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Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

MERCREDI 3 SEPTEMBRE 2014

Séance de 18 heures 

Compte rendu n° 9

Présidence de
M. Alain BOCQUET, Président

Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Audebert, chef du bureau des associations et fondations au ministère de l’intérieur

    L’audition débute à dix-huit heures dix.

    M. le président Alain Bocquet. Le bureau des associations et fondations que vous dirigez, monsieur Audebert, exerce les compétences dévolues au ministère de l’intérieur en matière d’application et d’évolution de la législation concernant la vie associative, ainsi que de tutelle sur les associations et fondations reconnues d’utilité publique.

    Comme nous vous l’avons indiqué lors des contacts préalables à cette audition, nous souhaitons que vous apportiez à notre commission des éclairages sur les tendances récentes de la dynamique associative et sur le risque d’érosion de la place et du rôle des associations dans le tissu social. Par ailleurs, quels sont les enseignements à tirer de l’exercice de la tutelle sur les associations et fondations reconnues d’utilité publique ?

    Avant de vous donner la parole, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    (M. Patrick Audebert prête serment.)

    M. Patrick Audebert, chef du bureau des associations et fondations. Le ministère de l’intérieur exerce la compétence régalienne vis-à-vis des associations. Les préfets reçoivent les déclarations de création, de modification et de dissolution des associations dites « simplement déclarées ». Ils ont également pour mission de délivrer les attestations de non-opposition aux libéralités – legs, donations, etc. – que certaines associations peuvent recevoir. Ces libéralités étaient auparavant soumises à un régime d’autorisation que la loi Warsmann de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures est venue assouplir il y a quelques années.

    La tutelle des établissements et fondations reconnus d’utilité publique est quant à elle « copartagée » par l’administration centrale du ministère et les préfectures. Le ministère a la charge de la procédure de reconnaissance d’utilité publique, qui fait l’objet d’un décret en Conseil d’État, et exerce ensuite sa tutelle sur les établissements, contrepartie des avantages et du label dont ceux-ci bénéficient. Les préfets exercent également cette tutelle, selon l’emplacement du siège social.

    Le rôle du ministère de l’intérieur est donc assez différent de celui de la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA), dont vous venez d’entendre le représentant et qui s’occupe davantage de la dynamique associative, des subventions, des agréments, du bénévolat, etc.

    Les chiffres que vous m’avez transmis avant cette audition sont conformes aux nôtres : il y a aujourd’hui en France 1,2 million d’associations. Le répertoire national des associations (RNA), tenu à jour par les préfectures et relevant l’existence de toutes les associations vivantes, nous permet d’avoir une vision précise des évolutions. Ce milieu est extrêmement dynamique : nous enregistrons environ 70 000 créations par an et environ 250 000 modifications, ce qui représente un travail assez important pour les préfectures.

    Il existe par ailleurs 1 933 associations reconnues d’utilité publique (ARUP). Ce chiffre est relativement stable. Chaque année, nous accordons la reconnaissance d’utilité publique à quinze à vingt nouvelles entités et nous abrogeons, après avis du Conseil d’État, une dizaine de décrets de reconnaissance d’utilité publique – ce qui ne signifie pas, précisons-le, que les associations sont dissoutes ou disparaissent.

    Ces abrogations ne sont pas la conséquence de contentieux ou de difficultés : très souvent, ce sont les associations qui renoncent d’elles-mêmes à la reconnaissance d’utilité publique parce qu’elles n’en ont pas l’usage. Cette reconnaissance est un label de sérieux sur lequel on peut appuyer une communication auprès du public ou de mécènes éventuels, et elle ouvre la « grande capacité juridique », qui donne la possibilité de recevoir des libéralités. Mais les associations qui utilisent peu le label et reçoivent peu de dons et de libéralités peuvent considérer que la tutelle est un peu lourde et préfèrent y renoncer.

    Il existe aussi un mouvement de fusion, voire de transformation d’associations. Beaucoup d’entre elles, ont le sait, interviennent dans le domaine médico-social, où les Agences régionales de santé (ARS) encouragent fortement le regroupement des structures, préférant s’adresser à des entités relativement importantes plutôt qu’à une myriade de petites associations.

