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Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mercredi 14 octobre 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 31

Présidence de M. Alain FAURÉ, Président

Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Eau et assainissement » :

– Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) : M. Paul RAOULT, vice-président ; Mme Danielle MAMETZ, administratrice ; M. Laurent CIVEL, administrateur ; M. Daniel BELON, directeur adjoint ; M. Régis TAISNE, adjoint au chef du département « cycle de l’eau »

– Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E) : M. Didier PARIS, vice-président ; M. Tristan Mathieu, délégué général

M. le président Alain Fauré. Mes chers collègues, après le bâtiment, les travaux publics et les transports, il y a quelque temps, après les réseaux numériques à haut et très haut débit, hier, notre commission d’enquête va donner un coup de projecteur sur un autre secteur d’activité où les collectivités du bloc local jouent un rôle essentiel : le service public de l’eau et de l’assainissement. Cette table ronde rassemble des délégations de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E).

Je souhaite donc la bienvenue à : M. Paul Raoult, vice-président de la FNCCR, président du SIDEN-SIAN/NOREADE, en précisant que le SIDEN/SIAN est un EPCI dédié à la distribution de l’eau et à l’assainissement implanté sur le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie et qu’il opère une régie, NOREADE, qui est au service de près de 700 communes adhérentes ; Mme Danielle Mametz, administratrice de la FNCCR, vice-présidente du SIDEN-SIAN/NOREADE ; M. Laurent Civel, administrateur de la FNCCR, maire de Rions-des-Landes, directeur général du SYDEC 40 ; M. Daniel Belon, directeur adjoint de la FNCCR ; et M. Régis Taisne, adjoint au chef du département « cycle de l’eau » de la FNCCR.

La FP2E est représentée par M. Didier Paris, vice-président, et M. Tristan Mathieu, délégué général. Je leur souhaite également la bienvenue.

En première analyse, on aurait pu croire que le service public de l’eau et de l’assainissement serait immunisé contre les conséquences de la baisse des dotations de l’État : n’est-il pas normalement cantonné au sein d’un budget annexe et soumis à une obligation de couverture de ses coûts, avec une part importante du financement venant de la tarification des usagers ? Ce « modèle de base » connaît en fait des exceptions et sa mise en œuvre effective fait apparaître une forte implication des budgets communaux et intercommunaux – sans compter la part des travaux et des investissements qui n’est pas toujours couverte par les contributions des usagers, et donc parfois assurée par de l’autofinancement.

De ce fait, le contexte financier au sein duquel évoluent désormais les collectivités du bloc communal n’est pas sans incidence sur le service public qui nous occupe aujourd’hui, tant en matière d’investissement que de fonctionnement. La question du mode de gestion de ce service public ne peut non plus être indifférente. D’ailleurs, si deux organismes sont représentés à cette table ronde, ce sont en fait trois « voix » qui pourront se faire entendre : les autorités organisatrices et, pour ce qui est des exploitants, les régies et les délégataires.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Paul Raoult, Mme Danielle Mametz, M. Laurent Civel, M. Daniel Belon, M. Régis Taisne, M. Didier Paris et M. Tristan Mathieu prêtent serment.)

M. Laurent Civel, administrateur de la FNCCR. Merci pour cette audition. La FNCCR partage tout à fait votre propos introductif : un service public industriel et commercial (SPIC) n’est normalement pas confronté aux difficultés budgétaires que peuvent rencontrer des collectivités locales. Mais comme en France rien n’est totalement étanche dans les services publics, la gestion de l’eau et – surtout – de l’assainissement peut se trouver impactée dans certaines communes, et notamment les plus petites.

Auparavant, le département pouvait financer 30 % des projets d’investissement, et l’agence de l’eau aidait à la bonne mise en œuvre de ces investissements dans les communes ou sur les territoires – via les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Mais nous arrivons aux limites de l’exercice : le tarif de l’eau est extrêmement surveillé, et vous n’avez pas la possibilité de l’augmenter. Mme la ministre a d’ailleurs demandé la plus grande rigueur en ce domaine, quel que soit le mode de gestion adopté.

De fait, nous subissons une double contrainte : d’une part, nous bénéficions de moins en moins d’investissements publics et d’aides, de manière générale, en raison de la diminution de la DGF ; d’autre part, tout en maintenant un niveau d’investissement conséquent, nous ne pouvons pas répercuter cette baisse de recettes sur le tarif de l’eau des abonnés. Cela se traduit par un retard flagrant de l’investissement dans le domaine de l’eau comme dans celui de l’assainissement, qui met en danger la qualité du service public comme de l’eau distribuée. Ainsi, la société des Canalisateurs de France estime à 19 % la baisse de son chiffre d’affaires pour cette année. Vous avez là la concrétisation parfaite de la diminution des investissements dus à celle, concomitante, des financements de l’État et notamment de la DGF.

Nous étions donc très intéressés par la perspective de venir témoigner devant votre commission. Mais nous sommes confrontés à d’autres difficultés, dont j’aimerais dire un mot.

Je suis maire d’une commune rurale du département des Landes. Il se trouve que la collecte des eaux pluviales et la défense incendie entrent dans les compétences propres de la commune ou de l’EPCI. Or j’observe que de plus en plus de communes n’ont pas ou plus d’argent pour assurer ces compétences, que je qualifierais de « régaliennes » dans la mesure où, au-delà même de la qualité du service public, c’est la sécurité des habitants qui est en jeu.

Parallèlement, les centres communaux d’action sociale (CCAS) doivent faire face à la hausse très importante des impayés pour ce qui concerne l’eau et l’assainissement. C’est une conséquence « en deuxième rideau » de la diminution des budgets communaux. Ce à quoi il faut ajouter un volume d’eau consommée tendanciellement en diminution. Il est difficile dans ces conditions de maintenir un montant d’investissement suffisant, et d’assurer aux sociétés avec lesquelles nous travaillons une santé financière digne de ce nom.

Certes, nous parlons d’un service public industriel et commercial et la santé financière des syndicats d’eau et d’assainissement, du fait sans doute de la qualité de leur gestion, était enviée par nombre de collectivités. Mais quand vous perdez 30 % de subventions, il faut bien trouver des voies de financement différentes. Vous souscrivez donc à l’emprunt, et cet emprunt, y compris pour les communes, et surtout pour les plus petites, rejoint malheureusement le budget général. Or vous savez que les collectivités sont très surveillées de ce point de vue, notamment par la chambre régionale des comptes, qui pointe régulièrement un niveau d’endettement trop conséquent, pour ne pas dire intenable. Ainsi, le service de l’eau contribue à l’explosion du financement public.

Nous sommes – vous l’avez compris – victime d’effet de ciseaux : les aides à l’investissement diminuent, mais il nous est impossible, quel que soit le mode de gestion, de pouvoir transférer cette diminution, à l’euro l’euro, sur les mètres cubes que nous distribuons à tous les abonnés sans recourir à un emprunt massif – qui, pour le coup, mettrait en danger nos structures publiques.

M. Paul Raoult, vice-président de la FNCCR, président du SIDEN-SIAN/NOREADE. Je ne peux que confirmer ces propos : en quatre ans, les subventions que le Conseil départemental du Nord versait à mon syndicat et à l’ensemble des structures sont passées de 8 millions d’euros… à zéro. Les aides du département ont complètement disparu.

Se pose par ailleurs le problème des agences de l’eau, qui sont pratiquement les seules à aider les intercommunalités dans le cadre de leur programme d’investissement « eau et assainissement ». Or il est d’ores et déjà prévu de prélever 175 millions d’euros sur le budget des agences… En conséquence de quoi, l’Agence de l’eau Artois-Picardie à laquelle je participe depuis 27 ans, distribuera 11 millions d’euros de subventions en moins aux communes et intercommunalités.

