Accueil > Travaux en commission > Commission de la défense nationale et des forces armées > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 12 octobre 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 6

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de l’amiral Christophe Prazuck, chef d’état-major de la marine, sur le projet de loi de finances pour 2017

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous avons le plaisir d’accueillir l’amiral Christophe Prazuck, chef d’état-major de la marine sur le projet de loi de finances pour 2017, le dernier de cette législature.

Amiral Christophe Prazuck, chef d’état-major de la marine. Merci de m’accueillir dans ces lieux à l’occasion de ce premier « grand oral » que je passe devant vous et pour lequel je requiers par avance votre indulgence.

L’année qui vient de s’écouler a été marquée, comme les précédentes, pour la marine nationale par une intense activité opérationnelle. Le Livre blanc de 2013 prévoyait des déploiements permanents sur deux théâtres ; nous sommes actuellement présents sur cinq théâtres de manière continue, dont trois qui réclament des moyens de premier rang et de la haute technologie.

Nous entretenons ainsi, de manière permanente dans le golfe Arabo-Persique des unités capables de s’intégrer dans les forces de la coalition, ce qui demande des capacités d’interopérabilité élevées et la mise en œuvre de systèmes complexes.

Nous sommes également engagés depuis trois ans de manière continue sur un deuxième théâtre, la Méditerranée orientale, soit pour le déploiement d’un porte-avions, comme c’est le cas actuellement, soit pour entretenir sur place des moyens d’observation, de renseignement et d’information qui, eux aussi, doivent être connectés aux réseaux de la coalition pour entretenir l’interopérabilité, ce qui permet ensuite, quand on déploie un porte-avions de le brancher lui-même avec peu de préavis sur ces réseaux complexes. Par ailleurs, ce déploiement permanent nous permet de disposer d’une appréciation autonome, ou tout au moins de contribuer à l’autonomie d’appréciation, de la situation sur ce théâtre.

Enfin, nous sommes évidemment déployés de manière permanente sur un troisième théâtre qui demande également des moyens de premier rang, je veux parler de l’Atlantique nord où, depuis plusieurs années, nous observons un regain d’activité de la marine russe et notamment de ses sous-marins nucléaires, ce qui nous impose de redoubler d’efforts pour protéger nos approches maritimes et notamment les sanctuaires de la force océanique stratégique (FOST).

Nous sommes d’autre part présents de manière continue depuis une trentaine d’années dans le golfe de Guinée, avec la mission Corymbe. Après le sommet de Yaoundé et la mise en place du processus de Yaoundé pour la sécurité maritime dans le golfe de Guinée, notre implication a un peu changé de nature et, au prépositionnement purement militaire, nous avons adjoint les exercices NEMO (Navy’s Exercise for Maritime Operations), dont l’objectif est la coopération avec les marines du golfe ainsi que leur formation. Actuellement le Dixmude est sur place et contribue à la formation des marines des différents pays de la région, à travers des exercices, des séances de formation ou l’embarquement d’officiers. Vous savez que se tient actuellement à Lomé un sommet de l’Union africaine sur la sécurité maritime, qui doit donner une nouvelle impulsion à ce processus de lutte contre les trafics, la pêche illicite, la piraterie et le brigandage qui sévissent dans le golfe de Guinée.

Enfin, la Méditerranée centrale constitue le cinquième et dernier théâtre sur lequel nous sommes présents, au travers de la participation à l’opération Sophia d’un bâtiment français plus particulièrement affecté aux tâches dites « additionnelles » de lutte contre le trafic d’armes à destination de la Libye.

En marge de ces cinq théâtres d’opérations, les missions permanentes de la marine se poursuivent évidemment, au travers de la posture permanente de sauvegarde maritime, qui concerne environ 10 % de nos effectifs et assure également la protection de nos emprises au travers de la défense maritime du territoire (DMT), laquelle repose notamment sur notre réseau de soixante sémaphores  ou sur des pelotons de sûreté maritime et portuaire (PSMP) de la gendarmerie maritime enfin, qui compteront bientôt un nouveau peloton sur la zone de Dunkerque-Calais.

À cela s’ajoute le travail de surveillance de nos patrouilleurs et aéronefs, dont le bilan demeure stable, avec un peu plus de trois cents vies sauvées chaque année et trois mille munitions historiques détruites le long de nos côtes.

Je signale également la poursuite des missions de nos équipes de protection embarquées (EPE), sur les bâtiments sensibles qui traversent des zones potentiellement dangereuses, comme le nord de l’océan Indien ou le golfe de Guinée. Depuis cet été, ces missions ont été adaptées aux navires à passagers, avec la mise en place d’équipes de protection des navires à passagers (EPNAP), qui sont des équipes mixtes composées de gendarmes maritimes et de fusiliers marins embarquant sur les navires à passagers – dix-neuf millions de passagers accostent en France ou en partent chaque année.

Il faut enfin compter avec la surveillance de nos zones économiques exclusives (ZEE) métropolitaines ou ultramarines, avec un effort particulier consacré à la lutte contre la pêche illégale en Guyane et dans les Terres australes et antarctiques françaises ou encore à la lutte contre le narcotrafic : il faut savoir en effet que la cocaïne interceptée aux Antilles-Guyane par la marine nationale représente environ 40 % de la consommation annuelle française estimée.

Voilà pour le bilan de notre activité, de notre suractivité devrais-je dire, qui sollicite particulièrement nos moyens les plus anciens. Je suis particulièrement attentif en la matière au comportement de nos pétroliers-ravitailleurs, qui commencent à être très âgés, mais également à nos patrouilleurs, censés être remplacés avec le programme des bâtiments d’intervention et de surveillance maritime (BATSIMAR). Ma vigilance reste grande sur ces moyens, qui sont tout à fait essentiels pour la surveillance et la protection de nos ZEE.