    Parallèlement, on assiste à un mouvement de transformation d’associations en fondations. Certaines associations en effet, dans le domaine médico-social, de la jeunesse en plein air, des colonies de vacances, etc., détiennent parfois un patrimoine abritant leurs activités, tandis que le nombre de leurs membres décroît et que leur gouvernance se fait un peu vieillissante. Elles choisissent alors de se transformer en fondation pour mettre ce patrimoine à l’abri.

    Rappelons que la clé de voûte – et la richesse – d’une association, ce sont ses adhérents, alors qu’une fondation consiste d’abord en un patrimoine. Or le patrimoine d’une fondation reconnue d’utilité publique, sa dotation, est inaliénable et inconsomptible. La valeur minimale de cette dotation – qui peut très bien être un bien immobilier – est de 1,5 million d’euros. La fondation ne peut pas en disposer, ce qui permet de s’assurer de la pérennité du bien au fil de l’évolution de la gouvernance.

    Parmi les difficultés que rencontrent les associations, nous constatons dans les dossiers que nous instruisons une légère érosion des dons et des cotisations. Les associations sont également confrontées à une augmentation de la part de la commande publique par rapport aux subventions, l’évolution de la législation européenne imposant désormais à l’État et aux collectivités territoriales un système d’appels d’offres transparent qui, de fait, met les associations en concurrence avec le secteur privé. En outre, les budgets des conseils départementaux en matière d’aide sociale diminuent. Je siège, en tant que représentant du ministère de l’intérieur, aux conseils d’administration d’une trentaine de fondations à Paris – étant chargé de la tutelle, le ministère siège dans pratiquement toutes les fondations reconnues d’utilité publique –, où l’on regrette que ces budgets, de même que ceux des autres collectivités et des ARS, soient de plus en plus serrés. Les fondations et les associations se trouvent parfois contraintes de prendre sur leur substance pour financer ce que l’argent public ne finance plus.

    Enfin, il ressort des procès-verbaux des assemblées générales – notamment en ce qui concerne le nombre de présents – que l’investissement associatif est en diminution. Sans aller jusqu’à parler de vision « consumériste » des associations, il existe sans doute une difficulté à renouveler les bénévoles et les adhérents, et à trouver des administrateurs. Souvent, pour modifier les statuts d’une association reconnue d’utilité publique, il faut recourir à une assemblée générale extraordinaire parce que l’on n’a pas atteint le quorum d’un quart des adhérents qu’imposent les statuts types validés par le Conseil d’État. Il y a là un signe de perte de dynamisme.

    Cela dit, nous ne devons pas opposer le secteur associatif au secteur privé ou à l’action des pouvoirs publics. Le monde associatif, par sa réactivité, son ancrage dans les territoires, sa connaissance des besoins des populations, leur est complémentaire dans de nombreux domaines. Il a toute sa place, et cela doit être reconnu dans le débat entre commande publique et subvention.

    Dans ce paysage, quelle est l’action du ministère de l’intérieur ?

    Tout d’abord, nous sommes à l’origine d’une disposition de la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire qui prévoit un élargissement du périmètre des associations pouvant recevoir des libéralités. Jusqu’à présent, seules les associations ayant pour but exclusif l’assistance, la bienfaisance, la recherche scientifique ou médicale, étaient concernées. Il n’était pas toujours facile pour les préfets de se prononcer : il suffisait que l’association ait une petite activité annexe pour ne pas bénéficier de cette qualification, au demeurant quelque peu désuète – on pense à la philanthropie des dispensaires et des orphelinats sous le Second Empire. La nécessité de soutenir des populations en difficulté, surtout en période de crise, n’a pas diminué, mais d’autres missions d’intérêt général, telles que le développement durable, la protection des animaux, la défense de la langue française, l’action humanitaire, etc., méritent d’être retenues. Le législateur a donc modifié l’article 6 de la loi de 1901 : dès lors que l’ensemble des activités d’une association est mentionné au b du 1 de l’article 200 du code général des impôts – condition qui, par ailleurs, donne lieu au rescrit fiscal –, cette association pourra recevoir des libéralités, ce qui élargira le financement des actions d’intérêt général. Sur notre proposition également, il a été décidé que ces associations ne seraient plus obligées de vendre les biens immobiliers reçus par legs ou par donation : elles pourront les conserver comme immeubles de rapport, de manière à diversifier leurs sources de financement.

    Parallèlement à ce renforcement des avantages des associations déclarées d’intérêt général, nous avons proposé de renforcer les avantages des associations reconnues d’utilité publique en leur permettant l’achat d’immeubles de rapport. Ces mesures devraient apporter de l’air frais au monde associatif.

