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Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mercredi 6 octobre 2015

Séance de 18 heures 

Compte rendu n° 27

Présidence de M. Alain FAURÉ, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Farandou, président de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), et de Mme Anne Meyer, directrice du département des affaires économiques et techniques de l’UTP.

L’audition débute à dix-huit heures.

M. le président Alain Fauré. Notre « coup d’œil » sur le secteur des transports s’achève avec l’audition de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP). Je souhaite la bienvenue à son président, M. Jean-Pierre Farandou, ainsi qu’à Mme Anne Meyer, directrice du département des affaires économiques et techniques, M. Claude Faucher, délégué général, étant excusé.

Comme nous l’avons évoqué avec le Groupement des autorités responsables de transport (GART) lors de l’audition précédente, la baisse des dotations de l’État aux collectivités du bloc local a ou aura des répercussions tant sur le financement de l’exploitation des transports publics que sur le financement de l’investissement correspondant. Parallèlement, le redressement des finances publiques suppose un effort de longue haleine. Cependant, avec la transition écologique que nous sommes appelés à engager, le développement des services publics de transport constitue un enjeu considérable pour le pays. Comment concilier ces injonctions apparemment contradictoires ? Le contexte financier du bloc local est-il réellement menaçant pour les adhérents de l’UTP ? Ou bien n’est-ce qu’une mauvaise passe avant le retour assuré de jours meilleurs ? À moins que la contrainte financière ne nous oblige à travailler autrement ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Pierre Farandou et Mme Anne Meyer prêtent serment.)

M. Jean-Pierre Farandou, président de l’Union des transports publics et ferroviaires. L’Union des transports publics et ferroviaires regroupe les entreprises publiques et privées qui réalisent et assurent les services de transport de voyageurs qui leur sont confiés par les collectivités territoriales, ainsi qu’un certain nombre d’opérateurs du secteur ferroviaire.

Mes propos recouperont très probablement ceux du GART, avec lequel nous travaillons en étroite collaboration depuis plusieurs années, mais plus encore depuis deux ans, puisque nous organisons ensemble des réunions sur le terrain, que nous appelons « tours de France ». Depuis deux ans au moins, nous sentons monter une inquiétude sur les questions de financement. Les faits nous donnant malheureusement raison, l’occasion qui nous est donnée aujourd’hui de nous exprimer devant la représentation nationale est bienvenue, la baisse des dotations de l’État aux collectivités territoriales constituant en effet un fait majeur.

Je commencerai par donner quelques chiffres. Le besoin de financement des transports publics urbains – nous parlons donc des agglomérations, pas des départements ni des régions – s’élève à environ 17 milliards d’euros, exploitation et investissement compris. Ce besoin se répartit à peu de chose près pour moitié entre la région Île-de-France et la province.

Trois principales sources de financement permettent de couvrir ce besoin. La première est le versement transport, calculé sur la masse salariale des entreprises employant plus de neuf salariés. Le relèvement de ce seuil de neuf à onze, actuellement en débat, induira un manque à gagner évalué à 170 millions d’euros par les services de l’État dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances, mais estimé par le GART à 300 à 500 millions. Il s’agit d’une première mauvaise nouvelle, qui se traduira par une réduction du financement des transports publics. En outre, tant les élus que les opérateurs expriment leur inquiétude à propos du mécanisme de compensation, qui est loin d’être arrêté : nous craignons que la compensation ne soit pas à la hauteur du manque à gagner ou qu’elle s’étende sur une durée moindre.

Deuxième source de financement : les recettes commerciales. Elles s’élèvent à 4,9 milliards d’euros, dont 3,6 milliards en Île-de-France et 1,3 milliard en province. Les recettes sont une ressource plus dynamique en région parisienne, compte tenu de la densité de la population et du niveau de prix moyen du passe Navigo. Il conviendra d’ailleurs de mesurer, dans la durée, les effets du passe Navigo à tarif unique. En province, on suit de près le ratio recettes sur dépenses, qui s’établit à près de 31 % – 1,3 milliard de recettes pour un peu plus de 4 milliards de dépenses. L’équilibre doit donc être assuré par le versement transport et les concours publics.

Rappelons à ce propos une deuxième mauvaise nouvelle récente : le passage du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 5,5 à 10 % pour les services de transport représente un manque à gagner de 300 millions d’euros pour les collectivités territoriales, dans la mesure où la plupart d’entre elles n’ont pas répercuté cette augmentation sur les tarifs. Nous avons contesté cette mesure dans son principe même : le transport public, qui permet aux usagers de se rendre à l’école ou sur leur lieu de travail, est un service de première nécessité ; à ce titre, il aurait dû être éligible à un taux réduit, voir être exempté de TVA, comme c’est le cas dans d’autres pays d’Europe. De nombreux États européens ont une approche fiscale beaucoup plus favorable aux transports publics que la France. On peut s’interroger sur le bien-fondé du relèvement du taux de TVA à 10 % pour les transports publics, qui pénalise les finances des collectivités locales, alors que, dans le même temps, le secteur du cinéma bénéficie d’un taux réduit de 5,5 %.

D’autre part, si l’on observe l’évolution des prix des principaux services publics marchands sur les dix dernières années, on constate que ceux des transports de voyageurs constituent une exception : ils ont baissé alors que ceux de tous les autres services – distribution d’eau, services postaux, restauration scolaire et universitaire, enlèvement des ordures ménagères – ont augmenté au même rythme que l’inflation, voire plus rapidement. Il y a donc probablement une action à mener sur les tarifs pour faire face à la contraction des financements publics – j’y reviendrai.

Troisième source de financement : les concours publics. Ils s’élèvent à 4,3 milliards d’euros au niveau national, dont 2,5 milliards de contributions des communes et des EPCI en province et 1,8 milliard de contributions statutaires des membres du syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) et de la région Île-de-France.

À cet égard, l’abandon de l’écotaxe constitue une troisième mauvaise nouvelle récente. Elle pénalise le secteur des transports publics et a été très mal vécue par les opérateurs. L’écotaxe avait deux objets : contribuer aux investissements dans le transport ferroviaire et les transports urbains ; favoriser le report modal de la route vers le rail et les transports urbains, puisqu’elle taxait la première pour financer les seconds. Son abandon nous a donc privés à la fois d’une ressource et d’un levier.

Trois mauvaises nouvelles – le relèvement du seuil de salariés à partir duquel les entreprises acquittent le versement transport, la hausse du taux de TVA, l’abandon de l’écotaxe – ont donc eu un impact sur le secteur des transports publics avant même que la baisse des dotations aux collectivités n’intervienne. Les transports ne seront pas la seule compétence de service public pénalisée par cette baisse, mais ils le seront nécessairement.

Après avoir joué les Cassandre pendant deux ans, nous commençons à voir les premiers effets de ces mauvaises nouvelles : les collectivités ayant de grandes difficultés à boucler leur budget, elles réduisent leur offre de transport. Sur les cinq premiers mois de l’année 2015, l’offre kilométrique a baissé de 2,4 % par rapport aux cinq premiers mois de l’année 2014, ce phénomène touchant des réseaux de toutes tailles : grands, moyens et petits. Nîmes et Aix-les-Bains ont dû se résoudre à réduire leur offre de 10 %. Or une telle réduction se voit : on est bien au-delà de l’adaptation marginale du mois d’août ou du dimanche matin.

