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Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Mardi 10 novembre 2015

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 36

Présidence de M. Jean-Marc FOURNEL, Vice-Président

Audition, ouverte à la presse, de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique et de M. André Vallini, secrétaire d’État à la réforme territoriale, auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

L’audition débute à seize heures vingt-cinq.

M. Jean-Marc Fournel, président. Bienvenue, chers collègues, à cette dernière réunion de notre commission d’enquête. Je vous prie d’excuser son président, Alain Fauré, retenu pour raisons familiales.

Notre commission a entendu la plupart des associations d’élus et plusieurs associations de cadres dirigeants du bloc communal, ainsi que des consultants, des universitaires, des établissements financiers, des organisations représentant diverses activités économiques, l’OCDE, sans oublier les administrations du commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) et de la direction générale des collectivités locales (DGCL).

En clôture de ces travaux, il convient d’entendre la parole politique, en rappelant tout d’abord le contexte de finances publiques détériorées qu’a trouvées le Gouvernement à son arrivée en 2012. Afin de ne pas laisser aux générations futures un prix anormal à payer, le Gouvernement a notamment décidé de réduire de 11 milliards d’euros les dotations aux collectivités territoriales, réduction conjuguée à une réforme de la DGF. C’est dans ce contexte, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, que nous avons souhaité vous entendre.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Marylise Lebranchu et M. André Vallini prêtent serment.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. L’effort de redressement des finances publiques concerne la nation tout entière, et les impôts nationaux ont à cet égard été sensiblement relevés. L’impôt sur le revenu perçu en 2015 a été de 65 milliards, contre 59 milliards en 2012, grâce à la suppression de nombreuses niches fiscales et à l’alignement de la fiscalité du capital et de l’épargne sur celle du travail. Il n’aurait donc pas été juste de ne pas associer les collectivités territoriales à cet effort. Même si le budget de l’État porte 80% de la totalité, il n’y a qu’un seul contribuable national ; une telle décision est donc une mesure de justice. Tous les territoires, sauf Mayotte, y contribuent à hauteur de leurs capacités.

Nous souhaitons toutefois accompagner la baisse des dotations, car le Gouvernement est conscient de ce que représente l’effort demandé en termes de contraintes financières. Le redressement des finances publiques ne doit pas conduire à sacrifier l’avenir ; le niveau de l’investissement public reste élevé dans notre pays, et c’est une bonne chose. La péréquation financière a donc été renforcée, au sein et hors de la DGF. L’effort de péréquation dans la DGF a progressé de 327 millions d’euros en 2015, dont 307 millions pour la seule DGF des communes. L’effort de péréquation horizontale a progressé de 230 millions en 2015, dont 210 millions pour le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). Grâce à la péréquation, les territoires les moins riches ont contribué en moyenne huit fois moins que les territoires les plus riches à l’effort de redressement.

Le Gouvernement soutient l’investissement local. C’était déjà le cas dans la loi de finances pour 2015, avec l’augmentation d’un tiers de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) – 200 millions –, la création de l’aide aux maires bâtisseurs qui construisent dans les zones tendues – 100 millions –, la hausse du taux de remboursement de la TVA aux collectivités, et la mise en œuvre des contrats de plan État-régions avec la mobilisation à parts égales entre l’État et les collectivités locales de 25 milliards pour les six prochaines années. C’est de nouveau le cas dans le projet de loi de finances pour 2016, avec la création du fonds de 1 milliard : 500 millions pour les grandes priorités, 300 millions pour les bourgs et villes-centres de moins de 50 000 habitants en vue de répondre à l’urgence, et 200 millions inclus de nouveau dans la DETR car le dispositif fonctionne bien. Le Gouvernement a en outre proposé d’étendre le Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) aux dépenses d’entretien des bâtiments publics, et les parlementaires ont souhaité l’étendre aux dépenses d’entretien de la voirie. Cet engagement partagé confortera – j’espère – l’investissement.

Nous avons proposé une réforme de la DGF parce que les critères d’attribution, actuellement au nombre de vingt et un, sont devenus illisibles. Comme le rapport de Mme Christine Pires Beaune et de M. Jean Germain l’a bien montré, ces critères rendent la répartition de la dotation très inégalitaire. L’écart de ressources entre les territoires en 2015 est de 292 euros par habitant avant DGF et de 305 euros après : le versement de la DGF accroît les écarts de ressources entre territoires malgré la progression de la péréquation. L’architecture rénovée permettra de prendre en compte les charges objectives des collectivités, plutôt que des parts historiques figées qui ne reflètent plus la réalité. Comme le rapport parlementaire nous y invitait, nous souhaitons, à côté d’une dotation unique pour chaque habitant, tenir compte de la sous-densité – ruralité, montagnes, espaces naturels – et des charges de centralité.

Dans le même temps, nous avons travaillé au renforcement de l’intercommunalité afin de garantir un accès plus juste et plus facile aux services publics, ainsi qu’à une coordination régionale des politiques publiques et à la création d’une instance de dialogue entre l’État et les exécutifs locaux.

Enfin, le Gouvernement s’est engagé à diminuer le coût des normes pour les collectivités, même si les normes protègent parfois. Ce travail, conduit par André Vallini, a permis de réduire le stock existant et d’assouplir les règles en vigueur, en vue de dégager des marges d’épargne pour les collectivités.

M. André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale. Je voudrais resituer la baisse des dotations dans un contexte global de raréfaction de l’argent public. Me déplaçant beaucoup dans toute la France, comme Marylise Lebranchu, je rencontre des élus inquiets, qui ne sont certes pas heureux de la baisse des dotations, mais ils ne sont pas non plus dans cet état, que certains décrivent, de colère profonde à l’égard du Gouvernement. Les élus sont responsables, créatifs, ils déploient des efforts de mutualisation de leurs dépenses de fonctionnement et, de plus en plus souvent, de la construction d’équipements publics, ils se dirigent vers des intercommunalités élargies et des communes nouvelles.

Le nombre de communes inscrites dans le réseau d’alerte reste stable : elles sont 1 800 en 2015, contre 1 854 en 2013 et 1 837 en 2014. Les chiffres pour les saisines des chambres régionales des comptes (CRC) par les préfets sont de 138 saisines pour actes budgétaires en déséquilibre en 2015, soit le même nombre qu’en 2014, et de 46 saisines pour comptes administratifs en déséquilibre, contre 71 en 2014. Enfin, le nombre de demandes de subventions exceptionnelles de la part des communes en difficulté est de 25 en 2015, contre 23 en 2014.

