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Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

MARDI 30 SEPTEMBRE 2014

Séance de 17 heures 

Compte rendu n° 18

Présidence de
M. Alain BOCQUET, Président

Table ronde sectorielle « Santé – Prévention » :

– M. Gérard Labat, membre du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), président de la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (FNAIR),

– M. Gérard Raymond, administrateur du Collectif interassociatif sur la santé, secrétaire général de l’Association française des diabétiques (AFD),

– M. Alain Legrand, directeur général d’AIDES,

– M. Jean-Pierre Gaspard, secrétaire général de l’AFM-Téléthon (Association française contre les myopathies).

    L’audition débute à dix-sept heures.

    M. le président Alain Bocquet. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue à cette nouvelle table ronde « sectorielle », consacrée aujourd’hui à la santé et à la prévention.

    Le sens de votre action est multiple. Il s’agit de défendre les droits des malades, d’œuvrer pour une offre de soins organisée et solidaire, de préserver l’accès de tous aux soins, de promouvoir la santé et la qualité de vie des personnes malades, mais aussi de les aider à préserver leur autonomie.

    Au-delà de cette perspective commune, n’y a-t-il pas un écart considérable entre les associations plus centrées sur les droits des malades et celles qui sont gestionnaires d’établissements médicaux ou médicosociaux ? Dans quelle mesure la crise économique qui sévit depuis quelques années affecte-t-elle le dynamisme de vos associations ? Avez-vous besoin d’établir un nouveau partenariat avec la puissance publique ?

    Mais, au préalable, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    (MM. Gérard Labat, Gérard Raymond, Alain Legrand et Jean-Pierre Gaspard prêtent serment)

    M. Gérard Raymond, administrateur du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), secrétaire général de l’Association française des diabétiques. Les associations œuvrant pour la santé ont été consacrées par la loi du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ». Grâce à cette loi et les suivantes – loi sur la politique de santé en 2004, et loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) en 2009 –, le droit collectif de nos associations a été réaffirmé, en particulier par la reconnaissance de notre rôle de représentants des usagers de la santé, ce qui nous permet de siéger dans plusieurs instances collectives, comme le Conseil de la Caisse nationale de l’assurance maladie.

    Ce droit de représentation des patients et des usagers de la santé implique pour nos associations de réfléchir à leur positionnement en termes de stratégie et de fonctionnement. En effet, un grand nombre d’entre elles, au départ amicales, sont devenues de réels acteurs de santé capables de faire des propositions sur l’évolution du système de santé.

    L’engagement bénévole, si beau soit-il, a des limites. Pour remplir notre mission de représentants des usagers et d’acteurs de la santé, nous devons faire des propositions attrayantes à nos bénévoles, mais aussi leur offrir des formations. Or le recrutement et la formation des personnes bénévoles nécessitent des financements importants.

    En outre, l’accompagnement par les pairs sur la pathologie chronique est certainement, à côté de l’éducation thérapeutique et de l’engagement des professionnels de santé, un axe positif au regard de ce que l’on appelle l’observance ou la nécessité d’être acteur de sa propre santé. Là encore, l’engagement bénévole nécessite des formations – à la connaissance de la maladie, à l’écoute, à l’accueil et l’accompagnement avec empathie.

    Or aujourd’hui, la « démocratie sanitaire » ne nous permet pas de former l’ensemble de nos bénévoles actifs. Certes, il est nécessaire aujourd’hui pour l’ensemble des associations d’améliorer leur fonctionnement en termes de projet associatif et de poursuive leurs efforts de transparence, mais les institutions politiques doivent aussi nous permettre de relever ce défi de la « démocratie en santé ».

    En conclusion, si vous voulez aider le CISS et l’AFD à jouer leur rôle de représentants des usagers et d’acteurs de la santé pour améliorer la qualité de vie des populations atteintes de pathologies chroniques, nous avons besoin de passer un contrat avec l’État qui nous permette de financer les formations et l’engagement bénévole.

