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Commission d’enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Jeudi 12 mai 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Langlois, président de l'association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV). .

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

M. le président Olivier Falorni. Nous continuons nos auditions sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français, en recevant ce matin M. Dominique Langlois, président de l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV). Fondée en 1979, à l’initiative d’organisations professionnelles de la filière, INTERBEV regroupe 21 organisations professionnelles nationales représentant les différents métiers du secteur économique du bétail et de la viande.

Avant de vous donner la parole, monsieur le président, je rappelle que nos auditions sont ouvertes à la presse et qu’elles sont diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale. Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Dominique Langlois prête serment.)

M. Dominique Langlois, président de l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV). Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, INTERBEV a plus de trente ans. Composée de quatre organisations lors de sa création, elle compte actuellement vingt membres organisés en quatre collèges : production – bovins, veaux, ovins, équins et caprins –, mise en marché, abattage/commerce de gros/transformation, et distribution.

Notre organisation, relativement simple, a été modifiée en application des nouvelles dispositions européennes sur les interprofessions, qui fixent à la fois les règles de fonctionnement et les attributions des interprofessions. Nos instances de décision comprennent une assemblée générale, une conférence des présidents, qui regroupe les vingt présidents et se réunit une fois par an, et un comité directeur, dont je suis le président, composé de treize membres et qui se réunit tous les deux mois. Dans chacune des sections d’INTERBEV – bovins, veaux, ovins, caprins, équins – sont représentées les organisations de l’interprofession. Depuis les nouvelles dispositions communautaires, c’est au niveau des sections que les accords interprofessionnels doivent être conclus afin d’être en mesure de faire la preuve de leur représentativité ; les projets d’accord sont soumis seulement pour avis au comité directeur.

Nous travaillons également dans le cadre de plusieurs commissions spécialisées parmi lesquelles une commission « communication » – le rôle de l’interprofession est d’abord de communiquer sur l’ensemble de la filière –, une commission « commerce extérieur », ce qui nous amène à travailler avec la plateforme France viande export, mise en place il y a peu, et une commission « enjeux sociétaux », créée il y a six mois et spécialisée dans les questions relatives à l’environnement, à la santé et au bien-être animal. Le bien-être animal fait partie des actions de l’interprofession depuis très longtemps, mais nous avons formalisé cette question au sein de cette commission qui a déjà énormément travaillé : nous avons des contacts très étroits avec les ONG environnementales, et avons eu le plaisir de nous voir attribuer deux labels dans le cadre de la COP21.

INTERBEV dispose de quarante collaborateurs. Son budget, de l’ordre de 32 millions d’euros par an, est composé essentiellement des contributions volontaires obligatoires payées par l’amont, c’est-à-dire le maillon industriel, et l’aval, c’est-à-dire la distribution avec les grandes et moyennes surfaces (GMS) et les bouchers.

Nous nous félicitons de la mise en place de cette commission d’enquête, car les pratiques inadmissibles observées dans les vidéos diffusées par l’association L214 ont suscité l’émoi dans la profession. Ces images choquantes, dont la véracité ne peut être contestée, portent préjudice à une filière déjà en crise : elles interpellent non seulement le consommateur, même si les effets sur la consommation ne sont pas encore mesurables, mais également les salariés de l’industrie des viandes, choqués d’être exposés à la vindicte – « C’est comme ça que vous travaillez ? » –, alors que leurs pratiques ne sont pas représentatives des actes dénoncés par ces vidéos.

Dans ce genre d’affaire, l’interprofession a toujours adopté une position constante : conformément à notre règlement intérieur, et dès lors que des infractions donnent lieu à des poursuites pénales, nous nous constituons systématiquement partie civile – quels que soient l’opérateur, le maillon de la filière, la fonction exercée au sein de l’interprofession –, et ce afin d’avoir accès au dossier de l’enquête. Nous l’avons fait lors de la crise de la viande de cheval et dans le cas d’un abattoir qui posait problème. Nous envisageons également de le faire pour ces cas de pratiques d’abattage dénoncées par l’association L214.

Pour l’interprofession, le bien-être animal a toujours été une question très importante. Dès 1999, nous avons élaboré une charte de bonnes pratiques d’élevage, dont le label est attribué aux éleveurs respectueux d’un certain nombre de règles, ainsi qu’un guide de bonnes pratiques à l’abattoir, largement diffusé aux fédérations qui le distribuent à leurs adhérents. Nous assurons une veille constante sur cette question, en particulier au travers de notre commission « enjeux sociétaux », notre volonté étant d’être toujours en capacité de répondre, mais également d’anticiper et de rester proactifs sur ces sujets.

Notre filière est souvent accusée de manquer de transparence. Pour prouver le contraire, nous avons lancé en 2014 les rencontres « Made in Viande », qui permettent au public de visiter les élevages, les marchés aux bestiaux, des centres de regroupement d’animaux, des ateliers de transformation de viande, des distributeurs ou encore des boucheries, soit plusieurs centaines de lieux représentatifs de l’ensemble de la filière, de l’élevage à la distribution en passant par la transformation. Lors de la première édition de l’opération, plusieurs milliers de personnes ont pu visiter des fermes, des ateliers d’engraissement, des abattoirs. Pour cette année, nous nous attendons à un taux de fréquentation aussi important.

M. le président Olivier Falorni. Les trois abattoirs concernés par les vidéos diffusées par l’association L214 sont-ils représentés dans INTERBEV ?

À la suite de la diffusion de ces vidéos, vous avez annoncé vouloir vous constituer partie civile dans le cas où l’enquête administrative confirmerait des manquements à l’abattoir d’Alès. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Avez-vous eu connaissance de faits similaires ? Si oui, comment l’interprofession a-t-elle réagi ?

