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Commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Jeudi 23 juin 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et de M. Joël Mergui, président du Consistoire central israélite de France.

La séance est ouverte à neuf heures quinze.

M. le président Olivier Falorni. Nous poursuivons nos travaux sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français, en nous consacrant en cette première partie de matinée à l’abattage rituel, en présence des présidents des deux grandes institutions représentatives du culte musulman et du culte israélite, le Conseil français du culte musulman (CFCM) et le Consistoire central israélite de France.

Le Conseil français du culte musulman, association régie par la loi de 1901, a été fondé en 2003 dans le but de représenter le culte musulman de France. Composé de diverses associations et organisations, il bénéficie d’une représentativité géographique grâce aux conseils régionaux du culte musulman qui le composent. Il a pour mission la formation des imams et des cadres religieux, l’arrêt du calendrier des fêtes religieuses, l’organisation de la célébration de l’Aïd, du pèlerinage ainsi que l’organisation et la gestion du marché des produits certifiés halal. Nous recevons son président, M. Anouar Kbibech, qui a été nommé à ces fonctions le 30 juin 2015, succédant à M. Dalil Boubakeur que nous avons entendu il y a quelques jours. Monsieur le président, je précise que vous êtes par ailleurs diplômé de l’École nationale des ponts et chaussées.

Le Consistoire central israélite de France, créé en 1808, est l’institution représentative du judaïsme en France. Il a notamment pour mission l’organisation du culte et du rabbinat, la formation des rabbins à l’école rabbinique de France et la gestion de la cacherout. M. Joël Mergui, élu président en 2008, vient d’être réélu à sa tête, il y a quelques jours.

Messieurs les présidents, avant que mes collègues ne vous interrogent, vous nous exposerez dans une intervention liminaire vos positions sur l’abattage rituel, sujet qui nous intéresse particulièrement – nous venons d’effectuer une visite inopinée, comme nous en avons désormais pris l’habitude, dans un abattoir spécialisé dans l’abattage rituel à Meaux. Précisons toutefois que l’abattage rituel n’est qu’un sujet parmi d’autres dans nos travaux. Les vidéos clandestines de l’association L214, à l’origine de la création de notre commission d’enquête, concernaient exclusivement des pratiques d’abattage conventionnel.

Je rappelle que nos auditions sont ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale, certaines étant diffusées sur la chaîne parlementaire (LCP).

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Anouar Kbibech et M. Joël Mergui prêtent successivement serment.)

M. Joël Mergui, président du Consistoire central israélite de France. Je vous remercie, monsieur le président, de nous donner l’occasion d’un nouvel échange sur l’abattage rituel. Lorsque j’ai commencé mon mandat de président du Consistoire, en 2008, la société française commençait de s’interroger sur la saignée rituelle et je n’imaginais pas, je dois l’avouer, passer autant de temps à m’exprimer sur ce sujet, avec le rabbin Fiszon, en France et dans les différentes enceintes européennes.

Avant de répondre aux différentes questions d’ordre pratique et technique, il m’appartient de revenir sur le climat dans lequel vit aujourd’hui la communauté juive de France. Il y a une dizaine d’années, lors de ma première élection, la question de défendre notre liberté religieuse en France et en Europe ne se posait quasiment pas : la priorité, pour ce qui concerne le casher, était davantage de trouver les moyens de diminuer le prix de la viande casher, que la communauté trouvait un peu trop élevé. Mais au fur et à mesure, les choses ont changé : pour ma réélection, la priorité que j’ai dégagée a clairement été la sécurité des juifs de France et la liberté de la pratique religieuse. Et c’est pour moi une occasion un peu solennelle de le rappeler : les juifs sont dans un moment d’interrogation sur leur avenir en France. Après les événements dramatiques que l’on sait, l’État a pris des mesures exemplaires pour faire en sorte que la communauté juive continue de mener une vie normale dans ses institutions et lieux de culte. Nous considérons qu’il est du rôle de l’État et du législateur, de prendre également en compte d’autres préoccupations de cette partie de la communauté nationale. Sans possibilité de manger casher, il n’y a pas d’avenir pour une communauté juive dans quelque pays que ce soit : c’est une base fondamentale des règles du judaïsme. Et je ne peux pas imaginer que la France, où vit la principale communauté juive d’Europe, puisse prendre des dispositions visant à revenir sur cette pratique. Le fait que l’abattage rituel fasse l’objet d’attaques répétées, que nous soyons régulièrement invités à débattre de ces sujets, en plus des menaces pour notre sécurité, apparaît comme une forme d’atteinte à notre liberté de conscience, au point d’induire des envies, chez certains de membres de la communauté juive, de quitter la France. Il y va de notre responsabilité conjointe : depuis deux siècles, le Consistoire agit, malgré les vicissitudes de l’histoire, pour faire en sorte, avec l’État, que la communauté juive de France vive le plus sereinement possible et il continuera bien sûr de le faire.

La saignée rituelle est une pratique très ancienne du judaïsme. C’est la première pratique qui a été conçue dans la volonté de respecter le bien-être de l’animal. Plusieurs textes fondamentaux rappellent l’importance de cet impératif. Pensons à l’obligation de repos pour les animaux le jour du shabbat ou encore à l’obligation de nourrir les bêtes avant de se nourrir soi-même. L’abattage rituel vise à limiter au maximum les souffrances de l’animal : la longueur du couteau est réglementée, sa lame ne doit présenter aucune aspérité et le geste doit être pratiqué par un sacrificateur – le chokhet – formé à cette fin. Aucune des études réalisées ces dernières années ne prouve qu’il existe une méthode scientifiquement reconnue comme meilleure aux autres.

Je veux à ce propos rendre hommage à la France qui, au sein des instances européennes, a défendu le maintien de l’abattage rituel. Actuellement, il relève d’une dérogation et il me semble nécessaire de réfléchir aux conditions qui permettraient qu’il soit pleinement autorisé, sans relever d’une forme d’exception. Je suis médecin, je me suis penché sur les diverses études consacrées à l’abattage rituel juif et je suis persuadé que la chekhita, comme nous l’appelons, est conforme aux attentes exprimées par notre société à l’égard du bien-être animal. À moins qu’il ne s’agisse d’une volonté délibérée d’instrumentaliser un problème autour d’une certaine conception de la laïcité ; je veux en tout cas espérer que notre pays continuera à défendre la liberté de conscience.

La question est régulièrement posée de l’étourdissement préalable. La loi juive veut que l’animal soit conscient et vivant au moment de la saignée. Comme celle-ci lui fait perdre immédiatement conscience, il n’est pas nécessaire de le blesser auparavant. Précisons que l’abattage rituel juif concerne seulement 1,6 % de l’abattage rituel en général, soit moins de 200 000 bêtes par an sur un total annuel de 9 millions d’animaux abattus. Or, à croire les études, il apparaît que ce qu’on appelle « l’étourdissement préalable » – en fait, la perforation du crâne – dans l’abattage conventionnel occasionnait des ratages, dont la proportion est estimée entre 17 % et 56 %, ce qui représente un ou deux millions de bêtes. La saignée rituelle, elle, ne donne lieu à quasiment aucun raté et les rares incidents qui peuvent se produire ne portent en tout état de cause que sur un nombre très limité d’animaux. En quelques secondes, le cerveau n’est plus irrigué et la perte de conscience, et donc l’insensibilisation, survient très rapidement.

L’État, ces dernières années, a montré sa volonté que les membres de la communauté juive continuent de croire en leur avenir en France alors que d’autres pays les appelaient à migrer. Des mesures de sécurité sont prises pour nous permettre de vivre sereinement notre culte, mais il est important aussi, sur ce sujet de l’abattage rituel comme sur d’autres, de nous assurer, en même temps que de poster des militaires devant nos synagogues, que notre liberté de conscience ne sera pas remise en cause.

M. Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman (CFCM). Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, permettez-moi tout d’abord de vous dire comme je suis honoré de m’exprimer devant les représentants de la nation dans le cadre des travaux de votre commission qui s’occupe d’un sujet d’une grande importance et d’une grande actualité.

L’abattage rituel est un sujet qui tient à cœur au CFCM et je suis heureux d’avoir l’occasion de m’exprimer aux côtés de mon cher ami Joël Mergui. Cette invitation commune a une forte charge symbolique : l’abattage rituel musulman et l’abattage rituel juif sont proches et convergents. Le Consistoire central et le CFCM ont d’ailleurs décidé de mettre en place une commission commune mixte sur l’abattage rituel.

Cette audition intervient à un moment très particulier : d’une part, de plus en plus cas de maltraitance d’animaux sont mis au jour dans certains abattoirs – qui pratiquent plutôt l’abattage conventionnel et non l’abattage rituel, vous l’avez rappelé, monsieur le président ; nous avons tous vu ces enregistrements vidéo insoutenables. Mais d’autre part, on découvre de plus en plus de traces de porc dans des produits certifiés halal, ce qui pose la question de la transparence, de la crédibilité et de la sincérité de la procédure de certification pour les musulmans de France.

Le CFCM travaille, depuis sa création ou presque, et plus particulièrement depuis 2008, à l’élaboration d’une charte halal, un référentiel religieux commun à l’ensemble des musulmans de France qui définirait le caractère halal des produits carnés et de leurs dérivés. Les consommateurs musulmans pourront ainsi être rassurés quant à la conformité aux principes religieux auxquels ils adhèrent des produits qu’ils mangent. On constate malheureusement une utilisation non réglementée, de plus en plus abusive, du terme « halal », et les consommateurs musulmans s’inquiètent du manque de considération dont ils font l’objet. Ils exigent plus de transparence dans l’application du rituel islamique, de la même manière que nos amis juifs sont très sensibles au respect de la saignée rituelle, comme vient de le rappeler Joël Mergui.

Cette charte halal est le fruit, depuis 2008, d’une collaboration entre le CFCM et les différents acteurs musulmans engagés dans la filière halal. En mars 2011, nous étions pratiquement sur le point d’aboutir à la signature d’une charte, mais certains points n’avaient pas fait consensus, notamment l’étourdissement préalable. Sous l’impulsion de la présidence collégiale mise en place au sein du CFCM en juillet 2015, le groupe de travail a été remis en route en septembre dernier. Aujourd’hui, un consensus s’est dégagé au niveau tant national qu’international sur les conditions et les critères qui définissent précisément ce qu’est le halal pour les musulmans.

Bien sûr, l’application de cette charte doit se faire dans le cadre de textes réglementaires, internationaux ou européens, et conformément à la législation française.

Sa mise en œuvre sera progressive, car il faut favoriser les conditions qui rendront possible son application. Le CFCM entame en ce moment même les discussions nécessaires avec les représentants des filières industrielles pour examiner avec eux les modalités d’évolution de leurs pratiques ainsi que de leurs installations et équipements. Ces discussions ont pour but de permettre une adaptation progressive de leurs sites de production et portent notamment sur la période transitoire.

Cette charte comporte deux parties : la première est consacrée au référentiel religieux ; l’autre est un guide des procédures de suivi et de contrôle rituel du halal, qui s’attache aux moyens de certifier que les règles ont été appliquées à chacune des étapes du processus de transformation, de l’abattage de l’animal à l’arrivée de la viande dans les rayons.

Le travail sur le référentiel religieux a bien avancé. Il a d’ores et déjà reçu l’aval des trois grandes mosquées agréées par le ministère de l’agriculture pour l’agrément des sacrificateurs : Paris, Évry et Lyon.

Dans le cadre du guide, nous envisageons de mettre au point un label halal, placé sous l’égide du CFCM, qui garantira aux fidèles musulmans le respect des règles édictées dans le référentiel religieux.

Le bien-être animal est une préoccupation majeure de l’abattage rituel tant israélite que musulman. Dans la religion musulmane, les animaux sont considérés comme une communauté à part entière, semblable à celle des hommes. J’en veux pour preuve le verset 38 de la sourate VI du Coran : « Il n’est bête sur la terre ni oiseau volant de ses ailes qui ne forment des communautés semblables à vous ». Les actes et paroles du Prophète sont riches d’enseignements en ce domaine également : dans un hadith, le Prophète évoque ainsi une femme allée en enfer pour avoir fait mourir de faim une chatte en l’enfermant et en l’empêchant de se nourrir elle-même ; dans un autre, à un homme qui avait immobilisé une bête puis aiguisé son couteau devant elle, il fait ce reproche : « Tu veux donc la faire mourir deux fois ? Pourquoi n’as-tu pas aiguisé ton couteau avant de l’immobiliser ? ». L’homme a certes le droit de tirer profit des ressources de la terre, mais il a le devoir de le faire en bonne intelligence, dans le respect du bien-être des animaux.

Des règles très précises s’appliquent pendant l’abattage afin de ne pas faire souffrir la bête. Rappelons la parole du Prophète dans cet autre hadith : « Allah a prescrit la bienveillance envers toute chose, si vous immolez, faites-le de la meilleure manière et si vous égorgez un animal, faites-le de la meilleure manière. Qu’une personne parmi vous aiguise bien son couteau et qu’il soulage son animal ». Le soulagement de l’animal, la bienveillance et la bienséance sont des dimensions très importantes dans l’abattage rituel.

Dans le processus d’abattage en lui-même, deux acteurs majeurs interviennent. Le premier est le contrôleur – al mouraqib –, chargé de vérifier la conformité de l’abattage aux critères religieux : il doit évidemment être musulman, formé aux conditions d’abattage rituel et doté de grandes compétences en matière de traçabilité du halal. Le second est le sacrificateur – al moudhakki : musulman également, il doit être agréé par l’une des trois grandes mosquées agréées par le ministère de l’agriculture, celle de Paris, agréée par un arrêté de décembre 1994, ou celles d’Évry ou de Lyon, agréées par un arrêté de juin 1996. En outre, il doit avoir suivi une formation préalable attestant de ses capacités à exercer l’abattage rituel. L’ensemble des grandes organisations musulmanes – CFCM, fédérations musulmanes, acteurs de la filière halal, grandes mosquées – sont en train de mettre en place une vraie formation pour les sacrificateurs afin qu’il puisse procéder à la saignée rituelle dans les meilleures conditions possibles.

S’agissant de l’abattage rituel en lui-même – la dhakat –, il est prescrit que l’animal doit être respecté : il doit être transporté confortablement, sans stress, et bénéficier d’un repos avant l’abattage. Tout cela est rappelé dans le référentiel religieux cosigné avec les trois grandes mosquées Par ailleurs, un animal ne doit jamais être tué à la vue d’un autre et le couteau doit être soustrait à son regard avant son sacrifice. Une autre règle veut que l’abattage ait lieu sans aucune forme d’étourdissement, que ce soit avant ou après l’égorgement. Un consensus s’est clairement dégagé sur ce point entre les CFCM et les trois grandes mosquées agréées. Comme l’a rappelé devant vous le rabbin Fiszon la semaine dernière, la mise à mort de l’animal sans étourdissement est certes une exigence rituelle, mais qui participe au bien-être animal et à l’hygiène. Enfin, l’animal ne doit faire l’objet d’aucune intervention jusqu’à ce qu’il soit totalement inanimé. Il est plus particulièrement interdit de dépecer, de déplumer ou d’intervenir sur la plaie avant inertie complète. Cette condition également est clairement posée dans le référentiel religieux.

