Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la commission d'enquête

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Mercredi 27 avril 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Antoine Comiti, président de l’association L214 éthique et animaux, et de Mme Brigitte Gothière, porte-parole

La séance est ouverte à seize heures quarante.

M. le président Olivier Falorni. Nous commençons les travaux de cette commission d’enquête en entendant, dans le cadre de notre première audition, M. Antoine Comiti, président de l’association L214 Éthique et animaux, et Mme Brigitte Gothière, porte-parole de cette association. C’est vous, madame, monsieur, qui avez mis en ligne trois vidéos montrant la réalité de trois abattoirs français, dont nous entendrons d’ailleurs demain les responsables.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Antoine Comiti et Mme Brigitte Gothière prêtent serment.)

M. Antoine Comiti, président de l’association L214 Éthique et animaux. Nous vous remercions d’avoir organisé cette commission d’enquête, et de nous avoir invités à vous présenter notre travail.

Avant de revenir sur les faits révélés par les vidéos de l’association, et d’avancer quelques propositions, je présenterai brièvement notre association et les principes qui nous guident.

L’association L214 a été créée en 2008 par quelques-uns d’entre nous, choqués, déjà, par des vidéos montrant les conditions de vie, mais aussi d’abattage, d’animaux d’élevage. Nous avons eu envie d’en savoir plus et engagé une démarche personnelle : petit à petit, nous avons commencé à militer pour l’intérêt des animaux d’élevage, dont le nombre est considérable – plus d’un milliard d’entre eux, animaux de boucherie mais aussi oiseaux, sans parler des poissons, sont envoyés chaque année à l’abattoir. C’est à ces animaux destinés à être consommés que notre association se consacre.

Notre objectif est de susciter un débat sur les abattoirs, la viande, les pratiques d’élevage, en témoignant des pratiques constatées soit par des vidéos, des images ou des rapports.

Nos concitoyens comme nous-mêmes sont très peu informés sur ce qui se passe dans les abattoirs, probablement parce que nous n’avons pas très envie de le savoir : il s’agit de mettre à mort un nombre énorme d’animaux, ce qui est déjà difficile à regarder ; de plus, dès lors qu’on se doute qu’il n’y a pas toujours de solution simple, on préfère souvent ne pas savoir.

Le travail de l’association consiste donc pour une large part à révéler des pratiques qui ne sont pas toujours, loin s’en faut, le fait d’employés déficients qui ne suivraient pas la réglementation et se livreraient dans le dos de leur employeur à des pratiques condamnables. Les abattoirs par eux-mêmes posent un problème structurel ; on ne le résoudra pas en blâmant des employés et en faisant simplement respecter la réglementation.

Notre association compte 14 000 adhérents ; 230 000 personnes sont abonnées à notre lettre d’information et, dans quelques jours, 500 000 personnes suivront nos actualités sur Facebook. Notre budget s’élevait l’an dernier à environ 1 million d’euros. Ces chiffres doublent chaque année depuis plusieurs années, ce qui nous semble révélateur d’un intérêt croissant de nos concitoyens pour la question animale en général, et pour la question des animaux d’élevage en particulier.

Le nom de l’association, L214, fait référence à l’article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime, qui reconnaît que les animaux sont des « êtres sensibles ». Si nous sommes réunis aujourd’hui pour parler des conditions d’abattage des animaux de boucherie, c’est bien parce que nous pensons que les animaux ressentent ce qui leur arrive – si ce n’est peut-être pas le cas de tous les animaux, c’est très certainement vrai pour les animaux de boucherie. Chiens et chats peuvent souffrir, ressentir de la tristesse ou de la joie – comme celle du chien qui retrouve son maître ; il n’y a aucune raison de penser qu’il n’en va pas de même des vaches ou des cochons.

Une idée nous semble fausse : celle qui tend à considérer que dès lors que ce sont des animaux destinés à être mangés, leur souffrance ou leur bonne vie compterait moins que celle d’un animal familier. Ce « spécisme » semble profondément erroné, et injuste.

Or, notre société établit des différences absolument criantes entre la façon dont elle traite les animaux qui nous sont proches, qui lorsqu’ils approchent de la mort sont souvent euthanasiés aussi doucement que possible, et celle dont elle traite des animaux qui ont seulement la malchance d’appartenir à une autre espèce. Il ne nous semble pas juste d’avoir infiniment moins d’égards pour un cochon que pour un chien.

Ces considérations éthiques posent un problème juridique qui n’a jamais, nous semble-t-il, été traité jusqu’à maintenant. La loi établit en effet des différences de nature entre les animaux que l’on chasse, les animaux que l’on mange et les animaux familiers.

Mme Brigitte Gothière, porte-parole de l’association L214. Je vous remercie également d’avoir mis en place cette commission d’enquête.

Les animaux souffrent toujours de leurs conditions d’abattage, que celui-ci soit fait conformément à la réglementation ou pas. Les lieux d’abattage, par essence, sont des lieux violents et cruels. Les associations ne sont pas les seules à le dire ; le préambule du règlement européen sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort reconnaît que « la mise à mort des animaux peut provoquer chez eux de la douleur, de la détresse, de la peur ou d’autres formes de souffrance, même dans les meilleures conditions techniques existantes. Certaines opérations liées à la mise à mort peuvent être génératrices de stress, et toute technique d’étourdissement présente des inconvénients. » Auditionnée par une mission d’information du Sénat réunie en 2013, Mme Anne-Marie Vanelle, présidente de la section alimentation et santé du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), a également déclaré que « malgré toutes [les] précautions [prises], on ne peut cependant jamais éviter complètement le stress et la souffrance des animaux ».

La commission d’enquête porte, je crois, sur les animaux de boucherie et donc sur 263 abattoirs. Il ne faudrait pas oublier les quelque 600 abattoirs de volaille et lagomorphes, autrement dit de lapins. Il faut également se poser la question de la mise à mort des poissons, désormais également reconnus comme doués de sensibilité, et qui ne bénéficient même pas de l’étourdissement.

Je vais m’attacher ici à détailler le non-respect de la réglementation, qui entraîne des souffrances supplémentaires. Aujourd’hui, dans les abattoirs, les contrôles sont insuffisants et le suivi est trop faible pour enrayer les dysfonctionnements. Il n’y a pas de surveillance continue au poste d’abattage, alors qu’il s’agit pourtant d’une obligation réglementaire : l’article 9 de l’arrêté du 12 décembre 1997 précise en effet que « les opérations d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage et de mise à mort des animaux sont placées sous la surveillance continue des agents du service d’inspection qui s’assurent notamment de l’absence de défectuosité des matériels utilisés et de l’utilisation conforme de ces matériels par le personnel ».

Autrement dit, un représentant des services vétérinaires devrait donc surveiller en permanence la mise à mort des animaux, ce qui n’est absolument pas le cas dans les abattoirs sur lesquels nous avons pu recueillir des témoignages. C’est un poste qui n’est pas considéré comme prioritaire dans la mesure où il ne répond pas à une préoccupation sanitaire : les souffrances des animaux n’ont de conséquences que lorsqu’une caméra est placée au bon endroit.

Le syndicat national des inspecteurs vétérinaires tire la sonnette d’alarme depuis de nombreuses années : les inspecteurs ne sont pas assez nombreux, et ce ne sont pas les soixante créations de postes annuelles promises par M. Le Foll qui compenseront ces insuffisances. J’ai vu circuler le chiffre de 2 155 agents, répartis sur les 263 abattoirs d’animaux de boucherie. Mais je répète qu’il y a sur notre territoire 800 à 900 abattoirs… Il serait donc bon de prêter l’oreille aux revendications des inspecteurs vétérinaires.

