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Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mardi 4 novembre 2015

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Alain FAURÉ, Président

Table ronde, ouverte à la presse : « Horizon 2020 : quels équilibres pour les finances du bloc local ? » :

– Mme Marie-Estelle Binet, professeur des universités, PACTE / Institut d’études politiques de Grenoble,

– M. Guy Gilbert, professeur émérite, Centre d’économie de la Sorbonne - École normale supérieure de Cachan,

– M. Matthieu Houser, maître de conférences HDR, membre du Centre de recherches juridiques de l’Université de Franche-Comté,

– Mme Marie-Christine Steckel-Assouère, maître de conférences HDR, présidente de la commission « Réforme territoriale » du GRALE-CNRS.

L’audition débute à neuf heures.

M. le président Alain Fauré. Alors que notre commission d’enquête s’achemine vers la fin de ses travaux, nous avons souhaité prendre un peu de distance par rapport aux projections qui ont jusqu’ici porté sur les années 2015 à 2017. Le système financier local est, en effet, à la croisée des chemins : il est mis sous pression par la baisse des dotations de l’État ; il connaît des réformes importantes, comme la suppression de la taxe professionnelle en 2010 et la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) inscrite dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2016.

Quelle analyse prospective peut-on faire à l’horizon 2020 de ce système financier ? L’exercice n’est pas rendu facile par un contexte très mouvant, mais certaines questions me paraissent émerger : quelle devrait être la structure des budgets des collectivités du bloc local et comment s’établira l’équilibre entre dépenses et recettes pour le fonctionnement et l’investissement ?

Quelle devrait être la place de l’État dans le financement du bloc local à ce même horizon ? Est-il souhaitable que l’État efface la baisse des dotations engagée en 2014 ? Doit-il corriger les inégalités entre citoyens ou entre collectivités ? Doit-il partager avec les collectivités une partie de sa fiscalité sur les personnes ? Faut-il assortir la décentralisation des compétences d’une plus grande décentralisation des ressources ?

Pour répondre à ces interrogations, nous accueillons aujourd’hui Mme Marie-Estelle Binet, professeur des universités, PACTE / Institut d’études politiques de Grenoble, M. Guy Gilbert, professeur émérite, Centre d’économie de la Sorbonne - École normale supérieure de Cachan, M. Matthieu Houser, maître de conférences HDR, membre du Centre de recherches juridiques de l’Université de Franche-Comté, et Mme Marie-Christine Steckel-Assouère, maître de conférences HDR, présidente de la commission « Réforme territoriale » du GRALE-CNRS.

Avant de laisser la parole à nos invités, je vais leur demander, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Marie-Estelle Binet, M. Guy Gilbert, Mme Marie-Christine Steckel-Assouère et M. Matthieu Houser prêtent serment)

Mme Marie-Estelle Binet, professeur des universités, PACTE–Institut d’études politiques de Grenoble. Mon intervention se décompose en deux parties : la première consacrée à l’analyse financière prospective, la seconde à la péréquation.

En 2013, pour le compte de la Caisse des dépôts et consignations, avec le professeur Guy Gilbert et deux autres collègues de l’université de Rennes, nous avons réalisé une analyse financière prospective sur les comptes des collectivités territoriales à l’horizon 2020. Il s’agit de proposer, pour chaque bloc de collectivité, une modélisation des principaux postes budgétaires de ces collectivités dans les sections d’investissement et de fonctionnement, ainsi que les recettes et les dépenses. On peut ainsi prévoir jusqu’en 2020 le niveau d’investissement, le niveau de la fiscalité, les dépenses de fonctionnement et l’équilibre budgétaire. On peut faire varier le modèle en fonction d’hypothèses macroéconomiques : le niveau de chômage, qui influence les dépenses des départements, la croissance, qui détermine les recettes fiscales ainsi que le niveau des dotations de l’État. Ce modèle permet de simuler les conséquences de ces paramètres sur les équilibres budgétaires. À l’époque, en 2013, nous avions travaillé sur l’hypothèse d’une baisse des dotations de 750 millions d’euros. Nous avons également simulé un certain nombre de mesures d’économie de fonctionnement. Je laisserai la parole à Guy Gilbert pour présenter les résultats de cette étude.

Cette analyse ne tient évidemment pas compte de l’hétérogénéité des situations financières des collectivités territoriales au sein de chaque bloc. Or on sait que la baisse des dotations va toucher de manière plus importante certaines collectivités. Cette baisse doit donc s’accompagner de péréquation.

La péréquation vise à corriger des inégalités territoriales entre collectivités, en égalisant, pour un effort fiscal équivalent, le niveau de service public offert à tous les citoyens sur notre territoire.

D’après la théorie du fédéralisme financier, désormais admise dans le monde entier, pour atteindre l’équité territoriale, il suffit d’égaliser entre deux territoires équivalents le ratio du potentiel fiscal sur un indice synthétique de charges. Le potentiel fiscal, vous le connaissez ; l’indice synthétique de charges a pour objectif de mesurer les coûts de financement du service public subis par les collectivités. Deux exemples : un département avec un fort taux de chômage et une proportion importante de personnes âgées subit plus de charges de RSA et d’APA que d’autres ; une commune avec une faible densité de population et une vaste superficie subit des coûts de construction des réseaux d’eau et de transport plus importants qu’une autre dont la densité serait plus élevée.

Selon cette même théorie, le rôle de l’État est d’assurer l’équité territoriale en égalisant ce ratio par le versement de dotations. Or, actuellement, les critères d’attribution de ces dotations ne répondent pas entièrement à cet objectif puisqu’elles servent en partie à compenser des baisses de recettes fiscales liées à des réformes. Une réforme s’impose pour qu’une meilleure péréquation permette aux collectivités les plus fragilisées de mieux supporter les différents chocs qu’elles subissent, notamment la baisse des dotations.

Cette réforme passe par le calcul du potentiel fiscal, en prenant notamment en compte la revalorisation des valeurs locatives cadastrales, si elle est appliquée. Elle passe aussi par un nouveau calcul de l’indice synthétique de charges. Cet indice est complexe à déterminer, car il ne correspond pas à l’ensemble des dépenses par habitant, qui ne sont pas toutes subies. Guy Gilbert et Alain Guengant ont calculé ces indices de charges, sauf erreur de ma part, pour l’année 2001 ; il faudrait les actualiser pour tenir compte de l’acte II de la décentralisation et du développement de l’intercommunalité.

Une des questions qui se pose actuellement est de savoir si une péréquation doit être mise en place au niveau des intercommunalités ou des communes. Dans le premier cas, il faudrait raisonner dans le cadre de l’intercommunalité pour le calcul de l’indice de charges et du potentiel fiscal, ce qui n’a pas encore été fait.

Les baisses de dotations aux collectivités sont-elles soutenables ? Cette question renvoie à des réformes beaucoup plus profondes. Si on acte le fait que les dotations sont versées pour assurer l’équité territoriale, une façon de baisser sans douleur ces dotations consiste à aménager un territoire plus équitable dès le départ. Pour ce faire, il faut réduire l’hétérogénéité du secteur public local. Je fais référence à des réformes qui ont été évoquées et qui sont complexes : faut-il recentraliser les dépenses sociales des départements, réallouer leurs autres compétences aux régions ? Faut-il conserver autant de villes ? Pour apporter des réponses à ces questions, il faudrait mesurer avec précision les économies qu’on peut en attendre. Elles sont peut-être minimes ou importantes. Si elles dépassent 11 milliards d’euros, on a la réponse à la question : il suffit de mettre en œuvre les réformes. Dans tous les cas, les citoyens français sont très attachés à toutes les collectivités territoriales. Cette question ne sera réglée que par une consultation populaire.

M. Guy Gilbert, professeur émérite, Centre d’économie de la Sorbonne – École normale supérieure de Cachan. C’est une très bonne idée d’avoir choisi l’horizon 2020, car c’est précisément le terme des simulations que nous avons réalisées. Celles-ci montrent que si les collectivités locales françaises conservaient le comportement financier qui a été le leur depuis les lois de décentralisation, les conséquences à attendre de la baisse programmée des concours de l’État – si elle se réalise selon le calendrier initial – ne se produiraient pas d’ici à 2017, terme du programme de stabilité, mais entre 2017 et 2020. C’est évidemment un pari, car nous ne savons déjà pas demain ce que le PLF 2016 contiendra. Néanmoins, ce que suggère la prolongation des comportements antérieurs, c’est une réponse décalée au choc de ressources induit par la baisse programmée des dotations de l’État. La réponse, sans doute, s’écarte considérablement des discours habituels, mais elle repose sur des prévisions macroéconomiques dans lesquelles, par définition, aucune collectivité ne se reconnaît et qui sont peu nombreuses – à ma connaissance, La Banque postale est la seule, avec nous, à faire ce travail. Les conséquences à l’horizon 2017 ne seraient pas si importantes, en tout cas pas dans le bloc communal : une baisse de 5 milliards de l’investissement local – ce qui n’est pas négligeable –, une augmentation modérée de la fiscalité et une érosion de l’épargne puisque les dépenses de fonctionnement continueraient de s’accroître, hors conséquence du gel du point d’indice de la masse salariale. Les collectivités choisiraient de puiser dans le fonds de roulement, d’augmenter légèrement leur endettement et, à partir de 2017 seulement, pour solder les comptes, d’envisager une réduction beaucoup plus significative de l’investissement direct et indirect. Ces résultats, basés sur des travaux antérieurs, ne prennent pas en compte le fonds de soutien à l’investissement local et d’autres mesures dont le PLF 2016 nous réservera la surprise. Autrement dit, ces projections ne sont pas aujourd’hui suffisamment en phase avec la réalité institutionnelle pour qu’on puisse les présenter de façon détaillée.