Mon second motif de vigilance concerne les ressources humaines. Il s’agit d’éviter d’en arriver à la situation critique dans laquelle se trouvent certains de nos voisins, qui peinent à fidéliser leurs marins. Dans cette optique, les mesures annoncées dans le budget en faveur du personnel me semblent tout à fait essentielles et nécessaires. En effet, notre marine connaît dans certains corps de métiers des départs que nous parvenons à peine à compenser par les nouveaux recrutements, qui ont pourtant été dynamisés. Je pense en particulier aux microfilières spécifiques à la marine, comme celles des atomiciens, des hydrauliciens ou des officiers d’appontage, dont les effectifs ne dépassent pas quelques dizaines et dans lesquelles on se trouve très rapidement sur la ligne de crête, avec le risque de perdre des capacités.

Pour terminer par une forme de bilan des opérations récentes, je dirai que le choix qui a été fait de conserver une marine à large spectre est un bon choix. Tous les jours en effet, nous employons l’ensemble de nos capacités, depuis le haut du spectre jusqu’à nos moyens de surveillance les plus simples. Je souligne ici la remarquable capacité opérationnelle des frégates de défense aérienne (FDA) ou des frégates européennes multi-missions (FREMM) qui, chaque fois qu’elles sont déployées ou en exercice avec nos alliés, impressionnent par la qualité de leurs performances.

En ce qui concerne le budget 2017, je retiens principalement la poursuite de l’effort portant sur l’entretien programmé du matériel (EPM), avec quatre-vingt-seize jours de mer pour les bateaux, soit cinq jours de plus que l’an passé. C’est pour moi une nécessité, qui correspond au très haut niveau d’engagement de nos moyens. Cet EPM s’appliquera également à l’aéronautique navale, où nous atteindrons les standards requis pour les avions de chasse et les hélicoptères ; ce sera plus difficile pour les avions de patrouille maritime, mais les choses progressent.

Je me réjouis de la commande annoncée du cinquième sous-marin Barracuda, de la livraison de la FREMM Auvergne, de L’Astrolabe, qui bénéficie d’un montage un peu particulier et qui nous permettra à la fois de ravitailler l’Antarctique et de patrouiller dans les Terres australes et antarctiques françaises. À ces bâtiments s’ajoutent également deux Rafale rétrofités ainsi que les B2M – bâtiments multi-missions. Ce budget nous permettra enfin de reconstituer le stock des munitions air-sol, largement entamé par l’activité opérationnelle de ces dernières années.

L’autre effort important porte sur les infrastructures, c’est-à-dire l’hébergement des marins, dans le cadre d’un plan lancé par le ministère dont nous recueillons les fruits aujourd’hui, mais aussi et surtout la rénovation des infrastructures portuaires qui, pour beaucoup d’entre elles, à Brest, à Toulon, n’avaient pas été rénovées depuis cinquante ans. Cela permettra l’accueil de nos nouveaux bâtiments de premier rang, les FREMM et les Barracuda.

M. Yves Fromion. Vous avez évoqué l’intérêt d’une marine à très large spectre, qui peut assumer les multiples missions qui lui sont confiées. Qu’en est-il cependant des frégates de taille intermédiaire (FTI) ? Ne peut-on pas s’étonner en effet du choix quasiment arrêté de ces frégates légères de 4 000 tonnes, tandis que les marines européennes, en Italie ou en Grande-Bretagne, s’orientent vers des bâtiments de 8 000 tonnes, les FREMM, elles-mêmes faisant 6 000 tonnes ?

Pour une nation maritime comme la nôtre, qui se doit d’être présente sur tous les océans, les FTI sont-elles la solution ? Pourront-elles être dotées de missiles de croisière, ce qui paraît une nécessité incontournable dans le monde actuel ?

Les aléas divers et variés qui ont accompagné la réalisation du programme FREMM et ont conduit à réduire la production dans un premier temps, puis à l’accélérer pour compenser les exportations, nous auraient coûté l’équivalent de deux FREMM. Pouvez-vous nous le confirmer ?

M. Philippe Vitel. Vous avez évoqué nos patrouilleurs et nos bâtiments hauturiers, dans l’attente du programme BATSIMAR. Nous partageons votre vigilance sur la question, car la surveillance de nos territoires marins et en particulier de nos ZEE est une mission cruciale pour notre marine.

En ce qui concerne les avions de patrouille maritime, la situation n’est guère brillante. Sur les vingt-huit Atlantique 2 (ATL2), quinze doivent être rénovés. Or, les quatre rénovations prévues dans la loi de programmation militaire (LPM) ont été ramenées à deux, et le ministre lui-même nous a fait part de sa préoccupation concernant le calendrier de rénovation de ces ATL2, ce que m’ont confirmé les équipes sur le terrain, à Cuers-Pierrefeu. Il est donc indispensable d’augmenter les moyens, notamment humains, pour accélérer la réalisation de ce programme.

Nous disposons de quinze frégates de premier rang en y incluant les FTI. Or le vice-amiral Païtard nous avait déclaré qu’il était dangereux de descendre au-dessous de vingt-trois. Quelle est votre opinion sur le sujet, sachant que le nombre de FREMM envisagé a été divisé par deux depuis le lancement du programme ?

Vous avez évoqué le rôle majeur de notre force aéronavale dans le golfe Arabo-Persique. Mais notre unique porte-avions va entrer en carénage en février prochain à Toulon. À moyen et long termes, envisagez-vous, comme j’en émets personnellement le vœu, une permanence à la mer de la force aéronavale et donc l’emploi, le plus rapidement possible, d’un second porte-avions ? Ne pensez-vous pas, comme les industriels y insistent, qu’il faut d’ores et déjà réfléchir au remplacement du Charles-de-Gaulle si l’on veut éviter la rupture technologique ?

Enfin, votre prédécesseur était très attaché à ce que les IPER – indisponibilité périodique pour entretien et réparation – des futurs Barracuda aient lieu au même endroit que leur entretien courant, donc à Toulon, premier port de guerre de Méditerranée. Quelle est votre opinion sur cette question ?

Amiral Christophe Prazuck. Notre objectif est bien de disposer de quinze frégates de premier rang, objectif qu’il faut mettre en regard de celui des Britanniques, qui en envisagent dix-neuf. Nous nous situons donc dans un ordre de grandeur équivalent à celui des marines comparables à la nôtre.

