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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 26 avril 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 44

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de M. Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

Mme la présidente Patricia Adam. L’Assemblée nationale a toujours distingué entre les questions de sécurité intérieure et celles de défense, ce qui explique pourquoi notre commission n’a jamais, jusqu’ici, reçu le directeur général de la police nationale (DGPN). Néanmoins, l’actualité du continuum sécurité-défense exige des solutions nouvelles, comme le dispositif Sentinelle. C’est dans ce cadre que nous avons déjà auditionné le ministre de l’Intérieur, mais aussi les généraux Pierre de Villiers et Jean-Pierre Bosser ainsi que le directeur général de la gendarmerie ; il était donc tout naturel que nous invitions le directeur général de la police nationale à nous donner également son point de vue sur l’opération Sentinelle.

M. Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale. Je me réjouis de l’honneur que vous me faites en accueillant pour la première fois le directeur général de la police nationale afin de vous présenter la manière dont, dans le contexte actuel, l’institution que je dirige s’intègre dans notre dispositif de sécurité intérieure.

La police nationale se compose de 143 000 agents, dont 30 000 sont employés par la préfecture de police de Paris. Elle s’organise autour d’une grande direction généraliste : la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), qu’appuient plusieurs directions et services spécialisés, en particulier la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) et la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS), qui peuvent à tout moment et en tout lieu apporter leur renfort d’un haut niveau d’expertise et de technicité. Cette organisation permet à la police nationale d’intervenir avec pertinence dans l’ensemble de son champ de compétences. Elle traite ainsi chaque année plus de 70 % de la criminalité constatée en France et plus de 80 % des phénomènes liés à l’ordre public, et procède à 270 000 gardes à vue.

La DCSP rassemble 66 000 agents répartis dans les 314 circonscriptions de police, qui couvrent 40 % de la population, soit 27 millions d’habitants. Ses services apportent leur concours à nos concitoyens vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Chaque année, ils effectuent plus de 2,5 millions d’interventions, soit une toutes les treize secondes en moyenne, et traitent près de la moitié de la délinquance constatée. En 2015, neuf millions de personnes ont composé le 17 pour appeler Police-secours. Ce niveau d’intensité s’est maintenu alors même que les policiers de la sécurité publique sont chargés des déclinaisons territoriales du plan Vigipirate et, désormais, de missions nouvelles liées à l’état d’urgence. Autrement dit, nous n’avons aucunement baissé la garde concernant notre cœur de métier.

C’est au sein de la DCSP que, depuis sa création en 2014, le service central du renseignement territorial (SCRT) a trouvé toute sa place. Il est présent au quotidien dans les événements qui affectent la sécurité intérieure. À ce titre, il est directement impliqué dans la mise en œuvre du dispositif déployé en réaction aux attentats de 2015. Ses moyens ont été considérablement augmentés et ses missions réévaluées. Le plan antiterroriste pour 2015-2017 prévoit d’affecter 350 fonctionnaires de police supplémentaires au SCRT, auxquels s’ajouteront 150 militaires de la gendarmerie. Le SCRT se compose actuellement de 2 400 fonctionnaires, et devrait en comporter près de 3 000 à la fin 2017.

Enfin, la DCSP dispose de 209 brigades anti-criminalité (BAC) réparties sur l’ensemble du territoire, qui sont chargées de lutter contre la petite et moyenne délinquance et capables d’agir très rapidement en tant que primo-intervenants en cas de situation de crise comme une tuerie de masse, par exemple. Suite aux attentats de 2015, leur équipement de protection et leur armement ont été rehaussés pour mieux faire face à ce type d’événement. Les BAC ont été intégrées dans le schéma national d’intervention que le ministre de l’intérieur a présenté la semaine dernière.

La DCPJ est chargée de la prévention et de la répression des formes spécialisées de la grande criminalité. Elle centralise les informations et coordonne les investigations des autres services de police et de gendarmerie, analyse la délinquance et la criminalité, conçoit et gère les outils modernes d’enquête. Elle gère également les instruments opérationnels nationaux de coopération policière internationale dans le cadre d’Interpol, Europol et Schengen. Pour ce faire, elle emploie 5 000 agents répartis sur tout le territoire. C’est parce qu’il reconnaît sa compétence que le parquet de Paris a décidé de confier à la DCPJ, en particulier à la sous-direction antiterroriste (SDAT), la mission de coordonner, de centraliser et de diriger l’ensemble des investigations conduites en matière de terrorisme. Enfin, la DCPJ dispose de quatorze brigades de recherche et d’intervention (BRI), elles aussi réparties sur l’ensemble du territoire. Elles exercent en priorité des missions de surveillance, de filature et d’intervention sur la voie publique mais, à ma demande, elles ont également été intégrées au schéma national d’intervention.