La baisse des dotations est équilibrée, équitablement répartie, notamment en direction du milieu rural. L’effort moyen des communes de moins de 500 habitants est de 8 euros par habitant en 2015, contre 55 euros pour les communes de plus de 200 000 habitants. Pour les communes de moins de 10 000 habitants, l’effort est de 12 euros par habitant après péréquation, de 27 euros pour les communes de plus de 10 000 habitants. Pour les 10 000 communes rurales et les 250 communes urbaines les plus pauvres, les dotations n’ont globalement pas baissé après péréquation.

En ce qui concerne les normes, le Premier ministre a fixé un objectif très clair et en même temps très difficile : zéro euro de coûts supplémentaires dus à des normes nouvelles en 2015 pour les collectivités locales. Nous tenons cet objectif de flux. Nous nous attaquons également à la question du stock, avec l’aide du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN). Enfin, nous nous attaquons à l’application des normes sur le terrain. Les difficultés viennent aussi souvent de la façon tatillonne dont les fonctionnaires d’État exercent leur contrôle sur l’application des normes, que des normes elles-mêmes. Nous sommes donc en train de préparer des directives pour les inciter à avoir une interprétation facilitatrice des normes, et passer d’une culture du contrôle à une culture du conseil.

M. Nicolas Sansu, rapporteur de la commission d’enquête. Personne ne conteste qu’il faille sans doute freiner la dépense publique, mais il y a différentes manières de procéder. Des recettes supplémentaires peuvent être envisagées, ou encore la suppression des niches fiscales récemment créées sur l’impôt sur les sociétés. Les écoles sont diverses. Cependant, l’objet de la commission d’enquête, tel qu’il a été demandé par le groupe GDR, n’est pas celui-là : il s’agit d’examiner les conséquences sur l’investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations au bloc communal.

La commission d’enquête a été créée parce qu’aucune étude d’impact n’a été réalisée. Nous nous sommes rendus la semaine dernière dans le bureau du directeur de la DGCL ; dans la mesure où ne parvenions pas à obtenir des informations de manière courtoise et civilisée, nous avons été obligés de recourir aux moyens offerts par une commission d’enquête. On nous a expliqué qu’il n’y avait eu qu’une projection au fil de l’eau, mais aucune étude d’impact sur les conséquences de la baisse des dotations sur les territoires, et les risques pour l’investissement public, les services publics de proximité, le maintien du patrimoine existant, qui s’élève, selon La Banque postale, à 950 milliards d’euros pour le bloc communal.

J’entends bien la volonté du Gouvernement de dire que l’effort demandé n’est pas si dur que cela et qu’il est juste et équilibré. Le pourcentage appliqué aux collectivités était-il le bon ? Aurait-il dû être plus faible, selon d’autres critères – certains parlaient plutôt de 7 à 8 milliards d’euros ? La question se pose aussi. Pour autant, que ce soient les associations d’élus, le cabinet Klopfer, La Banque postale, l’OFCE, l’OCDE, qui nous a montré les résultats de politiques comparables à l’étranger, tous affirment que cette réduction massive et brutale, dénoncée en son temps par une opposition de gauche, entraînera un effondrement de l’autofinancement, de pair avec un effet domino du fait de la situation des départements, qui les conduit à amputer largement les subventions aux communes et intercommunalités. L’autofinancement du bloc communal devrait passer de 8 à 2 milliards : c’est dramatique. Cela conduira à un effondrement de l’investissement annuel de 30 à 23 ou 24 milliards. Le corollaire en est l’augmentation de la fiscalité locale –  qui n’est pas massive mais qui a déjà commencé et qui se poursuivra – et la diminution de certains services publics de proximité. Nous en avons vu des exemples lors de nos déplacements sur le terrain – même si certaines collectivités sont moins en difficulté que d’autres. Par ailleurs, j’ai tenu à rencontrer les syndicats de la fonction publique territoriale – même si nous n’avons pas pu nous mettre d’accord sur le fait de les auditionner devant la commission toute entière : l’Observatoire de l’emploi public constate déjà une baisse des effectifs sur le bloc communal, avec le non-remplacement de départs en retraite et la suppression de contractuels.

Quelles ont été les anticipations que vous avez menées, qui indiqueraient que le bloc communal ne diminuera pas son investissement – fondamental pour l’emploi et le maintien du patrimoine –, alors qu’une telle diminution de l’investissement est au contraire prévisible : moins 12,9 % en 2014 – une moitié résultant du cycle électoral, l’autre moitié de la baisse des dotations –, moins 10 % en 2015, et moins 10 % encore en 2016 ?

Les mesures qui ont été mises en place ne fonctionnent pas : ce qui manque aux communes et aux intercommunalités, c’est de l’autofinancement. Vous avez indiqué hier soir en séance, madame la ministre, que la DETR n’était pas entièrement consommée car les élus ne pouvaient mettre le complément. Cela montre bien qu’il y a un problème d’autofinancement et pas seulement de soutien à l’investissement. Quant à l’exemple des contrats de plan État-région, il est mal choisi, car ces contrats sont en très nette diminution ; on ne peut pas investir plus avec moins.

Quelles ont donc été les simulations, les évaluations, qui vous ont permis de prendre cette décision en toute connaissance de cause ? Je suis extrêmement inquiet de ce que la DGCL n’ait pas été en mesure de nous donner de telles évaluations. Je ne voudrais pas que ce soit une décision purement financière, ou budgétaire, alors qu’elle implique la vie des territoires et de nos concitoyens.

Mme la ministre. La baisse des dotations n’impacte pas toutes les communes de la même façon, loin de là. Nous avons pu, avec la DSR et la DSU, compenser cette baisse pour les communes les plus pauvres. Les inégalités sont aujourd’hui flagrantes, et il est extrêmement difficile de réaliser une étude d’impact globale quand les situations sont aussi diverses – n’oublions pas que certaines communes ont zéro emprunt, une très faible pression fiscale et des équipements de qualité. Il est donc impossible de faire une étude d’impact précise, commune par commune. Pour autant, lorsque nous avons pris la décision, nous savions que la baisse de l’autofinancement net résultant de la diminution des dotations pouvait, pour certaines collectivités mais pas toutes, impacter l’investissement, et c’est pourquoi nous avons également pris des mesures à cet égard. Première chose, donc : on connaissait l’impact.

