Accueil > Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mardi 15 septembre 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Alain FAURÉ, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Cavagné, président de la Fédération nationale des travaux publics, et de M. Alain Piquet, vice-président de la Fédération française du bâtiment

L’audition débute à seize heures quarante.

M. le président Alain Fauré. Je souhaite la bienvenue à M. Bruno Cavagné, président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), et à M. Alain Piquet, vice-président de la Fédération française du bâtiment (FFB).

Messieurs, vous êtes accompagnés respectivement par M. Julien Guez, directeur général de la FNTP, et M. Jean-Christophe Angenault, directeur de cabinet ; et par M. Séverin Abbatucci, directeur des relations juridiques de la FFB, et M. Benoît Vantsavel, directeur des relations institutionnelles.

Les entreprises de bâtiment ou de travaux publics travaillent avec les collectivités territoriales et une part importante de leur chiffre d’affaires dépend de la commande publique en général, et des décisions d’investissement des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en particulier. Les adhérents de vos fédérations respectives sont donc particulièrement concernés par les décisions que prennent les collectivités pour préserver leur situation financière, dans un contexte marqué par la baisse des dotations de l’État – même si les problématiques ne sont pas totalement superposables entre le secteur du bâtiment et celui des travaux publics.

Nous avons donc souhaité aller au-delà des déclarations qui ont pu être faites dans la presse ces derniers jours ou ces dernières semaines, et recueillir directement les témoignages de deux secteurs dont l’importance pour l’économie nationale n’est plus à démontrer, en termes d’activité et d’emploi. Comment vivez-vous l’ajustement des budgets locaux à la baisse des dotations de l’État ? Voyez-vous l’investissement local plonger malgré les récentes annonces du Gouvernement ? Voyez-vous déjà un effet sur vos effectifs ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande maintenant de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Bruno Cavagné et M. Alain Piquet prêtent serment.)

M. Bruno Cavagné, président de la Fédération nationale des travaux publics. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer en ces lieux il y a quelques mois à propos de l’écotaxe et de son impact sur les travaux publics. Aujourd’hui, nous vivons un nouvel épisode qui aura à l’évidence des répercussions sur nos entreprises. Je veux évidemment parler de la baisse des dotations aux collectivités locales, dont les effets seront dévastateurs sur l’investissement public, l’économie et la vie de nos concitoyens.

En France, les travaux publics d’infrastructures sont réalisés par 8 000 entreprises de toutes tailles, et 270 000 salariés – contre 300 000 il y a encore peu de temps. Vous connaissez sans doute les plus importantes de ces entreprises, mais vous ne savez peut-être pas qu’elles sont présentes sur l’ensemble du territoire et que 80 % d’entre elles emploient moins de vingt salariés. C’est un atout, dans la mesure où nous contribuons ainsi à l’aménagement du territoire. Mais c’est aussi un gros handicap : à la différence de ce qui se passe pour les usines, quand nos petites entreprises perdent des salariés, on en parle assez peu. Par ailleurs, 70 % des 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisés en France dépendent de la commande publique. Nos principaux clients sont les collectivités locales. Autant dire que, dès que l’on touche aux collectivités locales, on touche au secteur des travaux publics.

C’est un secteur en crise, et durablement en crise. Ses premières difficultés datent de 2008. On pouvait espérer une relance, puisque, depuis la nuit des temps, nos métiers sont cycliques. Or ce ne fut pas le cas.

En outre, cette baisse des dotations – 12,5 milliards à l’horizon 2017 et 28 milliards cumulés sur quatre ans – intervient au plus mauvais moment, alors même que l’Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF), qui participe au budget des contrats de plan État-région ainsi qu’au bloc communal, voit son budget contraint. M. Christian Eckert, que j’ai rencontré au mois de juillet, a été incapable de me donner des précisions sur ce point, se contentant de m’indiquer que « ce devrait être à peu près la même chose ». Mais qu’est-ce que cela signifie ? 1,7 milliard, 1,8 milliard, 1,9 milliard ? Il n’y a pas si longtemps, dans son rapport Mobilité 21, M. Philippe Duron préconisait de porter le budget de l’AFITF à 2,2 milliards, puis à 2,5 milliards. Encore cela ne permettait-il pas de financer les grands projets ! On peut donc se demander si le Gouvernement ne souffre pas de schizophrénie : il multiplie les annonces sur les grands projets, comme le canal Seine-Nord, mais, en même temps, il ferme tous les robinets de la commande publique !

Je ne défends pas ici que les intérêts de mon secteur : je défends ceux de notre pays, et son économie. Or, on le voit, nous sommes en très grande difficulté. En matière d’infrastructures, tous les indicateurs sont au rouge : dans le domaine de l’eau, 25 % de la ressource part dans la nature ; les coupures d’électricité sont de plus en plus nombreuses, année après année ; pour les routes nationales, l’investissement a baissé de 50 % en cinq ans ; chaque jour, faute d’entretien, on ferme un pont, dans les campagnes, mais aussi dans les villes, comme récemment à Narbonne.

La France, qui semble très bien équipée, baisse dans les classements internationaux. Elle est ainsi passée de la quatrième à la dixième place entre 2008 et 2015. En matière d’équipements portuaires, elle est passée de la dixième à la trente-deuxième place et, en matière d’équipement aéroportuaire, de la cinquième à la dix-septième place.

M. le président Alain Fauré. D’où tenez-vous ces précisions ? Quelles sont vos références ?

M. Bruno Cavagné. Ce sont les chiffres du Forum économique mondial.

Face à cette situation, pour éviter que le pays ne s’enfonce dans une crise qui nuirait à la compétitivité des territoires, la FNTP demande que soient prises des mesures d’urgence. Nous devons renoncer à l’idée que notre pays est très bien équipé et qu’on continue d’entretenir ses infrastructures. L’exemple des autoroutes n’est pas significatif, car, je le rappelle, elles sont concédées – notre profession retrouvera d’ailleurs peut-être un peu d’oxygène grâce au plan de relance des autoroutes.

J’ai sollicité en vain le Président de la République pour obtenir un étalement de trois à cinq ans de la baisse des dotations. Cela aurait donné un peu de marge de manœuvre aux collectivités locales, qui auraient pu continuer à investir et à soutenir un secteur en grande difficulté. Je continue d’ailleurs à demander cet étalement.

Il est question de créer un fonds d’investissement. Le Premier ministre en a parlé au mois de mai ; le sujet est revenu sur le devant de la scène au mois de septembre, et le Président de la République l’a évoqué hier. Je fais confiance à l’Assemblée nationale pour éclairer le propos du Président de la République : on ne sait si ce fonds sera doté de 1 milliard, si 500 millions iront aux territoires ruraux, si les travaux publics seront concernés – nous espérons bien qu’ils le seront de manière prépondérante, puisque, je le rappelle, ils dépendent à 70 % de la commande publique.