La DCCRS se compose de 13 200 hommes répartis en soixante et une compagnies, qui sont spécialement chargées des questions d’ordre public mais qui, depuis un an, sont particulièrement mobilisées aux frontières, surtout à Calais et à la frontière italienne.

Enfin, la DCPAF, chargée du contrôle des flux migratoires sur tout le territoire, se compose de 11 000 agents. Elle gère notamment les activités liées au rétablissement temporaire des contrôles aux frontières.

Permettez-moi pour conclure ce tableau de l’organisation et des missions de la police de citer deux autres services qui dépendent directement de la direction générale de la police nationale. L’unité de coordination et de lutte antiterroriste (UCLAT), tout d’abord, créée en octobre 1984, a pour mission principale d’actualiser en permanence l’état de la menace terroriste pour éclairer la décision du ministre quant au niveau approprié de sécurité nationale. Le RAID, d’autre part, est l’unité d’intervention spécialisée du haut du spectre de la police nationale et possède une compétence nationale. Depuis mon arrivée en poste, j’y ai intégré les sept groupes d’intervention de la police nationale (GIPN) de la métropole pour en faire des antennes du RAID, de sorte que celui-ci se compose d’un commandement unique situé au siège central, à Bièvres, où travaillent 130 opérateurs, et de ses sept antennes – qui rassemblent 150 opérateurs. Le ministre de l’Intérieur a accepté ma proposition de créer trois nouvelles antennes – à Toulouse, à Montpellier et à Nancy – dans le cadre du schéma national d’intervention.

Voilà le cadre dans lequel les forces de sécurité intérieure apportent leur concours à la lutte contre le terrorisme dans les sept zones de défense, en particulier celle de Paris, où elles sont les plus nombreuses.

Mme la présidente Patricia Adam. Le recours aux forces armées sur le territoire, à Paris en particulier, suscite-t-il des problèmes particuliers et faut-il y apporter des améliorations ? La doctrine d’emploi vous convient-elle ? Peut-on améliorer le fonctionnement du renseignement territorial, qui produit des informations susceptibles de servir à l’observation de la situation sur le terrain ? Que pensez-vous, s’agissant des militaires affectés à l’opération Sentinelle, de l’alternative entre la position statique et les patrouilles dynamiques ?

M. Jean-Marc Falcone. Je constate que les forces de sécurité intérieure – police et gendarmerie – ne sont pas en difficulté et ne subissent aucune rupture capacitaire. Tous les services de renseignement conviennent que la menace existe et qu’elle est de haute intensité ; toutes les forces régaliennes qui peuvent contribuer à la sécurisation du territoire sont donc les bienvenues. Reste à poursuivre la réflexion en cours concernant les missions qui doivent être confiées aux forces armées, dont j’estime pour ma part qu’elles ont toute leur place dans l’effort de sécurisation du pays car elles sont composées de personnels aguerris, compétents et déterminés. À l’époque du plan Vigipirate, environ 1 200 membres des forces armées étaient répartis en patrouilles isolées dans le cadre d’un dispositif de faible intensité. Puis, dans les premiers mois de l’opération Sentinelle, les missions qui leur ont été confiées ont pour l’essentiel consisté en gardes statiques de bâtiments sensibles – religieux et scolaires, notamment.

Ces missions doivent évoluer pour, selon moi, devenir plus dynamiques : plutôt que de rester sur des points fixes, les militaires devraient sécuriser des périmètres déterminés. À Sarcelles, par exemple, où des militaires étaient postés en garde statique devant plusieurs synagogues, il leur a été demandé d’alterner ces gardes en début et en fin d’office et de cours religieux avec, dans l’intervalle, des gardes dynamiques, d’où leur visibilité non seulement lors des offices mais aussi dans un périmètre plus large. Il faut poursuivre dans cette voie, même si les bénéficiaires des gardes statiques pourraient estimer que cela revient à dégrader leur propre sécurité. En matière judiciaire, les forces armées doivent être concourantes des forces de police et de gendarmerie, lesquelles disposent de véritables pouvoirs de police judiciaire.