Nous sommes arrivés à un point d’inflexion, et la tendance actuelle nous préoccupe : pour les entreprises de l’UTP, la réduction de l’offre – c’est-à-dire celle de la commande publique –, c’est une baisse de l’activité, qui peut se traduire par une diminution nette de l’emploi. Lorsque la baisse d’activité est trop brutale, il n’est pas évident que l’on parvienne à l’absorber avec le flux naturel des départs de salariés. Il n’est donc pas impossible que nous assistions à des plans sociaux dans notre secteur, ce qui n’est jamais arrivé auparavant. Le témoin d’alerte s’allume : si cette tendance devait durer, nous aurions une situation très complexe à gérer de tous points de vue.

De plus, on voit bien qu’une spirale s’enclenche : moins d’offre, c’est moins de trafic – celui-ci n’a augmenté que de 0,2 % sur les cinq premiers mois de l’année 2015 –, mais moins de trafic, c’est aussi moins d’offre. À un moment donné, on atteint même un seuil : lorsque l’offre se réduit à quelques lignes résiduelles, on en vient à s’interroger sur l’intérêt de conserver une offre de transport public tout court.

Autre élément de préoccupation : la réduction de l’offre induit une diminution des recettes. Ainsi que je l’ai indiqué, le ratio recettes / dépenses s’établit à environ 30 %, mais il s’agit là d’une moyenne. Si certaines grandes villes – Lyon, Strasbourg, Nantes – ont réussi à maintenir ce ratio autour de 50 %, d’autres, généralement petites ou moyennes, ont un ratio à 10 ou 15 %. Lorsque ce taux est atteint, on peut se demander s’il faut continuer à vendre des billets ! Certains en viennent à prôner la gratuité, idée saugrenue et inquiétante de notre point de vue. D’une part, ce serait malsain en termes de financement : les recettes constituent une ressource non négligeable. D’autre part, payer son écot pour utiliser le service public est aussi un acte citoyen. Et ce qui est gratuit, on le sait, finit par ne plus avoir de valeur. D’où un risque d’incivilités et de manque de respect à l’égard du service public.

Nous sommes donc au début d’une spirale qui peut nous amener à des situations difficiles, douloureuses, voire dangereuses. Nous devons en être conscients. Est-ce ce que nous voulons ? Au moment où l’on se pique de développer des solutions de mobilité durable et à la veille de la COP 21, voulons-nous vraiment remettre massivement des voitures dans les centres-villes ? Nous pointons du doigt ce paradoxe politique.

En tant que défenseurs des intérêts du secteur, nous sommes inquiets pour l’activité des entreprises, publiques comme privées. Nos entreprises pourront-elles poursuivre leur développement ? Il faut aussi envisager la question à long terme et d’un point de vue plus stratégique : actuellement, les transports publics font partie des rares secteurs où trois des cinq premières entreprises mondiales sont françaises – Transdev, la RATP et Keolis ; nous parvenons à exporter nos savoir-faire à partir de la base française, qui constitue notre vitrine et nous permet d’innover. Est-il opportun, à moyen ou long terme, de mettre à mal un secteur qui se porte bien ? Nous ne pouvons qu’alerter sur les tendances en cours.

À long terme se profile un autre effet de ciseau qui inquiète tant les autorités organisatrices que les opérateurs. La loi relative à la transition énergétique incite les collectivités à se doter de véhicules électriques. C’est une bonne chose, et nous avons un rôle à jouer en la matière. Cependant, les véhicules électriques coûtent deux fois plus cher que les véhicules diesel. Il y a, là encore, un paradoxe à demander aux collectivités d’investir dans un parc de véhicules certes plus propres mais aussi plus coûteux, alors que leurs ressources – qu’il s’agisse des dotations, des recettes ou du versement transport – diminuent. On peut s’interroger sur la soutenabilité de cette perspective, et j’ignore comment les collectivités vont faire face à ce hiatus. Une solution caricaturale consisterait à réduire l’offre de transport de moitié dans la mesure où les équipements coûtent deux fois plus cher. Nous aurions alors des réseaux très propres mais deux fois moins importants qu’aujourd’hui. À l’évidence, ce n’est pas ce que nous voulons.

Rappelons que les transports publics sont non pas un problème, mais une solution. En France, le secteur des transports au sens large est responsable de 30 % des émissions de dioxyde de carbone. Sur ces 30 %, seul 1 % est imputable aux transports publics. La solution, c’est d’inciter les gens, lorsqu’ils le peuvent, à utiliser le plus possible les transports collectifs, qui sont, par construction, beaucoup plus propres que la voiture particulière.

Que peut-on faire face à ce constat inquiétant ? Peut-on trouver du sens dans ce contexte ? Vous m’avez demandé, monsieur le président, s’il s’agissait d’un mauvais moment à passer ou si les difficultés seraient de plus longue durée. Si notre pays retrouve la voie de la croissance et de la prospérité – ce que je souhaite en tant que citoyen –, le versement transport deviendra à nouveau une ressource dynamique, son produit étant peu un prou corrélé à l’emploi, donc à l’évolution de la situation de nos entreprises. Mais il est difficile de prévoir quelle sera la croissance dans notre pays. Certains prévisionnistes évoquent une croissance molle durable : nous devrons peut-être nous habituer à des taux de croissance faibles pendant plusieurs années. Dans ce cas, la capacité des entreprises à recréer de l’emploi sera limitée. Quoi qu’il en soit, nous n’avons guère de prise sur ce levier.

En ce qui concerne les recettes, l’UTP estime qu’il existe de la marge pour les rendre progressivement plus dynamiques. Nous ne stipulons pas pour autrui : cette décision revient aux autorités organisatrices. Certes, il peut paraître paradoxal d’augmenter les tarifs dans une période de crise, les usagers n’ayant guère envie de payer plus cher leur abonnement ou leur ticket de bus. Cependant, le ratio recettes sur dépenses, qui s’établit actuellement à 30 % en province, était de 50 % en moyenne il y a vingt ans. En d’autres termes, les usagers acceptaient alors de payer la moitié des coûts de fonctionnement du réseau. Et c’est encore le cas dans quelques agglomérations.

M. le président Alain Fauré. Pouvez-vous citer des exemples ?

M. Jean-Pierre Farandou. Strasbourg, Lyon, Nantes, Grenoble. À Lyon, le ratio atteint même 56 %.

La baisse de ce ratio de 50 à 30 % s’explique principalement par le fait que la grande majorité des agglomérations n’ont pas répercuté l’inflation sur les tarifs. Si elles l’avaient fait année après année ou, tout au moins, tous les deux ou trois ans, elles auraient maintenu leur ratio à 50 %. Mais on est un peu piégé par le prix unitaire du ticket, qui va de 1 à 1,50 euro. Quand l’inflation est de 3 %, l’augmentation correspondante n’est que de quelques centimes. On a du mal à l’appliquer, les systèmes de vente n’étant d’ailleurs pas toujours capables de la prendre en compte. On laisse alors passer les années. Et, lorsqu’il devient nécessaire d’agir, l’augmentation est de 10 centimes. À ce moment-là, on hésite, car il est politiquement difficile pour un élu local d’assumer une telle hausse de tarif. Avec la baguette de pain, le prix du ticket de bus ou de métro est en effet l’un des marqueurs du pouvoir d’achat des Français. D’autre part, lorsque l’économie se portait bien, on n’avait pas trop de problèmes de ressources, car le versement transport était au rendez-vous. Du fait de la combinaison de ces trois facteurs – difficultés techniques à appliquer une augmentation de quelques centimes ; difficulté politique à assumer la hausse des tarifs lorsqu’elle devient nécessaire ; absence de besoins trop marqués –, un écart s’est creusé au fil des années, et il est aujourd’hui très important.