    M. Alain Legrand, directeur général d’AIDES. Notre association a été touchée par un plan de sauvegarde de l’emploi, avec la suppression de 10 % de ses effectifs, ce qui vous donne une idée des difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle.

    Créée en 1984 à l’initiative du sociologue Daniel Defert et reconnue d’utilité publique en 1990, AIDES est la première association française de lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales en France et l’une des plus importantes au niveau européen. AIDES est aujourd’hui présente dans plus de 70 villes françaises, au plus près des personnes touchées, et entretient de nombreux partenariats à l’international. Nous revendiquons 150 000 adhérents donateurs, 420 salariés, 800 volontaires et 1 500 acteurs intervenant sur les actions. Notre budget s’élève à 40 millions d’euros et est financé à égalité, comme la plupart des grandes associations, par des financements publics et des financements privés. Afin d’optimiser et de rationaliser les frais de structure, AIDES a fusionné l’ensemble des associations indépendantes qui étaient labellisées AIDES entre 2002 et 2007.

    En se situant dans le champ de la promotion de la santé, notre démarche est axée sur une mobilisation active des personnes séroconcernées par le VIH et les hépatites virales, l’identification des besoins, la priorisation des orientations politiques, et l’élaboration de réponses. Elle permet à des personnes vulnérables d’accéder à des postes à responsabilités dans notre association : la décision politique au sein d’AIDES appartient aux volontaires – le nom que nous donnons aux bénévoles.

    AIDES se veut aussi une force de propositions et revendique le rôle de transformateur social. Nous avons joué un rôle majeur en termes de représentation des patients et avons participé à la création du CISS. Nous sommes présents dans tous les combats auprès des populations vulnérables, touchées par le VIH et les hépatites virales.

    Notre volontariat a tendance à rajeunir, probablement parce que notre association offre un vrai dispositif de formation, certes cher, mais qui va jusqu’à proposer la certification par un diplôme, en particulier du Conservatoire national des arts et métiers. Cette co-construction avec le CNAM est désormais accessible à l’ensemble des associations.

    Au titre de la formation, nous pensons intéressant d’étendre le droit individuel à la formation (DIF) des salariés aux personnes exerçant un bénévolat ou un volontariat actif. Cette mesure pourrait probablement être financée par une quote-part sur les financements publics dans la mesure où les projets intègrent la valorisation du volontariat. De la même manière, nous pensons utile de prévoir le financement de la validation des acquis de l’expérience (VAE) pour les jeunes et les personnes vulnérables en recherche d’emploi exerçant un volontariat, ce qui inciterait davantage de jeunes à s’engager dans le volontariat.

    Pour une organisation comme AIDES, la ressource sûre n’est malheureusement pas l’argent public ; c’est l’argent privé, malgré la crise, qui joue le rôle de régulation.

    Pour rationaliser nos coûts, nous avons fusionné l’ensemble de nos comités, une convention pluriannuelle de 2007 ayant prévu le financement de la structure, la gestion, les ressources humaines, la formation, bref tout ce qui permet de soutenir un réseau local. En 2010, lors du renouvellement de cette convention, et alors que notre dotation chutait de 20 %, il nous a été indiqué que la structure ne pouvait plus être financée et que seules les actions le seraient. Avec la Direction générale de la santé (DGS), nous avons alors trouvé un montage selon lequel un siège mène des actions. Or aujourd’hui, alors que nous nous apprêtons à renouveler cette convention pour 2015, on nous dit que le financement de l’action ne relève pas des services centraux, mais des agences régionales de santé (ARS). On ne peut donc pas dire que l’État soit cohérent quant aux orientations données aux associations en matière de financements ! D’où une grande incertitude sur nos financements.

