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Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

JEUDI 3 juillet 2014

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 5

Présidence de
M. Alain BOCQUET

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Joëlle Bottalico, vice-présidente du Haut Conseil pour la vie associative, de M. Thierry Guillois, membre du bureau du Haut Conseil pour la vie associative, et de M. Michel de Tapol, président de la commission « Bénévolat »

    L’audition commence à onze heures quarante.

    M. le président Alain Bocquet. Nous entendons maintenant les représentants du Haut Conseil pour la vie associative (HCVA). Cette instance d’expertise créée auprès du Premier ministre en juin 2011 a pour mission d’enrichir le dialogue entre les pouvoirs publics et les associations et d’améliorer la pertinence des mesures prises par les pouvoirs publics. Elle doit également contribuer, par ses propositions et recommandations, à améliorer la connaissance des réalités de la vie associative. Le HCVA a ainsi rendu plusieurs avis sur des sujets importants que notre commission d’enquête sera également amenée à aborder au cours de ses travaux, en particulier ceux du bénévolat, du financement privé ou de la validation des acquis de l’expérience bénévole associative.

    C’est dire si l’expertise des membres réunis au sein du HCVA sera précieuse à commission, qui doit s’attacher en premier lieu à cerner précisément les difficultés récentes ou anciennes du monde associatif, avant de proposer des pistes de solutions concrètes.

    Madame, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    (Mme Joëlle Bottalico, M. Thierry Guillois et M. Michel de Tapol prêtent serment.)

    Mme Joëlle Bottalico. Le Haut Conseil pour la vie associative a été d’autant plus sensible à votre sollicitation qu’il a, vous le savez, engagé un travail sur le financement des associations. Cette réflexion s’inscrit dans un contexte particulier, puisque le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire est en cours d’examen au Parlement et que l’engagement associatif a été déclaré « grande cause » de l’année 2014.

    Nous souhaitons donc passer en revue les points sur lesquels le HCVA a pu, depuis sa création, apporter une contribution, et nous vous soumettrons quelques éclairages complémentaires liés à l’actualité.

    En premier lieu, et au regard des besoins grandissant d’une population dont la situation économique s’est dégradée, les associations pointent généralement des difficultés liées au financement de leurs activités, notamment du fait d’une baisse des subventions et des avances de trésorerie consenties par la puissance publique.

    Dans son rapport sur le financement privé du secteur associatif, le HCVA rappelle « qu’en 2005, les associations tiraient une part prédominante de leurs ressources (51 %) de financements publics avec une large prépondérance des subventions publiques par rapport aux commandes publiques. Les financements privés venaient, quant à eux, à hauteur de 49 %, avec 32 % de recettes d’activité (vente de services associatifs à un prix de marché, produits des fêtes et des manifestations, etc.). (…) En 2011, la part des financements publics a diminué pour ne plus représenter que 49 %. De plus, cette baisse a surtout affecté les subventions publiques (de 34 % à 24 %) et n’a été que partiellement compensée par les commandes publiques qui sont passées de 17 % à 25 %. Répondre à des appels d’offres au lieu de présenter un projet pour obtenir son financement a fortement modifié les rapports entre la puissance publique et le secteur associatif, en alourdissant les charges de ce dernier et en générant une concurrence perverse entre ses principaux opérateurs. De plus, le phénomène a contribué à la disparition d’associations de taille moyenne (9 % en cinq ans) insuffisamment outillées pour soumissionner à des marchés publics et qui pourtant contribuaient au lien social.