Nous avions également demandé, l’année dernière, un Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) « version 2009 ». Cela ne nous a pas été accordé, et l’on s’est dirigé vers un FCTVA préfinancé par la Caisse des dépôts. Nous souhaiterions au minimum que l’assiette soit élargie aux dépenses de grosses réparations, et que le délai soit allongé. En effet, quand on interroge les élus locaux, on voit bien que la mesure n’a pas encore porté tous ses fruits, tant s’en faut.

Enfin, nous demandons que les centimes additionnels du diesel soient définitivement fléchés sur le budget de l’AFITF. En effet, nous ne pouvons plus compter sur l’écotaxe, ce qui représente près de 1 milliard d’euros de manque à gagner par an. Si une telle décision n’est pas prise, nous devrons renégocier tous les ans le budget de l’AFITF – ce qui nous prive de toute visibilité sur les infrastructures.

Nous ne sommes pas que des constructeurs d’infrastructures : nous sommes aussi des créateurs de croissance. Mettre les travaux publics et les infrastructures à mal ne pourra que pénaliser la croissance du pays à moyen et long terme.

M. Alain Piquet, vice-président de la Fédération française du bâtiment (FFB). Notre activité a récemment été affectée par plusieurs facteurs : les 11 milliards d’euros d’économies demandés aux collectivités locales, les dernières élections municipales de 2014 – dont les conséquences peuvent s’étaler sur un an ou deux –, et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) qui a tétanisé certains élus.

Le chiffre d’affaires du secteur du bâtiment se monte en France à 124 milliards d’euros, que j’arrondirai à 120 pour la clarté de la démonstration. Ces 120 milliards se divisent en trois tiers de 40 milliards. Les premiers 40 milliards sont opérés par 300 000 entreprises, de zéro à 11 salariés ; les suivants par 19 400 entreprises de 11 à 50 salariés ; les derniers par 1 600 entreprises de 51 salariés et plus. On peut diviser ce dernier tiers en deux : 20 milliards opérés par 1 400 entreprises de 51 à 200 salariés ; et 20 milliards par 200 entreprises employant plus de 200 salariés.

Les salariés se répartissent de la façon suivante : 430 000 sur le premier tiers de zéro à 11 salariés ; 360 000 salariés sur le deuxième tiers, de 11 à 50 salariés ; et enfin 300 000 sur le reste, qui se répartissent, là encore, à parts égales. On retrouve, à la FNB, le grand écart qui existe entre un grand nombre d’artisans, et les majors.

Quelles sont les conséquences de la baisse des dotations ? En 2014, la commande publique des collectivités territoriales représentait 20 % de notre activité. Elle occupe donc 240 000 de nos 1 200 000 salariés, intérimaires compris. La même année, le bâtiment a perdu 9 à 10 % de l’activité en commande publique, soit à peu près 20 000 salariés. Après quelques ajustements, on peut dire que, sur les 30 000 salariés que le bâtiment a perdus l’année dernière, la moitié, soit 15 000, s’explique par la baisse de la commande publique. En outre, si l’on se fonde sur des projections réalisées à la fin mai, il semble que la commande publique perdra à nouveau entre 8 à 13 % de son volume cette année. Or le privé ne prend pas le relais. Voilà pourquoi nous craignons que la perte passe de 30 000 à 45 000 salariés. Ces éléments statistiques nous sont fournis par des cellules économiques auxquelles l’État contribue.

En termes de commande publique, on peut faire une distinction entre les différents donneurs d’ordre : les syndicats (SIVOM) en représentent 12 % ; le groupe communal 48 % ; les communautés de communes et d’agglomération 19 % ; les départements 15 % et les régions 6 %.

À l’échelle de la région Basse-Normandie – je préside sa fédération régionale du bâtiment –, la commande publique représente 17 à 19 % ; mais, dans la Manche, on s’approche des 28 %. Parfois – dans l’Aveyron par exemple –, c’est 40 % de l’activité du bâtiment qui relève de la commande publique. Cela signifie que, dans les départements ruraux, vous portez une bonne part de l’activité du bâtiment. Nos entreprises sont à la maille du territoire. Il est donc fondamental que, dans la réforme territoriale, le soutien à l’activité ne porte pas exclusivement sur les capitales.

M. le président Alain Fauré. Ces propos introductifs interpellent fortement, de par les quantités, le nombre de salariés et le chiffre d’affaires de chacune des activités.

Vous nous avez fait remarquer que les incertitudes législatives ne favorisaient pas la prise de décision, et il est exact que, depuis 2009, entre les réformes de la taxe professionnelle, celles des conseillers territoriaux et bien d’autres, certains peuvent s’interroger sur l’intérêt de se lancer dans des investissements.

Vous avez souligné le déséquilibre existant entre les commandes publiques et privées, qui pose en effet problème. À l’avenir, il faudra veiller à corriger la situation. Il serait intéressant que vous nous en parliez.

Vous avez évoqué les difficultés des départements plus ruraux, et remarqué qu’un grand nombre d’entreprises était géré par des petites entités. Pour être un élu des territoires ruraux, j’observe que, depuis une quinzaine d’années, nombre de ces petites entités ont été absorbées dans de grandes sociétés.

À partir de quel moment avez-vous constaté une baisse de la commande publique ? Les élections locales, qui sont source d’incertitudes, peuvent ralentir, voire paralyser les projets d’investissements – sans oublier les quelques changements d’ordre politique qui ont eu lieu sur les territoires.

Depuis 1983, la politique de décentralisation s’est traduite par l’ouverture de très nombreux chantiers à travers le pays, qui s’est alors trouvé, pour un temps, à la troisième ou quatrième place en matière d’équipements. Certains considéraient qu’on en faisait trop. D’autres considèrent aujourd’hui que ce n’est plus suffisant. Quoi qu’il en soit, comme l’a montré La Fontaine dans « La cigale et la fourmi », il y a des moments où il faut savoir mettre de l’argent de côté non seulement pour investir, mais aussi pour faire face à des moments difficiles.