Qui plus est, les pouvoirs de ces inspecteurs sont insuffisants : Martial Albar, ex-inspecteur assermenté des services vétérinaires, qui nous a contactés à la suite de notre diffusion d’images de l’abattoir d’Alès pour nous raconter son expérience, nous a précisé avoir essayé d’agir, mais sans succès. Il pourrait être intéressant pour vous d’entendre son témoignage.

Enfin, les sanctions sont rares, et même le suivi est souvent inexistant. Ainsi, en 2013 et 2014, aucune sanction pénale n’a été prise, comme le souligne l’Office alimentaire et vétérinaire européen (OAV).

Les images que nous avons révélées montrent des insuffisances qui ont déjà été signalées, et donc parfaitement connues.

J’ai déjà cité le rapport de la mission menée en 2013 par le Sénat. La Cour des comptes, dans un rapport de février 2014, s’est également alarmée de la situation dans les abattoirs : « Au total, écrit-elle, l’absence de contrôle à un niveau significatif et l’absence de sanctions suffisantes mettent en lumière des anomalies graves ». Enfin, les rapports de l’Office alimentaire et vétérinaire, dont le dernier date d’avril 2015, montrent les lacunes des contrôles effectués.

J’en viens aux réponses apportées par les gouvernements successifs. En 2009, nous avions montré des images tournées dans un abattoir Charal à Metz : Bruno Le Maire, alors ministre de l’agriculture, avait assuré dans une lettre à la Fondation Brigitte Bardot que cette question était pour lui une priorité ; il promettait un audit interne et des améliorations réglementaires, notamment la possibilité pour le préfet de retirer des agréments. Quelques années plus tard, nos images peuvent amener à s’interroger : s’est-il vraiment passé quelque chose ?

Aux observations du rapport de l’OAV que j’ai cité tout à l’heure, soulignant l’insuffisance du nombre de vétérinaires en poste dans les abattoirs, Jean-Luc Angot, alors directeur général de l’alimentation, répondait benoîtement : « Oui, nos effectifs sont inférieurs aux normes européennes, qu’on considère trop élevées. On assume. L’abattoir est prioritaire et nos effectifs correspondent aux besoins : on a plus de mille personnes dans nos 250 abattoirs ». Cette inspection de l’OAV portait pourtant sur les abattoirs de volailles
– plus de 600, je le rappelle – et non sur les 263 abattoirs d’animaux de boucherie.

La réponse, aujourd’hui, de Stéphane Le Foll, promettant soixante postes supplémentaires par an, des inspections partout au cours d’avril – inspections qui n’auront donc rien d’inopiné –, et des représentants de la protection animale dans les abattoirs, ne fait finalement que reprendre celle de Bruno Le Maire.

Les vidéos dont nous disposons ne résultent pas de dénonciations, mais d’opportunités : il n’y avait pas forcément de signalements de maltraitance dans ces abattoirs. Nos images prouvent simplement l’existence d’infractions déjà documentées par ailleurs
– c’est le cas des trois abattoirs d’Alès, du Vigan et de Mauléon, mais aussi de celui de Metz et d’autres abattoirs de volailles et de lapins. Vous allez recevoir l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir (OABA) et la Fondation Brigitte Bardot, qui auront également l’occasion de s’exprimer là-dessus.

Nos images montrent des actes de routine ; aucune personne étrangère à l’abattoir n’est présente : ce que nous voyons, c’est le quotidien, et non une mise en scène adaptée à un observateur potentiel – contrairement, par exemple, à ce qui se passe lorsqu’un inspecteur est là.

Nous avons observé différentes techniques d’abattage, avec et sans étourdissement.

L’étourdissement préalable est utilisé pour que le cœur des animaux fonctionne encore lorsqu’ils sont vidés de leur sang. Ce n’est pas un phénomène doux, mais déjà très violent. Il peut être fait d’au moins trois façons différentes. Le pistolet à tige perforante sert à détruire une partie du cerveau en perforant le crâne. On utilise également des décharges électriques, censées rendre les animaux inconscients – mais qui ne font parfois que les tétaniser, comme l’a observé l’OAV – et le dioxyde de carbone (CO2), utilisé à l’abattoir d’Ales ; or le CO2 est reconnu par l’EFSA (European Food Safety Authority, Autorité européenne de sécurité des aliments) et même dans le préambule du règlement européen comme un gaz très aversif pour les animaux et qui devrait être abandonné.

Dans toutes les images que nous avons réalisées, nous avons vu de nombreux étourdissements inefficaces. Parfois, il s’agit des ratés – intensité de courant mal ajustée, pistolet mal placé ou chargé avec une cartouche inadaptée, exposition au gaz insuffisante –, parfois, les animaux ont repris conscience par la suite. On voit notamment des animaux qui bougent alors qu’ils sont déjà suspendus sur les chaînes : ce sont des images très impressionnantes. On voit aussi des animaux qui réagissent au couteau au moment de l’égorgement, ce qui témoigne de leur état de conscience.

L’intervalle entre l’étourdissement et la saignée est souvent long, ce qui explique les reprises de conscience. En ce qui concerne notamment les volailles, les abattages d’urgence ne sont quasiment jamais réalisés en cas d’arrêt de la chaîne – parfois tout à fait routinier, pour un changement d’outil, par exemple. Les animaux étourdis en passant dans le bain électrifié ont donc souvent pu reprendre conscience au moment où ils passent sous la lame. Dans nos images, on voyait même des animaux qui arrivaient à se désengager du cône d’amenée, échappaient ainsi à la lame et n’étaient donc pas saignés : ils arrivaient dans le bac d’échaudage encore vivants.

Aucune mesure corrective n’est prise : nous voyons très souvent des animaux conscients sur la chaîne d’abattage et, dans ce cas, un étourdissement d’urgence devrait être réalisé : dans la plupart des cas, ce n’est pas fait.

Il n’y a pas de tests de conscience. Nos images montrent des tests de conscience au pied – on donne de petits coups de pied pour voir si les animaux réagissent – mais ce n’est pas un test de conscience reconnu par la réglementation : il s’agit plutôt de tester la dangerosité d’animaux avant de les attraper par la patte pour les suspendre à la chaîne.

Mais on pratique aussi des abattages sans étourdissement, dans des abattoirs pérennes ou temporaires.

Dans les abattages sans étourdissement, le matériel est souvent inadapté. Nous l’avons montré notamment pour l’abattoir d’Alès comme pour des abattoirs provisoires. À Alès, le box destiné à des bovins adultes était utilisé aussi pour les veaux qui, du coup, peuvent se retourner. Un des veaux n’était égorgé qu’à moitié et a mis plusieurs minutes à mourir, alors qu’il était déjà relâché… La mentonnière est souvent mal ajustée. Dans le cas des moutons, de même, le matériel d’immobilisation est fréquemment inadapté.

Les égorgements sont souvent faits par un geste de cisaillement, alors que la réglementation impose un geste précis et unique. Or le cisaillement dans une plaie est extrêmement douloureux. Souvent, les animaux sont relâchés dès qu’ils ont été égorgés, sans test de conscience : cela va plus vite, cela ne perturbe pas la cadence… On voit fréquemment des tissus qui se touchent, ce qui est très douloureux et empêche le sang de s’écouler, donc la mort de survenir rapidement.

Je reviens sur les équipements et les aménagements d’abattoir : souvent, rien n’est prévu pour que les animaux ne voient pas leurs congénères mourir. Un reportage de France 3 sur les contrôles actuellement diligentés par le ministère montrait de simples bâches en plastiques, à l’évidence rajoutées à la hâte pour les inspections.

Les pièges sont souvent inadaptés, qu’il y ait étourdissement avant l’abattage ou pas.