Faisons un calcul rapide : si le ratio recettes / dépenses était resté à 50 %, les recettes s’élèveraient aujourd’hui non pas à 1,3 milliard d’euros, mais à plus de 2 milliards, soit environ 800 millions de plus. Que pouvons-nous faire nous-mêmes avant de tendre la main vers l’extérieur ? Selon moi, il faut envisager un relèvement des tarifs dans le temps. Cette question ne doit pas être un tabou. Il ne s’agirait pas d’un mouvement brutal : les tarifs ont mis vingt ans à baisser, ils peuvent mettre vingt ans à remonter. Nous allons devoir faire beaucoup de pédagogie auprès de nos concitoyens et des usagers, en expliquant que l’on ne paie pas assez cher les transports publics dans notre pays, ce qui est tout à fait exact si l’on compare notre situation à celle des autres pays européens. Au Royaume-Uni, c’est spectaculaire : les prix des transports publics sont deux à trois fois plus élevés qu’en France. En Allemagne et en Italie, qui sont des pays comparables au nôtre, ils sont supérieurs d’au moins 50 %. En gros, le prix du ticket devrait se situer plutôt autour de 2 euros que de 1 euro, en tout cas dans les grandes villes, compte tenu de la qualité de l’offre.

À cet égard, n’oublions pas qu’il existe des tarifs réduits. Le mouvement actuel de tarification dite solidaire est d’ailleurs intéressant : dans certaines villes, on est passé d’une tarification liée à l’âge ou à la condition – jeune, retraité, chômeur, handicapé – à une tarification liée à la capacité contributive, mesurée par la situation fiscale, notamment le quotient familial. Strasbourg et Clermont-Ferrand ont fait ce choix, qui relève, bien sûr, des élus. Cela permet de rendre les transports en commun accessibles aux personnes dont la situation financière est plus difficile.

Il faut aussi améliorer la productivité. Produire moins cher le service public, ce n’est pas un tabou. Selon moi, les entreprises peuvent faire un effort de productivité de 5 %, ce qui correspond à 200 millions d’euros sur les quelque 4 milliards de charges en province. Cet effort concernera beaucoup la masse salariale, mais pas seulement.

Ensuite, un durcissement de l’appareil législatif est nécessaire pour lutter contre la fraude – en sus d’un volet plus préventif et d’un volet plus commercial – afin que les entreprises soient mieux armées pour aller chercher tout ou partie du manque à gagner correspondant. Celui-ci est évalué globalement à 500 millions d’euros pour la SNCF, la RATP et les transports urbains en province. Pour les transports urbains seuls, il est estimé à 100 millions. Les pouvoirs publics doivent aller au bout des démarches engagées en ce sens, certaines mesures ayant déjà été votées.

Enfin, il convient de conduire à son terme la décentralisation de la gestion du stationnement. Les parlementaires ayant fait leur part du travail, il faut désormais que les administrations suivent : la loi a été adoptée cette année, mais le Premier ministre a lui-même annoncé qu’un délai de deux ans était nécessaire à la publication des décrets et à la mise en œuvre technique. Cette réforme permettra aux élus locaux de s’emparer de la problématique du stationnement dans leur ville. Nous estimons à 400 millions d’euros le gisement de frais de stationnement et d’amendes non recouvrés. Le taux d’efficacité des péages et du stationnement payant est beaucoup plus bas en France que dans d’autres pays d’Europe. Pour contrer l’évolution en cours, certains nous ont opposé que les élus locaux allaient augmenter sensiblement les tarifs de stationnement. Tel n’est pas du tout le cas : une fois confié à l’échelon local et géré par des moyens de proximité, le système de stationnement sera non pas plus cher, mais beaucoup plus performant ; nous en sommes convaincus.

Il existe donc plusieurs pistes pour remettre de l’argent dans le système de financement des transports publics. Il faut les mettre en œuvre. Selon moi, il est en outre utile de poursuivre la réflexion sur l’usage de l’instrument que constitue la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Profitant à court terme de la baisse des prix des carburants, peut-être pourrions-nous accroître la taxation sur le diesel et flécher le produit correspondant vers le financement des transports au sens large, que ce soit l’investissement, comme cela a été fait via l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), ou le fonctionnement, en reconstituant la capacité de financement des collectivités. Il s’agit d’une piste intéressante pour redonner du souffle à notre politique de transport.

Pour résumer, la position de l’UTP est la suivante : l’addition des mauvaises nouvelles pour le secteur pose un problème et suscite notre inquiétude ; la baisse des dotations est un élément fondamental, car celles-ci servent en grande partie à financer l’investissement ; nous avons collectivement une capacité de réaction, mais cela demandera le courage de tous les acteurs, y compris de l’État ; des mesures législatives sont nécessaires en matière de lutte contre la fraude, de gestion du stationnement et, peut-être, d’adaptation de la TICPE afin de favoriser le développement des transports collectifs dans notre pays.

M. le président Alain Fauré. J’ai écouté avec attention vos propositions et vos suggestions pour retrouver des moyens d’investissement dans les collectivités. En revanche, je ne vous ai guère entendu parler de remise en cause au sein même des entreprises : ne doivent-elles pas s’adapter au temps présent, par exemple en proposant des offres plus larges ou mieux adaptées aux attentes des collectivités, afin notamment d’éviter les surinvestissements ou les charges d’exploitation trop lourdes ? Au cours d’une audition précédente, a été cité l’exemple d’une ville qui a pu s’équiper d’un tramway parce qu’on lui a finalement proposé une offre mieux adaptée. Quelles sont les réflexions en cours sur ce point au sein de votre profession ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Merci, monsieur Farandou, de votre présentation. Ainsi que vous l’avez indiqué, nous comptons des champions mondiaux dans le secteur des transports publics, de même que dans d’autres domaines où notre pays a historiquement délégué le service public, notamment la distribution de l’eau, l’assainissement ou la gestion des déchets. Si la gouvernance de ces majors me semble parfois critiquable – je pense en particulier aux versements de dividendes, un peu moins fréquents toutefois en ce moment –, nous avons en face de nous, en tant que maîtres d’ouvrage et autorités organisatrices, des entreprises de très grande qualité du point de vue des compétences techniques et de l’ingénierie. J’ai pu l’éprouver encore tout récemment lors de la négociation du nouveau contrat de délégation de service public (DSP) en matière de transports à Vierzon.

Les chiffres que vous nous avez donnés corroborent ceux du GART. Néanmoins, vous avez cité un chiffre que le GART n’a pas mentionné : la diminution de 2,4 % de l’offre de service sur les cinq premiers mois de 2015 par rapport aux cinq premiers mois de 2014, avec des baisses de 10 % à Nîmes et à Aix-les-Bains. À Vierzon, où nous venons, je l’ai dit, de négocier un nouveau contrat de DSP, nous sommes encore au-delà, probablement à 12,5 %, même si l’amélioration de la productivité va sans doute nous permettre de ne pas dégrader l’offre jusqu’à ce niveau-là. La ville de Vierzon a perdu 650 000 euros sur la dotation globale de fonctionnement en 2015, et nous nous attendons à perdre à nouveau 650 000 euros en 2016 – nous attendons le projet de loi de finances pour savoir à quelle sauce nous serons mangés. Nous avons diminué de 480 000 euros la contribution forfaitaire de la ville pour les transports. Si nous ne l’avions pas fait, nous aurions été incapables d’équilibrer le budget. Ainsi, les transports sont l’un des premiers postes auxquels nous avons touché. Sentez-vous un mouvement analogue ailleurs en France ? Des entreprises membres de l’UTP avec lesquelles j’ai discuté lors de la négociation du contrat de DSP ont évoqué d’autres agglomérations dans le même cas, notamment Valenciennes Métropole, exemple jugé emblématique s’agissant de la diminution de la contribution forfaitaire et de l’offre de service.

