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Commission d’enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Jeudi 28 avril 2016

Séance de 10 heures 15

Compte rendu n° 5

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Kauffmann, directeur de l’abattoir du Vigan, et de M. Roland Canayer, président de la Communauté des communes du Pays Viganais

La séance est ouverte à dix heures vingt-cinq.

M. le président Olivier Falorni. Mes chers collègues, nous auditionnons maintenant M. Roland Canayer, président de la Communauté de communes du Pays Viganais, et M. Laurent Kauffmann, directeur de l’abattoir du Vigan.

La Commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français a été créée suite à la diffusion, par l’association L214, de vidéos qui concernaient les abattoirs d’Alès, du Vigan et de Mauléon. Ces images ont choqué, ému, indigné un grand nombre de nos compatriotes. Nous avons lancé cette commission d’enquête pour faire la vérité sur les abattoirs et faire des propositions pour améliorer les conditions d’abattage dans notre pays.

Le 23 février 2016, l’association L214 de défense des droits des animaux a publié une vidéo de plus de quatre minutes, mettant en évidence de nombreux abus commis sur les animaux. Ce montage vidéo a été effectué à partir de vidéos tournées entre mai 2015 et février 2016 selon les dires de cette association. Le jour de la diffusion de la vidéo, l’association L214 a également déposé une plainte auprès du procureur de la République d’Alès dénonçant des faits de sévices graves et mauvais traitements sur animaux, ainsi que la violation de la réglementation relative à l’abattage. Suite au dépôt de cette plainte, le procureur de la République d’Alès a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire afin de vérifier les éléments contenus dans la plainte. Cette enquête a été confiée à la brigade nationale d’enquête vétérinaire et phytosanitaire, en co-saisine avec la brigade des recherches de la gendarmerie du Vigan.

Suite à la diffusion de la vidéo, une enquête administrative a également été ouverte et l’abattoir intercommunal a été fermé à titre conservatoire.

Dans un communiqué de presse en date du 18 mars 2016, la communauté de communes du Pays viganais, que vous présidez, monsieur Canayer, a annoncé la réouverture partielle de l’abattoir intercommunal, le 21 mars 2016, pour les seuls ovins et caprins.

Je vous rappelle, messieurs, que nos auditions sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Roland Canayer et M. Laurent Kauffmann prêtent successivement serment.)

M. Roland Canayer, président de la Communauté de communes du Pays Viganais. L’abattoir du Vigan a été construit en 1988 et repris en gestion par la Communauté de communes du Pays viganais en septembre 2001, suite à la cessation d’activité de la SARL La Viganaise.

Cette structure est soutenue par la collectivité car c’est un véritable outil d’aménagement du territoire et de développement. Il permet le maintien et l’installation d’éleveurs qui participent au dynamisme de l’emploi agricole et à l’entretien des paysages par le biais de l’élevage extensif. L’abattoir du Vigan est un acteur de ce territoire de tourisme vert dont j’ai défendu l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO au titre des paysages culturels de l’agropastoralisme méditerranéen, pour éviter que nos milieux ne se referment sur eux-mêmes.

À travers l’abattoir, la Communauté de communes du Pays viganais soutient les circuits courts de commercialisation de viandes de qualité, puisque tous ses clients éleveurs pratiquent la vente directe dans des boutiques et boucheries de producteurs, sur les marchés, à la ferme et par le biais de la livraison à domicile. Il est à noter qu’à l’abattoir proprement dit est adossé un atelier de découpe qui contribue au développement de cette vente directe de qualité.

L’abattoir du Pays viganais est un abattoir multi-espèces – ovins, bovins, porcins et caprins – et l’un des plus petits de France en termes de tonnage : il ne traite que 230 tonnes par an.

Depuis 2009, la Communauté de communes du Pays viganais a investi 1 million d’euros dans cet équipement avec le soutien de l’État, de la région et du département. L’abattoir est certifié bio et agréé européen depuis août 2010, tout comme son atelier de découpe.

Abattoir de proximité, il fonctionne avec trois personnes sur les chaînes d’abattage et un directeur à mi-temps. Il est reconnu pour la qualité du travail fini et le service rendu au client. Chaque année, les services de la Direction départementale de protection des populations (DDPP) réalisent au moins une inspection pour le renouvellement de l’agrément européen de l’abattoir.

Le 22 février, j’ai été informé qu’une vidéo réalisée par l’association L214 allait être diffusée, qui montrait notamment des actes de maltraitance animale.

Le 23 février, j’ai décidé la fermeture à titre conservatoire de l’établissement, suspendu l’ensemble des personnels et diligenté une enquête interne administrative afin de faire toute la lumière sur la teneur de certains agissements.

À l’issue de l’enquête, des fautes très graves de maltraitance animale par un agent ont été reconnues et ce dernier s’est vu signifier son licenciement. Un deuxième agent, qui opérait à ce moment-là à ses côtés et dont le comportement n’a pas été jugé acceptable, a vu la non-reconduction de son contrat de travail. Le reste des fautes directes ou indirectes par les deux autres agents a fait l’objet de sanctions administratives.

À l’approche des fêtes de Pâques et à la lumière des conclusions de l’enquête administrative, l’abattoir a été rouvert partiellement – caprins et ovins – le lundi 21 mars. Depuis, il retourne petit à petit à la normale, avec une activité affectée par la réduction de l’équipe.