Dans le même temps, les compétences des agences, celles que l’on pourrait qualifier de « générales », se sont élargies. Par exemple, cette année, nous avons mis 40 millions d’euros sur le pluvial, alors qu’auparavant nous en mettions une dizaine. Cela signifie qu’il y a une attente extrêmement forte sur le pluvial, à laquelle l’agence essaie de répondre. Mais comme il y a des choix à faire, nous avons dû diminuer les crédits sur l’assainissement collectif. Et je ne parle pas de ce que nous devons mettre sur les inondations, le trait de côte, l’érosion des sols, l’agriculture biologique ou la protection des champs captants…

De son côté, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), dont je suis vice-président, vit également du prélèvement sur les agences. Il faut dire que les besoins de cet office sont extrêmement importants puisque ses compétences s’étendent à la police de l’eau, au traitement des eaux et à la gestion des eaux dans les pays d’outre-mer. On nous annonce pour demain une belle « Agence française pour la biodiversité » à laquelle l’ONEMA sera intégré – autrement dit, on va nous demander de participer. Au final, c’est la redevance sur l’eau qui, par ricochet, financera cette nouvelle agence. Tous ces mécanismes un peu pervers aboutissent à une diminution insidieuse des contributions permettant de réaliser des travaux pour l’ensemble des communes.

En face, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les besoins restent extrêmement importants et en progression. En effet, malgré tout le travail qui a été fait depuis trente ou quarante ans, il y a encore beaucoup à faire sur le renouvellement des réseaux d’eau et des réseaux d’eaux usées, sur les branchements en plomb ou sur le traitement des eaux usées, du fait de toutes les nouvelles normes sur le phosphore, l’azote, etc. Toute une série de textes sont sortis en juin, juillet et août : les déversoirs d’orage, par exemple, ne peuvent plus fonctionner plus de vingt fois par an – ou accueillir à chaque fois plus de 5 % du volume d’eau autorisé. On a estimé que pour le Grand Lyon, il faudrait investir 400 millions pour se mettre aux normes. Dans mon syndicat, on n’a pas encore fait les comptes. Mais il est probable que dans les régions au climat océanique, plus aucun réseau ne sera conforme ! Il n’empêche que le décret est sorti. Par ailleurs, il faudra installer un appareil sur chaque déversoir pour calculer le volume d’eau qui y entre, et la qualité de l’eau qui en sort. Ces nouvelles normes ne feront qu’alourdir les investissements que les collectivités seront obligées de réaliser. Et je ne parle pas des services publics d’assainissement non collectifs (SPANC) qui feront eux aussi l’objet de nouveaux textes. Chacun devra par exemple indiquer comment il a géré son micro-traitement…

Des besoins en très forte progression, des recettes en diminution. J’ai bien peur que l’on ne puisse entrer dans les clous des normes que l’on nous impose désormais.

Un mot sur la défense extérieure contre l’incendie (DECI). J’ai pris la responsabilité, dans le cadre de mon syndicat intercommunal, de demander aux communes si elles voulaient adhérer pour prendre la compétence DECI. En un an, cent nouvelles communes ont adhéré. Mais maintenant, lorsque l’on analyse les schémas sur les bornes incendie, on voit bien que l’on n’est pas dans les clous.

Un décret est enfin sorti, et c’est très bien. Sauf que d’ici à deux ans, chaque conseil départemental va devoir sortir son schéma de DECI, que les communes devront ensuite appliquer. Et les cartes dont nous disposons montrent la masse de travaux à réaliser dans ces communes pour nous mettre en conformité.

Je terminerai, parce que j’en ai gros sur le cœur, par le décret qui interdit la fermeture des compteurs. Je trouve que l’on a été extrêmement généreux sur le compte des autres… Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, les impayés progressent. Nous sommes passés de moins d’1 % d’impayés aux alentours de 3 % ! Mais je dois équilibrer mon budget et j’attends que l’on me dise comment faire. Sans oublier que je dois faire face à une certaine démobilisation de mon personnel : après tout, si les gens ne paient plus, tant pis…

Dans un contexte déjà difficile, la diminution des dotations a inévitablement des répercussions sur le système de gestion de l’eau en France.

M. Didier Paris, vice-président de la FP2E. Merci de nous donner l’occasion de nous exprimer au nom des entreprises de l’eau, qui emploient environ 32 000 salariés sur le territoire français et réalisent 5,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Nous avons une inquiétude et un espoir. L’inquiétude est directement liée à l’état de la commande publique en France. Celle-ci est en effet très sensible aux concours financiers dont peut bénéficier le bloc communal. Nous remarquons notamment que les subventions externes du bloc communal représentent à peu près de 15 % du montant global des investissements, ce qui est en soi une forme de variable d’ajustement. Mais nous sommes aussi très sensibles au contexte général dans lequel cette diminution s’opère.

Soyons clairs, après les réformes très profondes de l’organisation territoriale, les collectivités françaises vont tâtonner pendant un temps certain avant de trouver leurs marques dans la jungle des transferts de compétences et des dispositifs qu’elles n’ont pas encore pu intégrer. Sans oublier les modifications dans l’exercice de la commande publique : je fais ici référence à la transposition des directives européennes « concessions » et « marchés publics » qui devra intervenir au plus tard le 18 avril prochain, autrement dit demain. Je ne suis pas convaincu, en effet, que l’ensemble des collectivités territoriales aient intégré ces mouvements et ces réformes de fond.

Au final, l’effet de ciseaux de tous ces éléments rend plus compliquée encore la commande publique, qui constitue le nerf de la guerre – c’est la raison pour laquelle nous sommes là. Mais elle suppose de la confiance, de la stabilité, de la compréhension, autant d’éléments qui aujourd’hui ne sont pas acquis.

À croire les fédérations et les associations d’élus, la baisse des investissements publics se situerait dans une fourchette entre 14 et 17 %. Cela nous semble cohérent avec notre ressenti. Je précise que nous ne faisons pas de calculs avec les chiffres dont nous disposons, car ceux-ci relèvent de la confidence commerciale. Quoi qu’il en soit, nous sommes conscients des interrogations qui se posent, et de l’inquiétude qui règne, pour ne pas dire plus.

De notre côté, nous nous inquiétons d’un éventuel « effet report » sur la commande publique. Les collectivités feront-elles preuve d’attentisme, voire d’immobilisme ? Nous savons que les périodes électorales sont traditionnellement calmes. L’année 2014 a d’ailleurs été plus que calme, et même franchement atone en termes de commande publique. Tout cela a des répercussions, et sur les investissements, et sur les équipements, et donc sur la manière dont s’exécute le service de proximité – puisque votre commission s’intéresse aux deux thèmes.

Si seulement l’un des trois éléments favorables à la commande publique – confiance, stabilité, compréhension – était présent… Mais ce n’est pas le cas : le bloc communal est impacté et, par effet de dominos, les entreprises le sont aussi. Nous ne pouvons que nous interroger. Or la marche des affaires suppose prévisibilité et stabilité.

Cela dit, parce que nous sommes de dangereux optimistes, nous avons aussi des motifs d’espoir – malheureusement moins nombreux que les motifs d’inquiétude.

Nous avons la grande chance, en France, d’avoir une filière de l’eau de grande qualité, une filière d’excellence dans tous les métiers de l’eau. Nous sommes d’ailleurs parfois un peu frustrés de voir que ce qui s’exprime si bien à l’étranger se conçoit moins bien en France. Nous aimerions que l’on y apprécie davantage l’apport extraordinaire que constitue le partenariat entre le public et le privé, si particulier à notre pays et parfois si décrié. Je fais clairement référence à la grande difficulté que nous avons – pour des raisons multiples, juridiques notamment, mais psychologiques aussi – à nous engager sur le chemin d’un réel partenariat financier. À un moment où la finance publique est faible, la finance privée pourrait venir en compensation, dans des conditions qui sont légalement parfaitement déterminées, mais encore insuffisamment utilisées.

Par ailleurs, nous avons en France un échelon décisionnel de proximité vécu au quotidien par nos salariés et par les élus, ce qui permet une meilleure compréhension des services. C’est aussi une grande chance.

Enfin, nous avons des services de qualité. Les entreprises – à la demande expresse des collectivités, et c’est normal – cherchent toujours davantage de performance, davantage de qualité, davantage de transparence. Cela profite à tous, aux élus eux-mêmes, mais surtout, au final, aux usagers.

Nous sommes maintenant prêts à vous apporter des précisions, et à répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser.