Je n’ai pas d’inquiétude sur les capacités opérationnelles des FTI. Les résultats du travail en plateau réalisé avec les industriels sous l’égide de la Direction générale de l’armement (DGA) ont été présentés lors de l’université d’été de la défense. Il s’agissait d’arrêter le meilleur compromis concernant ces bâtiments de premier rang, qui auront des capacités de lutte sous la mer aussi remarquables que celles des FREMM d’aujourd’hui et pourront s’insérer dans les forces internationales et les coalitions.

Les six FREMM anti sous-marines (ASM), les deux FREMM à capacités de défense aérienne, les FDA et les FTI composent, si j’en juge par les performances opérationnelles que nous observons et par les résultats des travaux en plateau faits avec les industriels, un ensemble prometteur et cohérent, d’où il ressort qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

Monsieur Vitel, en ce qui concerne la surveillance de nos espaces maritimes, le Livre blanc prévoit que les premières livraisons du programme BATSIMAR s’effectueront à partir de 2023-2024. Or, le suivi technique des bâtiments en service fait en effet craindre que certaines de nos capacités soient temporairement hors service. Je partage donc votre idée qu’il est essentiel que nous accélérions la cadence.

En ce qui concerne les Atlantique 2, il est vrai que leur entretien dans le cadre du maintien en condition opérationnelle (MCO), est beaucoup plus long que prévu. Par ailleurs, leur rénovation, dans la perspective de les doter d’un nouveau système de combat et d’un nouveau système acoustique a pris un peu de retard, ce qui s’explique par le fait qu’il s’agit d’une rénovation assez ambitieuse, qui fait intervenir plusieurs industriels sous la maîtrise d’œuvre de Dassault. C’est la conjonction de ces deux phénomènes qui peut poser problème et réduire notre parc, au moment où la rénovation battra son plein. Chacun est conscient de ce risque et des efforts d’organisation nécessaires pour conserver en ligne suffisamment d’avions opérationnels et éviter d’avoir à basculer un avion d’une mission sur une autre, comme cela est arrivé ces derniers mois, avec le rapatriement d’avions depuis le Sahel vers l’Atlantique, pour renforcer notre posture de lutte sous la mer.

Notre porte-avions en est à son troisième déploiement en deux ans pour frapper Daech. Il n’est évidemment pas seul sur zone, et nos camarades de l’armée de l’air sont en permanence à pied d’œuvre sur ce théâtre d’opérations. Néanmoins, chaque fois qu’il est déployé, il permet un effort accru. Par ailleurs, son déploiement permet d’agréger les forces européennes, dans la mesure où il n’est jamais sorti seul, mais toujours accompagné de frégates allemandes, britanniques, belges ou américaines. Il a donc un rôle d’entraînement auprès de nos partenaires et alliés.

Malgré l’arrêt pour entretien du Charles-de-Gaulle pendant dix-huit mois, nous conserverons néanmoins des moyens d’action, même si ce ne sont évidemment pas ceux d’un porte-avions. Nous avons par exemple participé à l’opération Harmattan en Libye, en déployant sur le terrain les hélicoptères de combat de l’armée de terre à partir d’un bâtiment de projection et de commandement (BPC), à l’image de ce que font actuellement les Américains au large de la Libye avec leurs unités amphibies. Par ailleurs, la mise en service des nouveaux missiles de croisière va également nous permettre de frapper depuis nos unités prépositionnées en mer.

Quant à la permanence à la mer de la force aéronavale, c’est tout le débat des mois à venir, étant entendu que la question du remplacement du Charles-de-Gaulle à l’horizon 2040 ne tardera pas en effet à se poser.

Enfin, Monsieur Vitel, pour ce qui concerne les IPER des Barracuda, le ministre, à ma connaissance, n’a pas encore pris sa décision.

M. Gwendal Rouillard. J’aimerais avoir votre position sur la dissuasion nucléaire. Nous possédons actuellement quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et six sous-marins nucléaires d’attaque (SNA). Or, nous constatons depuis quelques mois une certaine présence au large de nos côtes, en particulier à l’ouest de la France. Considérez-vous dans ce contexte que le format de notre dissuasion est toujours le bon ou pensez-vous qu’il faille monter en puissance pour protéger nos intérêts vitaux ?

En ce qui concerne le nombre de frégates de premier rang, je considère que la question de leur nombre se pose légitimement. Je rappelle en effet que le nombre de FREMM envisagées à l’origine, sous la présidence de Jacques Chirac, se montait à vingt-deux. Or on voit ce qu’il en est advenu, comme, d’ailleurs de l’ensemble de nos programmes d’armement.

Pour les FTI, je suis un convaincu de l’Aster 30 et du missile de croisière naval (MdCN). Je rappelle que les FTI sont à la fois un objectif pour la marine nationale et pour l’export. Le travail en plateau a pour ambition d’atteindre ces deux objectifs qu’on aurait tort de perdre de vue.

D’autres sujets de préoccupation ont été évoqués, notamment BATSIMAR, pour lequel je suis preneur d’un calendrier dès que possible. Nous entendons mener la bataille à vos côtés, mais quel serait, selon vous, le calendrier idéal ?

Concernant les ATL2, je suis moi aussi allé à Cuers rencontrer les personnels. Ma conviction, c’est qu’au-delà des efforts faits par les uns et les autres, notre système de MCO n’est plus opérant – et je pèse mes mots –, a fortiori dans la perspective d’un passage de l’ATL2 au NH90. S’il est donc bien un chantier prioritaire dans les mois à venir, c’est la refondation du MCO de l’aéronavale

Un dernier mot enfin sur les femmes et les hommes de la marine, que vous connaissez mieux que quiconque du fait de vos précédentes fonctions. Leur fidélisation est au centre de toutes les attentions des commissaires à la défense. Pour ne prendre que l’exemple de nos fusiliers marins, qui ont besoin d’équipements supplémentaires et d’entraînements complémentaires, nous sommes conscients des difficultés qu’il peut y avoir à les fidéliser, sachant que les jeunes générations peuvent travailler entre soixante-dix et cent heures par semaine pour le niveau de solde que l’on sait. Bravo à la marine, quoi qu’il en soit, et sachez que nous sommes à vos côtés pour livrer les batailles à venir.