Il est toutefois précisé que cette vidéo a été réalisée à partir d’un grand nombre d’heures de tournage. Au-delà des actes de maltraitance volontaires inacceptables, il faut signaler qu’elle est accompagnée de commentaires erronés. Rapportées aux neuf mois durant lesquels des enregistrements ont été réalisés à l’insu des agents d’abattage, les fautes relevées sont rares. Et le montage tel qu’il a été diffusé ne permet pas toujours d’appréhender l’origine contextuelle des images.

Le travail d’abattage réalisé tout au long de l’année est conforme aux réglementations en vigueur, notamment en termes de protection animale. Les conditions d’accueil des animaux avant l’abattage sont reconnues comme aisées sachant que l’abattoir a pu, il y a vingt ans, traiter jusqu’à 800 tonnes alors qu’il s’est recentré sur la vente directe pour 230 tonnes. La grande taille des parcs ovin et porcin ainsi que les logettes individuelles pour les bovins confortent cet état de fait.

Le personnel a suivi un important programme régulier de formation durant ces huit dernières années et tous les agents disposent de leurs certificats de compétences pour ce qui touche à la protection animale. Enfin, les étapes de mises à mort des animaux ont toujours fait l’objet de contrôles internes et externes, qui ont toujours attesté les bonnes pratiques d’abattage de l’abattoir du Vigan.

Il est important de noter à ce stade qu’aucun agissement tels que ceux mis en cause dans la vidéo n’a été constaté durant les contrôles ou formations réalisés.

Toutefois, la Communauté de communes a décidé de prendre un certain nombre de mesures fortes pour garantir davantage à l’avenir ces bonnes pratiques d’abattage, notamment d’équiper l’abattoir d’un matériel d’étourdissement doté d’enregistreurs avec conservation des enregistrements des tues de chaque animal individuel et de la bonne pratique des agents. Ce matériel est déjà opérationnel pour les ovins et les porcins. Je signale qu’il s’agit d’une démarche volontaire, la législation n’invitant à la mise aux normes qu’en 2019 pour les abattoirs disposant de matériels achetés avant 2013.Un système de vidéosurveillance pour contrôler notamment les bonnes pratiques d’abattage sera prochainement mis en place.

L’abattoir sera aussi accompagné par un bureau d’études spécialisé en éthologie pour aborder le bien-être animal et accompagner le personnel dans ce travail souvent difficile à plusieurs points de vue.

Nous nous positionnons comme un abattoir pilote qui sera doté de toutes les améliorations possibles pour ce qui touche aux pratiques d’abattage.

Hormis les agissements inexcusables d’un agent, l’abattoir du Vigan travaille dans un souci de grand professionnalisme. À l’issue de cette épreuve médiatique difficile, notre établissement a repris son activité, le 21 mars, d’abord partiellement. Cette période a été l’occasion d’appréhender les conditions de travail quotidiennes de nos agents.

La Communauté de communes du Pays viganais a fait le choix d’investir dans la vidéosurveillance afin que nos personnels, qui travaillent dans le respect de la réglementation, soient à l’abri de tout a priori négatif touchant l’ensemble de la filière.

La plupart des formations proposées en matière de protection animale sont souvent théoriques ; les contrôleurs eux-mêmes avouent ne pas maîtriser de nombreux paramètres. En fait, on y fait beaucoup de théorie, mais peu de pratique.

De la même manière que l’ensemble de la filière s’est plutôt focalisé sur les questions d’hygiène durant ces quinze dernières années, il faudrait aujourd’hui tout mettre en œuvre pour atteindre collectivement le même niveau de compétence en matière de protection animale.

Nous nous interrogeons quant aux missions de la DDPP. Ses agents contrôlent la bonne santé des bêtes en amont, puis la qualité de la viande pour la consommation du grand public, mais quasiment rien pour ce qui concerne l’abattage proprement dit. À l’exception des contrôles programmés, aucun soutien et aucun contrôle ne sont apportés dans le quotidien.

Enfin, l’abattoir du Pays viganais a fait le choix de s’entourer des compétences d’un éthologue pour améliorer encore davantage les notions de bien-être animal. Peut-être cette initiative devrait-elle être généralisée à toute la filière. Nous sommes prêts à vous accueillir et à travailler avec vous sur ce dossier. Nous avons l’ambition d’être reconnus comme un abattoir exemplaire.

M. le président Olivier Falorni. Vous avez abordé la question de la formation des personnels. Je souhaiterais avoir des précisions sur le processus de recrutement. Employez-vous beaucoup d’intérimaires ? Exigez-vous une formation diplômante particulière ? Vos employés bénéficient-ils d’une formation au cours de leur carrière ? Sont-ils affectés à une seule tâche ou bénéficient-ils d’un turn over afin de ne pas toujours se retrouver au poste d’abattage ? Considérez-vous que les salariés sont suffisamment sensibilisés à la protection animale ?

Estimez-vous les contrôles satisfaisants ? Qu’en est-il des services vétérinaires ? Selon vous, que faudrait-il modifier ? Vous avez prévu d’installer des caméras de vidéosurveillance ; pensez-vous que cette méthode pourrait être généralisée ? Plus largement, compte tenu de votre expérience, quelles préconisations pouvez-vous faire ?

Mme Sylviane Alaux. Vos salariés subissent-ils le stress de la contrainte économique à certaines périodes de l’année ? Les flux de production des élevages imposent-ils par moments un rendement accru à vos salariés ? Utilisez-vous des intérimaires, et sont-ils formés ? Si je pose ces questions sur les rythmes qui peuvent conduire à des « pétages de plombs », pour reprendre l’expression utilisée par l’association L214, tant décriée mais qui a pourtant été très utile, c’est parce que des cadences excessivement élevées ont forcément une incidence sur le bien-être animal.

