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Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mercredi 30 septembre 2015

Séance de 18 heures 

Compte rendu n° 24

Présidence de M. Alain FAURÉ, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane MANOUKIAN, associé à Ernst & Young, et de Mme Françoise LARPIN, directrice nationale du secteur public local de KPMG

L’audition débute à dix-huit heures cinq.

M. le président Alain Fauré. Notre journée s’achève avec l’audition des cabinets Ernst & Young et KPMG, représentés par M. Stéphane Manoukian et Mme Françoise Larpin qui travaillent sur le secteur public local. Madame, monsieur, vos sociétés respectives sont, par nature, au fait des finances locales et de leurs contraintes. Vous analysez ainsi les budgets et les politiques locaux, vous conseillez les élus et vous proposez des solutions, dont certaines sont mises en œuvre quand d’autres ne le sont pas.

Notre commission d’enquête s’intéresse aux conséquences de la baisse des dotations de l’État sur l’investissement et les services publics de proximité du bloc communal. Cette réflexion recouvre deux questions : jusqu’où les comptes des collectivités peuvent-ils se détériorer ? Quels leviers celles-ci peuvent-elles actionner pour limiter cette dégradation ? Des précédentes auditions, il ressort que des interrogations particulièrement fortes se portent sur l’année 2017. Au-delà de cette date, comment penser à long terme la nouvelle donne financière pour les collectivités du bloc communal ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Françoise Larpin et M. Stéphane Manoukian prêtent serment.)

Mme Françoise Larpin, directrice nationale « Secteur public local » de KPMG. Dans le cadre d’une mission effectuée pour un établissement bancaire, nous avons réalisé une enquête auprès de collectivités comptant de 1 000 à 2 000 habitants, qui a montré que la contraction des investissements due à l’ensemble des réformes actuellement menées – et pas simplement la politique de baisse des dotations de l’État – atteindrait une moyenne comprise entre 20 % et 25 %. Cette image globale recouvre des situations bien différentes, puisque certaines collectivités annoncent une diminution de 5 % quand d’autres avancent 70 %. On peut considérer ces chiffres comme solides, car cette étude a été confiée à un institut de sondage qui a interrogé 400 maires et représentants de petites communes.

Les collectivités souhaitent préserver les investissements scolaires et ceux dans les crèches et les haltes garderies, lorsque le dynamisme démographique l’exige ; elles sont en revanche prêtes à sacrifier les dépenses liées à la voirie, à l’entretien du patrimoine, à la construction et à la rénovation de bâtiments. Je ne peux pas vous donner davantage de précisions, car ce document appartient à notre client.

M. le président Alain Fauré. La commission d’enquête vous en demandera officiellement la transmission.

Mme Françoise Larpin. Nous aurons besoin de l’accord de notre client pour vous le faire parvenir. Mais ce n’est pas forcément assuré…

Nous avons également effectué une enquête qualitative auprès de collectivités de plus grande taille reposant sur une trentaine d’entretiens stratégiques avec des élus et des directeurs généraux des services de régions, de départements, d’intercommunalités et de communes. Il appert que les communes et les intercommunalités dont le périmètre s’étend et qui ne subissent pas l’impact de la réforme territoriale sont inquiètes pour leur capacité d’autofinancement (CAF) brute, mais veulent maintenir leurs investissements dans les services à la population. En revanche, les collectivités qui vont fusionner pour atteindre le seuil de 15 000 habitants restent totalement attentistes en matière d’investissements.

Une grande partie des régions et des départements réduiront, dans le cadre de leur politique d’optimisation des moyens et des missions, le montant de leurs aides aux communes et aux intercommunalités ; les subventions aux associations ayant déjà été diminuées, elles jouent de ce deuxième levier pour absorber une partie de la baisse des dotations de l’État.

Nous menons actuellement des missions pour le compte de départements, d’intercommunalités et de grandes villes qui cherchent à réduire leurs dépenses de fonctionnement. Nous leur fournissons, dans cette optique, des comparaisons sur le coût des services publics locaux ; en effet, les élus n’ont pas toujours conscience des marges de manœuvre qui leur restent et ont besoin de ces éléments pour éclaire leurs choix, le coût d’une place en crèche ou d’un kilomètre de voirie pouvant varier d’un à dix pour des collectivités de taille identique et pour des politiques publiques similaires. On peut donc optimiser le coût de ces services, même si ces économies ne couvriront évidemment pas le volume de la baisse des dotations de l’État, puisqu’elles ne pourront atteindre que 5 à 10 % des dépenses de fonctionnement.

