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Commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Mercredi 29 juin 2016

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 36

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Schaumasse, chef du Bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur

La séance est ouverte à dix-huit heures cinquante.

M. le président Olivier Falorni. Monsieur Schaumasse, je vous remercie très chaleureusement d’avoir répondu à notre invitation. Vous avez la très grande qualité d’être professeur d’histoire et de géographie – comme moi ; vous êtes également agrégé de géographie et diplômé de l’École nationale d’administration – moi pas, hélas ! Vous êtes aujourd’hui chef du Bureau central des cultes depuis le 17 février 2016.

Le Bureau central des cultes a été créé par un décret du 17 août 1911, pour succéder à la Direction générale des cultes. Au sein de la sous-direction des libertés publiques du ministère de l’intérieur, le Bureau que vous dirigez est chargé des relations de l’État avec les autorités représentatives des religions présentes en France et de l’application de la loi de 1905 en matière de police des cultes.

Parmi les attributions actuelles du Bureau central des cultes figure notamment l’agrément des organismes habilités à désigner les sacrificateurs rituels pour les communautés israélite et musulmane. Le sujet de notre commission d’enquête étant la maltraitance animale en abattoir – il n’est pas question d’aborder un champ autre que celui-là –, nous avons souhaité vous inviter pour débattre de l’abattage sans étourdissement lié aux rites israélite et musulman.

Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle que nos auditions sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vous demande de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Arnaud Schaumasse prête serment.)

M. Arnaud Schaumasse, chef du Bureau central des cultes au ministère de l’intérieur. Je vous remercie d’avoir associé le Bureau central des cultes aux travaux de votre commission d’enquête.

Comme votre rapporteur l’a souligné dès le début de vos travaux, il est essentiel que nous puissions aborder la question très spécifique du bien-être animal lors d’un abattage selon un rite religieux, qu’il soit juif ou musulman, sans stigmatisation aucune.

J’ai noté, au cours des auditions que vous avez menées, que les responsables des cultes concernés ont unanimement rappelé l’attention qu’ils portent, dans leur rituel, à la prise en compte de la question de la souffrance animale. Gardons-nous de toute stigmatisation, de tout raccourci, et n’oublions pas que, dans l’histoire, ce type de raccourci a souvent été nourri de sentiments de haine contre des communautés cultuelles.

Les vidéos qui sont à l’origine de vos travaux illustrent que le principal problème est le non-respect des procédures réglementaires établies et non que l’abattage se fait ou non selon un rite religieux.

Je vous propose de présenter de manière précise la procédure de l’agrément des organismes habilités à désigner les sacrificateurs, qui constitue la seule intervention du ministère de l’intérieur en la matière, avec ponctuellement l’organisation d’abattoirs temporaires à l’occasion de la fête musulmane de l’Aïd al-Adha, encadrée par les services déconcentrés des préfectures. Je resituerai cette procédure dans son cadre juridique, national et européen, puisque c’est dans le cadre du droit communautaire que s’exerce aujourd’hui cette dérogation.

L’abattage selon un rite religieux des animaux de boucherie est organisé afin de garantir le libre exercice des pratiques religieuses dans le respect des dispositions réglementaires relatives à l’hygiène alimentaire, à la protection de l’environnement et à la protection animale. Depuis le décret du 16 avril 1964, qui est la première inscription dans notre droit positif de l’étourdissement préalable des animaux avant leur saignée et de la dérogation, il constitue une dérogation aux pratiques normalisées de l’abattage. Ainsi, bien que la pratique de l’abattage rituel juif, la chekhita, existe depuis plusieurs siècles en France, l’expression d’abattage rituel, c’est-à-dire selon un rite religieux – qui me semble une expression préférable –, fait avec ce texte de 1964 sa première entrée dans notre système juridique.

Dix ans plus tard, le principe apparaît en droit communautaire, avec la directive du 18 novembre 1974 relative à l’étourdissement des animaux avant leur abattage, les États membres ayant la possibilité d’y déroger uniquement pour un motif religieux. Par la suite, d’autres textes ont été pris, aussi bien en droit interne qu’européen, pour renforcer, conforter, améliorer la prise en compte du bien-être animal et encadrer les pratiques dérogatoires. Ainsi, la directive du 22 décembre 1993 constitue à la fois la première reconnaissance juridique de la compétence d’organismes religieux agréés, même si elle continue de placer leur travail sous le contrôle d’un vétérinaire officiel, et l’articulation avec des acteurs reconnus comme représentatifs d’un culte.

L’Union européenne a donc introduit dans sa réglementation la notion d’abattage rituel afin de limiter à ce seul cas l’application d’une dérogation à l’étourdissement. Il s’agit d’un statut d’exception défini par référence à l’abattage ordinaire. Aujourd’hui, l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime et le règlement 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 prévoient la possibilité de cette dérogation lorsque l’étourdissement n’est pas compatible avec les prescriptions rituelles qui font explicitement partie du libre exercice du culte.

Pour autant, le sujet reste controversé, en tout cas au sein de la religion musulmane où existent des divergences d’appréciation sur les techniques qui peuvent ou doivent être mises en œuvre. Il n’appartient pas à l’État de se substituer aux responsables des cultes pour définir les rites, ni de trancher des débats purement religieux sur l’orthopraxie d’une pratique. Il ne m’appartient pas plus d’entrer dans le débat sur la gradation de la souffrance animale entre les méthodes traditionnelles et modernes d’abattage. Je situe mon propos exclusivement dans le champ du droit.

L’État a décidé d’adopter une disposition spécifique afin de garantir la liberté religieuse en la conciliant avec les normes sanitaires et vétérinaires. Pour écarter tout risque d’abus, l’encadrement de cette dérogation a été renforcé par le décret du 29 décembre 2011 pris à l’issue de discussions avec l’ensemble des parties concernées : représentants des cultes, des associations de protection des animaux et fédérations d’abatteurs. Depuis son entrée en vigueur, ce décret soumet cette dérogation à un régime d’autorisation préalable. Aujourd’hui, les abattoirs qui peuvent pratiquer l’abattage selon un rite religieux doivent être préalablement autorisés par les préfectures.

Parallèlement, le règlement de 2009 a renforcé les exigences en matière de protection des animaux à l’abattoir, avec l’accroissement de la responsabilité des exploitants et l’obligation de formation en matière de bien-être animal pour tous les opérateurs.