M. Jacques Lamblin. Monsieur Canayer, vos propos sont tout à la fois extrêmement rassurants et inquiétants. Rassurants, car vous avez pris immédiatement des mesures extrêmement énergiques. Et l’on peut penser que votre établissement avait eu antérieurement la volonté de bien faire les choses. En tout cas, c’est ce qui ressort de vos propos.

Votre abattoir est un établissement local qui traite de petits volumes. Vous parlez de 230 tonnes par an, ce qui correspond, si mon calcul est juste, à environ une tonne par jour ouvré. On pourrait penser que des incidents ne peuvent pas survenir dans de telles structures parce que les pressions ne sont pas les mêmes qu’ailleurs, et j’avoue que je suis désolé qu’ils aient pu s’y produire. Ces incidents semblent être le fait de professionnels qui n’ont pas travaillé comme il convenait, et vous les avez sanctionnés.

Il semble que vous ne fassiez pas d’abattage sans étourdissement, autrement appelé abattage rituel. Vous avez donc des méthodes d’étourdissement pour chaque espèce animale. Votre matériel fonctionne-t-il correctement ?

Comme votre abattoir est un service public, il doit être, à mon sens, déficitaire. Quel prix au kilo demandez-vous aux éleveurs ?

M. Thierry Lazaro. Votre abattoir est une structure que l’on peut qualifier d’artisanale. Je suis de ceux qui pensent que plus la structure est petite, moins les problèmes de ce type doivent survenir puisque le contrôle a priori doit se faire de visu. Votre établissement compte peu d’employés ; vous en avez licencié un et décidé la non-reconduction d’un contrat. Autrement dit, c’est pratiquement tout votre personnel qui est passé à la trappe…

Nous ne sommes pas là pour vous stigmatiser. Comme M. Lambin, je considère que vos propos sont à la fois inquiétants et rassurants. Ils sont rassurants car vous avez pris très rapidement des dispositions et je n’ai pas à douter de votre sincérité. De plus, l’enquête administrative a abouti à un licenciement et à certaines observations.

La vidéo montre entre autres un porc qui met beaucoup de temps à mourir car la pince électrique n’a visiblement pas rempli son office. Est-ce le fait de l’employé qui n’a pas bien réglé l’appareil, ou l’appareil était-il défectueux ? Quelle est la méthode de contrôle qui permet de vérifier que les appareils d’étourdissement fonctionnent correctement ?

M. Roland Canayer. Effectivement l’abattoir du Vigan est un abattoir artisanal. Il n’y a pas de notion de rendement puisque c’est un service public. Les éleveurs nous amènent leur animal quand ils le souhaitent. Le personnel n’est pas stressé et il n’est pas soumis à des rendements élevés. Nous n’incitons pas les gros producteurs à venir abattre chez nous. Nous privilégions au contraire le circuit court. L’un de nos trois employés a pété les plombs, un matin. Je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête… Si nous avions eu un doute sur quiconque travaillait dans cet abattoir, nous l’aurions immédiatement sanctionné, mais jamais nous n’avons eu de raison de le penser.

M. Laurent Kauffmann, directeur de l’abattoir du Vigan. Je veux apporter quelques précisions sur la notion de rendement et de rythme. Nous sommes tout de même tenus, dans une journée, à traiter un certain volume. Toutefois, notre effectif est faible. Vous nous demandez si nos personnels étaient affectés à une seule tâche. Ce n’est absolument pas notre façon de fonctionner. Nos agents sont très compétents et très qualifiés : ils doivent savoir tout à la fois manipuler les animaux vivants depuis les stabulations jusqu’à l’entrée dans les frigos, que ce soit l’amenée des animaux, la tue, toutes les tâches de dépouille, d’éviscération, la pesée, la traçabilité, la découpe. Ils sont impliqués dans la connaissance de l’animal vivant et surtout, en bout de chaîne, sur la qualité de la viande.

Comme je viens de le dire, nous sommes tenus à un certain volume de travail dans la journée. C’est moi qui définis les rythmes de travail dans la journée. On sait que l’on ne peut pas abattre plus de X animaux par heure, qu’il y ait deux ou trois agents, car on n’est pas vraiment sur une chaîne d’abattage. On tient aussi compte du fait qu’il s’agit d’animaux vivants, que chaque animal peut avoir une réaction qui lui est propre par rapport au stress qu’il a pu avoir antérieurement, que certains agneaux, par exemple, ont des toisons plus épaisses que d’autres, autant de paramètres qui peuvent avoir une incidence sur l’amenée des animaux ou leur mise à mort. Sur une heure de travail, on a un rythme maximum absolu, quelles que soient les espèces : nos rendements à l’heure feraient sourire beaucoup de nos collègues… Nous pouvons traiter un lot de six à sept agneaux, ou un bovin. Quant aux porcs, nous disposons d’une échaudeuse-épileuse qui nous permettrait de traiter dix porcs par heure, mais en réalité nous en traitons plutôt quatre.

Notre abattoir est essentiellement focalisé sur les circuits courts, et cela se traduit également dans la gestion des animaux vivants : il arrive qu’un client ne vienne qu’avec un seul agneau. Quand nous parlons de lots, il s’agit en moyenne, la plupart du temps, de quatre ou cinq agneaux par client, ou de deux à quatre porcs, ou d’un seul bovin.