Enfin, question récurrente dans nos auditions, quelle est la part de l’abattage dans le coût de la viande ?

M. Jean-Luc Bleunven. Le problème de la maltraitance des animaux se pose moins dans les gros abattoirs que dans les petits abattoirs ou de proximité, dont dépendent les abattages domestiques et l’approvisionnement des circuits courts. Quelle est la position d’INTERBEV en termes d’organisation du territoire ? Dans les territoires, l’abattage donne souvent lieu à des débats sans fin, car il y a de gros investissements à la clé. Autre problème : la viande de qualité reste relativement chère. Comment faire pour que tout ce que l’on souhaiterait mettre dans le prix de la viande reste gérable pour la filière ?

Mme Geneviève Gaillard. Avant la diffusion des trois vidéos, des maltraitances aux animaux dénoncées par les associations n’ont pas suscité un tel intérêt. Aviez-vous eu connaissance de manquements similaires ?

Si j’en crois votre propos, vous ne pouvez pas mesurer l’impact de ces problèmes sur la consommation. Avez-vous tout de même essayé de le faire ?

Enfin, si ces questions de bien-être animal avaient été traitées convenablement, l’État et l’Europe n’auraient pas eu à s’atteler au problème, en particulier en travaillant avec votre interprofession à partir de 2013 pour aboutir deux ans plus tard à une sorte de charte sur le bien-être animal, approuvée par tous les acteurs. Certes, les éleveurs indifférents au bien-être animal représentent une minorité, mais c’est une minorité de trop. Que pouvez-vous nous dire sur cette notion de bien-être animal dans le secteur de l’élevage, mais aussi dans les secteurs du transport et de l’abattage ?

M. Guillaume Chevrollier. Ces vidéos ont effectivement causé un grave préjudice à la filière. Quel est leur impact sur le marché, mais aussi sur l’attractivité du secteur ? Avant ces affaires, les abattoirs avaient-ils des difficultés pour recruter ?

Dans les abattoirs, le responsable de la protection animale (RPA) occupe un poste clé. Devrait-il bénéficier d’un statut spécifique lui conférant davantage d’autorité ?

La vidéosurveillance vous semble-t-elle une bonne idée ? Quel en serait l’impact en termes de coût ?

L’État est déjà présent dans les abattoirs. Des moyens supplémentaires sont-ils nécessaires ?

S’il fallait renforcer l’environnement juridique en matière de contrôle, certains dispositifs existants, jugés inutiles, pourraient-ils être supprimés ?

Enfin, vous vous portez systématiquement partie civile en cas d’anomalies constatées. Combien de fois INTERBEV s’est-elle portée partie civile en 2015 ?

M. Dominique Langlois. Nous n’avions pas connaissance des faits rapportés dans les vidéos tournées par l’association L214. Par contre, nous rappelons régulièrement à nos fédérations l’impérative nécessité de s’assurer du respect des animaux dans les abattoirs – sachant que l’interprofession n’y a pas accès, puisqu’elle n’y joue pas un rôle direct. J’ajoute que ces questions de bien-être animal sont également évoquées dans nos comités régionaux, qui nous assurent dans toutes les régions la même représentation qu’au niveau national. Ainsi, tous les maillons de la filière sont parfaitement au fait de ces questions sur le territoire.

Clairement, nous savons que certains abattoirs posent problème – en tout cas, c’est ce qu’on dit –, mais nous n’avons aucun pouvoir d’investigation. Cela renvoie à une autre question posée, celle de la « pression de contrôle ».

La question du bien-être animal remonte à la Convention européenne du 10 mai 1979 sur la protection des animaux d’abattage. Elle a été complétée depuis par plusieurs textes nationaux, législatifs ou réglementaires, et communautaires, en particulier le « paquet hygiène » qui a substitué à une obligation de moyens à une obligation de résultat.

Actuellement, la présence des RPA n’est obligatoire que dans les établissements qui abattent plus de 1 000 unités gros bovins (UGB) par an. Dans les gros abattoirs, où sont présents des services qualité étoffés, mais aussi du personnel vétérinaire en nombre important – cela peut aller jusqu’à vingt personnes –, la pression du contrôle est donc beaucoup plus forte que dans des structures qui abattent 600 bêtes par an. Le risque étant plus grand dans les abattoirs sous le seuil des 1 000 UGB, l’interprofession a demandé la présence d’un RPA dans tous les abattoirs, quelle que soit leur taille, et cette proposition a été reprise par le ministre.

Dans le respect de la présomption d’innocence, INTERBEV se porte partie civile une fois l’action pénale engagée – je n’ai pas en mémoire de cas où cela lui ait été refusé. En 2015, nous nous sommes portés partie civile pour un abattoir qui fait l’objet d’une instruction pénale dans l’Ouest de la France. Depuis le début de l’année, nous avons un cas d’abattoir dans l’Aveyron. Les trois affaires récentes donneront donc lieu à trois constitutions de partie civile si l’action pénale est engagée.

En cas de faits similaires, l’interprofession rappelle automatiquement à ses fédérations que les règles doivent être respectées. Cela a été fait, et vous le savez pour avoir auditionné plusieurs fédérations – Culture viande, la FNEAP, la FNICGV, qui elles-mêmes rappellent immédiatement les règles à leurs adhérents. Pratiquement tous les abattoirs adhèrent à une fédération. Les trois abattoirs visés par les vidéos ne sont pas directement représentés à INTEBEV, mais seulement via leur fédération. Les entreprises ne sont pas directement représentées au sein d’une interprofession.