M. Jean-François Lamour. Quelle est la part de vos personnels affectée au soutien aux exportations d’armement (SOUTEX) et cela pèse-t-il sur le bon fonctionnement de la marine nationale ?

Pourriez-vous nous préciser le nombre d’Atlantique 2 disponibles, aujourd’hui et à l’horizon de la fin de 2017 ?

Que pensez-vous de l’avancée du plateau technique conjoint du programme HIL (hélicoptère interarmées léger) ? Croyez-vous pouvoir parvenir à un accord avec les autres armées car, à vous entendre les uns les autres, nous avons le sentiment que ce n’est pas possible.

Vous n’avez pas répondu sur la possibilité pour la future FTI d’emporter le MDcN : est-ce prévu ?

Enfin, en laissant de côté la question industrielle, quel est votre regard de chef d’état-major de la marine sur l’évolution de l’actionnariat des chantiers STX à Saint-Nazaire, seuls chantiers aujourd’hui capables de construire un futur porte-avions ? Que pensez-vous notamment de la possibilité qu’un groupe chinois entre au capital ?

Amiral Christophe Prazuck. En matière de dissuasion nucléaire, une flotte de quatre SNLE répond au principe de stricte suffisance. C’est cohérent par rapport à la composition de la flotte britannique, et c’est conforme à notre stratégie et à nos objectifs.

Vous avez également cité les SNA, mais la dissuasion implique des moyens beaucoup plus larges : il faut y inclure la guerre des mines, les ATL2 ainsi que les frégates basées à Brest et spécialisées dans la lutte sous la mer, ainsi que les fusiliers marins qui gardent les emprises et les centres de transmission. C’est sur cet ensemble que repose la crédibilité de notre force de dissuasion.

En ce qui concerne les SNA, l’objectif de miser sur six Barracuda me semble un objectif adapté à nos besoins et conforme à l’expérience que nous avons retirée des années quatre-vingt, où la pression était importante en matière de lutte sous la mer.

S’agissant des frégates de premier rang, Monsieur Lamour, le SOUTEX mobilise une cinquantaine de personnels en permanence. Cependant, il ne se limite pas à ces cinquante personnes, puisque nos escales ou nos exercices internationaux contribuent également à la promotion de l’excellence industrielle française en matière navale. Quand je rencontre mon homologue égyptien, je constate son extrême fierté d’avoir pris très rapidement en main une FREMM et deux BPC. Autour de ces unités se construit, soit au travers d’exercices soit grâce à des rencontres régulières entre états-majors, un partenariat de long terme, et c’est le cas chaque fois que l’un de nos industriels remporte un succès à l’exportation. L’achat récent de sous-marins par l’Australie nous a ainsi conduits à resserrer nos liens avec les Australiens et à renforcer nos échanges dans des domaines qui vont bien au-delà des sous-marins.

En ce qui concerne le programme BATSIMAR, au vu de l’usure de nos patrouilleurs, une livraison en 2021 me semble une date convenable pour pouvoir garantir l’exercice de notre souveraineté dans nos zones économiques.

Pour ce qui concerne le MCO aéronaval, nous nous accordons tous sur le diagnostic. Dans le domaine naval, la suractivité à laquelle nous sommes soumis et la sollicitation des équipements les plus anciens ne sont possibles – même si cela ne peut durer éternellement – que grâce à la qualité du service de soutien de la flotte (SSF) de la marine. La réorganisation en profondeur du MCO du matériel naval initiée par l’amiral Rogel porte aujourd’hui ses fruits. La maîtrise d’ouvrage par le SSF s’avère particulièrement efficace et nous a obligés à revoir une organisation interne qui n’était pas exempte de défauts. C’est d’autant plus important que les bateaux naviguant davantage, les aléas techniques se multiplient.

En matière de ressources humaines, je tiens tout d’abord à dire que nous arrivons à recruter puisque, grâce à une communication active, nous sommes passés de trois mille à quatre mille recrutements. Reste qu’il existe un vrai décalage entre la manière dont vivent les jeunes aujourd’hui et les exigences de la vie sur un bateau. Ce qui notamment perturbe le plus les jeunes recrues embarquées, c’est de ne pouvoir avoir accès en permanence à internet et aux réseaux sociaux.

La vraie difficulté réside, je l’ai dit, dans la fidélisation, en particulier pour les marins les mieux formés et dont les compétences sont les plus pointues, qui sont particulièrement recherchés par les entreprises privées. Nous devons lutter contre cette concurrence et conserver nos meilleurs spécialistes de la maintenance aéronautique ou de l’atome, en leur donnant l’envie de rester chez nous au lieu d’aller voir ailleurs.

Enfin, pour reprendre les termes de l’amiral Rogel, nous passons d’une marine d’effectifs à une marine de compétences. Sur un sous-marin nucléaire parti en patrouille pour soixante-dix jours, il n’y a pas de téléassistance, et l’on ne parachute pas un réparateur au milieu de l’océan Atlantique. Il faut donc savoir tout faire tout seul, en autonomie. Cela nécessite de réunir le plus grand nombre de compétences différentes au sein d’un équipage qui doit être le plus réduit possible.

Ces compétences, on les acquiert sur les bancs de l’école – la marine forme en moyenne chacun de ses marins vingt jours par an, ce qui est considérable – et par l’expérience : c’est à force de naviguer que l’on apprend à vivre en communauté et que l’on forge son esprit d’équipage. Il s’agit d’une compétence à la fois technique et comportementale : savoir vivre à la mer.

Pendant longtemps, sur des bateaux à l’organisation très pyramidale, comme le Colbert, par exemple – l’équivalent d’une FREMM il y a trente ans –, il y avait cinq cents personnes, parmi lesquelles de nombreux opérateurs chargés par exemple de relever la température des moteurs, de jeunes matelots qui apprenaient à vivre sur un bateau, à partir loin et longtemps en équipage, et qui commençaient à acquérir les rudiments de la technique. Ainsi, on pouvait sélectionner les plus intéressés et motivés. Cette base ouvrière, si l’on peut dire, constituait donc aussi un vivier de recrutement interne.