Enfin, il faut prendre en compte la multiplication des normes. Les retours sur investissement, notamment dans le domaine énergétique, prennent du temps. Celui qui peut espérer faire des économies va d’abord devoir investir à un coût plus élevé. C’est ainsi que, dans mon département, 30 % des dépenses de construction d’un pont étaient liées à des études d’ordre environnemental : il s’agissait de vérifier si les têtards à tête creuse ou les canards à trois pattes pourraient continuer à vivre sur le territoire… Cela dit, il ne faut pas plaisanter en matière d’environnement, car nous payons aujourd’hui nos aberrations du passé.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Vous le savez, c’est le groupe auquel j’appartiens qui a demandé la création de notre commission d’enquête : il nous semblait que l’on n’avait pas étudié sérieusement les conséquences de la baisse des dotations – baisse brutale, difficile à absorber, et d’ailleurs dénoncée par les associations d’élus et tous les acteurs qui travaillent avec les collectivités territoriales, et en particulier avec le bloc communal.

Comme l’a dit notre président, la question des baisses de dotations, et surtout celle de la raréfaction des ressources des collectivités locales, n’est pas nouvelle. Il m’est arrivé, à un congrès régional des travaux publics, de dire sous forme de boutade que, s’il n’y avait plus de TP (taxe professionnelle), il n’y aurait plus de TP (travaux publics) ! Il me semble que c’est à ce moment-là qu’a commencé la raréfaction des ressources des collectivités locales.

À l’occasion d’une question au Gouvernement, j’ai dit que, avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), les entreprises de travaux publics allaient pouvoir « mourir guéries » : elles retrouveraient un peu de ressources, mais pas de carnet de commandes… Tout compte fait, le CICE accordé aux entreprises de travaux publics ne pourrait-il pas aussi bien être donné aux collectivités pour leur permettre de faire des travaux ? Ce n’était qu’un aparté pour vous faire comprendre la philosophie qui m’anime.

Vous n’avez rien dit sur la légitimité – ou le manque de légitimité – de la baisse des dotations aux collectivités territoriales, et de l’effort de redressement qui est demandé à celles-ci, et vous avez eu raison, puisque c’est d’abord au Parlement de discuter de cette légitimité. Nous aurions toutefois besoin d’un certain nombre d’éléments. Vous avez avancé des chiffres, qu’il faut évidemment documenter. Vos organisations ont l’avantage d’avoir des représentants sur tous nos territoires. Vous pourriez donc nous fournir des exemples concrets et précis. Moi-même, sur mon territoire, je sais quelles sont les entreprises qui souffrent et sont aujourd’hui victimes de la baisse de la commande publique – particulièrement du bloc communal. Dans les départements ruraux, les petites entreprises du bâtiment qui ne font pas partie des grands groupes se trouvent directement affectées. Il faut dire que ces groupes viennent sur des marchés qui ne les intéressaient pas il y a quelques années, et coupent l’herbe sous le pied aux petites entreprises.

Nous avons également besoin d’apprécier les conséquences de cette baisse en termes d’emplois. Très récemment, sur France Info, j’ai entendu le président de la FFB parler de 45 000 emplois perdus dans le bâtiment. M. Cavagné, de son côté, les a évalués à 40 000 dans les travaux publics. Pouvez nous dire, combien cela coûte en termes d’allocations chômage ? Je pense qu’il s’agit d’environ 1,5 milliard. Il est un peu incongru de dire que l’on va baisser la commande publique, si cela doit générer, d’un autre côté, de nouveaux coûts, qui ne sont pas comptabilisés aujourd’hui…

M. Bruno Cavagné. On peut effectivement estimer ce coût à 1,5 milliard.

M. le rapporteur. Nous aimerions enfin savoir quelles seront les conséquences de cette baisse sur vos organisations. La FFB regroupe des centaines de milliers d’artisans. Parmi celles qui tombent, combien sont des entreprises unipersonnelles ?

M. Bruno Cavagné. L’aménagement du territoire ne doit pas être un vain mot. Si nous ne voulons pas, demain, d’une France à deux vitesses, il faut dès aujourd’hui aider les départements ruraux qui font la richesse de la France – alors qu’on insiste beaucoup sur les métropoles – et où sont installées nombre de nos petites entreprises.

Vous nous avez demandé quand nous avions senti les effets de l’ajustement des budgets locaux. Déjà, en 2008, nous avions observé une baisse des effectifs, laquelle s’est accélérée à partir de 2013. Cela nous inquiète énormément. La baisse des dotations se profile, et nous avons déjà perdu 30 000 emplois. En outre, nous savons que 2016 sera l’année de la fin des grands projets.

À propos des grands projets, je ferai une remarque. Lorsque nous avons construit la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, dont le chantier va se terminer en 2016, nous sommes allés très loin en matière d’écologie, en veillant à la protection de nombreuses espèces. Nous sommes tous d’accord pour faire du développement durable. Néanmoins, je considère qu’il faut placer le curseur au bon endroit, et ne pas devoir mettre des personnes au chômage parce que l’on a décidé de protéger des chauves-souris en leur aménageant des aires d’envol, comme ce fut alors le cas !

On sait donc que l’année 2016 sera extrêmement compliquée. Et toutes les élections passées ou à venir ne peuvent qu’aggraver la situation : d’abord les élections municipales et départementales – où nous avons élu des conseillers dont on ne connaît pas exactement les compétences ; ensuite les prochaines élections régionales et présidentielles. Les élus ne savent plus quoi faire…

La réunion de ces facteurs aboutit aujourd’hui à une réelle baisse de l’activité. Vous avez dit qu’il fallait que tout le monde fasse des efforts, car le budget de notre pays s’avérait pour le moins « compliqué ». Je suis tout à fait d’accord. C’est bien pour cela que j’avais demandé que l’on étale les baisses de dotations sur cinq ans et non trois. Les collectivités auraient pris acte de ces baisses, mais auraient pu continuer à investir et les entreprises auraient su à quoi s’en tenir. C’est de la visibilité que je demande au Gouvernement. Nous avons besoin de savoir ce qu’il veut. Hier, nous faisions 40 milliards. Si, demain, nous ne devons plus en faire que 30, nous nous adapterons. Mais dites-le-nous ! Donnez-nous vos priorités ! Qu’on ne change pas la règle tous les ans !

Nos entreprises ont gardé de l’emploi, notamment les PME, en se disant que la situation allait s’améliorer. Mais ce n’est pas le cas et, cette année, nous allons perdre de 10 000 à 15 000 salariés supplémentaires. Certaines de nos entreprises sont au fond du ruisseau. J’étais ce matin au conseil d’administration de BTP Banque et j’ai consulté des documents – sur les trésoreries et les défaillances d’entreprises – qui font froid dans le dos. Dans le secteur des travaux publics, en tout cas, les gens ne voient pas comment la situation pourrait s’arranger dans les deux prochaines années. Ils ne croient pas au miracle et ne se font pas d’illusions.