M. le président Alain Fauré. Les partenariats privé-public peuvent en effet être une bonne solution quand le secteur public ne peut pas faire face à l’intégralité des investissements ; reste à savoir comment est assuré l’équilibre financier de ces partenariats. J’aimerais aussi connaître le chiffre d’affaires global que vous avez réalisé en 2012, 2013, 2014 et 2015.

Enfin, je rejoins vos propos sur la qualité des prestations qu’assurent vos entreprises. Il y a un réel savoir-faire français dans le domaine de l’eau, qui peut contribuer à l’amélioration de notre balance commerciale.

M. Tristan Mathieu, délégué général de la FP2E. La question de l’équilibre financier de ces partenariats public-privé est pour nous fondamentale.

Nos entreprises gèrent les services publics pour les deux tiers des Français en eau potable, et à peu près pour la moitié d’entre eux en assainissement. Elles réalisent un chiffre d’affaires de 5,3 milliards d’euros chaque année – chiffre relativement stable.

Nos investissements sont plutôt en progression : environ 890 millions d’euros dans les activités d’eau et d’assainissement qui nous sont déléguées, et entre 120 et 150 millions d’euros dans la recherche et le développement. Nous employons à peu près 1 000 chercheurs, qui font partie des 32 000 salariés répartis sur l’ensemble du territoire : nous comptons plus de 500 points d’embauche.

Maintenant, la capacité des entreprises à investir dans les services publics est liée à deux outils de la commande publique, le premier d’entre eux étant la concession – au sens français : on demande à un opérateur d’investir dans la conception, la réalisation d’un ouvrage, et l’opérateur trouve la contrepartie de cet investissement dans le prix de l’eau. Aujourd’hui, les contrats réellement concessifs sont plutôt peu nombreux en France. Le schéma est beaucoup plus développé à l’international.

Cela étant, les entreprises françaises, qui vont partout dans le monde, sont prêtes à investir également sur le sol français. Cela suppose de mettre en place quelques éléments déclencheurs : transposer la directive « concessions » ; garantir la sécurité juridique aux collectivités pour qu’elles puissent au mieux utiliser ce financement privé, qui trouve aussi sa raison d’être dans sa capacité à réaliser des ouvrages à très court terme. Imaginez qu’une collectivité doive mettre aux normes sa station d’épuration dans un certain délai, sous peine de verser une amende au niveau européen : elle aura tendance à choisir la concession qui lui permettra de réaliser en seize mois ce qu’elle aurait mis vingt-quatre mois à faire en commande publique. Ce n’est pas parce qu’elle ne serait pas performante, mais parce qu’elle est soumise à des contraintes un peu plus importantes, notamment au niveau de la maîtrise d’ouvrage publique.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Je tiens moi aussi à saluer l’excellence de la filière de l’eau. Il y a exactement neuf jours à Vierzon, nous avons installé une nouvelle usine de production d’eau potable, après une remunicipalisation de l’eau, doublée d’un marché d’exploitation des réseaux et des usines. Encore une fois, j’ai pu observer que nous avons, dans ce secteur aussi, de grands services publics extrêmement compétitifs, avec des ingénieurs, des cadres, des techniciens, des agents eux-mêmes très performants. Comme vous l’avez dit, cette filière d’excellence constitue pour nous un atout à l’étranger ; mais c’est aussi un superbe instrument de cohésion territoriale.

Si les députés du Front de gauche ont demandé cette commission d’enquête, c’est parce qu’ils pensent que la baisse des dotations, sans être la seule source de raréfaction des ressources des collectivités locales, contribue à leurs difficultés. C’est notamment le cas dans le secteur de l’eau, qui se trouve aujourd’hui au cœur des enjeux. On parle de la COP 21 et de la nécessité de mieux maîtriser la qualité et le rendement. Il est clair que si l’on fait moins d’investissements sur les réseaux, on aura du mal à atteindre ces objectifs.

Quels sont, à votre sens, les risques sur les réseaux ?

Vous dites que le prix de l’eau est contraint, encadré. Dispose-t-on de comparaisons au niveau européen, à la fois sur les normes et sur le prix de l’eau, sachant qu’en France, pour des raisons historiques, le curseur entre contribuable, client et usager n’est pas le même que dans d’autres pays ?

À quel niveau de négociation se font aujourd’hui les délégations de service public (DSP) ou les marchés ? Perdez-vous des marges sur vos nouveaux marchés ? Je vise les entreprises et non les collectivités locales qui, elles, en gagnent – et pour nos concitoyens, ce n’est pas plus mal. Cette question s’adresse donc à la FP2E.

Enfin, le panorama que vous avez dressé était très précis. Quel devrait être le niveau de l’investissement, notamment pour assurer le renouvellement du réseau ? Selon vous, quelles conséquences aura le prélèvement de 175 millions d’euros sur les agences de l’eau, qui est prévu dans le PLF 2016 ?

Il se trouve que nous avons inauguré cette usine de l’eau avec Jean Launay, et à cette occasion, la déléguée régionale de l’agence de l’eau nous a expliqué qu’on allait pouvoir bénéficier non pas de 40/50 % mais bientôt de 80 % de subventions. Je me suis dit qu’il faudrait se dépêcher de déposer les dossiers dès le mois de janvier dans la mesure où avec 80 % de subventions, le nombre de ceux qui passeraient serait d’autant plus limité. Finalement, les projets qui seront financés par l’agence de l’eau ne risquent-ils pas d’être mis en file d’attente ?

M. Paul Raoult. Le prix de l’eau en Allemagne est beaucoup plus élevé qu’en France. Quant au niveau du service et de la qualité du réseau, il y est bien supérieur au nôtre. Le taux de renouvellement en France est à l’évidence très insuffisant, d’où le taux de fuites. Si on ne fait pas les travaux en temps voulu, on se retrouve avec un réseau fuyard.

M. le président Alain Fauré. Quel est le niveau de qualité des réseaux que vous supervisez ?

M. Paul Raoult. Je suis en régie depuis toujours – depuis 1950. NOREADE est une vraie régie, au service de 700 communes, dont 95 % de petites communes rurales ; la plus grosse commune adhérente est celle de Saint-Amand-les-Eaux, avec 20 000 équivalent-habitants. Nous nous occupons, entre autres, d’assainissement, dans 240 stations d’épuration. Cela veut dire que nous sommes capables de fonctionner en régie directe, et de distribuer quelque 40 millions de mètres cubes d’eau, des portes de Laon jusqu’aux portes de Dunkerque, sans compter le Bas-Artois et le Haut-Artois. Je précise que les communes qui viennent adhérer à la régie le font parce qu’elles sont dans l’incapacité de renouveler leur réseau. Aujourd’hui, nos investissements en eau se situent entre 25 et 30 millions, et autant en assainissement.

Donc, nous savons faire. Il n’en reste pas moins que dans la région de l’Avesnois, où le climat est plus rude, dans le sol du massif hercynien, où les tuyaux cassent, le taux de fuite de certains tronçons atteint 40 %, alors que la moyenne générale est à 25 %. Le plus souvent, le taux de fuite est de 20 %. Certains morceaux de réseau doivent être revus. Mais il est clair que je n’ai pas assez d’argent pour renouveler le réseau suffisamment rapidement. C’est cela la vraie question. Et ce n’est pas acceptable.

J’en viens au prix de l’eau. Ce n’est pas parce que je suis en régie et que je n’ai pas à rétribuer d’actionnaires que le prix de l’eau que je distribue est plus faible : il est de 4,50 euros – eau et assainissement. Mais c’est le même pour les 700 communes – la mutualisation est complète. Je précise que lorsque celles-ci adhèrent, la régie prend tout en charge, le fonctionnement comme l’investissement. Il n’y a donc rien à cacher, et ce prix est totalement transparent. D’ailleurs, depuis vingt-cinq ans, le budget de la régie, qui compte 120 ou 130 délégués au comité syndical, et 540 salariés, est voté à l’unanimité : situation exemplaire… Reste que nous en voyons aujourd’hui les limites : comment assurer un réseau de qualité correcte sur l’ensemble des trois départements ?