Je terminerai par les perspectives. Les abattoirs, ainsi que l’industrie alimentaire, doivent impérativement anticiper les évolutions pour relever trois grands défis.

Le premier est de répondre à la très forte demande des citoyens français de confession musulmane qui réclament de plus en plus un accès à du halal certifié, conforme en tout point au rite musulman. Une enquête publiée au mois de septembre dernier indique que 95 % des musulmans de France souhaitent consommer des produits halal et que 80 % en consomment effectivement. Il existe donc un marché national important, sur lequel les industriels français doivent se positionner.

Le deuxième défi consiste à répondre à la demande grandissante des pays musulmans qui exigent de plus en plus de halal sans étourdissement. Autant les avis divergeaient il y a quelques années, autant une tendance de fond traverse désormais l’ensemble des pays musulmans, du Maroc jusqu’à la Malaisie, où le rejet de l’étourdissement, qu’il soit pré ou post mortem, fait de plus en plus l’objet d’un rejet catégorique. Là aussi, les industriels français qui travaillent à l’exportation auraient tout intérêt à faire évoluer leurs pratiques pour conquérir de nouveaux marchés.

Le troisième défi est de répondre aux préoccupations liées au bien--être animal, dans le respect des prérogatives de l’abattage rituel, tant dans le culte musulman que dans le culte israélite. Nous sommes des défenseurs des animaux avant tout.

M. le président Olivier Falorni. Je vous remercie, messieurs.

Vous avez évoqué la mise en place d’une commission mixte, commune à vos deux religions dédiée à l’abattage rituel. Pourriez-vous nous en dire plus ?

S’agissant de la certification de la viande halal et casher, pouvez-vous nous indiquer combien il existe d’organismes certificateurs en France ? Quel est leur statut ? Comment sont-ils financés ?

Les sacrificateurs se voient-ils délivrer une carte valable à vie ? Exercent-ils cette activité à plein temps ou bien de façon ponctuelle ?

Enfin, j’aimerais revenir à la question de l’étourdissement. Notre commission entend se concentrer sur la technique d’abattage au regard du bien-être animal. Il ne s’agit pas pour nous d’entrer dans un débat sur la laïcité et sur les pratiques religieuses en tant que telles. C’est précisément pour éviter toute instrumentalisation que nous avons souhaité associer, pour toutes les réunions consacrées à l’abattage rituel, des représentants du culte musulman et du culte israélite.

Vous avez souligné, monsieur Kbibech, l’évolution de la position des organisations musulmanes sur la question de l’étourdissement. Mais il faut rappeler que dans certains pays, l’étourdissement est pratiqué dans le cadre l’abattage rituel. Quelles sont les raisons de ces différences ? Est-il envisageable pour vous d’imposer en France l’étourdissement post-jugulation ? Quels seraient selon vous les obstacles à une telle pratique ?

Monsieur Mergui, j’ai interrogé les grands rabbins qui ont participé à la réunion du 16 juin à propos de l’extirpation du nerf sciatique, nécessaire pour que l’animal abattu selon le rite juif puisse intégrer dans son entier le circuit casher. Une réflexion est-elle menée à propos de cette pratique ? En quoi consiste la taxe sur la cacherout ? Comment est-elle calculée et que finance-t-elle ?

Enfin, quelle est votre position à propos de l’étiquetage des produits selon le mode d’abattage, à savoir avec ou sans étourdissement ?

M. Joël Mergui. S’agissant de la commission mixte, nos deux bureaux se sont réunis, symboliquement, à l’école rabbinique, pour faire émerger une liste de préoccupations qui pourraient donner lieu à une réflexion commune. Dans la mesure où ce sujet concerne nos deux religions, il était important d’y réfléchir ensemble et d’arrêter les modèles les plus parallèles possible.

La certification est assurée par le Consistoire : les cartes d’abattage sont signées par le grand rabbin de France et sont renouvelées tous les six mois. Tous les chokhatim, qui pratiquent l’abattage rituel, répondent à un cahier des charges précises établies avec l’aval du ministère de l’agriculture et ont obtenu le certificat de compétence « Protection animale ». Pour la plupart, c’est leur activité principale ; certains, minoritaires, sont en même temps rabbin ou enseignant. Ce n’est pas une carte à vie : si certains ne remplissent pas les critères réglementaires, ils peuvent se voir refuser le renouvellement de leur carte. Outre leur formation initiale de plusieurs années, ils sont régulièrement évalués par les vérificateurs. Précisons qu’en France est vendue aussi de la viande importée, ayant fait l’objet d’autres procédures de certification, qui n’est pas forcément reconnue comme casher par l’ensemble de la communauté juive.

L’abattage rituel peut aussi comprendre l’extirpation du nerf sciatique, opération d’une particulière complexité qui permet de rendre consommable la partie arrière de la bête, laquelle n’est pas intégrée dans le circuit casher si seule la saignée est pratiquée. L’une des grandes questions qui préoccupe la communauté juive est le prix de la viande casher. Des études sont menées pour examiner la possibilité d’utiliser la deuxième moitié de la bête, mais le retrait du nerf exige de recourir à davantage de personnel, ce qui conduirait à renchérir davantage encore le prix final.

La redevance sur la cacherout, qui fait souvent l’objet de discussions, s’élève à 1,66 euro par kilo au Consistoire de Paris et varie selon les régions. Elle permet de financer la filière du casher. Elle sert en particulier à rémunérer les chokhatim et les mashgihim, les vérificateurs, qui sont payés non par les abattoirs mais par les consistoires de Paris et de province – je le dis car certaines informations fausses ont circulé. Le surcoût provient aussi du fait que toutes les bêtes abattues ne sont pas utilisées : si le chokhet, en application des règles religieuses, décèle certaines adhérences dans les poumons d’une bête, il l’écartera et elle sera remise dans le circuit de la consommation non rituelle tout comme la partie arrière de l’animal, réputée la plus tendre. Il n’y a donc aucune perte pour la société, mais plutôt un gain, puisque nous n’utilisons que 25 % de la viande des bêtes dont nous avons financé l’abattage.

S’agissant de l’étiquetage, nous avons tendance à considérer que l’indication de la méthode d’abattage constituerait une stigmatisation, dans la mesure où toutes les études montrent qu’il n’y a pas de différences entre abattage rituel et abattage conventionnel en termes de souffrance de l’animal. En outre, pour que l’information du consommateur soit complète et que la communauté musulmane et la communauté juive n’aient pas l’impression que leurs pratiques religieuses sont entravées, il faudrait prendre en considération d’autres critères en indiquant, par exemple, les ratés – 16 % des cas – qui entraînent forcément des souffrances, ou encore, pour les porcs, si la bête a été gazée au dioxyde de carbone. Après mon audition devant la mission d’information sur la filière viande du Sénat, où j’ai été confronté à l’une de vos collèges qui a été un peu difficile avec moi, j’ai reçu de nombreux messages de membres de la communauté juive soulignant que l’on ne parlait jamais dans ces enceintes de la corrida, de la chasse, des poussins broyés ou encore des chapons… Pour être sérieux et ne pas être considéré comme une entrave religieuse, l’étiquetage devrait aborder tous les sujets, et non se limiter à l’abattage rituel présenté comme une forme de barbarie en oubliant tous les ratés qui, effectivement, font souffrir la bête.

Pour finir, j’aimerais revenir sur la saignée rituelle en insistant sur un aspect très technique. Les ovins et les bovins, à la différence des chevaux et des porcs dont la consommation est interdite dans la religion juive, comporte une particularité anatomique : le polygone de Willis, cercle artériel qui lie les artères de la carotide aux artères vertébrales par anastomose, si bien que lorsque l’on sectionne les premières, les secondes sont également shuntées et n’irriguent plus le cerveau. C’est la raison pour laquelle la saignée rituelle provoque une perte de conscience immédiate.