    « Pour faire face à cette situation, les associations ont dû augmenter sensiblement leurs ressources d’origine privée, les faisant passer à 51 % de leurs ressources totales (…), amenant les associations à tirer aujourd’hui la part prédominante de leurs ressources de financements privés. Si l’on ajoute le bénévolat, seule contribution volontaire en nature estimée, les financements privés atteignent entre 62,7 et 82,5 milliards d’euros selon les calculs indiqués. »

    Comme vous le faites dans le rapport appuyant la création de cette commission d’enquête, nous constatons que la baisse des fonds publics est parfois compensée, pour certaines associations, par une augmentation sensible des participations demandée aux usagers ou adhérents, ce qui se traduit par une concentration progressive de l’action vers un public encore solvable – jusqu’à ce que les entreprises privées se saisissent de ces « niches » d’activités en dénonçant une concurrence déloyale du fait de la modicité des tarifs proposés !

    Est-il imaginable que les associations se trouvent, à terme, cantonnées aux seules activités accessibles à un public non solvable ? Ou, a contrario, qu’elles soient amenées à orienter leurs activités vers un public disposant d’un minimum de revenus afin de pérenniser leur existence au détriment du projet initial ?

    Les associations dénoncent également les obligations de plus en plus nombreuses auxquelles elles sont soumises, les contrôles de toutes natures qui génèrent des coûts rarement pris en compte alors qu’elles prennent sur leurs fonds propres pour financer les conséquences de ces normes et obligations. À titre d’exemple, les associations qui organisent la distribution de l’aide alimentaire en provenance de l’Union européenne – tels les Restos du cœur, la Croix-Rouge, le Secours populaire, la Banque alimentaire – se trouvent contraintes de mettre en place une comptabilité analytique très pointue, des logiques de gestion de stock avec chambres froides et transports frigorifiques, la mise en place d’outils informatiques pour orchestrer la traçabilité des produits distribués, etc.

    Dans ce contexte, les difficultés financières s’accroissent et fragilisent non seulement le fonctionnement – les subventions pour celui-ci sont en net recul –, mais aussi le bénévolat, puisque les bénévoles se voient imposer des contraintes administratives généralement éloignées des missions pour lesquelles ils se sont engagés.

    Votre rapport évoque les nouveaux moyens de mobilisation de la générosité publique, notamment par le biais des plateformes proposant un « financement participatif ou collectif » – autrement dit, le crowdfunding. Pour séduisant qu’il paraisse, le dispositif n’est pas sans danger. Il donne l’illusion d’une collecte dédiée uniquement à un projet – souvent un microprojet – en occultant l’idée même de fonds nécessaires au fonctionnement et à la gestion. Il se traduit en outre par une forme assez curieuse de compte rendu au donateur : pour un petit don, on a droit à un petit compte rendu, pour un gros don, on a accès au compte rendu complet et au suivi du projet ! Cette hiérarchisation de la transparence en fonction des moyens consentis par le donateur peut nuire considérablement à l’image de l’association engagée dans un projet, et ce d’autant plus que les donateurs sont nombreux.

    Au-delà des aspects financiers, demeure la question des ressources humaines en bénévoles et en salariés. Michel de Tapol vous exposera les questions que le HCVA a abordées. Pour ma part, je me permets d’insister sur l’espoir qu’a suscité l’annonce d’un congé d’engagement. Bon nombre de bénévoles, par ailleurs en activité professionnelle, souhaitent pouvoir s’investir davantage, prendre une part plus active aux décisions et à la vie démocratique. L’accès à un congé d’engagement aurait également le mérite de contribuer à une démarche d’éducation populaire en donnant à cette partie de la population les moyens d’agir.

    Lors de nos débats, nous avons également relevé l’inquiétude de certaines associations concernant l’emploi associatif, qui se trouve souvent lié à une logique d’emplois aidés, faiblement rémunérés et peu qualifiés. Une certaine précarité est ainsi engendrée par ceux-là même qui la condamnent, et les emplois associatifs se trouvent largement orientés vers une démarche d’insertion sociale et professionnelle sans que les moyens de cette insertion soient mobilisés.