La mise en œuvre de la dérogation repose sur un double régime d’autorisation préalable au titre duquel quatre conditions très strictes doivent être observées : l’abattage selon un rite religieux doit être effectué par des sacrificateurs habilités ; il ne peut être mis en œuvre que dans un abattoir préalablement autorisé ; les sacrificateurs, comme tous les opérateurs travaillant au contact des animaux vivants, doivent être titulaires d’un certificat de compétence protection animale (CCPA) ; lors de l’opération d’abattage, les animaux doivent être correctement immobilisés par des matériels de contention spécifiques et précisément définis.

L’habilitation des sacrificateurs est régie par l’article R. 214-75 du code rural : « l’abattage rituel ne peut être effectué que par des sacrificateurs habilités par les organismes religieux agréés, sur proposition du ministre de l’intérieur, par le ministre chargé de l’agriculture ». Cet encadrement est le plus ancien ; il a été mis en place par le décret du 23 septembre 1970 qui procédait du constat qu’en l’absence d’encadrement, de nombreux abattages selon un rite religieux étaient opérés par des intervenants qui n’avaient pas toujours les qualifications requises. À l’époque, la question ne se posait quasiment exclusivement que pour l’abattage de rite religieux juif. Le texte précisait que si aucune organisation n’avait été enregistrée, le préfet du département pouvait accorder des autorisations individuelles. De fait, pendant une décennie, aucun organisme n’ayant été désigné, les préfets ont été amenés à donner à plusieurs centaines de personnes l’autorisation d’opérer. Elles étaient, le plus souvent, identifiées parmi les opérateurs des abattoirs pour répondre à une forme d’urgence sociale.

En 1981, un décret concernant le culte juif institue l’exclusivité de la nomination des sacrificateurs rituels juifs, les chokhatim, à la commission rabbinique intercommunautaire de l’abattage rituel. Cette commission étant liée au Consistoire, le monopole de ce dernier s’en est trouvé traduit en droit, sachant qu’il existait en fait depuis longtemps comme la conséquence naturelle de la création du Consistoire par Napoléon. Avant 1808, chaque communauté juive vivait de façon autonome et organisait localement sa cacherout ; la création du Consistoire a eu pour conséquence pratique de mettre en place progressivement une centralisation qui a été avalisée par le décret de 1981. Le Consistoire avait d’ailleurs créé, dès 1950, une commission de la cacherout à laquelle on doit la formalisation des principes de l’abattage rituélique appliqués à la Villette, avec la définition des fonctions précises des chokhatim et des contrôleurs, et celle des opérations de cachérisation des viandes en boucherie.

Une décennie plus tard, en 1994, volontairement sur le même modèle, le ministère de l’intérieur a accordé un monopole de la délivrance des cartes de sacrificateur à la grande mosquée de Paris, dans l’idée de canaliser, sécuriser et moraliser les pratiques totalement éclatées et peu contrôlées. Deux ans plus tard, pour des raisons d’équilibre entre les traditions culturelles de l’islam de France, le Gouvernement a décidé de transformer ce monopole en oligopole en étendant la faculté de délivrer des cartes de sacrificateur à la grande mosquée d’Évry-Courcouronnes, qui représentait la tradition culturelle marocaine, et à la grande mosquée de Lyon qui représentait une autre tendance de la tradition algérienne. C’est donc l’État qui a pris un rôle actif dans la normalisation de la pratique de l’abattage rituel musulman, car, à la différence du judaïsme, il n’y a pas, dans l’islam, de sacrificateur au sens d’une personne dotée d’un statut et d’une fonction religieuse clairement définis – lors de la fête de l’Aïd, le mouton est traditionnellement abattu par le père de famille qui n’a ni formation ni statut religieux particuliers. Avec cette normalisation, l’État a clairement montré sa volonté de mettre en place des circuits rituels clairs, précis et répondant à la sécurité sanitaire et au bien-être animal. À partir de ce moment ont été interdites toutes les pratiques d’abattage non encadrées, familiales ou complètement sauvages, lors de la fête de l’Aïd.

Quatre organismes religieux sont aujourd’hui agréés en France : la commission rabbinique intercommunautaire de l’abattage rituel, par l’arrêté du 1er juillet 1982 ; la grande mosquée de Paris, par l’arrêté du 15 décembre 1994 ; la grande mosquée de Lyon et la grande mosquée d’Évry-Courcouronnes, par les arrêtés du 27 juin 1996. Il appartient à chacune de ces structures d’accréditer, au plan régional ou local, des structures certificatrices garantissant que les opérations ont été réalisées selon les règles ritualisées. Cela ne regarde plus le ministère de l’intérieur ni celui de l’agriculture.

Que l’État donne un agrément à des structures désignées pour une opération religieuse doit être apprécié à travers les motivations des arrêtés pris en 1994 et 1996 pour justifier du choix des trois grandes mosquées : l’intérêt public d’organiser l’abattage rituel islamique dans des conditions garantissant l’ordre et la santé publics ; le rayonnement spirituel et culturel de ces structures ; leur représentativité dans la communauté musulmane de France et leur capacité à encadrer le marché de la viande rituellement abattue – il en ressort parfaitement qu’il s’agit de motifs d’ordre public, de sécurité sanitaire et, de façon conséquente, de bien-être animal.

Deuxième condition à la dérogation, l’abattage selon un rite religieux ne peut être mis en œuvre que dans un abattoir agréé, expressément autorisé à déroger à l’obligation d’étourdissement. L’autorisation est délivrée par le préfet, sous réserve de satisfaire quatre critères cumulatifs : matériel adapté ; personnel dûment formé ; procédures garantissant des cadences – qui sont plus lentes – et un niveau d’hygiène adaptés à cette technique d’abattage ; système d’enregistrement permettant de vérifier que l’usage de la dérogation répond à des commandes commerciales. L’autorisation peut être suspendue, voire retirée, aux établissements qui ne répondraient pas ou plus à ces critères 

S’agissant des sacrificateurs, ils doivent, au même titre que tous les opérateurs d’abattoir, être titulaires d’un certificat de compétence « protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort ». Ce certificat est délivré à l’issue d’une session de formation dispensée par un organisme habilité par le ministère de l’agriculture, et après réussite à un test d’évaluation harmonisé sur le territoire national. Deux arrêtés portant publication de la liste des organismes de formation ont été pris en septembre 2012 et septembre 2013. Parmi les treize dont vous a parlé le ministre de l’agriculture, sept ont une habilitation spécifique pour dispenser une formation à l’abattage sans étourdissement préalable – il y en a en région parisienne, en Bretagne, en région Rhône-Alpes. Ces formations conjuguent dans leur habilitation la protection animale et les opérations de manipulation, de soins et de mise à mort sans étourdissement. Autrement dit, un sacrificateur est avant tout un opérateur d’abattoir qui a suivi une formation religieuse pour pratiquer selon le rite, la partie la plus complexe étant l’apprentissage du geste particulier fait avec un couteau qui a également été normalisé dans les textes quant à sa taille et son affûtage. Cette formation doit être prise en compte.