Le coût de l’abattage dépend de la taille de l’abattoir et du volume réalisé. Sur le gros bovin, il se situe en moyenne à 0,50 euro le kilo-carcasse – le plus bas autour de 0,30 euro pour les gros abattoirs ; le plus élevé à 0,80-0,90 euros pour les abattoirs de très petite taille, en raison du poids des équipements. À cela s’ajoute la valorisation du cinquième quartier, qui couvrait pratiquement les coûts d’abattage jusqu’aux crises de l’ESB. C’était presque redevenu le cas il y a encore quelques mois avec le classement en « risque négligeable » de la France, mais à la suite du cas d’ESB révélé ces dernières semaines, le pays est repassé en « risque maîtrisé », avec une perte en revalorisation de 10 centimes le kilo – nous sommes aujourd’hui en moyenne à 0,40-0,45 euro en fonction de la taille de l’abattoir.

La maltraitance des animaux n’a rien à voir avec la taille de l’abattoir : elle est liée au fonctionnement de l’abattoir. L’interprofession a mis en place, je l’ai dit, une charte de bonnes pratiques d’élevage, et, en collaboration avec les fédérations de commerçants en bestiaux et les groupements de producteurs, nous avons élaboré un code des bonnes pratiques visant notamment à garantir un transport des animaux dans des conditions respectueuses du bien-être animal et la prise en compte des contraintes légales liées au temps de transport et aux arrêts obligatoires. Le bien-être animal n’est donc pas une question de taille, mais de respect de règles communes à tous. Certes, l’importance des services de contrôle varie en fonction de la taille des abattoirs, et ces contrôles sont parfois réalisés par des vétérinaires vacataires dans les très petites structures. Mais tous les abattoirs français, quels qu’ils soient, sont soumis au contrôle sanitaire, soit directement par les services de l’État, soit par le concours de vétérinaires privés qui agissent en tant que vacataires pour le compte de l’État et rendent compte de leur inspection sanitaire au représentant de l’État.

Existe-t-il d’autres cas similaires ? Nous espérons que non… Il est difficile de vous répondre dans la mesure où nous n’avons pas accès aux abattoirs. Le bruit circule que d’autres films pourraient sortir. Honnêtement, je n’ai pas connaissance de cas similaires qui seraient d’actualité.

Mme Geneviève Gaillard. Et antérieurement à 2015 ? Aviez-vous eu la puce à l’oreille ?

M. Dominique Langlois. Bien sûr, et c’est justement ce qui explique que la profession se soit mobilisée sur cette question. On ne peut pas avoir de gros abattoirs partout. Les petits abattoirs ont leur pertinence en termes de proximité et d’aménagement du territoire, mais n’ont pas toujours la capacité d’investir dans du matériel moderne, conforme aux normes ; un restrainer inadapté complique la tâche du salarié, même sans volonté de maltraitance. Il fallait mettre de l’ordre, et surtout ne pas s’exposer sur ce sujet particulièrement sensible, d’où l’élaboration de notre guide de bonnes pratiques pour le bien-être animal pour mettre un terme à certaines dérives.

Il est difficile de mesurer l’impact de ces affaires sur la consommation. En période de crise, nous suivons deux indicateurs : le « pic » au niveau de la presse et des réseaux sociaux, et les résultats de nos enquêtes auprès des collèges distribution. Depuis le début de l’année, la baisse de la consommation est légèrement plus forte qu’en 2015 : il y a donc bien un impact, mais le pourcentage correspondant ne sera connu qu’au bout d’un certain temps. La crise de la viande de cheval avait connu deux phases : d’abord, une très forte réaction de rejet du consommateur, aux yeux duquel la traçabilité était devenue inutile et la tricherie générale ; ce à quoi nous avons répondu avec une communication sur le renforcement de l’étiquetage d’origine au moyen du logo « Né, élevé, abattu et transformé en France ». La Commission a donné son accord pour une expérimentation en France, mais le décret n’est toujours pas publié, et certains acteurs industriels refusent toujours le « et transformé ». L’impact d’une crise est donc plus facilement mesurable dans un deuxième temps car, malgré les chiffres de vente, l’effet stock joue à court terme. Nos derniers indicateurs sortiront fin juin : nous verrons si la courbe s’est inversée en tendanciel plus fortement que la courbe de baisse actuelle.

Ces affaires, dommageables pour la profession et choquantes pour les salariés, ne sont évidemment pas de nature à attirer des jeunes – filles ou garçons – vers nos entreprises, au sein desquelles le pourcentage de femmes n’est pas négligeable. Nos métiers sont en tension : le besoin de renouvellement des générations est important. Nous avons donc engagé plusieurs actions : le développement de la formation, la révision des classifications – l’appellation « ouvrier polyvalent des industries des viandes », plus valorisante, a remplacé celle d’abatteur, par exemple ; la mise en place d’un site internet intitulé « Je deviens boucher », où distributeurs et industriels peuvent s’inscrire et s’engager à recevoir des candidats au CAP boucherie ou au poste d’ouvrier d’abattoir.

Par ailleurs, nous développons trois axes : l’accompagnement des nouveaux salariés par des tuteurs, c’est-à-dire des personnes expérimentées ; la polyvalence, pour éviter aux salariés de rester sur un poste difficile, et leur permettre de passer des échelons supplémentaires pour voir leur rémunération évoluer ; un plan de carrière enfin pour les jeunes en CAP. Dans nos industries, l’encadrement intermédiaire est issu à 90 % de la base, c’est-à-dire des ouvriers : la formation au métier d’agent de maîtrise en abattoir n’existe pas, le métier s’apprend sur le terrain. Face à la problématique de renouvellement de génération, notre rôle en matière de formation et d’accompagnement des jeunes dans les entreprises de la viande est très important. Car même si beaucoup de postes peuvent être automatisés, cela est plus facile dans le secteur du porc que dans le secteur du bovin – le premier est standard, le second disparate avec des petites et de très grosses carcasses –, et l’automatisation dans le désossage nécessite une capacité d’investissement importante, or les marges de l’industrie de la viande sont très faibles, de l’ordre de 0,70 euro pour les meilleurs. Sans oublier que certains postes, comme le désossage, resteront toujours manuels.