    Le monde associatif ne se résume pas aux grandes associations, aux grandes coordinations, aux grands réseaux, pas plus qu’il ne se limite aux très petites associations, qui apparaissent parfois comme les seules capables d’innover. Il est multiple, riche de sa diversité : c’est ce qui fait son originalité. Sa force réside aussi dans sa capacité d’invention et d’innovation, à condition qu’il puisse, en toute indépendance, poursuivre son développement.

    M. Thierry Guillois. Il y a bien longtemps que le secteur associatif n’a pas suscité autant d’intérêt et de travaux de la part du Parlement. En moins de deux ans, plusieurs rapports ont été remis, notamment celui de Mme Valérie Rabault et de MM. Yves Blein, Jérôme Guedj et Régis Juanico sur l’impact de la mise en œuvre du crédit d’impôt compétitivité emploi sur la fiscalité du secteur privé non lucratif, et celui du Sénat sur l’aide à domicile, présenté hier. Il faut également saluer le projet de loi relative à l’économie sociale et solidaire, ainsi que le travail que vous engagez dans la présente commission d’enquête.

    Je tiens donc à vous exprimer toute ma gratitude. Jusqu’à présent, on nous tenait plutôt des propos très généraux sur le poids des associations en chiffre d’affaires et en nombre de salariés, sur les perspectives ouvertes en matière de développement du salariat, etc. Peu nombreux étaient ceux qui s’intéressaient aux difficultés du secteur. Or celles-ci sont le reflet des difficultés que traverse la société française depuis plusieurs années.

    En tant que président de la commission juridique et fiscale du HCVA, j’ai dirigé les travaux qui on mené à la publication du rapport sur le financement privé des associations que Mme Valérie Fourneyron nous avait commandé. Sans répéter ce que viennent de vous dire Mme Viviane Tchernonog et M. Jean-Pierre Vercamer, je souhaite appeler votre attention sur les grandes tendances qui affectent le secteur. Je souscris entièrement à ce qui vient d’être dit sur le crowdfunding : derrière ces dispositifs se cachent bien souvent des opérateurs privés à but lucratif, et le gain n’est pas toujours à la hauteur des espoirs suscités par des personnes qui manient très bien la communication ! Plus généralement, si l’on n’y prend garde, le mouvement de bascule qui s’opère actuellement vers une recherche de nouveaux financements privés par tous les moyens conduira le secteur dans une impasse économique et financière. Beaucoup d’associations dépendant de l’aide publique pour accomplir une mission d’intérêt général ne peuvent déjà plus exercer pleinement leur activité. On le voit par exemple en matière d’aide à domicile : le recul du pouvoir d’achat d’un très grand nombre de familles fait plonger le secteur.

    Comment parvenir à maintenir le modèle économique associatif sans le faire basculer dans le champ du marché et de ses instruments ? Le projet de loi relative à l’économie sociale et solidaire essaie de donner une nouvelle actualité aux titres participatifs et associatifs dont M. Vercamer vantait tout à l’heure les mérites. Or ce texte soulève beaucoup d’interrogations. Les banquiers estimaient que le risque qu’ils prennent avec les titres associatifs est insuffisamment rémunéré. Le ministère de l’économie et des finances les a fort bien entendus et ouvre la possibilité d’une meilleure rémunération.

    Aujourd'hui, l’ESFIN-IDES, filiale du Crédit coopératif, n’a que deux lignes de titres associatifs, alors que cet établissement a pour vocation de souscrire des titres associatifs en très grand nombre !

    Lors de réunions avec des agents du Trésor, nous avons cherché des solutions. Il a finalement été décidé de permettre par la loi un supplément de rémunération pour ces titres, ce qui porte leur rémunération totale à 7 % environ, soit le taux du marché obligataire + 2,5 % + 2,5 %. Alors que, comme le rappelait M. Vercarmer, une association est une entreprise qui doit pouvoir payer ses salaires, se doter d’un minimum de matériel, recruter des personnels compétents, investir, comment imaginer qu’elle puisse, demain, rémunérer des titres à 6 ou 7 % ? C’est tout simplement impossible !