Les autorités organisatrices ont le choix entre deux régimes fiscaux : la TVA ou la taxe sur les salaires. Sentez-vous actuellement un mouvement de basculement de la TVA vers la taxe sur les salaires ? Il semble que cela soit avantageux pour les petits réseaux, lorsque les collectivités versent une contribution forfaitaire variable.

Dans les négociations actuelles de contrats de DSP et de marchés publics, observez-vous une tendance à la baisse s’agissant des montants ? À cet égard, comment anticipez-vous les années à venir ?

M. Jean-Pierre Farandou. Vous avez raison, monsieur le président, d’évoquer l’adaptation de l’offre. Ce travail est déjà largement engagé. En tant qu’opérateurs, notre rôle est de conseiller les autorités organisatrices, à qui il appartient de décider. Nous le faisons, bien sûr.

Il est effet possible de travailler sur l’offre. Dans les grands réseaux, il faut revoir l’offre de bus, qui s’est souvent « sédimentée ». Dans les villes qui ont mis en place des modes lourds – tramways ou métro –, on n’a guère remis en question les lignes de bus. Or il arrive que l’on gaspille les bus-kilomètres. On peut optimiser le tracé des lignes en tenant compte de l’évolution de l’agglomération : en dix ou vingt ans, les lieux d’habitation, de travail et de loisirs bougent. On peut notamment fusionner des lignes, modifier leur tracé, mieux les articuler avec les modes lourds. Cela a été fait à Bordeaux, à Lyon ou à Lille.

Ainsi, il est tout à fait possible de réduire un peu les coûts, tout en continuant à proposer un service de qualité. Il y a deux manières de procéder : si l’on cherche à faire des économies, on peut réduire le nombre de bus-kilomètres de 5 à 10 % sans perdre de trafic ; si l’on conserve le même budget, on peut garder à peu près le même nombre de bus-kilomètres, mais en augmentant le trafic de 10 à 15 %.

Donc, selon les enjeux et le développement de la ville, il est possible de travailler sur l’offre, notamment sur celle de bus ; il est plus compliqué de le faire pour les modes lourds qui sont, par définition, pris dans leur tracé.

D’autre part, les choix en matière de mode de transport évoluent. Nous avons eu, en France, les « années tramway », et c’est une bonne chose : c’est un mode de transport formidable et, dans toutes les villes, les projets de tramway se sont accompagnés de projets d’urbanisation, généralement très réussis. Si nous avons de belles villes en France, nous le devons en partie au tramway. Les élus bordelais, par exemple, l’ont très bien utilisé pour changer leur ville. Mais on pourrait citer pratiquement toutes les villes qui se sont dotées d’un tramway.

Cependant, le tramway coûte cher à construire, notamment la pose des rails et des caténaires. Les choix s’orientent désormais – je pense que cette évolution va se confirmer – vers les bus à haut niveau de service (BHNS), qui coûtent environ trois fois moins cher que le tramway, en investissement et en exploitation. Dès lors que l’on ne dépasse pas 50 000 à 60 000 passagers par jour, le BHNS permet de proposer une offre de qualité, comme à Metz ou à Nîmes, à plus forte raison s’il dispose de voies dédiées sur une grande partie de son parcours.

Donc, en travaillant, d’un côté, sur l’offre et, de l’autre, sur le choix du mode de transport, on peut faire faire des économies aux collectivités, en investissement et en exploitation.

Le mouvement que vous décrivez est en effet lancé, monsieur le rapporteur. Nous le voyons clairement dans les appels d’offres auxquels nous répondons. Toutes les collectivités fixent un montant inférieur à celui du contrat précédent. Nous voyons même, parfois, une nouvelle manière de procéder dans le cadre des appels d’offres : la collectivité fixe les grands principes du réseau dans le cahier des charges, nous indique le montant maximal de la contribution forfaitaire qu’elle est prête à verser et nous demander de proposer le meilleur réseau à ce prix. Le montant devient un absolu à ne pas dépasser.

L’augmentation du taux de TVA est intervenue quelques mois avant les élections municipales. Or ce n’est pas le moment le plus adéquat pour relever les tarifs. Dans la plupart des cas, la hausse de la TVA a donc été supportée par les finances locales. Il y a eu quelques exceptions, notamment la ville de Bordeaux, qui l’a répercutée sur les tarifs dès l’année suivante et a assumé cette décision. Elle a pu se le permettre car elle dispose d’un très beau réseau, avec une offre de qualité, notamment de tramway.

Je n’ai pas observé de mouvement de basculement de la TVA vers la taxe sur les salaires sauf, en effet, pour les petits réseaux. Les réseaux moyens et grands restent pour le moment à la TVA. Cela étant, je n’ai pas examiné cette question de manière approfondie. Je peux préciser les choses si cela intéresse la commission.

Comment réagissons-nous face à la baisse des montants ? C’est un véritable problème. Je pense en particulier au transport scolaire. Il s’agit d’un marché très encadré, où les contrats sont des marchés publics. Il n’est donc pas possible de discuter. Les marges attendues étant de plus en plus réduites, cela se traduira par un service de plus en plus sobre. Compte tenu des contraintes financières des collectivités, si nous sommes poussés dans nos retranchements par la baisse des prix, dans une logique de moins-disant systématique, nous serons bien obligés de trouver des solutions moins coûteuses pour nous en sortir. Ainsi, il n’est pas impossible que nous en venions à acheter des véhicules low cost – à bas coûts –, par exemple des bus chinois. Cette évolution ne serait guère favorable à l’industrie française et européenne.

M. le président Alain Fauré. Nous entendons votre remarque. C’est pour cette raison qu’il faut faire des efforts en termes d’organisation. En Ariège, petit département très éclaté où le ramassage scolaire est assez complexe, notamment en zone de montagne, on voit circuler beaucoup de bus aux trois quarts vides, les parents préférant prendre leur véhicule pour accompagner leurs enfants. Les habitudes des familles ont changé et l’esprit économe ariégeois s’est émoussé avec le temps ! Je n’ose imaginer ce que cela donne dans d’autres départements… À un moment donné, dans les collectivités, notamment dans les communautés d’agglomération, il est nécessaire que les élus de la majorité et de l’opposition se mettent autour d’une table et réfléchissent à ce qu’il convient de faire, avant que l’on envisage d’acheter des bus chinois !

Mme Marie-Lou Marcel. Vous avez évoqué un certain nombre de pistes notamment le relèvement des tarifs jusqu’à un prix moyen de 2 euros le ticket et la lutte contre la fraude. Ces pistes seront-elles suffisantes ou bien faudra-t-il aller plus loin ? Compte tenu de la contraction des recettes, ne risque-t-on pas de devoir faire davantage appel au financement public par l’État ou par les collectivités territoriales ?

Lors des vingt-cinquièmes Rencontres nationales du transport public qui se sont tenues à Lyon, le GART et l’UTP ont dévoilé les premières conclusions d’une consultation organisée en 2015 pour dégager des pistes d’avenir. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces conclusions ? Que ressort-il de ces rencontres et de cette consultation ?

M. Laurent Furst. Merci, monsieur, de votre présentation, qui a le mérite de la clarté : vous avez démontré le lien direct entre la baisse des dotations aux collectivités territoriales et la baisse de l’offre de service public à nos concitoyens et, partant, la baisse de l’emploi correspondant. Nous retrouverons le même phénomène dans de nombreux autres secteurs. Sachant que nous n’en sommes qu’à la première des trois années de baisse des dotations, l’incidence risque d’être particulièrement destructrice au terme du dispositif. Il est donc heureux que les choses soient dites et soulignée aujourd’hui.