Bien sûr, nous sommes un peu plus sollicités à certaines périodes de l’année. Nous faisons alors appel à un intérimaire : c’est quelqu’un qui a une autre activité professionnelle et qui a une très grande expérience et une connaissance assez pointue de l’animal vivant puisqu’il travaille dans l’élevage. Il a été chef de chaîne à l’abattoir de Nîmes. Nous ne sommes donc pas du tout dans le cas d’intérimaires inexpérimentés.

Quand j’ai vu la vidéo, je suis tombé des nues. Je n’avais jamais vu cela. C’est inacceptable. Je ne sais pas quoi vous répondre… Comment peut-on en arriver là ? Nous avons longuement analysé les vidéos. On s’aperçoit que les actes de cet agent ont tous été commis, à une exception près, sur une seule et même journée : la maltraitance dans les stabulations, ce jeu sadique avec les pinces. Je ne peux pas expliquer ce qui s’est passé dans sa tête.

M. William Dumas. Il a disjoncté !

M. Laurent Kauffmann. Comme l’a dit le président Canayer, nous faisons des contrôles internes et externes. Ce genre d’acte n’a évidemment jamais été commis sous nos yeux. Les collègues de cet agent ne m’ont jamais fait part de tels comportements. Le président a pris la mesure de la gravité des actes : la sanction a été immédiate, il ne pouvait en être autrement.

Nous organisons au minimum une formation par an. Depuis la crise de la vache folle, beaucoup de choses ont été faites sur le plan sanitaire ces quinze dernières années. En 2014, on a exigé des certificats de compétences en matière de protection animale. Je pense que, dans la plupart de ces abattoirs, tout le monde a ces certificats. Bien que la taille de notre abattoir ne l’oblige pas, j’ai mon certificat de responsable protection animale (RPA). Mais il faut être honnête : tout le monde s’est laissé un peu déborder. Que ce soit à la fédération des abattoirs publics ou dans des structures privées, les formations sur la protection animale ont été avant tout théoriques. Il y a donc là une carence. Si des avancées s’imposent, c’est bien à ce niveau. C’est pour cela que le président de la Communauté de communes a demandé qu’un professionnel du bien-être animal travaille en situation à toutes les étapes : déchargement des animaux, conditions dans les stabulations, amenée au piège, mise à mort.

Nous avons des guides de bonnes pratiques d’abattage, des modes opératoires normalisés. Hormis les actes de maltraitance commis par notre agent, qui est un cas isolé, je peux vous assurer que nous travaillons tout au long de l’année en conformité avec la réglementation, et que nous travaillons particulièrement bien.

Toujours en matière de formation, la seule approche pratique dans notre abattoir a été faite à notre demande – encore a-t-il fallu insister. Nous avons demandé à un organisme privé de nous envoyer un intervenant ayant une connaissance particulièrement aiguë du maniement des animaux dans les stabulations. Celui-ci a conclu, dans son rapport, que nos installations étaient tout à fait conformes. Il nous a bien expliqué comment on devait déplacer un lot d’agneaux, etc. Si nous avons fait cette démarche, c’est parce que nous n’étions pas satisfaits des investissements que nous avions réalisés dans le domaine de l’amenée des animaux. Nous voulions aller plus loin.

Nous avons été très secoués par ce qui s’est passé dans notre abattoir. Nous attendons beaucoup du travail que nous allons faire avec l’éthologue. Nous nous sommes beaucoup remis en question. Tous les contrôles internes et externes confortent le travail que l’on accomplit tout au long de l’année. Nous avons beaucoup travaillé sur tout ce qui a trait à l’étourdissement et à la mise à mort des animaux. On peut noter que les services qui contrôlent ne maîtrisent pas certains paramètres. Nous maîtrisons les notions de perte de conscience et d’éventuels retours de conscience des animaux au moment des phases d’étourdissement, mais nous nous sommes demandé s’il n’y avait pas des choses qui nous échappaient. En fait, là aussi, il faut une montée en puissance au niveau de la formation. En tout cas, quand on creuse la question, on s’aperçoit que certains paramètres sont retenus par les instances de contrôle alors qu’ils ne sont pas pertinents. La vidéo fait à un moment donné état de retours de conscience, laissant sous-entendre que les animaux sont saignés alors qu’ils sont conscients. Je peux vous assurer que ce n’est pas vrai. Quand on parle de ces choses, il faut être précis car c’est un domaine très pointu. On laisse sous-entendre que l’on travaille n’importe comment et que l’on fait n’importe quoi. Au contraire, tous les critères de non-conscience de l’animal avant la saignée font l’objet d’une connaissance du personnel et de contrôles sur lesquels nous sommes prêts aujourd’hui à aller encore plus loin.

M. Roland Canayer. Je veux revenir sur ce qui pourrait être amélioré. Nous avons une personne qui est déléguée par les services de la DDPP et qui est à temps complet à l’abattoir. Elle regarde l’arrivée de l’animal et contrôle, une fois qu’il est abattu, s’il peut être consommé. Pendant tout le temps qui lui reste, ne pourrait-elle pas nous aider à contrôler l’abattage, voire avoir une fonction supplémentaire ?

M. Laurent Kauffmann. Nous sommes un des plus petits abattoirs de France, mais certainement aussi un des plus chers : il faut compter environ un euro hors taxes le kilo- carcasse pour les bovins – pour les ovins, c’est presque la même chose – et 0,50 euro pour les porcins. C’est sans commune mesure avec les prix pratiqués dans d’autres abattoirs.

M. William Dumas. Mais ce n’est pas comparable !

M. Laurent Kauffmann. Effectivement. Notre mode de fonctionnement n’est pas le même puisque nous sommes en circuit court. Les éleveurs peuvent mieux valoriser le produit fini.