Quoi qu’il en soit, les relations entre les forces de police et les forces armées sont satisfaisantes, comme je l’ai constaté hier encore à l’aéroport de Nice et sur d’autres sites : les unes et les autres s’entendent bien et leurs missions sont clairement réparties.

M. Alain Moyne-Bressand. La prolongation de l’état d’urgence ne pose-t-elle pas des problèmes d’organisation des services aux hommes et aux femmes de la police qui exercent au quotidien ?

En tant que rapporteur de la loi sur le rapprochement entre la police et la gendarmerie, je m’enorgueillis du fait que nous ayons préservé le caractère militaire de la gendarmerie. Existe-t-il néanmoins des possibilités supplémentaires de mutualisation qui permettraient de réaliser des économies ? Les deux forces n’ont par exemple pas su s’entendre au sujet de la formation des motocyclistes et celle des chiens policiers.

M. Jean-Marc Falcone. Il est vrai que l’activité des forces de l’ordre a fortement augmenté depuis janvier 2015, et plus encore depuis l’instauration de l’état d’urgence en novembre. Hormis les repos cycliques qui permettent aux fonctionnaires de police de régénérer leur organisme, les autres possibilités de repos et de congé ont été considérablement réduites. Pourtant, la forte pression à laquelle les policiers ont été soumis ne s’est pas traduite par une hausse du nombre d’arrêts-maladie. En effet, les fonctionnaires de police, disciplinés par nature, répondent remarquablement en cas de risque ou de situation de forte intensité. Après les attentats de janvier et de novembre, nombreux ont été les volontaires qui se sont spontanément présentés dans leur service pour assurer des missions de surveillance ou d’enquête. Autrement dit, les policiers ont conservé la foi en leur métier, même s’ils sont incontestablement fatigués.

Le Gouvernement leur a envoyé un signal positif en adoptant plusieurs plans successifs – le plan antiterroriste, le plan de lutte contre l’immigration clandestine puis le pacte de sécurité – qui portent déjà leurs fruits : les recrutements, par exemple, ont repris en grand nombre. Quant aux équipements, le « plan BAC » annoncé par le ministre de l’Intérieur en octobre, suite à la grave blessure subie par un fonctionnaire de la BAC de Saint-Ouen, produit ses premiers effets : la livraison aux brigades anti-criminalité de nouveaux véhicules et de fusils d’assaut HK G36 utilisant des cartouches de 5,56 millimètres est en cours et s’achèvera fin juin. En effet, pour riposter face à des attaques menées non plus avec des munitions de 9 ou de 7,65 millimètres, mais avec des kalachnikovs, les policiers doivent disposer d’armes au moins équivalentes et être formés à leur maniement.

En matière de formation, précisément, les écoles de police accueilleront 4 800 nouveaux élèves en 2016, tandis que 4 500 en sortiront ; en 2017, les entrées et sorties atteindront respectivement 4 400 et 5 000, ce léger écart s’expliquant par les dates d’organisation des concours. Autrement dit, les policiers constatent qu’aux missions difficiles qui leur sont confiées répondent rapidement des moyens humains et matériels.

La police nationale et la gendarmerie nationale s’efforcent autant que possible, en bonne intelligence et sous l’impulsion du ministre, de mutualiser leurs dispositifs. Nous y travaillons dans les domaines suivants : la police technique et scientifique, l’achat de matériels, la coopération policière internationale et le service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure, ou ST(SI)2. Les services compétents sont placés sous la double autorité du directeur général de la police et de celui de la gendarmerie. Sur le plan opérationnel, le schéma national d’intervention a fait tomber toutes les barrières de compétence territoriale concernant les interventions à effectuer en cas de tuerie de masse. Le RAID ou le GIGN pourront indifféremment intervenir où que ce soit, y compris hors de leur zone de compétence, selon que l’un ou l’autre est le mieux placé pour ce faire.

M. Damien Meslot. Le championnat d’Europe de football approche et l’état d’urgence sera probablement prolongé par le Parlement. De nombreux maires ont prévu d’installer des écrans géants dans leurs communes, mais le ministre de l’Intérieur a prôné la prudence ; il sera vraisemblablement difficile d’installer de tels dispositifs dans des espaces ouverts. Sera-t-il néanmoins possible de le faire dans des lieux fermés par des barrières pouvant aisément basculer en cas de mouvement de foule et moyennant la fouille des personnes à l’entrée ? Quels conseils donnez-vous aux maires à cet égard ? En effet, nous ne voulons pas donner raison aux terroristes en annulant toutes les manifestations, mais il nous faut également assurer la sécurité de la population.