M. Anouar Kbibech. Lors de la réunion des bureaux du Consistoire et du CFCM, nous avons identifié certains dossiers qui pouvaient faire l’objet d’un travail en commun : formation des cadres religieux, prévention de la radicalisation et abattage rituel. Nous travaillons pour unir nos efforts et nos réflexions.

S’agissant des organismes certificateurs, il faut distinguer les sacrificateurs des vérificateurs. Les sacrificateurs doivent être certifiés par une des trois grandes mosquées. Les vérificateurs relèvent quant à eux d’une activité plus libre. Bien sûr, les trois grandes mosquées se sont dotées de leurs propres organismes de contrôle, les organismes de contrôle du halal (OCH), mais plusieurs organismes indépendants se sont constitués en associations régies par la loi de 1901. L’un des plus connus est AVS – À votre service – qui opère un contrôle assez rigoureux. Citons également European Halal Services ou Breizh Halal. Ces organisations pourraient, grâce aux fonds qu’ils lèvent grâce à leur activité, contribuer à terme au financement du culte musulman. C’est une des questions que nous sommes en train d’examiner avec tous les acteurs de la filière halal.

Les cartes délivrées aux sacrificateurs sont temporaires et renouvelées tous les ans ou tous les trois ans. Pour la plupart, ces personnes se consacrent à cette activité à plein-temps. Certaines, minoritaires, travaillent dans les abattoirs à temps partiel : cette organisation du temps est facilitée par le fait que dans les abattoirs pratiquant divers types d’abattage, l’abattage rituel commence tôt dans la journée pour se terminer vers dix heures ou onze heures, ce qui permet d’éviter tout mélange.

Vous avez souligné, monsieur le président, que plusieurs pays musulmans toléraient l’étourdissement. C’est une réalité. Il y a une multitude de points de vue. Reste qu’un consensus pour ne pas dire une unanimité émerge autour du refus de l’étourdissement. L’Arabie saoudite, naguère moins regardante sur cette question, devient de plus en plus rigoureuse. Que l’étourdissement intervienne avant ou après l’égorgement, pour nous, le problème est le même. L’animal doit être conscient et vivant, c’est la condition pour que tout le sang puisse être évacué afin d’éviter toutes sortes de complications sanitaires par la suite.

Concernant l’étiquetage indiquant s’il y a eu ou non étourdissement, je ne vous cache pas qu’une discussion a lieu au sein du culte musulman pour peser le pour et le contre. Nous sommes assez partagés. Parmi les avantages, il y a le fait que cela pourrait contribuer à la traçabilité. Mais il y a ce gros désavantage, souligné par Joël Mergui : le risque de stigmatisation en pointant du doigt un mode d’abattage en particulier.

Mme Françoise Dubois. Vous avez montré, messieurs, que vous étiez attentifs au bien-être animal. C’est sur les humains que porteront mes questions, plus particulièrement sur les sacrificateurs. J’aimerais en savoir plus sur leur formation. S’agit-il d’un métier à part entière ? Est-ce une activité ponctuelle ? Quels sont les critères de choix ? Je vous pose la question car il me semble qu’une clarification s’impose, compte tenu de certaines rumeurs que l’on entend, selon lesquelles ils seraient parfois choisis par tirage au sort.

M. Joël Mergui. Merci, madame, pour cette question qui nous donne l’occasion d’apporter de nouvelles clarifications. Il s’agit d’un vrai métier, un métier compliqué et difficile – on ne trouve d’ailleurs pas toujours suffisamment de volontaires pour s’y former. C’est une forme d’apprentissage où le savoir est transmis par ceux qui savent à ceux qui ne savent pas.

Ce métier a une composante religieuse. Les personnes choisies doivent avoir des connaissances en ce domaine. Les textes talmudiques comportent de nombreux passages consacrés au bien-être animal. Le principe, vieux de plusieurs siècles, est que la saignée doit être immédiate et ne pas faire souffrir l’animal.

L’apprentissage passe également par la technique en vue de la maîtrise de la méthode du maniement du couteau. Celui-ci doit être parfaitement aiguisé. Sa lame fait l’objet d’une double vérification : de la part du sacrificateur, de la part du vérificateur. Il doit être appliqué sans forcer avec une grande rapidité. Au moment de la saignée, la bête peut ainsi ne rien sentir. Chacun de nous a pu faire l’expérience de se couper avec une lame très fine ou même une feuille de papier sans même s’en rendre compte.

L’apprentissage de la méthode prend plusieurs années avant de pouvoir prétendre pouvoir exercer cette fonction. Il diffère aussi selon les animaux. Pour chaque type – volailles, ovins, bovins –, il y a des sacrificateurs différents. C’est un métier très spécialisé, qui s’est transmis de siècle en siècle, partout où il y a eu une communauté juive. Et dans certains pays où cette transmission ne peut plus avoir lieu, parce qu’il n’y a plus de personnes qui savent, il faut faire venir des spécialistes d’ailleurs.

Enfin, à cet apprentissage religieux et technique, s’ajoute un apprentissage de type réglementaire. Pour que leur carte puisse être renouvelée, les sacrificateurs doivent avoir obtenu un certificat de compétence « Protection animale ». Ils suivent des stages pratiques et sont régulièrement évalués. Si un chokhet vieillit ou qu’il est malade, il peut ne plus être capable de pratiquer la saignée rituelle et se voir interdire de poursuivre son activité, ce qui peut d’ailleurs poser des problèmes en matière de droit du travail.

Il s’agit donc d’une pratique encadrée de façon très consciencieuse et rigoureuse, par des règles qui relèvent tant de la religion que de la technique et de l’hygiène.

J’ai parlé de la vérification des poumons à laquelle procèdent les chokhatim. Cela a une importance en matière non seulement de religion mais aussi de santé publique, car les vétérinaires dont l’attention aura été appelée peuvent à cette occasion découvrir une maladie.

M. Anouar Kbibech. La question de la formation est effectivement fondamentale. Il fut un temps où l’abattage rituel musulman constituait une pratique minoritaire, d’ordre artisanal. Nous commençons à entrer dans une ère industrielle, avec des chaînes d’abattage importantes, où les approximations ne sont plus permises.

Nous menons depuis plusieurs années un travail de mise en place de formations avec des organismes dédiés. Nous avons ainsi monté des sessions pour l’abattage durant les trois jours de l’Aïd el-Kébir afin de former des personnes qui occupent ponctuellement des fonctions de sacrificateur.

La charte halal du CFCM indique clairement que les sacrificateurs qui occupent leurs fonctions à plein-temps doivent être formés en bonne et due forme. Nous nous inscrivons donc dans un mouvement de professionnalisation.

M. Jacques Lamblin. Messieurs, je vous ai écoutés avec la plus extrême attention, comme tous mes collègues, et parfois même avec quelque surprise, je dois le dire.

L’objectif de notre commission, partagé – je pense pouvoir le dire – par l’ensemble de ses membres, n’est évidemment pas de s’attaquer à la liberté du culte et à certaines pratiques religieuses. Nous voulons enquêter sur la situation dans les abattoirs afin de proposer des solutions qui évitent aux animaux des souffrances inutiles.

Nous essayons pour ce faire de trouver un équilibre entre les exigences que vous avez formulées tous deux avec force et les attentes de la société, qui a considérablement évolué depuis quelques dizaines d’années. De plus en plus de personnes se montrent attachées au respect de la sensibilité des animaux. Le Parlement est d’ailleurs venu sanctionner cette évolution puisque la loi reconnaît désormais que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Le grand émoi suscité dans la population par les vidéos de L214 témoigne de ce changement dans les mentalités.