Deuxième élément : l’impact sur le financement est prévisible, mais je demande toujours aux entrepreneurs du BTP qui viennent nous voir s’ils ont apprécié le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Il y a transfert d’une part des recettes de l’État d’un secteur à un autre, mais les contribuables sont les mêmes. Quand la dette est importante, nous sommes obligés de nous demander comment nos enfants et petits-enfants y feront face. Réduire la dette est aujourd’hui nécessaire. La proposition du ministère du budget pour la première année, c’est-à-dire 2013, était de baisser les dotations aux collectivités locales, essentiellement la DGF, de 750 millions. Nous avons décidé d’attendre, nous n’avons pas appliqué cette baisse la première année, pour voir comment allaient se comporter ces acteurs majeurs du service public que sont les collectivités territoriales.

Les associations d’élus nous demandent de prévoir des baisses ailleurs, mais ces baisses porteraient alors sur la santé et les services sociaux, et cela a déjà été difficile de n’avoir que 0,9 puis 0,75 point d’ONDAM. J’assume donc cette baisse des dotations. Le nombre de communes en difficulté, André Vallini l’a souligné, reste très faible.

Nous avons en même temps déclenché un mouvement pour l’intercommunalité, car cela a fait ses preuves : certaines petites communes rurales n’auraient jamais bénéficié de services à l’enfance ou d’accompagnement des personnes âgées ou de portage des repas à domicile sans la création des intercommunalités et la solidarité entre collectivités. La mise en commun des moyens permet, malgré la baisse des dotations, de préserver le service public.

Le total des dotations, compensations et dégrèvements en faveur des collectivités territoriales égale l’impôt sur le revenu des Français. Ces dépenses « épuisent » totalement le produit de l’impôt sur le revenu. Nous avons déjà créé une tranche supplémentaire de cet impôt, mais l’augmentation a des limites, et cela ne « passe » plus, en particulier auprès des classes moyennes.

L’essentiel est d’observer ce qui se passe dans les territoires pour intervenir de manière plus fine, et c’était tout l’intérêt de la mission parlementaire ; nous l’avons demandée non pas pour avoir une étude d’impact mais pour avoir un vrai travail de parlementaire sur la réalité des situations. Car les inégalités sont aujourd’hui d’une violence inouïe. Certaines collectivités disposent de réserves de plusieurs dizaines de millions d’euros et continuent de percevoir des dotations. Ce qu’il faut, c’est davantage de péréquation, c’est remettre davantage de justice entre nos collectivités.

Une dizaine de départements sont en difficulté cette année. Le problème majeur des départements est le reste à charge entre les allocations, créées, pour la plupart, par notre majorité, comme l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), mais aussi par l’ancienne majorité, comme le revenu de solidarité active (RSA), et ce qui est versé par l’État. Nous avons donc créé un groupe de travail commun entre l’Assemblée des départements de France (ADF) et l’État sur le RSA, pour décider si cette prestation doit être du niveau départemental ou national, en prenant en compte les spécificités du volet « versement » et du volet « insertion ».

Les simulations sur l’autofinancement des communes sont en ligne – on pourra vous les donner sur clef USB – et c’est extrêmement éclairant. Je suis favorable au versement de certaines dotations en fonctionnement. L’erreur est de croire que, lorsque l’on réserve les crédits d’État à l’investissement, l’investissement se fera ; non, l’investissement ne se fera que si l’autofinancement est là. C’est une divergence d’appréciation que nous pouvons avoir avec les services de Bercy. Nous souhaitons donc discuter avec les parlementaires, entre les deux lectures du projet de loi de finances, sur certaines affectations en fonctionnement. Pour les communes le plus en difficulté, ce pourrait être le cas pour tout ou partie des dotations au titre de la politique de la ville ; cela peut être décisif pour appeler les crédits de l’ANRU. Il faut également se poser la question pour les dépenses nouvellement éligibles au FCTVA, dans la mesure où celles-ci sont inscrites en section de fonctionnement. Quand on reconstitue des marges, de l’autofinancement net, il est plus facile d’élaborer et de conduire un plan pluriannuel d’investissement.

Je regrette profondément le report de la réforme de la DGF, car c’est une réforme juste. Les collectivités qui auraient perdu sont en très bonne santé financière. Cette réforme fait bouger les curseurs, portant les ratios de la centralité de 60-40 à 70-30, déplaçant la courbe logarithmique pour la DSU – et il faut absolument supprimer l’effet de seuil de la DSU-cible –, ainsi pour la DSR, perçue par trop de communes – 31 000 sur 36 000 : ce n’est plus une dotation de solidarité. Cette réforme était en outre le seul moyen, en réalité, d’obtenir une étude d’impact, car nul n’est capable de démonter la DGF des communes ; le meilleur de nos techniciens ne peut pas expliquer pourquoi deux communes dans la même situation en termes de nombre d’habitants, de revenu moyen et de superficie, perçoivent des montants du simple au double. Ne serait-ce que pour permettre au Parlement de disposer de tous les éléments d’appréciation, ne retenir que trois facteurs, plus la solidarité, rendra le système bien plus clair.

M. le secrétaire d’État. Une étude d’impact est quasiment impossible, sauf à remettre en cause le principe de libre administration des collectivités locales. Comment anticiper ce que décideront les élus locaux après une baisse des dotations ? Certains privilégieront l’investissement et consentiront des efforts considérables sur le fonctionnement, d’autres au contraire renonceront à certains investissements et garantiront le fonctionnement. Sauf à faire des milliers d’hypothèse, une étude d’impact est impossible.

M. le rapporteur. Les réformes fiscales s’appuient bien sur des hypothèses relatives aux comportements des ménages !

M. le secrétaire d’État. On ne sait jamais comment se comporteront les ménages ni même les entreprises. Les acteurs économiques ont des comportements le plus souvent imprévisibles, que même les plus sophistiqués des ordinateurs ont du mal à anticiper.