    Compte tenu de la restriction constatée des crédits publics, nous redoutons beaucoup une inflexion vers une logique d’instruments de marché, qu’il s’agisse des titres, du crowdfunding ou, plus simplement, de la recherche de nouveaux débouchés ou de l’augmentation des prix des prestations. Dès lors, la question de la concurrence se pose de façon aiguë.

    Jusque dans les années 1980, les associations ne se trouvaient pas sur des marchés concurrentiels. Lors du grand essor associatif de l’après-guerre – mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, professionnalisation du secteur de la santé et du secteur médico-social grâce à la sécurité sociale, développement du tourisme consécutif aux lois de 1936, etc. –, on ne se posait pas la question. On était en pleine reconstruction, l’argent public ne manquait pas, les modifications concernaient surtout l’extension du champ d’action du secteur, par exemple, aux droits des immigrés, aux droits des femmes, etc.

    Le mouvement de bascule commence quelques années après les deux crises pétrolières. Se développent alors un nombre croissant d’associations d’insertion économique et de développement local. On oublie un peu, et je le regrette, ce qui a permis à beaucoup d’entre nous, formés à l’école de l’éducation populaire – ou confessionnelle, du reste – de devenir ce qu’ils sont. Cette formation de l’adolescent trouve bien souvent sa traduction dans un pratique politique, institutionnelle, militante, bénévole.

    À partir de 1980, il faut à la fois parer au plus pressé et répondre à toutes les obligations réglementaires et légales que Bruxelles et Paris nous font tomber dessus. Les associations doivent recruter de plus en plus de professionnels pour constituer des dossiers à l’intention de la Commission européenne, notamment. Certes, à la faveur de la décentralisation, les départements, les communes et les régions ont compensé l’érosion continue des crédits d’État. La tendance s’inverse toutefois en 2011, comme Mme Tchernonog vous l’a expliqué : la manne globale des aides publiques diminue.

    Je le répète, cette évolution peut se révéler désastreuse car nous en sommes réduits à adopter un fonctionnement de marché qui n’est pas le nôtre. J’en veux pour preuve deux exemples.

    D’abord celui des établissements d’accueil pour personnes âgées. Sans doute certains d’entre vous ont-ils été administrateurs ou présidents d’une maison de retraite communale. Il y a vingt ou trente ans, ces établissements accueillaient tous les publics, ce qui leur permettait de faire leur propre mutualisation afin de recevoir des personnes relevant de l’aide sociale et n’ayant pas les moyens de payer le même prix que les personnes plus aisées. Entretemps, cette dernière catégorie a été attraite par la concurrence : les Jardins d’Arcadie, les Hespérides, etc. Dans la même période, en effet, l’hôtellerie a effectué un redéploiement, voyant dans les personnes âgées un débouché que son activité classique ne lui offrait plus.

    Depuis, les associations se sont regroupées, restructurées, mais elles doivent à la fois gérer la pénurie, appliquer toutes les nouvelles réglementations sur le handicap et la dépendance et accueillir des personnes qui n’ont pas le moyen de payer le juste prix de la prestation fournie.

    Le deuxième exemple est celui de l’aide à domicile, où les associations sont confrontées à la concurrence soit de petites entreprises, soit d’entreprises plus importantes offrant des prestations de jardinage, de restauration, d’accompagnement de personnes âges. Or le secteur lucratif écrème ce qui est intéressant pour lui et laisse aux ADMR (Aides à domicile en milieu rural), à l’UNA (Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles) ou à d’autres des publics qui n’ont pas les moyens de payer une aide de 6 ou 7 heures par semaine.

    Étant donné l’importance de l’enjeu, nous avons souhaité nous faire notre idée de la situation de chaque secteur. Nous avons ainsi reçu les représentants du tourisme associatif non fiscalisé – ou ce qu’il en reste –, du secteur sanitaire et médico-social, des secteurs sportif et culturel, ainsi que de celui de l’éducation populaire.

