saisie au fond, et est inscrit à l’ordre du jour de la séance du 7 avril à 9 h 30. Je précise à ceux d’entre vous qui n’auraient pas eu l’information qu’une discussion générale d’une durée d’1h30 a été décidée par la Conférence des présidents. En effet, l’habituelle procédure « d’examen simplifiée », autorisée par le Règlement de notre assemblée, n’a pas été retenue pour ce projet de loi. C’est assez rare pour le souligner et chaque groupe pourra ainsi s’exprimer en séance.

S’agissant toujours des questions de procédure, je rappelle que le Parlement est saisi du présent projet de loi en application de l’article 53 de la Constitution et que les parlementaires ne peuvent pas amender le texte des conventions internationales, ni formuler de réserves. Nous ne pouvons que conclure à l’adoption ou au rejet du projet de loi de ratification. C’est dans ce contexte que le Sénat l’a adopté le 16 mars dernier.

Si j’en crois les commentaires parus ici ou là dans la presse, ou même les interventions formulées lors de séances de questions au Gouvernement, l’accession de la France au Protocole de Paris a suscité beaucoup de commentaires, voire déchaîné quelques passions.

L’accession au Protocole de Paris, ou devrai-je plutôt dire la ré-accession de notre pays à cet accord, n’est pourtant que la suite logique de la réintégration de la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN. Cet accord international, dont la France avait été l’un des signataires originels en 1952, ne comporte en effet que des dispositions d’essence avant tout technique, visant à faciliter la vie des personnels militaires et civils de l’OTAN déployés sur notre territoire par nos alliés, ainsi que le fonctionnement de certains quartiers généraux ou infrastructures certifiés par l’OTAN.

Il s’agit simplement, au fond, de garantir à ces personnels un statut proche, mais moins avantageux, de celui des personnels des organisations internationales, dont bénéficient par exemple les employés de l’UNESCO ou de l’OCDE en poste à Paris. Par ailleurs, l’accession de la France à ce protocole permettra de garantir à ces personnels les mêmes garanties que celles dont bénéficient l’ensemble des personnels affectés dans les structures de l’OTAN sur le territoire des membres de l’Alliance, au premier rang desquels nos compatriotes en poste à Mons, à Norfolk ou ailleurs dans le monde.

Je ne reviendrai pas ici sur l’histoire, mouvementée, des relations entre la France et l’OTAN. Chacun la connaît, en a sa propre opinion, et nos collègues Gilbert Le Bris et Philippe Vitel sont longuement revenus sur le sujet dans leur rapport d’information sur l’évolution du rôle de l’OTAN, qu’ils nous ont présenté le 3 février dernier.

Le protocole de Paris est un texte d’essence avant tout technique, je l’ai dit. Il n’en demeure pas moins clair et accessible. Sa brièveté – 16 articles – s’explique par sa nature même : le protocole de Paris ne crée en effet pas un régime spécifique mais étend simplement l’application de la convention entre les États parties au traité de l’Atlantique Nord sur le statut des forces, dite « SOFA OTAN », signée à Londres le 19 juin 1951, aux quartiers généraux interalliés créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord ou aux « organismes militaires internationaux », ainsi qu’à leurs personnels civils et militaires.

Le texte de l’accord précise d’ailleurs bien qu’il s’agit d’un protocole « à » la Convention sur le statut des forces.

La France étant partie au SOFA OTAN depuis l’origine et sans discontinuer, il s’agit donc, par l’accession au protocole de Paris, de n’opérer qu’une simple action de coordination et de bonne administration.

Avant de vous exposer en quelques mots la nature des dispositions du protocole de Paris, je tiens à préciser son champ d’application.

Il s’applique aux quartiers généraux suprêmes de l’OTAN, ainsi qu’à tout quartier général militaire international créé en vertu du traité de l’Atlantique Nord et directement subordonné à un quartier général suprême. La France n’abrite aucun QG de ce type et il n’existe pas de projet en ce sens.