Enfin, les animaux doivent être immobilisés avant leur saignée par des matériels de contention conformes et précisément définis : bovins, ovins et caprins doivent être immobilisés par un procédé mécanique, en respectant l’ensemble des mesures en matière de bien-être animal prévues par les réglementations.

Ce sont les directions départementales de la protection des populations (DDPP) ou les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) qui contrôlent le bon déroulement de ces abattages, comme de toutes les procédures d’abattage. Elles vérifient également l’habilitation des sacrificateurs et la conformité de leur matériel, y compris le type de couteau utilisé – la taille et l’affûtage comptent pour beaucoup dans la question de la souffrance animale.

Ce dispositif est conforme au droit de l’Union européenne et pleinement respectueux du principe de laïcité.

Le paragraphe 1 de l’article 4 du règlement du Conseil du 24 septembre 2009 prévoit une obligation d’étourdissement dans une optique d’épargner toute douleur, détresse ou souffrance évitable aux animaux, notamment lors de leur mise à mort. Par dérogation, le paragraphe 4 de cette même disposition prévoit, à l’identique du droit français, que « pour les animaux faisant l’objet de méthodes particulières d’abattage prescrites par des rites religieux, les prescriptions visées au paragraphe 1 ne sont pas d’application pour autant que l’abattage ait lieu dans un abattoir ». L’adéquation entre le droit national et le règlement européen est à cet égard parfaite. L’article 7 du règlement prévoit la notion de certificat de compétence et l’article 21 le contrôle d’une autorité compétente désignée à cet effet.

Au sujet de la conformité aux principes constitutionnels et conventionnels de laïcité et de libre exercice des cultes, le considérant 18 du règlement du 24 septembre 2009 prévoit que celui-ci « respecte la liberté de religion et le droit de manifester sa religion ou ses convictions par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites, tel que le prévoit l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». De fait, le régime de dérogation a été voulu dès l’origine comme étant de nature à permettre le libre exercice du culte, dont participe l’abattage selon un rite religieux, dans le respect de l’ordre public – il s’agit de la jurisprudence du Conseil d’État du 2 mai 1973, Association cultuelle des israélites nord-africains.

De même, dans la décision Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA) du 5 juillet 2013, le Conseil d’État a jugé que la dérogation à l’étourdissement pour la pratique de l’abattage selon un rite religieux avait été édictée « dans le but de concilier les objectifs de police sanitaire et l’égal respect des croyances et traditions religieuses ». Il a considéré que si le principe de laïcité imposait « l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et le respect de toutes les croyances, ce même principe impose que la République garantisse le libre exercice des cultes ; que, par suite, la possibilité de déroger à l’obligation d’étourdissement pour la pratique de l’abattage rituel ne porte pas atteinte au principe de laïcité ».

Enfin, dans l’arrêt Cha’are Shalom Ve Tsedek contre France du 27 juin 2000, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a relevé que la dérogation au principe d’étourdissement préalable, critiquée par l’association requérante, constituait un « engagement positif de l’État visant à assurer le respect effectif de la liberté d’exercice des cultes » et « à assurer le respect effectif de la liberté de religion », protégée en tant que telle par l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. De cet arrêt, il ressort qu’il y aurait « ingérence dans la liberté de manifester sa religion [...] si l’interdiction de pratiquer légalement cet abattage conduisait à l’impossibilité pour les croyants [...] de manger de la viande provenant d’animaux abattus selon les prescriptions religieuses qui leur paraissent applicables en la matière ». Notre droit positif est donc pleinement respectueux des grands principes de notre République, du droit de l’Union européenne, et s’articule parfaitement avec le code rural.

Si l’administration centrale du ministère de l’intérieur n’est pas engagée dans les contrôles réalisés dans les abattoirs autorisés à pratiquer l’abattage sans étourdissement pour raison cultuelle, l’administration déconcentrée l’est, en revanche, directement dans la gestion de l’encadrement de l’abattage temporaire à l’occasion de la fête de l’Aïd el-Kébir. Il s’agit, dans ce cas encore, de concilier le profond attachement des musulmans à l’accomplissement de ce rite avec les dispositions législatives et réglementaires en matière de santé publique, de protection animale et de respect de l’environnement.

Le code rural impose que l’abattage selon un rite religieux, y compris dans ce cadre temporaire des trois jours de fête, s’effectue en abattoir. Il prohibe la mise à disposition de locaux, terrains, installations, matériels ou équipements qui permettraient l’abattage en dehors d’abattoirs ou d’abattoirs temporaires aménagés et encadrés à cet effet, même pour une aussi courte période. En l’absence d’abattoir proche pouvant répondre à une demande ponctuelle importante, et après une analyse précise des besoins locaux, l’aménagement d’installations temporaires pour ovins agréées pour la durée de cette fête peut être envisagé dans le dialogue avec les préfectures, en répondant à l’ensemble des règles en vigueur. La pratique dérogatoire de l’abattage sans étourdissement des ovins nécessite donc la délivrance aux abattoirs temporaires de la même autorisation et fait l’objet du même encadrement réglementaire spécifique. Il en est de même pour les abattoirs pérennes agréés pour l’abattage sans étourdissement pour la seule durée de la fête.

À cet effet, les dossiers de demande d’agrément des abattoirs temporaires doivent être déposés en préfecture et auprès des services vétérinaires au minimum trois mois avant la fête religieuse. Les certificats de compétence en protection animale des sacrificateurs doivent être demandés dès cette phase d’instruction du dossier d’agrément. L’identité et la preuve de la qualité des sacrificateurs qui opéreront pour la fête dans ces installations temporaires font donc partie des pièces à communiquer pour la recevabilité du dossier. Dès l’acceptation du dossier, l’installation doit être testée ; c’est cette phase d’essai qui conditionnera l’agrément temporaire. Pour les sacrificateurs disposant d’une expérience pratique limitée, les services de l’État sont invités à encourager les associations musulmanes à se tourner vers les structures de formation pour organiser des stages dédiés, ciblés sur ces personnes pour cette période.