M. le rapporteur. Monsieur Raoult, je ne pense pas qu’avec 540 salariés et 700 communes, vous soyez représentatifs des régies qui sont sur notre territoire.

M. Paul Raoult. Mais c’est la démonstration que la régie peut fonctionner !

M. le rapporteur. Oui, mais ce n’est pas le régime juridique qui est en cause. Nous constatons qu’avec un prix de l’eau à 4,50 euros le mètre cube, vous avez tout de même 25 % de taux de fuite.

M. le président Alain Fauré. Vous nous avez dit qu’aujourd’hui, vous aviez en moyenne environ 3 % d’impayés.

M. Paul Raoult. Oui, et le pourcentage augmente depuis la loi Brottes…

M. Didier Paris. La question des prix dans les DSP est difficile et délicate à aborder, pour les mêmes raisons que celles que je vous ai exposées tout à l’heure : je ne peux pas avoir de prix consolidés sur l’ensemble des entreprises. Mais nous avons tout de même une idée : la tendance est clairement à la diminution des prix, que je situerais – sous réserve d’une analyse plus complète – aux alentours de 15 %.

Une des raisons de ce chiffre tient dans le libre exercice de la concurrence. Cela nous semble sain. Néanmoins, nous trouvons que le niveau de prix focalise trop l’attention – ce qui s’explique sans doute par la faiblesse des dotations. Nous préférerions que lorsqu’on parle de prix, on parle aussi de qualité, de performance, d’évolution des services ou de l’accroissement de la demande des usagers, tous points qui nous semblent également très importants. Ce que nous souhaitons, c’est une maîtrise des prix, qui soit liée à la capacité donnée aux opérateurs – publics ou privés – de maintenir une qualité de service que les usagers sont en droit d’attendre les usagers. Ce n’est pas plus compliqué que cela.

Ensuite, je tiens à vous préciser que nous avons un taux de renouvellement global des réseaux de 0,6 % par an. Il faudra donc 160 ans pour renouveler l’ensemble des réseaux français ! Je mets quiconque au défi d’avoir des réseaux qui tiennent 160 ans… Nous risquons donc de transférer l’inertie d’aujourd’hui aux générations de demain !

À côté de cela, nous avons entendu dire qu’un fonds de financement ouvert par la Caisse des dépôts, avec des prêts bonifiés d’environ un milliard d’euros, n’avait pas été utilisé. Certes, cela n’entre pas dans notre champ d’intervention, mais cela nous amène à nous interroger. Le problème auquel nous sommes confrontés ne serait-il pas davantage d’ordre psychologique que financier ? Ne tient-il pas au manque d’intérêt des élus, dont les raisons n’apparaissent pas toujours, ou dont le renouvellement se fait parfois au mauvais moment ou au mauvais endroit ? En zone urbaine, il est bien difficile d’intervenir avant Noël…

Comme l’a dit monsieur Raoult, nous sommes contraints d’améliorer les sectorisations de réseaux, la connaissance des réseaux, la performance sur les réseaux, pour pallier – pendant un temps qui sera celui que nous permettrons nos capacités de faire – les fuites, les insuffisances de réseaux, les difficultés d’approche. C’est un très beau challenge pour les opérateurs de l’eau, mais c’est un challenge difficile, dont le résultat, aujourd’hui, continue à se traduire par des niveaux élevés de fuites… et d’insatisfaction.

M. Tristan Mathieu. Monsieur le rapporteur, nous menons une étude tous les deux ans sur le prix de l’eau dans les grandes villes européennes. C’est assez instructif.

En France, si l’on se base sur les cinq plus grandes villes, nous en sommes à 3,52 euros du mètre cube – valeur assez proche de la moyenne nationale, et donc relativement représentative. Cela signifie qu’avec la petite pièce de 1 centime que l’on perd au fond de la poche, on a tout de même trois litres d’eau. Cela signifie également qu’une famille française a à peu près tout ce qu’il lui faut en eau et assainissement pour 1 euro par jour.

La moyenne européenne est de 13 % au-dessus de cette valeur : elle tourne autour de 4,05 euros, avec des disparités : les pays du Nord – Pays-Bas, Allemagne – sont bien au-dessus et les pays du Sud – Espagne, Italie – plutôt au-dessous.

Il est important de remarquer que dans notre pays, cette valeur a été maîtrisée dans le temps. Selon les chiffres de l’INSEE, depuis dix ans, la part du budget qu’une famille consacre à l’eau et à l’assainissement est de 0,8 %. Cette maîtrise des prix est certainement liée à la comparaison entre les modes de gestion, à la compétition au sein du mode de gestion déléguée et à la proximité du centre de décision des citoyens. C’est une des vertus du système français.

Nous pensons que demain, dans cette enveloppe-là, nous devrons faire mieux qu’hier. Il est vrai que l’on parle souvent des investissements à venir. Aujourd’hui, les investissements réalisés sur les réseaux en France s’élèvent à 800 millions d’euros chaque année, et les canalisateurs disent qu’il faudrait les doubler. Mais il ne faut pas oublier que nous devons agir à enveloppe constante. Or c’est possible, car on a déjà beaucoup fait dans le passé : on a éliminé les branchements en plomb ; on a créé des canalisations d’eau et des canalisations d’eaux usées ; on a remis à niveau les stations d’épuration. Il nous semble que le défi collectif est bien celui-là : dans une enveloppe contrainte pour les Français, dans une situation de crise économique, il faut réussir à faire davantage. Nous estimons que nos entreprises peuvent être source de propositions, et imaginer des solutions un peu innovantes pour relever ce défi.

M. Hervé Pellois. J’ai l’impression que les inquiétudes que vous avez exprimées n’étaient pas trop vives, même si vous avez souligné que les investissements avaient baissé. J’ai moi aussi remarqué que les renouvellements électoraux et les changements importants qui se sont produits au cours des derniers mois dans les municipalités n’avaient pas favorisé les investissements en matière d’eau et d’assainissement. Mais c’est un phénomène somme toute habituel.

J’ai moi-même été président d’un syndicat d’eau, et j’ai trouvé que la gestion en était relativement aisée : une structure monoproduit, des charges de fonctionnement faciles à maîtriser. Et je pense que si l’on s’était regroupé davantage, on aurait pu réaliser une économie d’échelle assez importante. Les propos de monsieur Raoult en étaient d’ailleurs l’illustration.

L’un de vous a dit que la réorganisation territoriale générait certaines craintes. Certes, la règle du jeu va changer en 2020. Mais je considère qu’il est cohérent et logique que, dans le cadre d’une même agglomération ou d’une même communauté de communes, on mette en place une seule organisation dans le domaine de l’eau et de l’assainissement. Me rejoignez-vous sur ce point ?

Ma seule crainte va vers les communes qui resteraient isolées. Par exemple, les directives européennes qui s’appliqueront en 2020 ou en 2027 imposeront des normes très sévères en matière de rejets dans le milieu naturel. Certaines stations vont devoir diminuer leurs capacités, sinon fermer. Sans le soutien de l’intercommunalité, bien des communes risquent d’être gênées dans leur développement. Donc, pour moi, le fait de se regrouper est plutôt une bonne chose.

Enfin, j’observe que certaines collectivités n’ont pas encore mis en place de SPANC. Or ce qui est difficile à réaliser pour une petite commune ne l’est pas pour une communauté de communes ou une agglomération.

Mme Marie-Lou Marcel. Quel serait, selon vous, le rythme des investissements annuels nécessaires pour la conservation en l’état des réseaux, des équipements des services d’eau et d’assainissement ?

Deuxièmement, l’Observatoire national des services publics d’eau et d’assainissement a évalué les pertes d’eau à environ 3 mètres cubes par kilomètre de réseau et par jour. Monsieur Raoult, vous avez déploré que l’on manque de moyens pour renouveler les réseaux. Est-ce lié à la baisse des dotations ou à des problèmes de maintenance qui seraient antérieurs, justement, à cette baisse des dotations ?

Vous avez dit également que depuis la loi Brottes, le taux des impayés était passé de 1 % à 3 %. A-t-on analysé le phénomène ? Quelles sont les familles qui ne paient pas leur redevance ?