Les RPA devront être présents dans tous les abattoirs, quelle que soit leur taille, dès lors que le texte à ce sujet sera publié. Nous avons salué la proposition de leur donner le statut de lanceur d’alerte. Mais il faut aller plus loin, car on peut imaginer qu’ils subiront des pressions, et pas seulement de la direction. Les RPA doivent donc bénéficier d’une protection, comme celle des lanceurs d’alerte en matière de santé et d’environnement depuis la loi du 16 avril 2013, y compris en cas de changement de poste, à l’image de la protection des représentants du personnel pendant la durée de leur mandat et six mois après la fin de ce mandat. Grâce à un statut assorti d’une protection, les RPA pourront exercer leur rôle, qui est important et nécessite une formation, en signalant les anomalies, selon les cas, au directeur et au service qualité, au responsable de chaîne, au préposé vétérinaire, voire au vétérinaire.

De même, nous saluons l’annonce de la création d’un délit de maltraitance aux animaux, assorti de sanctions pénales à l’encontre des responsables d’abattoir. Au regard de la taille des abattoirs, la question se pose de savoir quel niveau sera concerné – le dirigeant ou le délégataire, ou les deux ? En tout cas, ce délit spécifique permettra de verrouiller le dispositif : seuil de 1 000 UGV supprimé pour la présence du RPA, statut protecteur pour le RPA ; sanction des dirigeants en cas de mauvais traitements aux animaux, car un responsable d’entreprise doit avoir connaissance de ce qui se passe dans son établissement.

Mme Geneviève Gaillard. Selon vous, les dirigeants des trois abattoirs visés connaissaient-ils les faits incriminés ?

M. Dominique Langlois. Je ne connais pas ces dirigeants. Dans les petites structures, comme les abattoirs publics ou municipaux, le dirigeant est souvent responsable de chaîne, voire responsable qualité.

M. Jacques Lamblin. Il peut aussi être responsable administratif : dans ce cas-là, il n’est pas forcément sur le site.

M. Dominique Langlois. Certes, mais il y a forcément un responsable dans l’abattoir.

Mme Geneviève Gaillard. Si je comprends bien, ces faits se produisent moins souvent dans les gros abattoirs.

M. Dominique Langlois. Avec un contrôle vétérinaire permanent et la présence d’une soixantaine de personnes sur la chaîne d’abattage, auxquelles s’ajoutent les six ou sept agents de maîtrise, de telles dérives peuvent difficilement se produire dans les gros abattoirs – si elles se produisent, elles ne durent pas. Mais on ne saurait pour autant condamner tous les autres : on trouve des petits abattoirs qui font très bien leur travail. Du reste, le règlement intérieur de certains établissements indique que la maltraitance constitue une faute grave.

Dans les trois affaires, qui révèlent des dérives dont il faudra établir la durée et la fréquence, des arguments ont été avancés, comme le volume accru des commandes, etc. Cela étant dit, le salarié n’est jamais tout seul : il est entouré de ses collègues. Certes, dénoncer un collègue est loin d’être simple, d’où l’importance d’instaurer une protection pour le lanceur d’alerte – et dans l’intérêt des salariés, car il y va de l’avenir de leur entreprise. C’est le sens de notre action auprès des fédérations, que je n’ai pas eu besoin de consulter sur notre intention de nous constituer partie civile, dans le respect évidemment de la présomption d’innocence. J’étais certain du soutien de mes collègues.

S’agissant de la vidéosurveillance, nous ne sommes ni pour ni contre. Cette mesure serait-elle pertinente ? Pour commencer, certaines structures pourraient ne pas avoir les moyens de financer l’installation d’un tel équipement. Ensuite, la question se poserait de savoir qui regarderait les vidéos et à quelle fréquence. Enfin, filmer les salariés sur leur poste de travail est actuellement interdit – la vidéosurveillance est autorisée pour des raisons de sécurité uniquement. Il faudrait en avoir la permission, et l’accord des salariés.

En définitive, nous avons déjà 80 % de la réponse, voire plus : ce qui manque, c’est la sanction, pour s’assurer de l’application des mesures existantes. Comme elle le fait pour le respect des règles sanitaires, l’administration doit jouer son rôle en saisissant le parquet en cas de faits délictueux – je n’ai pas connaissance de cas où l’administration aurait signalé des actes de maltraitance, en dehors de cas d’animaux abandonnés dans des conditions très particulières. Il faudrait qu’elle se montre totalement intransigeante sur ces faits.

M. le président Olivier Falorni. Des animaux abandonnés : de quoi s’agit-il ?

M. Dominique Langlois. Je pense à des animaux en souffrance dont les propriétaires agriculteurs ne peuvent plus s’occuper, pour des raisons de santé.