Toutefois, l’article 14 du protocole prévoit que le Conseil de l’Atlantique Nord peut décider d’appliquer tout ou partie des stipulations du protocole à tout quartier général militaire international ou à toute organisation militaire internationale, sous réserve d’une décision dite d’activation. Si la France le demande, plusieurs sites pourraient ainsi être concernés, le principal étant le Quartier général du corps de réaction rapide (CRR-FR) de Lille, certifié par l’OTAN. D’autres sites pourraient être concernés en France, comme le Quartier général de l’état-major de force aéromaritime française de réaction rapide, situé à Toulon ou le centre d’excellence français d’analyse et de simulation pour la préparation aux opérations aériennes de Lyon. Cela représente environ soixante-dix militaires selon le ministère de la Défense. En ajoutant les personnels étrangers du Quartier général du corps de réaction rapide européen (CRR-E, « Eurocorps ») de Strasbourg, dont le statut est spécifique, le nombre de militaires concernés par les dispositions du Protocole de Paris serait d’environ 240.

J’en viens à présent au contenu du Protocole à proprement parler.

Celui-ci comporte des dispositions visant tant les quartiers généraux que les personnels qui y sont affectés. Premièrement, s’agissant des quartiers généraux, le protocole de Paris :

- prévoit qu’ils partagent avec les États d’origine les obligations du SOFA OTAN liées à l’arrestation de leur personnel, aux enquêtes, à la recherche des preuves en matière de demandes d’indemnités ainsi qu’au paiement des amendes ;

- leur confient la responsabilité d’éditer à leurs personnels une carte d’identité qui devra être produite à toute réquisition ;

- les autorise à être exonérés des droits et taxes afférents aux dépenses qu’ils supportent dans l’intérêt de la défense commune et pour leur avantage officiel et exclusif ;

- comporte des dispositions relatives à la liquidation de leurs avoirs ;

- les dote de la personnalité juridique leur permettant de contracter, d’acquérir et d’aliéner, sous réserve d’accords particuliers signés avec l’État d’accueil, ainsi que d’ester en justice ;

- les autorise à détenir des devises ainsi que des comptes en toute monnaie pour assurer leur fonctionnement ;

- instaure un régime d’inviolabilité des archives et documents officiels qu’ils détiennent, sauf en cas de renoncement à cette immunité.

Deuxièmement, s’agissant des personnels de ces QG, le protocole de Paris :

- accorde le bénéfice des privilèges de juridiction ;

- renvoie au SOFA OTAN la définition du régime juridique en matière de règlement des dommages causés ou subis ;

- prévoit des exonérations fiscales individuelles ;

- autorise les personnels à importer leur mobilier et leurs effets personnels, ainsi que leur véhicule, en franchise de droit.

Comme vous pouvez le constater, le Protocole de Paris ne porte nullement atteinte à l’autonomie et à l’indépendance de notre politique de défense ou à la souveraineté nationale. Nous sommes loin de tout cela… Y accéder permettra de simplifier la vie quotidienne des personnels implantés sur notre territoire, de renforcer l’attractivité de la France et ainsi de conforter notre influence au sein de l’Alliance, tout en témoignant à nos alliés de notre plein engagement. Notre engagement militaire au sein de l’Alliance n’est pas mis en cause, et nos alliés savent que la France est volontaire et prête à faire face aux menaces multiples qui pèsent sur l’Europe et le monde. Le niveau d’engagement de nos forces en opérations extérieures comme sur le territoire national en atteste quotidiennement. Il serait hautement regrettable de ternir cette image par la permanence de tracasseries administratives et techniques, alors même que nos propres hommes et femmes déployés dans les structures de l’OTAN bénéficient des dispositions du protocole de Paris à l’étranger.

C’est pourquoi je vous invite à adopter le présent projet de loi.