    Pour le financement local par les agences régionales de santé – j’ai envie de dire la toute-puissance des directeurs des ARS –, je prends l’exemple de la Martinique, où l’épidémie de VIH est assez élevée. Sur ce territoire, le budget de notre délégation territoriale s’élève à un peu plus de 200 000 euros, avec principalement des missions de délégation de santé publique. Selon un courrier, que je tiens à votre disposition, notre subvention représente 10 % de ce montant, soit 20 000 euros. Mais le plus choquant n’est encore pas ce montant, c’est la volonté des ARS d’exercer un pouvoir de contrôle sur l’ensemble des actions menées par l’association – comme si la délégation de santé publique s’imposait à l’ensemble du projet associatif. De la même façon, lors de la présentation d’un projet d’un montant de 100 000 euros, par exemple, 50 000 euros sont octroyés et, dans la majorité des cas, l’ARS maintient l’ensemble des activités, comme si vous aviez présenté un budget avec 50% de marge… À nous de nous débrouiller !

    Ainsi, la prévention continue à être le parent pauvre ou la variable d’ajustement des budgets, la crise actuelle accentuant cette vision à court terme privilégiant le soin.

    J’ai écouté avec beaucoup d’attention les arguments contre les appels à projet avancés lors des auditions précédentes. Tout en partageant les inquiétudes et le constat sur ce mode d’attribution des financements, je souhaite apporter une note positive. Certes, l’appel à projet est susceptible de tuer l’innovation s’il est élaboré dans un bureau sans aucune concertation avec les représentants des publics concernés. Néanmoins, s’il repose sur un appel à idées – terme utilisé dans cette enceinte – et une véritable concertation en vue de la constitution d’un cahier des charges intégrant une part d’innovation, je ne vois pas où est le problème. N’oublions pas que l’attribution non transparente de certains financements – la reconduite systématique de financements sur les mêmes projets auprès des mêmes opérateurs – ne favorise pas l’innovation. En définitive, le plus important réside dans le dosage entre appels à projet et projet pérennes.

    J’en viens à nos propositions.

    Il faut bien sûr soutenir les conventions pluriannuelles, car une visibilité à moyen terme – par exemple sur 4 ans – est très favorable à nos actions.

    Nos associations devraient avoir la possibilité de générer des excédents, surtout lorsqu’ils sont réalisés grâce à la collecte privée. Montrer du doigt les associations et leur supprimer des financements publics pour cause d’excédents en fin d’année – alors que ces excédents peuvent avoir été générés sur les ressources privées – est très dommageable et aboutit à fragiliser considérablement nos associations.

    Au lieu de supprimer les actions qui ne sont plus efficientes, les ARS ou les collectivités locales devraient instaurer le droit à l’innovation et à l’adaptation des actions, ce qui nous éviterait d’hésiter à proposer de nouveaux projets, voire d’en abandonner certains parce que quand on propose d’en abandonner, on est sûr de perdre les financements.

    L’association AIDES abonde par les financements privés l’ensemble des actions conduites, quel que soit le territoire sur lequel elles se déploient. Lorsque notre présence sur un territoire relève uniquement de la volonté d’un financeur privé, les actions devraient être financées intégralement par celui-ci, a fortiori lorsque les données épidémiologiques sont relativement faibles par rapport à d’autres territoires.

    Afin de sécuriser la collecte privée, il faudrait envisager la possibilité pour les associations d’amortir la constitution d’un fichier donateurs – de la même manière que les entreprises peuvent amortir un fichier clients. Cela nous permettrait de diversifier nos modes de financement.

    En outre, si les économies de structure doivent bénéficier aux financeurs, elles doivent aussi permettre aux associations d’investir dans de nouvelles adaptations et dans l’innovation. C’est un principe gagnant/gagnant.

    L’élaboration d’un plan par un ministère devrait au minimum être assortie du budget correspondant. Nous devons en effet rendre des comptes sur des plans non financés, dont certains même ont été mis en œuvre pour le VIH.

    Nous demandons également une harmonisation des évaluations et des bilans d’activité. Si le modèle CERFA est largement utilisé, le mode de restitution est totalement hétérogène avec des indicateurs différents au niveau des collectivités locales et des ARS. Or ces multiples modes de restitution sont particulièrement chronophages.