M. Michel Voisin. Le Parlement est saisi d’un projet de révision de la directive européenne sur les armes à feu – dont, pourtant, l’utilisation est déjà très réglementée. Ne trouvez-vous pas qu’il est excessif d’employer l’argument de la lutte contre le terrorisme pour restreindre l’usage d’armes de chasse et de tir sportif qui, contrairement aux kalachnikovs que vous évoquiez, ont des capacités limitées ?

Autre question : je n’ai pas applaudi au passage de la gendarmerie sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. Or, contrairement au statut de policier, le statut de gendarme n’autorise pas la représentation syndicale – bien qu’un pas en avant ait été fait depuis que les gendarmes jouissent du droit d’association. Cela ne finira-t-il pas par créer un déséquilibre, voire susciter des contestations, les gendarmes étant corvéables à merci tandis que les horaires de travail et d’astreinte des policiers sont rigoureusement définis ?

M. Jean-Marc Falcone. Dix villes hôtes ont été choisies pour accueillir l’Euro 2016, Monsieur Meslot. Le ministre de l’Intérieur a décidé d’y maintenir l’établissement des dix « fan zones », sauf si un élément de renseignement attestait d’ici là d’un danger imminent. De ce point de vue, le dispositif a été fixé depuis plusieurs mois avec les maires concernés, sachant que la police nationale assurera la sécurité périmétrique extérieure tandis que la sécurité à l’entrée desdites zones relèvera d’agents de sécurité privée sélectionnés, recrutés et formés pour l’occasion.

S’agissant de l’installation d’écrans géants dans d’autres communes, j’appelle à mon tour à la plus grande prudence, car ces espaces peuvent aussi constituer des cibles. Les forces de l’ordre seront très mobilisées dans les villes hôtes, non seulement autour des « fan zones » mais aussi des stades et des hôtels qui accueillent les équipes participantes, et ne disposeront pas nécessairement des moyens leur permettant d’assurer au même niveau la sécurité dans les nombreuses communes qui souhaiteront installer des écrans géants, même si tout dépendra du lieu dans lequel ils sont déployés – un lieu fermé présentant davantage de garanties. Le ministre s’est montré très réservé au sujet de ces écrans, et je partage ce point de vue : dans le contexte actuel, tout rassemblement de foule peut être la cible d’un attentat, qu’il soit isolé ou organisé. L’analyse quotidienne de la menace permettra au ministère d’affiner ses recommandations mais, à ce stade, la plus grande prudence s’impose.

Incontestablement, Monsieur Voisin, la police et la gendarmerie sont deux corps différents. Il a été décidé d’intégrer la gendarmerie au ministère de l’Intérieur sans pour autant lui ôter son statut militaire – une différence de statut qui, soit dit en passant, passe plutôt inaperçue au quotidien. Les gendarmes seraient « corvéables à merci », dites-vous : certes, les statuts diffèrent mais, dans les circonstances que nous connaissons, les fonctionnaires de police se dépensent aux aussi sans compter pour assurer la sécurité de la population. Je ne saurais dire comment évoluera le sentiment des gendarmes face à la faculté qu’ont les policiers d’être représentés par des organisations syndicales, mais je constate que les revendications syndicales satisfaites dans la police se traduisent de facto par des mesures équivalentes dans la gendarmerie, comme ce fut le cas l’an dernier de l’augmentation de l’indemnité journalière des CRS. De même, le protocole concernant des mesures indiciaires et indemnitaires mais aussi l’évolution des compétences judiciaires de la police, proposé par le Président de la République et signé par les syndicats de police, s’applique naturellement aux gendarmes comme aux policiers.

Il est vrai, Monsieur Voisin, que les terroristes n’utilisent pas des armes de chasse ou de tir sportif telles que celles que vise la directive européenne que vous évoquez. Je constate néanmoins ceci : tous les terroristes que nous interpellons sont issus de la criminalité de droit commun. Les trafics et autres braquages dont ils se sont rendus coupables n’ont pas toujours été effectués avec des armes de guerre, mais souvent avec des armes de poing, des fusils à canon scié, voire des armes de chasse. En témoignent les derniers règlements de compte, à Grenoble ou à Marseille, dans lesquels des kalachnikovs ont certes été utilisées, mais aussi des armes de poing de neuf millimètres. Peut-être la directive en question est-elle susceptible d’améliorer l’encadrement de la détention de ce type d’armes, qui se répandent.