La communauté de communes que je préside construit actuellement une piscine. L’État ayant annulé sa subvention et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ayant divisé la sienne par quatre, j’ai dit clairement aux élus que j’aurais pris la décision de ne pas la construire si le chantier n’avait pas déjà débuté. Êtes-vous témoin, dans votre secteur, de réflexions de cette nature ? Constatez-vous une réticence à affecter des crédits pour l’entretien du réseau et le renouvellement des équipements ? Avez-vous le sentiment que des projets structurants pourraient être abandonnés, reportés, voire oubliés par les collectivités compte tenu de leur nouvelle situation financière ?

M. Jean-Pierre Farandou. Vous mettez le doigt, madame la députée, sur un point tout à fait central : le financement est assuré soit par le contribuable, soit par l’usager. Il n’y a pas d’autre source : quand ce n’est pas l’un qui finance, c’est l’autre, et quand la somme des deux apports ne suffit pas, il y a un trou dans le budget et il faut agir – dans ce cas, on en vient souvent à réduire l’offre.

Nous avons évoqué plusieurs éléments dans les conclusions de notre « tour de France ». Les deux plus importants sont le relèvement des tarifs et la lutte contre la fraude, mais ce ne sont pas les plus faciles à mettre en œuvre. Pour un élu local, il est difficile de s’engager dans une démarche de hausse des tarifs, même si elle est graduelle et qu’il existe des réductions pour les personnes qui en ont le plus besoin. Il faudrait, au minimum, répercuter « l’inflation plus quelque chose » sur vingt ans. Et il serait bon que ce relèvement progressif des tarifs fasse l’objet d’un consensus et soit poursuivi quelles que soient les majorités en place. C’est peut-être un vœu pieux, mais je le formule.

Car, à l’évidence, c’est la meilleure manière d’alimenter le système. Je rappelle le chiffre que j’ai donné précédemment : si l’on avait maintenu le ratio recettes sur dépenses au niveau qui était le sien dans les années 1990, il y aurait 800 millions d’euros de plus par an dans le système, ce qui est considérable. Pourquoi le niveau de tarification qui était supporté par la société il y a vingt ans ne le serait-il plus aujourd’hui ? Encore une fois, il n’est pas question d’une augmentation brutale. D’autre part, ce niveau existe dans certaines villes, où il est accepté par les habitants. Enfin, je vous renvoie à la comparaison entre pays européens que j’ai mentionnée. Ainsi, beaucoup d’arguments rationnels plaident pour un relèvement des tarifs. Je milite pour que nous nous engagions dans cette direction. Reste que le changement est difficile à conduire. Il faudra certainement faire un effort de pédagogie important auprès des usagers et des associations. Je suis prêt à y participer s’il le faut.

Je le répète : si ce n’est pas l’usager qui finance, c’est le contribuable. Or, sauf si vous me dites le contraire, ce dernier est à saturation : il devient difficile d’envisager une hausse de la fiscalité, tant au niveau national qu’à l’échelon local. Donc, si nous n’arrivons pas à augmenter les tarifs, la régulation se fera inexorablement par une baisse de l’offre, soit de manière intelligente ainsi que l’a évoqué le président Alain Fauré, soit de manière brutale si l’on est pris par les échéances.

S’agissant de la lutte contre la fraude, je constate une évolution frappante. Il y a encore deux ou trois ans, c’était un thème un peu tabou, notamment après des élus, car ils avaient du mal à assumer politiquement son aspect répressif, le fait que l’on « tombe » sur les gens qui n’ont pas pu payer leur billet. Aujourd’hui, en période de crise, ceux qui paient leur abonnement trouvent insupportable de voir d’autres personnes frauder. Ils nous interpellent, notamment par courrier, en nous demandant ce que nous faisons en tant qu’opérateurs pour empêcher la fraude.

En outre, les alibis tombent. Jusqu’à un passé récent, les fraudeurs pouvaient parfois plaider la bonne foi : ils n’avaient pas pu acheter leur ticket, car il y avait trop d’attente à l’automate ou celui-ci était en panne, et ils ne pouvaient pas se permettre d’attendre le tramway suivant. Désormais, les arguments de ce type deviennent moins plausibles, car on va bientôt pouvoir acheter partout son ticket en quelques clics sur son smartphone.

Il faut lutter contre la fraude. J’ai beaucoup insisté sur l’aspect répressif, car nous avons besoin d’un durcissement de l’appareil législatif. Mais, avant la répression, il y a l’information. Or, malgré tous nos efforts, celle-ci demeure insuffisante. On se rend compte que beaucoup d’usagers ne connaissent pas les tarifs, notamment ceux qui peuvent avoir accès à des tarifs très bas. Dans ce dernier cas, c’est un peu dommage de frauder.

D’autre part, il faut, selon moi, adopter une posture commerciale, en donnant une chance aux fraudeurs de transformer leur « oubli » lorsqu’ils sont pris sur le fait : plutôt que de leur faire payer une amende, on leur demanderait d’acheter un abonnement, ce qui serait, de leur point de vue, une meilleure manière d’utiliser l’argent et les mettrait en situation régulière. Reste qu’il faut dissuader les fraudeurs invétérés par une politique plus nette, avec des enjeux financiers et judiciaires plus importants.

Nous avons évoqué d’autres éléments dans nos conclusions. D’abord, il reste encore beaucoup à faire en termes de promotion de nos réseaux. Les opérateurs et les élus chargés des transports qui travaillent avec eux connaissent l’offre et les tarifs par cœur, mais ne croyons pas qu’il en va de même pour la population. Je suis persuadé que de nombreux Français ne savent pas quels services de transport leur sont accessibles. Selon une étude que nous avons réalisée, un salarié sur deux ignore que la loi fait obligation à l’employeur de rembourser la moitié de l’abonnement de transport qui lui permet de se rendre au travail. Cela divise tout de même l’effort financier par deux : un abonnement coûtant en moyenne 40 euros par mois – ce qui n’est déjà pas très cher –, il revient dès lors à 20 euros par mois, ce qui fait moins de 1 euro par jour pour utiliser le réseau autant que l’on veut. L’affirmation selon laquelle « les transports sont chers » est, selon moi, discutable. Il est donc très important de continuer l’effort d’information.

Ensuite, il y a des efforts à faire en termes de multimodalité et d’intermodalité. L’usager est souvent obligé de prendre plusieurs modes de transport. C’est pourquoi il faut mieux articuler les parkings avec les transports, les trains avec les transports en commun, les cars du département avec les bus de la ville, etc. Il faut aussi prévoir des parkings sécurisés pour les vélos, afin qu’ils ne soient pas volés pendant les heures de travail. La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) et la loi NOTRe ont prévu des évolutions intéressantes : un rôle de chef de file est confié à la région et des schémas régionaux de l’intermodalité doivent être élaborés. Notons que l’on peut gagner en efficacité et réduire les coûts en supprimant les doublons qui demeurent encore entre les cars des départements et les trains express régionaux (TER).

Enfin, on peut souvent améliorer la vitesse commerciale. C’est le dada des opérateurs, non sans raison : un bus qui circule au milieu des voitures roule à 17 kilomètres par heure, c’est-à-dire à la vitesse d’un vélo, alors qu’il roule à 22 kilomètres par heure s’il dispose de couloirs dédiés, soit 5 de plus, ce qui représente un gain d’environ 30 %. Or les statistiques sont claires : une augmentation de la vitesse de 10 % correspond à une augmentation du trafic de 5 %. Donc, 30 % de vitesse en plus, c’est 15 % de trafic en plus et, partant, des recettes supplémentaires. En outre, l’augmentation de la vitesse permet de gagner sur les coûts : si, par exemple, le bus fait un aller-retour supplémentaire dans la journée, on améliore le rendement car on utilise mieux les moyens de production – tant le véhicule que son conducteur. Donc, mesdames, messieurs les élus, s’il vous plaît, aménagez des couloirs dédiés dans vos villes et instaurez des priorités aux feux pour les bus ! Vous améliorerez la vitesse commerciale, ce qui aura un effet tant sur les recettes que sur les coûts.