Lorsqu’on compare la structure du budget des collectivités à celle du budget de l’État, on comprend clairement qu’ils ne font plus le même métier. Ces structures diffèrent radicalement. Les assimiler, c’est faire une erreur de perspective.

Exception faite des 60 % des dépenses des départements, qui relèvent bien plus de la déconcentration que de la décentralisation, les dépenses dans le bloc local sont induites par l’accumulation d’équipements. Ce sont les équipements qui génèrent de la dépense d’année en année. La dynamique de la dépense est tirée par la cristallisation des investissements réalisés au fil des ans. On peut calculer des taux de charges récurrentes : 1 euro d’investissement nouveau dans une collectivité égale – ce chiffre est quasiment gravé dans le marbre depuis les années quatre-vingt-dix – 18 centimes de charges récurrentes en moyenne l’année suivante – 4 centimes pour une route, 33 centimes pour une crèche, etc. Autrement dit, la mécanique budgétaire des collectivités est impulsée par l’investissement. C’est pourquoi cette question de l’investissement local est si importante, pas uniquement comme soutien à l’activité macroéconomique, mais comme facteur de dynamique intrinsèque. C’est la trajectoire d’un super tanker. Pour faire changer de cap un super tanker, on ne s’y prend pas en une minute. Or c’est exactement ce qui va se passer, semble-t-il.

M. le président Alain Fauré. Ce supertanker peut se transformer en Titanic.

M. Guy Gilbert. Nous verrons comment les collectivités vont réagir.

Autre élément sur l’équilibre des ressources, l’investissement des collectivités locales n’est pas pérenne, il est très cyclique, et il n’y a pas que du cycle électoral. On l’a vu avec les chiffres de 2014, qui, de mon point de vue, ont été curieusement interprétés. L’essentiel de la baisse qui a été si fortement médiatisée en 2014 n’est pas lié à la diminution, relativement modeste pour l’instant, des dotations de l’État, bien qu’elle ait commencé en 2013. Elle est due pour une bonne part – les prévisions de La Banque postale le confirment – au cycle électoral. Ce facteur de fluctuation est assez considérable.

Dernier point, depuis les lois de décentralisation, nous avons changé de modèle. Lorsque j’ai commencé ma carrière, on construisait des logements, des villes, en fonction des besoins et on soldait sur la fiscalité. J’ajoute que les dotations de l’État croissaient généreusement à l’époque. Aujourd’hui, les budgets se construisent à partir d’une hypothèse sur la fiscalité – en général, modération, voire stabilité, des taux – et on solde sur un arbitrage entre investissement et endettement. C’est ce modèle que les collectivités appliquent aujourd’hui. Vous comprenez à quel point cette vision de la gestion financière des collectivités s’éloigne de celle de l’État.

Quant aux pistes pour desserrer la contrainte des ressources, pour être très franc, je n’en vois pas de fiscales. La réforme fiscale a eu lieu en 2010, après 35 ans d’attente. Le volet territorial a été très peu préparé ; il a été construit en marchant. On en paie une bonne partie des errements aujourd’hui, y compris dans la mise en place des dispositifs de péréquation.

Mme Marie-Christine Steckel-Assouère, maître de conférences HDR, présidente de la commission « Réforme territoriale » du GRALE-CNRS. En 1947, Jean-François Gravier écrivait Paris et le désert français. Je me demande si, à l’horizon 2020, nous ne risquons pas, sans mesures de correction, de déplorer autour des grandes métropoles françaises des déserts ruraux.

Grâce à votre commission et sans doute aussi aux revendications des associations d’élus, le Premier ministre a annoncé le report de l’entrée en vigueur de la réforme de la DGF en 2017. C’est une sage décision. Dès lors que les schémas de coopération intercommunale sont encore en cours d’élaboration, cette réforme était prématurée.

À mon sens, il est indispensable de lier les réformes territoriales et les réformes institutionnelles. La recentralisation financière ainsi que la réorganisation territoriale en cours, à marche forcée, provoqueront, à l’horizon 2020, deux déséquilibres pour le bloc local : l’un provoqué par le financement des investissements, l’autre par le désengagement de l’État dans le financement du bloc local.

S’agissant du premier, les perspectives négatives pourraient être adoucies par des mesures de correction, sans pour autant que celles-ci permettent de renverser la tendance. Ces perspectives négatives tiennent à l’effet ciseau qui ne cesse de s’aiguiser, avec des dépenses de plus en plus importantes mais des ressources de plus en plus faibles pour les financer. Il est légitime et louable de prévoir l’accès des services publics aux handicapés, d’appliquer les normes issues du Grenelle ou d’augmenter la rémunération des catégories C. Mais il est difficile pour les collectivités de faire face à ces dépenses dès lors que, parallèlement, on diminue leurs ressources mais aussi les moyens de jouer sur leurs ressources propres.

Parmi les dépenses en augmentation, il y a les mises aux normes obligatoires en matière d’hygiène et de sécurité. Mais il y a aussi la mutualisation imposée au sein du bloc communal. Il ressort des enquêtes que nous avons menées par le Groupement de recherche sur l’administration locale en Europe (GRALE) qu’il n’y a pas d’économies d’échelle à attendre, ni à court ni à moyen terme. Les économies seront réalisées sur le long terme. Dans un premier temps, une augmentation des dépenses est même plus probable. Parallèlement, les ressources sont moindres puisqu’il a été décidé que les subventions apportées par les départements et les régions seraient limitées et que la part des communes maître d’ouvrage devait être de 20 %. Ces règles restreignent les investissements. Quant à l’emprunt, il peut certes constituer une ressource pour financer l’investissement, d’autant que les taux d’intérêt sont bas. Mais, contrairement à l’État, qui est tombé dans la spirale de l’endettement, les collectivités y ont échappé parce qu’il leur est interdit d’emprunter pour rembourser un emprunt ou pour financer du fonctionnement.

À force d’augmenter les dépenses et de diminuer les ressources, il est à craindre une diminution de l’investissement mais aussi des problèmes pour faire face aux dépenses de fonctionnement, plus précisément pour les communes. Au regard des réformes menées, la situation des intercommunalités sera plus confortable.

Quelles mesures prendre pour atténuer ces perspectives négatives ?

S’agissant des dépenses, l’idée d’un moratoire sur les normes, qui imposent des dépenses contraintes aux collectivités et les mettent en difficulté, commence à être mise en application. Les communes nouvelles semblent se présenter comme une solution plus consensuelle que les fusions pour limiter les dépenses d’investissement et d’équipement. La mutualisation pour une utilisation beaucoup plus importante des équipements publics est une autre piste à explorer.

La réforme de la DGF est intéressante en ce qu’elle permet de prendre en compte les dépenses de ruralité et de centralité. Mais alors qu’elle relève normalement de la péréquation verticale, la DGF est de plus en plus utilisée pour de la péréquation horizontale. À enveloppe constante, voire réduite, on donne plus aux collectivités les plus défavorisées en prenant sur les communes les plus favorisées, qui subissent donc une baisse supplémentaire de leurs dotations.

On peut aussi trouver des solutions du côté des ressources. En matière d’investissement, La Banque postale, la Banque européenne d’investissement et la SFIL (Société de financement local) prêtent aux collectivités pour faciliter leurs investissements. Encore faut-il que celles-ci puissent rembourser. Or, si leur capacité d’autofinancement ne cesse de se réduire, comment feront-elles pour inscrire dans la durée les dépenses ? La constitution d’un fonds pour l’investissement local doté de 1 milliard d’euros est certes une bonne chose en ce qu’il permettra d’orienter les dépenses vers l’investissement. Néanmoins, toutes ces mesures ne feront qu’atténuer les effets de la baisse des dotations, elles ne les compenseront pas.

À l’horizon 2020, on observera aussi un déséquilibre provoqué par le désengagement de l’État dans le financement du bloc local.

Les conséquences négatives ne sont pas que des perspectives. D’ores et déjà, certaines collectivités réduisent les horaires de certains services publics ou les ferment ; elles baissent les subventions, notamment en faveur des associations ; elles jouent sur les recettes en augmentant les tarifs des services publics. Avec la diminution des dépenses, qu’en est-il des services de proximité et de l’aménagement équilibré de notre territoire ?