    Sur le plan des procédures administratives, il est désormais possible sur tout le territoire national – à l’exception de l’Alsace-Moselle, où le droit local nécessite quelques ajustements – de déclarer, modifier ou dissoudre une association par une simple déclaration sur internet. La préfecture ne fait que valider les documents qui lui sont envoyés. Ceux-ci figurent ensuite au RNA et sont publiés au Journal officiel sans qu’il soit nécessaire de les saisir à nouveau. Le récépissé est envoyé dans le porte-documents de l’associé internaute.

    La procédure dématérialisée dite de e-création a été généralisée au début de 2013. Aujourd’hui, 45 % des déclarations se font par internet, avec des inégalités selon les territoires, puisque le taux atteint 65 % à Paris. Les procédures de modification et de dissolution, généralisées en février 2014, sont un peu plus lentes à démarrer puisque nous n’avons pas encore atteint les 5 %. Après avoir identifié certaines raisons de ce moindre succès – référencement du site sur internet, notamment –, nous nous efforçons, avec nos partenaires, de communiquer plus largement pour rattraper ce retard.

    Enfin, la loi relative à l’économie sociale et solidaire ouvre au Gouvernement la possibilité de prendre par ordonnance des mesures de simplification. Dans ce cadre, le ministère de l’intérieur réfléchit à l’allégement de certaines modalités de l’exercice de sa tutelle sur les associations reconnues d’utilité publique.

    Mme Françoise Dumas, rapporteure. Vous avez beaucoup parlé des associations reconnues d’utilité publique. Il est vrai que nous avons en France une très grande diversité d’associations, que ce soit par le type, par la taille, par la raison sociale ou éthique. À cet égard, pensez-vous que la définition du statut associatif dans la loi de 1901 est toujours adaptée ? Ne doit-elle pas faire l’objet de transformations ? Entendez bien qu’il ne s’agit en aucun cas de la supprimer : le monde associatif est une chance inouïe pour la France et nous devons continuer à défendre à travers le monde ce « troisième pouvoir » très actif et porteur de valeurs.

    Par ailleurs, au vu des raisons sociales des associations, comment exercez-vous votre contrôle a posteriori ? Voyez-vous apparaître des difficultés nouvelles qui mériteraient d’être analysées dans le cadre de nos travaux ?

    M. Régis Juanico. La loi relative à l’économie sociale et solidaire compte plusieurs mesures destinées à faciliter le quotidien des associations. Ainsi, les associations reconnues d’utilité publique pourront effectuer tous les actes de la vie civile, comme l’acquisition ou la gestion d’immeubles.

    Lors de la discussion du projet, l’Assemblée nationale avait souhaité ajouter une disposition relative à la pré-majorité associative. Après un débat de haute tenue en commission mixte paritaire, les sénateurs se sont finalement opposés à une modification de la loi de 1901 sur ce point. Nous souhaitions que tout mineur, quel que soit son âge, puisse devenir librement membre d’une association sans avoir à justifier d’une autorisation préalable des parents. Nous propositions également que les mineurs de plus de seize ans puissent effectuer des actes de création ou d’administration, à la condition expresse qu’il n’y ait pas d’opposition des parents.

    Quelle est la position de votre administration sur ces deux sujets ? Quels sont les motifs qui s’opposent à ces avancées ?

    M. le président Alain Bocquet. Les statistiques dont nous disposons sur la vie associative – nombre, taille, orientation, etc. – paraissent parfois insuffisantes. La multiplicité des associations et la diversité de leurs activités font que nous avons du mal à appréhender le sujet.

    M. Patrick Audebert. Le dynamisme associatif – 70 000 créations par an – tend à montrer que le statut de 1901 répond à un réel besoin. On nous envie ce dispositif à l’étranger. Les délégations étrangères que nous recevons sont surprises, en particulier, par son libéralisme. Elles s’étonnent que l’on puisse créer une association sans contrôle, sans que le préfet puisse s’y opposer, sans qu’il ait compétence liée, et que l’on ne contrôle ni la nationalité des membres ni l’objet de l’association. Le préfet n’a la possibilité de saisir la justice que s’il estime qu’il peut y avoir atteinte aux bonnes mœurs, à la forme républicaine du gouvernement, etc., mais, autant que je me souvienne, je n’ai encore jamais rencontré un tel cas. Il est douteux, d’ailleurs, que des personnes animées de telles intentions songent à constituer une association !