M. François de Mazières. Je suis inquiet car je vois la réalité du terrain. Je suis maire d’une ville qui perdra, entre 2013 et 2017, l’équivalent de vingt-cinq points de fiscalité, et ce n’est pas une commune estampillée riche, car il n’y a pas d’activité économique sur son territoire.

Vous devriez retourner sur le terrain, madame la ministre, en tant que présidente d’intercommunalité : tout le monde est en train de souffrir. Dans mon département des Yvelines, la baisse est vertigineuse : entre 2013 et 2017, le département aura perdu 88 % de sa DGF. Dans le même temps, la charge de péréquation passera de 14 à 48 millions d’euros. En conséquence de quoi, le département est en train de couper toutes ses aides aux communes. Ma commune subit donc de surcroît les baisses en provenance du département. La situation est dramatique.

La conséquence de tout cela sera une baisse de l’investissement. J’ai déjà diminué mon autofinancement, et les dix-neuf communes de l’intercommunalité ont toutes réduit leur investissement. L’impact sur l’emploi est majeur, car l’investissement des collectivités territoriales est le premier moteur de l’emploi. La fiscalité locale va en outre augmenter, notamment celle des départements ; ce sera même une véritable explosion.

Les services publics vont s’amenuiser. J’ai beaucoup investi dans la culture. Ce qui va se passer dans ce secteur est dramatique. Il y a dans ma commune un conservatoire à vocation régionale : la région ne participe pas à son financement, le département coupe ses aides, l’État coupe les siennes, et c’est mon intercommunalité qui supportera l’enseignement d’un conservatoire à vocation régionale. Ce sera l’attrition, pour un établissement de référence.

Le plus grave est la perte du sens de la responsabilité des élus. La disparition de vingt-cinq points de fiscalité, je suis obligé de dire que ce n’est pas de ma faute mais celle de l’État, et tous les élus sont en train de dire la même chose. Ceux qui ont eu une gestion saine – c’est le cas dans ma ville –, une gestion en bon père de famille, seront malgré eux obligés d’augmenter la fiscalité et de réduire l’investissement. Le bilan d’une bonne gestion sera nul au moment des élections. On est en train de perdre les repères de la bonne gestion locale.

Enfin, la péréquation est devenue folle, d’une complexité incroyable – je vous ai posé un jour une question orale sur ce sujet, Madame la ministre. Nous voulons bien payer pour d’autres mais nous aimerions savoir pourquoi. Dans un temps où tout est trouble, la solidité de nos institutions est assurée par la commune. Or, en cette période d’angoisse généralisée, vous êtes en train de perturber le jeu communal ; il faut calmer le jeu et ne pas faire la réforme pour la réforme. Ces grandes coupes sombres, avec des péréquations incompréhensibles, ne sont pas la bonne solution, car les bons élèves vont devenir malgré eux de mauvais élèves.

M. Jean-Marc Fournel, président. Le cas de ma commune, monsieur de Mazières, est diamétralement opposé au vôtre. J’ai repris cette commune en 2014, une commune placée sous tutelle la même année. La période de disette de deniers publics que nous traversons doit conduire chacun d’entre nous à revoir le fonctionnement de nos collectivités. C’est ce que je suis en train de faire dans ma commune, sans remettre en cause les services publics et avec zéro euro d’investissement en 2014. Il ne convient pas de politiser ce débat, qui est un débat de gestion. La réforme peut avoir ici ou là quelques conséquences, mais votre propos ne peut pas être généralisé. Le potentiel financier de ma commune est de 50 % inférieur au potentiel de la strate, et j’ai un niveau d’impôts locaux qui ne permet pas de les augmenter d’un centime. Malgré cela, sans remettre en cause le niveau du service public, je poursuis les animations et j’augmente la part d’investissement dans le budget cette année et l’an prochain. Cela montre que c’est faisable – même si ce n’est pas simple.

Une condition du montage budgétaire dans ma commune est que l’autofinancement ne passe pas en dessous de 2,5 millions d’euros. La part d’autofinancement ne bouge pas ; elle n’augmente malheureusement pas mais ne diminue pas non plus.

La gestion locale implique des choix. Il faut cesser de toujours critiquer les politiques conduites au plan national. La présente période est propice à ce que chacun d’entre nous réinterroge ses manières de fonctionner. L’intercommunalité a été évoquée : en préservant l’identité communale, ce transfert de compétences crée un effet de levier important.

M. Éric Alauzet. L’idée que tout devrait être fait pour l’investissement, et que les économies devraient porter sur le seul fonctionnement, est biaisée car calquée sur le modèle de l’entreprise privée. Quand une entreprise privée décide d’investir, les dépenses d’investissement sont couvertes par les économies engrangées immédiatement. Or, dans le public, les investissements génèrent souvent des dépenses. Le coût de l’investissement, pour une crèche, une maison associative ou autre, ne représente que 20 % du coût global : la maintenance, le personnel et le reste représentent 80 %. Nous devons être un peu moins caricaturaux dans l’opposition entre fonctionnement et investissement.

Une des vertus de la période est qu’elle contraint les uns et les autres à la réflexion, à l’innovation, à la priorisation. Les investissements, pour les raisons que je viens d’indiquer, n’ont pas tous le même impact, notamment parce certains s’auto-amortissent. Sur un projet d’éclairage public adopté dans ma collectivité, nous avons remboursé les annuités d’emprunt, capital plus intérêts, avec les économies d’énergie permises par le projet. Le Gouvernement n’aurait-il pas intérêt à inciter les collectivités locales à privilégier les investissements moins générateurs de dépenses et pesant moins sur l’épargne ?

Le Gouvernement a mis en place des dispositifs d’atténuation de l’effort demandé aux collectivités, que j’évalue à environ 1,5 milliard. Pourriez-vous nous fournir un chiffre consolidé ? S’il s’agit bien de 1,5 milliard, sur les 6,5 milliards du bloc communal, c’est loin d’être négligeable.