    Je regrette qu’un amendement de M. Yves Blein au projet de loi de finances rectificative, voté par votre Assemblée dans la nuit de mercredi à jeudi dernier, aboutisse –contre l’intention de son auteur, cela ne fait pas de doute – à assujettir au versement transport la quasi-totalité du secteur médical et médico-social. L’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) et la FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne) évaluent le coût de cette taxe supplémentaire à environ 300 millions d’euros par an. Comme Mme Marisol Touraine l’a elle-même reconnu, les agences régionales de santé, les caisses d’assurance maladie et les caisses d’assurance vieillesse ne pourront évidemment pas assumer cette nouvelle charge. Le mouvement associatif s’emploie à alerter le Sénat pour qu’il modifie ce texte, car l’enjeu est considérable. Jusqu’à présent, le Gouvernement s’était toujours engagé à sanctuariser le périmètre de l’exonération actuelle.

    Le secteur du sport, quant à lui, est menacé par une bombe à retardement. Aujourd'hui, très peu d’associations sont propriétaires de leurs équipements : ce sont les collectivités qui les mettent à leur disposition à titre gracieux. Or une disposition du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire tend à rendre obligatoire l’inscription de la valorisation de ces mises à disposition à la fois dans les comptes des communes et dans ceux des associations. Ce n’est pas à vous que j’apprendrai que l’amortissement d’un stade sur une année, divisé par les tranches horaires affectées aux différents clubs, peut représenter des sommes colossales en face desquelles, bien évidemment, l’association n’a aucune recette à inscrire ! En outre, les collectivités ne sont plus à même de rénover les équipements sportifs comme elles le faisaient il y a dix ou vingt ans. Comment le secteur du sport pourra-t-il surmonter ces difficultés, alors que l’on continuera à lui demander d’amener les jeunes à la pratique sportive et de les former à différents niveaux ?

    Permettez-moi maintenant d’exposer les propositions de notre rapport, articulées autour de trois axes.

    Le premier est celui du développement des activités privées des associations. Dans le sauve-qui-peut actuel en matière de financements publics, nous sommes contraints de nous retourner vers la seule ouverture qui s’offre à nous. Sachant que le mécénat est en régression d’un point par an en moyenne depuis 2006 et que les associations ne peuvent plus jouer beaucoup sur les cotisations, il ne leur reste plus que la vente de prestations. Je vous ai dit ce que je pensais de cette option. En outre, si les associations vendent davantage de prestations ou en augmentent le prix, elles se heurtent à la fiscalité.

    Par parenthèse, j’ai participé aux négociations qui ont conduit à l’instruction fiscale de 1998, celle qui a permis de pacifier les relations entre les associations, la concurrence commerciale et les pouvoirs publics. Or, dans ce texte, le critère de distinction entre activités lucratives et non lucratives n’est pas l’utilité sociale, mais la concurrence. En d’autres termes, on est d’utilité sociale parce que l’on ne concurrence personne et parce que l’on s’adresse à des publics qui n’intéressent pas le secteur lucratif. Je considère qu’il faut inverser cette logique de marché et tenir compte de l’apport des associations à la vie de la société. Au moment où nous abordons de nouveau cette question avec l’administration fiscale, nous avons besoin de votre soutien.

    Le deuxième axe est la consolidation des fonds propres. J’ai déjà parlé du titre associatif. Le projet de loi relative à l’économie sociale et solidaire comprend également une disposition qui devrait apporter une bouffée d’oxygène : la possibilité, pour toutes les associations, de percevoir des revenus locatifs, donc d’avoir des immeubles de rapport. Nous suggérons par ailleurs la création de foncières éthiques pour l’accueil d’urgence des personnes en difficulté ou sans abri. Enfin, le projet de loi reprend notre proposition tendant à favoriser les fusions et regroupements d’associations.