À l’issue de la première instance de dialogue avec l’islam de France, en juin 2015, le ministre de l’intérieur avait annoncé la constitution d’un groupe de travail sur les modalités de l’organisation de l’Aïd el-Kébir. Ses travaux ont permis d’élaborer un guide pratique, réalisé conjointement par nos services et ceux de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) pour le ministère de l’agriculture. Il mettra à disposition des professionnels, des administrations, des collectivités et des porteurs de projet un ensemble de données concrètes et une recension des bonnes pratiques. Il paraîtra dans la première quinzaine du mois de juillet 2016. Il sera adressé aux préfectures ainsi qu’aux conseils régionaux du culte musulman (CRCM) qui en disposeront donc dès la préparation de l’Aïd 2016, même s’il est probablement trop tard pour mettre en place des installations temporaires d’ici au mois de septembre.

L’administration territoriale de l’État assure le suivi et le contrôle des projets mais elle n’en assure en aucun cas le portage. Elle contrôle que les conditions de transport, de garde et de parcage des animaux sont compatibles avec les impératifs biologiques de l’espèce et avec les prescriptions réglementaires relatives au bien-être des animaux. La dérogation à l’étourdissement implique ainsi que l’immobilisation des animaux soit, comme dans tout abattoir classique, assurée par un procédé mécanique excluant toute contention manuelle. La contention doit être maintenue pendant un délai suffisant pour atteindre la perte de conscience de l’animal et, comme dans un abattoir, la mort de l’animal doit être constatée avant que les phases d’habillage des carcasses ne débutent.

En cas de dysfonctionnements graves en matière de protection animale ou d’hygiène des manipulations, le préfet est invité, par une circulaire conjointe du ministre de l’intérieur et du ministre de l’agriculture, à suspendre l’agrément de l’abattoir, voire à décider la fermeture de tout ou partie de l’établissement, que ce dernier bénéficie d’un agrément pérenne ou temporaire. Il s’agit de l’application de l’article L. 206-2 du code rural et de la pêche maritime pour les manquements en matière de protection animale, et des articles L. 233-1 et 2 du même code pour les manquements relatifs à l’hygiène.

En parallèle – c’est la partie la plus visible que vous devez connaître dans vos circonscriptions –, les contrôles dans les centres de rassemblement et les sites d’approvisionnement doivent être renforcés dans les jours qui précèdent l’Aïd el-kébir. La vigilance des services de police et de gendarmerie est appelée en la matière, afin de lutter contre tout site d’abattage clandestin. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune tolérance à l’égard des personnes qui commettraient une infraction en la matière.

M. le président Olivier Falorni. Votre présentation a été extrêmement exhaustive et précise. Vous avez abordé beaucoup de questions que je souhaitais vous poser.

Le recteur de la grande mosquée de Lyon, M. Kabtane, a indiqué, lors de son audition, avoir participé à une réunion qui s’est tenue le 15 juin 2015 au ministère de l’intérieur concernant l’élaboration d’un guide sur l’abattage halal. Avez-vous connaissance de cette réunion ? Y avez-vous participé ? Quel en est l’objectif à moyen et long terme ?

J’aimerais avoir des précisions sur l’abattage rituel dans les abattoirs mobiles – notre collègue François Pupponi nous a dit en avoir un qui venait à Sarcelles à chaque fête de l’Aïd. Comment se déroule cet abattage ? Avez-vous des éléments sur la pratique qui en est faite, en particulier à Sarcelles ?

M. Arnaud Schaumasse. La réunion du 15 juin 2015 au ministère de l’intérieur est la première instance de dialogue avec l’islam de France dont je parlais à la fin de mon propos. Cette instance a été mise en place, non pour se substituer au Conseil français du culte musulman, mais pour élargir le dialogue à d’autres sujets que les questions relevant de l’organisation du culte. Elle a été préparée dans chaque département, dans chaque préfecture par les autorités locales, et les thèmes ont été définis en fonction des remontées du terrain. L’organisation de l’Aïd faisait partie des problèmes évoqués. Le guide qui est issu de cette réunion ne concerne pas le halal en général mais l’organisation de l’abattage rituel à l’occasion de la fête de l’Aïd ; il sera publié par La documentation française dans quelques jours. Nous pourrons en adresser un exemplaire à votre commission.

M. le président Olivier Falorni. Nous le souhaitons vivement.

M. Arnaud Schaumasse. Je ne connais pas l’exemple spécifique de Sarcelles, le Bureau des cultes n’intervenant pas en tant qu’acteur de terrain ; ce rôle revient aux préfectures. Toutefois, je peux vous faire part d’une expérience passée lorsque j’étais directeur de cabinet en Bourgogne. À l’occasion de la fête de l’Aïd, nous avions tenté de compenser une carence des capacités d’abattage en mettant en place une structure d’abattoir mobile. D’abord, il a fallu identifier un porteur de projet. En l’occurrence, il s’agissait du CRCM qui devait faire, éventuellement avec des partenaires, l’acquisition d’une structure mécanique démontable, comportant essentiellement la chaîne d’abattage, l’appareil de contention et le rail. Ensuite, il a fallu trouver le terrain susceptible d’accueillir cette structure et les opérations de récupération, drainage et évacuation des fluides dans le respect des prescriptions sanitaires. Malheureusement, l’opération n’a pas pu se faire car nous n’avons pas trouvé de terrain répondant aux attentes de la DDPP.

Mme Annick Le Loch. Un gros abatteur de notre pays nous a dit qu’il y avait encore beaucoup de progrès à faire en matière d’abattage rituel en France. Sur les 260 abattoirs que compte notre pays, 218 sont agréés pour l’abattage rituel alors que le pourcentage de viande abattue de façon rituelle serait relativement faible. Qu’en est-il ?

Des responsables religieux nous ont indiqué qu’en France, le refus de l’étourdissement constituait une lame de fond très puissante au sein de la population croyante.

J’ai également retenu de nos auditions que la Suède et la Suisse auraient des modèles tout à fait exemplaires en matière d’abattage rituel. Ces pays semblent fonctionner selon un autre modèle que notre système dérogatoire. Lequel ?