    Si la rationalisation, la mutualisation sont de belles idées, elles ne sont malheureusement plus financées aujourd’hui. Les têtes de réseau ont pourtant consenti des efforts sans précédent pour améliorer le support à la qualité des actions, la formation des acteurs, le développement d’outils de gestion, etc. Or aujourd’hui, seule les actions sont financées, le financement des structures étant devenu un sujet tabou. C’est comme si l’État pouvait se passer de son administration centrale… Aussi proposons-nous d’instituer une quote-part de frais de siège sur l’ensemble des actions soutenues par l’État ou les collectivités territoriales, calculée sur le service rendu par la tête de réseau, mais opposable à l’ensemble des financeurs publics. Ce dispositif existe dans le secteur médicosocial, mais n’est pas reconnu pour le champ de la prévention.

    Enfin, il convient de développer la place des représentants des associations dans l’ensemble des instances de la démocratie sanitaire et d’assurer le financement de cette représentation. Les acteurs investis dans le secteur associatif de la santé auraient ainsi le sentiment de participer aux décisions de la Nation, au lieu de se sentir considérés par l’État, les ARS et les collectivités comme de simples opérateurs.

    M. Gérard Labat, membre du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), président de la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (FNAIR). L’association que je représente est beaucoup plus petite que celle de mes confrères. La FNAIR a été créée en 1972 avec pour objectif d’améliorer le sort et les soins des personnes souffrant d’insuffisance rénale, une pathologie très mal connue du grand public.

    À défaut de prévention, pour laquelle nous n’avons pas les moyens, nous menons des actions de sensibilisation et de dépistage. La FNAIR est une association reconnue d’utilité publique, mais depuis plus de dix ans, elle n’a pas touché un centime de financement public. Elle fonctionne uniquement sur fonds privés, si bien que lorsque la suspicion s’en mêle, les choses deviennent très difficiles pour nous. Toutes nos associations veillent à diversifier le plus possible les donateurs – à ne pas dépendre d’un seul donateur –, de façon à préserver leur équilibre. Nous avons encore été attaqués récemment à ce sujet.

    Au surplus, nous sommes dans le collimateur cette année dans la mesure où la LFSS 2014 prévoit un champ d’expérimentation sur l’insuffisance rénale chronique. Nous devons donc répondre à de multiples convocations – j’ai moi-même été convoqué quatre fois la semaine dernière par diverses instances afin d’évoquer les aspects de l’insuffisance rénale –, ce qui est particulièrement chronophage et nécessite une certaine technicité. Or nos bénévoles sont vieillissants, peu renouvelables, et nous devons leur offrir un minimum de formation pour leur éviter de faire figure de potiche dans ce genre de commission. Tous ces problèmes se posent à nous au quotidien.

    En conclusion, toute solution susceptible d’améliorer notre financement sera la bienvenue. Le projet d’« Institut du patient », évoqué par la ministre, constitue-t-il une réponse ?

    M. Jean-Pierre Gaspard, secrétaire général de l’AFM-Téléthon (Association française contre les myopathies). Je tiens à vous remercier d’avoir convié l’AFM-Téléthon à cette audition sur les difficultés du monde associatif, sujet particulièrement prégnant dans le contexte de crise. J’ai bien sûr une pensée pour les petites et moyennes associations dont les difficultés sont ô combien plus importantes que la mienne. Je tenais à le souligner car, depuis plus de vingt-cinq ans, le Téléthon est organisé grâce à l’élan de générosité publique – qui représente une centaine de millions d’euros, soit environ 80 % de nos ressources –, mais aussi grâce à l’engagement de milliers d’associations locales présentent sur le territoire.

    Chaque année, le Téléthon mobilise 5 millions de Français dans les rues, dont 1 million font un don, et 200 000 bénévoles nous aident à organiser cette magnifique opération de générosité publique au début du mois de décembre. Par ailleurs, tout au long de l’année, nous avons la responsabilité directe ou indirecte d’environ 1 000 salariés.