Dans les différentes affaires que nous avons mises au jour, les salariés sont devenus des boucs émissaires faciles. Mais on leur demande l’impossible : tuer à la chaîne avec empathie. Peut-on vraiment tuer dans la dignité et le respect ? On leur demande de tuer sans nécessité, ce qui est réprimé par le code pénal ! Quelle est leur formation ? Quelles cadences leur impose-t-on ? Les images de l’abattoir de Mauléon que nous avons montrées ont été prises juste avant Pâques, au moment où il y avait beaucoup d’agneaux à tuer et moins de personnel. Comment sont réparties les responsabilités ? Quels contrôles sont menés ?

Mme Anne-Marie Vanelle, que j’ai déjà citée, déclarait au Sénat que « ces personnels sont soumis à une souffrance à la fois psychique et physique en raison de leurs conditions de travail qui impliquent la réalisation de gestes répétitifs, qui entraînent des troubles musculo-squelettiques, dans un environnement froid et humide ».

Pour nous, il est impossible que les directions et les services vétérinaires n’aient pas été au courant de ces actes. Il suffit de passer une fois dans l’abattoir pour s’apercevoir que le matériel n’est pas conforme. Un vétérinaire ne peut pas ne pas remarquer des animaux qui reprennent conscience alors qu’ils sont suspendus aux chaînes d’abattage. Dans le reportage réalisé par France 3 à l’abattoir de Sisteron il y a quelques jours, on ne voit aucun mouton bouger sur les chaînes : cela ne correspond absolument pas aux images que nous avons prises nous-mêmes.

J’en viens à nos propositions d’actions à engager immédiatement. Nous demandons d’abord plus de transparence, avec notamment des caméras dans les abattoirs. Les ONG doivent avoir accès non seulement aux abattoirs, mais aussi aux documents administratifs les concernant. Nous demandons également un étiquetage des viandes.

Il faut également protéger les lanceurs d’alerte.

Une mesure ambitieuse pourrait consister à cesser de confier la question du bien-être animal au ministère de l’agriculture, dont les conflits d’intérêts sont évidents.

Il est regrettable que les associations ne puissent pas se porter partie civile lorsque des infractions sont commises par des professionnels.

Certaines formes d’abattage sont très discutables, notamment les abattages sans étourdissement, comme l’ont souligné l’EFSA, organisme scientifique de l’Union européenne, mais aussi la Fédération des vétérinaires européens (Federation of Veterinarians of Europe) et l’Ordre des vétérinaires français. Tous trois, comme les ONG, demandent l’interdiction des abattages sans étourdissement.

L’étourdissement par le CO2 est également mis sur la sellette depuis longtemps, notamment par l’EFSA et plusieurs ONG internationales.

Pour effectuer des contrôles, il faut davantage de personnel. Le rapport de la Cour de comptes de 2014 souligne que le règlement européen autorise les États membres à percevoir des redevances ou des taxes pour couvrir les coûts des contrôles officiels, en fixant un taux minimal, mais qu’en France la plupart des abattoirs – 69 % des abattoirs de volailles et 74 % des abattoirs de boucherie – bénéficient d’une modulation qui leur permet de payer une taxe inférieure au niveau minimal fixé par ce même règlement ! Selon la Cour, « en 2012, le produit des redevances sanitaires d’abattage et de découpage a été de 48 millions d’euros alors que les seules dépenses de personnel d’inspection dans les abattoirs s’élevaient à 71,2 millions d’euros ».

M. Antoine Comiti. Voilà ce que l’on peut dire si l’on continue d’accepter l’idée qu’il faut continuer de tuer autant d’animaux chaque année, avec des méthodes industrielles. Mais est-il possible de tuer autant d’animaux à de telles cadences – encore une fois, plus d’un milliard d’animaux terrestres meurent dans les abattoirs de France chaque année – en tenant réellement compte de leurs intérêts, en prenant les précautions que l’on prendrait pour un animal familier ? Et je n’évoque ici que la mort elle-même, et non tout ce qui précède – le transport, l’attente…

Pourquoi les méthodes utilisées par les vétérinaires pour les animaux familiers ne sont-elles pas utilisées dans les abattoirs ? Hélas, on connaît la réponse : au rythme auquel il faut tuer ces animaux pour produire la viande au prix où elle peut être achetée, ce n’est pas possible. Mais la question se pose. On est bien loin de maltraitances individuelles qui seraient le fait d’employés déficients : il y a bel et bien une question structurelle, liée à la consommation de la viande.

Permettez-moi d’évoquer pendant quelques minutes la question des alternatives aux abattoirs. Certains jugeront peut-être que je m’éloigne de l’objet de votre commission d’enquête, mais je ne le crois pas : imagine-t-on qu’une commission d’enquête sur la mortalité routière ne puisse s’intéresser au transport par le train, par exemple, ou une commission sur le cancer du poumon s’interdise de se pencher sur les alternatives à la cigarette ?

Au sein de notre association, nous sommes presque tous végétariens, comme quelques centaines de milliers de Français. Si l’on pense, comme nous, que le nombre d’animaux abattus chaque année en France pose un problème structurel et qu’il n’est pas possible de tuer humainement tant de bêtes, alors il faut penser à consommer moins de viande, voire ne plus en consommer du tout. D’autres considérations, d’ordre écologique et même parfois sanitaire, conduisent à la même conclusion.

Il faudrait donc promouvoir les alternatives végétales, ainsi que la viande issue d’animaux abattus dans les moins mauvaises conditions, par l’étiquetage mais aussi par des mesures concernant la restauration collective, à l’instar de ce qui se fait pour promouvoir l’agriculture biologique. Une proposition de loi d’Yves Jégo vise à rendre obligatoire dans les cantines la proposition d’un repas végétarien. Un décret concernant les cantines impose, sans aucune justification, la consommation de produits animaux : il devrait être révisé.

Enfin, beaucoup s’inquiètent des conséquences sur l’emploi dans la filière d’une éventuelle diminution de la consommation de viande, et donc d’une diminution du nombre d’abattages. Mais il faudra bien toujours se nourrir : les métiers liés à l’alimentation continueront d’exister… Et rappelons que ces filières de production ont connu des réductions d’emplois drastiques au cours des dernières années, non pas en raison de l’action des militants végétariens que nous sommes, mais simplement parce que l’élevage s’est industrialisé.

Nous invitons toute la société à se projeter dans l’avenir. Les producteurs d’œufs se plaignent d’avoir très récemment encore été invités à investir dans des cages d’élevage des poules en batterie, alors que la consommation de ces produits diminue très fortement, les gens préférant de plus en plus les œufs de poules élevées en plein air. Les mêmes questions se posent pour la viande – à propos des méthodes d’abattage, mais pas seulement.

Merci encore de prendre au sérieux les intérêts des animaux, ce qui n’est pas évident dans le contexte politique actuel, malgré la popularité de la question dans l’opinion.

M. le président Olivier Falorni. S’agissant des contrôles, que pensez-vous de l’intervention des services vétérinaires dans les abattoirs ? Sont-ils efficaces ?

Notre dispositif pénal est-il à votre avis suffisant ? Que pensez-vous des déclarations récentes du Gouvernement sur la responsabilité pénale des directeurs d’abattoirs ? Pouvez-vous revenir sur l’impossibilité de vous porter partie civile lorsque des procès ont lieu ?

Que savez-vous des pratiques dans les abattoirs étrangers ? Certains pays sont-ils plus attentifs à la souffrance animale ?

Enfin, disposez-vous d’autres vidéos semblables à celles que vous avez récemment diffusées ?

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Merci de cet exposé liminaire. Je m’interrogeais sur la valeur statistique des alertes que vous avez lancées ; vous avez en partie répondu par avance. À votre sens, quel est l’arbre des causes ? Vous avez parlé de l’inadaptation des matériels, de leur utilisation non conforme, des cadences, etc. Quelles sont les causes principales des situations que vous avez constatées ? La règle n’est pas parfaite, sans doute, et l’on peut bien sûr, comme vous le faites, embrasser la question de façon plus vaste. Mais il y a bel et bien des écarts à la règle, et il faut à tout le moins la faire respecter.