M. Jacques Lamblin. Vous êtes très largement déficitaires. Mais il ne peut en être autrement : c’est un service public.

M. Roland Canayer. Nous avons essayé d’abaisser nos coûts au niveau de la structure, des fluides, de l’énergie. Nous fermons dorénavant l’abattoir en périodes de congés, alors qu’auparavant nous organisions un roulement. Cela nous permet de vérifier et de remettre en état tout le matériel. En 2009, lorsque nous avons repris la gestion de l’abattoir, le déficit s’élevait à 150 000 euros par an. En 2015, nous sommes parvenus à l’équilibre et nous avons un excédent de 6 000 euros.

Nous ne travaillons pas avec les gros producteurs et les maquignons, mais avec les petits éleveurs. En 2009, l’abattoir pouvait traiter 800 tonnes par an, alors qu’aujourd’hui on en est en dessous de 260. On a réduit le tonnage pour proposer un service de qualité. Il est normal qu’il y ait un peu de déficit…

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Votre présentation des choses est très intéressante. Vous n’êtes pas dans le déni du fait. Vous décrivez tout ce qui a été fait avant et tout ce que vous imaginez pouvoir faire après. Cela montre que vous êtes bien dans la recherche d’un process qui élimine la possibilité d’un phénomène qui a existé. Ce qui nous interpelle, c’est que cela ait pu se passer dans des conditions assez favorables, pour ne pas dire très favorables – la taille de votre établissement, l’attention portée, le nombre de personnes, l’intensité du contrôle, etc.

Je vais essayer d’articuler mes questions autour de ces points. Il y a eu un manquement et on peut mieux faire : comme l’a dit mon collègue tout à l’heure, c’est à la fois inquiétant et rassurant. Nous allons nous concentrer sur la phase rassurante.

Vous allez installer des caméras de vidéosurveillance. Comment le personnel a-t-il réagi à cette annonce ? Était-il lui-même demandeur – cela peut constituer pour lui une espèce d’autoprotection – ou était-il réticent ? A-t-il été convaincu ou l’a-t-il ressentie comme une obligation qui lui tombait dessus parce qu’on ne peut pas faire autrement ? Comment avez-vous prévu de gérer les images – conservation, communication, mise à disposition, etc. ?

Vous avez parlé de formation théorique. Il y a là un hiatus qui peut être important puisqu’il s’agit de métiers essentiellement pratiques.

Hier, nous avons auditionné le président de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) qui commence à éditer des petits guides extrêmement pratiques. Jugez-vous cette démarche intéressante ? Auprès de qui pourrait-on rendre ces formations un peu plus pratiques et opérationnelles ?

Vous avez parlé à plusieurs reprises de l’intensité du contrôle, qui est très forte dans votre établissement, dans la mesure où cette tâche mobilise un agent sur quatre. Mais, manifestement, celui-ci se concentre sur les animaux vivants et sur les questions sanitaires après abattage. Cette faible intensité du contrôle sur la phase d’abattage, s’explique-t-elle par le manque de temps – vous avez déjà répondu qu’il l’avait –, par un manque d’appétence pour la chose, ou par une insuffisance de compétences, autrement dit parce qu’il ne s’estime pas formé et qualifié pour juger de la qualité de la phase d’abattage, moment critique qui exige des compétences particulières ?

Monsieur le directeur, vous avez le certificat de RPA. Cela signifie que vous avez été formé. Quel jugement portez-vous sur ce certificat ? A-t-il modifié en quoi que ce soit votre façon de pratiquer ?

Mme Laurence Abeille. Je veux revenir sur les méthodes d’étourdissement. Les membres de l’association L214 que nous avons auditionnés nous ont dit que le CO2 était un gaz particulièrement aversif pour les animaux. Quelle est votre opinion en la matière ?

Comme vous vous interrogez beaucoup sur ces méthodes d’étourdissement, pourriez-vous envisager de faire des propositions à terme ? À l’évidence, ces méthodes posent de vrais soucis en termes de souffrance animale.

Vous avez indiqué que vous aviez la certification pour traiter les animaux élevés en agriculture biologique. On a parlé d’abattoir bio. Or cette appellation n’existe pas. Il a pu y avoir des confusions dans les appellations. De quelle façon cela fonctionne-t-il dans la pratique ?

Je demanderai que l’on puisse investiguer plus largement sur la question du retour de conscience. Vous indiquez que ce sujet fait l’objet d’imprécisions, en tout cas que l’on dit là-dessus des choses erronées. Il serait important que des spécialistes s’expriment sur ce sujet.

Je veux revenir sur ce que l’on a appelé le « pétage de plombs » d’un agent qui s’est livré à des sévices sur les animaux. Vous vous êtes certainement demandé comment ce type de comportement pouvait arriver. On peut aussi craindre qu’il ne survienne de nouveau. Et peut-être se produit-il ailleurs, ce qui est extrêmement grave. Envisagez-vous des mesures préventives, une façon de travailler avec ces agents qui permettrait que de tels événements ne puissent plus se produire ? Bien évidemment, des sanctions existent, mais ce qui me préoccupe aujourd’hui c’est la question de la prévention et du lien dans l’entreprise.