M. Stéphane Manoukian, associé à Ernst & Young. Lorsque l’on a commencé à évoquer une baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), nous avons conduit des analyses macroéconomiques visant à mesurer les incidences financières sur les différentes strates de collectivités locales ; en outre, nous effectuons en permanence des missions d’analyse financière et stratégique pour déterminer les moyens de sortir de l’impasse financière.

Nous avons donc mesuré l’incidence, à dépenses et recettes de fonctionnement et d’investissement inchangées, de la baisse des dotations de l’État sur la solvabilité financière des différentes catégories de collectivités locales en 2017. L’étude de la capacité de désendettement montre que l’échelon communal et intercommunal se trouve le plus pénalisé par la baisse de la DGF ; l’impact de cette dernière s’avère beaucoup moins fort pour les régions que pour les départements et le bloc communal. Ce tableau peut alimenter un débat sur l’opportunité de ventiler différemment les diminutions de dotations entre collectivités, indépendamment du maintien du niveau global de l’effort demandé. En 2017, le compte agrégé des communes et des intercommunalités fera apparaître, en l’absence de toute autre mesure, une incapacité de remboursement des annuités de la dette par les excédents de fonctionnement, situation strictement interdite aux collectivités locales.

M. le président Alain Fauré. Sur quel échantillon de collectivités repose votre diagnostic d’insolvabilité ?

M. Stéphane Manoukian. Nous nous sommes appuyés sur l’agrégat national du compte de chaque strate de collectivité locale, publié par le ministère des finances et des comptes publics ; les chiffres de 2014 sont connus depuis peu. Partant de cette situation de départ, notre projection financière, qui prend en compte uniquement la baisse des dotations de l’État, montre que le bloc communal est plus pénalisé que les régions.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Vous concluez à l’insolvabilité financière globale du bloc communal en 2017 à partir d’un calcul prenant en compte la baisse de la DGF sans modification de l’évolution des dépenses et des recettes, n’est-ce pas ?

M. Stéphane Manoukian. Tout à fait.

Nous avons identifié trois leviers pour atténuer les effets de la baisse des dotations.

Le premier réside dans l’acceptation de la dégradation de la situation financière. Cette option existe, car le secteur public local dans son ensemble jouissait d’une solvabilité très favorable ces dernières années avec une capacité de désendettement inférieure à cinq ans ; ainsi, les agences de notation et les banques apprécient cette catégorie de personnes publiques. On peut accepter une dégradation de la capacité de désendettement à sept ou huit ans, pour peu évidemment que cette détérioration soit maîtrisée.

La fiscalité constitue le deuxième instrument à la disposition des élus, mais il s’avère limité parce qu’il a déjà été fortement utilisé dans le passé et parce que certaines collectivités locales ne jouissent que d’une faible autonomie en la matière.

Enfin, les collectivités peuvent réaliser des économies de gestion, mais cela exige d’opérer des coupes sévères dans certains services, car les seules rationalisations ne permettront pas de couvrir l’ampleur de la baisse des dotations de l’État.

M. le rapporteur. Madame Larpin et monsieur Manoukian, nous aurons besoin de l’ensemble des études que vous avez évoquées et nous vous en demanderons officiellement la transmission.

Ernst & Young avait mené une enquête en 2014 sur la santé financière des collectivités locales, qui montrait que 80 % d’entre elles se trouvaient dans une situation favorable, mais que les villes dont la population est comprise entre 10 000 et 100 000 habitants s’en sortaient beaucoup moins bien. Plusieurs personnes auditionnées par cette commission d’enquête ont confirmé ce constat : pensez-vous que la situation a évolué ?

Ne devrait-on pas réfléchir à l’instauration d’une dotation générale d’autofinancement ? Je suis maire d’une commune en butte à de grosses difficultés financières structurelles ; on aura beau me donner tous les fonds d’investissement du monde, je n’arriverai jamais à conduire des investissements si ma commune n’a pas d’autofinancement… Nous devons avant tout restaurer la capacité d’autofinancement brute.