Nous devons essayer de trouver un chemin qui convienne à tout le monde. C’est du moins l’esprit qui m’anime à titre personnel.

Face à la crainte que les animaux souffrent lors de l’abattage rituel, vous partagez la même position : selon vous, ils ne souffrent pas. Le problème, c’est que vous êtes à peu près les seuls à l’affirmer… Lors d’autres auditions, nous avons pu entendre des descriptions décrivant une réalité beaucoup plus rude. Autrement dit, nous nous retrouvons avec des informations totalement contradictoires. Certes, l’abattage conventionnel peut s’accompagner de ratés ; mais cela ne nous exonère nullement de l’obligation de régler l’ensemble des problèmes, y compris pour l’abattage rituel, sans oublier les attentes des communautés juive et musulmane.

J’aurai deux questions.

L’un et l’autre, vous avez montré que le respect du bien-être de l’animal faisait partie des préceptes contenus dans les livres saints de vos religions respectives et de pratiques pluriséculaires. Une première règle consiste à s’assurer de sa tranquillité ; la deuxième consiste à le saigner alors qu’il est conscient. Mais il est permis de penser qu’au moment où il reçoit le coup de couteau fatal, l’animal n’est pas forcément paisible et empli de quiétude. Autrement dit, on a l’impression que la deuxième règle prend le pas sur la première. Pouvez-vous m’expliquer comment ces deux impératifs peuvent être conciliés ?

Deuxièmement, vous êtes l’un et l’autre hostiles à l’étourdissement – et je suis surpris d’apprendre l’existence d’une vague allant dans ce sens au sein de la communauté musulmane ; j’avais le sentiment d’une tendance inverse ou du moins d’une acceptation de différentes options. Saigner l’animal en pleine conscience garantit une saignée complète : le cœur doit fonctionner jusqu’au bout pour que le sang soit évacué du corps de l’animal, puisque vos religions interdisent de consommer le sang. Cela, on peut le comprendre. Mais lorsqu’on pratique un étourdissement dit réversible avant la saignée – autrement dit, on rend l’animal inconscient, mais il peut revenir à la conscience si l’on en reste là –, on peut considérer que l’animal conserve son intégrité physique, ne serait-ce que parce que son cœur continue de battre, garantissant ainsi la saignée totale.

J’en viens à l’étourdissement post cut, soit juste après le coup de couteau. M. Mergui l’a rappelé : quand on se coupe avec un instrument effilé, on ne sent rien – c’est vrai et nous en avons tous fait l’expérience. À ceci près que, quelques secondes plus tard, on ressent la douleur de la coupure. C’est par conséquent très probablement le cas pour les animaux qui reçoivent le coup de couteau : dans les premières secondes, il n’y a pas de signe de douleur mais après, ce n’est plus tout à fait la même chose. L’étourdissement post cut, réalisé juste après que le coup de couteau a été donné dans le respect de votre rituel, contribuerait à garantir que l’animal ne souffre pas, sans pour autant interrompre le fonctionnement du cœur, et donc tout en permettant une évacuation totale du sang.

Je vous avoue donc avoir beaucoup de mal à comprendre que l’une et l’autre religion soient opposées même au post cut qui permettrait, à mes yeux, de concilier tous les points de vue.

M. Joël Mergui. Il me paraissait important, dans le cadre d’une audition de cette qualité, avec la présence de nombreux élus, de rappeler des éléments de contexte. Je ne doute pas que votre intention à tous soit uniquement liée au bien-être animal et n’obéit pas à d’autres considérations – vous êtes conscients de l’instrumentalisation dont ces discussions peuvent faire l’objet, d’où les précautions oratoires que nous prenons tous.

Il m’est difficile de ne pas revenir sur un principe fondamental : quand toutes ces bêtes arrivent dans un abattoir, c’est pour être tuées puis consommées. En effet, quand on parle de bien-être animal…

M. Jacques Lamblin. Je parlais de souffrance animale.

M. Joël Mergui. Certes, mais peut-être la société imagine-t-elle que les bêtes sont endormies, alors que c’est tout de même par une tige perforante dans le crâne que les ovins et les bovins sont étourdis… Si j’ai parlé des loupés, c’est tout de même parce que la question peut se poser : alors que moins de 200 000 bêtes sont saignées chaque année par chekhita, près de 9 millions sont abattues par d’autres méthodes. Quel que soit le pourcentage, le nombre de loupés sera de toute façon supérieur à celui de bêtes abattues rituellement : la transparence exige de régler également ce problème, tout comme ceux liés à la chasse, à la corrida, etc. Et tout cela dans le même temps, et dans le cadre de la même commission, afin d’éviter toute stigmatisation.

Je fonde mon avis sur les analyses d’experts, notamment sur celles, qui remontent à moins de trois ans, du professeur Grandin. Certes, il n’est pas simple de savoir si la bête souffre ou non, d’établir avec précision la différence entre inconscience et insensibilité. Mais je pense avoir répondu techniquement en évoquant le polygone de Willis et montré que, dès lors que la saignée se fait correctement, du fait de la particularité anatomique des bêtes concernées par l’abattage rituel, le cerveau cesse immédiatement d’être irrigué ; or le cerveau étant le centre de la douleur, l’absence soudaine d’irrigation entraîne vraisemblablement l’insensibilité la plus rapide qui soit – et sans doute aussi rapide que si l’on donnait à l’animal un coup de pistolet, qui du reste pourrait provoquer d’autres dégâts en cas de raté…

Ensuite, nos experts religieux, dans l’islam comme dans le judaïsme, se concertent régulièrement sur la question. Il faut savoir qu’en Israël, où vit la plus importante communauté juive dans le monde et où il y a le plus grand abattage casher dans le monde – et où, comme ici, les députés sont régulièrement sollicités sur le sujet –, le foie gras a été interdit du fait qu’on fait souffrir les oies en les gavant. Eh bien, les mêmes députés, suivant les mêmes critères, n’ont pas interdit l’abattage rituel parce que toutes les études montrent que la saignée telle qu’elle est pratiquée selon la chekhita ne fait pas plus souffrir l’animal que dans un cadre conventionnel – indépendamment de tous les loupés dont le nombre s’élève ici, tout de même, à quelque 2 millions, soit autant de bêtes qui souffrent dans le silence général : si la tige, qui s’est enfoncée dans son crâne ne provoque pas l’étourdissement et qu’elle se prend ensuite un coup de couteau, la bête va inévitablement souffrir. Et même dans le cas d’un étourdissement réussi, j’y insiste, des études montrent qu’on ne peut pas connaître quels sont le degré d’inconscience et le degré d’insensibilisation.

Reste que la règle religieuse commande que l’animal soit vivant et conscient au moment de la saignée – et s’il est endormi, même si son cœur continue de battre, il n’est plus conscient. Du coup, elle n’est plus respectée. Or, je le répète quitte à me faire redondant, cette règle religieuse n’est pas contradictoire avec le bien-être animal.

M. Anouar Kbibech. Je souscris à tout ce que vient de dire Joël Mergui. J’ajoute qu’en effet nous ne pouvons que nous réjouir du préalable selon lequel il ne s’agit pas d’attaquer la liberté de culte.

Si certaines études entendent montrer que les bêtes souffrent quand elles sont abattues rituellement, d’autres, dont dispose le CFCM et qui vont dans le même sens que celles sur lesquelles s’appuie le consistoire central, démontrent l’inverse. Nous pouvons vous les communiquer.

Pourquoi ne pas accepter un étourdissement réversible et un étourdissement post-jugulation ? Si la pratique de l’étourdissement réversible, tolérée pendant un certain temps, a été interrompue, c’est surtout pour éviter que la cause réelle ou définitive de la mort ne soit l’étourdissement lui-même et non la saignée. Reste que pendant l’étourdissement, même s’il est réversible, la bête n’est pas consciente et donc ne réagira pas de la même manière que si elle était complètement vivante, si je puis dire.

