Accueil > Contrôle, évaluation, information > Les comptes rendus de la commission d'enquête

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Jeudi 30 juin 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 37

Présidence de M. Olivier Falorni, Président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Daub, auteur de « Ces bêtes qu’on abat, journal d’un enquêteur dans les abattoirs français ».

La séance est ouverte à neuf heures dix.

M. le président Olivier Falorni. Mes chers collègues, nous auditionnons ce matin M. Jean-Luc Daub, auteur de Ces bêtes que l’on abat, journal d’un enquêteur dans les abattoirs français.

Monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez longtemps travaillé comme bénévole ou salarié pour des associations de protection animale. Votre ouvrage, paru en 2009, retrace les enquêtes que vous avez effectuées dans les abattoirs durant une quinzaine d’années. Vous vous y déclarez choqué de la manière dont est traité l’animal dans les abattoirs. Selon vous, les animaux « sont tués dans l’indifférence, sans que l’on prenne réellement en compte leur bien-être ». Vous travaillez aujourd’hui dans le secteur médico-social comme éducateur auprès de publics lourdement handicapés, en particulier des personnes autistes.

Nous souhaitions, suite à la publication de votre ouvrage et en raison de votre expérience, avoir votre analyse, votre expertise, votre vécu et votre point de vue sur la situation dans les abattoirs, et vous interroger sur votre affirmation selon laquelle les animaux sont tués dans l’indifférence dans les abattoirs.

Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler que nos auditions sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale, et vous demander, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d’enquête, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Luc Daub prête serment.)

M. Jean-Luc Daub. Monsieur le président, je tiens à remercier la commission d’enquête de me permettre de m’exprimer ce matin.

Pendant plus de dix ans, j’ai été enquêteur dans les abattoirs. Mon travail consistait à vérifier le bon déroulement des activités d’abattage en fonction des normes réglementaires. J’allais à la rencontre des membres de la direction des abattoirs, des différents responsables, du personnel, mais aussi des membres des services vétérinaires.

J’effectuais mes missions seul et de façon inopinée : je ne prenais jamais de rendez-vous. Je n’étais pas un militant, bien que mon cœur fût voué à la cause animale. Il n’y avait pas de réseau internet et la société ne s’intéressait pas aux animaux des abattoirs comme c’est le cas aujourd’hui. J’étais un enquêteur objectif, posé et très calme, même si j’ai dû assister à bien des situations de détresse et de souffrance des animaux, et à bien des infractions. Le sérieux de mon travail était reconnu ; j’ai été mis à l’honneur par l’association pour laquelle je travaillais, qui m’avait remis, lors d’une assemblée générale, une médaille du ministère de l’agriculture.

J’ai visité des centaines d’abattoirs, dont certains plusieurs fois. Je dialoguais avec les professionnels de ces structures, le but étant de faire améliorer les conditions d’abattage, et évidemment de venir en aide et au secours des animaux en détresse.

Mes missions n’étaient pas faciles. Vivre régulièrement avec les animaux, leur détresse et leur souffrance m’a atteint au plus profond de moi-même, et laissé des traces. Le milieu de la filière viande était très dur, même entre les professionnels. J’étais bien accueilli dans certains abattoirs par des intervenants coopératifs avec lesquels j’ai pu avoir des échanges instructifs, voire constructifs. Mais j’ai vécu la frilosité du milieu en matière de protection animale, j’ai essuyé des propos agressifs, subi des actes violents à mon encontre, jusqu’à une agression sur un marché aux bestiaux où je me suis retrouvé seul au monde, sans personne pour me porter secours.

Hostilité, agressivité, tension et pressions, non-conformité des abattages, infractions à la réglementation, mauvais traitements, tel était le quotidien de mes missions. Pour autant, cela ne me freinait pas, car les animaux vivaient des situations injustes, et c’est pour cela que je n’abandonnais pas, même si j’ai pu en souffrir moi-même. Il était impératif de venir en aide aux animaux.

En 2009, j’ai écrit cet ouvrage Ces bêtes qu’on abat, journal d’un enquêteur dans les abattoirs français (1993 à 2008). Mais aujourd’hui, la situation est exactement la même que celle que j’y décrivais, qu’il s’agisse de la dureté du milieu, des conditions d’abattage, de ce que vivent et subissent les animaux.

De fait, si nous sommes réunis ici, si votre commission d’enquête auditionne un certain nombre de personnes, c’est parce que le sort des animaux ne s’est pas beaucoup amélioré dans les abattoirs – ni d’ailleurs dans les élevages de type industriel et intensif d’où ils sont transportés.

Je remercie l’association L214 qui, grâce à ses vidéos, a percé l’abcès. Sinon, le débat dans la société et au sein de la commission d’enquête n’aurait pas pris cette ampleur. Nous serions encore à nous imaginer que l’abattage des animaux se passe comme sur une table d’opération, avec une anesthésie évitant toute douleur. Mais le sang des bêtes coule, alimenté par le peu d’intérêt pour l’animal lequel est considéré comme une marchandise économique, voire comme « un objet sur pattes » permettant de faire fonctionner des abattoirs soumis à une logique de rentabilité.

J’espère aujourd’hui de cette commission qu’elle permettra de mettre en place des mesures d’urgence, que l’on améliorera les conditions d’abattage et d’élevage. Il n’est pas acceptable que les animaux arrivent dans les abattoirs en mauvais état : volailles déplumées, animaux affaiblis, carencés, incapables de se mouvoir et de marcher, femelles sur le point de mettre bas... Bien des vaches et des truies donnent naissance dans les abattoirs. À moins que, lorsqu’elles sont éviscérées, on ne retrouve leur petit à l’intérieur de leur ventre.

Aujourd’hui, il est urgent d’agir, afin que les animaux souffrent moins. Mais le vrai débat qui se pose dans la société ne porte pas sur l’amélioration des structures d’abattage pour mettre fin à ce massacre à grande échelle – trois millions d’animaux par jour ! La grande question tourne autour de notre alimentation. Les animaux sont tués pour nous permettre de nous nourrir, mais il est tout à fait possible de s’alimenter autrement. Voilà pourquoi il faut végétaliser au maximum notre mode d’alimentation. C’est une piste intéressante pour l’être humain, mais aussi pour les animaux à qui nous éviterions bien des souffrances inutiles.

M. le président Olivier Falorni. Merci monsieur Daub. Je souhaite, en préambule, vous poser deux types de questions.

Les premières concernent certains passages de votre livre.

Vous évoquez « un appareil anesthésiant innovant qui apeure terriblement les animaux et les met dans un état de souffrance ». Pouvez-vous en dire plus sur cet appareil ?

Ensuite, vous parlez « des services vétérinaires qui se préoccupent peu du bien-être animal, les bonnes initiatives étant des cas isolés ». Quelles étaient ces bonnes initiatives ? Est-ce à dire que le bien-être animal n’est pas pris en compte par les services vétérinaires ? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ? Les vétérinaires sont-ils à votre avis les seuls responsables de l’inertie totale de l’administration dont vous parlez ?