Madame Larpin, vous travaillez beaucoup avec nos satellites, notamment les sociétés d’économie mixte (SEM) d’aménagement ; la baisse des dotations a-t-elle des conséquences sur les programmes d’investissement et sur les interventions de ces sociétés ?

Mme Françoise Larpin. La contraction des dotations de l’État a des effets sur tous les satellites des collectivités locales – les SEM d’aménagement, mais également les offices et les régies –, car des marges de manœuvre se logent dans ces structures. Les collectivités procèdent à des fusions et à des dissolutions de structures, et elles remettent en cause des programmes d’investissement. Les SEM d’aménagement, sur le plan financier, sont souvent des structures à risque dans la mesure où elles présentent des déficits d’exploitation qui obligent les collectivités à apporter leur garantie financière, ce qui peut amener ces dernières à remettre en cause l’existence de ces sociétés. Certaines SEM seront donc conduites à déposer le bilan et à arrêter leur activité ou à fusionner avec d’autres structures. Ce mouvement touche également les agences, souvent très nombreuses dans le champ économique.

M. Stéphane Manoukian. Dans le cadre de la réflexion sur l’évolution de la DGF, nous avons proposé l’instauration d’une dotation globale d’investissement car celui-ci pâtira malheureusement de l’effondrement de l’autofinancement consécutif à la diminution des dotations de l’État. Nous avons donc suggéré de sanctuariser une proportion de la DGF pour l’investissement, et nous nous sommes demandé si elle devait relever uniquement de la section d’investissement ou si l’on pouvait couvrir par une DGF spécifique des charges de fonctionnement liées à des investissements ou de l’autofinancement. Cette dotation, non fongible, ne pourrait pas être utilisée pour financer des dérapages dans les dépenses de fonctionnement et devrait uniquement soutenir l’investissement. Monsieur le rapporteur, si votre proposition de créer une dotation d’autofinancement respectait cette condition, j’y serais favorable.

L’objectif étant de mobiliser des crédits pour l’investissement, il reste à se poser la question de l’origine des fonds. Au-delà des enveloppes spécifiques que le budget de l’État pourrait allouer aux investissements publics locaux, on pourrait mobiliser le fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) en réorganisant son régime par la détermination de critères fondés sur les besoins des territoires, la richesse économique ou les indicateurs sociaux. On pourrait ainsi bâtir une dotation globale d’investissement, indépendamment du souhait de l’État d’engager des crédits supplémentaires dans ce domaine.

M. le président Alain Fauré. Les dotations globales d’investissement pourraient accompagner une politique publique nationale, par exemple celle du numérique, en prenant totalement en charge les dépenses d’investissement d’une collectivité qui n’aurait pas de capacité d’autofinancement.

Mme Marie-Lou Marcel. La baisse des dotations de l’État aux collectivités locales pour les années 2014 à 2017 représente-t-elle vraiment une contrainte insoutenable pour les collectivités ?

Madame Larpin, dans une entrevue accordée à la Gazette des Communes, vous avez qualifié cette diminution des dotations d’« anxiogène » pour les élus. Reprendriez-vous ce terme, que je trouve quelque peu violent ? Ne caractérise-t-il pas plutôt la situation générale, marquée par la réforme territoriale portée par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et par le développement des normes réglementaires ?

Monsieur Manoukian, 200 maires de communes de plus de 1 000 habitants avaient été interrogés lors du sondage effectué par l’institut CSA en partenariat avec votre cabinet en 2014, et 80 % d’entre eux affirmaient que leur collectivité ne rencontrait pas de difficultés financières. Or, vous venez d’indiquer que le bloc communal connaîtrait une insolvabilité financière en 2017 : est-ce bien ce que vous avez dit ? Quel est le pourcentage de communes entrées en « zone d’alerte » ?

Vous n’avez pas évoqué la hausse du prix de certains services publics gérés par les collectivités parmi les leviers permettant d’améliorer leurs finances.

Enfin, en quoi une reprise d’activité en régie pourrait-elle être source d’économies ?

M. Hervé Pellois. Que pensez-vous des propositions avancées par notre collègue Mme Christine Pires Beaune sur la réforme de la DGF ? La redistribution de cette dotation ne permettrait-elle pas d’aider les communes les plus en difficulté ?

Même si l’intercommunalité se développe, la mutualisation des services progresse difficilement dans les communes. Son accélération ne pourrait-elle pas contribuer à améliorer la situation des collectivités locales ?

