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Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

JEUDI 3 juillet 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 3

Présidence de
M. Alain BOCQUET

Audition de Mme Nadia Bellaoui, présidente, et de Mme Frédérique Pfrunder, déléguée générale du Mouvement associatif.

    L’audition débute à neuf heures trente.

    M. le président Alain Bocquet. Chers collègues, nous accueillons maintenant Mme Nadia Bellaoui, présidente, et Mme Frédérique Pfrunder, déléguée générale du Mouvement associatif.

    La vocation du Mouvement associatif est d’être le porte-voix de plus de 600 000 associations qu’il fédère, réunies dans une vingtaine d’organisations thématiques. Il concentre son action sur quatre grands sujets qui sont au cœur des préoccupations de notre commission d’enquête : l’engagement, d’ailleurs érigé en grande cause nationale pour 2014 ; le dialogue civil, qui vise à promouvoir avec les autorités politiques une citoyenneté active ; l’emploi, qui a une dynamique hésitante depuis la mi-2010 ; le modèle socio-économique, qui est source d’inquiétude pour les dirigeants associatifs depuis plusieurs années.

    L’an dernier, mesdames, votre organisation a alerté sur la double crise des financements et du bénévolat et il serait intéressant de voir où nous en sommes. Les difficultés sont-elles contenues ou s’aggravent-elles ? Notre commission est à l’écoute de vos diagnostics.

    Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    (Mmes Nadia Bellaoui et Frédérique Pfrunder prêtent serment)

    Mme Nadia Bellaoui, présidente du Mouvement associatif. Merci de votre présentation extrêmement précise de notre organisation. Pour la rendre encore plus explicite, je citerai certains de ses membres : le Comité national olympique et sportif, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS), l’Union nationale des associations de tourisme et de plein air (UNAT), l’Union nationale des associations familiales (UNAF), Coordination SUD…

    En dépit de ses difficultés, le monde associatif reste une ressource dynamique de notre pays, comme en attestent trois indicateurs : entre 2005 et 2011, le nombre d’associations a augmenté chaque année de 2,8 %, selon les chiffres fournis par Viviane Tchernonog dans Le paysage associatif français, la hausse étant particulièrement forte parmi les petites associations de bénévoles ; le bénévolat a progressé de 3 % au cours de la même période, également en rythme annuel, et était en 2013 le fait de quelque 24,5 % de nos concitoyens ; enfin, la même année, l’emploi a crû de 0,2 % dans le secteur associatif alors qu’il reculait de 0,5 % dans le secteur privé lucratif.

    C’est un monde d’une très grande diversité : seulement 180 000 des 1,3 million d’associations existantes emploient des salariés ; ceux-ci, au nombre de 1,8 million, exercent pour moitié dans le seul secteur sanitaire et social ; l’employeur associatif emploie généralement un ou deux salariés qui travaillent souvent à temps partiel quand ils n’exercent pas cette activité de manière accessoire, à côté d’une carrière dans l’enseignement par exemple.

    Après ces quelques indications initiales, ma collègue va vous parler des évolutions et des difficultés structurelles auxquelles ont été confrontées les associations. Je m’autoriserai ensuite quelques commentaires plus conjoncturels.

    Mme Frédérique Pfrunder, déléguée générale du Mouvement associatif. Divers changements ont affecté les associations au cours des dernières années, à commencer par la généralisation des marchés publics. Alors qu’elles reçoivent une partie de leurs ressources des pouvoirs publics, elles ont en effet constaté une forte baisse des subventions au profit des appels d’offres : entre 2005 et 2011, en volume, les premières ont diminué de 17 % tandis que la commande publique augmentait de 70 %.

    Une enquête réalisée en janvier 2012 par la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA) et par le réseau France Active montrait qu’une association employeuse sur cinq avait conclu un marché public avec au moins l’un de ses financeurs. Outre que la réponse à des appels d’offres implique des procédures lourdes, le problème est que ce mode de financement est un frein à l’innovation pour les associations : la subvention soutient un projet tandis que l’appel d’offres demande de répondre à un besoin spécifique de la collectivité ; or l’association est construite autour d’un projet et de sa capacité à prendre l’initiative.