Je ne sais pas dans quelles conditions la vidéo a été réalisée. En tout cas quelqu’un a dû placer une caméra dans l’abattoir. Cela peut vouloir dire qu’il y avait dans l’entreprise des personnes qui étaient sensibilisées à ce problème et qui ont voulu témoigner de quelque chose. En tant que directeur de l’abattoir, avez-vous le sentiment que les contacts et les relations entre les personnels et la direction ne sont pas suffisants, au point que quelqu’un estime ne pas avoir d’autres solutions que d’installer une caméra pour expliquer ce qu’il s’y passe, et ainsi devenir un lanceur d’alerte ? C’est un problème qui peut se produire dans de nombreuses entreprises : quelqu’un voit quelque chose, ne sait pas comment alerter et trouve cette méthode pour le faire.

Vous avez parlé des contrôles et des contrôleurs. À l’évidence, ce qui se passe n’est pas suffisant, ou en tout cas les contrôleurs ne maîtrisent pas suffisamment un certain nombre de sujets. Cela me semble très important. Peut-être pourriez-vous préciser de quoi vous voulez parler et peut-être avez-vous des éléments assez concrets à nous apporter. Pourquoi les contrôleurs ne peuvent-ils pas ou ne savent-ils pas faire ce qu’il faut pour effectuer les contrôles ?

Mme Françoise Dubois. Vous n’avez pas parlé d’abattage rituel. Vous demande-t-on de le pratiquer ? Si c’est le cas, expliquez-nous comment cela se passe.

M. Jacques Lamblin. Ma question rejoint celle de Laurence Abeille. J’ai été relativement surpris de vous entendre dire que les contrôleurs ne maîtrisaient pas un certain nombre de données. Il faut vraiment que vous nous en disiez davantage. Quels domaines ne maîtrisent-ils pas ? Quels problèmes cela peut-il vous poser ?

M. Laurent Kauffmann. Le problème est que ce sont eux qui nous délivrent l’agrément et qui nous préviennent en cas de non-conformités, majeures ou mineures… Si les personnes censées nous dire cela ne maîtrisent pas elles-mêmes certaines choses, cela ne nous aide guère !

Le jour de la réouverture de l’abattoir, le président et le directeur général des services étaient présents, ainsi que le directeur adjoint et l’inspecteur de la DDPP, la personne qui est là tous les jours dont a parlé tout à l’heure M. Canayer et qui est déléguée par les services de la DDPP, et la vétérinaire officielle. Nous avons fait un travail d’analyse, animal par animal, du bon étourdissement, du bon laps de temps entre l’étourdissement et la saignée, etc. Je peux vous dire que cela prêtait à rire. Nous connaissons notre métier, nous savons dire quand un animal est étourdi, inconscient. Or nous avions en face de nous des gens qui allaient jusqu’à paniquer, craignant la moindre réaction susceptible de laisser présupposer un retour de conscience. Entrons dans le détail : lors d’une inspection, on a laissé sous-entendre qu’il avait eu un retour de conscience d’un animal au motif qu’on avait détecté un réflexe cornéen après étourdissement – on met le doigt à proximité de l’œil de l’animal pour voir s’il y a une réaction oculaire. Et ce fut le cas… à ceci près que tous les guides de bonnes pratiques d’abattage vous apprendront qu’un étourdissement avec des pinces à électronarcose peut entraîner des phénomènes épileptiformes, autrement dit des réactions oculaires qui n’ont rien à voir avec des retours de conscience.

Les critères retenus dans nos grilles doivent être simples d’interprétation pour nos salariés. Actuellement, il y en a trois : l’effondrement immédiat, l’arrêt de la respiration et l’absence de vocalises. Ces critères sont facilement analysables par l’agent et parlants. Dans le cas que je viens de citer, après avoir discuté et nous être penchés très sérieusement sur les textes, nous sommes finalement convenus que le réflexe cornéen n’était pas un critère. Il faut se mettre une bonne fois pour toutes à la place des agents sur la chaîne : il faut que ce soit simple pour eux et qu’ils maîtrisent la notion de perte et de reprise de conscience. En l’occurrence, j’ai confiance dans le professionnalisme de mes agents parce qu’ils ont une grande expérience dans le domaine. Mais les contrôleurs sèment le doute et laissent sous-entendre que ce n’est pas si évident. Ils ne le font pas de mauvaise foi, mais plutôt par méconnaissance et manque de formation.

Il faut savoir qu’une semaine avant la diffusion de la vidéo, l’organisme de formation de la fédération des abattoirs était venu dans notre établissement. Le sujet de la mise à mort des animaux a été abordé en trente secondes parce que l’on m’a dit que nos agents maîtrisaient parfaitement le sujet, qu’il n’y avait aucun retour de conscience. Nous avons du mal à accepter que la vidéo, en plus de rapporter des actes affectivement inacceptables, laisse sous-entendre que nous faisons n’importe quoi.

Nous avons pris la décision de ne pas pratiquer d’abattage halal, décision que j’assume, alors qu’une communauté musulmane, qui habite sur le Vigan et la ville voisine de Ganges, nous demande à de rares occasions – des fêtes familiales par exemple – de sacrifier un animal. Nous le refusons systématiquement.

Vous m’avez demandé ce que m’avait apporté le certificat RPA. Pour ma part, cela m’a permis d’être très sensibilisé à la notion de protection et de bien-être animal. Peut-être faut-il que les agents qui travaillent sur la chaîne aillent plus loin dans la notion de sensibilisation. Je ne veux pas dire par là qu’ils sont insensibles au bien-être animal, mais chacun se rend bien compte que ce sont des métiers difficiles. On ne se vante pas d’être tueur dans un abattoir…

Il y a des stades post mortem – la dépouille, l’éviscération – où l’on peut sérier le temps plus ou moins facilement. Mais quand l’animal est encore vivant, il faut tenir compte de certains paramètres : tel animal est plus stressé qu’un autre, il a une corne placée de telle façon que l’application de la pince pourra peut-être poser problème. Autant de critères dont il faut tenir compte dans les notions de rythmes de travail.

