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Commission d’enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Jeudi 19 mai 2016

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Gregory, directeur des affaires scientifiques et techniques de la Fédération française des charcutiers, traiteurs, transformateurs de viandes (FICT)

La séance est ouverte à douze heures.

M. le président Olivier Falorni. Nous accueillons maintenant M. Thierry Gregory, directeur des affaires scientifiques et techniques de la Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viandes (FICT).

Avant de vous donner la parole, monsieur le directeur, je rappelle que nos auditions sont ouvertes à la presse et qu’elles sont diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale. Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Thierry Gregory prête serment.)

M. Thierry Gregory, directeur des affaires scientifiques et techniques de la Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viandes (FICT). L’histoire de la FICT débute en 1924, lorsque des charcutiers issus de toute la France décident de s’unir pour faire connaître leur profession et leurs produits. Structure syndicale reposant sur l’adhésion volontaire, la FICT fédère les industriels transformateurs de viandes, en regroupant plus de 200 entreprises, petites comme grandes, réparties sur tout le territoire ; nous ne représentons pas les artisans, regroupés au sein de la Confédération nationale des charcutiers-traiteurs et traiteurs (CNCT). Nous sommes essentiellement un tissu de petites et moyennes entreprises, dont la majorité comprend moins de 50 salariés, une trentaine d’entreprises dépassant les 250 salariés. Ainsi, le pays du camembert est aussi la patrie de plus de 350 produits de charcuterie élaborés par nos entreprises.

Les entreprises représentées par la FICT sont essentiellement des acheteurs de viande qu’elles transforment. Sauf exception, elles n’abattent pas d’animaux et ne découpent pas les viandes : nous achetons des pièces adaptées à la transformation des produits, par exemple, des pattes arrière de porc pour fabriquer du jambon cuit ou sec, des poitrines pour les lardons, etc.

En France, la filière de la charcuterie représente environ 1,250 million de tonnes de produits fabriqués : 1 million de tonnes de produits de charcuterie proprement dite, et 250 000 tonnes de salades et de conserves de viandes. En matière d’approvisionnement, 80 % des produits sont d’origine porcine, 10 % environ d’origine volaille, le reste se répartissant entre le bœuf, le gibier et le mouton.

Pour nous, la viande n’est pas un minerai : c’est une matière première qui représente une part significative de la formation des coûts des produits. Vis-à-vis de nos fournisseurs, nous définissons des critères de qualité très stricts, adaptés à chaque type de produit, parmi lesquels un certain nombre sont liés aux conditions d’abattage – pour éviter le stress des animaux, qui altère la qualité de la viande. Quand sont diffusées des images choquantes comme celles tournées par l’association L214, toutes les filières animales sont impactées, y compris la nôtre. D’un point de vue éthique, nos adhérents sont généralement très attentifs au bien-être animal, qui correspond à une demande sociétale de plus en plus explicite.

M. le président Olivier Falorni. À la suite du scandale provoqué par la diffusion des vidéos tournées par l’association L214, quelles ont été les réactions des industriels charcutiers représentés par votre fédération ? Avez-vous constaté une baisse de la consommation au sein de votre filière ?

Quel est le pourcentage de viande produite en abattoir français commercialisée par les industriels charcutiers ?

Une question récurrente : quelle est la part de l’abattage dans la formation du coût de la viande ?

La Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT), que nous venons d’auditionner, a entrepris un travail collectif de réflexion afin d’établir une charte éthique. Votre fédération envisage-t-elle une démarche de ce type ?

Enfin, question sensible pour les professionnels des filières animales : que pensez-vous d’un étiquetage systématique des produits alimentaires indiquant le mode d’abattage, c’est-à-dire avec ou sans étourdissement préalable ?

M. Thierry Gregory. Nos entreprises ont des contacts avec leurs fournisseurs, et les plus grosses d’entre elles vont régulièrement les auditer. La profession a été choquée, comme tout le monde, mais peut-être davantage encore, par les images extrêmement violentes montrées dans les vidéos car elles ne correspondent pas à ce que constatent nos auditeurs dans les abattoirs.

Dans un environnement économique tendu, avec en particulier la crise porcine que nous connaissons, il est assez difficile de mettre en évidence les conséquences de ces affaires. Globalement, nous avons constaté un tassement significatif de la consommation de nos produits, mais nous ne sommes actuellement pas en mesure de vous démontrer que ces vidéos ont eu un impact économique.

Parmi les animaux de boucherie, le porc est un cas particulier dans la mesure où une part significative de cette viande est destinée à la transformation : 30 % sont destinés à la viande fraîche, c’est-à-dire les longes et les côtelettes, et le reste consommable – y compris les abats – est transformé. La proportion de viande issue des abattoirs français représente environ 80 % de nos produits, le taux de couverture variant selon les pièces. Lorsque la production française est déficitaire pour certaines pièces de découpe, nous sommes obligés d’acheter à l’étranger.