    Ce changement de cadre entraîne des difficultés pour les petites et moyennes associations, mal armées pour triompher de procédures complexes. Il risque de décourager les bénévoles qui viennent dans une association pour développer un projet et qui se retrouvent pris dans un cadre très formaté. Enfin, il implique le développement de nouvelles logiques de gestion, avec l’application de critères quantitatifs de performance très stricts : si l’action des associations doit être évaluée, ce n’est peut-être pas le meilleur moyen de procéder.

    Autre évolution : les financements de l’État baissent au profit de ceux des collectivités territoriales. Ce ne serait pas un problème, et ce serait même une bonne chose que les associations puissent trouver des soutiens divers, si les collectivités appliquaient toutes la même procédure pour les demandes de subvention. Or, alors que l’État a élaboré un formulaire Cerfa et des dispositifs pour éviter aux associations de devoir indéfiniment recommencer les mêmes démarches, les modes selon lesquels demander des subventions varient selon les collectivités, ce qui implique de refaire sans cesse des dossiers en fournissant des documents différents. Pour une association qui dispose de peu de moyens et qui fonctionne avec des bénévoles et des salariés qui ne se consacrent pas en priorité à ces questions de gestion, cela n’a rien d’anecdotique : ces démarches mobilisent des ressources importantes qui grèvent les financements accordés.

    Dans ce registre, les têtes de réseau se heurtent à des problèmes particuliers. Les collectivités territoriales finançant essentiellement des projets très spécifiques, elles vont recevoir de moins en moins de moyens pour leur fonctionnement et donc pour l’appui qu’elles apportent aux associations.

    Ce tassement et cette diversification des financements publics poussent les associations à chercher d’autres modèles de développement et d’autres sources de financement, mais elles rencontrent certains écueils sur ce chemin en raison de l’application des doctrines fiscales. La procédure fiscale mise en place pour caractériser l’utilité sociale des associations se déroule en trois étapes : appréciation du caractère désintéressé ou non de la gestion, évaluation de la concurrence faite aux entreprises du secteur lucratif exerçant la même activité, analyse du respect de la règle dite des « quatre P » – produit, public, prix, publicité. Nous ne remettons pas en cause ce cadre, qui nous paraît adapté, mais les associations relèvent un manque de cohérence dans l’application d’une doctrine qui, d’une région à l’autre, donne lieu à des interprétations et à des analyses assez différentes, notamment en ce qui concerne le critère de concurrence. En période de contrainte budgétaire, cela peut conduire à une augmentation progressive de la fiscalité des associations. Certaines qui œuvrent dans un champ hybride, telles que les réseaux d’aide à la création d’entreprise par les chômeurs, vont ainsi obtenir un rescrit qui confirme leur caractère non lucratif cependant que d’autres seront soumises à l’impôt.

    On constate aussi une interprétation de plus en plus restrictive de la notion d’intérêt général. Nombre d’associations ne parviennent pas à obtenir le rescrit leur permettant de justifier de cette vocation d’intérêt général et ne sont dès lors plus en mesure de faire appel aux dons en toute sécurité.

    Enfin, le montant de recettes commerciales en dessous duquel une association est exonérée d’impôts commerciaux n’a pas été réévalué depuis très longtemps, restant fixé à 60 000 euros, d’où une difficulté pour des associations qui souhaitent élargir leur assiette de financement grâce à des ressources de ce type.

    Mme Nadia Bellaoui. Les associations fonctionnent avec 51 % de financements publics – toutes sources confondues : État, collectivités territoriales, établissements publics – et 49 % de financements privés, dont seulement 5 % proviennent du mécénat et qui sont mis à mal en temps de crise.

    D’un point de vue conjoncturel, les associations vivent assez douloureusement les hésitations et les divergences à propos des réformes en cours, notamment de la réforme territoriale. Les principales inquiétudes portent là encore sur les financements, qui sont la manifestation la plus concrète du partenariat entre la puissance publique et les associations. Nous appelons en particulier votre attention sur le fait que le transfert de la gestion des fonds structurels européens pourrait se traduire en 2014 par une année blanche dans le financement des associations, ce qui serait dramatique pour nous. Le mode de financement par le Fonds social européen (FSE) étant particulièrement complexe, nous lançons les activités sans attendre de recevoir la convention d’engagement et le délai entre l’engagement des dépenses et la perception des ressources, s’il est accru d’un an, va devenir intolérable pour les associations, déjà en proie à des difficultés de trésorerie car le cas du FSE est tout sauf isolé. Certains élus nous incitent même discrètement à constituer des fonds de garantie pour nous assurer contre le non-paiement éventuel par la collectivité !