La première fois que j’ai rencontré Emmanuel Macron, je lui ai dit qu’il fallait en finir avec les effets d’annonce. Tant qu’on se contentera de prendre un milliard à droite pour le mettre à gauche et que, en fin de compte, il ne restera que 500 millions d’euros, on ne s’en sortira pas. Notre profession demande la vérité. Elle ne réclame pas de faire demain 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires, mais elle veut savoir à quoi s’attendre. Le rôle de l’Assemblée nationale n’est-il pas aussi est de mettre la pression sur le Gouvernement pour l’amener à nous le dire ?

J’en viens au CICE et à la baisse des charges. Sur ce sujet, le MEDEF – dont je fais partie – ne tiendrait sans doute pas le même discours que moi. Mais, en tant que président de la FNTP, ce qui m’intéresse, ce sont les travaux. Or à quoi bon une baisse des charges si je n’ai plus de travaux à réaliser ? Donnez-nous du boulot et, ensuite, éventuellement, baissez-nous les charges !

Enfin, j’ai entendu le Président de la République annoncer qu’il allait baisser de 2 milliards d’euros les impôts d’une certaine catégorie de Français. C’est un choix politique que je ne partage pas, car ces 2 milliards d’euros vont être éparpillés. Les salariés des travaux publics préféreraient que l’on consacre cette somme à préserver leur emploi, plutôt qu’à baisser leurs impôts – que la plupart ne paient d’ailleurs pas, en raison des difficultés rencontrées par notre secteur. Nous avons besoin de visibilité. Malheureusement, aujourd’hui, notre profession ne sait pas où elle va.

M. Alain Piquet. C’est en 2014 que nous avons senti que la commande publique était défaillante. Jusqu’alors, elle avait eu un effet contracyclique. Or cet effet ne s’est pas produit en 2014. La commande publique pure doit intervenir en complément ou en ajustement du reste. C’est-à-dire que, si vous avez des volontés fortes, c’est au public de les soutenir. S’il ne peut pas les soutenir, il faut qu’il les transfère éventuellement au privé. Le premier semestre 2014 a été correct – du moins pour ma région de Basse-Normandie –, mais le second semestre a été catastrophique. Et nous avons dévissé en même temps que les travaux publics, à peu près sur les mêmes pentes. Il est clair que nous n’avons pas bénéficié de l’effet contracyclique. La commande privée continue à chuter et le public ne prend pas le relais.

Depuis quelques années, la chute de la production de logements a pesé sur l’activité du bâtiment. Dans ma région, nous sommes passés d’une production annuelle de 11 000 à 5 000 logements l’année dernière. Celle des logements individuels a chuté de 45 % dans le même temps. Au début de la crise, en 2009, ce sont les toutes petites entreprises qui travaillaient pour le logement individuel qui ont été affectées et se sont effondrées.

Pour nous, le bloc communal et les communautés d’agglomération pèsent 48 à 50 %. Encore une fois, sur les territoires ruraux, nos entreprises ont besoin de vous.

Monsieur le président, je ne suis pas d’accord avec vous : pour une bonne part, les entreprises de bâtiment ne sont pas intégrées dans les grands groupes.

M. le président Alain Fauré. Je n’ai pas parlé du secteur du bâtiment, mais de celui des travaux publics, surtout pour les entreprises de 10 salariés et plus.

M. Alain Piquet. Je vous prie de m’excuser. Il faut dire que, lorsqu’on parle du BTP, on a tendance à confondre « bâtiment » ou « bâtiment et travaux publics ».

Pour nous, il est fondamental que la commande privée et la commande publique viennent en appoint l’une de l’autre. Certaines dispositions ont perturbé acquéreurs et investisseurs. Dans ma région, nous avons perdu la moitié de la production. Pour s’en remettre, il faudrait pouvoir se reporter sur la commande publique.

Heureusement, nous étions sur la fin du contrat de plan État-région. Un contrat de plan commençant par les études et finissant par les consommations, nous avons continué à consommer des opérations qui se terminaient, ce qui a compensé, pour une part, la perte de volume des commandes publiques. Mais aujourd’hui, le CPER 2014 est terminé, les travaux sont achevés, et le privé n’a pas pris le relais. Cela explique l’effondrement.

Pour 2016, nous avons un espoir. A priori, la réservation, tant pour l’accession que pour l’investisseur privé, repart. Il semblerait que nous ayons atteint 15 % de réservation supplémentaire. Et 15 % de pas grand-chose, c’est tout de même quelque chose… Cela signifie que, en termes de production de logements, nous avons arrêté de descendre, ce qui est fondamental pour nos entreprises. En effet, le niveau de prix a chuté, la rentabilité s’est effondrée. Les trésoreries de nos entreprises sont affaiblies. Le système bancaire – notamment la Banque de France – nous le dit. Si nos entrepreneurs savent que, demain, nous allons récupérer un peu de volume, nous pourrons cesser de pratiquer ces prix stupides.

Le CICE constitue pour nous un réel appoint sur deux plans : l’affichage du résultat et la récupération de trésorerie. C’est un peu primaire, mais il faut savoir que certaines de nos entreprises sont en état de survie.

M. le président Alain Fauré. Vous avez souligné l’intérêt de la commande publique et remarqué que, de 2008 à aujourd’hui, votre situation s’était dégradée. Cela dit, au cours de cette même période, notre dette s’est accrue de 600 milliards d’euros. Était-il raisonnable de continuer sur cette voie ?

Une autre question s’adresse plutôt à la FNTP. De nombreux travaux ont été réalisés sur notre territoire, notamment la construction de zones d’activités. Tout y est : les abords goudronnés, l’électricité, etc. Mais il y manque l’essentiel : les entreprises ! Est-il raisonnable de continuer à construire de telles zones ?

Ne faut-il pas orienter différemment nos dépenses ? Je pense notamment aux nombreux ponts de notre pays. Comme la plupart sont plus que centenaires, vous aurez du travail dans les années à venir. Mais bien sûr, la France est vaste, et l’État n’est pas derrière toutes les collectivités pour les inciter à réorienter leurs dépenses.

J’en viens à la cadence des décisions. Vous avez touché un point sensible. Le nombre des structures – régions, État, etc. – complique la donne, et il est exact que les contrats territoriaux et les CPER posent des problèmes.

Enfin, monsieur Cavagné a évoqué la baisse d’impôts de 2 milliards d’euros qui vient d’être décidée. Il faut la mettre en parallèle avec les 70 milliards d’euros d’augmentation d’impôts qui ont eu lieu sur les six dernières années, du fait de la majorité précédente. La majorité actuelle a dû rétablir les comptes. Pour que les entreprises puissent bénéficier de taux d’intérêt intéressants, il convient que l’État soit bien géré.