Monsieur Furst, certains projets sont en effet remis en question. Cela a été très net avec l’arrivée des nouvelles équipes municipales en 2014 : la première décision de certaines d’entre elles a été de geler ou de suspendre des projets, faute de moyens, et d’attendre. Tel a été le cas, entre autres, du projet de tramway à Amiens. Il y a donc, à l’évidence, des effets de décalage. Toutes les collectivités sont affectées. Néanmoins, à mon avis, les métropoles et les très grandes agglomérations tiennent le choc, grâce à leur surface financière et à leur dynamisme économique. En revanche, un certain nombre de villes moyennes et, plus encore, de petites villes vont devoir différer, si ce n’est annuler, leurs projets.

M. le président Alain Fauré. Fort heureusement, monsieur Furst, nous nous en sommes tenus à 50 milliards d’euros d’économies : nous ne sommes pas allés jusqu’aux 120 ou 130 milliards que certains préconisent dans leur projet ! Que n’entendrions-nous pas au cours de nos auditions !

M. Éric Alauzet. Il ressort de manière évidente de vos propos que la baisse des dotations pénalise les collectivités et a notamment un impact sur leurs investissements. En outre, vous avez évoqué l’augmentation du taux de TVA. Toutefois, pour avoir une vision objective, nous devons être complets et rappeler aussi les ressources supplémentaires dont les collectivités ont pu ou vont pouvoir bénéficier.

La loi de finances pour 2015 a prévu un appui de 300 à 500 millions d’euros supplémentaires à l’investissement local, via l’optimisation du Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) et l’augmentation de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) – laquelle concerne sans doute moins les transports, encore qu’il puisse y avoir des projets de transport alternatif en milieu rural. Ces mesures vont produire des effets progressifs sur deux ou trois exercices.

Le projet de loi de finances pour 2016 va concrétiser la création du fonds de 1 milliard d’euros annoncé par le Président de la République, dont 500 millions seront destinés à financer des projets d’aménagement urbain, notamment en matière de mobilité.

D’autre part, n’oublions pas le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Dans ma collectivité, le CICE a plus que compensé l’augmentation de la TVA et a permis d’embaucher 50 personnes dans le réseau de transport.

Par ailleurs, la baisse des dotations amène les collectivités à réfléchir un peu différemment, le cas échéant avec votre appui, ce qui peut être bénéfique. Au cours de l’audition précédente, j’ai expliqué que la ville de Besançon s’était finalement dotée d’un tramway à 16 millions d’euros du kilomètre, parce qu’elle ne pouvait pas se payer un tramway à 25 millions d’euros du kilomètre. On fait aussi en fonction de ce que l’on a ! Et le fait de disposer de peu de moyens incite parfois à être plus innovant, à trouver des solutions alternatives. Par exemple, les voies en site propre coûtent relativement peu cher et se révèlent un investissement efficient si l’on considère la vitesse gagnée par rapport à l’argent public dépensé.

Certes, les nouvelles ne sont pas bonnes, mais on se projette dans l’avenir – je suis sûr que vous le faites aussi. Les ressources supplémentaires que j’ai signalées ne compensant pas complètement la baisse des dotations, nous allons être obligés d’être innovants. Qu’en est-il, précisément, de l’innovation dans votre secteur ?

M. Jean-Luc Bleunven. Vous avez évoqué la multimodalité. On peut, par des aménagements urbains intelligents, amener les usagers à utiliser tel ou tel mode de transport. L’important est que cela fonctionne bien, que le coût demeure raisonnable et que cela soit bénéfique pour l’environnement – la COP 21 nous imposera des baisses supplémentaires d’émissions de dioxyde de carbone. Cependant, n’y a-t-il pas parfois une concurrence entre les différents modes de transport ? Par exemple, du point de vue d’un opérateur de transports publics, est-ce faire un bon usage de l’espace public que de favoriser l’usage du vélo ? Comment organiser les choses de manière optimale ?

M. Jean-Pierre Farandou. L’innovation ne vient pas toute seule : elle dépend de l’effort de recherche et développement, qui a un coût ; il faut notamment des moyens humains. L’objet du CICE était précisément de financer l’innovation.

Quelles sont les innovations dans le secteur des transports publics ? Il y a, d’abord, de nouveaux modes de transport, en particulier le BHNS, qui n’existait pratiquement pas il y a encore cinq ans et constitue une solution alternative intéressante au tramway. Vous avez également mentionné, monsieur Alauzet, des tramways moins coûteux : on s’efforce en effet de tendre vers 15 millions d’euros du kilomètre contre 25 millions auparavant. Cela implique d’optimiser chaque composante de l’installation, tant les infrastructures que le matériel.

Ensuite, nous innovons en matière de services, afin de mettre les transports publics au niveau des attentes et des nouveaux usages des habitants : il va enfin être possible d’acheter son titre de transport sur un smartphone. Ce n’est pas encore le cas partout, ce qui étonne d’ailleurs les jeunes, qui sont depuis longtemps habitués à acheter leurs places de cinéma de cette manière. De fait, c’est une innovation qui coûte : sur ces questions, Keolis a dépensé 30 millions d’euros et Transdev a annoncé qu’elle allait investir 50 millions. Sans le CICE, Keolis aurait eu du mal à assurer ce financement. Le CICE est donc une bonne chose, dès lors qu’on l’utilise bien aux fins prévues, à savoir l’innovation et l’amélioration de la performance, tant en France qu’à l’international.

Enfin, il est nécessaire, en quelque sorte, d’innover dans les comportements. Tous les acteurs du monde des transports publics se rejoignent sur la nécessité de favoriser le report modal : il faut faire en sorte que les gens ne prennent plus leur voiture le matin, en tout cas qu’ils ne la prennent pas seuls ou qu’ils la prennent moins. À cette fin, il faut qu’ils disposent d’une palette de solutions de mobilité durable au sens large – de la marche à pied au bus en passant par le vélo, le covoitourage et la location de véhicule. Cette palette doit toujours offrir une réponse à leur besoin de déplacement, y compris s’il s’agit de déménager des meubles. Si, une fois dans la semaine, ils n’ont pas de substitut à la voiture, ils vont en acheter une et, dès lors, vont l’utiliser tout le temps. Notre but pratique doit être que les gens puissent se passer de voiture ou, à tout le moins, n’en possèdent qu’une seule par ménage. Du point de vue de l’UTP, il n’y a aucune contradiction entre transports publics et covoiturage, ni entre transports publics et autopartage, ni entre transports publics et vélo, ni entre transports publics et marche à pied. Il faut encourager toute forme de mobilité dès lors qu’elle est durable.

Car ce qui pollue et congestionne, c’est la voiture particulière. Quant à la voiture électrique, elle pollue moins, mais elle congestionne tout autant. Lors des Rencontres nationales du transport public à Lyon, un économiste de l’université de Toulouse a montré que le coût principal pour la collectivité était non pas la pollution – qui induit, certes, des coûts à long terme –, mais la congestion. Il a utilisé l’image suivante : à Toulouse, un déplacement qui doit prendre une heure prend une heure et demie. Cette demi-heure supplémentaire a un coût très élevé pour la collectivité, c’est une source majeure de « déproductivité ».