Avec les bâtiments que nous connaissons aujourd’hui et qui ne comptent qu’une centaine de personnes, ce n’est pas seulement la taille de l’équipage qui a diminué, mais sa structure même qui a été modifiée : la base est beaucoup plus réduite. Ce n’est plus un marin qui va relever la température des moteurs, mais un ordinateur. Ainsi, la marine a perdu ces jeunes marins dont je viens de parler, et c’est dès le recrutement qu’il faudrait déceler celui que l’on va pouvoir amener au grade de major, qui va faire une carrière de vingt ans et devenir un expert. Bref, c’est le vivier de recrutement interne qui a pâti.

Le phénomène est manifeste dans le cas des atomiciens. Depuis 2000, il y a dans la marine 12 réacteurs nucléaires en fonction ; pour les faire fonctionner, il faut 600 marins spécialisés dans l’énergie atomique. Ils sont recrutés en interne dans la marine, chez les spécialistes de la mécanique et de l’électricité. En 2000, ces jeunes mécaniciens et électriciens étaient 4 500 ; aujourd’hui, ils sont moins de 2 500.

Cette évolution oblige à repenser la formation et le recrutement pour permettre l’acquisition des compétences.

J’en viens à l’Atlantique 2. Nous en avons 22 en parc, une douzaine en flottille et, à ce jour, sept disponibles.

M. Jean-François Lamour. Qu’en est-il des perspectives pour la fin 2017 ? La tendance est-elle à la baisse ou au maintien ?

Amiral Christophe Prazuck. Il y a évidemment toujours des épisodes conjoncturels, surtout quand les avions sont très utilisés. Mon premier objectif est la réduction des délais des visites de longue durée pendant lesquelles les Atlantique sont immobilisés chez l’industriel : actuellement, peut-être pour des raisons logistiques, les visites qui devraient durer environ 400 jours dépassent les 800 jours.

Quant à la question de savoir si le MdCN sera sur FTI, je vous l’ai dit, nous sommes actuellement sur le plateau technique et cette éventualité n’est pas certaine. Dans la mesure où nous avons de toute façon besoin de bâtiments différenciés dont des bateaux d’escorte, des bateaux qui assurent la sécurité ASM des approches de Brest, cela ne rend pas moins nécessaires les FTI dotées de capacités ASM et d’autodéfense de première classe sur lesquels nous travaillons actuellement.

Je ne me prononcerai pas sur la structure de l’actionnariat de STX : j’en serais bien incapable. Quoi qu’il en soit, si l’on veut construire des bateaux de plus de 10 000 tonnes, STX est bien le seul lieu en France où l’on puisse le faire. À ce sujet, vous avez évoqué le porte-avions, mais j’ajouterai au spectre les futurs pétroliers de la marine. Nos bâtiments de commandement et de ravitaillement (BCR) sont très vieux et nous exposent au risque de réductions temporaires de capacité (RTC). Le programme FLOTLOG (flotte logistique), destiné à les renouveler, devra justement permettre de construire des bateaux de plus de 10 000 tonnes.

M. Nicolas Bays. Où en est-on de la lutte contre la piraterie, dont vous avez peu parlé dans votre propos liminaire ? La possibilité, désormais offerte par la loi, d’embarquer des équipes de protection privées à bord a-t-elle permis de libérer des effectifs de militaires ?

Le nombre de frégates de surveillance et de patrouilleurs doit passer de 24 à 18 à l’horizon 2025. Vous nous indiquez que 10 % des moyens humains sont consacrés à la posture permanente de sauvegarde maritime. Nos ZEE représentent 11 millions de kilomètres carrés. Il est déjà nécessaire de hiérarchiser ces zones faute de pouvoir les surveiller toutes en permanence. Va-t-on continuer de procéder ainsi, ou abandonner purement et simplement la surveillance de certaines zones à l’année ?

M. Jacques Lamblin. En ce qui concerne la force aéronavale, la perspective d’un second porte-avions est lointaine, n’en déplaise à notre collègue Vitel ; en attendant, il est important que notre porte-avions joue son rôle : emporter des avions ! Or le Super Étendard est en fin de course : il va être mis hors service.

Amiral Christophe Prazuck. Il l’est déjà.

M. Jacques Lamblin. Compte tenu des dotations et de la programmation, dans quel délai sera-t-il remplacé ? Quand les trois flottilles seront-elles opérationnelles, avec des Rafale ?

En ce qui concerne les ressources humaines, vous venez d’expliquer que les jeunes marins souffrent de ne pas vivre comme les autres, connectés à internet et aux réseaux sociaux, lorsqu’ils sont en mer. La perspective d’être loin de leur famille pendant de longues missions n’est-elle pas un autre obstacle au recrutement ?

Vous faites-vous facilement « chiper » les compétences techniques les plus pointues par le secteur privé ou par d’autres structures ?

M. Jean-Jacques Candelier. J’aimerais parler brièvement de ce que vient de vivre une fois de plus Haïti. On évoque plus de 1 000 morts et ces pauvres gens ne peuvent compter que sur l’aide internationale, l’État haïtien peinant à faire face. Or, lors du tremblement de terre, notre marine n’a pas pu donner toute sa puissance. L’aide d’urgence de la Chine et d’Israël a été plus rapide et plus conséquente. Trente tonnes de matériel et des personnels de la protection civile ont été envoyés : c’est bien, mais il faut faire mieux et plus, et seule la marine nationale en est capable. Le commandement Antilles-Guyane va-t-il bénéficier de moyens exceptionnels ? Serons-nous vraiment à la hauteur ?

M. Christophe Guilloteau. Pourriez-vous être plus précis sur l’engagement de l’Atlantique 2 pour la partie Jordanie ? Je sais que les avions y sont passés et qu’ils ont même tiré.