    Je développerai quatre thèmes.

    Le premier est le financement public. Je suis tout à fait solidaire des propos tenus devant votre commission sur les difficultés engendrées par la raréfaction de l’argent public, néanmoins je ne développerai pas ce point. En effet, pour la « maison » que je représente, la générosité des donateurs se substitue au financement public.

    Notre première mission sociale consiste à mettre au point des traitements pour les malades. Dans ce cadre, nous finançons nos propres laboratoires – fédérés au sein de l’Institut des biothérapies des maladies rares –, mais aussi des unités de recherche d’organismes publics français – INSERM, CNRS, AP-HP, etc. Ainsi, l’argent du donateur finance une partie de la recherche en se substituant au financement public.

    Notre seconde mission sociale est la prise en charge et l’accompagnement des malades dans l’attente de la découverte d’un traitement. Notre établissement situé près d’Angers, unique en France, accueille une cinquantaine de patients en situation d’extrême dépendance, auxquels sont prodigués des soins renforcés nécessaires à la qualité et à la sécurité de leur vie. Ce type de soins n’entrant pas dans le cadre des mécanismes de tarification actuels, l’AFM-Téléthon, grâce à la générosité exceptionnelle des Français, complète le budget de cet établissement pour un montant de l’ordre de 1 million d’euros par an.

    Le deuxième thème a trait au développement du financement privé. À l’appui de mon propos, je vais évoquer les deux piliers fondamentaux de notre association.

    Le premier pilier est l’innovation : innovation scientifique pour les médicaments, les biothérapies ; innovation sociale en lien avec le regard de la société sur les personnes en situation de handicap. Inscrite dans nos gènes, cette innovation doit être préservée pour faciliter le développement du financement privé. La mission parlementaire confiée à l’un de vos collègues sur la simplification du monde associatif y contribuera probablement.

    Le second pilier est l’intérêt général. Si depuis tant d’années les Français continuent à nous soutenir avec une telle générosité, c’est parce qu’ils ont bien compris que nous menons des actions d’intérêt général. Il me semble particulièrement important de préserver cette garantie de l’intérêt général dans le cadre du développement du financement privé des actions du monde associatif. À cet égard, le rapport sur le développement du financement privé, remis par le Haut conseil à la vie associative au précédent gouvernement, nous semble intéressant, notamment sur le volet mécénat.

    Au-delà du financement, l’un des enjeux du monde associatif est le développement de l’emploi. Je veux ici pointer deux difficultés.

    La première est relative à la taxe sur les salaires. Ainsi, sous prétexte que les associations ne sont pas soumises aux impôts commerciaux, notamment la taxe à la valeur ajoutée, nous subissons une double peine : la taxe sur les salaires – dont le poids est considérable pour des structures comme les nôtres – et la non-récupération de la TVA sur nos dépenses soumises à TVA. Certes, un abattement a été voté récemment pour la taxe sur les salaires, mais uniquement pour les plus petites associations.

    Seconde difficulté – qui me fait dire que nous subissons en réalité une triple peine – : les associations ne bénéficient pas du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

    Je tenais à souligner ce thème, car l’emploi est primordial pour nos associations et, plus encore, pour l’ensemble du tissu social en France.

    Le quatrième thème important à nos yeux réside dans l’évaluation des actions associatives. Il y a une vingtaine d’années, le monde associatif français s’est attaché à améliorer la transparence financière de ses activités, laquelle, grâce notamment aux contrôles des commissaires aux comptes ou d’organismes tels le Comité de la charte du don en confiance, est aujourd’hui de niveau comparable à celle observée à l’étranger. Par contre, l’AFM-Téléthon plaide pour une meilleure évaluation a posteriori des actions du monde associatif français, idéalement sous l’égide de la puissance publique, ce qui favoriserait du même coup la nécessaire professionnalisation des salariés et des bénévoles, domaine dans lequel notre pays accuse un retard par rapport à certains pays étrangers.