J’insiste : en abattoir, le préposé vétérinaire peut rendre compte au vétérinaire inspecteur, qui lui-même saisira l’inspecteur référent, qui saisira la direction départementale de la protection des populations, laquelle déclenchera une procédure. Il faut que les règles soient appliquées ; si elles sont complétées par le statut du lanceur d’alerte et la création d’un délit de maltraitance, je ne vois pas ce qu’on peut faire de plus. Chacun prendra ses responsabilités et le problème sera réglé. Mais il faut faire vite, car nos concitoyens attendent des réponses – communiquer n’est pas simple face à des images terribles. Ces affaires ne reflètent pas les pratiques dans la filière, ni l’état d’esprit des professionnels : non seulement la maltraitance est contraire à leur éthique, mais elle a pour conséquence d’altérer la qualité de la viande en raison de l’augmentation du pH chez les animaux stressés. En attendant, nous ne croyons pas à la vidéosurveillance. Voyez ce qu’il en est avec la vidéo-sécurité : lorsqu’un problème survient la nuit, c’est toujours à ce moment-là, comme par hasard, que la caméra est tombée en panne…

Enfin, pour répondre à la question de M. Chevrollier, la réglementation ne comporte pas de mesures inutiles susceptibles d’être supprimées. Le dispositif a été adapté à l’évolution de la filière – avec le passage de 450 à 280 abattoirs en vingt ans –, mais il n’est pas bouclé aujourd’hui : il manque un maillon, comme je viens de l’expliquer, or chacun des maillons est essentiel à la réussite de l’action en matière de bien-être animal.

Mme Françoise Dubois. La formation actuelle des abatteurs me semble insuffisante. Elle devrait être approfondie car, dans notre pays où le chômage sévit, je pense que beaucoup de personnes vont se porter candidates pour exercer ce métier. Le bien-être humain est également un point central : égorger des bêtes toute la journée n’est pas forcément évident. Existe-t-il un suivi pour ces professionnels ? À côté de l’accompagnement technique, un accompagnement psychologique vous paraît-il nécessaire ?

Même si elles sont inacceptables, les défaillances sont humaines, et on ne peut exclure le « pétage de plombs » d’un salarié débordé par l’arrivée d’un trop grand nombre d’animaux sur la chaîne.

Enfin, faites-vous la différence entre l’abattage traditionnel et l’abattage rituel ? Qu’en est-il de la formation des sacrificateurs nommés par les mosquées ?

Mme Annick Le Loch. Les interprofessions jouent un rôle essentiel dans la structuration et la pérennité des filières. La vôtre est-elle bien organisée pour assurer cette viabilité vis-à-vis de tous les maillons de la filière ?

Dans un contexte de crise de l’élevage, tous les producteurs sont en difficulté, en particulier les éleveurs de bovins dont les revenus sont les plus bas – vous avez vous-même évoqué à l’instant des cas dramatiques de producteurs qui abandonnaient leurs troupeaux. Comment ces crises se répercutent-elles sur l’ensemble de la filière ? Un maillon est-il plus fragilisé que les autres ? Quelles solutions verriez-vous ?

Le Gouvernement a présenté un plan abattoir assez conséquent ; certains gros abatteurs ont déjà fait savoir qu’ils n’auraient pas besoin de subventions. La remise à niveau des abattoirs relève-t-elle réellement d’un problème de financement ? Et ce plan de financement sera-t-il suffisant ?

Mme Sylviane Alaux. Je rejoins le propos de Françoise Dubois sur le bien-être des salariés. Grâce à la polyvalence, un nouveau salarié, qui a reçu une formation de 48 heures, tourne à tous les postes : mais au bout de combien de temps est-il affecté au poste d’abattage ? Car une formation de deux jours, c’est bien peu au regard d’un métier aussi particulier. En outre, la formation d’agent de maîtrise n’existe pas, avez-vous souligné. Vos fédérations sont-elles demandeuses, auprès des conseils régionaux et des chambres de métiers, d’une formation qui viendrait parfaire la formation de base et d’une formation ciblée au métier d’agent de maîtrise ?

M. Jacques Lamblin. Le travail de notre commission d’enquête a pour objectif de faire le point sur le fonctionnement des abattoirs, mais aussi de trouver des solutions aux problèmes. Au fur et à mesure de nos auditions, des propositions émergent. Après avoir souligné l’intérêt de la formation et la nécessité d’une sanction, vous vous êtes montré beaucoup plus réservé sur le vidéo-enregistrement. Pourtant, plusieurs auditions ont montré que, face à un manque de personnel de contrôle vétérinaire sur les chaînes d’abattage, le vidéo-enregistrement permettrait non seulement de multiplier les points de contrôle, mais pourrait être utilisé à décharge en cas d’accusation. Qu’en pensez-vous ? J’entends bien l’argument de la panne de la vidéosurveillance, mais le matériel des abattoirs lui-même peut tomber en panne.

L’abattage rituel a été évoqué. Faut-il imposer l’étourdissement préalable pour limiter la souffrance de l’animal au moment de la saignée, mais aussi les risques pour les abatteurs eux-mêmes ? Quel serait l’impact d’une telle mesure ? Comment faudrait-il en contourner les effets négatifs sur le plan économique ?

Une autre idée a été avancée : l’étiquetage qui, en mettant en valeur la qualité du produit, mais aussi l’éthique au sein du circuit, permettrait de tirer les pratiques vers le haut. Qu’en pensez-vous, même si la mise en place d’un tel étiquetage pourrait poser de sérieuses difficultés sur le plan économique ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Votre interprofession comporte un collège abattage/transformation, et elle intervient dans le domaine de l’équarrissage. Vous dites ne pas avoir de possibilité d’investigation dans les abattoirs, dont vous percevez pourtant les cotisations obligatoires, auxquelles s’ajoutent les conventions élaborées par votre interprofession. Où situez-vous le rôle d’INTERBEV, dont je connais bien les représentants en Lozère, au regard d’un éventuel contrôle dans les abattoirs ?

Une des conditions pour se porter partie civile est d’avoir un intérêt à agir. Comment les juges analysent-ils l’intérêt à agir d’INTERBEV lorsqu’elle se porte partie civile ?