Des mesures positives pourraient nuancer ce tableau. S’agissant des ressources fiscales, s’il n’y a pas de levier pour les départements et les régions, les communes et les intercommunalités peuvent jouer sur le taux, mais celui de quels impôts ? Taxe d’habitation ou taxe foncière ? Les ménages supportent déjà une pression fiscale très importante. Cotisation foncière sur les entreprises ? Là encore, la hausse doit être limitée, car la suppression de la taxe professionnelle était précisément justifiée par ses effets contre-productifs sur l’économie. Reste la révision des valeurs locatives, dont le processus est engagé pour les bâtiments industriels et commerciaux, pas encore pour les habitations. Une fois de plus, la marge de manœuvre est assez faible, car il faudra un lissage dans le temps. Pour les bâtiments commerciaux, un coefficient de neutralisation devrait être appliqué. Quelle est donc la marge réelle des collectivités ?

J’en viens à la péréquation horizontale. Le fonds de péréquation intercommunale (FPIC) part d’une bonne intention. Mais le système actuel a des effets pervers : des communes riches dans des intercommunalités pauvres ne vont pas contribuer et, inversement, des communes pauvres dans des intercommunalités riches sont appelées à contribuer. Quant au transfert des frais de gestion aux collectivités, il ne faut pas en attendre des miracles. Cette mesure, intéressante au demeurant, produira des résultats assez faibles.

Le pilotage doit être global : toutes les administrations publiques sont concernées. Les mesures de compensation – qu’il s’agisse du fonds pour l’investissement, du transfert des frais de gestion ou du FCTVA dans un premier temps – ont pour conséquence de déshabiller l’État. La situation budgétaire permet-elle véritablement de faire ces réformes ?

Nous sommes à un carrefour. Cette période difficile devrait inciter l’État à réfléchir au rôle des administrations publiques. Il est temps d’engager des discussions sur un pacte social au travers duquel on s’interroge sur les dépenses qui doivent être financées en priorité par les collectivités. Je rejoins ici l’idée intéressante d’une consultation populaire, quoique bien difficile à réaliser, j’en conviens.

M. Matthieu Houser, maître de conférences HDR, membre du Centre de recherches juridiques de l’Université de Franche-Comté. Je souhaite d’abord souligner la grande diversité des chiffres et les différences d’analyse qui en découlent.

L’Association des maires de France (AMF) table sur une diminution de l’investissement de 30 % d’ici à 2017, tandis que la Cour des comptes, dans son rapport sur les finances publiques locales, prévoit, dans le cadre de l’objectif d’évolution de la dépense locale voté dans la loi de programmation 2014-2019, une baisse de 2 % en 2016 et 2017. C’est le grand écart. Il devient nécessaire de se doter d’un outil de pilotage global et régulièrement mis à jour, que pourrait abriter l’Assemblée nationale ou le Sénat. J’ai été surpris par la faiblesse de la prospective dans le rapport de la Cour des comptes. Faut-il améliorer ses projections ? Est-ce bien son rôle d’en faire ? Selon moi, l’une des missions de la Cour des comptes, confirmée par la réforme constitutionnelle de 2008, est d’aider le Parlement. Elle devrait posséder un outil de prospective plus avancé que ce dont elle dispose aujourd’hui.

S’agissant de la baisse des dotations, on peut raisonner en termes de flux ou de stock. En termes de stock, la baisse n’est pas de 11 milliards d’euros mais de 26 milliards en trois ans, depuis 2014. C’est une véritable mutation. Il faut arrêter de parler de ce chiffre de 11 milliards. Ces 26 milliards ont un impact direct sur l’investissement. S’agissant des dépenses de fonctionnement, lorsqu’on étudie l’évolution de l’épargne de gestion, sans prendre en compte l’évolution des frais financiers liés aux emprunts, et qu’on projette l’évolution de la période 2010-2014 sur la période 2015-2020, on constate une baisse relativement importante de l’ordre de 2,8 %. Or les projections de la Cour des comptes sont sans commune mesure. C’est quand même le grand écart.

Le deuxième élément sur lequel je m’interroge est la sacralisation des dépenses d’investissement. Finalement, à quoi servent ces dépenses ? Leur confère-t-on comme utilité de doper la croissance ou d’offrir des équipements aux habitants ? Il y a sans doute une réflexion à mener sur ce point. Une baisse de l’investissement de 5 ou 6 % est-elle si grave ? A-t-elle un impact en termes d’emplois ? Les fédérations du bâtiment et des travaux publics ne penseraient sans doute pas comme moi. Là encore, j’ai été déçu de ne pas trouver dans le rapport de la Cour des comptes des informations sur les effets en termes de croissance des grands projets d’investissement.

Un autre élément important à prendre en compte est que le rôle de l’État évoluera considérablement dans les années à venir. Nous sommes dans une phase de contractualisation extrêmement forte qui indique que l’État sera beaucoup plus présent tant au niveau urbain qu’au niveau rural. Ainsi, dans les contrats de ville, le préfet s’immisce dans le pacte fiscal entre les communes et les EPCI ; il peut intervenir dans la définition de la dotation de solidarité communautaire ; il peut prôner un certain nombre d’évolutions. Si les collectivités ne jouent pas le jeu, l’État peut ne pas signer. Le Sénat a voté, la semaine dernière, l’instauration de contrats territoriaux de développement rural. Là encore, c’est le retour de l’État. Quant au fonds pour l’investissement – dont le montant sera plus proche de 800 000 euros que de 1 milliard en raison d’un jeu d’écriture –, c’est l’État qui choisira les projets qu’il souhaite financer.

D’un côté, on retire de l’argent aux collectivités en baissant les dotations avec l’objectif de les forcer à réduire leurs dépenses de fonctionnement. De l’autre, on crée un fonds qui va permettre de sélectionner des projets d’investissement. On verra ce qu’il en sera dans la pratique, mais, juridiquement, ces trois éléments – loi sur la ville de 2014, contrats territoriaux et fonds pour l’investissement – sont le signe d’un retour extrêmement fort de l’État.

La dernière évolution qui confirme le retour de l’État concerne la péréquation. On paie les frais de la réforme de la taxe professionnelle de 2010 qui n’a pu aboutir, à l’issue d’une opposition entre le Sénat et l’Assemblée nationale, qu’avec l’introduction d’un fonds de péréquation mais aussi de grandes incertitudes. Cette réforme a créé beaucoup d’inégalités.

S’agissant de la réforme de la DGF, et de la péréquation en son sein, elle est plus qu’urgente. Le recul d’un an est extrêmement regrettable. Certes, elle ne serait pas parfaite, et des ajustements seraient nécessaires mais la repousser provoquera inévitablement des gagnants et des perdants. Il faut voter cette réforme, quitte à revenir dessus dans un deuxième temps.

La péréquation au niveau local voit encore le retour de l’État. Les possibilités de moduler la répartition de la ressource entre les communes et l’EPCI sont si nombreuses – la dotation de solidarité communautaire (DSC), le FPIC, les dérogations concernant les attributions de compensation, les règles de lien entre les taux – que l’État sera l’arbitre.

Parmi les questions qui nous ont été préalablement posées figurait la recentralisation du RSA. Il y a deux façons de voir les choses : soit on compense intégralement le coût du RSA, soit on le recentralise. Dans les deux cas, c’est totalement neutre pour le département. Dès lors pourquoi recentraliser alors qu’il faudra créer des missions, transférer des personnels ? La recentralisation aura un coût. Je n’en vois pas l’intérêt.

Enfin, la discussion sur une fiscalité affectée ou partagée est un faux débat. La question à se poser est plutôt de savoir si on transfère de la fiscalité dynamique aux collectivités. Ira-t-on plus loin que la réforme de 2010 ? Je ne le crois pas. L’État s’opposera à tout transfert de fiscalité dynamique.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Je suis à l’origine de la création de cette commission d’enquête, car il me semblait – ce qu’a confirmé monsieur Houser en constatant l’absence de prospective des travaux de la Cour des comptes – que nous manquions d’études d’impact sur les conséquences de la baisse des dotations aux collectivités locales, non seulement sur leurs finances mais aussi sur le service public de proximité et sur l’aménagement équilibré du territoire. Sur le territoire, les situations sont très hétérogènes mais il y a une constante : la baisse des dotations est brutale. Madame Binet, monsieur Gilbert, j’ai lu votre étude avec plaisir mais elle ne prend pas comme hypothèse cette baisse de dotations – que vous ne pouviez pas connaître –, et cela change tout pour le bloc communal.

La DGF a un impact extrêmement fort sur le bloc communal, pas partout, j’en conviens. Je peux vous assurer que la baisse des dotations, conjuguée à l’échec, voire la catastrophe pour certains territoires, de la suppression de la taxe professionnelle – remplacée par un impôt économique qui n’est même pas dynamique mais régressif aujourd’hui – place des territoires en quasi-déséquilibre dès 2016. Au-delà de l’avis macroéconomique et des revendications normales d’associations d’élus qui peuvent être excessives, les difficultés de certaines communes sont réelles.