La recherche d’un équilibre entre le respect du bien-être animal et celui des conditions exigées par l’abattage rituel reste, cela a été mon mot de la fin, un vrai défi. Si des améliorations techniques sont possibles sans qu’il soit procédé à l’étourdissement ni avant ni après la saignée, nous sommes prêts à avancer avec vous, ainsi que le grand rabbin de France et le recteur de la grande mosquée de Paris vous l’ont déclaré la semaine dernière. Il n’en demeure pas moins que nous nous en tiendrons aux principes fondamentaux posés notamment dans le référentiel religieux de la charte halal du CFCM.

M. William Dumas. Monsieur Mergui, vous avez indiqué que la carte d’abatteur était renouvelée tous les six mois. Or le grand rabbin de France nous a informés que la formation d’un sacrificateur casher prenait trois ans. Ce renouvellement m’apparaît du coup bien rapide…

Vos opérateurs sont-ils des salariés des abattoirs ou bien, comme les sacrificateurs musulmans, sont-ils payés à part ?

Opérez-vous dans des abattoirs spécialisés ou dans des abattoirs conventionnels ? Dans la viticulture, par exemple, une partie de la cave coopérative est réservée à la production de vin bio, afin qu’il ne soit pas contaminé par les produits utilisés dans la production conventionnelle.

Monsieur Kbibech, quelle est la redevance par kilogramme pour la viande halal ? M. Mergui nous a parlé de 1,66 euro pour la viande casher.

En ce qui concerne les sacrificateurs, on nous a dit que, dans certains abattoirs, il s’agissait de salariés, ce qui n’est pas le cas d’autres sacrificateurs, toutefois certifiés par les mosquées – sont-ils payés par la redevance ?

Enfin, de plus en plus de viande halal est mise sur le marché. Je constate dans ma région qu’à chaque fois qu’une boucherie se vend, apparaissent des enseignes « halal ». J’imagine que la proportion de musulmans dans la population totale est peu ou prou la même qu’auparavant : est-ce à dire que les musulmans ne mangeaient pas halal auparavant, ou bien y a-t-il un engouement particulier pour la viande halal – je n’irai pas jusqu’à parler d’effet de mode ? Toujours dans ma région, il y a quelques années, lors de la fête de l’Aïd, nous étions obligés d’aménager des lieux d’abattage spécifiques, faute de quoi beaucoup achetaient leur mouton chez l’éleveur et le tuaient dans un coin. Cette pratique s’est notablement réduite, mais je souhaite savoir si vous disposez d’un nombre suffisant de certificateurs agréés, à l’occasion de cette fête, où la consommation augmente dans des proportions énormes.

M. Joël Mergui. La fréquence du renouvellement de la carte d’abatteur, vous avez raison, peut ne pas sembler adaptée. Reste que les opérateurs ont en général un contrat de travail à durée indéterminée. Le renouvellement de la carte est un moyen de contrôler leur capacité à parfaitement maîtriser les techniques. Je souhaite que votre commission prenne bien conscience que la réflexion sur le bien-être animal et sur le geste du chokhet, qui doit être très rapide afin que le sang s’évacue rapidement, a toujours fait partie de la tradition juive. Indépendamment même des débats récents, le souci de faire souffrir le moins possible la bête dans ce geste a toujours existé. Le renouvellement tous les six mois vise donc à vérifier qu’il est toujours aussi sûr.

Reste qu’en tant que président du consistoire central israélite de France, je suis l’employeur et donc le responsable de la très grande majorité des chokhatim et il me revient donc de vérifier la compatibilité entre la carte de chekhita et le droit du travail. Ceux qui opèrent à Paris sont pour la plupart des salariés du consistoire de Paris ; les autres peuvent être soit salariés directement de l’institution consistoriale de Paris, de Lyon, de Marseille ou de Strasbourg, soit salariés de l’opérateur – je pense aux grands fournisseurs – mais en aucun cas ils ne sont les salariés de l’abattoir où ils opèrent. C’est ce qui fait, et nous tâchons de l’expliquer à la communauté juive, que cela représente pour nous une charge financière importante, qu’il s’agisse des charges salariales, du remboursement des déplacements : les chokhatim vont parfois très loin. Le consistoire de Nice, par exemple, a dû interrompre la chekhita parce que la faible consommation de viande casher ne lui permettait plus d’assumer la charge financière de sa production. Le consistoire de Paris ayant une plus grande assise, il parvient pour sa part à assurer cette charge financière, la reportant sur le consommateur casher. Je rappelle au passage que toutes les bêtes qui ne sont pas certifiées casher se retrouvent dans le circuit général, ce qui ne représente aucune charge financière pour l’abattoir ni pour le consommateur.

La quasi-totalité de notre production est traitée dans des abattoirs généraux qui réservent à la chekhita certains jours et certains horaires ; nous avons un seul abattoir spécifique, pour les volailles casher.

M. Anouar Kbibech. Pour le halal, nous nous finançons grâce aux ressources liées à la certification du sacrificateur par l’une des trois grandes mosquées agréées : mais à raison de 100 à 150 euros par an et par carte, cela ne va pas chercher très loin. De leur côté, les organismes du contrôle du halal (OCH) passent des accords privés avec les abattoirs : le pourcentage prélevé varie de 80 centimes à 1,20 euro par kilogramme.

Au-delà, vous avez certainement entendu parler de la volonté du CFCM de mettre en place une sorte de redevance du halal pour financer le culte musulman ; cette proposition a été reprise par certains hommes – voire par certaines femmes – politiques, étant entendu que le chiffre d’affaires global généré par l’ensemble du halal en France est de 5 à 6 milliards d’euros. Cette taxe ou redevance prendrait la forme d’un certain pourcentage qui viendrait s’ajouterait au prix au kilogramme, à l’image de ce qui se fait avec les produits que l’on trouve dans les rayons consacrés à l’« économie éthique » dans les grandes surfaces : moyennant un surcoût de 10 à 15 centimes, le consommateur a la garantie que les produits en question ne sont pas fabriqués par des petits Chinois ou par des mineurs employés dans des conditions un peu particulières. Un prélèvement de 5 à 10 centimes par kilogramme nous permettrait de lever des fonds conséquents pour financer les œuvres de l’islam. Mais pour le moment, un tel système paraît encore un peu compliqué. En attendant, nous semblons plutôt nous orienter vers un système de contribution forfaitaire annuelle des acteurs du halal, notamment des trois grandes mosquées, qui serait collectée par une fondation ou un organisme spécialisé, ce qui éviterait d’avoir à éplucher les chiffres d’affaires des uns et des autres. L’idée commence à faire son chemin.

Vous m’avez ensuite interrogé sur la rémunération des sacrificateurs. Il faut bien les distinguer des contrôleurs dont il est hors de question – et c’est écrit noir sur blanc dans la charte du CFCM – qu’ils soient salariés par les abattoirs : ils ne sauraient être juge et partie, ils doivent conserver une certaine indépendance d’action et de jugement. Les sacrificateurs, en revanche, dans la mesure où ils participent à la chaîne d’abattage, peuvent être salariés de l’abattoir ; cela ne pose aucun problème dès lors qu’ils répondent aux conditions requises : être musulman, avoir été formé et être certifié par une des trois grandes mosquées agréées. Mais rien n’interdit qu’ils soient salariés par un OCH plutôt que par l’abattoir. Dans l’un ou l’autre cas, cela ne pose aucun problème déontologique. Les contrôleurs en revanche doivent conserver leur indépendance.