M. Stéphane Manoukian. Notre constat de l’insolvabilité financière du bloc communal à partir de 2017 résulte d’un calcul purement théorique, effectué à partir des chiffres allant jusqu’à 2014 : si aucune mesure n’est prise pour augmenter les recettes ou pour diminuer les dépenses d’ici à 2017, l’ensemble agrégé des communes et des intercommunalités connaîtra une insolvabilité du fait de la baisse de la DGF. Bien évidemment, les collectivités agiront pour empêcher cette impasse. La situation de départ est favorable, même si la solvabilité générale masque de fortes disparités ; les communes et les EPCI connaissant une situation plus dégradée que la moyenne – celle-ci situant la capacité de désendettement à cinq années – rencontreront de lourdes difficultés pour absorber la baisse des recettes de fonctionnement. Ces collectivités doivent donc opérer très rapidement des choix douloureux, surtout si elles ont déjà utilisé l’instrument fiscal.

Les économies de gestion se heurtent à la rigidité des dépenses du bloc communal due à la masse salariale et aux contrats de long terme sur lesquels il est difficile de revenir sans verser d’indemnités élevées. Le défi pour les communes et les intercommunalités réside dans leur réactivité à ajuster leurs dépenses de fonctionnement à la baisse des recettes. Une entreprise qui connaît une contraction de son chiffre d’affaires cherchera à moduler le niveau de ses charges en conséquence ; malheureusement, les dépenses de fonctionnement du secteur public local ne sont pas flexibles d’une année sur l’autre. Si une collectivité considère que l’un de ses services publics est devenu obsolète ou inutile et souhaite en arrêter l’activité, il lui sera ardu d’affecter le personnel à d’autres tâches. Ajoutons que les choix de gestion opérés dans le passé, qui ont conduit à internaliser beaucoup de compétences dans les collectivités, pèsent sur le pilotage budgétaire présent. Ainsi, beaucoup de collectivités ont recruté des contrôleurs de gestion pour vérifier le circuit de versement des subventions aux associations, au lieu de confier cette tâche à des cabinets comme les nôtres : or, même si les subventions sont suspendues, ces personnels restent à la charge des collectivités, ce qui rend les arbitrages, et surtout leur réalisation, très compliqués. L’externalisation aurait sans doute été un peu plus chère, mais elle offre une flexibilité bien supérieure : on peut arrêter le contrat du jour au lendemain.

Nous avions été surpris, à l’occasion du sondage de 2014, par la confiance élevée des maires dans la situation financière de leur commune ; la baisse des dotations était déjà évoquée, mais les élus ne croyaient pas que cette mesure serait appliquée dans toute son ampleur. Une prise de conscience s’est opérée depuis lors, et chaque collectivité recherche des solutions adaptées à sa situation.

Mme Françoise Larpin. La baisse des dotations est supportable pour certaines collectivités riches qui conservent des marges de manœuvre financières et qui peuvent réaliser des économies de gestion. Il leur suffit de mettre en œuvre des mesures comme le non-remplacement de tous les départs à la retraite pour absorber le choc ; cela nécessite de disposer d’outils de pilotage de la masse salariale comme la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, que toutes les grandes collectivités devraient posséder. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.

En revanche, d’autres collectivités, notamment les villes moyennes, les communes de banlieue et les bourgs centres, rencontreront d’énormes difficultés pour faire face à la baisse des dotations de l’État. Voilà pourquoi, j’avais employé le mot « anxiogène » ; j’ai commencé ma carrière à la direction générale des collectivités locales (DGCL) où je répartissais la DGF et je fais du conseil aux collectivités depuis trente ans, et je n’ai jamais vu des élus et des services aussi inquiets qu’aujourd’hui. Dans cette situation, la baisse des dotations de l’État s’ajoute aux réformes structurelles, et il est très difficile d’absorber en même temps une diminution des recettes, une évolution du périmètre, des transferts de compétences étalés dans le temps, l’apparition de nouvelles normes et des demandes incessantes de l’État – que la lecture quotidienne de Maire-Info permet de percevoir. Ainsi, des appels à projets nouveaux sont continuellement publiés, on doit dorénavant mesurer la qualité de l’air dans chaque classe et les écoquartiers se développent, tout cela impliquant de nouvelles activités pour les collectivités. Les lois dites du Grenelle de l’environnement et celle sur le handicap sont tout à fait nobles, mais les ministères se tournent continuellement vers les collectivités locales pour les appliquer, phénomène qu’illustre à nouveau la récente loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui appelle les collectivités à élaborer des financements croisés.