Ensuite, certaines collectivités ont opté pour la reprise en régie de la production ou de la distribution d’eau. La FNCCR a lancé en 2009 une étude comparative portant sur les modes de gestion de la distribution ou du traitement d’eau. Qu’en ressort-il ? Note-t-on une meilleure performance suivant le mode de gestion choisi par la collectivité ?

Enfin, vous avez évoqué les contraintes liées aux nouvelles normes. Y aurait-il des pistes de simplification ? Si oui, lesquelles ?

M. Laurent Civel. Je répondrai à monsieur Pellois à propos des renouvellements électoraux et de leur impact. Le phénomène qu’il a observé est évident.

Le SYDEC, le syndicat du département des Landes que je dirige, a la particularité de s’occuper d’eau, d’assainissement mais aussi de très haut débit et d’électricité – c’était à l’origine un syndicat d’électrification. Or, entre les deux derniers renouvellements, 2008 et 2014, nous avons eu 25 % de moins de mandats, quel que soit le domaine. Il est très important d’avoir cela en tête puisque, dans le domaine de l’eau, je gère des abonnés, alors que dans le domaine de l’électricité, j’opère par mandat public puisque ce sont les collectivités qui sont adhérentes. La baisse des investissements est réelle, et ne tient pas seulement au renouvellement démocratique.

Nous ne prétendons pas qu’une gestion publique soit meilleure ni pire que la gestion privée. La qualité est identique quel que soit le mode de gestion. Et permettez, messieurs, de revendiquer l’excellence que vous mettiez en avant. Effectivement, nous ne sommes pas dans une démarche commerciale, et pour cause : c’est parce que l’on quitte le commercial que l’on est public.

Au niveau des taux, c’est tout à fait comparable. Je suis tout à fait d’accord avec la FP2E : la concurrence permet de faire son choix, pour peu qu’elle s’organise et qu’elle soit organisée – et dans les Landes elle l’a été, grâce au président Emmanuelli. Il a fallu que nous nous adoptions à un contexte plus difficile, et les opérateurs privés ont dû le faire aussi. Pour ma part, je considère qu’il y a de la place pour tout le monde. Les Landes ne sont pas un vaste kolkhoze : tout n’y est pas public. Une grande partie est privée : des gens y restent, des gens s’en vont, des gens qui étaient en régie et qui redeviennent privés.

La loi NOTRe dont vous parliez sera un véritable révélateur. De mémoire, nous avions 20 000 services publics d’eau et d’assainissement, dont la moyenne d’abonnés était de 500. Même nous – je parle comme administrateur de la FNCCR – ne trouvions pas cela normal. Il nous a fallu gérer en interne des adhérents qui représentaient ces mêmes collectivités, et qui se sont sentis trahis. On appelle cela faire la part du feu… À un moment donné, il faut aussi savoir faire un pas vers l’un et vers l’autre.

Nous n’étions pas d’accord avec la loi NOTRe sur un point, qui mérite discussion. Si vous êtes une collectivité unique, voire isolée, le fait de vous regrouper sous le chapeau de l’EPCI peut être une bonne solution. Mais que faites-vous lorsqu’il existe déjà un syndicat dont la taille est supérieure à celle de trois EPCI ? Mais inutile d’y revenir, c’est une particularité qui, pour le coup, met en avant les syndicats.

Donc, les outils existent. Auparavant, une commune qui se sentait seule n’avait qu’à adhérer à un syndicat. Et comme l’a fait remarquer Paul Raoult, on ne nous rejoint pas par amour, mais par nécessité : lorsqu’il faut refaire la station d’épuration vieille de quarante ans, lorsqu’il faut refaire la production d’eau potable dans laquelle on trouve de des traces de métabolites, comme cela se passe dans les Landes, compte tenu de la production de maïs…

Le regroupement peut être, pour les syndicats, une opportunité d’adhésions ou, pour la FP2E et les délégataires privés, l’opportunité de nouveaux marchés. Vous voyez que, finalement, il y a de la place pour chacun d’entre nous.

Je terminerai par les SPANC. Chez nous, quasiment les trois quarts des 331 communes en ont un. Comme elles étaient incapables de le gérer elles-mêmes, elles ont adhéré au SYDEC… et elles ne veulent plus en partir. Il est arrivé plusieurs fois à mes agents d’être reçus à coups de fusil. Curieusement, c’est une compétence que l’EPCI ne veut pas prendre…

M. le président Alain Fauré. Cela montre que les kolkhozes sont bien gérés, bien surveillés… et bien irrigués.

M. Régis Taisne, adjoint au chef du département Cycle de l’eau de la FNCCR. La FNCCR conduit des travaux de benchmarking depuis 2003 ; la démarche est beaucoup plus formalisée depuis 2009. Nous avons d’abord testé les indicateurs du rapport sur le prix et la qualité du service (RPQS) auprès d’un certain nombre de collectivités. Puis, une fois le décret sur le RPQS paru, nous avons renforcé l’analyse. Dorénavant, nous travaillons sur une batterie de 150 indicateurs environ, au lieu des 43 ou 44 indicateurs du RPQS. Nous sommes en train de terminer les rapports 2013.

L’analyse comparative que nous avons effectuée et qui portait sur des collectivités urbaines ou rurales, mais plutôt de grande taille, a montré qu’il n’y a pas de distinction majeure de performance d’exploitation entre les exploitants publics et privés, sauf sur ce qui touche au recouvrement des redevances. Les services en régie sont un peu moins « performants » en termes de taux d’impayés… Ce constat, du reste, ne vaut pas pour toutes les régies : il y a une différence entre les régies qui font faire la totalité du recouvrement par le comptable public et celles qui ont un agent comptable. La performance des secondes équivaut à peu de chose près à celle des opérateurs privés. En revanche, le recouvrement par le comptable direct du Trésor se dégrade. Il reste encore très bon dans certains secteurs, mais d’autres connaissent de grandes difficultés pour des raisons d’effectifs des postes comptables et d’outils informatiques, en lien avec la dématérialisation, qui ne sont pas conçus pour gérer une facturation double eau-assainissement : c’est très bien pour gérer la cantine ou le conservatoire tout seul, mais beaucoup moins évident quand vous avez deux budgets distincts.

Tout à l’heure a été évoquée la question des montants à investir pour maintenir la valeur d’usage du patrimoine des services publics d’eau et d’assainissement. Une étude a été conduite par la Direction de l’eau et de la biodiversité sur l’analyse des budgets publics d’une part et des comptes des délégations de service public d’autre part. Cette étude fait état d’une valorisation globale du patrimoine des services d’eau et d’assainissement comprise entre 330 et 400 milliards d’euros. Compte tenu des durées d’amortissement prévisibles de chaque type d’équipement, il faudrait consentir entre 5,5 et 9,5 milliards d’euros par an pour maintenir le patrimoine en l’état, sans parler de mise aux normes. Le volume d’investissement a été de 6,5 milliards d’euros environ en 2009-2010. Autrement dit, si l’on est dans la fourchette basse des besoins, on couvre le renouvellement, mais pas les nouvelles obligations réglementaires. Si l’on est plutôt dans la fourchette haute, on voit bien que le volume des investissements actuellement consentis ne représente que les trois quarts environ de ce qui serait nécessaire.

M. Daniel Belon, directeur adjoint de la FNCCR. Les budgets sont effectivement insuffisants pour assurer un renouvellement des réseaux à un rythme souhaitable. En général, les collectivités profitent de travaux de voirie ou d’aménagement pour opérer le renouvellement des réseaux. Mais si les dotations des collectivités diminuent, les opportunités pour réaliser des investissements coordonnés sur les réseaux d’eau et d’assainissement seront moins nombreuses, ce qui entraînera une augmentation tendancielle de la durée des renouvellements nécessaires.