Le gros abatteur que j’évoquais plus haut nous a indiqué être en train d’expérimenter dans son abattoir de Castres un matériel plus soucieux du bien-être animal qu’il était allé chercher en Nouvelle-Zélande. Il attendait l’agrément de l’administration. Avez-vous connaissance de ce matériel ?

M. Arnaud Schaumasse. Nous avons découvert cet appareillage lors de l’audition de l’industriel en question, et la DGAL nous a indiqué en avoir connaissance. Les tests en cours semblent confirmer son caractère prometteur, et il pourrait être diffusé dans un avenir proche s’il répond aux différentes normes techniques applicables, par exemple en matière de contention.

S’agissant des abattoirs agréés, la plupart ne pratiquent pas exclusivement l’abattage halal ou casher. Le nombre de 218 abattoirs autorisés à abattre sans étourdissement peut sembler élevé au regard des 15 % de bovins abattus au titre de la dérogation, mais les besoins sont répartis sur l’ensemble du territoire, et ce nombre est appelé à croître. Ce n’est objectivement pas la solution idéale, puisque les contraintes de rythme et de chaîne conduisent les abattoirs à procéder à l’abattage rituel par exemple le matin, puis à repasser à l’abattage conventionnel. Mais cela relève de l’organisation économique et commerciale des opérateurs, que nous n’avons pas à connaître. Nous aurions matière à réagir si nous constations que le nombre d’établissements agréés n’est plus en adéquation avec le nombre de cartes de sacrificateurs délivrées par les autorités habilitées. Aujourd’hui, les trois mosquées ne semblent pas pratiquer une politique malthusienne en la matière, et le grand rabbin de France délivre des cartes en fonction des demandes qui lui sont faites. Pourvu que les personnes soient formées et aient réussi les tests, ils peuvent leur délivrer l’autorisation de procéder à des abattages rituels. Pour ce qui nous concerne, nous sommes très vigilants sur l’application du cadre réglementaire, qui est sain pour tous – à la fois pour les cultes, car il évite la stigmatisation et les fantasmes dans un secteur qui a pourvu la langue française de son lot de mots dévoyés, et parce qu’il répond aux exigences de la loi. Avec le ministère de l’agriculture et les organismes religieux concernés, nous veillons donc à ce que chacun soit conscient de ses responsabilités. Les sacrificateurs religieux sont d’abord des opérateurs d’abattoirs ; cette règle n’est pas négociable. La seule dérogation concerne l’étourdissement, tout le reste du processus relève du droit commun. C’est en veillant au respect serein de la norme que la République permet de garantir le libre exercice des cultes tout en évitant la stigmatisation de telle ou telle pratique religieuse.

Il est vrai qu’il existe dans le monde entier une lame de fond d’ordre économique, car de nombreuses institutions publiques ou parapubliques de pays d’Asie, en particulier, ont compris tout l’intérêt que revêt le développement d’un marché halal qui dépasse d’ailleurs largement le seul secteur des produits carnés : il existe aujourd’hui de l’eau halal, mais aussi des services halal – de voyage ou de mariage, par exemple. À l’origine, pourtant, le halal représente le degré médian, c’est-à-dire le plus neutre, dans l’échelle des cinq degrés de licéité allant de l’obligation à l’interdiction. Autrement dit, le halal est ce qui n’est ni interdit ni obligatoire. Dans le monde contemporain, hélas ! il est souvent trop compliqué d’envisager cinq possibilités ; tout est noir ou blanc. C’est pourquoi le halal est devenu l’opposé de l’interdit, et est désormais synonyme de bonne pratique. Cela s’est traduit par un phénomène économique qui, en France notamment, mobilise de nombreux acteurs.

À cette lame de fond économique s’en ajoute une autre, d’ordre sociologique : elle tient à l’affirmation – que d’aucuns jugent positive, d’autres négative – de l’identité religieuse par une pratique sociale. Ce phénomène est propre à des pays où la religion musulmane n’est pas dominante, mais minoritaire. Dès lors que la norme suscite un débat, son harmonisation se fait sur la base des positions maximalistes. S’il est fréquent qu’un consommateur estimant que l’électronarcose n’est pas une pratique problématique accepte de manger de la viande provenant d’un animal abattu sans étourdissement, l’inverse ne se produit pas : les consommateurs opposés à l’étourdissement n’achèteront que de la viande provenant d’animaux abattus rituellement. Or il est apparu nécessaire d’adopter une norme halal commune pour mettre fin aux duperies de toutes sortes dont sont victimes les consommateurs. Cependant, nous sommes dans un pays sans tradition établie en la matière, ni autorité morale reconnue à même de certifier ce qui est halal et ce qui ne l’est pas ; les consommateurs sont incrédules, si j’ose dire. Le consommateur musulman exigeant une certification, celle-ci a tendance à être établie sur la base de positions maximalistes. Le Conseil français du culte musulman définira un référentiel qu’il appelle « Charte halal », sans pour autant considérer que d’éventuelles autres chartes sont haram, et sans juger la conformité d’autres pratiques. Quoi qu’il en soit, je constate ce mouvement comme vous, madame la députée.

Mme Françoise Dubois. Qui dispense les formations dont bénéficient les sacrificateurs, s’il ne s’agit ni des mosquées ni de centres de formation spécifiques ? Autrefois, les pratiques se transmettaient de père en fils. L’image de l’abattage sauvage et clandestin est demeurée dans l’opinion publique ; il serait donc utile de réhabiliter l’abattage rituel de ce point de vue, même s’il est légitime de ne pas approuver l’abattage sans étourdissement.

Par ailleurs, j’ai le sentiment, à vous écouter, que les contraintes et les contrôles imposés à l’abattage rituel sont beaucoup plus stricts que pour l’abattage conventionnel. Compte tenu du fait que l’abattage rituel concerne une période particulière, le risque de dérapage existe-t-il et les contrôles sont-ils dûment effectués ?

M. Arnaud Schaumasse. Les abattoirs temporaires sont particulièrement contrôlés par les 2 000 inspecteurs vétérinaires, parce que les opérations d’abattage qui y sont conduites ont un caractère symbolique fort et qu’elles obéissent à des processus moins routiniers. De plus, les sacrificateurs n’exercent pas toujours cette fonction tout au long de l’année. Il est donc indispensable de veiller au respect des règles d’hygiène et de santé animale, et ce dans la sérénité du vivre-ensemble républicain, afin de ne pas laisser prospérer les fantasmes que suscite parfois la fête de l’Aïd – on a ainsi pu entendre parler voici quelques années d’abattage dans les baignoires.