M. Alain Calmette. Ce qui me frappe, dans vos propos, et notamment dans celui du président de la FNTP, c’est le contraste entre la noirceur du tableau que vous nous dépeignez, et ce que vous demandez pour essayer de l’éclaircir un peu. Selon vous, tout va mal, vous allez à la catastrophe, mais tout ce qu’il vous faudrait pour l’éviter, c’est un étalement de trois à cinq ans, et des précisions sur le milliard d’euros débloqués. Soit la situation est très grave, et ce n’est pas en deux ans de plus qu’elle pourra se redresser ; soit elle est moins grave que vous ne le dites, et ces remèdes pourraient peut-être avoir de l’effet.

Le but de notre commission d’enquête n’est pas de douter de l’effet négatif de la baisse des dotations sur votre activité, mais d’essayer d’en évaluer exactement le niveau. Pour cela, je voudrais reprendre les chiffres fournis par monsieur Piquet, qui nous a indiqué que le chiffre d’affaires des entreprises du bâtiment, toutes tailles confondues, était de 124 milliards d’euros. La part de la commande publique y est de 20 %, soit de 24 milliards. Vous imaginez que la baisse des dotations y serait pour la moitié. Cela représente donc 12 milliards, soit dix ou douze fois plus que la baisse des dotations pour l’année 2015. Si l’on fait le même raisonnement pour les entreprises de travaux publics, on s’aperçoit que, en fait, la baisse de leur activité est dix, quinze ou vingt fois supérieure à la baisse des dotations.

Cette commission d’enquête tente d’appréhender l’effectivité des baisses de dotations sur votre activité, en dehors de la crise générale et de la baisse générale de votre activité. Si je ne me suis pas trompé dans mon raisonnement, il y a quelque chose qui ne va pas et qui corrobore le fait que le tableau décrit est très noir, en tout cas par rapport à l’objet de la commission d’enquête.

M. le président Alain Fauré. Le raisonnement se tient.

À propos du milliard d’euros de dotations supplémentaires qui a été annoncé, vous avez déploré un manque de précisions et déclaré que vous vous méfiiez des effets d’annonce. Nous aussi. Cela dit, ce milliard sera bien dans le projet de loi de finances pour 2016. Mais c’est la discussion budgétaire qui déterminera sa répartition et les chapitres à privilégier. D’après ce que j’ai dit tout à l’heure, pensez-vous que l’on privilégie l’équipement de zones d’activités ?

M. Bruno Cavagné. Non.

M. le président Alain Fauré. Il convient en effet de bien regarder quels sont les besoins d’équipement des territoires. L’État doit se poser les bonnes questions pour faire la dépense juste et au bon endroit et que ce soit réellement un investissement. Que penserait-on d’un État, ou même d’un élu local, qui n’agirait pas de cette façon ?

M. Bruno Cavagné. Ce que j’ai dit sur la baisse d’impôts de 2 milliards n’avait rien de politique, et je n’ai pas voulu faire tout l’historique de la question.

À propos des contrats de plan État-région, je rappelle que, en juin 2013, Jean-Marc Ayrault avait déclaré que le prochain CPER, pour la partie transports, démarrerait à la fin de 2013. Il n’a démarré ni en 2013, ni en 2014 : on vient à peine de le signer, et il démarrera peut-être en 2016. On aura perdu quasiment trois ans.

M. le président Alain Fauré. Merci les bonnets rouges !

M. Bruno Cavagné. Vous avez ensuite parlé de la situation budgétaire, de la nécessité d’être raisonnables et des zones d’activités. J’aurais plutôt pensé que vous me parleriez des ronds-points…

M. le président Alain Fauré. Je ne parle pas des ronds-points, qui présentent un certain intérêt pour la sécurité. Dans ce domaine aussi, d’ailleurs, des corrections ont été apportées.

M. Bruno Cavagné. Que l’on fasse des zones d’activités, des ronds-points ou des ponts, cela nous est égal. Ce n’est pas à nous, entreprises de construction, d’aller dire ce qu’il faut construire. C’est aux élus, aux élus locaux, de prendre leurs décisions et de dépenser l’argent comme bon leur semble. Nous faisons ce que l’on nous dit.

Qu’il faille être raisonnables et réorienter les dépenses, c’est probable. Mais mon propos n’est pas de pousser dans tel ou tel sens. Mon propos – illustré par les chiffres que je vous ai donnés tout à l’heure – est de vous faire prendre conscience de l’importance de l’entretien. Si on n’entretient plus notre patrimoine, on court à la catastrophe. Vous ne m’avez pas non plus entendu dire qu’il fallait faire des lignes à grande vitesse partout. C’est aux élus de juger du bien-fondé de certaines dépenses. On les critique souvent, notamment à propos des ronds-points. Je crois qu’ils sont assez intelligents pour savoir ce qu’ils ont à faire.

La question de l’impact de la baisse des dotations est complexe. On ne peut pas prétendre que le ralentissement de l’activité est dû à la baisse des dotations et il est difficile d’évaluer avec précision l’influence qu’elle aura sur notre secteur. Ce qui est certain, c’est qu’elle arrive au plus mauvais moment. Nous avons déjà subi des baisses : 5 % l’année dernière, 8 % cette année, et ce sera encore le cas l’année prochaine, avec des collectivités qui, sans fermer les robinets, attendent de savoir ce qui va se passer. Nous ne le savons pas non plus. Or la situation est très grave.

Les mesures que nous proposons ne sont certes que des « mesurettes ». Mais j’essaie de faire preuve de réalisme. Depuis deux ans et demi, j’explique aux ministres, au Premier ministre et au Président de la République quelles sont les problématiques de notre secteur en termes d’emplois, d’ascenseur social et de formation. On nous explique que nos amis du bâtiment et nous-mêmes sommes formidables, et que nous sommes des professions qui comptent. Mais, en même temps, on ferme les robinets. N’est-ce pas contradictoire ?

Je réclame de la visibilité, car c’est ce qui manque à nos entreprises. Dites-nous ce que vous voulez faire et sur quel chiffre d’affaires nous pouvons compter. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir que nous allons démarrer la construction du canal Seine-Nord en 2019, la rénovation du pont de Narbonne ou celle d’un pont de l’Ariège en septembre ou en octobre.

J’essaie de faire preuve de réalisme, de tenir compte des contraintes budgétaires pour ne pas demander n’importe quoi. Cela dit, même en demandant des choses qui nous paraissent raisonnables, nous avons du mal à nous faire entendre…

M. le président Alain Fauré. Pouvez-vous préciser vos chiffres, comme monsieur Piquet l’a fait tout à l’heure ? Vous ne nous avez donné que des pourcentages. Quelles masses financières brassez-vous ? Comment ces masses sont-elles ventilées ?