    En conclusion, l’important à mes yeux est la création d’un cercle vertueux entre financements, emplois, évaluation et professionnalisation des pratiques.

    Mme Françoise Dumas, rapporteure. Merci pour la qualité de vos interventions.

    La professionnalisation des salariés implique une constance dans les interventions. Elle peut certainement être menée en lien avec l’État ou les collectivités territoriales.

    Avez-vous le sentiment que le bénévolat évolue, qu’il rajeunit ? Devient-il plus volatile ?

    Enfin, avez-vous des craintes au regard de la réforme territoriale ?

    M. Jean-Louis Bricout. Merci de vos témoignages.

    Beaucoup de nos concitoyens souhaitent savoir comment sont utilisés leurs dons. Percevez-vous parfois des doutes quant à l’utilisation des sommes perçues ? Quelles actions de transparence mettez-vous en place ? Les outils législatifs peuvent-ils être améliorés, selon vous, pour faciliter cet effort de transparence ?

    La sensibilisation en milieu scolaire demeure essentielle. Monsieur Legrand, menez-vous des actions en ce sens dans les établissements ? Cela est-il plus difficile depuis quelque temps, ressentez-vous une certaine hostilité depuis l’émergence de certains débats de société qui ont pu réveiller des conservatismes ? Comment pouvons-nous faciliter et pérenniser ces actions ?

    Comme vous, j’estime anormal que vous soyez privés de fonds publics en cas d’excédents issus des collectes privées. En tant que maire, je mets en place des ratios, en déterminant avec les associations les parts d’effort respectives de l’action publique, des adhérents et des autres financements, notamment le mécénat. Cette méthode des ratios vous paraît-elle intéressante ?

    Enfin, au moment du Téléthon, les collectivités sont fortement sollicitées pour installer des chapiteaux, des tables, des chaises, etc. Avez-vous une idée du montant de ces charges supplétives, monsieur Gaspard ?

    M. le président Alain Bocquet. Êtes-vous confrontés à des problèmes de renouvellement de vos organes de direction ?

    M. Gérard Raymond. L’Association française des diabétiques tente, elle aussi, de professionnaliser son fonctionnement au regard son projet associatif.

    Nous constatons une modification du champ associatif, y compris de l’engagement des bénévoles. En effet, il y a dix ou quinze ans, nous étions des amicales chargées d’organiser le concours de pétanque ou la galette des rois, mais aujourd’hui, nous voulons être des acteurs de santé. Par conséquent, le recrutement des bénévoles a évolué : pour en attirer de nouveaux, nous devons leur offrir des formations et leur présenter des objectifs valorisants. Nous avons donc des cahiers des charges, nous recrutons et formons des bénévoles et, soyons clairs, nous les sélectionnons – l’accompagnement par les pairs n’est pas à la portée de tous. Cela nous amène en interne à signer une charte : la formation d’un patient bénévole à l’accompagnement par les pairs nous coûte environ 1 500 euros, et nous demandons aux personnes formées de s’engager dans la structure associative pendant un ou deux ans. Aussi une meilleure reconnaissance de l’État au regard de cet engagement, avec des aides à la formation en particulier, nous faciliterait-elle la tâche.

    La réforme territoriale nous pose un réel problème, mais la réforme de la gouvernance de la santé nous préoccupe également, car un texte de loi prévoit un équilibrage pour les uns, un rééquilibrage pour les autres. La gestion des risques, du ressort des caisses primaires d’assurance maladie, pourrait se retrouver dans le champ des ARS ; il est donc important pour nous de savoir auprès de quelle instance nous devrons déposer les projets pour être en mesure de poursuivre nos missions d’acteurs de santé.

    Nos financements sont à 70 % privés. Ces legs et dons sont ciblés : si nous recevons un don pour la formation des patients, il ira à la formation des patients. Nous assurons une totale transparence en la matière et notre site Internet vous renseigne sur notre budget et l’ensemble de nos financements.