    Dans un autre ordre d’idées, nous notons une forme d’instrumentalisation politique des associations pour faire valoir son mécontentement face à telle ou telle réforme. Or les associations n’ont pas à subir les conséquences des différences de vues sur des projets de réorganisation de l’action publique qui ne les concernent pas directement.

    Enfin, vous ne pariez pas assez sur les associations qui, tout en s’organisant pour affronter à la fois des évolutions structurelles lourdes et une conjoncture difficile, peuvent œuvrer au redressement du pays et à la restauration de la confiance : pourquoi se priver de ce levier ? Ainsi la Banque publique d’investissement raisonne trop selon des ratios applicables à des entreprises dotées d’un capital et ne tient pas suffisamment compte de nos spécificités, qui ne sont en aucun cas un obstacle à notre développement à long terme ; de même, le bénéfice du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est refusé aux associations au motif qu’elles ne paient généralement pas d’impôt sur les sociétés, alors qu’elles sont assujetties à d’autres impôts tels que la taxe sur les salaires qui, elle, a un effet très immédiat sur l’emploi.

    Nous sommes des interlocuteurs beaucoup plus engagés et dynamiques que la puissance publique ne semble le penser. Nous vous invitons donc, autant que nous pouvons nous le permettre, à regarder davantage en direction des associations, à bien cerner leurs spécificités et à leur proposer de contribuer davantage au redressement économique du pays. C’est un défi que nous sommes tout à fait capables de relever.

    Mme Françoise Dumas, rapporteure. Merci, mesdames, pour ces exposés.

    Les associations rencontrent finalement un peu les mêmes difficultés d’adaptation que les entreprises. Avez-vous le sentiment que cette crise est structurelle ou conjoncturelle ? Y a-t-il eu des moments de tension similaires à d’autres périodes ?

    Pensez-vous que le statut des dirigeants bénévoles peut être amélioré ? Faut-il envisager des mesures différentes – y compris des dispositifs de financement différents – selon la taille et l’objet de l’association ? Est-ce que ce sont les collectivités qui doivent s’adapter aux projets associatifs ou les associations qui doivent s’adapter aux demandes et aux besoins des collectivités ? Mais la réponse se trouve peut-être dans l’entre-deux si nous voulons garantir la pérennité des associations tout en préservant leur liberté d’initiative et la place du bénévolat…

    Mme Nadia Bellaoui. La crise est-elle structurelle ou conjoncturelle ? Notre environnement connaît des métamorphoses structurelles et, d’un point de vue strictement économique, nous sommes entrés dans un nouveau monde. Il y a encore dix ans, les associations étaient en situation de monopole dans de nombreux domaines, en particulier dans celui de l’aide à domicile ; aujourd’hui, les entreprises lucratives regardent certaines de nos activités comme des marchés potentiels. Ce n’est ni une bonne ni une mauvaise nouvelle, mais un changement de donne : dans ces secteurs, nous sommes en concurrence avec elles.

    Quant à la puissance publique, son action comme ses attentes ont également connu une évolution substantielle, dont le passage de la subvention à la commande publique n’est qu’un symptôme. L’association est vue comme un prestataire de services pour la collectivité, comme un instrument de surcroît souple d’utilisation, au point que certains détracteurs nous prédisent un avenir de sous-fonction publique territoriale. Les effets durables de la décentralisation se font aussi sentir ; nos échanges avec les élus deviennent plus complexes et l’État s’efface au profit des collectivités territoriales qui deviennent nos principaux partenaires.