    Le troisième axe est la sécurisation des mécanismes d’appel à la générosité publique. Nous avons veillé à ce que le projet de loi de finances rectificative ne diminue pas à nouveau les réductions et déductions existantes, nous y veillerons lorsque le projet de budget pour 2015 arrivera en discussion.

    M. Michel de Tapol. Le rapport présenté en mai dernier à l’appui de la création de cette commission d’enquête montre que vous avez déjà délimité les principales difficultés qui peuvent freiner la dynamique associative ; c’est pourquoi j’axerai mon intervention sur des propositions concrètes pour que les associations, conformément à l’intitulé de votre commission, « puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social ».

    Mon angle d’attaque sera donc le bénévolat, mais je ne puis m’exonérer de d’une considération d’ordre général au sujet de ce qui pèse sur son exercice.

    Au-delà de la crise actuelle qui perdure, les difficultés du monde associatif viennent aussi d’une évolution assez sensible de la manière dont les pouvoirs publics – État et collectivités territoriales – organisent leurs relations avec les associations.

    Pour schématiser on pourrait dire que, du temps de l’État-providence, ce partenariat était assez simple : en échange d’une participation à la construction du bien commun, l’État subventionnait ; les associations, elles, réalisaient.

    Aujourd’hui, ce mode de relation a changé. La subvention a largement fait place à des procédures de passation de marché et d’appel d’offres. Dans ce contexte concurrentiel, les associations ont dû s’organiser en conséquence. Professionnalisation du bénévolat, optimisation des coûts, recherche permanente d’efficacité, ont sensiblement changé la nature même de l’engagement, comme en témoignent les appellations devenues courantes de « bénévolat de compétence » ou de « mécénat de compétence ».

    Le marqueur de la réalité associative est aujourd’hui l’« utilité économique ». Cette fonction n’est pas critiquable en soi, mais nombre des difficultés que vous soulignez dans le rapport préalable prennent leur source dans cet écartèlement de l’identité même des associations, tiraillées qu’elles sont entre l’efficacité mesurable et la spontanéité des pionniers du lien social.

    Vous le savez, le champ originel des associations était de satisfaire des besoins non solvables et souvent complexes. Le génie associatif réside dans l’innovation, l’expérimentation. Proches de nos concitoyens, les associations peuvent apporter de nouvelles réponses aux défis de la communauté nationale et ces réponses n’ont pas de prix, même si leur valeur est considérable.

    Qu’adviendrait-il de ces associations qui font largement appel au bénévolat, comme « Le Rire médecin » ou « Les Matelots de la vie » qui apportent joie, rêve, espoir et volonté à des enfants gravement malades, mais qui, faute de pouvoir justifier leur apport économique direct, n’entreraient plus dans les cadres institués d’un financement ? Elles sont légions !

    Vous souhaitez mettre en exergue par les travaux de votre commission la nécessité de financer non pas seulement l’action mais aussi le fonctionnement des associations. Nous sommes bien là au cœur d’une exigence qui concerne les 12 millions de bénévoles attachés au secteur associatif. Ceux-ci doivent être encadrés, formés, soutenus, reconnus, valorisés. Ils apportent à notre société cette dimension profondément humaine et novatrice et participent à la construction d’une citoyenneté active.

    Dans un document d’orientation centré sur le « socle » du bénévolat, le HCVA fait cinq propositions d’action : mieux appréhender la réalité associative dans sa diversité ; mieux faire connaître les dispositifs existants en faveur des bénévoles ; clarifier les relations entre les associations et leurs bénévoles ; mieux assurer un accès effectif à l’engagement associatif bénévole pour tous ceux qui le souhaitent ; construire une gouvernance à l’image du monde associatif.

    Un engagement précoce a toutes les chances de se poursuivre tout au long de la vie. C’est pourquoi nous proposons trois mesures destinées à favoriser l’engagement bénévole des jeunes.