M. Nicolas Dhuicq. Le plein retour de la France dans l’OTAN était accompagné du pari de la création d’un pôle européen de défense. Force est de constater que ce n’est pas le cas. L’OTAN coûte de l’argent et je me demande même aujourd’hui à quoi sert l’OTAN, dont certains membres, je pense à la Turquie M. Erdoğan, pratiquent un jeu trouble comme chacun le sait ici. Le roi de Jordanie lui-même vient de rappeler que le terrorisme constituait un allié objectif de M. Erdoğan. Ma chère collègue, vous avez évoqué l’attractivité de la France, mais ne nous leurrons pas ! La France est la seule aujourd’hui à payer le prix du sang et se trouve aujourd’hui à la remorque des États-Unis. Nous voyons bien quelle est la logique anglo-saxonne guerrière, particulièrement américaine, fondée sur une propagande éhontée dénonçant le supposé retour de la puissance russe. Il y a quelques mois à peine, la Russie était attaquée pour avoir déployé cinquante aéronefs alors que 300 aéronefs américains étaient en vol dans le même temps entre le Bosphore et le détroit d’Ormuz. Je me demande donc à quoi sert l’OTAN ! Ce que je constate, c’est que petit à petit nous perdons notre souveraineté, notre autonomie et au bout du compte notre crédibilité dans un monde devenu multipolaire. Je ne suis absolument pas rassuré par vos allégations. C’est totalement inefficace, c’est même dangereux, et il serait de salut public de rejeter ce traité.

M. Philippe Folliot. Au-delà du contenu de ce traité, qui est ce qu’il, ce qui m’interpelle est la question plus générale de la politique européenne de sécurité et de défense commune et la compatibilité de celle-ci avec l’OTAN. Notre situation semble complexe, pour ne pas dire schizophrène. Nous le savons, le besoin de multilatéralité est de plus en plus prégnant. Dans le même temps, nombre de membres de l’Union européenne ne conçoivent leur défense que par l’OTAN et la protection, supposée et parfois réelle, du parapluie américain. Je pense avant tout aux pays européens les plus orientaux, qui sont en première ligne face à ce qu’ils considèrent comme une forme d’agressivité de la part de la Russie. Pour l’Union européenne, la principale difficulté tient à trouver un équilibre dans ce contexte. Il me paraît donc essentiel d’appréhender ce traité plus largement au regard de l’ensemble de la politique et de la stratégie vis-à-vis de l’OTAN ainsi que de la nécessité d’approfondir la politique européenne de défense. Dans un monde toujours plus incertain et multipolaire, l’Europe ne pourra exister que si elle est capable d’assurer elle-même sa défense, sans dépendre de quiconque, et même de nos alliés et amis américains.

Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis. J’entends les craintes et les scepticismes car nous connaissons depuis de longs mois une situation d’insécurité en Europe. Je tiens d’abord à rappeler que les élargissements successifs de l’Alliance ont conduit à l’européaniser toujours plus…

M. Nicolas Dhuicq. Ah bon ? Ils achètent des Rafale vos amis polonais ?

Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis. … et l’OTAN compte aujourd’hui 25 pays européens, dont 22 membres de l’Union européenne, sur 28 membres. Par ailleurs, nombre de nos alliés européens considèrent que leur défense repose avant tout sur l’OTAN et non sur l’Europe. S’agissant de la Turquie, elle demeure un allié fiable et robuste au sein de l’Alliance comme l’ont rappelé nos collègues Gilbert le Bris et Philippe Vitel lors de la présentation de leur rapport.

J’aimerais simplement souligner que vous vous trompez de débat. Nous parlons ici du Protocole de Paris qui n’a pas grand-chose à voir avec la défense européenne.

M. Philippe Nauche, président. Notre commission ayant été éclairée, je vais mettre aux voix le présent projet de loi.

Conformément aux conclusions de la rapporteure pour avis, la Commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

La séance est levée à onze heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Jean-David Ciot, M. David Comet, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Claude de Ganay, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, M. Christophe Guilloteau, M. Laurent Kalinowski, M. Patrick Labaune, M. Jacques Lamblin, M. Jean-François Lamour, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Nathalie Nieson, M. Jean-Claude Perez, Mme Sylvia Pinel, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André, M. Thierry Solère, M. Jean-Michel Villaumé

Excusés. - Mme Patricia Adam, Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Malek Boutih, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, Mme Geneviève Fioraso, M. Yves Foulon, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Charles de La Verpillière, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Alain Marty, M. Eduardo Rihan Cypel