Enfin, vous évoquez des « bêtes découpées encore vivantes ». Est-ce une situation fréquente ?

Mes autres questions visent à recueillir votre point de vue.

Que pensez-vous de la mise en place de la vidéosurveillance dans les abattoirs ? Est-ce que ce serait un moyen utile pour lutter contre les dérives que vous dénoncez dans votre livre ?

Enfin, depuis la parution de votre ouvrage, sept années se sont écoulées. Êtes-vous revenu dans les abattoirs depuis 2009 ? Si oui, avez-vous constaté des changements dans les pratiques ?

M. Jean-Luc Daub. Pouvez-vous me préciser de quel appareil innovant vous parlez ? J’ai vu beaucoup d’appareils plus ou moins innovants…

M. le président Olivier Falorni. Vous avez évoqué un appareil anesthésiant, mais de manière plus générale, considérez-vous que l’étourdissement obligatoire dans l’abattage traditionnel ne fonctionne pas, ou fonctionne mal ? Est-il fréquent que des animaux soient conscients au moment de la saignée ?

M. Jean-Luc Daub. Je ne sais pas si vous avez vu les récentes images de l’association L214, mais on y voit bien que l’utilisation de la pince électrique, pour étourdir les porcs, n’est pas conforme : soit l’intensité du courant n’est pas la bonne, soit la pince est obsolète, ou mal réglée, mal entretenue ou mal utilisée. Cela n’anesthésie pas le porc, qui devrait tomber tout de suite sans se rendre compte de rien.

Quand on reste deux heures sur l’animal, qu’il bouge dans tous les sens et qu’il essaie de fuir, c’est qu’il y a un problème. Cela arrive fréquemment avec ces pinces manuelles. Si elles ne sont pas efficaces, les animaux – et notamment les porcs – souffrent.

M. le président Olivier Falorni. Et l’utilisation du matador ?

M. Jean-Luc Daub. C’est pareil. J’ai pu revoir sur les vidéos de ce matin ce que j’avais déjà constaté dans les abattoirs, à savoir qu’il y a beaucoup de ratés et que l’animal bouge. Cela dépend aussi de la conception du piège, des cadences de l’abattoir, de la compétence de l’employé, de l’efficacité et du bon entretien du matériel. Une grande partie se joue sur l’entretien du matériel.

M. le président Olivier Falorni. Ainsi, la majorité de ces situations ne relève pas d’actes de maltraitance volontaires de salariés, mais de l’inadéquation du matériel pour étourdir et mettre à mot les animaux ?

M. Jean-Luc Daub. Les vidéos constituent une preuve tangible de l’obsolescence du matériel. Elles montrent un cheval qui a été étourdi à l’aide du pistolet matador. Mais elles montrent ensuite comment on peut utiliser la pince pour les cochons : si c’est pour faire avancer l’animal, juste pour s’amuser et le chatouiller un peu, c’est que l’employé fait quelque chose qu’il n’a pas le droit de faire.

M. le président Olivier Falorni. Je ne sais pas s’il faut qualifier ces cas de particuliers ou d’exceptionnels : c’est à vous de nous le dire. Mais estimez-vous, de façon générale, que l’étourdissement ne fonctionne pas ?

M. Jean-Luc Daub. J’estime que l’étourdissement, de façon générale, aurait dû être amélioré et perfectionné depuis longtemps. Cela fait des années qu’on utilise le pistolet matador. On n’est même pas sûr que l’animal ne ressente effectivement plus rien. Il en est de même des pinces électriques. Il y a vraiment un gros travail à faire sur les structures et les appareils d’étourdissement.

M. le président Olivier Falorni. Estimez-vous que le contrôle de l’étourdissement soit suffisant, notamment de la part de celui qui est chargé de procéder à la saignée ?

M. Jean-Luc Daub. Au poste d’étourdissement, on n’a pas forcément le temps de contrôler. L’employé fait son travail pour étourdir l’animal. Soit l’animal est groggy, soit il réagit encore. L’employé peut voir qu’il a raté son étourdissement, mais il n’y a pas de contrôle à chaque étourdissement. Ce n’est pas possible en raison des cadences de travail des abattoirs.

M. le président Olivier Falorni. Sur les services vétérinaires, vous avez été assez sévère.

M. Jean-Luc Daub. J’ai été modéré…

M. le président Olivier Falorni. Vous dites qu’ils ne se préoccupent pas du bien-être animal.

M. Jean-Luc Daub. C’est une simple constatation, pas une attaque personnelle, ni même une réaction de militant. D’ailleurs, je ne m’attaque à personne, ni aux employés d’abattoir, ni aux éleveurs, ni aux services vétérinaires.

J’ai vu que les services vétérinaires n’étaient pas toujours au poste d’abattage. Ils avaient d’autres préoccupations, à savoir l’aspect sanitaire et l’hygiène de la viande. À cette époque et encore maintenant, tous ces dérapages et toutes ces infractions s’expliquent par le fait que la protection animale n’est pas le souci majeur des services vétérinaires : ou ils n’ont pas les moyens de s’en occuper, ou ils ne sont pas assez nombreux, ou ils n’en ont pas la volonté ou c’est leur administration qui ne les y pousse pas… Quoi qu’il en soit, au cours de mes visites, il m’est arrivé d’assister à des infractions alors qu’un inspecteur vétérinaire se trouvait à côté de moi.

M. le président Olivier Falorni. Il y assistait sans réagir ?

M. Jean-Luc Daub. C’était le lot courant et cela fonctionnait ainsi. Parfois le vétérinaire m’expliquait que l’on n’avait pas d’autre moyen de procéder. Je me souviens avoir fait intervenir un inspecteur vétérinaire sur un marché aux bestiaux, pour faire euthanasier une vache qui s’était fracturé une patte sur un sol glissant – dans un marché aux bestiaux, les sols ne doivent pas être glissants. Selon la réglementation, la vache aurait dû être euthanasiée sur place. Un inspecteur vétérinaire du département est arrivé avec un technicien vétérinaire, mais ils ont fait en sorte de charger l’animal dans un camion pour le porter à l’abattoir le plus proche. Pour y parvenir, il a fallu le tirer au bout d’une chaîne, de très loin, passer des angles et des portes, ce qui l’a fait souffrir. Les services vétérinaires ont agi en totale infraction, sans prendre en compte le bien-être de l’animal, mais plutôt l’intérêt économique : en l’envoyant à l’abattoir coûte que coûte, on pouvait récupérer une partie de la viande de la carcasse. Or, selon la réglementation, si l’animal n’est pas transportable, il doit être euthanasié sur place. Et c’était bien le cas de cette vache, dont une des pattes ne tenait plus que par la peau et qui meuglait de douleur.