Vous constatez par ailleurs, monsieur le député William Dumas, qu’il y a de plus en plus de boucheries halal. Nous vivons dans un pays libéral où prévaut la règle de l’offre et de la demande. Or on observe un accroissement constant de la demande d’un halal certifié, rigoureux ; cela participe d’un regain de religiosité qui n’est du reste pas propre au seul culte musulman. Qui plus est, le consommateur musulman est sans doute de plus en plus averti : il existe désormais deux ou trois associations de défense des consommateurs musulmans, qui participent aux travaux du CFCM sur la charte halal. Elles ont par conséquent contribué à sensibiliser les fidèles et les consommateurs musulmans de plus en plus regardants quant à la traçabilité du halal.

J’en viens à votre dernière question sur l’abattage pendant les trois jours de l’Aïd. On constate alors, en effet, une très forte demande à laquelle nous faisons face en mettant en place des procédures de certification spécifiques. Un certain nombre d’imams, pourvus de la formation religieuse requise, suivent une formation préalable pour se mettre au niveau des exigences d’un sacrificateur et ils sont certifiés ponctuellement, pour les trois jours de l’Aïd, par une des trois grandes mosquées agréées. Sans cette certification, ils n’ont pas le droit d’exercer dans un abattoir. Il faut à cet égard saluer l’évolution opérée grâce, notamment, au travail de pédagogie du CFCM pour inciter les musulmans de France à étaler l’abattage de l’Aïd sur les trois jours et à ne plus le réserver au seul premier jour, afin de disposer d’une capacité d’abattage suffisante. Enfin, les conditions d’hygiène et de sécurité étant désormais assurées, les musulmans n’ont plus recours qu’à des abattoirs agréés – le mythe de l’abattage dans les baignoires est heureusement derrière nous.

M. Joël Mergui. La redevance de 1,66 euro dont j’ai parlé ne concerne que les opérateurs qui sont sous la responsabilité du consistoire de Paris. D’autres opérateurs en province, et même à Paris, financent eux-mêmes leurs chokhatim – mais pas les surveillants généraux. La redevance du consistoire central, bien connue, permet de financer le circuit, mais également de compenser, par solidarité, l’insuffisance de financements qui peuvent se produire ailleurs, et d’assurer le fonctionnement d’autres rabbinats ; mais ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. La redevance n’est donc pas la même dans toutes les régions et ne couvre pas toujours les frais de la chekhita.

Mme Annick Le Loch. Un gros abatteur nous a déclaré il y a quelques jours, qu’il faudrait mettre de l’ordre dans l’abattage rituel. Partagez-vous ce point de vue, notamment en ce qui concerne la formation ? Il nous a par ailleurs indiqué qu’il expérimentait, à Castres, un outil en provenance de Nouvelle-Zélande et qui serait adapté à l’abattage rituel. Avez--vous connaissance de cet outil, que je n’ai pas vu, qui permettrait sans doute d’aller plus vite ?

Vous avez éveillé ma curiosité, monsieur Mergui, quand vous avez précisé que la moitié arrière de la bête sacrifiée n’était pas consommée à cause du nerf sciatique, et était de ce fait remise dans le circuit classique. Pouvez-vous nous donner une explication ?

Enfin, monsieur Kbibech, vous avez évoqué l’important travail que vous menez pour élaborer une charte, dans la mesure où il semble qu’il y ait une multiplication désordonnée de certificats halal – on compterait six ou sept certificateurs dans le pays et sans doute beaucoup à l’étranger car il faut tenir compte des produits importés. Avez-vous une idée, d’ailleurs, de la part de ces produits importés ? Un travail est-il mené au niveau européen pour qu’un jour soit édictée une norme européenne ?

M. Joël Mergui. Mettre de l’ordre dans l’abattage rituel ? Il serait plus juste de dire, après la diffusion de ces vidéos qui ont entraîné la création de cette commission, que c’est dans l’abattage en général qu’il faudrait mettre de l’ordre ! Je n’exclus donc pas de cette exigence l’abattage rituel. Nous avons, M. Kbibech et moi-même, une mission de responsabilité – comme vous – et, au fur et à mesure de nos réflexions, nous nous rendons compte qu’il y a toujours matière à perfectionner un système. Je reste donc à l’écoute de toutes les suggestions dès lors qu’elles restent compatibles avec la règle religieuse et qu’elles ne nous empêchent pas de répondre aux besoins de consommation de nos communautés, tout en respectant, bien sûr, les règles de notre pays. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons été immédiatement favorables aux modifications réglementaires imposant la délivrance d’un certificat d’hygiène, d’un certificat d’aptitude, et tous nos opérateurs, nos chokhatim s’y sont conformés.

Je reviens tout de même sur un point : notre pays s’honorerait de décider que l’abattage rituel n’est plus une dérogation. Peut-être vous aurai-je convaincus… Peut-être, au fur et à mesure de la lecture des textes, finira-t-on par admettre qu’il s’agit d’un mode d’abattage acceptable. Il est difficile d’avoir l’impression, après des siècles d’organisation de la communauté juive, que, pour pouvoir pratiquer notre culte, il faille bénéficier d’une mesure dérogatoire. Et si la France décidait, après réflexion et quitte à imposer davantage de règles encore pour la chekhita, qu’il y a plusieurs possibilités d’abattre dont la saignée rituelle, encadrée de telle ou telle façon ? Peut-être un jour serai-je entendu ; ce serait une bonne chose alors que nous voulons donner l’exemple à l’Europe de ce qu’est le vivre-ensemble et de permettre l’exercice de la liberté de conscience sans entraver le bien-être animal ni choquer le reste de la société, qui sait bien les efforts qui sont faits pour le respecter. De la même façon que nous étions, sur la question de l’écologie, tous d’accord pour défendre une certaine vision du monde, nous sommes tous ici des défenseurs du bien-être animal.

Pour ce qui est de votre question concernant le nerf sciatique, il s’agit d’un problème religieux sur lequel je ne m’étendrai pas, n’étant pas rabbin moi-même. Les juifs ont interdiction de consommer le nerf sciatique qui se trouve dans la partie postérieure de la bête. Dans certains pays, comme en Israël, où la production est très importante, des experts savent décortiquer la partie arrière de l’animal pour extirper le nerf sciatique et la rendre propre à la consommation. Cette question revient souvent pour nous et pas seulement de votre fait, dans la mesure où nous-mêmes sommes lésés : nous envoyons un chokhet, nous le finançons et nous ne pouvons prendre que la moitié de la bête… Si nous pouvions utiliser la totalité, ce serait tant mieux pour notre communauté. Malheureusement, c’est une opération complexe et les spécialistes qui savent le faire sont très peu nombreux. Nous en avons encore discuté entre nous il y a quelques années et peut-être y viendrons-nous pour des raisons économiques.

M. Anouar Kbibech. Revenant à la première question de Mme Le Loch sur l’ordre qu’il faudrait remettre dans l’abattage rituel, je rejoins ce que vient d’affirmer Joël Mergui en ajoutant que le consommateur musulman est inquiet lorsqu’il va acheter un produit réputé halal : est-il vraiment certifié, l’animal a-t-il été abattu avec la rigueur nécessaire ? Or, en la matière, des progrès restent en effet à faire – c’est tout l’objet de la charte halal avec les engagements des contrôleurs, des organismes, des mosquées qui agréent les sacrificateurs, des abattoirs qui doivent être nos partenaires dans le renforcement de la rigueur des pratiques et de l’amélioration de la traçabilité.

Je n’ai pas connaissance de l’expérience menée à Castres, à laquelle Mme Le Loch a fait allusion. Je sais que l’on expérimente par ailleurs des procédés qui permettraient de concilier l’abattage rituel et le bien-être animal. Toutes les expérimentations méritent d’être observées de près.