    L’éducation à la santé fait partie de nos objectifs, et nous avons mis au point un programme de sensibilisation sur l’équilibre nutritionnel et l’activité physique à destination des jeunes de neuf à onze ans dans les établissements scolaires. Nous avons souhaité obtenir l’agrément de l’Éducation nationale, auprès de laquelle nous avons déposé un dossier, mais celle-ci nous a répondu que le contenu de notre projet était trop axé sur la santé publique, et pas assez sur les sciences naturelles… Espérons que la future loi nous apportera une reconnaissance en la matière.

    La professionnalisation de notre action suppose de professionnaliser notre fonctionnement, puisque nous avons des charges fixes – rémunérations des salariés, paiement des loyers, etc. L’AFD se doit d’être parfaitement transparente sur ses dépenses, mais aussi totalement indépendante quant à ses financements. Le CISS est lui-même d’une totale transparence en la matière.

    M. Jean-Pierre Gaspard. Pour l’AFM-Téléthon, comme pour nombre d’associations, la transparence financière est un devoir au regard de la générosité des Français. Il est nécessaire d’expliquer à nos concitoyens pourquoi nous faisons appel à eux et comment nous menons nos actions. L’émission télévisée est un outil exceptionnel pour toucher le public et apporter cette information, mais nous diffusons également de manière classique des informations aux donateurs et plus largement aux Français.

    Des mécanismes comptables ont été mis en place, comme le compte d’emploi annuel des ressources collectées, certainement perfectible, mais qui est une bonne chose. L’enquête de la Cour des comptes auprès des dix associations bénéficiant de la plus grande générosité du public, dont nous faisons partie, aboutira certainement à des recommandations sur ce sujet à l’initiative d’associations comme la nôtre.

    Le compte d’emploi des ressources collectées implique pour l’AFM-Téléthon de valoriser à la fois le bénévolat et les prestations en nature accordées par telle mairie ou telle association. Nous nous attachons bien évidemment à rendre cette valorisation totalement transparente à l’égard de nos donateurs.

    M. Alain Legrand. Notre président, Bruno Spire, a l’habitude de dire que nous ne sommes ni des infectiologues, ni des immunologues, mais des « rienologues ». Aussi les compétences acquises par les personnes touchées par la maladie doivent-elles être valorisées. Des compétences spécifiques sont également requises.

    À cet égard, notre association a été à l’initiative de la démédicalisation du dépistage du VIH, en particulier avec le dépistage rapide réalisé par des volontaires ou des salariés de notre association. Vous imaginez le regard porté sur ces acteurs non médicaux : le moindre faux pas dans la réalisation de ces tests serait immédiatement sanctionné. Or à ce jour nous n’avons jamais rencontré de problèmes, notamment en matière de rupture de confidentialité, contrairement au dispositif public.

    Ce dispositif de dépistage demande, au minimum, six jours de formation initiale et cinq jours de formation continue pour l’ensemble des intervenants – sans compter la formation continue tout au long de l’année. Or cela n’est pas financé, cela n’est même pas prévu dans le financement du dépistage. Nous avons un financement à l’acte, de 25 euros seulement, alors que nous intervenons auprès de populations extrêmement vulnérables sur des sites où la puissance publique ne veut pas aller – lieux de consommation sexuelle, milieux festifs en pleine campagne, etc. Or ces interventions requièrent des compétences très importantes et des formations qui nous coûtent très cher. Last but not least, le coût du dépistage mené par ces acteurs est aujourd’hui dix fois moins élevé que le dépistage classique réalisé en France.

    Au sein de notre organisation, la notion de « compétences » ne signifie pas forcément professionnalisation avec acquisition d’un diplôme reconnu. Nos acteurs ont des compétences de terrain, liées à leur investissement et à leur situation personnelle au regard de la maladie.