En abattoir, c’est la même chose. J’ai vu un cochon qui était par terre, en train d’agoniser et qui bavait. J’ai demandé à un inspecteur vétérinaire qui était avec moi s’il ne pouvait pas l’euthanasier pour abréger ses souffrances. Il m’a répondu que les cochons, souvent, se remettaient vite. Mais une demi-heure après, celui-ci est mort tout seul…

M. le président Olivier Falorni. Vous évoquez des bêtes découpées encore vivantes. C’est très grave. L’avez-vous vu fréquemment ?

M. Jean-Luc Daub. C’est ce qui se passe lorsque l’on n’attend pas la fin de la saignée – qui provoque la mort effective de l’animal – avant de commencer à découper les pattes. Cela arrive encore, comme on le voit sur les images de L214.

Je suis obligé de parler de ces vidéos, parce qu’elles dénoncent une réalité. Et heureusement qu’elles existent ! Elles prouvent que tout ne se passe pas comme sur une table d’opération et que, malgré la réglementation, les contrôles au niveau de la protection animale et les nombreux textes, les infractions et les cas de non-conformité sont monnaie courante.

M. le président Olivier Falorni. Que pensez-vous de la vidéosurveillance ?

M. Jean-Luc Daub. Ce ne peut être qu’une bonne chose. Dans le secteur du médico-social où je travaille désormais, nous avons aussi des vidéos. Elles ne m’empêchent pas de travailler. Mais si j’ai tendance à me laisser aller, par exemple à plaisanter avec les résidents, elles se rappellent à moi. Les vidéos permettent d’exercer une certaine surveillance, mais également de revenir en arrière en cas de situations critiquables.

En revanche, j’ai pu constater, en visionnant les auditions, que l’existence de vidéos pouvait poser problème à l’employé de l’abattoir. En effet, elles mettent toute la pression et toute la responsabilité sur ses épaules. Mais qui a la responsabilité de l’abattoir ? C’est le directeur, le PDG. Qui a la responsabilité de contrôler que le directeur s’occupe bien de l’abattoir ? Ce sont les services vétérinaires. L’employeur ne peut pas porter sur lui la responsabilité de tout.

Lorsqu’il y a des cadences excessives, l’employé n’a pas le temps de faire son travail de façon convenable. Il est soumis, au quotidien, à la pression de l’employeur. Il faut savoir que dans les grandes structures, il faut éviter les « trous » dans les abattages parce qu’il y a derrière 500, 1 000 ou 2 000 personnes qui attendent. Coûte que coûte, l’animal doit alimenter la chaîne.

M. le président Olivier Falorni. Êtes-vous retourné dans des abattoirs depuis 2009 ?

M. Jean-Luc Daub. Oui, j’y suis retourné.

Sur la route, par exemple, un automobiliste est responsable de sa conduite et de sa voiture. Pour autant, que penseriez-vous de gendarmes qui le regarderaient passer en état d’ébriété sans rien faire ? C’est un peu ce que j’ai vu dans les abattoirs. Les services vétérinaires ont la responsabilité de ce qui se passe dans les abattoirs pour ce qui touche à la protection animale et aux aspects sanitaires. Mais comment se fait-il que les situations que je dénonçais en 2009 dans mon livre existent encore en 2016, comme le prouve la vidéo que j’ai encore regardée ce matin ? Et qui contrôle le matériel et la mise en conformité ? Ce sont les services vétérinaires. Je ne dis pas qu’ils sont responsables de tout. Reste qu’ils ont un pouvoir de police et qu’ils devraient s’en servir.

M. William Dumas. À vous entendre, il n’y a rien de bien pour tuer les animaux ; donc, il ne faut pas manger de viande. C’est en tout cas ce que j’ai retenu de vos propos jusqu’à maintenant.

Vous avez parlé des images qui ont été prises à Pézenas, dans l’Hérault. Or la directrice de la DDPP – Direction départementale de protection des populations – a déclaré que cette vidéo, que l’on sort maintenant, avait été prise par la L214 il y a un certain temps déjà. De fait, la herse et bien d’autres choses qui y figurent n’existent plus depuis que l’abattoir s’est mis en conformité à la suite du contrôle général décidé par l’État.

Je connais l’abattoir du Vigan qui se trouve dans ma circonscription. J’y suis allé. Un employé a « foiré », il a été mis dehors. Mais il faut arrêter de dire que tout est négatif ! Il y a des choses faites, et bien faites. Moi qui suis sensible au bien-être animal, je peux vous dire que, dans ma région, il y a des éleveurs qui vendent en circuit court, et qui aiment leurs animaux. Lorsqu’ils amènent leurs vaches, leurs cochons ou leurs agneaux à l’abattoir, ils attendent qu’ils aient été abattus. Après qu’ils ont été conditionnés dans une salle attenante, ils repartent pour les vendre. Autrement dit, ils sont présents.

Qu’il y ait eu, qu’il y ait encore parfois des problèmes, je le sais. Mais je sais aussi qu’au Vigan, il a fallu prendre cinquante heures de vidéo pour trouver quatre minutes à critiquer. Cela signifie que tout n’est pas négatif dans les abattoirs. Comme partout, comme dans tous les métiers, il peut y avoir des gens, du matériel qui dysfonctionnent. Mais je pense que dans l’ensemble, le travail est bien fait. Et depuis, au Vigan, le matériel qui dysfonctionnait a été changé.

Bien sûr, tout peut arriver. Ce matin, alors que je prenais ma douche, un plomb a sauté et je me suis retrouvé dans le noir… C’est pareil dans un abattoir. Je vous invite à modérer vos propos. N’oubliez pas qu’il y a, derrière, des intérêts économiques, des éleveurs, des gens qui entretiennent le paysage et protègent d’environnement de nos Cévennes. Si demain il n’y a plus d’éleveurs, il n’y aura plus de gens pour se préoccuper l’environnement. Il y aura davantage de bien-être animal, mais il n’y aura plus personne ! Il faut aussi savoir ce que l’on veut.

Je suis d’accord pour que l’on prenne en compte le bien-être animal et que l’on applique des sanctions quand cela ne va pas. Mais ne me dites pas que les services vétérinaires ne vont pas, que le matériel ne va pas, etc. Trop c’est trop !

M. Jean-Luc Daub. Ce sont des faits. Je ne sais pas si L214 avait filmé cette dernière vidéo bien avant de la diffuser. En tout cas, qui a permis de mettre en place des contrôles dans les abattoirs ? Ce sont tout de même les associations qui se préoccupent du bien-être des animaux. Sinon, la situation ne changerait pas.

Maintenant, posons-nous cette question : qu’est-ce que le bien-être des animaux ? Si, ce matin, vous avez été incommodé sous la douche, vous n’avez pas souffert. Pour contre, même s’il n’y a eu que quatre minutes de mauvais traitements, c’est quatre minutes de trop pour les animaux !