M. Bruno Cavagné. Nous faisons 40 milliards d’euros en France, et 25 milliards d’euros à l’international. Ce dernier point vous intéressera moins, mais nous contribuons de cette façon à l’image de la France à l’étranger. Ce que l’on ne sait pas, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de grandes entreprises, mais aussi d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de grosses PME, souvent très performantes sur des marchés de niche.

Sur ces 40 milliards d’euros, 45 % viennent des collectivités locales, du bloc communal et des régions – lesquelles vont désormais avoir en charge toute l’activité économique. Dès que l’on touche aux collectivités locales, on touche donc aux travaux publics et aux infrastructures.

Mme Christine Pires Beaune. Je suis assez gênée par le postulat selon lequel « baisse des dotations égale réduction de l’investissement ». Vous l’avez dit, les élus sont intelligents et, avant de se résoudre à diminuer l’investissement, ils font des réductions de fonctionnement, à l’instar des entreprises. Voilà pourquoi le calcul n’est pas si facile à faire.

Il n’est pas aisé d’évaluer l’impact de la baisse des dotations sur l’investissement, car les facteurs à prendre en compte sont multiples. Je pense aux élections, qui sont particulièrement nombreuses, et surtout à la loi NOTRe. Cette loi nous a occupés pendant plus de deux ans et a créé beaucoup d’incertitudes pour les collectivités – sur les regroupements, sur la collectivité qui porterait l’investissement, etc. Maintenant qu’elle a été votée, nous pourrons y voir un peu plus clair.

Pour ma part, je suis un peu plus optimiste que certains de mes collègues, d’autant que, en 2015, on a augmenté de 200 millions d’euros la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), ajouté 200 millions pour les maires bâtisseurs, et remonté le taux de compensation du FCTVA. Même si cela n’est pas très visible, cela représente tout de même des crédits supplémentaires, qui, me semble-t-il – ce sera à vérifier en fin d’année – sont bien utilisés. Si c’est le cas, cela voudra dire que l’investissement pourra au moins se maintenir, sinon augmenter. Je mettrai toutefois un bémol : nous avons deux ans pour faire ces investissements ; or, lorsque l’on présente un dossier, on n’est pas forcément sûr de pouvoir réaliser les travaux dans les délais.

Il ne faut pas oublier non plus le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), que l’on avait positionné en prévisionnel à 450 millions d’euros dans la loi de finances, et qui atteint aujourd’hui 800 millions d’euros. Ce dispositif a donc du succès. Et je précise qu’on ne peut l’utiliser que pour des travaux dans le bâtiment.

Pouvez-vous dire quel sera l’impact de la baisse des dotations sur l’investissement en 2015 ? Vous avez estimé que les départements ruraux souffriraient davantage que les métropoles. Avez-vous des chiffres par département ? Enfin, pour bâtir, dans ma circonscription, un centre pénitentiaire en partenariat public-privé, on a employé de la main-d’œuvre étrangère, ce qui a sans doute contribué à casser les prix. Vous avez dénoncé les prix bas. Selon vous, quel est l’impact de ce recours à de la main-d’œuvre étrangère ?

M. le président Alain Fauré. Actuellement, les collectivités ont devant elles un bas de laine de 16 milliards d’euros – qui peuvent correspondre, par exemple, à des travaux retardés. Cela laisse augurer, pour la fin de l’année 2015 et l’année 2016, des investissements non négligeables à réaliser. Si nous sommes là pour écouter vos requêtes, nous pouvons aussi vous donner quelques chiffres susceptibles de vous mettre du baume au cœur…

Mme Christine Pires Beaune. On peut raisonner sur 11 milliards d’économies sur trois ans, ou 12,5 milliards sur quatre ans. Si vous parlez de 28 milliards d’euros, c’est que vous raisonnez à partir de cumuls. Dans ces conditions, il faut aussi cumuler les budgets et les hausses de fiscalité. Autant s’en tenir aux 11 milliards d’économies sur trois ans qui sont demandés aux collectivités locales, et qui correspondent au plan d’économie des dépenses publiques, plan de 50 milliards voté en loi de programmation.

M. le président Alain Fauré. Attention, comparaison n’est pas raison. Mais au moins conviendrait-il, pour mieux se comprendre, de faire des comparaisons justes.

M. le rapporteur. J’entends bien que certains de nos collègues souhaitent minimiser le problème posé par la baisse des dotations. Reste que nous voyons bien ce qu’il en est sur les territoires. Pour ma part, je suis conscient des conséquences que peuvent subir les collectivités territoriales du fait de la baisse de leurs ressources en général, et de leurs dotations en particulier. C’est particulièrement net dans certains territoires, où l’on sait que la commande publique est majeure pour générer de la commande privée. De fait, la sonnette d’alarme est tirée dans tous les départements – en tous cas dans le mien – par les entreprises de travaux publics et les entreprises du bâtiment.

On peut toujours dire que, pour investir, les élus n’ont qu’à diminuer leurs dépenses de fonctionnement. Nous en discutons depuis quinze jours, et il semble que ce ne soit pas si simple que cela. Toutes les études – celle de Michel Klopfer, celle de la Banque Postale et de l’Association des maires de France – montrent que l’investissement public sera touché. Ainsi, sur le bloc communal, on estime qu’il passera de 31 milliards en 2014 à 23 milliards en 2017. Cela ne pourra qu’avoir un impact sur les secteurs dont les représentants sont devant nous aujourd’hui. D’ailleurs, messieurs, je souhaiterais que vous établissiez un petit panorama par département – je sais que vous êtes capables de le faire – pour nous permettre précisément d’évaluer les conséquences de ces baisses.

M. Bruno Cavagné. J’ai demandé un étalement parce que je sais très bien que, entre le moment où l’on décide de faire des économies de fonctionnement et celui où elles sont effectives, il se passe du temps – non pas des semaines, ni même des mois, mais des années. Et il me semblait que l’on allait trop vite et trop fort.

Madame la députée, vous avez parlé de la DETR. Contrairement à ce que vous pensez, toutes les dotations ne sont pas utilisées. Vous pouvez interroger les préfets sur ce point.

M. le président Alain Fauré. Plus de 90 % des subventions versées au titre de la DETR sont lancées. Ensuite, leur consommation dépend des élus sur le terrain.

M. Bruno Cavagné. En juillet, en tout cas, ce n’était pas le cas.

Mais vous me demandiez des chiffres. L’année dernière, notre activité a baissé de 5 %. Cette année et très certainement l’année prochaine, elle baissera de 8 %. Nous n’avons pas encore fait les budgets, mais, entre les grands projets qui s’arrêtent et l’entretien qui ne repart pas, je vois mal comment il serait possible de remonter la pente.