Même si le chiffre donné par le président de l’AQMF, François Baroin, peut paraître exagéré – 2 500 à 3 000 communes en difficulté dès 2016 ou 2017 –, un déséquilibre est manifestement en train de se creuser dans les finances du bloc communal. Je ne parle même pas des départements : pour eux, c’est terminé ! Si on continue à leur faire payer toutes les allocations individuelles de solidarité, dix départements ne pourront pas équilibrer leur budget en 2016, ils seront trente en 2017, ensuite, aucun n’en réchappera, sauf peut-être les Hauts-de-Seine. Au surplus, il ne faut pas négliger l’effet domino. Toutes les communes et les intercommunalités ont signé des contrats avec les régions, parfois avec les départements, et l’impact est considérable sur de nombreuses politiques publiques qui mobilisent de l’investissement, au travers des subventions d’équipement, ou même sur des politiques de proximité. Dans le domaine de la culture, le théâtre d’une ville est subventionné par toutes les strates de collectivités. Ces subventions risquent d’être remises en cause. Est-ce bon pour le pays ? Est-ce bon pour la croissance ? Telle est la question.

Hier, devant le Comité des finances locales, la Cour des comptes a révisé sa position et annoncé que la baisse de l’investissement sera bien supérieure à 2 % – les premiers chiffres pour 2015 font état d’une baisse de 10 à 12 % pour le bloc communal par rapport à 2014. On ne peut plus l’imputer au cycle électoral, dont on sait qu’il est responsable pour 6 à 7 % de la baisse en 2014. La Cour des comptes a reconnu hier que cette diminution posait problème pour l’investissement public.

Je ne suis pas sûr que tous les investissements génèrent des dépenses de fonctionnement. Ne sommes-nous pas devant un changement de paradigme de la part des élus qui recherchent des investissements engendrant peu ou pas de dépenses de fonctionnement ? Quand les collectivités sont appelées à contribuer à la transition écologique, les investissements permettent des économies dans le budget de fonctionnement. Ce qui était vrai dans une période d’extension du patrimoine communal est sans doute révisé aujourd’hui.

Vous demandez s’il est grave de réduire de 7 à 8 milliards d’euros – selon les prévisions de l’AMF – l’investissement du bloc communal. Ce ne le serait pas tant s’il ne s’agissait que d’étendre le patrimoine. Mais en fait, c’est son simple entretien qui en pâtirait. Je ne suis pas sûr que le patrimoine puisse tenir avec un investissement public local qui s’effondre. On peut fermer une piscine, une salle de sport ou un équipement culturel. Est-ce là ce que nous voulons, diminuer les services offerts à nos concitoyens ? Je n’en suis pas sûr.

Quel est votre avis sur le débat récurrent entre épargne brute et épargne nette ? Les associations d’élus se préoccupent de maintenir l’épargne nette, qui s’effondre actuellement. L’épargne brute, elle, permet de s’endetter. En demandant aux collectivités de maintenir l’épargne brute, on les encourage à recourir à l’endettement, ce qui est un non-sens. L’État veut faire 50 milliards d’économies dans les dépenses publiques et propose aux collectivités de s’endetter ! La baisse de 11 milliards d’euros se traduira par un recul de l’investissement et non par une amélioration du ratio de fonctionnement – ou très peu –, ce qui correspond à l’inverse du but recherché. Les collectivités sont très attachées à l’épargne nette, à l’autofinancement réel.

Madame Steckel-Assouère a dit de la DGF qu’elle était une péréquation verticale. Non : la DGF est la compensation de taxes qui ne sont plus perçues par les collectivités locales. Ce n’est pas une péréquation mais une dotation globale. Ce n’est pas la même chose.

Enfin, monsieur Houser, je considère que la mise en œuvre aujourd’hui de la réforme de la DGF n’est pas raisonnable parce qu’on ne peut pas faire des perdants et des perdants-perdants. Le problème pour les élus, ce n’est pas tant la réforme de la DGF que la baisse des dotations qu’ils subissent. Si on veut réussir la réforme de la DGF, il existe une solution immédiate : le gel des dotations. Là, il n’y aura aucun souci.

M. Alain Calmette. Nous sommes dans le contexte particulier d’une décision de l’État de faire 50 milliards d’euros d’économies sur les dépenses publiques, dont 12 milliards pour les collectivités. Cette décision est justifiée par des raisons de souveraineté de notre pays et par la préservation du bien-être de ceux qui vont nous succéder. À partir de là, soit on nous démontre que, sans économies, tout irait mieux ; soit on cherche à répartir autrement les 50 milliards d’économies. Une autre hypothèse consiste à économiser encore plus : 100 ou 120 milliards. Comment faire sans que les collectivités participent d’une manière ou d’une autre à l’effort collectif ?

La dépense publique doit être appréhendée de manière globale : si l’État donne plus aux collectivités, le déficit s’en trouvera creusé d’autant. Soit on considère que la réduction des déficits est un impératif national et qu’il faut essayer d’équilibrer au mieux les efforts entre tous les acteurs de la dépense publique, soit on pense le contraire. Quel est votre sentiment sur le choix budgétaire d’aller vers la diminution des services publics dans les années à venir ?

Certes, la DGF n’est pas un instrument de péréquation mais, sur la même strate, avec les mêmes caractéristiques, une commune peut toucher deux fois plus par habitant qu’une autre sans qu’on puisse l’expliquer autrement que par l’histoire de cette DGF. J’étais de ceux qui pensaient que cette réforme de justice entre les collectivités d’une même strate pouvait avoir un effet amortisseur dans le contexte général de diminution des dotations. Je regrette donc que la réforme ne soit pas faite dès cette année, car 2016 sera une année difficile pour les collectivités.

Plutôt que d’essayer de remettre en cause les 50 milliards ou l’équilibre de ces économies, il me semble que c’est à l’intérieur des dotations qu’il faut travailler, pour que la péréquation ait un sens et soit développée, qu’elle soit horizontale ou verticale. Certaines collectivités ont de la trésorerie, d’autres ont des marges de manœuvre fiscale, d’autres encore ont un potentiel d’investissement. J’ai d’ailleurs bien aimé la question sur la destination de l’investissement. On s’intéresse à l’investissement plutôt comme un outil de croissance et peu ou pas assez comme une réponse aux besoins des habitants.

Malgré leurs imperfections, les outils comme le FPIC, la dotation de solidarité urbaine (DSU), la dotation de solidarité rurale (DSR) doivent être renforcés pour assurer une égalité de traitement des collectivités de la part de l’État. Bien sûr, il y aura des perdants, mais vivre sur un acquis devenu illisible me semble être une mauvaise politique alors que tout le monde doit faire un effort. L’effort doit être le plus juste possible. C’est la raison pour laquelle la péréquation à la fois horizontale et verticale me semble être le pivot de l’acceptation par les collectivités de l’effort demandé au nom de la réduction des déficits publics. Qu’en pensez-vous ? Serait-il possible d’aller beaucoup plus loin en la matière ?

M. le président Alain Fauré. Les ménages et les entreprises subissent également la crise. On ne vient pas leur demander si, avec des baisses de revenus de 30 à 50 %, ils doivent continuer à investir coûte que coûte. Ils disparaissent ou ils s’adaptent. Comment ceux qui représentent cette population et le monde économique, à savoir les élus, pourraient se couper des réalités et ne pas montrer l’exemple ?

On s’interroge sur le calendrier et le bien-fondé de la réforme de la DGF. Pourtant elle comporte des garde-fous, avec une variation de plus ou moins 0,5 par rapport à ce qui est perçu aujourd’hui ainsi qu’une clause de revoyure annuelle. Il convient de gommer les injustices sur un territoire, pas nécessairement pour prendre aux plus riches pour donner aux plus pauvres, encore que…

Qu’est ce qui fait que la commune de Beaucaire perçoit 206,73 euros par habitant au titre de la DGF et la commune d’Annonay 241,81 euros avec un effort fiscal et un taux d’APL identiques, soit une différence de 796 000 euros sur un an ? Imaginez les sommes en jeu sur dix ans, et considérez qu’une commune a fini par devenir Front national quand l’autre est restée dans des normes politiques humanistes. Avec le recul qui est le vôtre, libéré de la pression des citoyens, quelle est votre analyse ?

Comment une société peut-elle pousser l’individualisme à l’outrance, jusqu’à vouloir laisser chacun se déplacer comme il veut, sans considération des conditions d’âge ou de santé, ni des particularités géographiques ? La sagesse ne commande-t-elle pas de s’intéresser aux conséquences sur certains de lois faites en pensant à d’autres ? Je pense au volet concernant les déplacements des lois dites « Grenelle ». Ce n’est pas ce que j’appelle vivre en société. Pour moi, il faut faire appel à l’entraide intergénérationnelle. Ça, c’est humain !