    Premièrement, nous préconisons que l’école, à l’instar de ce qui se passe dans certains pays étrangers comme le Canada, devienne un lieu source qui abrite l’apprentissage à la citoyenneté et favorise prise de connaissance et participation à la vie associative. Ce projet permettra également de fédérer éducateurs et familles autour du jeune dans une relation constructive.

    Deuxièmement, instituons des assises de jeunes bénévoles, dans un esprit semblable à celui du Parlement des enfants ou des conseils municipaux des jeunes. Au-delà de la médiatisation potentielle, la responsabilisation des jeunes est de nature à modifier le regard que la société porte sur eux.

    Troisièmement, faisons aboutir le projet de modification de la majorité associative afin que de jeunes mineurs puissent prendre des responsabilités associatives à partir de seize ans.

    J’en viens maintenant à la question du bénévolat des actifs et des personnes en recherche d’emploi.

    Se fondant sur l’avis que le HCVA a rendu sur le congé d’engagement, le ministère en charge de la vie associative a souhaité mettre en place un groupe de travail qui formulerait des propositions. Les travaux de ce groupe arrivent à leur terme et devraient faire l’objet d’une communication dans les semaines à venir.

    Par ailleurs, à la suite d’une saisine du même ministère, le HCVA s’est penché sur le dispositif de la validation des acquis de l’expérience bénévole associative. Ce dispositif qui a fait ses preuves est d’autant plus nécessaire qu’il s’adresse à des personnes en difficulté d’emploi. Après avoir constaté différentes difficultés qui jalonnent le parcours de validation, le HCVA a fait un certain nombre de propositions, dont celle de réactiver un comité interministériel de la validation des acquis de l’expérience (VAE) pour faciliter la mise en œuvre de ses recommandations. Or le poste dédié à la VAE, mis en place par le précédent gouvernement et qui devait permettre d’optimiser le fonctionnement du comité, n’est plus pourvu aujourd’hui.

    Il convient aussi d’être attentif à la reconnaissance accordée aux seniors, en se gardant toutefois de leur attribuer, comme le prônait le précédent gouvernement, un statut particulier ou une forme de récompense. Étant moi-même senior et bénévole, je revendique le droit à être traité comme tout le monde !

    Enfin, la question du renouvellement des instances dirigeantes reste d’actualité. Disposer d’une gouvernance exemplaire fédérant autour de leur projet l’ensemble des parties prenantes est une exigence pour les associations. Cette gouvernance encore à construire mobilise de nombreux acteurs de la vie associative, en particulier le HCVA, le Mouvement associatif et la Fonda.

    Mme Françoise Dumas, rapporteure. Merci pour ces interventions très riches et très denses, qui nous conduisent à nous demander ce que devient la solidarité dans le monde actuel.

    Vous évoquez le besoin de compenser la baisse des financements publics par des financements privés, mais aussi l’apparition de nouveaux besoins et de nouveaux risques. À ce titre, peut-être certains dispositifs sont-ils frappés d’obsolescence, y compris dans le secteur médico-social. La demande a évolué et il peut y avoir un écart temporel entre l’évolution des besoins de la société et les réponses qui leur sont apportées, puis l’adaptation des collectivités territoriales – dont la réforme amènera certainement tous les acteurs à redéfinir leur position.

    À titre d’exemple, la demande de prise en charge médico-sociale des personnes âgées ou handicapées a évolué. Il existe sans doute des formes d’intervention plus souples et moins onéreuses, et les associations peuvent être aussi force de proposition, quels que soient leur taille, leur statut et leur source de financement.

    C’est un débat de fond. Quelle nouvelle forme de solidarité voulons-nous pour l’avenir ? Que devons-nous préserver ? Compte tenu de la raréfaction de la ressource publique, comment adapter le service rendu tout en conservant la liberté d’initiative des associations et leur indépendance à l’égard des différents lobbies, qu’ils soient cultuels, privés ou industriels ?