Vous avez souvent évoqué les cadences imposées dans les abattoirs. Il faut poser la question de l’enjeu économique. Savez-vous quelle est la part de ces cadences dans la formation du prix – dont la formation n’est certainement pas assez transparente par ailleurs ? Quelle serait l’incidence sur le coût final d’une cadence deux fois moindre, par exemple ?

Vous avez en particulier évoqué les salariés des abattoirs. Pouvez-vous évoquer la formation de tous ceux qui travaillent dans la filière viande ? L’abattage et le stade de la mise à mort est-il assez enseigné, y compris aux bouchers ou aux éleveurs ? Une information précise me paraîtrait indispensable, puisque l’animal – à nouveau, je n’entre pas dans les problèmes éthiques que vous avez soulevés – est élevé pour être consommé.

Enfin, avez-vous travaillé sur les dysfonctionnements et donc les souffrances qui se produiraient en amont du stade de l’abattoir – transport, attente, abreuvement… ?

M. François Rochebloine. Merci de cet exposé très complet. J’ai apprécié la comparaison que vous avez établie avec les animaux de compagnie. Cette commission d’enquête permettra, je l’espère, d’améliorer la situation.

Si on ne peut que féliciter votre association de son travail remarquable pour appeler l’attention des médias et du Parlement sur ces tristes situations, je ne vous rejoins pas lorsque vous abordez la question végétarienne. Chacun a le droit d’être végétarien, bien sûr, mais la commission n’a rien à voir avec cela. Ce qui se passe dans les abattoirs est inadmissible, inacceptable, et tout comme mes collègues je le dénonce fortement ; nous devons tout faire pour améliorer les conditions « d’accompagnement à la mort », si je puis dire, de ces animaux. Mais je ne pense pas qu’il faille pour autant devenir tous végétariens ! Notre agriculture souffre déjà suffisamment… Pour ma part, j’entends bien continuer à manger de la viande.

Quelle formation reçoivent les personnels ? Des qualifications particulières sont-elles exigées ?

Parmi les 263 abattoirs d’animaux de boucherie, combien selon vous fonctionnent normalement ?

M. Thierry Lazaro. Merci de votre action : les images choquantes sont parfois utiles.

Comme François Rochebloine, je suis plutôt un bon mangeur, mais j’aime les animaux ! Élu rural, je rencontre dans ma circonscription beaucoup d’éleveurs très soucieux du bien-être de leurs bêtes – pour des raisons diverses d’ailleurs. Mais il y a des excès, des abus, des erreurs, qu’il faut corriger. Il faut tout faire pour le bien-être de l’animal, jusqu’à la phase ultime.

La question du végétarisme est différente ; elle est de nature économique, cela vient d’être dit, mais surtout culturelle. Si une centaine de milliers de nos compatriotes sont végétariens, une grande majorité ne l’est pas. À mon sens en tout cas, notre rôle est de trouver un équilibre pour que les animaux souffrent le moins possible et vivent aussi bien que possible.

Comment verriez-vous la reconversion de la filière de l’élevage, puisque c’est au fond ce que vous défendez ? Vous avez parlé de transparence et d’étiquetage : pouvez-vous aller plus loin sur ce sujet ? On peut en effet penser qu’il revient au consommateur final de prendre la décision, en toute connaissance de cause.

Je rejoins enfin notre rapporteur sur la formation : dans ce domaine comme dans d’autres, c’est sans doute le meilleur moyen d’éviter les dérapages que vous avez mis en évidence.

M. Jacques Lamblin. À propos des images scandaleuses que vous avez diffusées, à juste titre, vous avez parlé, madame Gothière, de routine, en précisant qu’il n’y avait aucune mise en scène, les opérateurs ignorant que vous les observiez. Quelle est la proportion de ces images scandaleuses par rapport au volume filmé ? Autrement dit, quelle est la proportion d’événements anormaux dans le travail de ces établissements ?

Ces séquences particulièrement odieuses ont-elles été filmées lorsque se pratiquait un abattage sans étourdissement, autrement dit un abattage rituel ?

Mme Brigitte Gothière. Avons-nous d’autres vidéos ? C’est une question difficile… Nous avons montré des vidéos avant celles-ci ; elles montraient déjà des dysfonctionnements. Nous continuons de travailler à montrer la réalité des abattoirs – que cela se passe bien ou mal d’ailleurs : pour nous, cela ne se passe de toute façon jamais bien pour les animaux…

M. le président Olivier Falorni. Vous n’avez donc pas actuellement de nouvelles vidéos tournées clandestinement qui montreraient les mêmes pratiques que dans les trois abattoirs déjà mis en cause.

M. Antoine Comiti. D’autres images sont en notre possession et montrent des pratiques qui ne sont pas forcément les mêmes, mais qui restent tout aussi choquantes. Nous sommes de plus en plus sollicités par des personnes travaillant dans la filière, ou qui en sont proches ; jusqu’à maintenant, nos mondes étaient assez éloignés, mais elles nous contactent désormais pour nous aider à nous procurer des informations ou des images. Il y aura donc, je pense, malheureusement, beaucoup d’autres images.

S’agissant des abattoirs étrangers, les pratiques sont à peu près semblables dans l’ensemble des pays européens. Certains pays proscrivent des méthodes comme l’étourdissement au CO2, ou interdisent l’abattage sans étourdissement. Pour le reste, la réglementation est similaire, et le travail d’autres associations ou de l’OAV montre que les pratiques sont comparables.

S’agissant des formations, je ne me sens guère compétent pour vous répondre. Il n’y a pas, me semble-t-il, grand-chose sur le sujet. Certains organismes en proposent. Mais il nous semble que ces formations restent très légères.

Mme Brigitte Gothière. Sur ce dernier point, les professionnels vous répondront plus précisément que nous. Il existe bien une formation, notamment sur les postes de tueurs.

Lorsque nous avions demandé à visiter l’abattoir de Metz, les responsables nous avaient assuré être particulièrement attentifs au bien-être animal ; ils nous ont affirmé que le personnel était formé, que les services vétérinaires exerçaient des contrôles, mais qu’il n’était pas question de nous laisser rentrer pour venir constater tout cela.

En ce qui concerne le dispositif judiciaire, les associations ne peuvent se porter partie civile que dans certains cas ; elles ne le peuvent pas lorsque l’infraction a été commise par des professionnels. Le dispositif pénal n’est pas utilisé : aucune sanction pénale n’a été prononcée alors que des infractions « moyennement graves » ont été relevées. Je vous renvoie au rapport de l’OAV.

En ce qui concerne le volume filmé, pour l’abattoir d’Alès, plus de cinquante heures de rushes nous sont arrivées, ce qui est énorme. Si nous n’avons pas tout montré, c’est parce qu’il faut flouter les visages pour que les employés ne soient pas reconnaissables. Sur notre site, vous trouverez une heure et demie d’images.

À vrai dire, notre idéal serait d’avoir des caméras qui fonctionnent en permanence : chacun pourrait ainsi regarder ce qui se passe en temps réel.

On ne voit pas, dans cet abattoir d’Alès, d’actes de sadisme, mais des actes routiniers. Les cisaillements lors d’abattages sans étourdissement, les animaux qui reprennent conscience sur la chaîne d’abattage, les cochons qui reprennent conscience après être passés dans le puits de CO2… Autant d’incidents qui n’ont rien d’exceptionnel. Je ne peux pas vous donner de pourcentage, mais ces pratiques sont représentatives.

À l’abattoir du Vigan, c’est une matinée qui a été filmée, avec une scène particulièrement perturbante où l’on voit un employé qui n’arrive pasà conduire les moutons vers le couloir d’amenée : cela montre qu’il ne sait vraiment pas s’y prendre, ou qu’il est ce jour-là vraiment dans un état second.