    Les usagers ont des aspirations, ce qui est tout à fait heureux. Les salariés présents de façon stable dans les associations s’interrogent sur la place des bénévoles et des élus. Ces transformations majeures que d’aucuns appellent crise démocratique se manifestent donc également au sein des associations – qui sont aussi des institutions appelées à évoluer au gré d’une capacité accrue des citoyens à peser sur leurs organisations –, mais d’une manière spécifique. Nous sommes, plutôt qu’en crise, dans une période de transition, de réinvention d’un modèle et d’un partenariat avec la puissance publique. Selon le think tank La Fonda, qui a mené un grand nombre d’entretiens dans le cadre d’un travail sur les scénarii d’avenir, le monde associatif est capable d’un « optimisme stratégique », fondé sur des réalisations et des engagements à changer. Notre préoccupation est de faire en sorte que nos partenaires veuillent conforter et développer nos spécificités, sans donc mettre de frein à nos évolutions internes.

    Nous ne sommes pas a priori très favorables à l’évolution du statut associatif : nous sommes attachés à la loi de 1901, une loi de liberté, qui a été et peut encore être complétée par tout un arsenal d’agréments, d’autorisations et de droits spécifiques à mesure que l’association donne des garanties à la puissance publique.

    Mme Marie-Hélène Fabre. Décrivant la mutation qui s’opère dans le financement des associations, avec le basculement des subventions vers les appels d’offres, vous redoutez qu’elle n’affecte votre capacité d’innovation. Préconisez-vous des mesures de simplification des appels d’offres et des dispositifs particuliers en faveur des associations dans le cadre du plan numérique ?

    Vous n’avez rien dit du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire (ESS) que nous sommes en passe d’adopter et qui donne notamment une définition de la subvention. Quelle est votre position sur le sujet ?

    M. Jean-Louis Bricout. Au cours de ces premières auditions, il a été beaucoup question de l’emploi et de son évolution, mais très peu des types de contrat utilisés par les associations ou du turn over chez vos salariés. Que pensez-vous des emplois d’avenir ? Quel usage les associations font-elles de la formation et quelles difficultés rencontrent-elles en la matière ? Sachant qu’elles travaillent de plus en plus sur des appels à projets avec des financements croisés, comment accueillent-elles la réforme territoriale qui devrait réduire le nombre des dossiers qu’elles ont à remplir en supprimant une couche du millefeuille administratif ? Enfin, quelle part prennent désormais les fondations dans les financements de projets ?

    M. Yannick Favennec. Le mécénat ne compte que pour 5 % dans le financement des associations, avez-vous dit. La législation en la matière est-elle suffisamment attractive, selon vous ?

    M. Jean-Luc Bleunven. Ne faut-il pas redéfinir le pacte entre les élus et le monde associatif ? En tant qu’élu associatif et élu local, je constate que l’on se prête mutuellement beaucoup d’intentions et qu’on éprouve une réelle difficulté à trouver un terrain d’entente pour agir. Ne faudrait-il pas redéfinir les relations entre le monde associatif et les associations d’élus ? D’autre part, pourriez-vous nous apporter des précisions à propos de l’année blanche qui va résulter du transfert de la gestion des fonds structurels européens ?

    M. Jean-Pierre Allossery. Les très petites associations, qui emploient un salarié ou deux, ont déjà beaucoup de mal à établir les fiches de paie et, alors qu’elles sont très intéressées par des formules comme les contrats emploi solidarité et des emplois d’avenir, elles sont arrêtées par les contraintes administratives imposées pour en bénéficier. Elles se heurtent aussi à des problèmes de trésorerie particulièrement aigus – je pense à une association d’insertion qui emploie quatre-vingts salariés et qui ne va peut-être pas survivre jusqu’au 31 juillet, car les fonds attendus n’arrivent pas malgré les promesses du conseil général et des autres financeurs. C’est traumatisant pour les bénévoles et pour les salariés, qui ne comprennent pas qu’une subvention votée et notifiée tarde à venir au point de compromettre le fonctionnement de leur association.

    Mme Barbara Pompili. La réforme territoriale, qui va être adoptée d’ici quelques mois, aborde notamment la question des compétences. Sachant que la recherche des financements est chronophage au point d’occuper parfois un salarié à plein temps, ne serait-ce pas l’occasion de ressortir l’idée – peut-être un peu utopique – d’un guichet unique pour les associations ? À défaut, ne pourrait-on attribuer la compétence du financement des associations à une seule collectivité, à charge pour elle de récolter les demandes et de les gérer avec les autres collectivités ou partenaires ?