M. William Dumas. Il peut y avoir des incidents de matériel.

M. Jean-Luc Daub. Bien sûr, mais il y a encore du matériel obsolète.

M. William Dumas. Votre voiture aussi peut tomber en panne.

M. Jean-Luc Daub. Mais la voiture, il faut l’entretenir…

M. William Dumas. Je peux vous répéter ce que la directrice de la DDPP de l’Hérault nous a répondu. Selon elle, les vidéos ont été prises avant qu’on ne change le matériel.

M. Jean-Luc Daub. Tant mieux. Mais qu’est-ce qui a permis de faire bouger les choses ? C’est le milieu associatif.

M. William Dumas. Sur le principe, je suis d’accord. Mais arrêtez de mettre systématiquement L214 en avant. Qu’ils retournent dans les abattoirs, maintenant que le matériel a été changé. Qu’ils arrêtent de ressortir des vidéos anciennes, maintenant que l’État a procédé à des contrôles. On met la parole de tout le monde en doute. Je trouve que c’est grave !

M. Jean-Luc Daub. Quand je visitais les abattoirs, je me suis fait agresser. On m’a dit que les images qui avaient été diffusées à cette époque à la télévision venaient de l’étranger. Or en France je voyais des choses pires qu’à l’étranger – sauf que ce n’était pas filmé… Et j’ai visité des abattoirs pendant suffisamment longtemps pour le savoir. Mais j’étais sérieux, correct, jamais agressif, jamais violent avec personne. Je ne suis pas venu pour embêter les professionnels…

M. William Dumas. Je ne suis pas agressif, je dis ce qui arrive…

M. Jean-Luc Daub. Il faut savoir aussi que, même en fonctionnant en conformité avec la réglementation, avec du matériel efficace, on n’arrivera jamais à assurer le bien-être des animaux dans les abattoirs. Le bien-être animal en abattoir, cela ne peut pas exister : jamais un animal ne songera à aller à l’abattoir pour son bien-être… On peut juste rendre la chose moins pire. L’expression souvent utilisée de « bien-être animal en abattoir » est donc un non-sens. Pour mon bien-être, je vais au sauna, à la piscine, courir… mais je ne vais pas à l’abattoir !

M. le président Olivier Falorni. Hier, j’ai demandé aux associations de protection animale si elles estimaient que la maltraitance était consubstantielle à l’abattoir. Vous-même, considérez-vous que, dans un abattoir, il y a forcément de la maltraitance parce que l’on y tue un animal ? A contrario, est-ce que vous considérez qu’il peut y avoir des abattoirs qui ne maltraitent pas les animaux ?

M. Jean-Luc Daub. La maltraitance ou le mal-être des animaux commence dès l’élevage, par l’élevage industriel ou intensif. Mais en abattoir, aucun animal ne peut être bien. La maltraitance est là, implicitement, même si on veut bien faire. Elle sera toujours là, tout simplement parce qu’un animal n’a pas envie de mourir. Il suffit d’observer son comportement. Même quand le matériel fonctionne correctement, même quand la réglementation est respectée, il faut regarder les animaux dans les yeux et essayer de les comprendre : ils sont en détresse.

Le box rotatif pour la contention des animaux, en abattage rituel comme en abattage classique, parfaitement conforme, est effrayant pour un bovin : des parois vont se rabattre sur lui de chaque côté ; avec une mentonnière, on va lui lever la tête ; ensuite, on va le retourner sur le dos. Et cela, c’est quand tout se passe bien : j’ai vu des box rotatifs inadaptés à la taille des animaux. Cela reste une source de souffrance pour l’animal, même si le matériel est conforme et la réglementation appliquée, et malgré tous les bons soins du personnel. On n’arrivera jamais à la souffrance zéro.

Mme Françoise Dubois. Vos propos m’ont interpellée, comme ceux de mon collègue William Dubois. Mais je serai peut-être un peu moins brutale…

Je voudrais savoir si les faits que vous dénoncez se retrouvent à chaque enquête. Dans ce cas-là, à quoi sert l’enquêteur ? Y a-t-il un suivi dans les abattoirs ? Avez-vous pu échanger avec le personnel, avec les salariés qui font les abattages, pour savoir comment ils avaient été formés et dans quelles conditions ils travaillaient – par exemple, des cadences parfois difficiles à tenir. Avez-vous pu discuter sur ce que vous aviez vu et observé ?

M. Jean-Luc Daub. Mes propos peuvent sembler négatifs. Mais je ne m’attaque à personne. Il y a des employés d’abattoirs, des directeurs, des membres des services vétérinaires ou des éleveurs qui font au mieux leur travail. Reste que la situation n’est pas facile pour eux : c’est un système particulier où la rentabilité, l’économie est prioritaire, et cela se fait au détriment du bien-être animal.

J’ai beaucoup discuté avec les directeurs, les services vétérinaires, les employés. Certains employés vivent mal leur travail. S’ils pouvaient faire autre chose, ils le feraient. Il y a aussi une souffrance du personnel.

Un inspecteur des services vétérinaires m’a dit clairement qu’il ne pouvait pas dresser de procès-verbal ou euthanasier tel animal à tel moment. Car il a toute une pression derrière lui : la filière ou l’éleveur qui viendra lui demander des comptes. Il ne peut pas faire autrement. De mon côté, je pense qu’il est difficile pour un inspecteur vétérinaire, vacataire dans un petit abattoir et propriétaire d’une clinique vétérinaire en milieu rural, de se montrer strict vis-à-vis de cet établissement au point d’en faire arrêter l’activité.

Mme Françoise Dubois. L’inspecteur vétérinaire est là pour contrôler les règles sanitaires. Est-il là aussi pour contrôler la façon dont les animaux sont traités ?

M. Jean-Luc Daub. C’est écrit dans les textes.

Mme Françoise Dubois. Mais il ne peut pas être partout…

M. Jean-Luc Daub. Il ne peut pas être partout s’il y a un problème d’effectifs. C’est d’ailleurs ce que l’on met en avant maintenant. Mais quand je visitais des abattoirs, ce n’était pas encore le cas : c’est seulement à partir de 2008 et jusqu’en 2012 que les effectifs ont baissé. Cela étant, il faut reconnaître que le travail des inspecteurs vétérinaires n’était pas facile non plus.

Vous m’avez également interrogé sur le résultat de mes enquêtes.

À la fin de mes visites d’abattoirs, je faisais un débriefing avec le directeur : tel point est conforme ; vous avez eu raison de faire cela, même si vous n’y étiez pas obligé ; votre piège peint en blanc, cela fait peur aux animaux… Il faut savoir qu’un piège doit toujours être brun ou d’une couleur sombre, sinon il ne va pas vouloir entrer. Et cela ne sert à rien de chercher à les pousser à coup de bâton électrique, parfois même sur les parties génitales. Au-delà de la structuration du matériel et de l’accueil des animaux, il y a de nombreux points auxquels on doit réfléchir.