M. Paul Raoult. Pour ce qui est de la maintenance, on aurait effectivement pu faire plus et mieux. Mais je ne vous dis pas les difficultés auxquelles on s’est heurté quand il a fallu remplacer neuf kilomètres de réseau d’eau qui avaient été construits avec de l’amiante-ciment. J’ai dû protéger le personnel, et c’est normal. Peut-être n’aurait-il pas fallu mettre de l’amiante-ciment. Mais comme l’usine Eternit n’était pas loin – elle était à Prouvy, près de Valenciennes –, on a acheté de l’amiante. Et on en paie le prix aujourd’hui.

Dans l’Avesnois ou la Flandre intérieure, par exemple, il y a 25 kilomètres de réseau pour 2 000 habitants. Vous avez beaucoup plus de risques d’avoir des fuites quand vous êtes en milieu rural, où l’habitat est dispersé, que lorsque vous êtes dans le quartier Euralille, au pied d’une tour de 5 000 habitants. Et je ne vous parle pas de toutes les adhésions à notre syndicat qui sont intervenues progressivement depuis 1951. À chaque fois, il a fallu investir énormément. À Lallaing a été installée une belle station de lagunage en haut d’un terril, sans, bien évidemment, traiter l’azote ni le phosphore… Et aujourd’hui, on nous dit qu’il faut absolument le faire. Encore faut-il trouver un terrain.

Nous avons choisi l’interconnexion pour sécuriser le ravitaillement en eau de nos communes rurales. Comme de Dunkerque aux portes de Lille il n’y a pas de nappes phréatiques, il faut aller chercher l’eau dans la nappe de la craie, de l’Artois ou dans l’Avesnois. On aura fait 200 kilomètres de réseau en 700 millimètres, partant des portes de Dunkerque jusqu’au fin fond de l’Avesnois. On est en train de réaliser la dernière tranche : elle coûte 55 millions d’euros. J’aurais pu utiliser cette somme pour renouveler le réseau, mais j’aurais pris le risque de l’insécurité du ravitaillement en eau. Les infrastructures dépendent donc aussi de la géographie hydrogéologique du territoire.

À cela s’est ajoutée l’affaire de l’eau contaminée par le perchlorate, héritage de la guerre de 14-18, paraît-il… Dans certaines communes, on a donc dû refaire les interconnexions.

Ces quelques exemples précis montrent que le renouvellement des réseaux n’est pas aussi rapide qu’on le souhaiterait.

J’en viens au feuilleton des impayés… Quand vous avez 600 communes rurales de moins de 1 000 habitants et qui n’ont pas de CCAS, comment faites-vous ? À Lille, Roubaix ou Tourcoing, pas de problème : leur CCAS est organisé. Mais l’immense majorité de mes communes n’en ont pas, ou c’est epsilon. Il faut donc recourir au Fonds de solidarité pour le logement (FSL). Mais on ne lui a pas donné les volumes financiers suffisants. Normalement, pour régler ce problème, une enquête sociale est nécessaire. Mais avec 700 communes rurales réparties sur 300 kilomètres, il est impossible de savoir ce qui se passe dans chaque foyer. Il faut donc trouver une autre solution, sachant que sur 100 foyers qui ne payent pas, 20 % sont réellement en difficulté ; pour les 80 % restant, c’est de la négligence : ils s’en fichent. Ce n’est que lorsque l’on vient fermer le compteur que les gens vous donnent leur chèque. Aujourd’hui, nous n’avons plus de moyen rapide pour obliger les négligents à payer. Certes, il y a des procédures. Mais encore faut-il que le receveur se mette en branle, qu’il dispose de suffisamment de personnel pour engager le processus… Et au final, il vous envoie la note pour classer le dossier en admission en non-valeur !

Quant à la simplification des décrets, en tant que vice-président de la FNCCR, j’ai eu un rendez-vous avec le fonctionnaire chargé de rédiger le décret. Je lui ai dit, avec beaucoup de véhémence, que pas plus de vingt déversements par an pour un déversoir, c’est délirant. Pourtant, le décret est tout de même paru et le fonctionnaire en question a eu une promotion puisqu’il a été nommé à Bruxelles ! Mais au bout du compte, c’est à nous de faire avec ce décret. Il faudra qu’on m’explique comment on fait quand on est dans un territoire où il pleut un jour sur deux…

En fait, la vraie question, c’est de savoir si le déversoir modifie la qualité du milieu naturel dans lequel il va se déverser en cas d’orage. Dans une région de climat méditerranéen, il y a un effet de chasse quand le tuyau n’a pas fonctionné depuis des mois et des mois, comme on vient malheureusement de le voir. Par contre, dans ma région, l’effet de chasse est négligeable. L’important, c’est de voir comment le milieu naturel sera modifié par le volume d’eau qui va passer dans le tuyau. Or on a fixé une règle stricte, tout cela parce que le grand Londres avait été condamné par Bruxelles. Notre ministère, qui lave plus blanc que blanc, a ouvert le parapluie – c’est le cas de le dire – et a sorti un beau décret que je ne qualifierai pas. Mais au bout du compte, il faudra réaliser des investissements, sinon on nous dira que notre réseau n’est pas conforme, avec toutes les conséquences qui peuvent en découler.

M. le président Alain Fauré. Pour contraindre les mauvais payeurs, certains utilisent un système qui réduit la pression grâce à des pastilles ; cela rend la vie un peu compliquée à ceux qui n’auraient pas envie de payer leur facture d’eau.

M. Paul Raoult. Mais on n’a plus le droit de faire cela !

M. Didier Paris. Pour être franc, la question n’est pas réglée.

Vous avez raison, monsieur Pellois : les périodes électorales sont peu propices aux investissements, sauf que l’année 2014 a été non seulement peu propice mais catastrophique. Et l’année 2015 ne s’annonce pas différente. Notre inquiétude, c’est que tous ces systèmes ont créé des causes structurelles de diminution des investissements. Pourquoi ? En raison d’une accumulation de données tirées de la loi NOTRe ou d’ailleurs. La suppression de la clause générale de compétences a privé le bloc communal de près de 900 millions d’euros de subventions sur des domaines qui touchent les nôtres, sur un volume d’investissements de 6,5 milliards d’euros. La variable d’ajustement, la voilà.

Les agences se voient privées de 175 millions par an. Un tel rabot ne peut pas ne pas avoir de conséquences directes, d’autant plus que nous ne savons pas combien de temps cela va durer.

Comme vous l’avez dit, la loi porte en germe sinon la suppression complète, en tout cas la réduction drastique des syndicats. Manque de chance, ce sont des structures très opérantes qui ont encore des moyens et qui investissent. Elles sont très spécialisées. De surcroît, leur organisation territoriale est cohérente, ce qui n’est pas toujours le cas des bassins économiques ou des bassins de vie. Il y a des logiques physiques qui parlent d’elles-mêmes et la diminution progressive des syndicats nous pose problème. Ne croyez pas une seule seconde que nous portions une appréciation négative sur un mouvement de concentration des collectivités territoriales. Il est sans doute logique. Nous ne luttons pas contre, bien au contraire. Nous espérons que cette période transitoire sera courte – la digestion n’est pas très favorable à l’action… – et que nous retrouverons rapidement des interlocuteurs qui eux-mêmes, ayant intégré leurs propres modifications, relanceront la mécanique de la commande publique.

N’ayez aucun doute : les opérateurs publics comme les opérateurs privés sont favorables à l’accès de tous à l’eau. Nous sommes catastrophés si une famille n’a pas la capacité d’accéder à l’eau. Nous avons toujours porté une attention scrupuleuse aux familles les plus démunies, que ce soit par le biais du FSL ou de facturations adaptées, par des chèques eau, des dispositifs particuliers qui permettent d’amortir les chocs : il y a une vraie conscience citoyenne sur cette question, je vous demande de le comprendre. C’est d’autant plus frustrant de constater que l’ensemble de ces efforts ne sont plus pris en considération, qu’ils sont quasiment niés au profit de la création d’un effet d’aubaine, d’opportunité, sur lequel les mesures sont encore trop faibles parce que récentes. Nous avions des taux d’impayés faibles, très faibles, non parce que nous gérions les contentieux avec fermeté – bien au contraire, nous ne faisons pas de contentieux ou très peu – mais tout simplement parce que nous dialoguons avec les familles démunies, avec les ménages en difficulté. Notre dialogue va nécessairement progresser. Malheureusement, des analyses de benchmarking montrent qu’en Grande-Bretagne le taux d’impayés a été multiplié par neuf depuis que les coupures ont été interdites.