La part de la viande dans la formation du prix de nos produits charcutiers est d’environ 50 % ; le reste est lié à la transformation, aux salaires et aux aspects logistiques, y compris les emballages. Au sein du coût de la viande, la part de l’abattage représente environ 10 centimes par kilo de porc.

L’éthique est un élément central, mais le problème pour nous serait d’évaluer la non-conformité à une charte éthique et de mettre en œuvre des actions correctives : notre rôle n’est pas de pénaliser les entreprises, mais d’essayer de les faire progresser. Aussi travaillons-nous dans un autre cadre. D’une part, nous avons développé la démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), qui intègre la notion d’éthique. D’autre part, nous encourageons les initiatives intéressantes, notamment celles des entreprises qui se rapprochent de leur filière amont pour mettre en place des dispositifs de contractualisation incluant des obligations de moyens réciproques.

S’agissant de l’étiquetage « avec ou sans étourdissement », le problème ne se pose que pour 20 % de nos approvisionnements : on peut considérer que le porc n’est pas concerné. Dans un certain nombre de cas, nous utilisons délibérément des produits issus d’animaux abattus rituellement, car nous fabriquons des produits halal ou casher. Mais d’une manière générale, nous ne disposons pas de l’information sur le mode d’abattage. Il semble donc difficile de mettre en place un étiquetage spécifique, car cela nécessiterait une traçabilité en amont des pièces issues des animaux abattus sans étourdissement et de ceux abattus avec étourdissement. Je précise que nous ne procédons pas à l’étiquetage au moment de l’emballage : le modèle d’étiquette a une durée de vie importante car il est fabriqué très longtemps à l’avance. Par conséquent, s’il fallait étiqueter la matière première en fonction de telle ou telle caractéristique, les entreprises devraient développer beaucoup plus de types d’emballage et d’étiquettes spécifiques – à moins de décider individuellement d’inscrire dans leur cahier des charges le refus d’acheter des produits issus d’animaux abattus sans étourdissement.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Vous avez évoqué des initiatives d’entreprises en lien avec l’amont. Les entreprises ont-elles tendance à s’orienter vers une démarche de certification, ou de garantie, en lien avec leurs fournisseurs – de l’élevage jusqu’à l’abattoir ?

M. Thierry Gregory. Nos entreprises sont soumises à un cahier des charges qui détaille une série de critères à respecter au moment de l’achat – couleur, épaisseur de gras, pH, etc. Au-delà de l’aspect contractuel, les initiatives pour mettre en place des relations spécifiques entre entreprises et fournisseurs se développent depuis environ un an. C’est un phénomène assez récent.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Ce mouvement est-il accompagné, voire initié, par les distributeurs, qui eux-mêmes peuvent être sollicités par les consommateurs ? Autrement dit, les préoccupations sociétales auxquelles vous avez fait allusion dans votre propos liminaire remontent-elles du consommateur au distributeur, puis du distributeur au fabricant ?

M. Thierry Gregory. Les deux tiers de nos produits sont commercialisés en libre-service, au sein desquels une part très importante est fabriquée sous marque de distributeur : le lien est fort avec le distributeur, à l’initiative de la démarche de garantie à laquelle vous faites allusion. Les démarches que j’évoquais à l’instant étaient le fait des entreprises : les rapprochements avec l’amont présentent pour elles un intérêt en termes de qualité, de traçabilité des produits, mais aussi de sécurité d’approvisionnement qui leur permet d’être fournies en matière première en quantité suffisante et dans la qualité souhaitée. Nos entreprises ont effectivement tendance à développer des liens étroits avec des éleveurs, des groupements d’élevage, et des abattoirs.

Mme Françoise Dubois. Vous avez évoqué des critères de qualité très stricts, en particulier en matière d’abattage pour éviter l’achat de viande altérée – on sait en effet que les manipulations brutales, à l’origine d’hématomes notamment, ont des effets néfastes sur la qualité de la viande. Signalez-vous ce genre d’anomalies ou ne faites-vous que les constater ?

M. Thierry Gregory. Les contraintes en matière de qualité définies dans notre cahier des charges sont évidemment destinées à être respectées. Une livraison non conforme, au regard de l’aspect visuel des produits ou de tout autre critère, aura des conséquences sur les relations entre l’entreprise et son fournisseur. Si le problème est ponctuel, celle-ci informera le fournisseur de cette non-conformité, voire refusera le lot qui ne correspond pas à la qualité demandée. Si le problème se répète, l’entreprise propose un audit au fournisseur dans une démarche d’amélioration, si elle tient à maintenir sa relation commerciale ; mais dans l’hypothèse où aucune solution n’est trouvée, elle peut être amenée à rompre toute activité commerciale avec ce dernier. Dans cette relation client-fournisseur, il ne nous appartient évidemment pas de demander aux abattoirs de faire évoluer leurs pratiques.