Ensuite, je faisais des comptes rendus. L’association pour laquelle je travaillais écrivait à la direction des services vétérinaires, au directeur de l’abattoir, parfois même au ministère de l’agriculture. Pour autant, cela n’a pas beaucoup bougé. J’étais même franchement écœuré. C’est d’ailleurs, pour partie, en raison de cette inertie que j’ai abandonné ce travail.

Dans certains cas, on a pu améliorer la situation. On est venu en aide à des animaux. Mais franchement, à voir la situation actuelle, notre action n’a pas eu un grand impact.

Mme Sylviane Alaux. Nous l’avons constaté au cours de ces auditions, l’abattoir est un lieu de souffrance. La société est-elle prête à s’engager dans une révolution culturelle pour faire de ce lieu de souffrance un lieu où l’on souffre le moins possible ? N’oubliez pas que l’on s’appuie sur une véritable économie de marché.

Votre livre avait suscité beaucoup d’intérêt en 2009. Dans un article de Mediapart, un journaliste se félicitait d’« une enquête digne de la plus grande rigueur sociologique », et de votre « désir de comprendre le travail de ceux qui tuent les animaux pour nourrir les humains ». Je pourrais en citer d’autres.

Reste qu’on ne fera pas de nous tous des végétariens. On mange de la viande, mais on ne veut pas savoir ce qui se passe avant. On l’a constaté, l’abattoir est un lieu de souffrance pour les animaux. Mais l’élevage et le transport aussi.

Que pensez-vous des abattoirs mobiles ? Avez-vous le sentiment que cela peut réduire la souffrance animale tout en permettant à l’éleveur de vivre de son produit ?

J’ai trouvé votre livre très intéressant. Avez-vous publié par la suite – ou avez-vous envie de publier – des préconisations pour réduire la souffrance animale ? Mais il faut savoir qu’il faudra impérativement répondre à quatre priorités absolues : le bien-être animal, mais également le bien-être des salariés, la sécurité du consommateur et la préservation de l’environnement. On ne peut plus passer outre parce qu’ils doivent conditionner tout ce qui nous unit, nous qui ne sommes pas tous végétariens, au fait que l’animal peut, à un moment ou à un autre, devenir un produit.

M. Jean-Luc Daub. Je ne suis pas devenu végétarien du jour au lendemain, mais quand on regarde, à l’abattoir, les animaux dans les yeux, qu’on lit leur détresse, on comprend que c’est un grand massacre injuste – à mon époque, on tuait 700 cochons à l’heure, aujourd’hui sans doute davantage. Nous ne sommes pas obligés de manger autant de viande. Mais je ne suis pas là pour faire la guerre aux consommateurs qui mangent de la viande. Je n’ai de leçon à donner à personne ni à culpabiliser personne, juste à ouvrir les yeux, à éveiller les consciences et à montrer la réalité.

Les abattoirs mobiles seraient une bonne chose – même si on en revient toujours à la question centrale, qui est en débat dans la société, à savoir l’alimentation – et pour l’éleveur et pour l’animal. En effet, ils éviteraient à l’animal d’être transporté, déplacé vers un lieu qu’il ne connaît pas, et parqué à l’abattoir pendant une nuit – car maintenant, on fait arriver les animaux la veille. J’imagine mal ce que c’est de passer une nuit à l’abattoir pour un animal qui sent, notamment dans les traces d’urine de ses congénères, le stress, la détresse et la mort. Dans un abattoir, il y a des odeurs, des bruits métalliques, les hurlements du personnel et les cris des bêtes. L’animal ne comprend pas, c’est horrible. Quand on vous fait visiter un abattoir, on a l’impression que tout se passe bien, mais ce n’est pas si simple.

Cela étant, l’utilisation de ces abattoirs mobiles remettrait en question notre mode d’alimentation. Pour que le système fonctionne, il faudrait que l’on végétalise notre nourriture, c’est-à-dire que l’on mange moins de viande, voire pas du tout pour ceux qui le souhaitent ou en sont capables. En effet, on ne pourrait pas en produire autant avec des abattoirs mobiles.

M. Jean-Luc Bleunven. Vous avez parlé des animaux en état de gestation. Mais dans la mesure où ceux-ci représentent une valeur, je ne vois pas l’intérêt de les abattre. Est-ce fréquent, comme vous semblez le dire, ou anecdotique ?

Je voudrais ensuite vous interroger sur ce que l’on pourrait appeler « la culture de l’abattoir ». Je pense que l’abattoir est un lieu où, au fil du temps, on a pris des habitudes. Le seul fait de porter un autre regard, comme vous l’avez fait, vous exclut de cette culture : les animaux étant là pour être abattus, c’est une sorte de fatalité, il faut passer par ce stade, c’est ainsi. Est-il possible de trouver une porte de sortie ?

M. Jean-Luc Daub. De nombreux petits abattoirs ont fermé à cause des normes sanitaires européennes, et leur activité a été reprise par les grosses structures. Mais il est difficile de faire fonctionner différemment ce genre d’installation. Les abattoirs n’ont pas été mis en place pour faire du mal aux animaux, mais parce que l’on consomme de la viande. Le problème est que l’on entre ensuite dans un circuit économique de rentabilité, qu’il faut aller vite et que l’animal n’est plus considéré que comme un produit à valeur marchande. Voilà pourquoi il faut revenir en arrière et regarder les animaux dans les yeux. Qui sont-ils ? Que ressentent-ils ?

Il serait utile d’installer des vidéos dans les abattoirs. À ce propos, j’observe un phénomène curieux : certains, dans la filière, veulent bien des vidéos, mais ils pensent qu’il ne faut pas montrer l’abattage en lui-même pour ne pas choquer. Mais pourquoi ne regarderait-on pas l’abattage en face ? Pourquoi ne veut-on pas voir la réalité de ce que vivent les animaux ? On sait ce qu’est un animal vivant dans une ferme, on le retrouve en quartiers ou en morceaux dans l’assiette, mais entre ces deux phases, on ne veut pas trop savoir ce qui se passe.

On tourne toujours autour de la question de l’animal en lui-même. Le débat porte sur la conformité des abattoirs, la structure ou la formation du personnel. Mais il ne faut pas écarter l’animal et la perception que la société a de l’animal : ce qu’il vit, ce qu’il ressent, c’est important. Un seul animal qui souffre en abattoir, c’est toujours un animal de trop.

Ensuite, il est en effet interdit de faire partir à l’abattoir des animaux gravides ou sur le point de mettre bas. Les coches – terme professionnel pour les truies – sont souvent envoyées à l’abattoir parce que l’on n’a pas détecté qu’elles étaient gravides. Il arrive aussi que si, à la suite des inséminations, il y a davantage de coches porteuses de porcelets que de places en maternité, on fait abattre celles qui sont en trop. C’est le système industriel intensif, tourné vers la rentabilité, qui veut cela.