    Avez-vous des études démontrant l’existence d’une crise du bénévolat ? Si oui, quelles en sont les conséquences pour les associations, éventuellement contraintes de se professionnaliser au risque de changer de nature ?

    Mme Frédérique Pfrunder. Notre position de principe, mais justifiée, est en faveur des subventions plutôt que des appels d’offres et la simplification de ceux-ci n’est donc pas pour nous une priorité, d’autant que cette procédure est de toute façon très encadrée par le code des marchés publics. Cela étant, même dans ce cadre, peut-être les collectivités pourraient-elles recourir aux procédures d’appel d’offres adaptées ou négociées, plus souples, qui sont permises dans certains cas.

    Mais le problème de la simplification se pose aussi pour les subventions et certaines collectivités territoriales s’en préoccupent. Au sein du conseil régional d’Île-de-France, le groupe Europe Écologie Les Verts a entamé avec les associations une réflexion pour trouver les moyens d’une relation simplifiée, s’agissant de la demande de subvention comme de la justification de son utilisation. En effet, les associations doivent parfois fournir des dossiers extrêmement lourds, lestés de photocopies de factures de tous ordres en multiples exemplaires. Cela ne témoigne pas vraiment d’une relation de confiance et cela n’a pas forcément de sens puisque les associations sont évidemment ouvertes aux contrôles et que nombre d’entre elles ont des commissaires aux comptes.

    S’agissant des types de contrats, je pourrai vous faire parvenir les éléments dont nous disposons et qui montrent notamment que les contrats à durée déterminée restent majoritaires dans l’emploi associatif. En revanche, je n’ai pas de chiffres sur le turn over.

    Esquissant une redéfinition du pacte entre les élus et les associations, une charte d’engagement a été signée en février 2014 entre le mouvement associatif, l’État et les collectivités territoriales. Cet outil peut aider à retisser des relations de confiance et permettre à chaque collectivité d’ouvrir une concertation avec les associations, dans une perspective de co-construction de projets.

    Aux petites associations qui rencontrent des difficultés pour établir les fiches de paie, on peut proposer certaines solutions, passant par exemple par la mutualisation des moyens ou des salariés, ou par la création de services communs. Ce sont des solutions à développer par les associations elles-mêmes, quitte à ce qu’on leur fournisse un cadre. Elles y ont d’ailleurs tout intérêt afin de répondre à l’accroissement des exigences réglementaires et législatives.

    Y a-t-il une crise du bénévolat ? Les derniers chiffres montrent un fléchissement du nombre de bénévoles, mais une augmentation de leur participation : ils s’engagent de plus en plus et dans un plus grand nombre d’associations, pratiquant peut-être une forme de zapping. Les citoyens ont donc toujours autant envie de s’engager, mais ils le font différemment et les associations ont du mal à trouver des bénévoles prêts à assumer sur le long terme des responsabilités parfois lourdes, comme celles de trésorier ou de président. C’est à elles de savoir s’adapter et le travail sur la gouvernance peut y contribuer.

    Mme Nadia Bellaoui. Le renouvellement des dirigeants bénévoles pose des questions immédiates à certaines associations. Il faut qu’elles évoluent, qu’elles conçoivent la professionnalisation comme un complément du bénévolat de responsabilité et qu’elles se préoccupent de limiter la durée des mandats – l’archétype du président est un homme de plus de soixante ans appartenant à une catégorie socioprofessionnelle supérieure, alors que bien d’autres personnes sont capables d’assumer cette responsabilité.

    Nous sommes revenus de l’idée selon laquelle toute action pourrait être prise en charge par un salarié, le travail des bénévoles n’étant qu’accessoire. Il faut au contraire rechercher une complémentarité entre des bénévoles qui ont la liberté de dire non, de résister ou de mettre en question la structure, et des salariés qui ne sont pas seulement des subordonnés mais qui peuvent aussi s’engager et être parties prenantes aux décisions. Il y a là des chantiers à mener en interne qui peuvent être profitables.