Mme Françoise Dubois. C’est dommage.

M. Thierry Gregory. J’en conviens. Mais notre fédération regroupe essentiellement des petites entreprises de 50 salariés, qui n’ont pas la puissance d’achat d’un gros opérateur : il leur est plus difficile d’imposer de bonnes pratiques. Cela dit, un abattoir qui perd trois ou quatre clients à cause de problèmes de qualité sera rapidement amené à réfléchir à l’amélioration de ses prestations, sans compter que la plupart des abattoirs appliquent les guides de bonnes pratiques élaborés dans le secteur de l’abattage. Ainsi, les établissements d’abattage appliquent des démarches de qualité et, de notre côté, nous avons généralement le choix de nos fournisseurs.

Mme Annick Le Loch. Certains industriels ont depuis longtemps choisi d’avoir leur propre unité d’abattage. Quelle part représentent-ils au sein de votre fédération ? Quels sont les avantages de ce modèle de production ?

La FICT a choisi de quitter l’interprofession. Pour quelles raisons ? Quelles en sont les conséquences ?

M. Thierry Gregory. Il y a trente ou quarante ans, les transformateurs avaient coutume d’abattre eux-mêmes, ce qui les obligeait à transformer l’intégralité de la carcasse, c’est-à-dire à fabriquer une kyrielle de produits. Par la suite, les entreprises ont eu tendance à se spécialiser : or si vous ne fabriquez que du jambon, lorsque vous abattez un cochon, il vous faut vendre le reste… Elles ont donc peu à peu abandonné l’abattage pour se concentrer sur la transformation. Aujourd’hui, certains groupes du secteur coopératif, quelques PME et des filiales de distributeur, intègrent dans leur giron des ateliers de découpe et de transformation, afin de produire à la fois de la viande et des produits transformés. On ne peut pas dire que ce soient des charcutiers qui ont créé un outil d’abattage : il s’agit plutôt d’ensembles industriels qui ont, au sein de leurs abattoirs, intégré des ateliers de découpe de différentes espèces et qui commercialisent ce qu’ils ne transforment pas.

Votre deuxième question ne relève pas de mon domaine de compétence. Je pense que la FICT a quitté l’interprofession en raison de divergences politiques sur les modes de production et la qualité des produits.

M. William Dumas. Vous avez souligné que les pratiques observées dans les vidéos n’ont rien à voir avec celles que vous constatez dans les abattoirs. Je suppose que vos PME ont plus souvent affaire à des chevillards et ne traitent pas directement avec les abattoirs
– sauf lorsqu’il s’agit de produits bio ou très spécifiques qui supposent d’acheter des lots bien particuliers, achetés directement chez l’éleveur, et abattus à part. Réalisez-vous des contrôles dans les abattoirs ? Et si oui, vos PME peuvent-elles plus facilement effectuer ces contrôles dans les abattoirs de territoire, comme celui de Mauléon, par exemple ?

M. Thierry Gregory. Avant de venir à cette audition, j’ai interrogé des entreprises sur leurs modes d’approvisionnement. Même les petites entreprises font le plus souvent affaire directement avec des abattoirs. Les approvisionnements par des chevillards peuvent être un complément, mais les contraintes définies par notre cahier des charges s’appliquent également dans ces cas-là. Notre objectif est d’avoir la viande la mieux adaptée à nos différentes productions. En matière de qualité, les aspects visuels sont extrêmement importants car une part significative de nos produits est vendue préemballée – ils sont visibles par nos consommateurs. Des pétéchies sur le jambon, par exemple, constitueront une non-conformité qui rendra le produit très difficilement commercialisable.

Pour auditer les abattoirs, il faut avoir un staff capable de le faire. Les contrôles sont donc plutôt réalisés par des entreprises de taille moyenne, voire importante. Les petites entreprises visitent leurs fournisseurs régulièrement, mais je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’audits. Néanmoins, lors de ces visites, des scènes comme celles montrées par les vidéos ne seraient pas passées inaperçues et auraient fait l’objet d’une remarque assez violente de la part de nos entreprises clientes : il n’est pas besoin d’être expert pour se rendre compte que de telles pratiques sont inacceptables.

M. le président Olivier Falorni. Merci, monsieur le directeur.

La séance est levée à douze heures trente-cinq.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du jeudi 19 mai 2016 à 11 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Yves Caullet, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, M. Jacques Lamblin, Mme Annick Le Loch

Excusés. - M. Thierry Lazaro, M. François Rochebloine, M. Arnaud Viala, Mme Paola Zanetti