M. Jacques Lamblin. J’ai trois questions à vous poser.

Premièrement, vous avez raison de dire que l’on ne peut pas parler de bien-être animal à l’abattoir. Il serait plus approprié de parler de « souffrance évitable ». Donc, sous réserve que toutes les dispositions réglementaires sont respectées, que les équipements de la chaîne d’abattage sont conformes et en excellent état technique, peut-on abattre un animal sans qu’il ne souffre inutilement, voire sans souffrance ?

Deuxièmement, avez-vous vu des abattages rituels ? Qu’en pensez-vous ?

Troisièmement, on associe souvent les souffrances ou les actes de cruauté constatés à la pression de la cadence. Ce n’est peut-être pas aussi évident que cela. Vous qui avez visité un certain nombre d’abattoirs, avez-vous observé des actes non conformes liés à la pression de la cadence ? En fin de compte, la situation n’est-elle pas plus satisfaisante dans les établissements où le partage des tâches est très rationalisé, où chacun a son rôle dans la chaîne d’abattage ? Sous réserve que les règles soient respectées, n’est-ce pas mieux dans ces établissements à caractère industriel que dans les établissements artisanaux où le partage des tâches est plus empirique ?

M. Jean-Luc Daub. Ce n’est pas mieux d’avoir de très grosses structures. Les grandes usines, le travail industriel, les cadences ne peuvent pas être bonnes pour l’humain. L’humain aussi souffre dans ces structures. Et pour les animaux qui y entrent, c’est dramatique.

M. Jacques Lamblin. Je parle de l’acte d’abattage, dans une filière rationalisée, où chacun a sa fonction.

M. Jean-Luc Daub. C’est bien pour le fonctionnement de l’abattoir.

M. Jacques Lamblin. Je parle de l’abattage, du moment où l’animal souffre physiquement. Vous évoquez les souffrances psychiques ; c’est votre droit. Mais je vous pose une question précise, sur l’acte d’abattage lui-même.

M. Jean-Luc Daub. Les animaux qui alimentent les grands abattoirs proviennent d’élevages intensifs, industriels où déjà, ils ne sont pas bien. Une fois arrivés, ils sont exposés à la lumière du jour, alors qu’ils ne l’ont jamais été, ce qui les stresse. On fait en sorte de ne pas les abattre tout de suite pour les calmer, on les douche : les grands abattoirs sont mieux équipés, ils ont plus de moyens, et l’activité est plus sectorisée. Mais cela reste une épreuve pour les animaux.

J’ai vu beaucoup de coches blessées ou « mal-à-pied », c’est-à-dire incapables de marcher. Elles sont transportées dans des conditions difficiles pour elles. Quand elles arrivent à l’abattoir, elles sont prises en charge à part. Parfois, elles sont stockées dans un local et ne sont abattues qu’en fin de journée alors qu’elles peuvent être en état d’agonie. On les abat toutes ensemble parce qu’il ne faut pas souiller les chaînes d’abattage.

Le terme de « souffrance évitable » est effectivement le plus correct. On ne peut pas parler de bien-être animal en abattoir.

J’ai vu beaucoup d’abattages rituels, et j’ai été choqué comme beaucoup l’ont été. Mais j’ai été tout aussi choqué par les différents étourdissements auxquels j’ai assisté. On ne peut pas se focaliser sur l’abattage rituel et s’en prendre à une communauté sous prétexte qu’elle pratique ce type d’abattage rituel. Mais cela reste horrible : on doit retourner le bovin sur le dos en le faisant rentrer dans un box rotatif, une sorte de gros tambour de machine à laver. C’est effrayant : j’ai vu des bovins meugler, des taureaux costauds perdre leurs urines tellement ils avaient peur. On a institué l’étourdissement pour éviter toute souffrance inutile, pour le « bien-être » de l’animal. Pourquoi accepter de faire souffrir les animaux sans les étourdir ? Il est vrai que certains soutiennent que lorsqu’on n’étourdit pas les animaux et qu’on les saigne directement, ils souffrent moins.

M. Jacques Lamblin. Vous pensez que les animaux souffrent moins de ne pas être étourdis ?

M. Jean-Luc Daub. Ce sont les propos qui sont tenus pour justifier l’abattage sans étourdissement : les animaux souffrent moins et moins longtemps parce que le sang s’écoule plus rapidement, etc. Comme le cœur continue à battre, il joue son rôle de pompe, le sang sort très vite et l’animal s’évanouit.

Ou l’on pratique l’étourdissement pour éviter toute souffrance aux animaux, mais il faut l’améliorer. Ou l’on abat en égorgeant directement, si effectivement les animaux souffrent moins. Mais je ne la crois pas. J’ai vu des animaux agoniser pendant longtemps, bloqué dans le box rotatif, tant que leur sang se vidait et jusqu’à ce qu’ils s’évanouissent.

On suspend aussi des animaux avant la mort complète, c’est-à-dire avant la fin de la saignée – qui va causer la mort de l’animal. Il faut donc attendre, avant de les suspendre, que la saignée soit effective et complète.

Mme Annick Le Loch. Monsieur Daub, je n’ai pas lu votre livre, mais on vous sent très imprégné de ce que vous avez vécu pendant une dizaine d’années. Quel est le nom de l’association pour laquelle vous avez travaillé ?

Ensuite, à vous entendre, pendant ces années, vous avez visité les abattoirs de façon inopinée. Vous avez donc eu accès sans difficulté à tous les abattoirs du pays, en tant que membre de cette association. Dix ans, cela me semble extrêmement long, y compris pour vous qui, si j’ai bien compris, avez souffert de cette activité.

Vous avez visité des centaines d’abattoirs. Y en avait-il, parmi ceux-là, où la mise à mort était faite correctement, où les pièges, les matériels, les moyens d’anesthésie étaient aux normes, neufs, et où l’on faisait les investissements nécessaires ? Vous souvenez-vous de structures d’abattage conformes, où le bien-être animal ou du moins la moindre souffrance étaient pris en compte ?

Vous avez dit tout à l’heure qu’il était difficile de se rendre compte si un animal était effectivement bien anesthésié. Pour ma part, j’ai remarqué que dans certains abattoirs, la pince d’électronarcose était reliée à un ordinateur, qui indiquait si l’anesthésie avait été faite correctement ; et c’était le cas à 99,5 %. L’avez-vous vu également, au cours de vos nombreuses visites ?

Y a-t-il une différence entre les abattoirs industriels, les abattoirs publics, privés, mono-espèce, multi-espèces, etc. ? Une inspection générale nationale a été diligentée par le ministère il n’y a pas très longtemps, un état des lieux a été fait. Qu’est-ce que cela vous a inspiré ?

Enfin, je souhaitais vous poser une question sur l’abattage rituel pour savoir si les animaux souffraient plus ou moins. Mais vous avez déjà répondu.