M. Antoine Comiti. Même si ces dysfonctionnements ne concernaient que 1 % des animaux abattus, cela ferait tout de même 10 millions d’animaux affectés par ces horreurs
– soit l’équivalent du nombre de chiens ou de chats sur notre territoire, je crois.

Mme Brigitte Gothière. Les abattages sans étourdissement ne sont absolument pas les seuls concernés. Nous n’en avons montré que dans l’abattoir d’Alès, et même dans ce cas précis l’abattage sans étourdissement ne concentre pas tous les problèmes : nous avons bien séparé les deux cas. Au Vigan, les abattages de bovins et de moutons que nous avons montrés se font avec étourdissement – je vous rappelle la scène de cet employé qui s’amuse à donner des décharges avec sa pince électrique. À Mauléon enfin, il n’y a aucun abattage sans étourdissement dans les images que nous avons montrées.

M. Antoine Comiti. Vous nous interrogiez également sur l’efficacité des contrôles des services vétérinaires. Il nous semble que le problème va au-delà : le problème, c’est plutôt le peu d’attention porté par notre société à la part du travail des vétérinaires qui concerne le bien-être des animaux. Leur hiérarchie des priorités ne fait que refléter celle de notre société : le bien-être des animaux passe après les tâches d’ordre sanitaire, notamment. Globalement, nous ne voulons pas voir ce qui se passe dans les abattoirs : même lorsque le travail est bien fait, ce n’est jamais très agréable.

Plus la société s’intéressera au bien-être animal, plus les inspecteurs vétérinaires auront le pouvoir de consacrer le temps nécessaire – malgré leurs effectifs réduits – à cette question.

Mme Brigitte Gothière. Les rapports de l’OAV, je l’ai dit, soulignent les lacunes des contrôles vétérinaires dans les abattoirs. L’OAV joue le rôle d’une police des polices et relève les manquements des services vétérinaires français. Ainsi, certains manquements ne sont pas détectés – tonneau de contention non conforme à la réglementation, obligations non respectées… Le rapport de 2015 prend également l’exemple d’un tonneau de contention utilisé pour des bovins adultes mais aussi pour des bovins de plus petit gabarit : cela a été signalé par les services vétérinaires, mais le tonneau n’a pas été changé – et cet état de fait dure depuis des années.

Les caractéristiques techniques et les conseils d’utilisation doivent, selon la réglementation, être fournis en même temps que le matériel : ainsi, si un box d’immobilisation est destiné à des bovins adultes, cela doit être inscrit sur la fiche – mais en réalité, ce n’est pas noté. L’OAV relève que la France n’oblige pas les fabricants de matériel à respecter cette obligation.

Vous entendrez les services vétérinaires, qui vous diront eux-mêmes qu’ils ne sont pas assez nombreux. Une personne de ces services devrait être affectée au poste d’abattage, ce qui n’est pas le cas : le vétérinaire privilégie les inspections ante et post mortem, qui, si elles n’étaient pas effectuées, auraient des incidences immédiates sur le plan de la sécurité alimentaire.

M. Antoine Comiti. Monsieur le rapporteur, vous nous interrogez sur les causes. Il nous semble tout à fait évident que les cadences constituent un problème – ces abattoirs sont des usines, et la chaîne est un problème. Il faut tenir une cadence, mais les animaux ne sont pas des objets : ils bougent, ils ne sont pas d’accord, ils s’affolent… Si l’on ne veut pas stopper la chaîne, il faut donc les brutaliser – non par méchanceté ou par sadisme, mais par nécessité. N’importe lequel d’entre nous placé dans une telle situation, fatigué, en fin de journée, alors qu’il reste cinquante animaux à abattre, aurait du mal à rester zen, si vous me permettez l’expression – surtout s’il savait que prendre le temps nécessaire risquerait de poser un problème économique à son entreprise. Les cadences constituent un problème, c’est sûr.

En revanche, nous n’avons pas la moindre idée de leurs conséquences directes sur le prix de la viande. C’est une question que peu de gens se sont posée, ce qui est sans doute le signe d’un problème plus profond ; c’est un point à éclaircir. L’Institut national de la recherche agronomique (INRA) pourrait sans doute s’en saisir.

Vous avez évoqué l’importance de la transparence : si tout était plus visible, il me paraît évident que les choses se passeraient mieux.

De même, si l’étiquetage permettait au consommateur de connaître le mode d’abattage des animaux, si les consommateurs étaient informés, sans doute achèterait-on moins de ces produits-là. Il est vrai que nous ne sommes pas toujours cohérents, et que nous achetons parfois des produits peu chers dont nous savons qu’ils ne sont pas les meilleurs – tout le monde trouve très bien d’acheter les produits biologiques, mais l’on n’achète pas que cela… Mais un étiquetage spécifique serait malgré tout facteur de progrès : au moins, il provoquerait un débat. Les questions sur les méthodes d’abattage peuvent apparaître techniques, mais ne le sont pas : il serait bon que le Parlement et les citoyens s’en saisissent.

Mme Brigitte Gothière. Je voudrais revenir sur la question du coût de la viande : aujourd’hui, le consommateur ne paye pas le coût réel de ces produits. Des aides sont en effet apportées à l’élevage, au fourrage… Les aides directes et indirectes sont très nombreuses. Les externalités ne sont pas prises en compte : pensons aux algues vertes, dont le coût très élevé est pris en charge par la collectivité, et non par ceux qui sont à l’origine de cette pollution.

Si le consommateur payait le vrai prix de la viande, la production serait sans doute beaucoup moins élevée.

M. Antoine Comiti. Le coût des éventuelles mesures inspirées par votre commission – augmentation du nombre d’inspecteurs, obligation d’adopter des méthodes d’abattage moins rapides, par exemple – devrait être répercuté sur le prix de la viande : si ce coût est pris en charge par la collectivité, les consommateurs ne s’aperçoivent de rien. En revanche, si le coût est répercuté et la méthode d’abattage expliquée, le consommateur se rendra compte du vrai prix de la viande, dans tous les sens du terme, et ce sera facteur de progrès.

Mme Brigitte Gothière. Monsieur le rapporteur, vous évoquez la question de ce qui se passe avant l’arrivée à l’abattoir : nous-mêmes ou d’autres associations avons documenté les conditions d’élevage mais aussi de transport. Les rapports de l’OAV portent également sur ces questions, qui sont importantes. Là aussi, le bien-être des animaux est mal pris en considération.

S’agissant de la question de la consommation de la viande et du végétarisme, elle est à notre sens centrale : si ces images nous choquent, ce n’est pas seulement parce qu’elles montrent des infractions à la réglementation ; c’est aussi parce qu’elles nous obligent à voir que nos choix de consommation impliquent la mise à mort d’animaux, dans des conditions absolument abominables. Certaines de nos vidéos montrent des abattages menés dans le respect de la réglementation, et les commentaires des internautes ne sont pas différents – ils estiment ces scènes épouvantables, inadmissibles. Personne ne supporte de voir les couteaux se planter dans la gorge des animaux.

À la télévision, dans les reportages sur les abattoirs et les inspections, le moment de la mise à mort est d’ailleurs souvent escamoté : on n’ose pas montrer cette étape qui est pourtant incontournable pour obtenir de la viande.

M. Antoine Comiti. S’agissant de la reconversion, nous le regrettons, mais nous ne serons pas tous végétariens demain : ce sont des évolutions qui se font sur un temps long – ce sont des évolutions culturelles, vous avez entièrement raison, monsieur Lazaro. Et bien manger est important, c’est une évidence… Les personnes qui travaillent aujourd’hui dans ces filières seront depuis bien longtemps à la retraite quand les changements que nous appelons de nos vœux – j’entends bien que vous ne partagez pas ces choix – se produiront.