Mme Abeille nous a interrogés sur le CO2. Je suis totalement incompétent en la matière puisque ce gaz n’est pas utilisé dans notre abattoir. Nous étourdissons les animaux uniquement par électronarcose.

Vous nous demandez ce qu’est un abattoir bio. Cela ne veut absolument rien dire. Le bio, c’est tout ce qui se passe en amont. Le seul critère qui figure dans notre cahier des charges c’est d’abattre l’animal bio avant les autres. Mais s’il est trop sale en arrivant, il passera en fin de chaîne pour des raisons d’hygiène : ce qui prime beaucoup chez nous c’est que les carcasses ne posent pas de problèmes à la consommation. Ce n’est pas parce qu’un animal est bio qu’il n’aura pas pu avoir été souillé pendant le transport ou dans les stabulations. J’ai lu dans la presse que l’on parlait beaucoup plus de label de protection animale. Il faut voir ce qu’il y a derrière cela. La notion de bio est pour moi inappropriée dans les abattoirs.

M. Roland Canayer. Le personnel est favorable à l’installation de caméras de vidéosurveillance. Il estime qu’ainsi tout le monde pourrait voir quelle est leur pratique.

Pour notre part, nous conserverons les images vidéo et nous les mettrons à la disposition de ceux qui le souhaiteront. Nous n’avons rien à cacher.

Je ne me remets pas en cause les compétences de la personne déléguée par les services de la DDPP, que nous connaissons depuis de nombreuses années, qui contrôle les animaux à leur arrivée et vérifie, une fois qu’ils sont abattus, s’ils peuvent être consommés. Peut-être est-ce à sa hiérarchie de lui donner l’ordre de surveiller l’abattage.

M. Laurent Kauffmann. Comme le dit M. Canayer, cette personne n’a pas été missionnée pour surveiller l’abattage. Et elle n’en a pas les compétences aujourd’hui.

Concernant la vidéo, je confirme que nos agents sont vraiment dans une démarche volontaire. Ils considèrent qu’ils n’ont rien à cacher.

M. William Dumas. Mais il ne faut pas que ce soit du flicage !

M. Laurent Kauffmann. Pour ma part, je mettrai un bémol non sur le principe, mais sur tout ce qui touche à l’exploitation de ces vidéos. N’oublions pas que nous sommes dans un abattoir. Dès lors que l’on dévoile des images, il faut avertir le public, faire un travail en amont, lui dire qu’on étourdit des animaux, qu’il y a du sang. Quand on voit des mouvements de pédalages chez un animal qui est au-dessus des loges de saignée, ce n’est pas parce qu’il est vivant et qu’il est conscient : il s’agit de réflexes musculaires, cloniques. Cela fait partie du processus de mise à mort. Mais l’animal ne souffre pas. Encore faut-il le savoir.

M. Fabrice Verdier. Il faut effectivement replacer ce genre d’images dans leur contexte. Pouvez-vous brièvement nous expliquer tout le processus, c’est-à-dire l’amenée, l’étourdissement, la saignée, car il y a parfois des confusions ? Le grand public ne sait pas exactement ce qui se passe dans les abattoirs.

M. William Dumas. Je connais bien l’abattoir du Vigan qui est situé dans ma circonscription. Comme l’a dit Roland Canayer qui est un ami, la Cour des comptes a trouvé anormal que la Communauté de communes paie le déficit de l’abattoir. Nous avons pu le maintenir car il est implanté sur le secteur des Causses et Cévennes classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Depuis qu’il a été repris par la Communauté de communes, certains administrateurs ont été remplacés et les choses se passant mieux.

L’abattoir du Vigan n’est pas comparable aux autres : ce sont les éleveurs eux-mêmes qui amènent leurs animaux. Ils voient comment ils sont déchargés. Et ils viennent ensuite récupérer les animaux découpés, car ils vendent tous en circuit court. Ils savent que moins l’animal est stressé, meilleure sera la viande. On parle de stress et de cadences, mais j’aimerais que tous les abattoirs de France aient les mêmes cadences qu’au Vigan… Un gros chevillard qui amenait des cochons est d’ailleurs parti à l’abattoir d’Alès car il trouvait nos prix trop élevés. Du coup, Le Vigan s’est recentré sur la qualité.

Pour avoir managé du personnel – mais pas dans un abattoir – je sais qu’il peut arriver que quelqu’un pète les plombs, à cause de problèmes familiaux par exemple. Cela arrive dans tous les métiers et partout : j’ai vu des gens agresser physiquement leurs collègues. Nous vous avons expliqué que l’agent avait commis ces actes inadmissibles sur une même journée. Il devait être dans un état second. Peut-être avait-il fumé un pétard… Je n’en sais rien. En tout cas, il riait en travaillant. Il avait une attitude anormale.

Mais il faut remettre les choses dans leur contexte : j’aimerais bien que les 263 abattoirs de France aient la même façon d’abattre les animaux qu’au Vigan. Il faut faire attention aux vidéos, il ne faut pas que cela devienne du flicage. Je suis fils de viticulteur. Quand j’étais gamin, partout dans les villages on tuait le cochon. À l’époque, il n’y avait pas d’abattoir. Je connaissais les personnes qui « ensuquaient » le cochon et qui le saignaient tout de suite après. Il bougeait encore…

Comme Fabrice Verdier, j’aimerais que vous nous expliquiez le processus. Je crois qu’il faut que le cœur de l’animal batte encore pour pratiquer la saignée. Mais je ne suis pas du métier.