Actuellement, lorsque l’on réalise l’étude d’attractivité d’une ligne de bus, de tramway, de métro ou de BNHS, on prend en considération une bande de 150 à 200 mètres de part et d’autre de la ligne, c’est-à-dire que l’on intègre le fait que les gens ne marchent pas plus de 150 à 200 mètres. Si les gens acceptaient de marcher 300 ou 400 mètres – ce qui ne paraît pas impensable –, l’attractivité de la ligne doublerait ! Il faut encourager les Français à marcher.

M. le rapporteur. S’ils marchent 300 mètres, ils ne prendront plus le bus !

M. le président Alain Fauré. Plutôt que de prendre les transports le soir entre leur bureau et la salle de sport, les gens feraient mieux de marcher : c’est un sport gratuit qui permet de garder la santé et la forme !

M. Jean-Pierre Farandou. Je réponds à votre boutade, monsieur le rapporteur : s’il s’agit de faire 200 ou 300 mètres, il est préférable que les gens marchent plutôt que d’occuper des places dans le tramway. Mieux vaudrait réserver les tramways à ceux qui parcourent des distances plus longues, par exemple deux ou trois kilomètres. La marche à pied est une bonne chose. Sa promotion doit devenir une cause nationale. D’autant que c’est simple à faire et que cela ne coûte rien. Je suis tout à fait favorable à l’ensemble des mobilités douces.

Mme Anne Meyer, directrice du département des affaires économiques et techniques de l’UTP. La structuration des collectivités territoriales en autorités organisatrices de la mobilité (AOM) va faciliter l’approche multimodale ainsi que les politiques en faveur du vélo et des piétons. Auparavant, la compétence en matière de voirie relevait souvent non pas des autorités organisatrices de transports urbains (AOTU), mais des communes. C’était une source de difficultés lorsque l’on cherchait à améliorer la vitesse commerciale. Désormais, les AOM disposeront aussi de la compétence en matière de voirie.

M. le président Alain Fauré. Votre observation est juste.

M. le rapporteur. Vous avez indiqué que les métropoles étaient en moins grande difficulté que les autres collectivités. Avez-vous connaissance, par strate, du pourcentage de recettes dans le financement des réseaux de transport ? Les grandes agglomérations parviennent-elles à financer leur réseau uniquement grâce au versement transport et aux recettes commerciales, sans intervenir elles-mêmes ? J’en connais au moins une dans ce cas : Bourges Plus, qui dispose d’un réseau de transport de taille correcte, dont le budget s’établit à 16 ou 17 millions d’euros. Bien évidemment, elle a fixé le taux du versement transport à son maximum. Le niveau d’intervention des collectivités diminue-t-il avec leur taille ? Il y a une distorsion : on incite toutes les collectivités à développer les transports publics, y compris lorsque le périmètre de transports urbains (PTU) est peu étendu, mais les conditions sont intenables pour les villes petites et moyennes.

M. le président Alain Fauré. Vous avez mentionné la situation périlleuse dans laquelle pourraient se trouver certaines entreprises du fait de la baisse des dotations. C’est parfois la pérennité de l’emploi, voire celle de l’entreprise elle-même qui est en jeu. Avez-vous une idée du volume de chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble des entreprises que vous représentez ? Comment a-t-il évolué entre 2008 et aujourd’hui ? S’est-il maintenu ? Quelles sont les projections pour l’avenir ?

Quant à la croissance, que vous avez évoquée, il est assez compréhensible qu’elle soit plus faible dans notre pays que dans d’autres, qui ont vu leur PIB chuter – par exemple, de 2 000 milliards d’euros, niveau du PIB français, à 1 600 milliards – et qui rattrapent actuellement leur retard, ce qui est heureux. Les pays tels que la France ont maintenu leur PIB, certes avec de l’endettement, mais cela a été moins difficile à vivre pour la population.

Mme Anne Meyer. Les comptes d’exploitation des opérateurs distinguent seulement ce qui relève des recettes commerciales et ce qui relève de la subvention. Nous n’avons pas connaissance de la composition de la subvention, c’est-à-dire de la part du produit du versement transport et de celle des concours des collectivités. Il conviendrait d’interroger le GART à ce sujet. Néanmoins, nous savons que, dans un certain nombre de réseaux, le produit du versement transport permet de couvrir l’exploitation et une partie de l’investissement.

Il est difficile de répondre à votre question concernant le chiffre d’affaires. Dans le secteur des transports urbains, les périmètres évoluent, et on ne peut guère raisonner « toutes choses étant égales par ailleurs ». Au niveau des régions et des départements, le périmètre de transports correspond au territoire administratif. Tel n’est pas le cas pour les transports urbains : les bassins de mobilité progressent en permanence, y compris sous l’effet des lois. Par exemple, avec la loi Chevènement, le nombre de communes desservies par les transports publics a pratiquement doublé. Donc, notre chiffre d’affaires a évolué, mais cela tient aussi au fait que les périmètres de transports urbains ont eux-mêmes fortement évolué.

M. le président Alain Fauré. La préoccupation de tout secteur d’activité, industriel ou de services, est de voir son chiffre d’affaires progresser, quel que soit son périmètre. Il est normal que le périmètre évolue. La baisse des dotations peut d’ailleurs vous inciter à innover dans des domaines techniques ou à créer de nouveaux services, pour lesquels le contribuable ou l’usager sera éventuellement prêt à débourser un peu plus, ce qui peut répondre à vos attentes en matière d’augmentation du chiffre d’affaires et, surtout, à celles de notre pays en matière de création d’emplois. Quel est le chiffre d’affaires global dans votre secteur ? Comment évolue-t-il ?

Mme Anne Meyer. Nous vous communiquerons des informations par écrit à ce sujet.

M. Laurent Furst. Vous avez dit quelque chose de très intéressant, monsieur Farandou : les grandes agglomérations ont plutôt résisté et peuvent monter des projets, tandis que les agglomérations plus petites souffrent. Cela corrobore une analyse du cabinet Michel Klopfer : dans l’allocation des moyens, l’État a choisi de faire porter l’essentiel de l’effort sur les communes de 10 000 à 100 000 habitants. Or je ne peux que corréler ce choix administratif et politique avec les résultats électoraux : le parti que je représente a obtenu ses meilleurs résultats dans les communes de 10 000 à 100 000 habitants, en remportant deux communes sur trois. Par contre, le parti présidentiel reste dominant dans les grandes agglomérations. Tout cela relève du bon sens le plus absolu. Ce que vous dites ne fait que confirmer ce que nous pensons – même si ce sera démenti par notre président, qui le fera avec cœur et talent, comme d’habitude.

Nous avons pu lire un certain nombre d’articles sur le RER. Existe-t-il une corrélation entre la fréquentation des réseaux de transport et le sentiment de confort et de sécurité que l’on peut avoir à bord de ces transports ? Je parle bien de « sentiment » de sécurité, car la sécurité, c’est avant tout un sentiment. Développer les transports autour des agglomérations grandes ou moyennes est une excellente chose, mais cela n’a de sens que si l’on offre un niveau de confort et de sécurité suffisant.