    Incidemment, il me semble que ce sont aujourd’hui les sites internet qui peuvent faire concurrence aux associations. Là où l’on créait une association dans le dessein de se rassembler pour mener une action, il est possible désormais de se regrouper – sans avoir la personnalité morale, certes –, de discuter et d’échanger sur différents sites.

    Le statut associatif sert à tout. Il y a par exemple des associations « transparentes » auxquelles les collectivités ou l’État recourent parfois pour gérer des services publics. Cela n’est pas illégal, mais le juge peut être amené à requalifier l’organisme. Il n’est pas non plus interdit aux associations de se livrer à des activités commerciales, pour peu que celles-ci soient soumises au fisc.

    Bref, le dynamisme des associations et la variété des usages qu’en font nos concitoyens montrent que la structure reste très adaptée et très actuelle. Peut-être par manque de recul, je ne vois pas très bien ce que l’on pourrait amender dans cette procédure où il suffit d’être deux personnes, de se réunir, d’élaborer des statuts et de les déposer à la préfecture.

    En matière de contrôle des associations, je crois que le plus important est celui qu’exercent les donateurs. Il faut de la transparence. Aujourd’hui, les associations qui reçoivent plus de 153 000 euros de subventions ou de dons doivent avoir un commissaire aux comptes et mettre en ligne leurs comptes sur le site de la direction de l’information légale et administrative (DILA). Peut-être ce dispositif n’est-il pas assez connu, d’autant qu’il est parfois difficile de retrouver sur ce site l’association que l’on recherche. Mais, aujourd’hui, la plupart des associations ont leur site. Il faut qu’elles y fassent figurer leurs comptes. Nul n’est meilleur contrôleur que la personne qui a donné une somme d’argent grosse ou petite et qui se renseigne sur son utilisation.

    La générosité des Français est un trésor, mais un trésor fragile – on l’a vu avec l’affaire de l’ARC (Association pour la recherche sur le cancer) survenue il y a une vingtaine d’années, qui a donné lieu à de nouvelles dispositions de contrôle. De tels événements peuvent entamer la confiance des Français dans les associations. Un contrôle est nécessaire, d’autant que les dons faits aux associations remplissant une mission d’intérêt général donnent droit à des déductions fiscales, qui se traduisent par de moindres rentrées pour l’État.

    S’agissant de la pré-majorité associative, monsieur Juanico, le ministère de l’intérieur avait clairement exprimé son opposition aux dispositions que vous évoquez. Nous avions d’ailleurs rencontré à ce sujet le rapporteur du texte, M. Yves Blein. Le dispositif actuel, issu d’un amendement de Mme Marland-Militello adopté il y a deux ou trois ans, nous semble équilibré : toute personne, quel que soit son âge, peut être membre d’une association, mais, pour qu’un mineur de plus de seize ans puisse participer à son administration, il faut la non-opposition des parents et il reste constant que les mineurs ne peuvent pas faire des actes de disposition. Nous avons voulu ainsi protéger les mineurs et leurs parents. Selon le code civil, les mineurs ne peuvent pas faire d’actes. Leur permettre d’administrer une association à partir de seize ans est déjà une mesure assez généreuse et libérale.

    Les statistiques figurant dans le document que vous m’avez transmis sont justes, monsieur le président. Je peux vous en fournir d’autres, notamment thématiques, puisque le RNA indexe chaque association avec des codes qui renvoient à des domaines et à des sous-domaines. Je pense que les secteurs majoritaires sont le médico-social et la culture.

    Par ailleurs, nous mettons en ligne sur notre site la liste, actualisée tous les trimestres, des associations et des fondations reconnues d’utilité publique. Il est possible de trier les organismes par département, par thème, etc.

    M. le président Alain Bocquet. Toutes les statistiques un peu fines nous seront utiles. Merci pour votre contribution.

    L’audition s’achève à dix-huit heures trente.

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du 3 septembre 2014 à 18 h 10

    Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, M. Guillaume Chevrollier, Mme Françoise Dumas, M. Régis Juanico, Mme Bernadette Laclais, M. Jean-René Marsac, M. Frédéric Reiss, M. André Schneider.

    Excusés. – M. Martial Saddier, Mme Sophie Dion, M. Philippe Vitel.

    Assistait également à la réunion. M. Eric Straumann