M. Thierry Lazaro. Est-ce l’agent qui règle l’intensité de l’outil électrique ou est-il préprogrammé ? Comment ces outils sont-ils contrôlés s’il y a des défaillances ?

Sur les quatre salariés de l’abattoir, un a été licencié et un autre n’a pas été reconduit. Comment avez-vous pu recruter de nouveau et dans quelles conditions ? Je suppose que vous avez dû faire cela dans l’urgence, et que cela n’a pas dû être simple.

M. Laurent Kauffmann. Actuellement, l’abattoir fonctionne avec deux salariés. Les volumes traités sont fonction du nombre d’opérateurs présents.

Chez nous, les lots sont petits, les animaux arrivent la veille ou le matin même. Comme l’a dit M. Dumas, ce sont les éleveurs qui accompagnent leurs animaux jusque dans les stabulations. Cela nous semble normal de procéder ainsi car l’éleveur connaît ses animaux : l’amenée est plus aisée.

Nos parcs sont très aisés en termes de bien-être animal. L’éthologue qui est déjà venue a été étonnée de voir que l’on paillait les stabulations pour les ovins et les porcins. Toutes les logettes pour les bovins sont individuelles. Je n’entrerai pas dans le détail en ce qui concerne les abreuvoirs et la brumisation pour les porcs.

Nous traitons de très petits lots : six à sept ovins ou quatre à cinq porcs. S’agissant de la phase cruciale d’étourdissement, nous disposons d’un matériel neuf dédié aux ovins et d’un matériel dédié aux porcs. Il n’y a donc aucun réglage d’intensité à effectuer. Dans la vidéo, on voit l’agent appliquer la pince électronarcose sur un porc. Je ne m’explique pas son acte car nous avons des pinces de marque Schermer dites Z3 dédiées à l’électronarcose des porcs. Je ne sais pas si cette vidéo a été prise le même jour, mais si, de surcroît, il n’a pas utilisé le bon outil, cela viendrait corroborer le fait que rien n’allait pour lui ce jour-là. L’électronarcose est faite avec des pinces tenaille pour les porcs. On applique le temps nécessaire sur l’animal pour que l’électricité se diffuse bien et qu’il perde conscience. Il y a tout de suite des signes facilement reconnaissables de perte de conscience : pour le porc, cela se traduit par une phase de contraction, une phase tonique et l’arrêt de la respiration. Ce sont les deux premiers signes probants. Tout de suite après, il bascule sur une table d’affalage. On nous dit que les porcs sont inconscients entre trente et quarante secondes. Nous réfléchissons actuellement pour pratiquer la saignée encore plus rapidement qu’on ne le fait. Les derniers chronométrages que nous avons réalisés sur les porcs montrent que l’on est entre vingt et vingt-cinq secondes pour arriver à la phase de saignée. Durant cette phase, l’animal est inconscient. Il est saigné dès qu’il arrive au poste de saignée. Le fait qu’il ne respire plus et qu’il ne tente pas de se redresser est un signe patent. J’ai pu lire des commentaires expliquant que l’on voit la tête de l’animal bouger : c’est différent d’une tentative de redressement qui présuppose une volonté, du moins un lien avec le cerveau de l’animal. Au vu de tous ces signes, l’agent constate qu’il n’y a pas de reprise de conscience et saigne alors l’animal. Là encore, il se passe deux minutes avant de considérer que l’animal est définitivement mort. Il y a donc deux minutes entre la saignée et le constat de la mort.

S’agissant des agneaux, le procédé est le même : on applique aussi une pince à électronarcose. Nous avons anticipé la nouvelle norme et l’agent dispose d’un repère sonore qui lui signale quand la bonne intensité n’a pas été appliquée à l’animal et qu’il faut procéder à un deuxième étourdissement. Dans l’idéal, l’étourdissement doit se faire du premier coup. Mais à cause de la conformité d’un animal, de son stress ante mortem, etc., il peut arriver qu’il faille pratiquer un deuxième étourdissement. Nous adoptons de nouvelles techniques : nous mouillons un peu la tête avec une éponge pour que l’induction électrique soit encore plus efficace. Il faut travailler en profondeur avec des experts sur ces sujets.

Après une électronarcose efficace, l’agneau est inconscient pendant trente à quarante secondes. Les guides de bonnes pratiques nous donnent au maximum vingt-cinq secondes pour saigner l’agneau ; pour notre part, nous mettons entre quinze et vingt secondes. Nous agissons vraiment en conformité avec la réglementation. Quand on voit qu’il n’y a pas de signe de reprise de conscience, on saigne l’animal. En cas de signe de reprise de conscience, on applique un deuxième étourdissement à la tige perforante à l’aide d’un matador chargé avec des cartouches bleues adaptées aux ovins.

Telles sont les phases de travail d’un agent au poste de tue. On lui demande de maîtriser des gestes, de savoir interpréter les signes de reprise de conscience de l’animal.

M. le président Olivier Falorni. Messieurs, je vous remercie pour vos réponses précises.

La séance est levée à onze heures quarante.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du jeudi 28 avril 2016 à 10 h 15

Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Élie Aboud, Mme Sylviane Alaux, M. Guillaume Chevrollier, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Jacques Lamblin, M. Thierry Lazaro, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, M. Fabrice Verdier

Excusé. - M. Arnaud Viala