    Faut-il, dans le cadre de la réforme territoriale, attribuer la compétence du financement des associations à une seule collectivité ? Nous trouvons étrange qu’on considère que les financements croisés seraient à bannir par principe. Réunir autour d’une même table des partenaires qui soient complémentaires prend beaucoup de temps : eh bien, les associations sont parvenues à le faire grâce aux financements croisés ; nous cherchons à bien articuler les actions du département, de l’agglomération et de la région dans le cadre d’un modèle économique viable, intégrant bien sûr les ressources propres.

    Mais simplifier les procédures, créer un guichet unique, mieux articuler les divers financements, nous y sommes d’autant plus favorables que – vous avez parfaitement raison sur ce point – l’embauche d’un comptable devient quasiment la première priorité de toute association alors que la comptabilité n’est pas vraiment le cœur de notre activité.

    Attribuer la compétence du financement des associations à une collectivité poserait aussi un problème aux têtes de réseau : le rôle de celles-ci étant d’aider les petites associations isolées et désorientées à coopérer avec d’autres pour être plus efficaces sans avoir à réinventer la poudre, leur champ d’action débordera toujours le territoire de cette collectivité chef de file.

    Arrêter la nouvelle programmation du FSE a pris du temps – les arbitrages ne sont d’ailleurs pas tous rendus. Du coup, les régions, qui vont désormais gérer une part de l’enveloppe, nous expliquent qu’elles ne seront pas en mesure d’instruire nos dossiers à temps pour nous verser les subventions en 2014. Si tel est le cas, il faut à tout le moins envisager qu’un report sur l’année suivante soit voté lors de la dernière séance de la collectivité. Si cette année est blanche sur le plan comptable, nous devons avoir l’assurance d’obtenir un financement double l’année suivante, avant de revenir à une situation normale en 2016, faute de quoi nous courons à la catastrophe. Il est encore possible de trouver une solution, encore faut-il s’en préoccuper.

    L’essentiel du financement privé perçu par les associations vient de ressources propres et le mécénat, qui bénéficie pourtant d’un régime fiscal favorable, n’y contribue en effet que pour 5 % avec les dons. Pour autant, cette ressource nous importe à un double titre : ces petits financements permettent souvent de boucler un budget et, d’autre part, leur discussion donne l’occasion d’un rapport à l’entreprise à la fois nouveau et intéressant pour nous – au stade le plus abouti, cela conduit au développement d’un mécénat de compétences qui n’est pas sans produire quelques bienfaits collatéraux : les cadres supérieurs apportent leurs qualifications à l’association où ils trouvent eux-mêmes l’occasion d’une certaine respiration.

    Il est compliqué de donner à vos questions sur l’emploi et sur les types de contrats utilisés une réponse qui ait valeur générale. Deux mondes coexistent dans les associations : celui des conventions collectives, du contrat à durée indéterminée et de l’emploi à temps plein ; celui du temps très partiel, étant entendu que des progrès ont été réalisés dans ce domaine grâce aux groupements d’employeurs. Les associations font de gros efforts pour assurer correctement leur fonction d’employeurs. L’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES) a enfin été reconnue comme organisation multiprofessionnelle et elle est associée à la conférence sociale qui va s’ouvrir dans quelques jours. C’est important car les syndicats de salariés ont besoin de trouver chez nous des interlocuteurs vraiment conscients de leurs responsabilités d’employeurs. Pour notre part, dans le cadre de la grande cause nationale dédiée à l’engagement associatif, nous engageons un vrai travail en faveur de la qualité de l’emploi : nous avons créé un prix pour récompenser l’initiative dans ce domaine et nous mesurons de façon régulière nos progrès.

    Globalement, nous ne sommes pas mauvais et il faut combattre certaines idées reçues : le niveau des qualifications dans le secteur associatif est plutôt plus élevé qu’ailleurs et nous sommes un secteur d’avenir puisque, sous le seul effet de la pyramide des âges, 500 000 emplois seront renouvelés d’ici à 2020. Il y a donc bien des motifs pour que l’emploi associatif suscite l’intérêt.

    Les associations ont répondu favorablement à la création des emplois d’avenir puisque nous sommes les premiers utilisateurs de ce type de contrat, ex aequo avec les collectivités. Nous y avons recouru de manière volontariste, désireux que nous étions de prendre notre part de l’effort fait pour résorber le « noyau dur du chômage des jeunes », pour reprendre l’expression de Michel Sapin.