M. Jean-Luc Daub. Je faisais effectivement mes visites de façon inopinée. Je travaillais pour l’OABA (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir), dont vous avez auditionné le directeur et le président. Et je précise que j’ai écrit mon livre après l’avoir quittée.

Je ne procédais pas à la légère. J’ai toujours été très sérieux, et je le suis encore maintenant, avec mon expérience, et une position qui peut sembler plus radicale. Mais on tourne toujours autour d’une même question : la nécessité de végétaliser l’alimentation, peut-être pas à 100 %, mais au maximum, pour limiter les impacts négatifs de la consommation de viande.

Je pouvais visiter des abattoirs à peu près partout en France. Je m’y rendais à quatre ou cinq heures du matin, suivant le plan de route que j’avais moi-même établi, et je venais me présenter. À l’époque, c’était très dur. Défendre la protection animale était mal vu, d’autant que sévissaient plusieurs crises : la crise de la vache folle, la crise de l’agriculture, etc.

Parfois, dans certaines structures, on ne me laissait pas rentrer ; c’était plutôt le fait de structures privées. Mais c’était assez rare, et j’ai donc eu accès à de nombreux abattoirs. Certains directeurs ne me connaissaient pas, peut-être parce qu’ils venaient de prendre leurs fonctions et n’avaient pas encore eu affaire à l’OABA.

J’ai vu aussi des abattoirs conformes, au niveau de l’abattage ou du matériel. Mais il n’est jamais arrivé que tout soit correct, à 100 %, entre le moment où les animaux quittaient leur élevage, arrivaient à l’abattoir et étaient abattus.

Par exemple, à un moment donné, à un certain endroit, un étourdissement peut être correct, avec l’utilisation d’une pince électrique très perfectionnée couplée à un boîtier, permettant de moduler la décharge de courant en fonction de l’animal. Mais souvent, les pinces sont mal réglées. Les directeurs et les techniciens en abattoir ne savent pas forcément comment faire, et ils ne sont pas toujours aidés quand ils téléphonent à ceux qui les ont vendues. Il faut jouer avec le courant électrique qui doit être radical, mais pas trop puissant non plus : sinon, l’animal ne se crispe et cela provoque des déchirements dans la carcasse, l’épaule et le jambon.

Un mauvais réglage entraîne des actes de cruauté et de souffrance : l’opération prend trop longtemps, l’animal lève encore la tête, hurle et la pince ne fait que lui envoyer des décharges électriques. J’ai pu le constater dans les derniers abattoirs que j’ai visités en Bretagne : les coches étaient crispées, la tête relevée. L’étourdissement n’était pas efficace. Cela fumait, même au niveau des cosses électriques. Cela leur brûlait la peau, c’était horrible.

Je ne veux pas attaquer les éleveurs, les professionnels des abattoirs, les services vétérinaires ou qui que ce soit. Mais je veux défendre et aider les animaux, parce que je suis témoin de leur souffrance et de leur détresse en abattoir.

Le problème des abattoirs multi-espèces, ce sont les cadences ou la rentabilité. On l’a vu à l’abattoir de Mauléon, s’agissant des moutons : c’est un petit abattoir qui s’est industrialisé. Il a pris plus de commandes qu’il ne pouvait en assurer. D’où certains agissements, de la part du personnel, qui n’avaient pas lieu d’être.

Moi aussi, dans le milieu médico-social en tant qu’éducateur, avec peu de moyens, peu de personnels, j’ai des difficultés avec les résidents handicapés. Je dois faire mon travail en temps et en heure. Pour autant, je ne m’en prends pas à eux et je ne leur tape pas dessus. Même si ma position est difficile, je prends sur moi.

C’est le système qui veut cela, quand tout doit aller vite, quand tout doit être rentable.

Mme Françoise Dubois. Qui vous mandate pour aller faire les enquêtes dans les abattoirs ? Vous avez beaucoup parlé du transport et du « stockage » des animaux avant abattage. Avez-vous fait un rapport sur ce sujet ? Car vous n’êtes pas là pour enquêter sur le transport des animaux, que vous ne voyez qu’à leur arrivée à l’abattoir.

M. Jean-Luc Daub. Qui nous mandate ? Parfois, c’étaient des membres du personnel des abattoirs ou des services vétérinaires qui téléphonaient pour nous dire ce qui s’y passait.

Mme Françoise Dubois. Avez-vous une carte ?

M. Jean-Luc Daub. J’en avais une. Je n’en ai plus, car je ne travaille plus pour l’association.

Cette association, au fil des années, s’était fait reconnaître dans les abattoirs, où elle avait fait un travail intéressant depuis ses débuts, en 1964. Maintenant, elle est moins tolérée dans les abattoirs. Elle n’en visite plus que 80 %, et encore sur rendez-vous, ce qui n’a plus rien à voir avec ce que je faisais. Parfois, on me laissait visiter, ou je me faisais oublier dans l’abattoir, et j’avais alors tout loisir d’observer de façon objective. Je n’étais pas un militant venu pour faire la guerre, mais pour voir ce qui se passait, et comment il était possible d’améliorer les choses. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait encore de la souffrance animale, y compris aujourd’hui, en 2016.

Je faisais également quelques enquêtes sur le transport, même si ce n’était pas notre domaine premier. Si un camion de porcs était garé en surpoids sur le parking, rempli de porcs, qui allaient alimenter des abattoirs industriels et qui se marchaient les uns sur les autres, avec quelques animaux déjà morts, je faisais intervenir les gendarmes.

Avec une autre association, qui s’occupe davantage des transports, j’ai également mené des enquêtes. Lors d’une des dernières, nous avons suivi des camions remplis de petits veaux de moins de huit jours, qui venaient d’Irlande pour alimenter le marché en élevage dans le Sud de la France ou en Espagne. Les chauffeurs ne respectaient pas les points d’arrêt pour faire reposer les veaux, les faire boire et manger : ils fonçaient… Mais ils présentaient des papiers déjà signés aux gendarmes, comme s’ils s’étaient arrêtés ! Il y a encore beaucoup à faire…

M. Hervé Pellois. Vous avez écrit que les animaux étaient tués dans les abattoirs dans l’indifférence générale. Nous nous interrogeons tous à propos de l’abattage rituel, qui est sans doute le plus impressionnant, le plus choquant. Or c’est justement là qu’il y a sans doute le moins d’indifférence, avec des observateurs, des sacrificateurs, un cérémonial. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Luc Daub. Cela se passe de la même façon pour l’abattage rituel, tel qu’il est fait actuellement. Car il est soumis à une certaine productivité. Certes, on prend davantage de temps avec l’animal, on dit quelques paroles saintes, il y a une petite cérémonie rapide pour que la viande soit conforme à l’alimentation halal ou casher. Mais il y a encore des box rotatifs trop grands pour certains animaux. On utilise des cordes pour les maintenir, on leur tourne la tête en leur mettant un bâton dans la bouche, on manipule plusieurs fois le box où ils tournent comme dans un tambour de machine à laver…

Il ne s’agit pas de faire du voyeurisme avec les vidéos. Mais si l’on accepte les vidéos et qu’on ne veut pas montrer l’abattage en lui-même, c’est qu’il y a encore dans la société quelque chose que l’on ne veut pas admettre, qu’on ne veut pas montrer pour éviter de choquer. Or c’est l’ultime passage de l’animal entre l’élevage et l’abattoir.