M. Michel Voisin. Précisons qu’une carabine de chasse légale vaut environ cinq fois plus cher qu’une kalachnikov achetée au marché noir…

M. Jean-Michel Villaumé. Vous avez évoqué le recrutement de policiers supplémentaires : parvenez-vous à dispenser les formations nécessaires ? Plusieurs écoles de police ont été fermées ; d’autres ont-elles été ouvertes ? De même, de nouveaux équipements sont en cours de livraison, ce dont il faut se féliciter, en particulier pour les BAC qui exprimaient une forte attente en la matière ; les représentants syndicaux manifestent toutefois leur préoccupation quant à la disponibilité de stands de tir adaptés. Les besoins en formation sont-ils là aussi satisfaits ?

M. David Comet. Chacun convient que les forces militaires mobilisées dans le cadre de l’opération Sentinelle doivent apporter une plus-value en adoptant une approche dynamique, et qu’elles ne sauraient se contenter d’être des forces supplétives. Le 13 novembre, les militaires ont certes sécurisé le périmètre permettant aux forces de sécurité d’intervenir au Bataclan. Pourtant, la commission d’enquête sur le terrorisme a été informée du cas d’un policier qui, se trouvant à proximité, a demandé à un militaire armé d’un FAMAS d’intervenir ; l’autorisation ne lui en a pas été donnée, à quelque niveau que ce soit.

Pour éviter tout dysfonctionnement, voire une guerre des polices, ne serait-il pas opportun d’instituer au sein du ministère de l’Intérieur l’équivalent du chef d’état-major des armées qui exerce au ministère de la Défense ?

M. Jean-Marc Falcone. Après une chute du nombre de recrutements il y a quelques années, et la fermeture de plusieurs écoles de police et de centres de formation, nous avons en effet ouvert de nombreux concours de recrutement, Monsieur Villaumé. Pour accueillir les nouvelles recrues, nous avons remanié la formation des gardiens de la paix en en réduisant la durée d’un mois et demi, sachant que cette période est compensée par un stage de deux mois que les élèves effectuent en fin de formation sur leur lieu d’affectation. D’autre part, nous avons ouvert un concours spécial de gardien de la paix pour les adjoints de sécurité. En deux ans, nous recruterons donc 4 500 nouveaux élèves, tandis qu’un nombre équivalent entrera dans les cadres en sortie de formation.

Malgré les contraintes opérationnelles, je suis très attentif à ce que la formation continue des fonctionnaires de police se poursuive dans de bonnes conditions, en particulier pour ceux d’entre eux qui sont habilités à utiliser certaines armes et techniques, et qui doivent suivre une formation annuelle. À ce stade, la programmation en matière de formation est respectée – c’est d’ailleurs un impératif, dans la mesure où les policiers ne sont opérationnels que s’ils conservent leur habilitation à utiliser telle ou telle arme.

Hormis les membres d’unités spécialisées telles que le RAID et les BRI, l’écrasante majorité des fonctionnaires de police étaient jusqu’ici armés de pistolets de calibre de 9 millimètres ou de pistolets-mitrailleurs Beretta. Nous disposons de stands de tir permettant de s’entraîner au maniement de ces armes. Cependant, les BAC et les CRS seront désormais équipées d’armes de calibre de 5,56 millimètres, dont je souhaiterais également armer les fonctionnaires de la police aux frontières, en particulier dans les grands aéroports, afin qu’ils puissent réagir en tant que primo-intervenants en cas d’attaque terroriste sur ces sites. La formation adaptée est en cours de déploiement, de sorte que tous les fonctionnaires concernés soient formés au maniement des fusils de nouvelle génération. J’entends notamment installer de nouveaux stands de tir adaptés aux armes de calibre de 5,56 millimètres, d’autant plus que se pose la question de l’arme qui succédera au Beretta, qui doit être remplacé. Faudra-t-il que la police du quotidien conserve une arme du même calibre, c’est-à-dire 9 millimètres, ou, compte tenu des circonstances, qu’elle soit dotée d’une nouvelle arme de calibre de 5,56 millimètres ? La question n’est pas encore tranchée : une réflexion est en cours avec des moniteurs de tir, des formateurs, des tireurs d’élite, des psychologues ou encore des médecins statutaires. L’arbitrage qui sera pris aura naturellement des conséquences sur la formation et sur la disponibilité des stands de tir.