Enfin, Arnaud Viala, député de l’Aveyron, et moi-même envisageons de visiter les abattoirs de Saint-Affrique et de Sainte-Geneviève. Quel abattoir de l’Aveyron, dont vous avez parlé, pose problème ?

M. Dominique Langlois. Alors que le renouvellement des générations est un enjeu majeur pour la profession, celle-ci a du mal à recruter car nos métiers sont peu attractifs. De surcroît, un cursus est nécessaire pour accéder à certains postes dans l’entreprise de viande, dont l’abattoir fait partie, où l’acquisition du savoir-faire nécessite plusieurs mois, voire plusieurs années. Dans ce contexte, nous avons mené plusieurs actions. D’abord, la grille des classifications a été modernisée, pour l’adapter aux différents postes, dont certains n’existaient pas il y a plusieurs dizaines d’années. En outre, le tutorat se développe à l’initiative des entreprises pour « coacher » les nouveaux embauchés dans cet univers inconnu et parfois dangereux à cause de la circulation, de crochets ou de sols glissants, etc. Cela est d’autant plus important pour les nouveaux embauchés en reconversion – une centaine de salariés se sont reconvertis dans les métiers de la viande dans le cadre du plan de reconversion des mineurs de Lorraine.

Il existe des formations non spécifiques aux abattoirs, avec le certificat d’aptitude professionnelle (CAP) et le brevet professionnel (BP) « boucher » notamment. De notre côté, nous organisons des formations qualifiantes en abattage, avec les certificats de qualification professionnelle (CQP), et nous mettons en place avec Pôle emploi des formations externalisées de quatre mois avec des séquences pratiques dans l’entreprise. L’apprentissage du métier d’agent de maîtrise – nous disons « responsable de ligne » – se fait sur le tas, au moyen de formations spécifiques pour ceux qui souhaitent progresser. Quant à la formation de 48 heures, il ne s’agit pas d’une formation au poste de travail, mais de deux journées d’information au cours desquelles sont abordées les règles sanitaires – lavage des mains, etc. –, les risques du métier et les aspects de bien-être animal. Ce sont donc des journées d’information et d’intégration plutôt que de formation.

Un salarié issu du monde de la viande – un boucher affecté dans un atelier de désossage, par exemple – s’adaptera très vite. Pour les nouveaux embauchés qui ne connaissent rien du métier, nous avons recours, soit à des formations extérieures, soit à des formations internes avec des salariés expérimentés qui forment un groupe d’une dizaine de personnes, étape par étape, en commençant par le plus facile, la fin de chaîne de désossage par exemple, pour terminer par les gestes plus techniques, comme le désossage d’une carcasse. Jamais un salarié n’est affecté au poste d’abattage le premier jour : il doit avoir occupé auparavant plusieurs postes sur la chaîne d’abattage, et être jugé apte par le chef de service à faire ce travail, qui n’est pas forcément simple, sur le plan technique comme sur le plan psychologique. Enfin, le salarié ne démarre pas tout seul : il est accompagné par un collègue expérimenté qui déterminera le moment où il est capable de faire le geste sans cet accompagnement. Quoi qu’il en soit, le salarié n’est jamais seul : ce poste n’est pas isolé, tout au moins dans les grosses unités. C’est plus compliqué dans les petits abattoirs, mais les compétences des ouvriers sont identiques quelle que soit la taille des abattoirs.

Mme Sylviane Alaux. En matière de compétences, existe-t-il un cahier des charges commun aux entreprises ?

M. Dominique Langlois. Il n’y a pas de cahier des charges. En revanche, la convention collective nationale des entreprises de l’industrie et des commerces en gros des viandes prévoit la « classification des emplois », avec une définition des postes : le salarié doit donc avoir acquis un savoir-faire spécifique pour accéder à tel ou tel échelon. L’adaptation de la grille des classifications a été réalisée en 2010, étant entendu que le salaire de base déterminé par la convention collective n’est pas le salaire réel, qui relève de l’entreprise. Lors des entretiens individuels annuels, le chef de service fait le point avec les salariés, ce qui lui permet de détecter d’éventuels problèmes et de recevoir les demandes de formation et de changement de poste ou de service.

Grâce au tutorat, les salariés sont accompagnés sur les postes les plus difficiles par des salariés en poste depuis de longues années et dont le savoir-faire est incontestable : c’est cela qui les autorise à transmettre ce savoir-faire et surtout un savoir-être : il s’agit d’un lien d’accompagnement entre le salarié et son tuteur, et non un lien hiérarchique. Sans être une obligation, cette méthode est développée par bon nombre d’entreprises pour capitaliser le savoir-faire acquis, mais aussi alléger le travail des salariés en fin de carrière, éventuellement dans le cadre d’un accord sur la pénibilité.

L’information est un élément central : c’est par l’information qu’on pourra attirer des jeunes vers la profession. D’ailleurs, lors de nos opérations « portes ouvertes », les visiteurs se montrent toujours très surpris par les équipements existants dans nos entreprises. Nous avons donc tout intérêt à les leur montrer.

Comme dans tous les milieux, des « pétages de plombs » peuvent se produire dans les abattoirs. C’est le rôle de l’encadrement d’être vigilant vis-à-vis de ce problème qui peut se produire pour des raisons extraprofessionnelles – le lundi est, on le sait, un jour sensible… Votre question sur le sujet renvoyait à la problématique des cadences ; or il faut savoir que l’abattage rituel ralentit la chaîne – comme l’a expliqué un salarié dans le livre qu’il a écrit, le rituel permet de travailler moins vite. Ensuite, et même s’il est difficile d’appréhender la situation entreprise par entreprise, les cadences sur la chaîne sont adaptées au nombre de postes – une chaîne ne passera pas, à nombre de postes identiques, d’une cadence de 20 à une cadence de 40 animaux à l’heure. À cette adaptation des cadences s’ajoutent des temps de pause. Actuellement, un travail est mené avec les représentants du personnel et les CHSCT pour définir, dans le cadre des accords de pénibilité, les postes à pénibilité forte, moyenne ou faible.