Il existe en France treize organismes de formation, dont sept ont, outre la compétence de formation des responsables de la protection animale (RPA), la compétence de formation à la mise à mort sans étourdissement. Pour le reste, les procédures sont les mêmes. Les cartes de sacrificateurs ne sont donc pas attribuées au hasard.

Les quatre organismes agréés demeurent libres de dialoguer avec les abattoirs, lesquels peuvent leur présenter des opérateurs susceptibles de répondre à leurs besoins. C’est à ces organismes qu’il appartient ou non de délivrer les cartes. Nous les aidons, quant à nous, à éviter la circulation de fausses cartes ou leur utilisation par des personnes autres que leur titulaire, et à éviter tout trafic – il s’agit, de ce point de vue, d’un pouvoir de police ordinaire. Le suivi a posteriori relève des inspecteurs vétérinaires, même si je constate comme vous qu’ils se sentent en sous-capacité pour exercer leurs fonctions. Quoi qu’il en soit, les 2 000 agents en exercice s’assurent sur le terrain que les choses sont bien faites.

S’agissant des exemples européens, madame Le Loch, je partage le regret du ministre : lorsque nous avons instauré la dérogation, nous n’aurions pas dû laisser la capacité de choisir ou non d’en bénéficier à l’autorité subsidiaire, mais plutôt choisir entre en faire ou non une compétence européenne – ce qu’elle devait être, selon moi. Les pays qui ont interdit l’abattage sans étourdissement préalable ou qui s’apprêtent à le faire, comme le Danemark, jouent tout de même une double partition, car ils interdisent ce type d’abattage sur leur territoire mais autorisent l’importation de viande provenant d’animaux abattus selon cette pratique, permettant ce faisant à leurs ressortissants de confession juive ou musulmane de consommer de la viande que les intéressés jugent conforme à leur foi. Autrement dit, cette mesure de protection du bien-être animal sert principalement à satisfaire le parti « animaliste » dont les voix sont nécessaires à la majorité, mais il n’est pas question d’aller au-delà. Cette position ne me paraît pas refléter un choix pleinement assumé.

Cependant, toutes les autorités religieuses ne sont pas sur la même longueur d’ondes : aux Pays-Bas, par exemple, les autorités musulmanes ont accepté par un contrat passé avec l’État le principe de l’étourdissement post-jugulatoire, qui permet d’abréger la période de souffrance. Si la mort de la bête n’est pas constatée dans les quarante secondes qui suivent l’incision, alors il peut lui être appliqué un choc électrique fatal. D’autres pays sont tout à fait hostiles à cette méthode. La Pologne a fait marche arrière après que le marché de la viande bovine a connu un recul de 60 % dans ce pays, sachant qu’il est un gros exportateur de viande casher. La Suisse, enfin, est le premier pays à avoir interdit l’abattage sans étourdissement, dès 1893, mais il existe naturellement des possibilités d’approvisionnement transfrontalier.

En tout état de cause, il me semble essentiel de réfléchir à la question du bien-être et de la souffrance des animaux en toute lucidité. Comme vous, je constate qu’elle fait débat entre scientifiques, qui produisent des rapports tout à fait contradictoires sur les modes d’abattage les plus violents ou qui provoquent les plus grandes souffrances. Le conseil supérieur du ministère de l’agriculture travaille sur ce sujet, qu’il faut examiner sereinement. Faut-il pour autant se réfugier derrière l’importation de produits venus d’autres pays, même si les viandes provenant de l’Union européenne présentent probablement les garanties nécessaires en matière de sécurité sanitaire ? Quoi qu’il en soit, il me semble que notre système offre un équilibre satisfaisant entre le respect des différents principes et le réalisme social et économique.

Mme Sylviane Alaux. À vous entendre, on pourrait se réjouir qu’il existe enfin des textes et des règles qui encadrent ce secteur. Pourtant, je ressens un véritable décalage par rapport aux propos que nous ont tenus des dirigeants et des salariés d’abattoirs, notamment au sujet des sacrificateurs, dont il semble – c’est l’interprétation que je fais de ce qui nous a été rapporté – qu’ils sont peu compétents et formés, même s’ils détiennent une carte délivrée par leur mosquée. Certains utilisent même leurs propres outils.

Les treize organismes de formation auxquels vous faites référence sont-ils identifiés comme tels ? Je retiens d’autres auditions que les formations sont le plus souvent internes, ne durent guère plus de quarante-huit heures et se déroulent parfois même sur le tas, puisque les intéressés exercent d’abord à différents postes dans l’abattoir avant d’aboutir au poste de tuerie. J’ai donc le sentiment qu’il n’existe pas de véritable formation, et j’entends pour la première fois parler d’organismes de formation proprement dits. S’agit-il d’émanations de la profession ? Est-ce celle-ci qui les finance ou bien l’État participe-t-il ? Est-il vrai que la durée de formation ne dépasse pas quarante-huit heures, comme nous l’avons souvent entendu ? Qu’en est-il de l’amateurisme des sacrificateurs qui nous a été rapporté, même s’ils sont titulaires d’une autorisation de leur mosquée ? Il semble, en effet, qu’ils ne soient guère habitués au geste. Certains grands abattoirs emploient eux-mêmes des salariés dédiés à l’abattage rituel, mais le tableau d’ensemble demeure flou. Qu’en est-il précisément ?

M. Arnaud Schaumasse. Il existe 218 établissements habilités à procéder à l’abattage rituel, et les mosquées ont délivré environ 450 cartes de sacrificateurs. La norme est que les sacrificateurs exercent sur plusieurs sites.

Je ne nie pas le décalage qui existe entre les textes et la réalité : c’est un constat évident qu’il ne faut pas éluder si l’on veut résoudre les problèmes. À chacun, cependant, d’assumer sa part de responsabilité. Je comprends que des opérateurs d’abattoirs témoignent de carences et de difficultés concernant l’abattage rituel, mais que des responsables d’abattoirs tiennent les mêmes propos me surprend, car c’est leur responsabilité qui est engagée. Depuis l’adoption du règlement de 2009, les choses sont claires : ils sont responsables de tout ce qui se passe dans leur établissement en matière de bien-être animal, de sécurité sanitaire et de respect des procédures. Que des légèretés soient signalées par des collègues, soit : ce secteur a comme les autres ses lanceurs d’alerte. Que des responsables se défaussent ainsi, c’est plus étonnant. Parce que nous vivons dans une République laïque, le Bureau central des cultes n’est pas doté d’une police religieuse ; les cas d’abus ne se soldent donc pas par une intervention immédiate de sa part.