Preuve du caractère anxiogène du contexte actuel, les démissions de maires et d’élus locaux ont explosé cette année : ainsi, dans le Nord, le président de l’association des maires du département avait enregistré en mai dernier, 392 démissions d’élus et de maires, essentiellement dans les communes rurales. D’autres départements connaissent la même situation.

Nous avons élaboré une centaine de schémas de mutualisation et nous avons mis en place un groupe de travail interne entre consultants : il en ressort que ces schémas visent, avant d’essayer de réaliser des économies, à rendre un service de qualité et à répondre aux besoins d’ingénierie que n’ont plus certaines collectivités avec la fin des dispositifs d’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire (ATESAT). Ces documents montrent que des économies potentielles existent, notamment dans les groupements de commandes et dans les achats en commun ; encore faut-il que la ville centre joue le jeu si elle dispose de moyens d’ingénierie importants. Or certains processus de mutualisation tardent à se déployer car certaines villes centres refusent de mettre à disposition leurs moyens financiers, juridiques et d’urbanisme. On assiste même parfois à des démutualisations, qu’il conviendrait d’interdire car elles s’avèrent démotivantes pour les personnels et néfastes pour les économies budgétaires.

Dans les premières années de la décentralisation, il n’existait pas vraiment de péréquation pour la DGF. Les propositions de réforme avancées dans le dernier compte rendu du comité des finances locales favoriseraient la montée en puissance de la péréquation, encore insuffisante en volume, et il serait opportun de mettre en place un volet territorial de la DGF, même si cette mesure n’est pas encore mûre pour toutes les collectivités ; néanmoins, il conviendrait d’en encourager le déploiement partout où cela est possible, en récompensant les élus qui l’acceptent. Ces derniers, dans les communes, ont eu peur de la taxe professionnelle unique, de la péréquation fiscale, de la comptabilité M14 et d’autres dispositions qui leur paraissent aujourd’hui naturelles ; la DGF territoriale ne doit donc pas les effrayer, c’est souvent une affaire de pédagogie. Une DGF territoriale peut entrer dans un pacte financier et fiscal avec des contreparties et peut, sous réserve de critères de répartition décidés par des majorités qualifiées, conduire à des avancées importantes. Mais la péréquation est encore à faire…

M. le président Alain Fauré. On a de plus en plus de mal à constituer une liste de candidats dans les petites communes, très nombreuses dans notre pays, au point que le nombre de colistiers a été abaissé de neuf à sept dans les communes de moins de 100 habitants. On peut rêver d’être un élu municipal, mais quand on le devient, les difficultés s’avèrent plus aiguës qu’attendu ; en effet, nos concitoyens ont beaucoup d’attentes et ne se préoccupent que rarement des conséquences financières de leurs demandes. Ils cherchent un service ou une protection, dont l’octroi peut nécessiter l’intervention du législateur, et l’élu a le devoir de jouer un rôle de filtre ; en effet, si l’on écoute une requête et que l’on laisse à la personne le temps de la réflexion, on peut l’amener à se rendre compte du caractère dispensable de la mesure et du coût qu’il devra supporter en tant que contribuable. Lorsque les élus sont accompagnés par des services compétents et qu’ils réfléchissent en commun avec l’ensemble des acteurs, ils travaillent de manière plus efficace et peuvent empêcher certaines dépenses. Acheter des bennes, c’est bien, mais acheter de la réflexion, ce n’est pas mal non plus !

Mme Françoise Larpin. En moyenne, la masse salariale représente au moins 50 % des dépenses du bloc communal, et, quoi qu’on en dise, de nombreuses collectivités locales élaborent des outils de pilotage de la masse salariale et se penchent sur la durée du travail. Il existe une différence importante, dans certaines collectivités, entre les durées de travail effective et légale, et des réflexions sont menées, avec les agents et dans une démarche de contractualisation avec les syndicats, en vue de relever la durée du travail et, ainsi, de ne pas remplacer tous les départs à la retraite. Cette question est évidemment plus importante pour les collectivités disposant de moyens humains importants que pour les communes rurales et les petites communautés de communes.