Sur la vidéosurveillance, piste qui a été évoquée, nous maintenons que les mesures existantes contribuent à régler le problème sur lequel se penche votre commission d’enquête. D’abord, la réglementation communautaire a imposé une obligation de résultat avec le « paquet hygiène », qui traite du bien-être animal. Ensuite, les contrôles sont déjà importants, grâce aux vétérinaires, préposés vétérinaires, aux besoins vétérinaires vacataires, auxquels s’ajoutent les services qualité. Vous me demanderez alors pourquoi de tels faits se sont produits dans les trois abattoirs : les enquêtes judiciaires détermineront les causes de ces dysfonctionnements – les images n’ont pas été truquées. Nous ne sommes pas opposés par principe à la vidéosurveillance, pour peu que tous les critères soient réunis, d’autant que certaines situations peuvent être délicates, notamment la nuit lors du déchargement des animaux dans les bouveries : un chauffeur peut être bousculé par une bête agressive, or les petits abattoirs ne disposent pas toujours d’un gardien. Mais notre position sur la vidéosurveillance est réservée, car une telle mesure impliquerait un investissement supplémentaire et soulèverait des problématiques de droit à l’image – certains salariés ne souhaiteraient pas être filmés –, mais aussi d’acceptabilité sociale, car les représentants du personnel pourraient arguer que cette technique permettrait de filmer les salariés en train de faire des pauses, etc. En tout état de cause, ce n’est pas la solution miracle et beaucoup de choses existent déjà.

Comment notre intérêt à agir peut-il être retenu et nous amener à nous constituer partie civile ? Une interprofession a pour vocation de conclure des accords interprofessionnels qui porteront sur la pesée/classement/marquage, l’étiquetage, etc., étant de sujets qui concernent l’ensemble de la filière. Ces accords doivent recueillir l’unanimité des sections composant les collèges : un accord interprofessionnel ne peut être étendu que si la majorité des collèges a exprimé un avis favorable, étant entendu que le vote est acquis à la majorité des deux tiers au sein de chaque collège. La valeur juridique de cet accord découle de son extension prononcée par le ministère de l’agriculture, lequel contrôle sa légalité et son euro-compatibilité – c’est cette extension qui lui donne donc force de loi, à l’image d’un accord collectif étendu. La contribution volontaire obligatoire (CVO), que nous prélevons auprès des différents maillons de la filière – production/transformation/distribution – fait l’objet d’un accord interprofessionnel renouvelé tous les trois ans : chaque section approuve le renouvellement de l’accord interprofessionnel sur la collecte de la CVO, éventuellement en le modifiant – en fonction des budgets, avec une répartition différente entre les maillons par exemple –, mais cet accord fait l’objet d’une procédure d’extension. C’est la raison pour laquelle, bien que les opérateurs des différents maillons de la filière n’aient pas de lien direct avec l’interprofession, ils ont l’obligation de lui payer la contribution volontaire obligatoire.

Notre intérêt à agir se fonde sur le préjudice porté à l’image de la filière – tel a été le cas lors du scandale de la viande de cheval, où le juge d’instruction a immédiatement accédé à notre demande de constitution de partie civile. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement pour les trois affaires révélées par les vidéos diffusées par l’association L214 : le préjudice est considérable.

M. Jacques Lamblin. Les conséquences sont également graves au regard des recrutements dans la filière.

M. Dominique Langlois. Tout à fait. Ces affaires portent un coup terrible à la filière : aux producteurs – qui vivent très mal la situation car ils aiment leurs animaux –, aux industriels et aux distributeurs. Face à de telles images, les résultats positifs de nos campagnes de communication s’écroulent. Il est très difficile de chiffrer le quantum du préjudice, et donc d’évaluer la perte de volume. L’important pour nous est d’être acteurs dans la procédure pénale pour montrer que nous condamnons ces faits, même si les condamnations se réduisent généralement à une somme symbolique – dans l’affaire de la viande de cheval, notre objectif premier est de montrer que la fraude n’est pas cautionnée par la profession, d’où la nécessité d’une sanction pénale.

La filière bovine est en crise : après une petite accalmie, elle connaît à nouveau une dégradation très forte des prix payés aux producteurs pour lesquels la situation n’est pas tenable avec des « revenus », si l’on peut encore les appeler ainsi, qui tournent autour de 10 000 à 12 000 euros par an. Le plan de soutien à l’élevage, présenté en juillet, comporte des mesures immédiates. Par contre, nous sommes à un tournant : il s’agit de savoir si l’on veut, ou pas, conserver notre élevage en France. Selon les conclusions du rapport Chalmin, les producteurs perdent de l’argent, l’industrie fait très peu de marges, et la distribution elle-même n’y trouve pas de gains. Comment faire, sinon augmenter le prix de la viande ? D’un côté, les consommateurs disent acheter moins de viande bovine car elle est trop chère, de l’autre, les producteurs demandent une augmentation de 40 à 60 centimes par kilo. Dans ce contexte très difficile, on peut craindre de nouveaux problèmes avec les producteurs fin mai ou courant juin, à cause des sorties massives de jeunes bovins, de la présence massive de génisses sur le marché de l’abattage – car après un fort investissement sur les génisses pour l’export, celui-ci a été stoppé net à cause de la fièvre catarrhale ovine – et d’une sous-valorisation du troupeau allaitant. De surcroît, à la baisse de la consommation, s’ajoute une modification du mode de consommation : 49 % de la viande bovine est consommée sous forme de steak haché, fabriqué avec les morceaux avants. Que fait-on du reste ? Certes, dans les boucheries traditionnelles, l’acte d’achat se fait plus facilement que dans les rayons libre-service, car le boucher du quartier peut attester devant ses clients de la qualité et de la provenance de la viande. Par contre, le marché est atone. Quant au marché européen…

M. le président Olivier Falorni. Monsieur le président, vos réponses sont passionnantes, mais malheureusement, je dois vous demander d’abréger, car nous avons prévu une table ronde dans la foulée de votre audition, à dix heures trente. Pourriez-vous répondre maintenant sur l’abattage rituel et l’étiquetage ?