Ce ne sont pas les entreprises qui fixent le prix de l’eau, mais les collectivités. Il faudra bien que le débat entre les entreprises et des collectivités ait lieu un jour ou l’autre pour déterminer qui prend en considération cette masse d’impayés qui va nécessairement avoir un impact sur les exercices et sur l’exploitation qui est la nôtre et alors que nous voulons continuer à améliorer la qualité du service rendu, la performance, et à investir dans la recherche-développement. L’équation est d’autant plus difficile que nous avons le sentiment de ne pas avoir été compris et d’avoir été un peu sacrifiés sur l’autel d’une solution politique rapide.

M. Tristan Mathieu. Madame Marcel, vous l’avez compris, 800 millions d’euros sont investis dans les réseaux d’eau et d’assainissement. Les entreprises de canalisations estiment qu’il faudrait multiplier ce chiffre par deux, puisque le taux de renouvellement est de l’ordre de 0,6 %, ce qui est faible.

Mais notre action ne se limite pas à investir dans les infrastructures. Il faut aussi préserver la ressource, limiter les fuites. Dans les gestions déléguées, le taux de fuite est de 19 %, ce qui est plutôt faible. Nous investissons dans la recherche-développement, dans les compteurs dits intelligents, le télé-relevé, etc. Nous augmentons le nombre de compteurs télé-relevés de 7 % chaque année, ce qui nous permet de mesurer en continu ce que l’on introduit dans le réseau par rapport à ce que consomment les consommateurs. Et cela permet de détecter très rapidement les fuites. Bref, de nombreux équipements permettent désormais de gérer les réseaux de manière intelligente et efficace.

M. Laurent Furst. Je trouve cette réunion particulièrement intéressante. On met le doigt aujourd’hui sur ce qui sera mécaniquement dans dix, vingt ou trente ans, un problème français majeur. Quand on n’entretient pas ses réseaux d’eau et d’assainissement, quand on n’entretient pas ce que l’on ne voit pas, le système finit par exploser. Ce problème récurrent depuis trente ou quarante ans va s’amplifier parce que tous ces réseaux des années 1960-1970, mal construits, vont devoir être renouvelés.

Mais on n’y arrive pas, parce qu’en matière d’eau et d’assainissement, on a la culture du prix. Les magazines comparent le prix de l’eau d’une collectivité à une autre, mais jamais l’effort d’investissement consenti. Or il n’y a pas de miracle : une eau de qualité, un réseau de qualité, cela a un coût, que la gestion soit publique ou privée.

Un réseau d’eau et d’assainissement de qualité coûte beaucoup plus cher en milieu rural, parce qu’il y a davantage de kilomètres pour un nombre de foyers raccordés beaucoup plus faible. Il faudrait un peu de péréquation pour encourager la ruralité, car le monde urbain a un avantage compétitif tout à fait massif.

Je suis président d’une communauté de communes de 40 000 habitants qui a la compétence eau et assainissement. Aujourd’hui, ce budget est facile à gérer parce que les communes réalisent moins de travaux de voirie. Auparavant, chaque fois que les communes entretenaient la voirie, on en profitait pour faire des travaux sur les réseaux d’eau et d’assainissement. Comme elles ont moins d’argent, elles nous sollicitent moins. A contrario, le conseil général du Bas-Rhin a donné beaucoup d’argent aux collectivités, notamment rurales, et je l’en remercie. Mais dorénavant, il ne peut plus le faire, ce qui met les communes rurales et urbaines et l’agence de l’eau en difficulté, et rendra les choses plus difficiles dans les années à venir.

Il est dommage que l’on ait choisi la structure politique – l’intercommunalité – plutôt que la structure géographique – le bassin-versant. Cela risque de poser çà et là quelques problèmes.

Je suis culturellement assez hostile aux partenariats public-privé mais pas à l’exploitation publique ou privée des réseaux. Il y a de bons gestionnaires privés, surtout lorsque les contrats sont récents. Il y a aussi de bons gestionnaires publics, mais par la force de l’habitude, certains deviennent moins bons. Quand on gère l’eau et l’assainissement, il ne faut pas avoir de religion mais faire preuve de pragmatisme.

M. Alain Calmette. Malgré ses imperfections, la loi NOTRe est une loi de rationalisation qui devrait permettre une amélioration de l’efficience des réseaux, parce que les intercommunalités seront agrandies, parce que la compétence sera transférée à terme aux intercommunalités, et parce que les doublons qui existent entre des syndicats et des intercommunalités qui ont le même territoire d’intervention ne seront plus possibles. Ces trois éléments conjugués me semblent aller dans le sens d’une grande rationalisation. Peut-être fallait-il aller encore plus loin. En tout cas, un premier pas a été franchi.

Le taux de renouvellement est ridiculement bas : 0,6 %. Effectivement, il fait peur quand on le met en perspective. Vous avez tous rappelé que cela est dû à un contexte particulier, à des facteurs historiques, à l’effet psychologique. C’est vrai, les investissements souterrains sont moins valorisants pour les élus que d’autres réalisations. Ce qui me frappe, c’est l’écart abyssal qui existe entre les besoins d’investissement colossaux que vous décrivez et l’impact éventuel de la baisse des dotations. La baisse des dotations aura un impact sur l’investissement, mais cela semble tellement marginal par rapport aux besoins d’investissement que vous décrivez que je pense que ce n’est pas le problème majeur.

Nous auditionnons beaucoup de gens qui œuvrent dans des domaines différents. Chacun a le sentiment que son secteur sera la variable d’ajustement des politiques d’investissement des collectivités. C’est ce que nous disent par exemple les services culturels et les travaux publics. Quant aux maires, ils pensent que c’est l’entretien du patrimoine communal qui sera la variable d’ajustement. Avez-vous le sentiment que le secteur de l’eau et de l’assainissement sera davantage pénalisé que les autres secteurs par la baisse des dotations ou pensez-vous que ce sera plutôt proportionnel ?

La question de la baisse souhaitée de la consommation n’a pas été abordée. Considérez-vous que ce phénomène, certes souhaitable, est secondaire en termes de recettes ?

M. Jean-Luc Bleunven. À mon sens, on a beaucoup progressé en France sous la contrainte. On a gagné des marchés à l’étranger car les entreprises de l’eau et de l’assainissement – et en général tout ce qui touche à l’aménagement urbain – sont plutôt performantes à l’étranger. Entrevoyez-vous des pistes de travail qui permettraient d’aboutir à des améliorations ? Vous avez évoqué les réseaux intelligents, le télé-relevé. Ces aspects n’ont peut-être pas été assez valorisés.

M. le président Alain Fauré. Je voudrais vous interroger sur les plans locaux d’urbanisme intercommunal (PLUI). Si l’on évite l’étalement des villes et des villages en concentrant et en réhabilitant les centres bourgs qui ont déjà leurs réseaux, peut-être parviendra-t-on à réaliser des économies dans l’extension des réseaux et surtout dans la perte d’eau. Qu’en pensez-vous ?

M. Tristan Mathieu. Les dotations des régions et des départements représentent environ le même niveau que les surplus d’investissement dont on aurait besoin pour les réseaux d’eau. Cela correspond à 800 millions d’euros.

Les entreprises de l’eau sont par nature, comme toute entreprise, très attachées à la productivité. Nous avons indiqué que les prix baissaient de 15 % environ lors des remises en concurrence. Cela veut dire que nos entreprises améliorent leur productivité tout en réussissant à maintenir sur le territoire national un nombre d’emplois assez conséquent. Je citerai quelques chiffres : 95 % des 32 000 salariés sont en CDI, il y a 500 points d’embauche, 1 000 chercheurs, des centres de recherche qui travaillent pour le monde entier mais qui sont logés en France. C’est vrai, la productivité peut augmenter grâce à de nouveaux outils comme les nouvelles techniques de l’information, des centres de pilotage plus centralisés, mais qui conservent un lien avec le terrain – car nous tenons à être présents localement. Voilà notre manière d’accompagner le stress sur le prix qui a été bien décrit. Quand les prix des opérateurs de l’eau baissent en raison d’une meilleure productivité, en général les collectivités en captent la moitié. La moitié de la baisse des opérateurs est récupérée par la collectivité sur sa part communale ou syndicale et l’autre moitié est répercutée sous forme de baisses de prix.