D’une manière générale, je constate comme rapporteur pour avis des crédits de l’air – il en va de même des forces terrestres – que le MCO est d’une manière générale un vrai problème pour nos armées. Il est trop coûteux et d’un autre temps. Il faudra en débattre, Madame la présidente ; peut-être pas pendant cette législature, mais il y a des économies et des redéploiements à réaliser dans ce domaine.

Mme la présidente Patricia Adam. Vous oubliez que nos collègues Alain Marty et Marie Récalde ont travaillé sur le MCO au cours de cette législature et produit un excellent rapport.

M. Christophe Guilloteau. Mais la situation ne s’est pas améliorée.

Mme la présidente Patricia Adam. Certes ; toujours est-il que la commission a formulé ses observations.

Amiral Christophe Prazuck. En ce qui concerne la piraterie, vous aurez noté qu’elle a quasiment disparu dans l’océan Indien, grâce à l’opération Atalante. Pourrait-elle resurgir ? Probablement, si la vigilance en mer se relâchait.

En revanche, la piraterie et le brigandage se développent depuis deux ou trois ans dans le golfe de Guinée, où quelque 150 actes annuels ont été recensés. C’était l’objectif du processus de Yaoundé de 2013, c’est celui du sommet de l’Union africaine qui se tient actuellement à Lomé que de résoudre ce problème.

La solution ne pourra qu’être très différente de celle qui avait été trouvée au large de la Somalie. On était alors en présence d’un seul État failli, alors qu’il y a dans le golfe de Guinée une multitude d’États dont les configurations sont très variables, du Nigéria, avec les nombreux bras du delta du Niger, au Togo, dont la côte mesure 50 milles nautiques de large. Cela pose des problèmes, notamment juridiques, eu égard au droit de poursuite, à l’établissement de la situation, au partage d’un constat commun.

Tel est l’objet de notre coopération à travers NEMO, de notre soutien aux marines africaines, et des démarches des Africains eux-mêmes. Il s’agit de restaurer la sécurité maritime dans cette zone, qui contribue pour 30 % à l’approvisionnement pétrolier de l’Europe et accueille un commerce maritime essentiel au développement de l’Afrique.

Les possibilités offertes par la loi s’agissant des gardes armés permettent-elles d’atténuer la pression exercée sur les fusiliers marins ? Oui, au point que nous avons pu, depuis le mois d’août, redéployer une partie de nos moyens vers les navires à passagers. La demande a décru dans l’océan Indien, notamment de la part de nos pêcheurs. Nous restons très présents sur les navires câbliers, qui avancent très lentement dans des zones de piraterie, ou sur les bâtiments affrétés par le ministère de la Défense pour ravitailler nos bases.

Nous passons naturellement notre temps à hiérarchiser les zones à surveiller. Mais le format global que nous visons, et que nous connaissons depuis plusieurs décennies, est d’une frégate, deux patrouilleurs et un bâtiment logistique pour chaque département ou collectivité d’outre-mer. Le bâtiment logistique, la « bête de somme », c’est le B2M, qui est en cours de livraison : le premier est arrivé en Nouvelle-Calédonie, le deuxième part pour Papeete et le Premier ministre a annoncé la commande du quatrième. Le format du temps des P400, du programme de 1982 destiné à assurer la surveillance et la souveraineté de nos zones économiques, me paraît toujours cohérent.

Nous avons également développé de nouveaux outils, dont le dispositif Trimaran, qui fournit des informations satellitaires, par le biais d’un abonnement, aux préfets maritimes et commandants de zone maritime.

En gros, le radar d’un bateau couvre un département français : il permet de voir 20 nautiques sur bâbord et 20 sur tribord, ce qui correspond à un cercle de 100 kilomètres de diamètre environ. Or la zone économique exclusive française s’étend sur 11 millions de kilomètres carrés : nous ne pourrons jamais déployer assez de bateaux pour la couvrir. Nous avons donc besoin de moyens mobiles. Voilà pourquoi nos patrouilleurs doivent être suffisamment rapides ; voilà aussi pourquoi il nous faut réfléchir à l’emploi de drones et songer au renouvellement des avions de surveillance maritime, moins complexes que les Atlantique – par exemple les Falcon ou les Gardian dans l’océan Pacifique – et qui permettent une fauchée très large, ainsi qu’à des moyens satellitaires comme Trimaran.

En ce qui concerne la livrée aérienne du porte-avions, le Super Étendard a bien été retiré du service. Le porte-avions navigue actuellement au large du Moyen-Orient avec 24 Rafale à bord : c’est son premier déploiement « tout Rafale ». La disparition des Super Étendard et la nécessité d’adapter les équipements à ces nouvelles conditions figurent d’ailleurs parmi les premières raisons de son arrêt technique. Les flottilles 11F et la 12F sont déjà passées sur Rafale ; ce sera le tour de la 17F au cours des mois à venir. Les 46 Rafale reçus par la marine permettent d’armer ces trois flottilles. Je n’ai donc pas d’inquiétude au sujet de la chasse embarquée.

S’agissant des ressources humaines, être marin, c’est partir loin, et il est vrai que l’éloignement des familles est parfois cité parmi les difficultés auxquelles les jeunes marins sont confrontés. De manière générale, dans la fonction de directeur des ressources humaines que j’occupais encore il y a trois mois, j’avais remarqué qu’un jeune qui a poussé la porte d’un bureau de recrutement de la marine pour oublier un chagrin d’amour ne reste généralement pas très longtemps… Dès lors que les futurs marins sont promis à un mode de vie différent des autres, leur recrutement nécessite du temps.

Voilà pourquoi je souhaite m’inspirer de la gendarmerie en misant sur la réserve. Celle-ci, sans laquelle la marine n’existerait pas, doit être non seulement le réceptacle des compétences d’anciens marins mais aussi, de plus en plus, un sas précédant l’entrée dans la marine. Aujourd’hui, 46 % des réservistes n’ont jamais servi dans la marine ; je veux accroître encore cette proportion.