M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. On a évoqué avec de nombreux interlocuteurs la vidéo comme outil complémentaire, comme outil de contrôle. Mais qui regarde les images, et pourquoi faire ? La question est centrale. Je tiens à dire que l’abattage des animaux n’est pas le seul moment qu’il convient de contrôler, et qu’il n’est pas souhaitable de le montrer à un public non averti. Il y a tout de même dans la vie un certain nombre de choses qui, pour être regardées, méritent un peu de recul et de compétences.

Une saignée, même d’un animal parfaitement étourdi dans des conditions presque idéales, reste impressionnante pour quelqu’un qui n’y a jamais assisté. Encore une fois, je pense que ce serait un problème que de jeter de telles scènes à la vue d’un public totalement vierge. D’ailleurs, les abattoirs ont été faits pour que les gens ne voient pas ce qui se passe ; il ne faut pas l’oublier.

Nombre des choses que vous dénoncez sont liées à cette opacité. Vous parlez de la dureté du milieu. Mais le milieu qui n’est pas vu, qui n’est pas observé, qui ne se sent pas reconnu, qui se sent même mis en cause, se renferme forcément sur lui-même et génère cette sorte d’autoprotection : puisque vous ne voulez pas me voir, je ne veux pas me montrer.

Ne pensez-vous pas que l’on pourrait organiser la transparence, avec des associations, avec les élus locaux, sous une forme organisée, de façon régulière et constante ? Un regard extérieur ne vous semblerait-il pas bénéfique ? Cela limiterait le repli sur soi, cet effet de fermeture génératrice d’indifférence. On ouvrirait les abattoirs à un certain nombre de personnes, comme on l’a fait pour vous en tant que membre d’une association, mais en élargissant un peu la palette des personnes habilitées à savoir ce qui s’y passe et à partager avec les professionnels. Cela vous paraît-il une piste intéressante ?

M. Jean-Luc Daub. C’est intéressant. C’est ce que nous essayons déjà de faire au niveau des élevages, pour informer et montrer ce qui s’y passe. Il faudrait pouvoir le faire au niveau des abattoirs. Mais quel intérêt des abattoirs auraient-ils à ouvrir leurs portes ou à mettre des vitrines ? Il faut le faire, mais cela risquerait de faire chuter la consommation de la viande…

M. le rapporteur. Peut-être temporairement, on ne sait pas.

Je fais référence à ce qui se passe dans les centrales nucléaires, où ce n’est pas « portes ouvertes » tout le temps, mais où des organismes, des associations de protection de l’environnement et les professionnels se rencontrent et se connaissent, et finissent par échanger en confiance et à alimenter le progrès.

M. Jean-Luc Daub. Les visites guidées, c’est bien, mais…

M. le rapporteur. Je parle d’un organisme de contrôle que l’on constituerait et qui tous les mois, tous les trois ou six mois, irait voir, discuterait et ferait le point.

Enfin, vous avez beaucoup parlé du contrôle et de ses lacunes. Ne pensez-vous pas que la proximité du contrôleur de l’outil qu’il contrôle est un handicap ? Je m’explique. Il est souvent utile d’avoir un certain recul par rapport à ce que l’on contrôle. Vous avez parlé du dilemme des vétérinaires dont l’abattoir assure une part de l’activité. Vous avez cité les contrôleurs qui travaillent dans le même abattoir depuis très longtemps et qui, de ce fait, sont dans la logique de l’établissement. Est-ce qu’il ne faudrait pas introduire une plus grande distance, faire venir quelqu’un d’extérieur, qui serait moins lié au système qu’il est chargé de contrôler ?

M. Jean-Luc Daub. Effectivement, il vaudrait beaucoup mieux qu’une personne extérieure à l’abattoir effectue ces contrôles et ces visites. C’est ce que je faisais. Mais parfois, mes visites d’abattoir étaient mal perçues parce que je contrôlais le travail de personnes qui elles-mêmes étaient déjà censées procéder à des contrôles.

Il y a bien des contrôleurs en permanence à l’abattoir pour s’assurer de l’hygiène et de la qualité sanitaire des viandes. Pourquoi n’y en aurait-il pas aussi pour s’assurer du respect de la protection animale ? On n’est pas obligé de rester tout le temps devant le poste d’abattage. D’ailleurs, la protection animale ne commence pas au poste d’abattage, mais au pied du camion, au déchargement – quai de déchargement, stockage des animaux, chemins d’amenée. Il ne faut pas se focaliser sur le poste d’abattage.

M. le rapporteur. Je parlais du contrôle des services de l’État, du contrôle vétérinaire. Le fait que ces contrôleurs soient affectés toujours aux mêmes établissements ne crée-t-il pas chez eux une certaine habitude ? S’ils allaient visiter un établissement qu’ils n’ont jamais vu, ils auraient l’œil plus aguerri, plus aigu pour voir ce qui va et ce qui ne va pas. Ne faudrait-il pas faire venir des contrôleurs de plus loin, pour changer leur regard, notamment sur les questions liées au bien-être animal ?

M. Jean-Luc Daub. C’est vrai qu’il faut différencier ses expériences, aller voir ce qui se passe ailleurs, s’informer, se former, échanger. Sinon, on prend des habitudes.

Sur les vidéos que j’ai vues, les chevaux qui ne veulent pas aller dans le piège de contention sont tirés à l’aide d’un câble ou d’une chaîne. C’est horrible. Si le cheval ne veut pas y aller, c’est qu’il y a une raison. Il ne faut pas le forcer, en tout cas comme cela. Mais il est facile d’y remédier : un seul contrôle suffit pour constater que le chemin d’amenée n’est pas conforme, qu’il y a trop de lumière, trop de bruit, que le cheval voit tout ce qui se passe dans le local d’abattage, avec d’autres animaux suspendus, qu’il y a trop de sang, etc. On fait un compte rendu et après on agit en conséquence.

M. le président Olivier Falorni. Merci, monsieur Daub pour votre témoignage et vos réponses.

La séance est levée à dix heures trente.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Réunion du jeudi 30 juin 2016 à 9 heures

Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Yves Caullet, Mme Françoise Dubois, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, M. Jacques Lamblin, Mme Annick Le Loch, M. Hervé Pellois

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Thierry Lazaro, M. Arnaud Viala, Mme Paola Zanetti