Vous avez ensuite évoqué, madame la députée, la multiplication des certifications halal : là aussi, il convient de faire la part des choses entre l’agrément des sacrificateurs, qui reste l’exclusivité des trois grandes mosquées de Paris, Lyon et Évry, et les organismes de contrôle du halal qui opèrent sur un marché libre. Plusieurs organismes se sont créés ces dernières années, qui d’ailleurs participent aux discussions organisées par le CFCM ; il n’y en a pas tant que cela… Mais, à la limite, tant mieux que les initiatives se multiplient dès lors qu’elles permettront un contrôle encore plus rigoureux du halal !

Pour ce qui est de la part de halal provenant de l’étranger, je n’ai pas le chiffre exact, mais elle est en augmentation. Nous importons en effet de plus en plus de viande halal depuis la Belgique, la Pologne, l’Irlande voire la Nouvelle-Zélande. C’est le défi que j’ai mentionné tout à l’heure : les industriels français doivent pouvoir adapter leurs procédés d’abattage pour pouvoir faire face à cette concurrence internationale.

Il y a bien eu une tentative de normalisation au plan européen. Le comité européen de normalisation (CEN) et l’association française de normalisation (AFNOR) s’étaient saisis de cette question, mais j’ai l’impression que, depuis trois ou quatre mois, la démarche a été abandonnée. Reste qu’entre le CFCM et les organismes similaires dans les autres pays, une collaboration et une coordination sont en train de se mettre en place : nous sommes en particulier en contact avec nos homologues de Belgique, d’Allemagne et du Royaume-Uni pour essayer d’avancer sur la question de l’abattage rituel musulman au niveau européen. Cette préoccupation du respect des règles de l’abattage rituel musulman est très forte en Belgique et au Royaume-Uni. Nos collègues belges sont très demandeurs de la charte halal du CFCM, que nous sommes en train, d’ailleurs, de leur transmettre.

M. Joël Mergui. Vous avez, madame Le Floch, évoqué un outil dont je n’ai pas connaissance.

En ce qui concerne l’Europe, le problème s’est posé au moment où j’ai pris mes fonctions ; cela m’a du reste permis de mieux connaître mes collègues des différentes communautés juives d’Europe puisque nous nous sommes très souvent rencontrés sur cette question comme sur d’autres – la circoncision, par exemple – qui sont devenus autant de sujets européens. Il y a donc bien une concertation entre les différentes communautés juives d’Europe, mais il n’y a pas pour autant de certification unique, seulement des critères communs que nous nous efforçons d’harmoniser au maximum.

M. Jacques Lamblin. Votre souhait, monsieur le président Mergui, que l’abattage rituel ne soit plus une dérogation mais fasse partie du droit commun, est tout à fait possible moyennant certains aménagements dont j’ai donné une sommaire description…

J’indique que l’appareil évoqué par Mme Le Loch est un appareil d’électronarcose pour bovins et qui, donc, est censé provoquer un étourdissement réversible avant le sacrifice de l’animal.

Je souhaite vous poser une question concernant le tonnage casher. Selon vous, une bonne partie des animaux, ne serait-ce qu’à cause du fait qu’on n’en extirpait pas le nerf sciatique, n’était pas reconnue casher après l’abattage et repassait dans le circuit conventionnel. Quand vous parlez de tonnage annuel de viande casher, prenez-vous en compte la viande qui, au terme du processus, est classée casher ou bien l’ensemble des carcasses ?

Je tiens au passage, avant d’entendre la réponse de M. Mergui, à indiquer à M. Kbibech que si nos importations de viande halal augmentent, nos exportations vers les pays du Moyen Orient ou d’Afrique du Nord sont importantes.

M. Joël Mergui. Je suis heureux d’entendre votre position sur la possibilité de sortir de la dérogation, mais elle ne peut se faire au prix d’un renoncement.

M. Jacques Lamblin. Tout dépend de ce qu’on entend par renoncement…

M. Joël Mergui. Nous nous sommes suffisamment expliqués sur le sujet, il me semble. Ma proposition est très sérieuse et je l’ai déjà évoquée devant plusieurs ministres. Il est vrai que quand on lit les textes et qu’on voit « dérogation pour l’abattage rituel », on ressent un certain malaise. Après toutes ces années de réflexion, s’il était prouvé que les musulmans ou les juifs ne respectaient pas les règles d’hygiène, s’ils n’avaient pas conscience du risque de la souffrance animale, je comprendrais. Mais dès lors qu’il y a une conscience, une volonté, dès lors qu’on peut s’appuyer sur des études, la saignée rituelle – ou la saignée au couteau, si l’on veut employer une expression plus laïque – des carotides et des jugulaires en quelques secondes, pourrait être considérée comme un mode d’abattage comme les autres.

Pour ce qui est du tonnage, quand j’ai avancé le chiffre de 180 000 bovins et ovins, je parlais bien des animaux abattus : la partie casher ne représente au maximum que 30 % ou 40 % du tonnage total, car il faut exclure les bêtes non reconnues casher en raison de la présence d’adhérences pulmonaires et les parties arrière. Mais même en raisonnant en nombre de bêtes, le pourcentage est infime.

Un mot sur l’importation et de l’exportation de viande casher. Dans la mesure où les chokhatim qui opèrent en France sont titulaires de cartes délivrées par nos organismes et de certificats d’aptitude signés par l’Institut de l’élevage, sous le contrôle du ministère de l’agriculture, il serait bon que les viandes importées répondent au même cahier des charges. Pour commencer, cela nous aiderait à ne pas brouiller le message délivré à nos consommateurs. Ensuite, il ne paraît pas logique de nous imposer un cahier des charges aussi lourd, et que nous acceptons, et de nous retrouver dans le circuit français avec des viandes provenant de bêtes abattues sans avoir respecté les mêmes critères ; ce qui signifie que tout le travail réalisé ici ne servirait à rien : on ne pourrait contrôler qu’une partie du marché et on ferait n’importe quoi ailleurs, sans souci du bien-être animal, sans compétences, etc. Je ne veux pas dire par là qu’on ne respecte rien en Europe, mais dès lors que le marché est ouvert, il est préférable d’imposer à ceux qui importent de la viande casher en France les mêmes critères que ceux que ceux que nous sommes tenus de respecter.

M. Jacques Lamblin. Cela vaut dans de nombreux domaines.

M. Joël Mergui. En effet, et je dépasse ici un peu ma compétence. Mais c’est vous dire mon intérêt sur le sujet, et mon souci de coopération.

M. Anouar Kbibech. On constate que de plus en plus de viande halal ou supposée telle est importée, de pays européens notamment. Vous avez par ailleurs signalé que la France travaille également beaucoup à l’exportation. C’est précisément pour maintenir notre capacité d’exportation, voire la développer que nous invitons les industriels à anticiper cette question de l’étourdissement. Pas plus tard qu’il y a trois jours, une fatwa du conseil supérieur des Oulémas marocains a réitéré son rejet de tout étourdissement préalable ou post-jugulation. L’industrie française doit donc anticiper la tendance pour maintenir, voire accroître ses parts de marché à l’exportation.

M. le président Olivier Falorni. Monsieur le président du consistoire, monsieur le président du CFCM, je vous remercie de cette audition très riche et qui nous a permis d’obtenir de nombreux éléments d’information sur la question qui nous préoccupait ce matin et qui s’inscrit, vous l’avez compris, dans une réflexion beaucoup plus large sur l’abattage en France.

La séance est levée à onze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du jeudi 23 juin 2016 à 9 heures

Présents. - M. Jean-Luc Bleunven, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, M. Jacques Lamblin, Mme Annick Le Loch, M. Hervé Pellois, M. François Pupponi

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Thierry Lazaro, M. Arnaud Viala