Je ne suis pas un farouche partisan des partenariats public-privé. Reste que c’est un des moyens de financement dont nous disposons et qu’il ne faut pas s’en priver.

J’en viens à la question du recours à la main-d’œuvre étrangère, contre lequel nous nous sommes tous battus, le secteur bâtiment en tête, parce qu’il est encore plus touché que le secteur des travaux publics par ce phénomène. Quoi qu’il en soit, c’est un véritable problème que d’accueillir des travailleurs venant de pays dont les taux sont bien inférieurs à ceux de la France. La compétition s’en trouve faussée. En la matière, c’est le législateur qui est compétent. De notre côté, nous ne pouvons pas faire grand-chose, si ce n’est prêcher la bonne parole en recommandant aux entreprises de travailler avec de la main-d’œuvre française, parce qu’il faut investir, parce qu’il faut former et parce qu’il faut penser au monde que nous laisserons demain à nos enfants. Mais comment les dissuader d’avoir recours à des travailleurs moins chers, quand la compétitivité est acharnée ?

M. Alain Piquet. Vous parliez de « dépenses », mais on peut aussi parler de « ressources ». Le bâtiment n’est pas un secteur consommateur d’épargne, c’est un moteur. Si nous réussissons à relancer le logement, nous retrouverons des recettes locales à travers les droits de mutation. En outre, nous entraînons derrière nous de nombreuses activités – vente de meubles, aménagements, déménagement – qui connaissent aujourd’hui des difficultés. Le logement est donc aussi un vrai support d’activité.

Mais nous ne faisons pas que de la construction, nous faisons aussi de la rénovation : la rénovation énergétique est un élément fondamental de notre activité. L’activité du bâtiment se ventile ainsi : 25 % pour le logement, 15 % pour les autres bâtiments neufs, et 60 % pour l’entretien et la rénovation. Nous intervenions autrefois beaucoup plus sur le neuf et beaucoup moins sur l’entretien. Hélas, dès qu’il s’agit d’économiser, le premier poste de dépenses qui est touché – aussi bien dans les collectivités que dans les familles – est celui de l’entretien. On reporte les peintures à l’année suivante… et nous perdons de l’activité.

Il est important d’accompagner le volet de la rénovation énergétique. Chaque fois que je rencontre le représentant d’une collectivité territoriale, je l’invite à se pencher sur le plan Juncker, qui offre un droit de tirage pour récupérer des fonds. Permettez-moi d’évoquer l’exemple de ma région. Après le 6 juin 1944, la Normandie a beaucoup souffert, les Anglais et les Américains démolissant de nombreuses villes pour nous sauver. Le patrimoine de la reconstruction a donc aujourd’hui cinquante-cinq ou soixante ans. La réhabilitation du patrimoine des villes reconstruites serait, selon moi, un thème fédérateur.

Le plan Juncker pourrait aussi nous aider à travailler sur le problème des copropriétés et de l’engagement des travaux de rénovation énergétique. Le patrimoine du logement social a déjà été réhabilité au moins une fois, et beaucoup de copropriétés sont dégradées.

Je vous invite par ailleurs à lire le rapport qu’a rédigé Didier Ridoret pour le Conseil économique, social et environnemental : on y apprend que, en trente ans, l’Allemagne a voté une loi sur le logement et que la France en a voté neuf. Une, c’est peut-être un peu court ; mais neuf, c’est peut-être un peu trop. Un investisseur en logements a besoin de durée, de dispositions pérennes, et que l’on ne change pas de politique tous les deux ans.

Il a été question de normes. La réglementation thermique 2012, qui a rendu obsolète l’ensemble du patrimoine existant, est une chance pour le bâtiment. Mais elle a augmenté les coûts, d’autant plus qu’elle s’ajoute aux dispositions de la loi handicap. Aujourd’hui, on nous dit que cela coûte trop cher de construire ! Il faut donc trouver des solutions pour réduire les coûts et rendre l’ensemble de ces décisions pérennes.

S’agissant de la main-d’œuvre étrangère, la Fédération française et les entreprises du bâtiment vous remercient. En effet, l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics impose maintenant au maître d’ouvrage de veiller sur l’offre anormalement basse et de la rejeter. Cette disposition s’applique aussi bien à l’offre du marché de base qu’aux contrats de sous-traitance. Il est vrai que certains maîtres d’œuvre doivent gagner en compétence. Cela dit, si la main-d’œuvre étrangère arrive en grand nombre, c’est parce que les prix sont horriblement bas et que de nombreuses entreprises n’ont trouvé que ce moyen pour survivre. Il faut donc continuer de lutter contre l’offre anormalement basse.

Il faut aussi faire en sorte que les marchés ne soient pas surdimensionnés, sous-traités sur plusieurs rangs, car cela met en difficulté les PME et les TPE. Or l’ordonnance du 23 juillet – décidément fondamentale pour nous – réaffirme le principe de l’allotissement et nous apporte une deuxième clé de réussite. La carte d’identification professionnelle figure dans la loi Macron et il ne reste plus, par voie réglementaire, qu’à trouver qui la gérera et sous quelles conditions. Mais, surtout, il faut appuyer les contrôles.

Je suis très heureux d’entendre – même si je ne l’avais pas vu sous cet angle – que la loi NOTRe a fixé les choses. Peut-être pourra-t-on enfin respirer l’année prochaine, mais il faudra veiller au niveau de compétence des services des collectivités territoriales. En effet, les regroupements de collectivités territoriales sont en train de se faire et les directions départementales de l’équipement (DDE) n’existent plus. Il faut retrouver cette compétence technique de la commande publique. Il n’est pas de bonne opération sans bon programme : c’est pourquoi le maître d’ouvrage, le décideur, doit gagner en compétence.

Mme Jeanine Dubié. Je vous remercie, messieurs, pour la présentation que vous avez faite de votre secteur d’activité. Moi qui suis élue d’une circonscription rurale et montagnarde, je sais que ce que vous avez dit est vrai, au moins pour les 300 000 entreprises de moins de dix salariés.