Les treize centres de formation que le ministre de l’agriculture a évoqués devant vous sont des organismes privés liés aux professions et aux interprofessions et habilités par le ministère de l’agriculture après contrôle de leurs moyens et de leurs pratiques pédagogiques. Stéphane Le Foll s’est engagé à ce que cette question fasse partie de l’audit plus large qui est en cours et dont les conclusions seront naturellement rendues publiques. Reste à poser clairement la question de l’adaptation de l’offre de ces organismes aux besoins spécifiques de formation à l’abattage rituel. De ce point de vue, la transparence est la meilleure alliée tant des organismes religieux qui donnent leur agrément que des opérateurs d’abattoirs et des industriels de la viande et, bien entendu, des pouvoirs publics.

La lame du couteau et son affûtage sont définis par les textes réglementaires. Rien n’empêche un sacrificateur de disposer de son propre ustensile ; comme dans d’autres métiers, il suffit que l’intéressé soit sérieux et appliqué pour que le fait de disposer de son propre outil puisse constituer un gage de qualité. C’est une question importante : l’un des principaux problèmes soulevés dans l’étude que le ministère de l’agriculture a conduite en 2011 tient au fait que des couteaux trop petits ou mal affûtés provoquent manifestement de la souffrance, parce que les artères et les veines ne sont tranchées ni assez vite ni assez nettement. S’agissant des ovins, la procédure en vigueur prévoit que la gorge est tranchée en un seul passage de lame. Il faut donc être vigilant sur ce point.

Je ne peux pas vous répondre précisément sur la durée de la formation, même si elle est relativement simple – il ne s’agit pas de diplômes d’État. Il me semble sain et adapté qu’il existe une formation continue. Si l’abattage rituel était encore massivement effectué par des personnes manifestement inexpérimentées, cela se saurait. Des insuffisances ponctuelles sont concevables, mais nous traquons les cartes falsifiées ou usurpées. La vigilance en la matière est partagée : le grand rabbin de France, par exemple, qui signe personnellement les cartes de choketh, examine d’abord les dossiers avec attention.

Mme Françoise Dubois. Les cartes de sacrificateur sont-elles délivrées à vie ?

M. Arnaud Schaumasse. Non, elles sont normalement renouvelées tous les six mois ou tous les ans. Le certificat de compétence délivré à l’issue de la formation est valable cinq ans ; ce délai n’est pas encore épuisé, puisque le décret n’a pas cinq ans d’âge, mais par définition, le renouvellement de la carte est automatique pendant ces cinq années sauf si les inspecteurs vétérinaires ont constaté une incapacité à opérer, auquel cas l’habilitation peut être suspendue.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Les circonstances concrètes dans lesquelles est effectué le geste de mise à mort soulèvent trois questions distinctes : la compétence technique des opérateurs, la pertinence du matériel et l’habilitation religieuse. Vous nous avez bien présenté les responsabilités des uns et des autres en la matière, mais les auditions que nous avons précédemment tenues me donnent le sentiment qu’il n’existe pas une grande homogénéité du contrôle de ces différents aspects. Cela peut expliquer le caractère récent de la réglementation, adoptée en 2009, par rapport à l’ancienneté des pratiques. Nous ne sommes donc pas encore en phase de régime permanent : quels progrès peut-on espérer dans la mise en place des formations ? Il pourrait ainsi être clairement rappelé aux responsables d’abattoirs que les sacrificateurs n’échappent pas à leur responsabilité, contrairement à ce que certains d’entre eux nous ont dit très explicitement, d’autres reconnaissant en revanche qu’il s’agissait avant tout de salariés de l’abattoir. Comment améliorer la connaissance des textes ? Comment faire pour qu’ils entrent dans les mœurs ? Comment réduire l’écart entre la pratique jugée habituelle et la pratique conforme aux textes ?

Les sites d’abattage font l’objet d’une autorisation préfectorale. Or nous avons visité des abattoirs où la contention des ovins est loin d’être mécanique. Existe-t-il des cas d’établissements auxquels l’autorisation d’abattage rituel a été refusée ?

M. Arnaud Schaumasse. J’ignore s’il existe des cas de refus, mais je sais qu’il existe des cas de retrait.

M. le rapporteur. Soit. S’il n’y avait ni retrait ni refus, cela signifierait que tout le monde peut obtenir l’autorisation en question. Au contraire, si des retraits sont prononcés, c’est le signe d’une phase de progrès. Où en sommes-nous entre ce qui devrait être et ce qui est ?

Enfin, certains pays interdisent l’abattage sans étourdissement mais semblent autoriser l’importation de viande provenant d’animaux ainsi abattus. Avez-vous connaissance de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) au motif que cette interdiction serait contraire au libre exercice de la foi ?

M. Arnaud Schaumasse. Non. Les pays qui prévoient une interdiction stricte sont souvent petits – le Liechtenstein, par exemple – ou l’interdiction y est très ancienne, ce qui explique que d’autres habitudes ont été prises – c’est le cas des pays nordiques et de la Suisse. En Pologne, c’est la Cour constitutionnelle qui a annulé l’interdiction au terme d’une procédure de deux années.

M. le rapporteur. La juridiction constitutionnelle polonaise ayant satisfait la demande qui lui était faite, la CEDH n’a donc pas été saisie ; est-ce bien cela ?

M. Arnaud Schaumasse. C’est exact.

Pour le reste, je crois aux vertus de la pédagogie et de la persuasion. Le guide que nous allons diffuser et qui pourra être téléchargé sur le site du ministère contient une partie liée à l’exercice temporaire de l’abattage au cours de l’Aïd. Cependant, le corpus juridique comprenant un tronc commun à toutes les activités d’abattage, le guide pourra être diffusé sur le terrain par les directions départementales de la protection des populations et par les préfectures dans le cadre du dialogue qu’elles entretiennent avec les conseils régionaux du culte musulman, l’idée étant que le respect partagé de ces règles et le fait que chaque acteur assume ses responsabilités contribuent à apaiser le débat, tant sur la question des abattoirs proprement dits que sur celle de la coexistence de diverses pratiques religieuses.