Enfin, pouvait-on faire autrement ? Les 50 milliards pouvaient-ils être répartis différemment entre les trois fonctions publiques ? Si l’opposition, qui demande, chaque fois qu’est prévue une diminution budgétaire, qu’elle porte ailleurs, reprend le pouvoir, elle sera dans la même difficulté : ailleurs, mais où ? Pouvait-on aller plus lentement ? L’objectif de 3 % a déjà été repoussé de 2013 à 2015, puis de 2015 à 2017. Ceux qui demandent d’aller moins vite ne veulent pas voir que nous avons déjà repoussé les échéances. Pouvait-on faire moins que 50 milliards ? Je pense, comme notre rapporteur, à la possibilité de jouer sur les recettes. Le travail sur l’évasion fiscale des ménages a porté ses fruits, nous récoltons 2 milliards d’impôts par an, mais cela ne fait que 0,1 point de PIB : est-on allé au bout de cette action ? Sur les entreprises, nous sommes à l’aube du premier jour. La France ne peut agir seule, il faut que cela se fasse au niveau européen. Si l’Europe avait davantage mis l’accent sur les recettes des États, nous les aurions améliorées.

Mme la ministre. Le FPIC, monsieur de Mazières, a été mis en place par la précédente majorité. Gilles Carrez l’a évoqué hier, considérant qu’il s’agit d’une bonne idée, mais en se demandant s’il faut « monter la marche ». Je pense qu’il le faut, en accompagnant ce mouvement par la réforme de la DGF. Les associations d’élus ont eu tort de demander de repousser cette réforme, car nous maintenons une injustice un an de plus, au moment où il faut réduire la dépense publique. La réforme est nécessaire pour éviter que les écarts ne se creusent. J’indique au passage que si nous avions suivi la trajectoire du FPIC définie par Gilles Carrez, nous serions beaucoup plus haut ; nous avons réduit l’effort.

Le critère du revenu moyen par habitant est un critère de justice. La République française a fondé toute son histoire sur la solidarité et on ne peut pas faire autrement que de retenir le critère du revenu moyen par habitant.

M. François de Mazières. C’est un impôt sur le revenu.

Mme la ministre. Certains proposent justement que l’impôt local soit un pourcentage de l’impôt sur le revenu. Cela rendrait très riche l’Île-de-France, sauf la Seine-Saint-Denis et une partie du Val-d’Oise. Les Yvelines ou Paris auraient la possibilité de fixer un très petit prélèvement et percevraient beaucoup de recettes.

J’ai fait 256 déplacements pour connaître d’aussi près que possible la situation et les réactions des uns et des autres. Aujourd’hui, des enfants élevés dans un même type de famille n’ont pas, selon le lieu où ils habitent, les mêmes possibilités, car les communes ont des revenus moyens par habitant plus ou moins élevés. Les enfants de France ne sont pas égaux devant le service public du bloc communal et, pour un républicain, ce n’est pas tolérable. On ne peut pas continuer à dire qu’il est trop compliqué d’accroître la péréquation.

M. François de Mazières. Vous voulez que l’on augmente les impôts !

Mme la ministre. Je n’ai pas d’allergie à l’impôt. Mon impôt sur le revenu a été augmenté ces dernières années, et cela ne m’a pas empêché de vivre, car je fais partie de ceux qui ont un revenu très important et peuvent payer davantage d’impôts, mais pour les couples où chaque conjoint gagne 2 000 euros, c’est beaucoup plus compliqué. Il faut faire attention aux classes moyennes.

Alors que la taxe professionnelle rapportait à tout le monde, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) est assise sur les sièges sociaux ainsi que sur les assurances et les banques. Si la base de TP de l’Île-de-France est passée de dix-sept à trente-trois points, on a en même temps créé une injustice dramatique. Je n’en veux pas aux responsables de l’époque de n’avoir pas réalisé une étude d’impact suffisante, mais de ne pas nous avoir écoutés quand nous leur indiquions que les quelques simulations réalisées portaient sur l’Île-de-France, qui a beaucoup plus de ressources que l’ensemble du territoire national.

Monsieur Alauzet a raison en ce qui concerne le retour sur investissement. Sur le milliard, nous avons priorisé ce qui génère des bénéfices socio-économiques importants : le logement, la mobilité, l’éducation, mais aussi la transition énergétique, le numérique – qui évitera de nombreux déplacements inutiles –, ainsi que la mutualisation des équipements. Les bibliothécaires ont repris mon propos sur les médiathèques, mais ils n’avaient pas pris connaissance de l’intégralité du discours. J’avais constaté ce jour-là, lors d’un déplacement, qu’une magnifique médiathèque avait été construite mais qu’il n’était pas possible de payer le personnel pour l’ouvrir. Il vaut mieux se doter d’une médiathèque un peu plus petite et un peu moins chère, et pouvoir dégager des ressources pour le fonctionnement. Il y a du fonctionnement qui est un investissement sur l’avenir. L’éducation, par exemple, c’est du fonctionnement, le service à la personne âgée également, ainsi que l’accès à la culture. Le raisonnement de Monsieur Alauzet est juste.

L’ordre de grandeur de 1,5 milliard pour les mesures de soutien sur la période 2015-2017 est correct. Les mesures bénéficieront principalement au bloc communal. Il faudra regarder les choses d’un peu plus près, mais la DGCL ne peut pas tout faire, faute de personnel. Quand nous aurons terminé le débat budgétaire et achevé, en moins de trois mois, je l’espère, les simulations qui nous sont demandées sur la réforme de la DGCL, nous nous attellerons à la consolidation.

Hier soir, la cotisation à 1 % du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a été maintenue alors que nous savons tous que son fonds de roulement est trop important : 32 millions d’euros. C’est une erreur budgétaire : il vaut mieux réduire le fonds de roulement et augmenter les actions de formation. Quand un maire ou un président de communauté d’agglomération doit faire voter une subvention, la première question qu’il pose à l’association porte sur son fonds de roulement : c’est comme cela que l’on voit si la subvention demandée est ajustée ou non.

M. le secrétaire d’État. Le Gouvernement est très favorable aux investissements auto-amortis, mais il est difficile d’aller plus loin que l’incitation en matière d’investissement local sans encourir le reproche de porter atteinte à la libre administration des collectivités. Regardez les critiques que nous essuyons depuis le lancement du plan de 1 milliard d’euros sur l’investissement, dont 500 millions d’euros seront consacrés aux territoires ruraux, aux bourgs-centres et aux petites villes-centres, et 500 millions d’euros dirigés vers des investissements stratégiques, avec des priorités nationales qui seront déclinées au niveau local et distribuées par les préfets de région et les préfets de département en lien avec les collectivités. On nous reproche déjà d’orienter les choix et de ne pas laisser les élus décider.