Je ne considère pas que les forces armées ont un rôle supplétif dans le cadre de l’opération Sentinelle, Monsieur Comet. Je souhaite au contraire les intégrer pleinement aux missions des forces de police et de gendarmerie, sans pour autant leur confier des compétences judiciaires qu’elles ne réclament pas. Ces forces ont toute leur place dans notre dispositif de sécurité et ne doivent pas se contenter de missions secondaires. En revanche, s’agissant du militaire à qui l’ordre d’intervenir au Bataclan aurait été refusé, je suis tout à fait incapable – comme je l’étais lorsque la question m’a été posée par la commission d’enquête – de répondre à cette question qui relève de la préfecture de police.

Quant à l’institution de l’équivalent d’un chef d’état-major des armées dans la police, je précise que le schéma national d’intervention prévoit d’ores et déjà que la liaison sera faite entre le directeur général de la police nationale, celui de la gendarmerie nationale et le préfet de police en cas d’intervention – soit l’équivalent d’un état-major. De plus, les directeurs généraux et le préfet de police se retrouvent chaque semaine autour du ministre de l’Intérieur. Je souhaite en outre qu’un officier militaire soit présent dans tous les centres d’information et de commandement de la police nationale des départements qui emploient des militaires, afin d’assurer la liaison entre les forces de police et les forces armées. En outre, j’insiste pour que les officiers de police de la DCSP ou de la DCPAF, par exemple, organisent en début de service des séances d’information avec les militaires qui sont mis à disposition de leurs unités, afin de les tenir au courant de l’état de la menace et des événements de la nuit – agressions, tags antisémites ou autres –, ce qui contribue à les intégrer pleinement aux missions de la police. Enfin, les radios Acropol, qui ont été distribuées aux militaires, permettent des échanges réguliers et quotidiens.

Mme la présidente Patricia Adam. Je sais que l’état-major des armées a toujours été dans le même état d’esprit ; cette évolution est donc positive.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Quel premier bilan pouvez-vous tirer de l’exercice qui s’est tenu le 19 avril à la gare Montparnasse afin de mettre en œuvre les nouvelles consignes à appliquer en cas d’attentat de masse, et avez-vous noté une amélioration du dispositif ?

M. Maurice Leroy. Il a été envisagé de donner aux policiers la possibilité de conserver leur arme de service même en dehors de l’exercice de leurs fonctions. On sait en effet que des policiers en repos étaient présents lors des attentats de Paris, et qu’ils auraient pu intervenir s’ils avaient porté leur arme. Certes, il se pose des questions de sécurité personnelle mais, dans le contexte actuel, qui est voué à durer, la réflexion sur ce sujet a-t-elle progressé ?

Mme la présidente Patricia Adam. Suite aux attentats de 2015, plusieurs entraînements spécifiques ont eu lieu : celui de la gare Montparnasse, en effet, mais aussi un exercice conjoint du RAID et du GIGN qui s’est déroulé à Grenoble. La menace terroriste étant identifiée et les cibles étant parfois même annoncées, organisez-vous des entraînements communs destinés à intervenir beaucoup plus rapidement en cas d’attaque, étant entendu que les primo-intervenants pourraient être selon les cas des policiers, des gendarmes ou des militaires déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle ? Les pompiers de Paris, en effet, nous ont dit avoir envisagé une attaque comme celle qui s’est produite au Bataclan, car ils en avaient tout simplement lu le projet dans les publications de Daech et s’étaient entraînés en conséquence dans le cadre de leurs missions de secours. Prévoyez-vous de votre côté des exercices du même ordre afin d’être en mesure d’intervenir avec toutes les forces de l’État qui sont à votre disposition et qui seraient coordonnées par un poste de commandement que vous dirigeriez ?