    M. le président Alain Bocquet. Nous partageons la quasi-totalité de votre défense de la vie associative. Cela étant, les associations sont diverses et il ne faut pas tomber dans l’angélisme, notamment en matière de sport. Même si je suis maire d’une ville élue « ville la plus sportive de France » en 2005, je crois que certaines associations, et surtout leurs fédérations, devraient balayer devant leur porte. S’il est un domaine de la vie associative qui est pollué par l’argent et où la passion l’emporte sur la raison, c’est bien celui-ci. Lorsque, comme cela arrive, 62 % des ressources d’un club remontent vers la fédération sous forme de licences, de pénalités, etc., on va dans le mur ! Le contexte est bien différent de celui de l’aide à domicile ou de l’action social.

    Au surplus, les règles ne cessent de changer. Les collectivités se voient contraintes de changer le tracé du terrain de basket-ball, de remplacer les panneaux… Bref, le secteur sportif mérite un examen à part.

    M. Thierry Guillois. N’assistons-nous pas, dans le sport également, à une fracture entre ceux qui deviennent de plus en plus riches et ceux qui s’appauvrissent ?

    M. le président Alain Bocquet. D’autant que le bénévolat tend à disparaître dans ce domaine.

    M. Thierry Guillois. Ailleurs, pourtant, jamais la solidarité en nature n’a été aussi vivace. La solidarité financière, elle, subit les effets de la crise : lorsque l’on donnait 100 ou 50 l’année dernière, on ne donne plus cette année que 80 ou 40.

    Je pense néanmoins, madame la rapporteure, que certains réseaux, associations ou mutuelles ont réalisé un réel effort d’adaptation de l’offre de service aux nouvelles demandes ou contraintes du public des personnes âgées, pour ne prendre que cet exemple. Il existe des organismes qui proposent une gamme très développée de possibilités d’accompagnement. La maison de retraite n’est plus la solution unique. On essaie de maintenir la personne à domicile autant que faire se peut. Néanmoins, si le coût du maintien à domicile est inférieur au coût du séjour dans un établissement, la prise en charge n’est pas automatiquement la même. Il y a là un sujet de réflexion, sachant que l’inflexion que connaît actuellement le secteur a partie liée avec les difficultés des conseils départementaux et avec la contraction du pouvoir d’achat des ménages.

    Mme la rapporteure. La solidarité familiale a également changé.

    M. Thierry Guillois. Oui. On doit malheureusement constater que les structures familiales ont explosé et ne sont plus là pour assurer la solidarité.

    Dans ma profession d’avocat, il m’est arrivé d’être commis pour accompagner des personnes en garde à vue. Une nuit, dans un commissariat de Nanterre, je dois assister un adolescent. Celui-ci m’oppose une totale absence de communication. Je demande alors au brigadier s’il a prévenu les parents. Il l’avait fait, et s’était vu répondre, comme à l’accoutumée : « Gardez-le ! On n’en veut plus ! » Le commissariat récupérait le gamin tous les matins. Sans doute ces phénomènes ne concernent-ils pas toute la population, mais c’est aussi cela, la réalité. Comment imaginer que la personne, par la suite, pourra accompagner un grand-père ou une grand-mère dont elle n’a pas grand-chose à faire ?

    M. le président Alain Bocquet. Merci pour votre contribution. Nous resterons en contact avec le Haut Conseil pendant la durée de nos travaux.

    L’audition s’achève à midi trente.

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du jeudi 3 juillet 2014 à 11 h 40

    Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, Mme Françoise Dumas, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Yannick Favennec, M. Régis Juanico, Mme Barbara Pompili.

    Excusés. M. Martial Saddier, M. Jean-René Marsac, M. Guillaume Chevrollier, M. Frédéric Reiss, M. Michel Lesage, Mme Edith Gueugneau, Mme Sophie Dion, M. Philippe Vitel, M. Paul Salen, Mme Julie Sommaruga.