Comment peut-on admettre que certains citoyens pourraient consacrer leur temps libre au loisir quand d’autres, faute de travail, seraient condamnés à rester chez eux, voire dans des cartons sur les trottoirs ?

M. Guy Gilbert. Je suis à l’origine des premiers travaux en France sur l’évaluation des effets péréquateurs des dotations de l’État. Ils ont donné lieu à la rédaction d’un article dans la LOLF qui impose que cette péréquation soit effectuée de façon quinquennale. Cet article n’est plus appliqué dès lors que certaines mesures prises ont eu un caractère anti-péréquateur, en contradiction avec une lecture littérale de l’alinéa 5 de l’article 72-2 de la Constitution à laquelle il serait temps de revenir.

J’ai bien étudié les dispositifs de péréquation territoriale dans le monde et les ingrédients qui en font le succès ou, tout au moins, qui facilitent leur bonne insertion dans les systèmes nationaux de finances publiques. Premièrement, il s’agit de péréquations modestes : on n’affiche pas des objectifs sauvages de redistribution si on veut un système pérenne. Deuxièmement, si le système est pérenne, il produit des effets de « ciseaux ouvrants », qui sont réellement péréquateurs, et non pas des gesticulations barémiques. Mes propos n’ont rien de métaphorique : ils sont en phase avec l’histoire de la montée en puissance des fonds de péréquation consécutive à la réforme fiscale de 2010. Troisièmement, ce sont des systèmes transparents, qui reposent sur deux piliers. Le premier, c’est la compensation des écarts de richesse fiscale. Mais on ne corrige pas n’importe quoi, on corrige du potentiel fiscal. Une bonne partie des effets pervers que vous soulignez tient à ce que nous avons aujourd’hui un mauvais critère de potentiel fiscal, et nous savons en partie pourquoi : parce que nous y avons intégré des éléments qui n’avaient rien à voir avec le potentiel fiscal. Cela a été dit et redit, mais il n’y a pas eu de changement et on comprend pourquoi : il suffit de regarder l’ampleur des montants que représentent les transferts.

Un système qui fonctionne est un système lisible. C’est facile avec le critère du potentiel fiscal ; c’est difficile avec le critère de charges, à tel point que certains pays ont abandonné ce critère – le deuxième pilier. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

Enfin, les systèmes doivent être régulièrement évalués. Or ils ne le sont pas vraiment. Il suffit de parcourir les différents rapports récents consacrés à cette question pour s’en convaincre. Nous possédons les outils mais nous ne les utilisons pas. Le problème n’est donc pas technique.

S’agissant de l’articulation éventuelle entre des mesures de redistribution individuelle et une péréquation territoriale, on a tendance, individualisme aidant, à remettre en cause la péréquation territoriale au motif qu’on pourrait se contenter d’enlever aux plus aisés pour redonner aux plus démunis. Les objectifs poursuivis par la péréquation individuelle et la péréquation territoriale ne sont pas les mêmes. Ils sont même fortement décorrélés. Avec la seule péréquation individuelle, le territoire serait composé d’hyper-agglomérations et d’espaces interstitiels vides.

La péréquation territoriale offre une réponse à ce problème. Les deux politiques sont certainement plus complémentaires que contradictoires. On comprend les intérêts de certains à minorer la péréquation territoriale et à se contenter de la redistribution entre les individus. Je crois que c’est une très mauvaise idée.

La montée en puissance de la péréquation en France a été facile et très efficace. Nous avons pu montrer en 2004 que 40 % des inégalités de potentiel fiscal corrigé des charges d’une commune à une autre étaient corrigées par le système de péréquation. On peut regretter que ce ne soit pas 100 %, mais 40 %, ce n’est pas négligeable.

Le contexte est extraordinairement difficile : la France est attachée à un émiettement territorial qui trouve ses racines dans l’histoire et présente certainement de nombreux avantages, mais qui a au moins un inconvénient : il génère des inégalités de richesse fiscale considérables. On veut les corriger, c’est une bonne chose, mais il faut y consacrer beaucoup de ressources.

Mme Marie-Christine Steckel-Assouère. Il me semble que reporter la réforme de la DGF en 2017 présente l’avantage de pouvoir coller aux schémas actuellement en cours de préparation par les communes, et qui seront mis en œuvre en 2017. De nombreuses communautés de communes vont être transformées en communautés d’agglomération, avec transfert de plein droit de la fiscalité professionnelle unique, et il est donc préférable d’attendre plutôt que d’être contraint de revoir a posteriori une réforme qui n’aurait pas tenu compte des fusions.

En ce qui concerne le choix entre épargne brute et épargne nette, cette dernière est mieux adaptée, car elle reflète la véritable situation des communes. Pour le reste, tout est lié à des arbitrages politiques. Notre rôle d’universitaires consiste uniquement à décrire des situations, à expliquer les conséquences des règles juridiques, les répercussions qu’elles peuvent avoir au plan institutionnel, et mon analyse est la suivante : comme je l’avais déjà dit en 2011 lors du congrès national de droit constitutionnel de Nancy, et sans me prononcer sur le fond, il me semble que l’État et les gouvernements successifs, ne parvenant pas à réorganiser la carte territoriale par des réformes institutionnelles, ont utilisé la réforme financière. La suppression de la taxe professionnelle, remplacée par la contribution économique territoriale (CET) et par une imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau, le fait de ne plus permettre aux départements ni aux régions de moduler leurs taux – sauf pour une partie de la taxe foncière –, à quoi il faut ajouter une interprétation très extensive des ressources propres ont abouti – volontairement ou non ? – à asphyxier financièrement les collectivités territoriales. Dans la mesure, par ailleurs, où les différentes réformes territoriales et la récente loi NOTRe ont accentué la spécialisation fonctionnelle des différentes strates de territoire, les collectivités territoriales ont dû recentrer leur budget sur les dépenses obligatoires.

En tant que citoyenne, la solidarité intergénérationnelle et la solidarité à l’égard de ceux qui sont en difficulté me paraissent évidemment une nécessité, mais ce sont des considérations qui ne peuvent orienter mes analyses de juriste. Il vous appartient, à vous, élus, de dire clairement quelles conséquences aura la baisse des dotations et comment, compte tenu des contraintes financières qui pèsent sur le pays, doit se répartir le poids de la contrainte financière entre l’État, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale. Car il faut faire des économies, nous n’avons pas le choix : c’est un impératif économique et une obligation juridique, qui appelle donc un arbitrage politique.

En ce qui concerne, enfin, la solidarité nationale, elle est, comme l’équilibre financier, une obligation juridique mais également le ciment de la cohésion sociale. Il faut donc la défendre. Les citoyens, qui sont aussi des contribuables, y sont prêts et consentiront à payer dès lors qu’ils pourront bénéficier des services publics. D’où ma question précédente : souhaitons-nous vivre, à l’horizon 2020, dans un pays composé de grandes métropoles – puisque ce sont elles que favorisent les dernières réformes – entourées de déserts ruraux ?

M. Claude Sturni. Madame Binet, vos exemples de charges subies ne m’ont pas convaincu. Il me semble trop facile de dire que la densité d’un territoire et les services à financer ne découlent pas de décisions politiques. Le visage des communes est bien une création des élus.

Je réagis également aux propos de monsieur Gilbert, selon qui les dépenses des collectivités sont largement liées aux investissements qu’elles ont réalisés à un moment donné. Doit-on pour autant en conclure, puisqu’il est acquis que 1 euro investi génère x euros de dépenses de fonctionnement, que, pour réduire ces dernières, il faut fermer des équipements ?

Madame Steckel-Assouère, vous avez expliqué que la mutualisation des équipements permettait d’atténuer l’effet ciseau. Si j’en suis d’accord sur le principe, permettez-moi de vous citer l’exemple d’une commune de 2 000 habitants, membre d’une intercommunalité de 22 000 habitants, où vient d’être inaugurée une salle polyvalente. Cet équipement va, bien sûr, être mutualisé, mais il va également créer de nouveaux besoins. Cela ne veut pas dire que la construction de cette salle ait été une mauvaise décision, mais cela marque la limite de l’optimisation financière possible. Ce qui m’amène à poser la question suivante : comment expliquer à nos concitoyens qu’il nous sera impossible désormais de répondre à des besoins nouveaux ?

Monsieur Houser a insisté sur le renforcement du poids de l’État sur les collectivités territoriales, notamment à travers la politique de contractualisation. On a déjà largement commenté sa part de responsabilité dans les difficultés que rencontrent aujourd’hui les départements, mais la même perspective ne se dessine-t-elle pas pour le bloc communal ? Que les communes participent à la transition énergétique et contribuent à la politique familiale en développant l’offre de crèches est en soi une bonne chose, mais qu’en sera-t-il si elles n’en ont plus les moyens ?

Comment responsabiliser les élus locaux si la péréquation a pour conséquence d’empêcher les élus vertueux, créateurs de valeur, de tirer les bénéfices d’une bonne gestion ? Est-il normal de dépouiller un territoire aisé pour aider un territoire défavorisé, sans s’interroger sur la responsabilité des élus dans les difficultés que rencontre ce dernier ?