Peut-être peut-on expliquer le fait que certains responsables d’abattoirs se sentent moins concernés par les pratiques des sacrificateurs s’il s’agit de vacataires ou d’intermittents, en quelque sorte, qui n’exercent que ponctuellement et ne sont pas salariés par l’abattoir en question. La démarche d’appropriation des responsabilités, des pratiques et des outils est plus aisée lorsqu’un employé permanent est affecté à l’abattage rituel et lorsque l’organisation de l’abattoir tient compte de la réalité et des contraintes – de cadence, en particulier – qui y sont liées. Elle est plus difficile dans des structures plus petites, plus anciennes ou correspondant à un modèle économique différent, qui ne font appel aux sacrificateurs que lorsqu’elles en ont besoin et qui n’ont donc pas noué avec eux une relation de même nature.

C’est l’un des aspects de la réflexion sur les vertus et les faiblesses de l’abattoir de proximité. L’un des deux abattoirs concernés par des vidéos diffusées ce matin sur le site d’un grand quotidien national est l’une des dernières structures d’abattage d’ovins dans l’arrière-pays du département où il se trouve. Si le conseil départemental décide de soutenir cette structure, même si elle n’est évidemment ni la plus moderne ni la plus performante de France, c’est en vertu d’un choix qui répond à une réalité agropastorale locale. Cela n’empêche pas d’adopter des pratiques qui doivent devenir un réflexe. C’est en portant la bonne parole que nous y parviendrons, en insistant sur le fait que la protection animale n’est pas un élément secondaire mais qu’elle va de pair avec la sécurité sanitaire : on ne saurait se préoccuper d’abord de la qualité de la viande et ensuite de la condition de l’animal lors de son abattage. Dans leur dialogue avec les entrepreneurs et le personnel, les pouvoirs publics doivent présenter simultanément toutes ces dispositions, qui sont d’égale importance. Il faudra du temps.

Compte tenu du caractère particulier – et brutal – de cette activité, il est difficile de transposer des processus de formation continue et de diffusion de l’information comme cela se fait pour d’autres métiers plus standardisés. Il faut, en effet, tenir compte de circonstances pratiques particulières. Nous y parviendrons néanmoins : il n’y a aucune fatalité à se contenter de mettre en œuvre comme on le peut des textes par ailleurs satisfaisants. Songez que le premier décret date de 1964, le deuxième de 1980 ; ce n’est qu’en 1978, soit quatorze ans après le premier décret, que l’on s’est aperçu que les trois quarts de la viande commercialisée provenaient de bêtes abattues sans étourdissement – or l’abattage rituel ne représentait évidemment pas 75 % de la viande consommée en France à l’époque. Il s’agit d’une matière complexe, mais nous devons continuer d’avancer.

M. le rapporteur. Dans cette matière complexe, le caractère rituel de l’abattage sert parfois de prétexte pour ne pas agir, par exemple en cas de difficulté économique entravant l’équipement d’un abattoir. Vous évoquiez à juste titre le risque de stigmatisation : il pourrait presque en l’occurrence s’agir d’une stigmatisation en creux, certains opérateurs justifiant du fait que l’on ne peut améliorer le fonctionnement de leur abattoir en raison des opérations d’abattage rituel, alors qu’ils pourraient, et même devraient, réaliser des investissements et adapter les pratiques pour se mettre en conformité avec les règles en vigueur, y compris concernant l’abattage rituel. Puisque vous êtes en première ligne des efforts consacrés à ce que l’abattage dérogatoire se fasse dans les règles, ne constatez-vous pas une légère réticence de certains opérateurs qui utilisent l’abattage rituel comme un alibi pour ne pas évoluer et ne pas investir ?

M. Arnaud Schaumasse. De ce point de vue, nous avons la chance que les acteurs religieux soient pleinement conscients de cet enjeu. Pour les connaître, je sais qu’ils ne tolèreront pas d’être utilisés comme les paravents de mauvaises pratiques. Le grand rabbin de France, le recteur de la mosquée de Lyon, le président du Conseil français du culte musulman lorsqu’il s’exprime au nom des trois acteurs habilités à délivrer des autorisations, ne laisseront pas instrumentaliser la religion et présenter l’abattage rituel comme un folklore qui permet d’évacuer les problèmes. Les élus, les pouvoirs publics et les associations qui le souhaitent ont là des alliés avec lesquels ils pourront avancer.

Cela étant, l’alibi que vous évoquez est une solution de facilité qui existe. Certains acteurs du marché halal ont cherché à faire croire que la viande halal était de meilleure qualité. Le halal est une norme religieuse, et non un gage de qualité ; la viande halal, comme la viande casher, peut être bio ou labellisée. Sans doute certains s’en servent-ils comme d’un paravent, mais je crois qu’ils n’y ont pas intérêt.

M. le rapporteur. Le responsable de l’abattoir d’Alès, un abattoir public, nous a très explicitement indiqué que tout dysfonctionnement constaté dans son abattoir était dû à l’abattage rituel, dont l’interdiction permettrait de résoudre tous les problèmes.

M. Arnaud Schaumasse. Les images dramatiques de l’abattoir de Pézenas qui ont été diffusées ce matin montrent notamment une séquence d’abattage sans étourdissement au cours de laquelle rien ne correspond aux processus de contention, d’encadrement, d’acheminement, de vérification et de contrôle tels qu’ils sont normés. Le caractère rituel ou non de l’abattage et la présence éventuelle d’un sacrificateur ne change rien au non-respect des normes de contention et au fait qu’il n’a pas été vérifié que la bête était bien morte avant d’être accrochée et traînée le long du rail. Si nous visionnions ces images hors contexte, rien ne nous permettrait de savoir s’il s’agit d’un abattage à caractère rituel ou pas. Autrement dit, la dimension rituelle n’est pas en cause dans le non-respect des règles.

En tout état de cause, je connais des acteurs religieux qui sont pleinement concernés par cette question et qui souhaitent que les choses s’améliorent. Les sept organismes de formation habilités à former à l’abattage rituel sont pleinement préparés à la spécificité de la mise à mort sans étourdissement préalable. Le chemin reste long, cependant, et je crains hélas ! que votre commission d’enquête ne soit pas la dernière à étudier la question des pratiques des abattoirs.

M. le président Olivier Falorni. Nous vous remercions.

La séance est levée à vingt heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du mercredi 29 juin 2016 à 18 h 30

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Yves Caullet, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, Mme Annick Le Loch, M. Hervé Pellois

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Thierry Lazaro, M. Arnaud Viala