Encore une fois, les dernières décennies ont vu des changements autrement plus violents avec l’industrialisation de l’élevage : le nombre de personnes qui travaillent dans les filières d’élevage a déjà été drastiquement réduit.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je me félicite moi aussi de la mise en place de cette commission, qui a pour but d’apporter de l’objectivité et de la vérité.

Mais qui êtes-vous exactement ? Vous demandez la transparence, vous devez faire preuve de transparence à votre tour. Vous vous définissez comme militants végétariens, mais au-delà de cela, qui êtes-vous et qui vous finance ?

Vous avez enquêté, et vos vidéos ont blessé et interpellé nos concitoyens. Depuis 2008, vous êtes-vous limités à ces actions ? Avez-vous obtenu des réponses de l’administration, ou à l’inverse des refus vous ont-ils été opposés ? Quid de tout ce que vous avez pu récupérer ? Pouvez-vous dire que vous vous êtes heurtés à une omerta administrative, et accusez-vous l’administration française de ne pas faire son travail ?

Mme Sylviane Alaux. Merci de ces alertes. Consommer ou pas de la viande est l’affaire de chacun ; ce n’est assurément pas l’objet de cette commission d’enquête. Les conséquences de la surconsommation de viande sur la santé mais aussi sur l’environnement sont néanmoins de plus en plus évidentes : à l’occasion du sommet de Copenhague, un appel avait été lancé pour l’instauration d’une journée hebdomadaire sans viande.

S’agissant des salariés, je plaide pour un examen sérieux de leurs conditions de travail, particulièrement dures. Comment se fait la sélection du personnel ? Elle doit être rigoureuse, même si les candidats ne se bousculent sans doute pas au portillon. Nous devons aussi nous pencher sur la formation et sur l’encadrement – dont vos enregistrements montrent les lacunes.

La traçabilité s’arrête aujourd’hui à la porte de l’abattoir ; or le consommateur est en droit de savoir. Pourriez-vous préciser vos préconisations sur ce point ?

En ce qui concerne précisément l’abattoir de Mauléon, situé dans le département dont je suis l’élue, de combien d’heures d’enregistrement disposez-vous ? Pouvez-vous revenir sur la question de l’abattage sans étourdissement ?

M. Hervé Pellois. Ces alertes sont utiles à la société, et je vous en remercie. Nous avons tous une éthique, et j’imagine que voir souffrir les animaux ne réjouit pas ceux qui travaillent avec le monde animal.

Pouvez-vous répondre plus précisément à la question du rapporteur sur les causes majeures des dysfonctionnements que vous dénoncez ? Vous avez beaucoup parlé des cadences. N’y a-t-il pas plutôt un problème d’organisation des chaînes d’abattage ? La maltraitance est sans doute plus répandue dans les petits abattoirs, mal adaptés à un abattage standardisé, que dans les grands. Je défends pourtant l’idée d’installer de petits abattoirs locaux, au plus près des producteurs, mais il est beaucoup plus difficile pour un petit d’abattoir d’être fonctionnel et efficace.

S’agissant de la formation, je crois qu’il existe plusieurs instituts spécialisés dans ce domaine.

Mme Laurence Abeille. Je salue moi aussi la création de cette commission d’enquête sur ce sujet essentiel.

Peut-on travailler toute sa vie dans un abattoir ? Ce métier est fait d’actes d’une telle violence que l’on doit se poser cette question. D’autres auditions nous permettront certainement de revenir sur cette question centrale de la formation.

S’agissant des cadences et de la standardisation, tout le problème est justement que les animaux ne sont pas standardisés ! C’est l’obstacle rencontré pour utiliser des tonneaux de contention, par exemple. Tous les animaux ne peuvent pas avoir le même poids, la même taille, la même forme… Ne peut-on pas essayer de s’adapter aux animaux au lieu d’adapter les animaux à des cadences et à des matériels ?

Vous n’avez pas abordé la question des animaux qui arrivent déjà morts à l’abattoir. J’ai reçu des témoignages sur ce point : en avez-vous également ? Ce sont des questions graves.

Il n’y a pas d’abattoir « bio », contrairement à ce qui est dit dans les vidéos. C’est une mauvaise façon de parler du sujet ; il y a des animaux issus de l’agriculture biologique, qui sont abattus. Pouvez-vous là encore revenir sur ce point et sur les problèmes spécifiques qui peuvent se poser – notamment en raison de la moindre standardisation de ces bêtes ?

Enfin, vous évoquez la souffrance obligatoire liée à la mise à mort. Les conditions d’étourdissement ne peuvent-elles pas évoluer afin de minimiser cette souffrance, même si celle-ci demeure inévitable ?

M. Yves Daniel. Il me paraît important de bien définir les objectifs et les limites de cette commission d’enquête.

En tant qu’agriculteur, éleveur de vaches laitières et de porcs, je peux témoigner de ce que nous, éleveurs, aimons nos animaux ; nous savons bien aussi que leur bien-être et leur confort contribuent beaucoup à la performance. Tous les acteurs, mais aussi tous nos concitoyens, tous les consommateurs, doivent pouvoir débattre de leurs rapports avec les animaux. Nous avons tous envie de lutter contre la souffrance, tout au long du processus d’élevage ; mais nous raisonnons en tant qu’êtres humains – nous sommes humains, ils sont animaux.

Notre société confond la sensibilité de l’animal et le sentiment humain : il y a là une dérive. Des êtres humains finissent par être plus attachés à leur animal domestique qu’à leurs semblables ! Nous devons nous interroger, sur notre société et sur nous-mêmes.

Il faut aussi être précis en utilisant les apports de la science, mais aussi ceux des recherches pratico-pratiques : la souffrance aussi se mesure. Je pourrais vous donner l’exemple de la castration des porcelets, que l’on peut réaliser en diminuant la souffrance.

Quel est votre point de vue sur ces questions ? Nous devons demeurer prudents et faire la part des choses. Vous dites qu’il faudrait retirer au ministère de l’agriculture la charge de veiller au bien-être animal. Je n’en suis pas convaincu ; il faudrait plutôt l’intégrer dans le fonctionnement de notre société.

M. William Dumas. Je voudrais revenir sur le cas de l’abattoir du Vigan, situé dans ma circonscription. Je ne pense pas que les cadences y soient en cause. Ils travaillent beaucoup pour de petits producteurs, pour des circuits courts. Les volumes sont bien moins importants qu’à Alès, par exemple.

Vous avez mis des caméras un peu partout. De combien d’heures de vidéos disposez-vous, par rapport à ce que vous avez montré ?

Vous avez dit que le consommateur ne paie pas le vrai prix de la viande. En agriculture, on a l’habitude de crises liées à ce problème. Mais vous avez aussi dit que les autres abattoirs européens sont dans une situation similaire : si l’on prend des mesures chez nous, des problèmes de concurrence se poseront, car nos prix augmenteront. On connaît les paradoxes qui ont mené à faire abattre à la frontière allemande des cochons bretons par des ouvriers polonais… Il me paraît nécessaire de réfléchir à l’échelle européenne.

M. Guillaume Chevrollier. Vous êtes lanceurs d’alerte et vous jouez beaucoup sur l’émotion. Vous avez, je crois, trop vite généralisé en parlant de dysfonctionnements dans « les » abattoirs – il faut parler de dysfonctionnements dans « des » abattoirs. J’ai pu visiter des établissements où l’administration était présente, où les salariés travaillaient consciencieusement, même si l’acte d’abattage est nécessairement un moment difficile.

Vous vous dites vous-même pro-végétariens, et l’on sent que vous essayez d’instrumentaliser les choses à des fins militantes. Je n’approuve pas vos propositions, sur la transparence ou l’accès des ONG : l’État est tout de même là pour veiller et contrôler.

La fonction de responsable de la protection animale existe dans les abattoirs : quand le RPA est là, cela fonctionne bien, et il faut le préciser.