M. Jean-Marc Falcone. L’exercice qui s’est tenu à la gare Montparnasse, Madame Gosselin-Fleury, a eu lieu quelques heures seulement après la présentation par le ministre de l’Intérieur du schéma national d’intervention. Les trois forces dont nous disposons – police (RAID et BRI/PP), gendarmerie (GIGN) – sont intervenues pour la première fois ensemble sur un même site, dans le cadre d’une simulation de tuerie de masse et de prise d’otages. L’exercice a notamment eu l’intérêt de démontrer la pertinence du schéma national d’intervention qui vise à modifier la doctrine de la force menante et de la force concourante, la première étant la force d’intervention compétente sur le territoire concerné – en l’occurrence, il s’agissait de la préfecture de police – et la seconde lui apportant son soutien. Il a également permis d’activer la force d’intervention de la police nationale (FIPN), que le ministre de l’Intérieur déclenche sur proposition du DGPN. Le chef du RAID devient alors de facto le chef de toutes les forces d’intervention – en l’espèce, la BRI de la préfecture de police et du GIGN. C’est à lui qu’il appartient, en lien avec ses homologues des autres forces, de définir l’intervention, de lancer l’assaut et de rendre compte au ministre. Tel est l’objet de la FIPN : permettre aux trois forces d’agir de concert en un même lieu – ce qui représente un grand pas en avant – et sous un commandement unique. De ce point de vue, le bilan de l’exercice est positif.

La FIPN avait déjà été déclenchée en janvier 2015 lors de la prise d’otages à l’épicerie Hypercacher, le RAID ayant alors pris la direction des opérations sous la coordination de M. Molins, procureur de la République de Paris, et de M. Boucault, préfet de police de Paris. Le même dispositif pourrait être activé si une attaque se produisait dans une zone de compétence territoriale différente, chacun ayant accepté le principe que la direction des opérations puisse, selon les circonstances, être exercée par un responsable qui n’est pas territorialement compétent.

J’en viens au port des armes en dehors des heures de service. Après l’instauration de l’état d’urgence, les syndicats de police ont demandé que cette possibilité soit accordée. Les policiers sont déjà autorisés à conserver leur arme pendant leurs périodes de repos de cycle pourvu qu’ils restent dans leur circonscription ; ils n’y sont pas autorisés s’ils en sortent et lors des repos de plus longue durée. Pour permettre aux policiers de se défendre et d’intervenir en cas d’attaque, j’ai modifié le règlement intérieur de la police nationale de telle sorte qu’ils puissent – sauf avis contraire de leur supérieur – conserver leur arme de service pourvu qu’ils soient également munis d’un brassard – le gilet pare-balles étant également recommandé – hors de leur circonscription et pendant leurs congés annuels, et ce tant que l’état d’urgence demeurera en vigueur. Je n’ai pas souhaité que cette mesure soit pérenne ; nous en dresserons le bilan avant l’éventuelle levée de l’état d’urgence, que nous espérons tous dès lors que la menace aura reculé. À ce stade, cette nouvelle mesure n’a produit aucune hausse du nombre d’incidents de tir, de cas d’usage inconsidéré des armes et surtout de suicides – car 80 % des policiers et gendarmes qui se suicident le font avec leur arme de service.

Enfin, Madame la présidente, le RAID organise depuis plusieurs années des exercices conjoints avec le GIGN, mais aussi avec les fonctionnaires de la BRI de la préfecture de police, au recrutement desquels il participe. Après les attentats commis par Mohammed Merah, le RAID, constatant que nous n’avons plus affaire à des preneurs d’otages, à des forcenés ou à de simples braqueurs de banque, mais à des terroristes qui ne feignent de négocier que pour gagner du temps et préparer leur assaut et qui, en tout état de cause, n’ont aucune intention de se rendre, a modifié sa doctrine d’intervention et adopté le principe de la non-réversibilité, c’est-à-dire celui d’une intervention rapide et massive pour interpeller ou neutraliser les individus. Comme la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, nous avons donc adapté notre doctrine d’intervention en fonction des renseignements dont nous disposons. En clair, nous adaptons notre dispositif à la posture que prennent les terroristes.

Mme la présidente Patricia Adam. Il me reste à vous remercier pour cette première, qui fut très instructive.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Jean-David Ciot, M. David Comet, M. Claude de Ganay, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Gilbert Le Bris, M. Maurice Leroy, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, M. Jean-Michel Villaumé, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Olivier Audibert Troin, Mme Danielle Auroi, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Carole Delga, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Laurent Kalinowski, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, Mme Lucette Lousteau, M. Philippe Meunier, Mme Marie Récalde, M. Alain Rousset, M. François de Rugy