    Mais nous avons regretté que vous n’ayez pas aussi inventé avec nous un dispositif de soutien à l’emploi associatif, au titre de l’innovation sociale dans des métiers d’avenir. Nous agissons dans les secteurs des services, de l’éducation et de la culture, qui sont appelés à se développer. Le dernier rapport de France Stratégie souligne d’ailleurs que les emplois de proximité vont bien résister – et durablement –, même dans un contexte d’économie mondialisée. Nous sommes les acteurs de cette proximité, aux côtés d’entreprises, notamment de PME. Incarnant la capacité des citoyens à se prendre en main et à répondre par eux-mêmes aux besoins, les associations ont vocation à créer durablement de l’emploi, et pas seulement de l’emploi d’insertion. Je sais qu’il est mal vu de vouloir ressusciter des dispositifs passés, mais le programme « nouveaux services, nouveaux emplois » a produit des effets durablement bénéfiques dans les associations.

    Si nous n’avons pas explicitement parlé du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire, c’est parce que nous avons l’impression d’y être immergés – et avec bonheur – depuis deux ans. Tout le travail de concertation effectué en amont nous a beaucoup aidés à réfléchir sur les évolutions du monde associatif et à nous projeter dans l’avenir. Il nous a permis de rediscuter avec les mutuelles, les coopératives, les entrepreneurs sociaux et à reformuler plus clairement nos spécificités respectives. Nous voulons construire progressivement une « révision associative » pour que les associations s’interrogent régulièrement sur leur complémentarité vis-à-vis de la puissance publique et des entreprises, sur l’action bénévole, sur le rapport à l’usager – qui peut toujours devenir bénévole puis dirigeant. Pour nous, une association ne peut jamais être réduite au service qu’elle rend ; elle représente d’abord la liberté d’intervenir soi-même en s’organisant collectivement.

    Ce texte comporte aussi des dispositions décisives, en particulier la définition juridique de la subvention : c’est le point d’appui qui nous permettra de revenir vers les collectivités pour leur soumettre le type de partenariat que nous souhaitons construire avec elles dans la durée. D’autres mesures concernent le titre associatif, le régime de faveur pour les fusions ou le volontariat. À ce dernier égard, le projet de loi ESS nous a aussi permis de commencer à travailler sur des questions qui restent devant nous – ainsi sur le fait que la prise en charge des frais de repas et de déplacement expose à une requalification de la relation de bénévolat en contrat de travail.

    La définition du périmètre de l’économie sociale et solidaire figurant dans la dernière version du texte nous donne le sentiment d’avoir été mieux entendus. En effet, s’il faut prendre en compte de nouvelles formes d’entrepreneuriat social, il est très important de ne pas diluer l’identité de l’économie sociale et solidaire au point d’y intégrer des entreprises capitalistiques qui cherchent un accès à des financements publics via des opérations en fait de simple marketing. Cela ne rendrait service à personne – et surtout pas aux finances publiques.

    M. Régis Juanico. Les députés et les sénateurs sont en désaccord sur l’un des points du projet de loi, celui qui concerne la prémajorité associative. Quel est votre avis sur le sujet ?

    Mme Nadia Bellaoui. Très franchement, j’espère que l’on sortira de ce climat de défiance à l’égard des mineurs. Quand un mineur s’abonne chez Orange, on présume qu’il a l’accord de ses parents, mais, pour s’impliquer dans nos associations, il faudrait qu’il produise une autorisation explicite ? Ce n’est pas raisonnable !

    M. le président Alain Bocquet. Merci, mesdames, pour cette contribution qui sera utile à notre commission d’enquête.

    L’audition s’achève à dix heures trente.

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du jeudi 3 juillet 2014 à 9 h 30

    Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, Mme Françoise Dumas, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Yannick Favennec, M. Régis Juanico, Mme Barbara Pompili.

    Excusés. M. Martial Saddier, M. Jean-René Marsac, M. Guillaume Chevrollier, M. Frédéric Reiss, M. Michel Lesage, Mme Edith Gueugneau, Mme Sophie Dion, M. Philippe Vitel, M. Paul Salen, Mme Julie Sommaruga.