M. Christophe Bouillon. Je salue également le rôle de lanceur d’alerte de votre association. Pouvez-vous préciser votre point de vue sur les règles européennes sur le bien-être animal ? Quelles sont les pistes d’amélioration ?

Avez-vous des relations avec d’autres ONG européennes ? Existe-t-il un réseau, des échanges ? Des vidéos similaires ont-elles été diffusées dans d’autres pays ? Sur ces sujets, comment se situe la France par rapport au reste de l’Europe ?

Depuis la diffusion de vos vidéos, avez-vous eu l’occasion de parler à des responsables d’abattoirs ? Certains d’entre eux ont-ils demandé à vous rencontrer ?

Mme Françoise Dubois. Je rejoins Yves Daniel, qui sait de quoi il parle. Pour avoir discuté avec les éleveurs de ma circonscription, je sais combien ils sont attachés à leurs animaux. D’ailleurs, un animal bien traité fournit une meilleure viande. À l’inverse, le stress au moment affecte immédiatement la qualité de la viande : si l’abattage est mal conduit, c’est finalement le travail des éleveurs qui est remis en cause.

Pour cette raison même, ne pourrait-on pas leur permettre – ils ne demandent pas mieux – de suivre de près l’abattage de leurs bêtes ?

M. Antoine Comiti. Merci à nouveau de ces nombreuses questions.

Les éleveurs sont évidemment proches de leurs animaux, et nombre d’articles de la presse quotidienne régionale montrent qu’ils sont parmi les plus choqués de ce qu’ils ont vu de la réalité dans les abattoirs. Ils ne deviendront pas végétariens comme nous, mais ils sont comme nous et comme vous tout à fait atterrés.

Monsieur Dumas, la question du bien-être des animaux de ferme relève de l’Union européenne, qui a été un grand facteur de progrès en France : la plupart des améliorations juridiques visant à mieux prendre en considération le bien-être des animaux, à tous les stades de la chaîne de production, sont dues à des directives européennes – à l’origine desquelles se trouvaient souvent des pays nordiques, et que la France a tout fait pour affaiblir. Nous avons rarement été un fer de lance dans ce domaine… Rien n’interdit pour autant de faires mieux que le droit européen dans notre pays.

En outre, les règles du commerce international comme celles de l’Union permettent à un pays, dans certaines situations, d’interdire l’entrée d’une marchandise sur son territoire : il est donc tout à fait imaginable d’interdire l’importation de viandes produites selon des normes que nous jugerions inacceptables. Cela a été fait pour les cosmétiques : une directive européenne a ainsi interdit l’importation de cosmétiques testés sur les animaux, et cette interdiction prévaut désormais.

Mme Brigitte Gothière. Pour Alès, nous disposons d’une cinquantaine d’heures de vidéos ; pour Le Vigan, les vidéos ont été tournées sur une dizaine de jours, mais avec des interruptions ; pour Mauléon, elles ont été tournées sur une semaine, chaque jour de fonctionnement de l’abattoir.

Mme Sylviane Alaux. Et les dysfonctionnements, les abus se sont répétés ?

Mme Brigitte Gothière. Oui. Les reprises de conscience ou l’utilisation du crochet pour achever d’étourdir les animaux sont des phénomènes que l’on voit tous les jours. C’est vraiment routinier. De la même façon, l’utilisation d’un box d’immobilisation prévu pour un seul bovin pour deux ou trois veaux est tout à fait habituelle. Les « pétages de plomb » des ouvriers sont heureusement moins fréquents : un ouvrier qui, comme au Vigan, s’amuse avec les pinces électriques, cela n’est arrivé qu’une fois.

Quant à la question européenne, d’autres enquêtes similaires existent. Au Royaume-Uni se déroule actuellement une grande campagne en faveur de l’installation de caméras dans les abattoirs : Say Yes To Slaughterhouse CCTV. Une grande enquête a également été publiée en Autriche, en novembre 2015 : on y observe, comme chez nous, des pratiques non réglementaires et d’autres, tout à fait réglementaires, mais absolument choquantes.

M. Morel-A-L’Huissier nous demande qui nous sommes et qui nous finance. Nous sommes un ensemble de personnes très différentes… Le « noyau dur » de L214 compte aujourd’hui une vingtaine de personnes ; nous devions être une dizaine de fondateurs. Nous avons, je l’ai dit, environ 14 000 adhérents. Nous venons d’horizons très divers : j’étais professeur d’électricité.

M. Antoine Comiti. Quant à moi, je suis informaticien.

Notre association compte aujourd’hui une grosse quinzaine de salariés, tous au SMIC. Je suis pour ma part bénévole.

Mme Brigitte Gothière. Nous sommes financés pour l’essentiel par des donateurs particuliers. Quelques fondations nous apportent leur aide, mais cela représente peu de chose – 34 000 euros l’an dernier, je crois. Au total, les dons reçus l’an dernier s’élèvent à environ 1 million d’euros. Nous ne sommes pas reconnus d’utilité publique, mais seulement une association d’intérêt général.

Vous nous interrogez également sur notre expérience depuis 2008. Nous avons montré, je l’ai dit, d’autres vidéos. Nous nous adressons également aux distributeurs pour leur demander de modifier les produits proposés à la vente : nous menons ainsi une campagne visant à bannir de France les élevages de poules en batterie.

Nous avons en effet essuyé des refus de documents, notamment des rapports des services des inspections vétérinaires ; on nous oppose en particulier le risque de préjudice aux éleveurs. Certaines de nos vidéos ont également été supprimées. Nous ne pouvons donc pas accéder à certains documents, dont il nous semblerait pourtant souhaitable qu’ils soient à la disposition de tout un chacun.

Quant aux inspections des services vétérinaires, souvent, elles ne portent pas sur le bien-être ou la protection des animaux. Les témoignages que nous recueillons auprès de personnes qui travaillent au sein même des établissements ne concordent pas toujours avec les rapports des services vétérinaires.

M. Antoine Comiti. Il existe aujourd’hui au ministère de l’agriculture un Bureau de la protection animale – ce n’est pas une direction. Il nous semble que la position de ce bureau ne lui permet pas vraiment de défendre le bien-être des animaux : trop d’impératifs, notamment économiques, entrent en contradiction avec cet objectif. On veut produire vite, on veut produire en masse… Autant de préoccupations qui prédominent au sein du ministère.

Encore une fois, je pense que c’est là le reflet de l’état de la société, qui n’a pas assez débattu de cette question. Néanmoins, une externalisation serait une bonne chose : cela a été fait en Belgique récemment, et les effets sur la protection des animaux dans divers domaines sont très intéressants et très rapides.

À entendre M. Chevrollier, l’administration fait son travail. Il nous semble que si notre association existe, si elle est utile, c’est justement parce que l’État ne joue pas suffisamment son rôle de veille à ce sujet, et que ceux qui ont ce sujet en charge n’ont pas assez de pouvoir pour imposer qu’il soit vraiment pris en considération.

M. Guillaume Chevrollier. J’ai seulement voulu dire que vous dénonciez une certaine omerta des services.

Mme Brigitte Gothière. Vous dites aussi, monsieur Chevrollier, que nous jouons sur l’émotion. Les personnes qui ont fondé cette association ne sont pas végétariennes ou vegan de naissance : à un moment, dans notre parcours, nous avons fait un pas de côté. La volonté de lutter contre la souffrance animale nous a amenés à nous interroger sur notre propre rapport avec les animaux et les humains.

Vous avez fait une distinction, monsieur Daniel, entre la sensibilité et les sentiments des animaux. Aujourd’hui, il est reconnu que les animaux sont doués de conscience et éprouvent des sentiments : je vous renvoie à la Déclaration de Cambridge sur la conscience, signée par d’éminents scientifiques, en présence de Stephen Hawking. La plupart des animaux, et notamment ceux qui sont élevés pour être mangés, ont les substrats neurologiques qui permettent la conscience.