Je tiens également à témoigner, monsieur le président de la FNTP, de l’esprit de responsabilité dont ont fait preuve la fédération départementale des Hautes-Pyrénées et ses entreprises, au moment des graves inondations qui ont détruit tous les accès des ouvrages d’art sur des territoires de montagne, en juillet 2013. Le lendemain de cette catastrophe, le président du conseil général a reçu le président de la fédération départementale des travaux publics. Ensemble, ils ont mis en place un protocole d’accord à partir d’un bordereau unique d’intervention. Les entreprises sont parties sur le terrain, et, en l’espace de deux mois, tous les accès ont été rétablis. Aujourd’hui, deux ans après, le paysage a changé. Les entreprises de travaux publics y ont largement contribué. Ainsi, on a su répondre à un état d’urgence et à une situation de crise en se mettant d’accord entre donneurs d’ordre et entreprises, en s’organisant et en simplifiant les procédures, dans l’intérêt des citoyens.

Je crois qu’il est nécessaire de faciliter l’accès à la commande publique, notamment en simplifiant les démarches pour les petites entreprises. Et cela ne peut qu’améliorer la situation de vos secteurs d’activité.

Enfin, je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faut absolument travailler à une extension du FCTVA aux travaux d’entretien et de réhabilitation. Si on laisse à l’abandon notre patrimoine, qu’il s’agisse de routes ou de bâtiments, on en paiera cher les conséquences.

Dans le bulletin de conjoncture du deuxième trimestre, j’ai lu qu’il y aurait une légère reprise dans le bâtiment. Je voudrais savoir si cela se confirme.

J’ai également lu que, lorsqu’elles connaissaient des difficultés en raison de l’état de leur trésorerie, les entreprises du bâtiment étaient directement mises en liquidation judiciaire, sans passer par la procédure de redressement judiciaire. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions ?

J’observe qu’on a pris des mesures en matière de rénovation énergétique, qui concernent les particuliers. Ceux-ci peuvent également solliciter l’aide de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Cela vous semble-t-il aller dans le bon sens ?

Je tiens, d’autre part, à vous rassurer : les conseils départementaux, que nous avons réussi à sauver, remplaceront les services de l’État pour apporter conseil et assistance aux petites communes et continueront à assurer l’ingénierie. C’est en tous cas ce qui se passe dans les Hautes-Pyrénées.

Je fais remarquer par ailleurs qu’il ne suffit pas d’augmenter la DETR pour aider une commune à investir : il faut aussi que celle-ci puisse s’autofinancer ou recourir à l’emprunt. Qu’on le veuille ou non, les subventions d’investissement ne dépassent pas 50 % d’un projet ; la commune doit donc trouver les autres 50 %. Pour autant, il est important d’augmenter les aides à l’investissement, comme cela a été fait en 2014 pour la DETR – à hauteur de 30 %. Et je pense, monsieur le président de la FNTP, que, sur le milliard d’euros du fonds d’investissement dont nous avons parlé en début d’audition, 500 millions seront en effet destinés au monde rural. Vous devriez en récupérer une bonne partie. Après tout, il y a 36 000 communes en France, ce qui représente 36 000 mairies, clochers et salles des fêtes…

M. le président Alain Fauré. Vous avez déclaré tout à l’heure que vous aviez l’impression de ne pas être entendus. Pourtant, les choses bougent, même si tout n’est pas encore acquis. Je pense, par exemple, à la récupération de la TVA sur les travaux de réparation – peut-être pas sur les ponts, mais dans les bâtiments, pour des raisons d’économies d’énergie.

M. Bruno Cavagné. Merci, madame la députée, pour les mots que vous avez prononcés. Je crois en effet que, dans votre département, que je connais très bien, les entreprises de travaux publics ont répondu présentes. Malheureusement, on parle surtout de travaux publics ou d’infrastructures lorsque des catastrophes naturelles se produisent. Et celles-ci risquent d’être de plus en plus fréquentes.

Par ailleurs, j’observe que les subventions au bloc communal sont en forte diminution : moins 7,5 % dans les budgets primitifs 2015 pour les infrastructures. Depuis 2007, la chute est de 36 %, ce qui constitue un réel problème.

Quant à la DETR dont vous parliez, j’espère que nous allons pouvoir en bénéficier. Le problème est que, dans son discours, le Président de la République fait allusion au bâtiment, mais pas forcément aux travaux publics. Nous aurions donc bien besoin de quelques précisions, et que la référence aux travaux publics figure dans la loi de finances. Il faudra donc veiller, mesdames et messieurs les députés, à ce que le secteur des travaux publics bénéficie de la DETR – comme du FCTVA.

Je terminerai sur les liquidations d’entreprises, qui s’accélèrent en effet. Il y a quelques années, c’étaient plutôt des petites entreprises peu structurées qui déposaient le bilan. Maintenant, c’est aussi le cas d’entreprises plus importantes. Toutes vont directement à la liquidation, sans passer par le redressement judiciaire, tant leurs difficultés sont importantes, tant leur trésorerie est exsangue.

M. le rapporteur. Messieurs, je tiens à vous remercier. Nous aurons besoin de votre expertise fine du territoire, appuyée sur des exemples précis. De notre côté, il se pourrait que nous nous rendions dans certains départements pour réaliser des monographies. Nous demanderons évidemment à vos organisations territoriales le même exercice. Nous sommes tous des élus. Je sais moi-même exactement ce qu’il en est dans mon département. Mais nous souhaiterions avoir d’autres exemples.

Pour souligner les difficultés actuelles, je vous parlerai de la réserve parlementaire, cette fameuse « cagnotte » qui sert essentiellement aux projets d’investissement des communes : malgré mes efforts, j’ai de plus en plus de mal à trouver des communes qui prennent de la réserve parlementaire. Les communes font très peu de travaux et, souvent, elles ne peuvent pas assumer les 30, 40 ou 50 % restants.

M. le président Alain Fauré. Messieurs, je vous remercie pour les documents que vous nous avez apportés et pour les réponses que vous avez bien voulu nous donner.

Je l’ai dit, on ne peut pas continuer à investir dans des travaux qui ne débouchent sur rien, pour la simple et bonne raison que nous devons entretenir l’équipement de nos territoires. Des corrections s’imposent. Les difficultés financières que nous rencontrons sont l’occasion de faire le point et de prendre les bonnes orientations. Mais je n’oublie pas, à l’instant où je vous parle, tous les chefs d’entreprise et tous les salariés qui sont en grande difficulté. Nous sommes conscients de leur situation. Sachez que les députés et les élus locaux que nous sommes ne sont pas déconnectés des réalités.

L’audition s’achève à dix-huit heures dix.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mardi 15 septembre 2015 à 16 heures 30.

Présents. – Mme Catherine Beaubatie, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Calmette, Mme Jeanine Dubié, M. Alain Fauré, M. Jean-Marc Fournel, M. Michel Heinrich, M. Hervé Pellois, Mme Christine Pires Beaune, Mme Régine Povéda, M. Nicolas Sansu.

Excusés. M. François de Mazières, M. Martial Saddier.