Mme Marie-Lou Marcel. Dans mon département de l’Aveyron, des maires sont venus me faire part de leurs inquiétudes. Tout le monde a compris le bien-fondé de l’effort de redressement des finances publiques, mais certains considèrent que la réforme de la DGF est pénalisante : sur les 304 communes de l’Aveyron, seules trente-cinq verraient leur DGF augmenter, et ni la DSR ni la dotation de péréquation n’atténuent la baisse.

Je prends l’exemple d’une petite commune dont le maire est venu me voir en fin de semaine dernière. Sa DGF baisse de 40 %, avec un lissage sur neuf ans, ce qui est long. Il insistait sur le fait que ni la DSR ni la dotation de péréquation n’atténuaient cette perte. La communauté de communes à laquelle appartient sa commune subit également une perte de dotation importante, avec une durée de lissage de huit ans. Ce maire souligne le manque de lisibilité des tableaux présentés, qui n’indiquent ni la période de lissage ni le montant de perte de DGF.

Cette baisse ne manquera pas d’avoir une incidence sur l’accompagnement des associations et des clubs sportifs. Certaines communes ont en effet des réticences à actionner le levier fiscal, et la mutualisation n’avance pas non plus comme elle le devrait.

En ce qui concerne l’investissement, je suis d’accord avec la ministre : on oublie trop souvent de parler du CICE, qui a apporté une bouffée d’oxygène à de nombreuses entreprises.

Mme Christine Pires Beaune. L’État et les collectivités auraient intérêt à conclure un pacte car, que l’impôt soit local ou national, il sort toujours de la même poche. Je trouve un peu surréaliste d’entendre dire que la diminution des dotations obligera à l’augmentation des impôts locaux, car c’est le contribuable qui paye dans l’un et l’autre cas. Ce que veulent nos concitoyens, ce sont des services publics efficients pour lequel ils paient le moins possible – peu leur importe que ce soit à l’État ou aux collectivités.

La réforme de la DGF est indispensable. Dans le département du Puy-de-Dôme, la commune qui touche le plus perçoit 688 euros par habitant – elle compte 78 habitants ; celle qui touche le moins perçoit moins de 100 euros par habitant – commune périurbaine, elle a 25% de logements sociaux. Je peux prendre aussi Clermont-Ferrand, qui touche 166 euros, et Versailles, monsieur de Mazières, qui touche 175 euros : la différence n’est que de onze euros, me direz-vous, mais multipliée par 140 000 habitants, cela fait 1,4 million par an, et cela dure depuis des années.

Selon le rapport sur le FPIC, 42 % des communes ont bénéficié de 90 % de la richesse nationale. La péréquation consiste à faire en sorte que les communes qui ne reçoivent aujourd’hui que 10 % de la richesse nationale bénéficient d’une plus juste part. Il faut naturellement que cette péréquation soit bien articulée, pour éviter les effets sur-péréquateurs ou contre-péréquateurs. En revanche, je suis défavorable à l’imposition de systèmes de tutelle sur l’utilisation des fonds de péréquation : j’ai parfois l’impression d’entendre dire « salauds de pauvres ! » ; ceux qui bénéficient de la péréquation ont le droit de vivre sans que ceux qui sont contributeurs viennent surveiller que l’on ne dépense pas ces fonds de péréquation de façon irresponsable. Les fonds de péréquation servent simplement à assurer un minimum de services publics sur des territoires qui en ont besoin

Si certains départements ne consomment pas la DETR, d’autres l’ont toutes consommées. Des redéploiements au sein de la dotation seraient donc pertinents, dans un sens une année et dans un autre l’année suivante, s’il le faut : c’est de l’argent national ! J’ai des dossiers en souffrance : si certains départements n’engagent pas tous leurs montants, que ceux-ci soient redéployés.

J’ai demandé, en tant que députée, les fonds de roulement de l’ensemble des communes de mon département au 31 décembre 2014, et je les ai obtenus. Ce sont 16 % de communes qui sont en épargne nette négative à cette date, dont celle où je suis conseillère municipale. La baisse des dotations en est responsable pour une part infime, car cette situation est due principalement à des produits de service en nette baisse du fait que la situation se dégrade et que de plus en plus de familles ne payent plus la cantine ou le centre de loisirs, mais aussi à des recrutements un peu faciles sur CDD pour des remplacements, et à une inflation sur les charges générales, notamment eau et énergie. Ce dernier constat nous a conduits à engager des investissements prioritaires sur les économies d’énergie. La baisse des dotations n’est pas en cause, même si, je le dis, j’ai quelques inquiétudes quant à la possibilité pour certaines communes – et seulement pour certaines – d’absorber une troisième baisse en 2017. Certaines communes, au contraire, ont un fonds de roulement très substantiel.

Certes les simulations sont difficiles à analyser. Cependant, il faut savoir d’où l’on part, monsieur le rapporteur. Les inégalités sont telles aujourd’hui que, si certains peuvent avoir le sentiment d’être moins bien lotis, ils partent parfois de plus haut qu’une autre commune dans la même situation. Il y a un énorme travail de pédagogie à accomplir, ne serait-ce que sur l’existant, département par département, afin que tous comprennent que la réforme est nécessaire.

M. le rapporteur. S’agissant du CNFPT, j’entends ce que vous dites, mais les délégations régionales ont fait pression sur les élus locaux pour qu’ils ne diminuent pas la contribution, sous peine, par exemple, de couper les remboursements de transports ou d’arrêter les formations gratuites. Je parle d’expérience.

Est-il possible d’avoir des chiffres consolidés à l’échelle du pays sur les fonds de roulement ? Ma commune est, comme celle de Christine Pires Beaune, en épargne nette nulle, voire négative : nous utilisons tout, et le fonds de roulement, dans ce cas-là, n’est pas énorme.

J’entends votre volonté de promouvoir l’intercommunalité afin d’améliorer le service, mais cela ne conduit pas à des économies. Je n’ai rien contre le fait de pratiquer la dépense publique pour assurer du service public, mais notre collègue Laurent Furst, membre de la commission d’enquête, rappelle souvent que chaque fois que l’on grossit, la dépense par habitant augmente. C’est une constante, ne serait-ce que parce que le niveau de service rendu augmente – ce qui ne me pose pas de problème.