M. Laurent Furst. Je profite de ce qu’il reste encore des élus locaux au sein de la représentation nationale – qui sera considérablement appauvrie après leur départ – pour vous livrer mon expérience. Je suis président d’une communauté de communes et maire d’une commune de 10 000 habitants qui n’a pas de dette et où les impôts n’ont pas augmenté depuis onze ans. J’aimerais que l’on mesure les efforts fournis : nous avons mis dix-huit ans à réduire la dette à zéro et créé dans la communauté de communes quatre zones d’activité qui ont généré mille emplois nouveaux. Pourtant, la baisse des dotations conjuguée à la péréquation fait que, à fiscalité égale, nous allons perdre la quasi-totalité de notre capacité d’investissement, et tout cela en vertu de décisions prises à l’échelon national, sans qu’aucun élément de gestion locale ait été pris en compte. C’est terrible, démotivant et intellectuellement insupportable.

Personne ne semble mesurer l’effet cumulatif de toutes les mesures adoptées, symptôme de la mauvaise qualité de notre droit, qui repose sur une addition de mesures qui n’ont jamais fait l’objet d’une vue d’ensemble. Je suis fatigué que le débat sur les collectivités locales ne procède que d’une vision parisienne du pays. Il faut quand même rappeler que le retrait de l’État a considérablement augmenté les charges des collectivités locales et que ce sont elles qui ont assumé les charges liées à l’élévation du niveau de vie et aux besoins nouveaux de la population, notamment des rurbains, que l’État les a fortement engagées à satisfaire en construisant crèches, médiathèques et infrastructures sportives. À cela s’ajoute enfin le coût réglementaire délirant auquel les collectivités doivent faire face. On a beau jeu, ensuite, de faire un procès en dépenses publiques aux collectivités, qui ne font que prendre en charge le financement de décisions dont les élus locaux ne sont pas responsables.

Je vois, moi aussi, se dessiner un avenir où notre territoire se réduira à quelques grandes métropoles entourées de déserts dépourvus de tout moyen. Ces dernières années, la France a, à juste titre et pour des raisons de sécurité plus que pour des raisons de coût, fermé de très nombreux plateaux hospitaliers : nous sommes très forts, en effet, pour tordre le cou à ce qui est petit ; nous le sommes moins pour évaluer quelle est la taille critique la plus pertinente en termes de gestion, et nos hyperstructures hospitalières coûtent finalement très cher à gérer, à cause de toute une série de coûts interstitiels. Qu’on m’explique, dès lors, l’intérêt de regrouper dans de plus grandes entités des collectivités locales et des villages dont la dépense par habitant est très faible et où les élus, le plus souvent bénévoles, savent tisser du lien social, alors que l’on sait pertinemment que ce regroupement fera augmenter les dépenses par habitant, puisqu’il faudra créer des centaines de postes de fonctionnaire. Est-ce le meilleur moyen de faire des économies ?

Mme Marie-Estelle Binet. Sans vouloir relancer la guerre des chiffres, vous avez parlé, monsieur le rapporteur, de 2 500 communes et EPCI en difficulté, et d’une baisse de 7 milliards des investissements : à quoi renvoient précisément ces chiffres et sont-ils plus parlants que la baisse des dépenses de fonctionnement ? Je suis consciente qu’il y a des situations fort disparates, mais l’étude que nous avons conduite au niveau agrégé montre qu’il n’y a aucune raison pour que le bloc communal soit obligé de réduire ses dépenses d’investissement dès cette année, puisque son épargne brute est encore conséquente. Les chiffres doivent donc être maniés avec précaution et rapportés à une vision à la fois plus globale et plus précise de la gestion des collectivités territoriales.

En ce qui concerne les charges subies, il existe des villes dont la superficie est vaste, la densité faible et qui ont donc des charges subies supérieures aux autres. Faut-il, dès lors, revoir notre carte intercommunale ? Cela nécessiterait de mesurer précisément les économies d’échelle, en production, consommation et gestion, ce que personne ne sait véritablement faire. Par ailleurs, je pense que c’est aux citoyens de s’emparer de ces questions. Certains d’entre eux sont attachés à leur petite commune : cela a-t-il un coût ? Et, quand bien même, pourquoi pas ?

Quant aux éventuels effets pervers des dotations, pour les éviter, il suffit de ne pas conditionner l’octroi de celles-ci au niveau des dépenses mais de le faire dépendre de critères externes et objectifs.

M. Guy Gilbert. Monsieur le rapporteur a évoqué les investissements censés générer des économies de fonctionnement. Toute la difficulté est que la comptabilité des collectivités – qui n’a pour seul but que de permettre à Bercy de contrôler l’équilibre des comptes – ne renseigne nullement sur les charges et les économies récurrentes. Les seules données dont nous disposons sont des données globales tirées des comptes de patrimoine de la comptabilité nationale ; il s’agit des chiffres que je vous ai cités.

On aimerait, évidemment, pouvoir constater ces économies récurrentes qui proviennent des efforts fournis par les communes, par exemple pour faire des économies d’énergie en réhabilitant leurs locaux ou en rénovant leur éclairage. Il s’avère malheureusement qu’au niveau macroéconomique ces économies récurrentes sont absorbées par les charges récurrentes, de beaucoup supérieures. Certes, il y a des charges récurrentes qui diminuent, comme la charge de la dette, allégée par la baisse des taux d’intérêt, mais d’autres connaissent une forte augmentation, comme les achats de biens et services ou les charges salariales, même si la progression de ces dernières est moins rapide. Il serait d’autant plus important d’avoir une vision précise de ces charges qu’une modification même minime du taux de charges récurrentes modifierait considérablement les résultats de nos modèles prospectifs. Autrement dit, c’est un paramètre essentiel.

J’en viens à la péréquation. Il est vrai de dire que la DGF est une dotation de compensation fiscale, puisqu’elle a succédé au versement représentatif de la taxe sur les salaires (VRTS), lui-même imaginé en remplacement de la taxe sur les salaires. Néanmoins, cette compensation fiscale a été assortie de critères péréquateurs qui, sur la durée – puisque cela remonte à la fin des années 1960 –, se sont révélés avoir des effets considérables.

Quant à privilégier les critères de charges dans le mécanisme de péréquation, ce serait considérer que la situation d’une collectivité locale n’est pas le résultat sédimenté des décisions antérieures et des politiques passées. J’entends qu’il y a des charges objectives de situation, liées notamment à la géographie, et les chantiers de déneigement aux Sables d’Olonne n’ont pas la même ampleur qu’à Saint-Véran. Hormis ces cas particuliers, les charges d’une commune sont le fruit d’une histoire, ce qui explique que de nombreux pays préfèrent organiser la péréquation autour de critères liés au potentiel fiscal.

S’agissant à présent de la manière de réduire la voilure, ce ne peut être qu’une entreprise de long terme, l’inertie des finances locales étant ce qu’elle est et le stock d’équipements existants absorbant déjà peu ou prou la moitié des dépenses d’investissement pour sa rénovation ou son renouvellement. Il faudra donc envisager, très progressivement, de reconfigurer le parc d’équipements, en fermant des écoles, en vendant ou en réaffectant des locaux, jusqu’à le ramener à une dimension raisonnable pour la commune, sachant qu’il sera, quoi qu’il en soit, voué à s’accroître encore, compte tenu de l’apparition de nouveaux besoins. Je l’ai dit, cela prendra du temps, car nous avons vécu, depuis les lois de décentralisation, une période où les équipements – ceux qui relevaient des compétences transférées comme ceux que justifiaient les compétences traditionnelles des communes – se sont accumulés et ont chargé la barque : c’est pour cela qu’une baisse extrêmement brutale des dotations est incompréhensible. Car n’oublions jamais que les collectivités ne sont pas l’État et que, au-delà de toute considération sur leur solvabilité financière, leurs comptes et leurs finances n’obéissent ni à la même logique ni à la même dynamique. C’est fondamental, mais pas si présent que cela dans le débat public…

On aimerait à tout le moins pouvoir se consoler avec l’idée d’un retour fiscal sur investissement, récompensant des dépenses ayant attiré des personnes et des activités économiques, lesquelles, dans une dynamique vertueuse, permettrait un élargissement des bases fiscales. Or force est de reconnaître que, en dehors du domaine du foncier et de l’immobilier – et encore faut-il que les valeurs locatives soient suffisamment réactives – ce retour fiscal est d’une remarquable médiocrité, ce qui est pour partie imputable à la réforme de la taxe professionnelle qui a substitué la valeur ajoutée aux équipements et biens mobiliers dans la définition de l’assiette.