M. Paul Raoult. Nous sommes conscients que le renouvellement des réseaux est largement insuffisant. Cela posera toujours le problème du prix de l’eau.

Je vous rappelle très gentiment, mesdames, messieurs les parlementaires, que vous avez supprimé la solidarité entre les zones rurales et les zones urbaines dans les agences de l’eau, ce qui n’est pas très sympathique pour les zones rurales. Auparavant, les agences percevaient une subvention supplémentaire qui allait en direction des zones rurales. L’agence de l’eau Artois-Picardie a maintenu cette solidarité qui était obligatoire.

Je reste persuadé que la loi NOTRe est globalement bonne. Elle permettra de résoudre de nombreux problèmes.

Pour ce qui est de la productivité, il existe toujours des marges de progression. Cela dit, il faut tout de même gérer le personnel… Alors que je n’avais jamais rencontré de problèmes pendant vingt-cinq ans, je commence à en avoir parce que le contexte social et économique général est difficile et qu’un salarié qui apparemment gagne bien sa vie se met à protester alors qu’il ne l’aurait pas fait il y a quelques années.

Les Français doivent retrouver une culture de l’eau. Il faut assumer les conséquences de certains choix : rappelons que beaucoup de villes avaient pudiquement recouvert les rivières et qu’elles y faisaient couler les eaux usées… L’exemple le plus célèbre est celui de Rennes, mais cela a existé aussi dans les villes du Nord.

On trouve que l’eau est trop chère. Mais si l’on compare le prix de l’eau du robinet et le prix de l’eau d’Évian, on s’aperçoit qu’elle ne coûte pas cher. Malgré tout, les consommateurs préfèrent acheter de l’eau d’Évian même s’ils n’en ont pas les moyens plutôt que de boire de l’eau du robinet, pourtant parfaitement potable ! Si l’on veut un service de qualité et si l’on mesure les investissements qui devront être réalisés dans les vingt ans qui viennent, on s’aperçoit qu’il reste vraiment beaucoup à faire. Je frémis quand je vois comment on s’y prend avec les agences de l’eau. L’agence de l’eau Artois-Picardie a perdu 11 millions d’euros. Du coup, elle a diminué de plus de moitié la prime de performance épuratoire qu’elle verse aux syndicats. C’est donc une recette que les syndicats n’ont plus. Soit ils compensent cette perte en augmentant le prix de l’eau, soit ils investissent moins.

M. le président Alain Fauré. S’agissant des PLUI, l’étalement en milieu rural est problématique. Mais il l’est aussi dans les villes.

Mme Danielle Mametz, administratrice de la FNCCR, vice-présidente du SIDEN-SIAN/NOREADE. Nous nous sommes aperçus que les communes qui avaient un PLU avaient une bonne connaissance de leur réseau d’eau et d’assainissement parce que l’on demande aux partenaires associés de nous rendre des rapports. Un PLUI permet une meilleure cohérence sur un plus grand territoire. Il aura des effets positifs sur l’eau, l’assainissement et le SPANC. Par contre, il nécessitera des demandes en investissements plus importantes en ce qui concerne la gestion des eaux pluviales urbaines. Or, je le rappelle, c’est ce domaine qui est le plus touché par la baisse des dotations au bloc communal puisque le financement de ces services est fait sur la base de cotisations par habitant, donc soit sur le budget des communes soit fiscalisé quand le syndicat le permet.

M. Laurent Civel. L’économie de l’eau est une économie du fluide. Cela veut dire que chaque mètre cube non distribué représente une perte. Si, sur les 10 millions de mètres cubes que je distribue, la consommation baisse de 1 %, mon résultat sera amputé de 100 000 euros. C’est très bien pour la planète, même si je rappelle que 85 % de l’eau revient dans le milieu naturel. Ce discours est dur à tenir dans un contexte de « verdissement » de la société française, et plus largement européenne. Il est en effet difficile de dire qu’il faut consommer autant, sinon on aura du mal à investir. Alors on s’adapte… Dans ma région, je constate une tendance à la diminution de l’ordre de 2 à 3 % lors d’étés pluvieux. Si l’on cumule la baisse de la consommation et l’augmentation du nombre des impayés, on aboutit à de mauvaises années !

Nous sommes favorables à la loi NOTRe, mais nous avons dû nous fâcher avec certains de nos adhérents qui y étaient résolument opposés, notamment les présidents de syndicat dont le périmètre était inférieur à l’EPCI. Mais le problème est réglé. Cela étant, on aurait tort de balayer d’un revers de main l’histoire du bassin-versant. Si vous voulez gagner un peu d’argent dans les années qui viennent, achetez une entreprise qui fabrique des compteurs et des sous-compteurs car il va y en avoir beaucoup à installer. Dans les Landes, certains EPCI n’ont pas de château d’eau. On va installer un sous-compteur et ils vont nous acheter de l’eau. Bien sûr, je ne suis pas certain que ce soit le but de la loi. C’est une scorie, dans une loi fondamentalement bonne, mais je crains que ce phénomène ne se répète dans plusieurs endroits.

Vous nous demandez si nous serons une variable d’ajustement. Il y en a tellement ! Avec l’eau, on touche au développement d’une commune, surtout s’il s’agit d’une commune rurale. J’ai en tête le cas d’une commune qui veut créer un lotissement. Comme la police de l’eau interdit l’assainissement non-collectif, il faut un exutoire qui est l’assainissement collectif. Mais si elle est en régie, elle n’a pas l’argent nécessaire pour le faire. Elle doit donc adhérer à un syndicat. Comme elle compte moins de 3 000 habitants, elle participe au déploiement de son réseau. Mais comment peut-elle faire avec une DGF qui a fondu de 25 % ?

Quant au réseau pluvial, il ne se voit pas. Personne ne viendra inaugurer un déversoir d’orage. C’est peut-être la dernière ligne d’un budget prévisionnel sur lequel on se penche. Quand le réseau est unitaire, c’est très bien, sinon la même police de l’eau vous reproche d’avoir des eaux claires, donc des eaux parasitaires qui viennent dans la station d’épuration qui n’a pas été construite à cet effet.

M. Daniel Belon. La FNCCR regroupe également de nombreux EPCI qui sont compétents en matière d’eau et d’assainissement et qui nous font remonter un certain nombre de spécificités par rapport à l’impact des dotations sur leurs activités dans le domaine de l’eau. En effet, même s’il s’agit de budgets annexes dans la plupart des cas, lorsque la collectivité fixe un taux directeur en matière de dépenses de fonctionnement, en matière de réduction de personnel, ce taux s’applique aussi bien au budget général qu’au budget annexe, avec les conséquences qui en résultent sur la capacité d’investissement. Par ailleurs, comme dans ces types de structures les systèmes d’information géographique, la gestion des marchés sont souvent mutualisés entre différents services, la tendance est semble-t-il de faire supporter au budget annexe un peu plus de charges générales que par le passé afin de boucler le budget général. Voilà un effet indirect, mais tout à fait réel, de la baisse des dotations aux EPCI à fiscalité propre.

M. le président Alain Fauré. Madame, messieurs, nous vous remercions pour les éléments de réponse que vous nous avez apportés.

L’audition s’achève à dix-huit heures dix.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mercredi 14 octobre 2015 à 16 heures 15.

Présents. – Mme Catherine Beaubatie, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Calmette, M. Alain Fauré, M. Laurent Furst, Mme Joëlle Huillier, Mme Marie-Lou Marcel, M. Hervé Pellois, Mme Christine Pires Beaune, M. Nicolas Sansu, M. Claude Sturni.

Excusés. – M. Olivier Audibert Troin, M. Étienne Blanc, Mme Jeanine Dubié.