Quel est l’objectif de la baisse des dotations ? Si c’est la diminution du déficit de l’État, il y a un souci. La baisse des dotations de 11 milliards en trois ans entraînerait, selon l’OFCE, de moindres recettes fiscales de 5,5 milliards. Le gain net serait donc de 5,5 milliards, sans compter que les pertes d’emplois – notamment dans le BTP – contraindraient à verser 1 milliard d’euros en allocations de chômage. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Les entreprises, notamment dans les travaux publics, ne se sont pas plaintes du CICE. Je leur ai demandé ce qu’elles penseraient de la suppression du CICE en échange de carnets de commandes grâce à l’investissement public… On sait que depuis le début de l’année, 269 entreprises sont tombées, dont certaines faute de carnets de commandes et non à cause d’une mauvaise santé financière. Elles meurent en bonne santé, ce qui est tout de même dramatique.

Le FCTVA a augmenté, certes, mais n’oubliez pas que cette augmentation a suivi celle de la TVA payée par les collectivités, notamment dans certains services à la population, tels que le transport.

Je voudrais vérifier auprès de vous s’il n’y a pas de souci juridique avec le fait, au cas où le calcul de la minoration aboutirait pour une commune à un montant négatif de DGF, d’imputer ce montant négatif sur les produits fiscaux de cette commune.

Mme la ministre. Non, il n’y a pas de souci. Ce dispositif a déjà été inclus dans la loi de finances pour 2015.

M. le rapporteur. Madame Pires Beaune a indiqué que 16 % de communes du Puy-de-Dôme sont en épargne nette négative. Je pense qu’avec la baisse des dotations, les communes qui ne sont pas préservées par le maintien de la DSU-cible ou de la DSR-cible et qui sont déjà en difficulté, le seront davantage encore. Le président Baroin, monsieur le secrétaire d’État, annonce un nombre de communes et intercommunalités en grande difficulté bien plus important que celui que vous nous avez donné.

Mme la ministre. Les communes pauvres en Aveyron, madame Marcel, ont tout intérêt à la réforme de la DGF, compte tenu de ce qui est proposé en termes de dotation par habitant et de prise en compte de la ruralité. C’est un cas d’école.

Toute baisse de la dépense publique, monsieur le rapporteur, est récessive, il n’est pas besoin d’avoir suivi des études d’économie très poussées pour le savoir, mais le second élément à prendre en considération est la dette. Cette dette nous écrase-t-elle ? La dette, à un certain moment, parce qu’il n’y a plus de prêteurs publics, nous soumet au marché et nous fait perdre notre souveraineté nationale. J’ai rédigé en 2011, avec Martine Aubry, un papier sur les CDS (credit default swaps) et les autres produits toxiques. Les effets négatifs d’une baisse de la dépense publique doivent appréciés au regard des effets négatifs de l’endettement.

Nous n’arrivons pas à une perte de recettes fiscales de 5,5 milliards d’euros qui viendrait en déduction de l’effort direct de 11 milliards sur le déficit. Nous travaillons avec l’OCDE. J’ai demandé à son secrétaire général il y a quelques jours de réaliser une étude sur nos propositions de réforme territoriale, afin que nous ayons un regard totalement extérieur, et il a accepté. L’OCDE a déjà réalisé une étude sur Aix-Marseille-Provence et le Grand Paris, indiquant, au sujet de ce dernier projet, qu’il n’allait pas assez vite et que cela nous faisait perdre de la croissance. L’OCDE et l’OFCE ont à peu près les mêmes banques de données, ainsi que quelques experts communs.

En Suède, les collectivités sont financées par l’impôt sur le revenu. Mon homologue suédois m’a indiqué que les inégalités de ce système sont fortes et aujourd’hui insurmontables. Son témoignage nous encourage donc à rester sur un système à la française. La réponse des Suédois a été la péréquation. C’est un peu l’histoire des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de nos départements : l’augmentation des DMTO a été permise à condition qu’il y ait péréquation de cette ressource qui est une forme d’appel à la surcote foncière.

M. le secrétaire d’État. Je ne sais pas comment Monsieur Baroin a fait ses calculs. J’ai rappelé les chiffres : il n’y a pas plus de communes signalées comme étant en grande difficulté dans le réseau d’alerte cette année que l’an dernier ou il y a deux ans, de même qu’il n’y a pas plus de saisines des CRC. Les élus sont inquiets, oui, mais ils ne sont pas en colère, comme Monsieur Baroin souhaiterait peut-être qu’ils le soient. Le congrès des maires a lieu la semaine prochaine et nous y serons. Ce congrès est toujours l’occasion pour les élus d’exprimer leurs mécontentements, leurs inquiétudes, leurs interrogations et leurs impatiences. Nous répondrons à leurs questions.

J’ai été maire pendant quinze ans, de ma petite ville natale de 8 000 habitants, qui se situe dans la moyenne en termes de richesses, et président du département de l’Isère pendant quinze ans également. J’ai souvent reçu des entrepreneurs du BTP et je leur disais, bien avant la crise financière que nous connaissons et la baisse des dotations : « Nous allons essayer d’investir encore et de vous donner du travail. » Mais le rôle d’une commune ou d’un département est-il d’investir pour investir, ou bien de réaliser des équipements quand ils sont nécessaires, bien dimensionnés, sans hésiter à étaler leur réalisation sur un an, deux ans ou un mandat ? En France, les élus culpabilisent de ne pas avoir assez de travail à donner au BTP. Nous sommes tous soucieux de la situation du secteur, et mon département a aussi des entreprises en grande difficulté dans les travaux publics et le bâtiment, mais le rôle des élus est de savoir ce qui est utile et ce qu’il est possible de réaliser à court et moyen termes.

Toutes tendances politiques confondues, nous avons beaucoup investi depuis les lois de décentralisation, bien plus que l’État ne l’aurait sans doute fait, car nous sommes au contact des citoyens, de leurs besoins, de leurs demandes, voire de leurs exigences. Devons-nous continuer à investir au même rythme dans les trente ans à venir ? Je ne le crois pas. Certes, la population augmente, et il faudra continuer de construire des écoles, des crèches, des piscines, des stades et des médiathèques, mais pas au même rythme. On ne peut pas vivre sur le même pied que celui que l’on a connu depuis trente ans, d’abord parce que l’argent public devient plus rare, ensuite parce que nous avons déjà beaucoup et bien équipé le pays.