Mme Marie-Christine Steckel-Assouère. La position des élus locaux est assez inconfortable, car, lorsqu’on gère sa collectivité territoriale de manière responsable et en bon père de famille, la péréquation peut être pénalisante financièrement et politiquement : non seulement vos ressources sont écrêtées, mais les électeurs peuvent vous en faire grief. La loi NOTRe apporte, certes, quelques progrès dans la mesure où elle prévoit une plus grande transparence et renforce la responsabilité financière des collectivités territoriales. Mais il faudrait aller plus loin, faire en sorte que les élus locaux puissent rendre compte de leur gestion par le biais notamment de la diffusion des rapports des chambres régionales des comptes, afin d’éclairer les électeurs qui sont aussi des contribuables et des usagers.

J’avoue partager l’incompréhension de monsieur Furst sur la volonté d’aller toujours plus loin dans le regroupement. Dans les Hautes-Pyrénées, par exemple, le schéma proposé par Madame la préfète préconise une fusion de plusieurs communautés de communes et d’une communauté d’agglomération dans une communauté d’agglomération qui réunirait plus de 70 communes et plus de 121 000 habitants. Outre que cela dépasse l’entendement, cela soulève une question démocratique : le Parlement, lorsqu’il a adopté la loi NOTRe, a fixé pour les EPCI un seuil minimal de 15 000 habitants ; or les préfets, malgré les instructions qu’ils ont reçues, proposent des fusions qui vont concerner parfois jusqu’à la moitié du département.

M. Matthieu Houser. La péréquation en France est principalement centrée sur le critère de ressources, là où d’autres pays lui adjoignent des critères de charges. C’est particulièrement flagrant pour les départements, qui se retrouvent dans des situations très inégales. C’est ce qui avait poussé le département du Nord, il y a deux ans, à déposer un recours devant le Conseil constitutionnel au sujet du fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), dont les allocations étaient fixées sur critère de ressources, alors que le Nord doit faire face à des dépenses particulièrement lourdes. Il serait donc essentiel d’accroître la transparence en matière de péréquation, et l’on ne peut que saluer, à cet égard, le rapport de Madame Pires Beaune.

Quant à la réforme de la péréquation, je suis de plus en plus enclin à me demander si elle peut s’opérer dans le cadre communal ou s’il ne vaudrait pas mieux basculer dans le cadre intercommunal. Alors que la révision de la carte intercommunale est en voie d’achèvement, il me paraît compliqué de maintenir simultanément une péréquation entre les communes, les EPCI et au travers du FPIC.

La vraie décentralisation ne consisterait-elle pas à donner aux EPCI une plus grande marge de manœuvre pour répartir eux-mêmes les dotations entre les communes ? En effet, si le bloc communal peut apparaître comme l’échelon décentralisateur par excellence, c’est que sa situation est très différente de celle des départements, qui, depuis une vingtaine d’années, ont fait les frais de la volonté des pouvoirs publics de diminuer le nombre de strates territoriales. C’est dans cette perspective – et puisqu’il été difficile, face à la fronde des élus, de les faire disparaître d’emblée – qu’on a imaginé de leur transférer des dépenses obligatoires, lesquelles constituent aujourd’hui les trois quarts des dépenses de fonctionnement du département. Juridiquement, cela signifie que, lorsqu’un département n’assume pas ses obligations en la matière, le préfet intervient. En revanche, lorsqu’une collectivité locale ne rénove pas ses bâtiments ou n’ouvre pas suffisamment de places de crèche, l’État ne s’en mêle pas. Le bloc communal conserve donc une autonomie d’action là où le département a été sacrifié et n’aura probablement bientôt plus à gérer que des dépenses de fonctionnement.

En ce qui concerne la distinction entre épargne brute et épargne nette, elle s’explique par le principe d’équilibre qui s’applique aussi bien aux dépenses de fonctionnement qu’aux dépenses d’investissement, l’épargne brute permettant de dégager les ressources nécessaires au financement des investissements. Se pose ici la question de l’amortissement, qui fait l’objet, dans la comptabilité publique des collectivités, d’un calcul certes vertueux mais fort rigoureux lorsque l’on sait la charge qu’il représente dans le budget des communes, obligées d’amortir des véhicules, des logiciels, des frais d’études et j’en passe. Si les mêmes normes étaient imposées à l’État, le résultat serait probablement saisissant.

Enfin je voudrais nuancer certains propos sur les dépenses de fonctionnement et notamment les dépenses de personnel, dont l’augmentation considérable fait largement débat. Si cette augmentation a sans nul doute contribué à améliorer la qualité de certains services publics, il n’est pas certain qu’elle se soit traduite par une amélioration globale de la qualité de vie. La flambée de ces dépenses peut, en effet, être attribuée pour une grande part à la mise en place des intercommunalités qui s’est accompagnée de la création de 200 000 nouveaux postes, tandis que les communes ne réduisaient pas leur masse salariale. Dans un contexte de baisse des dotations, c’est un réel problème qu’on a tenté, mais sans grand succès, de résoudre par l’introduction, dans la DGF, d’un coefficient de mutualisation.

M. le président Alain Fauré. Les départements ayant perdu la clause de compétence générale, il me semble indispensable d’envisager la multiplication des communautés d’agglomération, car si l’on se borne à envisager l’aménagement du territoire à l’échelle de communautés de communes n’excédant pas 10 000 habitants, la France ne sera bientôt plus qu’un vaste désert ! Le désert, en effet, s’organise de deux manières : soit en laissant livrées à elles-mêmes nos 36 000 communes ; soit en considérant que des groupes communaux de 10 000 à 15 000 habitants sont aptes à contractualiser avec de grandes métropoles. Peut-on penser en effet qu’une communauté de communes de 10 000 habitants sise dans les Hautes-Pyrénées puisse obtenir facilement de Toulouse qu’elle subventionne la zone artisanale de quatre hectares qu’elle entend créer ? En revanche, un territoire plus fort et mieux structuré saura soutenir des projets, obtenir des financements européens ou privés, faire fructifier ses atouts touristiques ou développer ses circuits courts en captant la clientèle des grandes agglomérations voisines, où se trouve le potentiel économique. Ce n’est que réalisme de dire que les petites communes sont davantage préoccupées par le curage des fossés, l’entretien du clocher ou la réparation du paratonnerre que par le développement de projets ambitieux.

J’ajoute enfin qu’il existe des investissements productifs et que la réparation d’un toit peut être l’occasion d’y installer des panneaux photovoltaïques, ce qui génère des recettes et crée de l’emploi local. Nul besoin donc d’aller quémander à l’État des subventions qui seront mieux utilisées ailleurs. Mieux vaut consacrer la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) à financer des écoles ou des équipements numériques qu’au goudronnage d’une route de village, si peu fréquentée qu’on se demande si elle a encore son utilité.

M. Laurent Furst. Monsieur Houser contestait que l’augmentation du nombre de fonctionnaires territoriaux ait amélioré la qualité de la vie, mais s’est-il préoccupé de savoir de quoi il retournait véritablement ? Les élus locaux doivent composer avec la réglementation ubuesque que leur impose l’État : j’ai dû, pour répondre aux normes d’urbanisme, créer deux postes de fonctionnaires chargés d’élaborer le schéma de cohérence territoriale (SCOT) ; j’ai dû augmenter le personnel des piscines, car, au nom du principe de précaution, l’État impose la présence de deux personnes autour du bassin même s’il n’y a qu’un seul nageur. Lorsque, sur demande de l’État et de la caisse d’allocations familiales, je crée un relais d’assistantes maternelles, j’améliore la vie de la population ; lorsque je mets en place un système d’information géographique, ce n’est pas le cas, mais c’est un investissement indispensable pour l’avenir. J’aimerais donc qu’avant d’instruire un procès en dépenses publiques à l’encontre des élus locaux, on s’interroge sur leur responsabilité dans l’inflation des dépenses de personnel.

La manière dont l’administration centrale traite les élus locaux est très injuste, et l’on assiste aujourd’hui à une reprise en main des territoires par un État qui n’a jamais supporté la décentralisation et qui garrotte juridiquement et financièrement les collectivités territoriales. C’est insupportable !

M. le président Alain Fauré. Monsieur Furst, je partage une partie de vos propos mais ce n’est pas l’administration qui vote les lois, c’est le Parlement. Nous avons donc peut-être à nous interroger sur notre responsabilité.

M. le rapporteur. Madame Binet, les 7 ou 8 milliards d’euros que j’ai cités correspondent à la baisse de l’investissement communal entre 2014 et 2017. Ce sont les chiffres de l’AMF, qui estime que le montant des investissements va chuter de 31 à 23 milliards d’euros, soit une diminution de 20 à 30 % sur la durée du mandat, ce que corroborent les estimations de La Banque postale et du cabinet Klopfer.