Il y a quelques années, nous ne disposions pas de toutes ces connaissances en éthologie, en sciences cognitives, qui nous permettent d’affirmer aujourd’hui que les animaux sont doués d’émotions. Je rappelle que les animaux ont été reconnus comme doués de sensibilité par le Parlement il y a un an.

On méconnaît donc encore largement ce qu’éprouvent les animaux, et nous voudrions mettre à disposition du public tous les faits scientifiques qui montrent la sensibilité et les sentiments des animaux.

M. Yves Daniel. La sensibilité, oui, les sentiments, non !

Mme Brigitte Gothière. Je suis désolée, mais les publications scientifiques disent le contraire !

Les connaissances dans le domaine de la nutrition humaine ont également fait d’énormes progrès, et l’on sait maintenant qu’il n’est absolument pas nécessaire de consommer des produits d’origine animale pour être en bonne santé. Cela pose vraiment la question de la légitimité de continuer de mettre à mort un milliard d’animaux chaque année dans les abattoirs français. Ce doit être l’affaire de chacun – mais c’est aussi un problème collectif, puisque la préservation de notre environnement doit nous amener à réduire au moins notre consommation de viande.

Nous aimerions donc provoquer un débat.

Monsieur Bouillon, nous avons eu un contact avec le directeur de l’abattoir de Mauléon juste avant de diffuser nos images. Il nous a appelés en disant qu’il tombait des nues : cela nous semble difficile à croire… S’il va dans son abattoir, il voit forcément des animaux qui reprennent conscience sur la chaîne : leur système d’étourdissement n’est pas au point – il était parfois placé sur les épaules des animaux et non sur la tête… Il s’y pose à l’évidence un problème structurel.

Madame Alaux a posé la question de la sélection, de la formation, de l’encadrement, et Mme Abeille demandait si l’on pouvait en faire le métier d’une vie. Ce sont vraiment des questions essentielles. Les conditions de travail sont de toute façon dures
– froid, humidité, sans oublier l’odeur… Psychologiquement, donner la mort, ce n’est pas rien. Pour ces raisons, le turnover dans les abattoirs est important : c’est un travail insupportable, au fond.

Je reviens à la question des causes et des cadences. L’abattoir du Vigan est tout petit, et les cadences n’y sont pas particulièrement élevées. Celles-ci ne sont pas nécessairement au cœur du problème. Je ne dirais pas pour autant que les dysfonctionnements sont principalement le fait des petits abattoirs. Les premières images que nous avons montrées venaient plutôt d’abattoirs importants, et l’on y voit les mêmes problèmes qu’ailleurs : des étourdissements inefficaces, mal faits, etc. Quant au fait que les animaux soient mal maintenus, il s’agit d’un problème économique : il ne faut pas perdre de temps. Ils sont égorgés, et immédiatement relâchés du piège, alors qu’ils devraient y rester jusqu’à ce qu’ils aient perdu conscience ; or le contrôle de l’inconscience n’est jamais fait. La taille de l’abattoir n’est pas en cause.

Il n’y a en effet pas d’abattoirs bio, mais des abattoirs certifiés bio. Les animaux issus de l’agriculture biologique sont encore moins standardisés que les autres, mais les animaux sont de toute façon très différents les uns des autres : on a affaire à des individus, pas à des briques Lego.

Madame Abeille, les premières enquêtes que j’avais réalisées portaient sur les animaux non ambulatoires : ceux qui arrivent blessés, qui ne peuvent plus se déplacer seuls, et qui étaient pourtant encore emmenés dans les abattoirs où ils n’étaient pas traités immédiatement. Non seulement ils étaient transportés alors qu’ils n’auraient pas dû l’être ; mais souvent, les animaux mis de côté ne sont pas traités en premier, conformément à la réglementation, mais en dernier, pour ne pas infecter la chaîne d’abattage, semble-t-il. Le problème que vous soulevez est tout à fait réel. Le rapport de l’OAV, de ce que j’en ai lu, l’évoque également.

S’agissant du représentant de la protection animale dans les abattoirs, c’est une obligation réglementaire européenne pour les établissements les plus grands. Mais ce représentant se heurte à un problème de loyauté vis-à-vis de ses collègues : doit-il rapporter les abus et les problèmes aux services vétérinaires, à son directeur ? Que fait ce dernier de ce qui lui est raconté ?

Pierre Hinard, ancien directeur qualité chez Castel Viandes, a fait des révélations qui lui ont du reste valu d’être viré… Son témoignage, qui ne se limite pas forcément à la protection des animaux et aux mesures visant à réduire leur souffrance, est intéressant. Il a justement voulu dénoncer à sa direction des pratiques illégales qu’ils avaient découvertes : c’est lui qui a été licencié.

M. le président Olivier Falorni. Il est prévu que nous l’entendions.

Mme Brigitte Gothière. Les représentants de la protection animale, même s’ils bénéficient de la protection accordée aux lanceurs d’alerte, rencontreront ces mêmes obstacles : il est forcément difficile de dénoncer un collègue qui fait mal son travail.

Monsieur Bouillon, vous nous interrogez aussi sur nos relations avec d’autres ONG européennes. L214 a intégré il y a deux ans Eurogroup for Animals, qui regroupent différentes associations européennes de protection animale. Mais nous n’avons pas encore eu beaucoup le temps de participer à leurs travaux. D’autres vidéos sont publiées dans d’autres pays. Comme en France, ce genre de témoignage reste néanmoins l’exception.

Enfin, monsieur Chevrollier, vous dites que ce que nous montrons ne survient que dans quelques abattoirs, et pas dans tous. Les conclusions de l’OAV, de la Cour des comptes, des syndicats vétérinaires, des associations, etc., vont dans le sens contraire. Vous entendrez juste après nous l’OABA, qui mène des enquêtes depuis très longtemps. Je pense que ces auditions finiront par vous convaincre que le problème est d’ampleur, et non limité à trois abattoirs isolés.

Quant à l’idée que les animaux bien traités donnent une meilleure viande, je ne crois pas que les gens qui ont mangé les agneaux tués à Mauléon à Pâques – en partie destinés pourtant à des tables prestigieuses, à des « connaisseurs » – se soient plaints de la mauvaise qualité de la viande. L’idée que l’on puisse détecter le stress des animaux au goût de la viande me paraît une idée reçue.

Madame Dubois, les abattoirs refusent souvent que les éleveurs soient présents au moment de la mise à mort des animaux ; certains éleveurs, inversement, refusent d’assister à cet instant terrible pour eux. L’attachement de certains éleveurs à leurs animaux a été rappelé – ce n’est pas le cas de tous : j’estime qu’un élevage de plusieurs centaines de milliers de poules au même endroit ne témoigne pas nécessairement d’un attachement très fort du propriétaire à ses animaux. Mais ceux qui sont effectivement attachés à leurs animaux sont très mal à l’aise au moment de les faire tuer ; ils sont prisonniers d’une logique économique.

Les questions que nous posons sont éthiques ; nous appelons à une transition dans notre modèle agricole et économique, qui peut-être dépasse le cadre de cette commission d’enquête. Notre société évolue ; nous devons élargir notre sphère de considération morale, et le Parlement doit se saisir de ces questions.

M. le président Olivier Falorni. Merci de ces réponses précises.

La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du mercredi 27 avril 2016 à 16 h 30

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Élie Aboud, Mme Sylviane Alaux, M. Christophe Bouillon, Mme Isabelle Bruneau, M. Guillaume Chevrollier, M. Yves Daniel, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Jacques Lamblin, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Hervé Pellois, M. François Rochebloine, M. Alain Rodet, M. Fabrice Verdier, M. Arnaud Viala, M. Philippe Vitel, Mme Paola Zanetti