J’ai été réélu dans mon canton en mars dernier sur un discours de rigueur, en étant membre d’un Gouvernement qui n’était pas au zénith de sa popularité et en portant une réforme territoriale dans laquelle était initialement prévue la suppression des départements. Les gens ne me désapprouvent quand je tiens ce discours. Il faut être à l’écoute des secteurs économiques, dont le BTP, et garantir le service public, mais avec un discours de sincérité et de réalisme, car, les gens l’ont compris, les temps sont durs et l’argent public est devenu beaucoup plus rare.

M. le rapporteur. La question n’est pas celle du soutien à une filière. J’ai parlé tout à l’heure de l’entretien du patrimoine. Notre territoire est sillonné de réseaux qui permettent d’assurer des services à la population : éclairage public, voirie, établissements scolaires… Au-delà de la question des nouveaux investissements de capacité, nous avons un problème d’entretien de ce patrimoine, lequel s’élèverait, selon La Banque postale, à 950 milliards d’euros pour le bloc communal. En admettant 3 % de dépenses de renouvellement, ce qui est très peu, cela fait 30 milliards, et nous n’y sommes même pas. Aurons-nous les moyens d’entretenir ce patrimoine commun ? Une canalisation d’eau est changée aujourd’hui en moyenne tous les cent ans, et je ne suis pas sûr que ce soit suffisant. Quand une piscine ferme, on peut toujours dire que l’on n’en avait pas besoin, mais cela pose quand même question : les enfants ne doivent-ils plus apprendre à nager ?

M. le secrétaire d’État. Je suis bien d’accord, et c’est pourquoi les élus doivent se poser la question de savoir s’il faut investir dans du neuf ou dans la rénovation et l’entretien de ce qui existe et n’est pas si mal, en comparaison avec d’autres pays, y compris en Europe.

M. François de Mazières. Nous ne sommes même plus sur les grands investissements, mais sur l’entretien. Le problème, c’est que nous allons diminuer la qualité de la voirie, celles des écoles, nous allons fermer les piscines, cela a déjà commencé.

Quand on parle d’égalité, il faut aussi voir la différence entre les communes. Le prix des loyers dans la mienne, en région d’Île-de-France, n’est pas comparable au prix des loyers dans les territoires ruraux. L’analyse à partir de critères mais sans intégrer la réalité du terrain est dangereuse. Cette réalité du terrain, c’est que la gestion se fonde sur l’évolution par rapport à l’année précédente ; donc les violents coups d’accordéon sont eux aussi dangereux. Le système de péréquation mis en place est lui aussi très violent. En fait, on va s’attaquer à ce qui fait le dynamisme de notre économie et de l’emploi. Attention à ne pas brandir trop facilement le principe d’égalité. Il y a eu parfois de très mauvaises gestions, et vous créez un système de prime à la mauvaise gestion, où ceux qui ont bien géré leur commune sont sanctionnés.

Nous arriverons en 2017 à l’os de l’os. Le département des Yvelines, très important en termes de vitalité économique, est déjà en autofinancement négatif. Vous comprenez ce que cela signifie en termes économiques. Si la priorité est de relancer l’emploi, nous allons là très clairement vers une baisse de l’activité. Vous devriez mettre de l’eau dans votre vin pour 2017.

M. le secrétaire d’État. J’ai été à la tête d’un département plus riche que la moyenne et mieux géré que d’autres, à tel point que nous avons été contributeurs à tous les mécanismes de péréquation. C’est le principe de la solidarité. Beaucoup de communes sont éligibles à la péréquation, notamment à la DSU, non pas parce qu’elles ont été mal gérées mais parce qu’elles ont une population très pauvre et connaissent des difficultés économiques.

Pour 2017, Christine Pires Beaune l’a dit : il y a une inquiétude, c’est vrai. Les élus ont déjà intégré la baisse pour 2016. Ce sera sans doute plus difficile en 2017, mais nous verrons d’ici là si ce que nous avons prévu sur l’investissement porte ses fruits : le milliard d’investissements, les mesures d’assouplissement comptable, l’éligibilité au FCTVA des dépenses de bâtiment et, selon le vœu des parlementaires, de voirie. Ces mesures entreront en vigueur dans les prochains mois.

M. le rapporteur. Ce que vous venez de dire laisse penser que nous pourrions avoir de bonnes nouvelles pour 2017. Une pause en 2017 serait une contrepartie tout à fait acceptable de la réforme de la DGF.

M. le secrétaire d’État. Je n’ai pas dit cela !

M. le rapporteur. Vous ne l’avez pas dit, mais…

M. le secrétaire d’État. Vous avez l’oreille sélective, monsieur le rapporteur !

M. le rapporteur. Vous avez été moins ferme qu’en d’autres temps sur le maintien de la loi de programmation des finances publiques et je note avec plaisir cette moindre fermeté.

M. Jean-Marc Fournel, président. Je remercie l’ensemble des collègues qui ont participé aux plus de trente auditions conduites par cette commission d’enquête. Ces auditions ont montré deux choses : la nécessité d’être vigilant sur la dépense publique, tant les deniers publics sont aujourd’hui rares, et l’interrogation sur la baisse des dotations, à laquelle il faut répondre, en responsabilité. Le cycle des auditions est ainsi terminé.

M. le rapporteur. Nous étions convenus d’une réunion à huis clos pour évoquer les orientations du rapport, et nous proposons de la reporter à la semaine prochaine. Notre calendrier prévoit la mise à disposition du rapport les 8 et 9 décembre, son examen le 10, et sa publication, le cas échéant, le 16 ou le 17.

L’audition s’achève à dix-huit heures dix.

Membres présents ou excusés

Commission d’enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux EPCI

Réunion du mardi 10 novembre 2015 à 16 heures 15.

Présents. – M. Éric Alauzet, M. Alain Calmette, M. Jean-Marc Fournel, Mme Viviane Le Dissez, Mme Marie-Lou Marcel, M. François de Mazières, Mme Christine Pires Beaune, M. Nicolas Sansu.

Excusés. – M. Olivier Audibert Troin, Mme Jeanine Dubié, Mme Françoise Dumas, M. Alain Fauré, M. Martial Saddier, M. Claude Sturni.