Cela suppose des partenariats avec l’éducation nationale. J’en ai noué soixante avec des lycées professionnels – dont je suis un grand partisan ! Nous suivons des jeunes au cours de leur scolarité, pendant deux ou trois ans ; nous les accueillons en stage dans des unités de la marine, et ils représentent mon cœur de cible lorsqu’il s’agit d’alimenter la réserve. Je veux développer des bourses ; vous avez d’ailleurs défendu et voté ce projet. Je veux aider des étudiants à suivre des études supérieures, en particulier des BTS dans les domaines de l’informatique ou de l’énergie. Je veux pouvoir financer leurs études et anticiper leur arrivée dans la marine par des périodes de réserve.

Nous avons développé pour les officiers ce que l’on appelle, d’une formule à la mode, un graduate program : il s’adresse aux élèves ingénieurs, auxquels nous promettons de les embaucher à l’issue d’une période de formation. Ce programme fonctionne très bien. Mais, idéalement, j’aimerais que, dès leur entrée en école d’ingénieurs, certains jeunes puissent être accueillis dans la marine comme réservistes à raison de deux ou trois mois par an. Ils pourraient ainsi comprendre les contraintes du métier de marin et en apprécier l’intérêt : l’utilité au service de la Nation, la technicité et surtout l’extraordinaire richesse humaine de la vie en équipage.

Bref, en matière de recrutement, je préfère au speed dating la relation de long terme. Celle-ci naît aussi des préparations militaires marines, qui drainent chaque année 2 500 gamins et gamines venus de toute la France, sans y avoir été incités par la moindre campagne de communication, passer dix week-ends dans l’année, plus une semaine de leurs vacances, à découvrir la marine. C’est sur cet intérêt spontané que je dois capitaliser.

La politique sociale est un autre aspect important sur lequel j’ai demandé à mes équipes de travailler. Je ne suis pas chargé de la mise en œuvre de la politique sociale de la marine ; mais, avec l’organisation de nos bases de défense, nous avons un peu perdu de vue l’expression du besoin, et je veux réinvestir ce terrain. Je sais que mes marins ont du mal à faire garder leurs enfants quand ils partent en mer. La sur-sollicitation des bateaux entraîne de nombreux changements de programme, et le quartier-maître X., qui devait partir une semaine en vacances, apprend tout à coup qu’il doit finalement appareiller pour aller renforcer Sophia ou pour une autre mission urgente. Dans ces conditions, comment peut-il organiser la garde de ses enfants ? L’action sociale de la défense ne comprend pas pourquoi cela pose un problème alors que tous les berceaux ne sont pas occupés, par exemple à Toulon ou à Brest. Je soupçonne que ces berceaux ne sont pas au bon endroit : l’augmentation du coût de la vie à Toulon a poussé les marins à s’installer de plus en plus loin du centre ; dès lors, ce n’est pas près de l’arsenal qu’il faut mettre en œuvre l’aide aux familles, comme je l’avais initialement imaginé en envisageant la création d’une crèche sur place, mais là où ils habitent – à Gonfaron, à Brignoles, etc. Ils ne vont pas venir à moto – comme ils le font souvent à cause de la circulation à l’entrée de Toulon le matin – avec leur enfant de trois ans derrière eux !

Un autre champ à réinvestir est l’emploi des conjoints. Je ne m’y attarde pas faute de temps, mais je suis à votre disposition pour en reparler.

En ce qui concerne Haïti, nous avons aux Antilles plusieurs bâtiments susceptibles d’intervenir, notamment le Dumont d’Urville, un bâtiment de transport léger (BATRAL), bâtiment logistique capable de transporter d’importantes quantités et qui pourrait apporter à nos voisins durement touchés l’aide humanitaire dont ils ont besoin. Ce bateau est disponible ; il quittera bientôt le service actif et sera remplacé par les B2M.

Quant aux ATL2, sur le théâtre moyen-oriental comme dans la bande sahélo-saharienne, ils font principalement du renseignement, ainsi que du guidage ; occasionnellement, c’est vrai, ils délivrent des armements. Le tir de bombes est une capacité assez récente de ces avions ; en revanche, ils servent au guidage et au renseignement en mer comme sur terre depuis maintenant plus de vingt ans lors de ce type de missions.

M. Gilbert Le Bris. Notre marine nationale a souvent été en pointe en matière d’innovation ; James Bond ne s’y était pas trompé, qui avait mis en lumière et en scène l’une de nos frégates ! En compagnie de mon collègue Francis Hillmeyer, j’ai visité à Portland, aux États-Unis, un chantier naval où étaient réalisés de nouveaux destroyers type 1000, selon un design rénové – une proue inversée, un peu dans le style des années 1900 – et fabriqué avec des matériaux composites. De la série de 30 initialement envisagée, on est passé à trois bateaux, ce qui prouve que les choses ne sont pas aussi faciles que l’on pourrait le croire dans ce domaine. L’une des difficultés est le remplacement du matériau composite par de l’acier pour la réalisation de la partie supérieure.

Que peut-on faire et que fait-on en France en matière d’innovation ? Évidemment, je ne parle pas seulement de design, mais aussi des matériaux, des matériels, éventuellement des armes et des dispositifs de détection. Au total, quel est votre sentiment concernant la recherche et développement dans la marine nationale ? Dans quelle mesure pourrions-nous accentuer nos efforts dans ce domaine ?

M. Philippe Folliot. J’aimerais aborder notre partenariat avec la marine égyptienne. Je me suis rendu il y a quelques mois dans le pays avec une délégation du groupe d’amitié France-Égypte, que je préside ; à Alexandrie, nous avons pu constater la qualité des relations entre les deux marines et la très forte implication des personnels de DCNS. C’est essentiel.

Je ne peux pas ne pas vous parler également de notre domaine maritime – Clipperton, Tromelin et les Terres australes… J’ai pu, grâce au Marion Dufresne, un bâtiment civil, me rendre dans ces dernières ; j’ai pu vérifier l’importance de la protection de notre domaine maritime, si peu fréquenté soit-il. De ce point de vue, le dispositif Trimaran est-il satisfaisant ? J’ai personnellement constaté au sein de notre centre de contrôle à Papeete combien il peut être utile pour compléter nos autres moyens de surveillance. Vous l’avez dit, la surveillance totale par bateau est impossible. Mais, sans surveillance, la souveraineté n’est que fictive. À ce propos, j’ai eu l’occasion de dénoncer à propos de la zone économique de Clipperton le traité de pêche inique que nous avons signé avec le Mexique. Comptez-vous donc poursuivre durablement vos efforts concernant les moyens satellitaires ?