M. Dominique Langlois. Ce sujet éminemment compliqué sera au cœur des débats pour les élections en 2017. Trois hypothèses sont envisageables : la première est le statu quo, autrement dit, le maintien de la dérogation sous contrôle de l’État, complétée par le décret de 2011 qui impose le contrôle par les autorités sanitaires d’une déclaration en préfecture, de la formation des sacrificateurs, et de la tenue d’un registre attestant de l’adéquation entre les commandes et les ventes. Deuxième hypothèse : l’étourdissement préalable obligatoire, autrement dit la suppression de la dérogation, ce qui aurait comme conséquence 14 % d’abattage bovins en moins et 22 % d’abattage ovins en moins. Or dans la crise actuelle, une baisse de 14 % serait dramatique, sachant que 90 % de jeunes bovins sont exportés et que 90 % de nos clients sont des pays musulmans – le marché casher est plutôt français. L’arrêt de l’abattage rituel répondrait certes à une demande, mais serait donc catastrophique pour l’économie – le parlement polonais a rétabli la dérogation après avoir interdit l’abattage rituel, car le pays avait perdu 50 % de son marché à l’export au bout de six mois. Troisième hypothèse : réfléchir avec les cultes à la possibilité d’un soulagement juste après l’égorgement, qui permettrait de résoudre le problème des quatre-vingt-dix secondes. La communauté israélite a signifié un non catégorique ; pour ce qui concerne la communauté musulmane, certains pays l’acceptent, notamment la Malaisie. Mais nos mosquées ne l’acceptent pas, et le Conseil français du culte musulman n’a pas autorité pour le leur imposer – mais certains de ses membres n’y seraient pas hostiles.

L’étiquetage a fait l’objet de nombreux débats en 2012. La Communauté européenne considère que l’étiquetage serait discriminant et n’apporterait pas une information pertinente au consommateur. Il est clair qu’un produit étiqueté « abattu non conventionnellement » ne se vendra pas ; or dans le casher, seuls les avants sont consommés Faut-il mettre tout le reste à l’équarrissage ? Nous attirons donc votre attention sur les conséquences économiques d’une telle mesure.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. L’interprofession serait-elle prête à s’engager dans une démarche de certification avec des organismes extérieurs – du type de celle qui existe pour certaines installations classées avec une commission locale associant élus, associations et organisme gestionnaire –, autrement dit dans la constitution d’un lieu de concertation et d’échange d’informations qui permettrait de briser les incompréhensions ?

Lors des auditions, nous avons souvent entendu parler de matériels inadaptés, de process mal définis, de conceptions d’outils inappropriées. L’interprofession serait-elle prête à s’engager sur des recommandations au travers d’une certification de la qualité des matériels, d’une démarche de progrès qui éviterait aux petites structures d’investir dans du matériel qui ne fonctionne pas bien et réglerait au passage certains problèmes de pénibilité ?

M. Dominique Langlois. À votre première question, ma réponse est oui. Nous devons avoir des contacts avec les ONG environnementales, à condition qu’elles ne soient pas « anti-viande ». Nous devons également dialoguer avec les associations de consommateurs ; nous l’avons fait lors de la crise de la viande de cheval, ce qui nous a permis d’être en totale adéquation avec elles. Tout cela va dans le sens de la création de notre commission enjeux sociétaux.

Pour répondre à votre seconde question, notre rôle est toujours à la frontière de celui des fédérations. Cela étant, dans le cadre des sections, nous sommes constamment en veille sur les technologies d’abattage utilisées dans les autres pays, qu’ils soient européens ou plus lointains comme l’Australie. Ce faisant, nous avons un rôle de facilitateur. Surtout, nous essayons de faire comprendre, et ce n’est pas toujours facile, la nécessité d’adapter les investissements et l’outil à la taille de l’établissement : un abattoir de petite taille peut être tout à fait opérationnel avec un investissement adapté à sa taille, alors qu’un abattoir où les montants investis ne sont pas en adéquation avec les besoins ne sera jamais rentable. D’où l’importance du programme d’investissements d’avenir, doté de 25 millions supplémentaires pour moderniser les outils d’abattage/découpe dans le cadre du plan de soutien à l’élevage. Enfin, nous aimerions que la Banque publique d’investissement (BPI) soit davantage à nos côtés, car les prêts à 4 % qu’elle propose ne permettent pas aux entreprises de la viande d’investir.

M. le président Olivier Falorni. Merci, monsieur le président, pour la qualité et la précision de vos réponses.

La séance est levée à dix heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du jeudi 12 mai 2016 à 9 heures

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Yves Caullet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Françoise Dubois, M. Olivier Falorni, Mme Geneviève Gaillard, M. Jacques Lamblin, Mme Annick Le Loch, M. Pierre Morel-A-L'Huissier

Excusé. - M. François Rochebloine, M. Arnaud Viala