L’étude que vous avez réalisée en 2013 intégrait dans son modèle prospectif une baisse des dotations de 750 millions d’euros sur plusieurs années consécutives. Il serait intéressant que vous fassiez de nouveau tourner ces modèles en y intégrant les derniers chiffres connus. L’OFCE a, pour sa part, calculé les impacts sur la croissance d’une baisse de 11 milliards d’euros des dotations de l’État : elle se traduirait par 0,5 % de croissance en moins et par une diminution de 5,5 milliards des rentrées fiscales, ce qui signifie qu’en ôtant 11 milliards d’euros aux collectivités, l’État ne réaliserait que 5,5 milliards de baisse effective du déficit, sans compter les effets induits sur l’emploi, qui peuvent alourdir le poids des allocations chômage. Monsieur Gilbert a bien insisté sur le fait que la structure du budget de l’État différait de celle du budget des collectivités territoriales. Ma question est donc simple : vaut-il mieux réduire de 11 milliards le budget de l’État ou celui des collectivités territoriales ? Un euro dépensé par une collectivité n’est-il pas plus efficace qu’un euro dépensé par l’État ?

Vous avez par ailleurs, monsieur Gilbert, parlé d’une baisse des dotations « brutale » et « incompréhensible » ; je pense, pour ma part, que non seulement elle est inefficace, mais que ses effets pervers sont supérieurs aux bénéfices que l’on peut en attendre. Comment interpréter autrement le fait qu’en réduisant de 3,7 milliards d’euros le prélèvement sur recettes accordé aux collectivités territoriales, l’État ne réduise son déficit que de 1 milliard, ce qui signifie a contrario que, sans cette diminution, le déficit public aurait continué de se creuser ? La réalité, c’est que les calculs budgétaires de l’État sont des calculs tendanciels tandis que les collectivités travaillent sur des données nettes.

Quel sens donner aujourd’hui à la République décentralisée ? Dans les années 1970 et 1980, nos pôles urbains irriguaient nos territoires ; aujourd’hui, au contraire, ils drainent les richesses en hommes et en capitaux – et je vous renvoie sur le sujet à un article paru dans Les Échos de ce matin. Mises en grande difficulté par la baisse des dotations, les petites communes et les villes moyennes ne vont plus pouvoir assumer leurs charges de centralité, ce qui risque de compromettre dangereusement l’équilibre de nos territoires.

Monsieur Houser, je suis en désaccord fondamental avec vous sur la DGF territoriale, dès lors que nos élus locaux sont élus au niveau communal, car il est contraire aux principes démocratiques de confier la répartition de la DGF et les décisions fiscales à des conseillers communautaires qui ne sont pas élus mais désignés par les conseils municipaux. S’il doit en être ainsi, ce ne sont plus les maires qui doivent être élus mais les représentants de l’EPCI, solution qui n’a pas ma faveur.

M. le président Alain Fauré. Monsieur le rapporteur, sachez que le drainage est utile dans les zones marécageuses, car il rend les terres plus fertiles.

M. Alain Calmette. Je suis, moi, d’accord avec monsieur Houser et je pense qu’il faudrait que nous parvenions à faire de l’intercommunalité la collectivité de base, élue au suffrage universel.

Nous sommes dans un pays où il est difficile de réformer. Chacun s’accorde sur le fait que la DGF doit être réformée mais, les perdants criant plus fort que les gagnants, la réforme est reportée. On veut clarifier les compétences, mais l’on aboutit à la loi NOTRe qui, malgré les progrès qu’elle comporte, ne va pas jusqu’au bout. On admet que des économies sont nécessaires mais on veut en dispenser les collectivités territoriales.

Le rapporteur a posé la bonne question. Où est-il le plus pénalisant de supprimer 1 euro : dans les dépenses de l’État, dans celles des collectivités ou dans celles de la sécurité sociale ? Faut-il vraiment tailler dans les dépenses de l’assurance chômage ou les dépenses de santé ? Faut-il réduire le nombre de policiers ou d’enseignants, qui sont des fonctionnaires d’État ?

J’entends qu’il est difficile pour chacun d’envisager, à l’échelle de sa collectivité, les restrictions budgétaires nécessaires à la réduction de notre déficit, mais les élus locaux doivent être solidaires et considérer que ces restrictions ne sont pas inacceptables au regard des efforts que font nos concitoyens, à condition toutefois qu’elles soient assorties d’une évolution de la péréquation.

M. le président Alain Fauré. Il ne s’agit pas d’opposer les uns aux autres, l’État à la sécurité sociale et aux collectivités territoriales, mais que chacun contribue, autant que le font nos concitoyens et nos entrepreneurs, à l’effort que justifie notre situation économique.

Mme Marie-Christine Steckel-Assouère. Monsieur le président, je voudrais réagir à ce que vous avez dit sur la dimension des intercommunalités. Il est évident que, pour trouver des ressources et notamment bénéficier des fonds structurels européens, les collectivités territoriales ont intérêt à être relativement importantes. J’entends également votre argument selon lequel une grande communauté d’agglomération sera plus apte à défendre des projets à l’échelle de nos futures régions, mais où faut-il placer le curseur ? Pensez-vous que, dans des intercommunalités de 100 000 habitants, les projets des petites communes réussiront à retenir l’attention et à aboutir ?

Il ne faut pas oublier non plus que plus les collectivités sont étendues, plus les citoyens se retrouvent éloignés des services publics. Les grandes métropoles ont certes les moyens de financer des équipements, mais ce sont aussi des lieux où il est difficile de se loger et où se développe la délinquance. Se garder de l’hyperdensité démographique n’est donc, à mes yeux, pas seulement nécessaire à un aménagement équilibré du territoire mais c’est également un impératif en termes de cohésion sociale.

M. Matthieu Houser. La DGF territoriale pose la question de l’autonomie des collectivités, au plan budgétaire comme au plan fiscal, question d’autant plus cruciale que les dotations sont en baisse, avec l’impact que l’on sait sur les investissements.

Je suis, pour ma part, assez favorable à l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel, car je pense qu’il sera plus facile de s’accorder sur la réforme de la péréquation à 2 400 EPCI qu’à 36 000 communes. Cette solution aurait surtout l’avantage de faire coïncider la strate territoriale où s’effectuent les choix de gestion avec le premier niveau des élections territoriales : cela garantirait à la fois le fonctionnement démocratique et décentralisé de nos institutions. Car la République aujourd’hui n’est pas décentralisée mais unitaire, et la baisse de la DGF comme la création d’un fonds de soutien à l’investissement local ne sont que les symptômes d’un retour de l’État dans les territoires, tirant un trait sur vingt-cinq ans de décentralisation.

En ce qui concerne les dépenses de personnel, mon propos n’était pas de faire chorus à ce qui se dit dans la presse. Je constate simplement que la hausse de ces dépenses pèse sur l’investissement, et j’appelle à un débat sur la question au sein des intercommunalités. Je ne conteste pas que la position des élus, confrontés à des contraintes de fonctionnement, soit légitime.

M. Laurent Furst. Il est évident que la hausse des dépenses de personnel pèse sur la capacité d’investissement des collectivités territoriales mais, au lieu de stigmatiser la gestion des élus, pourquoi n’étudie-t-on pas avec précision, en les quantifiant, les raisons objectives de la hausse des dépenses des collectivités ? Il faut prendre en compte le coût des mesures réglementaires, le coût des évolutions sociétales qui font que les rurbains réclament aujourd’hui les mêmes services que les citadins, le coût enfin des migrations de population à travers le territoire.

M. le président Alain Fauré. N’entamons pas à présent ce débat, mais il me semble que certaines collectivités sont fort bien pourvues en personnel, ce qui justifierait une explication. Soyons lucides : les restrictions budgétaires auront au moins le mérite de remettre les pieds sur terre à certains élus.

M. Guy Gilbert. Deux préalables sont nécessaires pour qu’une réforme de la DGF puisse être couronnée de succès. Il faudrait d’abord se décider à faire sérieusement le ménage dans les charges imposées aux collectivités locales, afin d’assainir leurs relations financières avec l’État, qui leur crée des charges sans les financer. Il est, à cet égard, hallucinant que la compensation du RMI-RSA par l’attribution d’une fraction de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) ait échappée au Conseil constitutionnel, car c’est un cas emblématique de ce qu’il ne faut pas faire.

Le second préalable est d’ordre politique. La seule réforme d’envergure qui ait dernièrement abouti en matière de finances locales est la réforme fiscale de 2009. Elle a été possible, car on a su convaincre les entreprises visées qu’il s’agissait pour elles d’un jeu gagnant, tout en assurant les collectivités locales que la réforme s’effectuerait à recettes constantes. Or aujourd’hui, cette condition n’est pas satisfaite si l’on réforme la DGF.

M. le président Alain Fauré. Mesdames et messieurs, il me reste à vous remercier pour vos contributions respectives.

L’audition s’achève à onze heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mardi 4 novembre 2015 à 9 heures.

Présents. – M. Alain Calmette, Mme Françoise Dumas, M. Alain Fauré, M. Laurent Furst, Mme Marie-Lou Marcel, M. François de Mazières, M. Hervé Pellois, M. Nicolas Sansu, M. Claude Sturni

Excusés. – M. Éric Alauzet, Mme Christine Pires Beaune, M. Martial Saddier.