M. le président Alain Fauré. Parmi les communes moyennes, Vierzon a tenu, c’est l’essentiel ! (Sourires.)

Je profite de cette audition, monsieur Farandou, pour vous poser une question complémentaire qui n’a pas trait directement à l’objet de notre commission d’enquête : que pensez-vous de la réflexion en cours sur le prolongement des lignes à grande vitesse, notamment de Bordeaux à Toulouse avec un embranchement jusqu’à Dax ? Je ne vous demande pas de porter de jugement sur ces projets, mais quelles sont, selon vous, les solutions alternatives qui pourraient être étudiées ? Elles sont sans doute beaucoup moins onéreuses. Plutôt que de faire du clientélisme exacerbé – comme le font beaucoup en instaurant la gratuité –, ne pourrait-on pas réfléchir autrement ? S’agissant de la liaison Paris-Toulouse, ne pourrait-on pas aménager les voies existantes ? Les trains ne circuleraient pas à 300 kilomètres par heure, mais le trajet serait plus direct. Cela éviterait de gaspiller des sommes astronomiques, notamment pour la constitution de la réserve foncière et la réalisation de nouvelles infrastructures.

M. le rapporteur. Le président Alain Fauré vous demande donc de reprendre votre ancienne casquette de directeur-adjoint grandes lignes de la SNCF, monsieur Farandou. Nous nous étions d’ailleurs rencontrés plusieurs fois à ce titre pour sauver la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. Si vous avez encore quelque influence à cet égard, il faudra poursuivre ce travail. Cela dit, je ne suis pas sûr que les lignes à grande vitesse soient la question du jour, et il ne faudrait tout de même pas que le président Fauré mette en cause le Président de la République et le Gouvernement, qui ont donné leur accord au projet Bordeaux-Toulouse ! Je ne voudrais pas que nous ayons des difficultés ! (Sourires.)

Je ne verse pas, comme Laurent Furst, dans la théorie du complot : je ne crois pas que les baisses de dotation touchent davantage les villes de 10 000 à 100 000 habitants parce qu’un grand nombre d’entre elles ont été remportées par le parti de l’opposition. Le problème, selon moi, c’est que les charges de centralité sont très lourdes pour ces villes, d’autant qu’elles ne bénéficient guère, à la différence des métropoles, d’arrivées d’argent privé qui complètent l’argent public. Pour les villes de 20 000 à 50 000 habitants, les réseaux de transport sont parfois invraisemblables – le président Fauré va dire, comme toujours, que c’est parce que nous gérons mal. Prenons l’exemple de Vierzon : la ville fait environ 10 kilomètres d’est en ouest pour 8 kilomètres du nord au sud, soit 7 800 hectares. Vous voyez ce que cela implique en termes de réseau de transport, de voirie ou de points d’éclairage public ! Cette faible densité dans un espace relativement étendu est très compliquée à gérer et nous met en difficulté.

M. le président Alain Fauré. Je maintiens la question que j’ai posée. J’ai un point de vue et je le défends. Nous ne sommes plus à l’époque où certains empêchaient de penser librement !

Je n’attaque personne sur sa capacité à gérer, monsieur le rapporteur. En revanche, il m’arrive de faire référence à des choix qui ont eu des conséquences douloureuses pour le contribuable. Certaines solutions sont plus avantageuses que d’autres, et il faut vérifier régulièrement que l’offre de services – en matière de transports ou dans d’autres domaines – est toujours en adéquation avec les attentes des citoyens. Car celles-ci évoluent : les attentes de nos enfants ne sont pas celles de nos parents ; les habitudes changent, notamment avec l’informatique et le numérique. Il convient donc de se poser les bonnes questions, non pas tous les quinze ans, mais tous les deux ou trois ans. Je fais souvent cette remarque et je la maintiens.

M. Jean-Pierre Farandou. La sécurité dans un réseau de transport collectif est peu ou prou la même qu’au sein de la ville : il n’y a ni plus ni moins de problèmes dans l’un que dans l’autre. C’est normal dans la mesure où tout réseau de transport est une composante à part entière de la ville.

Le sentiment d’insécurité est réel dans certains endroits, notamment dans certaines zones périurbaines, il ne faut pas le nier. Il n’est pas question de ne pas les desservir ; il faut être attentif à ces problèmes et les traiter. D’autant que cela peut nuire à l’attractivité des transports publics. En tout cas, vous avez raison, monsieur Furst, de distinguer le niveau objectif de sécurité et le sentiment de sécurité. C’est bien ce dernier qu’il faut prendre en compte, car c’est lui qui va déterminer le choix modal : si une personne a peur de prendre les transports collectifs, elle ne les prendra pas.

Je confirme qu’il existe une corrélation entre le sentiment de sécurité des voyageurs et le fait qu’ils soient rassemblés, éparpillés ou isolés. Dans les RER, tard le soir, on recommande aux passagers de se regrouper dans un même wagon. À cet égard, l’entrée en service des nouvelles rames « boa » – sans séparations entre les wagons – a eu un effet en banlieue parisienne : elles sont beaucoup plus sécurisantes, car, d’un simple regard, on peut embrasser l’espace et voir tout ce qui se passe dans la rame. De même, l’installation de caméras dans certains bus a fait baisser, de manière évidente et mesurable, le nombre d’actes d’incivilité commis à bord de ces bus – tous les exploitants peuvent vous le confirmer. Certaines personnes se calment lorsqu’elles se savent filmées. À tel point que, dans certains réseaux, les conducteurs refusent de prendre le volant si la caméra ne fonctionne pas. Celle-ci est devenue un équipement indispensable au maintien d’un bon niveau de sécurité dans les véhicules.

Le projet de ligne à grande vitesse que vous avez mentionné, monsieur le président, coûtera environ 8 milliards d’euros – peut-être davantage à terme. La question est celle de l’allocation de l’argent public. Le plus important, de mon point de vue – je m’exprime en tant que citoyen et cheminot –, c’est que l’argent public soit affecté en priorité à la régénération du réseau existant. S’il en reste, on pourra faire du développement. Le réseau français est en mauvais état. Il a un âge moyen de quarante ans, contre vingt-cinq ans pour le réseau allemand. Cela pose des problèmes de fiabilité – si une caténaire lâche ou un panneau tombe en panne, les trains sont en retard – et pourrait aller jusqu’à poser des problèmes de sécurité.

D’autre part, vous avez posé une excellente question de fond : vous nous invitez à réfléchir sur les critères que nous retenons, notamment sur les notions de temps et de vitesse. Pour notre génération, le critère important était celui de la vitesse : il fallait aller très vite, gagner du temps sur le temps. Les jeunes générations ont-elles le même appétit de temps ? Ce n’est pas sûr.

On évalue l’intérêt d’un projet de ligne à grande vitesse pour la collectivité en calculant le temps gagné. Mais, selon la valeur que l’on donne au temps, le résultat ne sera pas le même : cela vaudra la peine ou non d’avoir un train qui fait Paris-Toulouse en trois heures. À 200 kilomètres par heure, il faut quatre heures pour faire les 670 kilomètres qui séparent Paris de Toulouse. Peut-être est-il égal aux jeunes générations de mettre quatre heures là où l’on pourrait en mettre trois ? C’est ce qu’il faut examiner. Si tel est le cas, il ne faut pas construire de ligne à grande vitesse.

Quant aux solutions techniques, elles existent : on peut faire un excellent train qui roule à 200 kilomètres par heure en aménageant les lignes existantes.

M. le président Alain Fauré. Merci, monsieur Farandou et madame Meyer, de vos réponses.

L’audition s’achève à dix-neuf heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mardi 6 octobre 2015 à 18 heures.

Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Catherine Beaubatie, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Calmette, Mme Jeanine Dubié, M. Alain Fauré, M. Jean-Marc Fournel, M. Laurent Furst, M. Laurent Marcangeli, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Christine Pires Beaune, M. Nicolas Sansu, M. Claude Sturni.

Excusés. – M. Etienne Blanc, M. Martial Saddier.