M. le rapporteur. J’ai auditionné une association d’élus qui a beaucoup insisté sur le risque que la « révision générale des politiques publiques (RGPP) du bloc communal » – sur laquelle vous avez écrit un article – faisait peser sur le nombre d’agents des collectivités locales. Beaucoup de personnes font état d’une explosion des effectifs dans les collectivités territoriales, notamment du fait du développement de l’intercommunalité – qui a rendu de nouveaux services à la population, ne l’oublions pas –, mais mon expérience m’incite à penser que le nombre d’agents est plutôt en régression. Depuis trois ans, les collectivités ont supprimé plus de postes qu’elles n’en ont créés ; ainsi, dans la ville que j’ai le bonheur de gérer, quatre personnes seront embauchées alors que vingt-deux vont partir en retraite. Il n’y a plus de marges de manœuvre dans ce domaine, car cela nous conduirait à démanteler des services entiers.

Mme Françoise Larpin. L’article s’intitulait « Vers une RGPP locale ? » et s’inscrivait dans le débat de l’époque sur la RGPP des services déconcentrés de l’État, celle-ci ayant été conduite selon une approche comptable que regrettaient à juste titre les élus locaux ; un poste sur deux était en effet supprimé, sans que le service qu’il rendait ait été évalué, si bien que cela a généré de la souffrance au travail pour les agents. Le secrétaire général du ministère de l’équipement de l’époque m’avait expliqué que, compte tenu de la cible à atteindre, cela résultait d’un choix délibéré.

Les effectifs de l’ensemble des collectivités locales n’ont pas baissé, même s’ils ont pu diminuer dans certaines d’entre elles. Là où la démographie est dynamique, certaines créations de postes sont justifiées car il faut ouvrir des crèches et des écoles, ce qui rend nécessaire l’embauche d’agents spécialisés des écoles maternelles (ASEM).

Les nouvelles normes, les schémas et les plans à élaborer ont obligé les collectivités à ouvrir de nouveaux postes qui leur étaient de fait imposés. Le rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative de MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard a montré l’acuité de ce problème ; mes interlocuteurs dans l’État et notamment à Bercy oublient que les ministères sont souvent à l’origine des demandes adressées aux collectivités locales.

M. le président Alain Fauré. Il s’agit d’un cercle infernal : les citoyens veulent de la protection et des services, ce qui n’est pas anormal, mais de fil en aiguille, on aboutit à un empilement qui complexifie l’action publique et la rend bien plus onéreuse.

Pouvez-vous détailler les réflexions sur le temps de travail que vous avez évoquées ?

Mme Françoise Larpin. Dans certaines collectivités locales, la durée du travail reste inférieure au niveau légal de 1 607 heures annuelles, et les élus demandent aux services d’augmenter le temps de travail des personnels qui n’atteignent pas cette norme. À l’occasion de cette entreprise, négociée avec les syndicats, les collectivités réorganisent également leurs services. La méthode est participative, mais le sujet reste sensible, comme on l’a vu dans certains territoires où des réorganisations brutales ont fait descendre les personnels dans la rue.

M. le président Alain Fauré. Là aussi, la sagesse collective doit présider à la gestion de ces dossiers ! Les agents ne sont pas forcément responsables des défaillances dans ce domaine.

M. Stéphane Manoukian. Le non-remplacement des départs en retraite constitue un des leviers permettant de réduire les charges de personnel dans le temps, mais l’effet de cette politique n’est pas immédiat et ne pourra pas couvrir l’ampleur de la baisse de la DGF. Celle-ci impose des mesures de réduction drastique des dépenses de fonctionnement ; or celles-ci sont par nature peu flexibles.

L’audition s’achève à dix-neuf heures.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mercredi 30 septembre 2015 à 18 heures.

Présents. – M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Calmette, Mme Jeanine Dubié, M. Alain Fauré, M. Laurent Furst, M. Michel Heinrich, Mme Joëlle Huillier, M. Laurent Marcangeli, Mme Marie-Lou Marcel, M. Hervé Pellois, Mme Christine Pires Beaune, Mme Régine Povéda, M. Nicolas Sansu, M. Claude Sturni.

Excusés. – M. Etienne Blanc, M. Martial Saddier.