M. Michel Voisin. Amiral, vous avez évoqué très rapidement les deux missions auxquelles nous participons en Méditerranée pour traiter le problème des migrants et du contrôle des passeurs. Les médias s’en font constamment l’écho, mais ont tendance à masquer la teneur de notre action. Il semble que les crédits mis à disposition par l’Union européenne soient relativement faibles. Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?

Par ailleurs, les quelque deux milliards d’euros de crédits alloués à l’action « Préparation des forces navales » sont-ils suffisants pour garantir l’efficacité du plan « Horizon Marine 2025 », qui vise non seulement à préserver la capacité opérationnelle de ces forces, mais aussi à rationaliser leur organisation et leur mode de fonctionnement ?

Amiral Christophe Prazuck. À propos de l’innovation, vous avez cité James Bond, Monsieur le député, mais Fantômas, sous les traits de Jean Marais, volait déjà en Alouette , un hélicoptère toujours en service dans la marine ! (Sourires.)

Le Zumwalt – le destroyer que vous avez vu – suppose des moyens qui ne sont pas du tout à notre portée. Il est assurément très impressionnant, mais je suis impatient de voir ce bateau très puissant s’intégrer dans une force navale et être employé.. Entre l’arrivée d’un bateau et la définition d’un concept d’emploi fluide, il peut se passer quelques années.

DNCS avait inventé la frégate furtive – la fameuse FLF ; notre œil est aujourd’hui habitué à son design et à ses formes. Aujourd’hui, la performance des systèmes embarqués sur la FREMM, que l’on pourrait supposer peu innovants tout simplement parce que l’on ne les voit pas, est exceptionnelle. Les résultats que nous en obtenons en opération et en exercice stupéfient tous nos partenaires. Moins visible, cette innovation dans les équipements n’en est pas moins réelle. Les missiles, avec MBDA, et l’ensemble des technologies mises au service de la dissuasion sont tout à fait hors normes.

Les questions d’innovation qui se poseront au cours des années à venir concerneront les drones – navals pour la guerre des mines, aériens pour étendre la fauchée de nos bateaux lorsqu’ils patrouillent dans des zones économiques, voire plus loin – et la cybersécurité.

Monsieur Folliot, je me réjouis des échos positifs que vous avez eus en Égypte, qu’il s’agisse de la marine ou de DCNS. Je constate effectivement la grande fierté des Égyptiens et leur vif désir d’intensifier leur collaboration avec nous, en poursuivant l’entraînement après une première phase de formation.

Quant à Trimaran, il s’agit d’un moyen de surveillance complémentaire : il n’existe pas de baguette magique dans ce domaine. Si la couverture est nuageuse et qu’aucun satellite ne permet de voir ce qui se passe, on ne verra rien ! Il convient donc de rechercher l’équilibre entre les différents moyens d’information, mais aussi entre savoir et pouvoir : on peut tout savoir, encore faut-il agir ensuite. De même, puisque les moyens d’action seront toujours comptés, on ne portera qu’un coup d’épée dans l’eau si on les utilise sans les orienter dans la bonne direction.

Je le répète, le format global d’une frégate, un B2M et deux patrouilleurs par département ou territoire d’outre-mer, mis en œuvre depuis plusieurs décennies, me paraît cohérent.

Au demeurant, le premier système de combat d’un patrouilleur, c’est son pavillon français. Celui-ci montre l’exercice par la France de sa souveraineté dans ces zones, mais rappelle aussi la présence derrière le patrouilleur de toute une flotte – des frégates, des sous-marins, un porte-avions – qui exerce avec lui cette souveraineté. Les patrouilleurs n’ont donc pas besoin d’être très sophistiqués ; il suffit qu’ils permettent de voir le mieux possible, qu’ils soient endurants, qu’ils restent longtemps à la mer, qu’ils soient assez rapides pour attraper les contrevenants et qu’ils aient les moyens d’effectuer des tirs de semonce.

En ce qui concerne le drame des migrants en Libye, nous avons maintenant, je l’ai dit, un bateau engagé en permanence dans l’opération. J’ai entendu les questions qui se posent sur son financement, notamment sur celui de la formation des gardes-côtes. Mais cela ne relève pas de notre mission. La tâche additionnelle qui nous a été confiée est la lutte contre les trafics d’armes, qui requiert davantage de renseignement que de moyens financiers.

Le budget du programme 178 « Préparation et emploi des forces », permet sans le moindre doute de réaliser le plan « Horizon Marine 2025 », principalement grâce à l’effort consenti en matière d’EPM – le passage à 96 jours de mer sur les bâtiments de surface et une activité conforme aux normes pour les pilotes d’hélicoptère et les pilotes de chasse, ce qui satisfait mon principal besoin. Ce budget permet également de compléter à nouveau nos stocks de munitions. Il est conforme à ce que nous attendons.

Mme la présidente Patricia Adam. Vous avez réussi à répondre à toutes les questions ! Merci, amiral.

Amiral Christophe Prazuck. Merci à vous.

La séance est levée à onze heures.

*

* *

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, Mme Sylvie Andrieux, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Daniel Boisserie, M. Malek Boutih, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, Mme Dominique Chauvel, M. Jean-David Ciot, M. David Comet, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, Mme Carole Delga, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Patrick Labaune, M. Jacques Lamblin, M. Jean-François Lamour, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Maurice Leroy, Mme Lucette Lousteau, M. Jean-Pierre Maggi, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, Mme Nathalie Nieson, M. Jean-Claude Perez, Mme Sylvia Pinel, M. Patrice Prat, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. Thierry Solère, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, Mme Isabelle Bruneau, M. Laurent Cathala, M. Lucien Degauchy, M. Guy Delcourt, M. Nicolas Dhuicq, Mme Geneviève Fioraso, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Serge Grouard, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, M. François de Rugy