    Je ne m’attarderai pas sur le traçage des dons. Nous sommes tous bénéficiaires de labels de transparence et tous les documents sont communiqués via nos sites Internet. Ils sont d’ailleurs demandés par les donateurs vis-à-vis desquels nous avons un devoir de transparence.

    Selon nous, c’est à l’Éducation nationale d’intervenir en milieu scolaire pour mener des actions de sensibilisation au VIH. Nous concentrons notre énergie et nos moyens sur les personnes les plus vulnérables au VIH, chez lesquelles l’épidémie se développe : détenus, toxicomanes, homosexuels, personnes prostituées. Nous serons probablement plusieurs dans cette salle à avoir connu le début et la fin de l’épidémie – elle sera éradiquée dans vingt à vingt-cinq ans, c’est simplement une question de moyens. Cet espoir est un facteur de motivation et peut favoriser le militantisme dans notre organisation.

    Nous appliquons nous-mêmes des ratios puisque nos dons privés sont affectés en fonction des priorités politiques et des données épidémiologiques sur les territoires. Nous affectons 40 % de nos financements privés dans les territoires prioritaires comme l’Ile-de-France ou les départements français d’Amérique, et 40 % à 10 % sur l’ensemble du territoire, afin de compléter les financements publics. Nos ratios sont parfaitement transparents. En retour, nous demandons la même transparence de la part de la puissance publique, mais aussi des financements, car nos actions de dépistage, d’accompagnement des personnes vers le soin à l’hôpital, de maintien dans le soin, constituent de véritables missions de service public au bénéfice du dispositif de santé national.

    Enfin, la première volonté des militants est de s’engager dans l’action, et non d’occuper des responsabilités. Mais il y a les combats, les colères… Nous intervenons plus spécifiquement auprès d’une population scolaire victime de discriminations que sont les jeunes gays. Ces combats sont motivants et amènent les gens à prendre des responsabilités, et nos formations à la responsabilité associative leur permettent de travailler sur les projets associatifs dans les territoires et de s’investir au niveau national.

    M. Gérard Labat. Notre association est très petite et certains de nos bénévoles sont encore en activité. Une personne de quarante-quatre ans récemment greffée, et donc relativement disponible, m’a expliqué refuser ma proposition de prendre des responsabilités au sein de l’association, car sa première préoccupation est de retrouver un emploi à temps plein pour nourrir sa famille.

    La FNAIR compte cinq salariés et n’a pas les moyens d’en avoir plus.

    Par contre, l’emploi de nos malades – maintien dans l’emploi, retour à l’emploi après des périodes de soins lourds et contraignants – constitue une de nos préoccupations. Nous avons en effet reçu de nombreux témoignages de personnes qui, après avoir annoncé leur insuffisance rénale à leur employeur, ont été immédiatement mises au placard, alors qu’elles ne vivent pas encore les contraintes lourdes de la dialyse.

    La FNAIR regroupe 24 associations régionales dont les interlocuteurs principaux sont actuellement les ARS. La réforme territoriale nous dira quel sera notre interlocuteur principal – pour l’instant, j’ai entendu parler de région et non d’ARS.

    Nos dons sont fléchés et figurent sur des comptes bancaires séparés et affectés à des actions définies. Nous avons entre autres un compte dédié aux séjours des jeunes dialysés pour lesquels nous organisons des séjours de vacances leur permettant d’aller à la plage, de faire du sport, tout en poursuivant leurs soins.

    Quant au thème du renouvellement des organes de direction, il est lié au problème de vieillissement de nos bénévoles qui ont pris des responsabilités. Je suis aujourd’hui à ce poste un peu par hasard : comme j’étais le dernier arrivé et que peu de gens étaient disponibles, on m’a dit : « Tu t’y colles ! ».

    M. le président Alain Bocquet. Merci beaucoup, messieurs, de vos témoignages.

    L’audition s’achève à dix-huit heures dix.

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du 30 septembre 2014 à 17 h 

    Présents. – M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Françoise Dumas, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Régis Juanico, Mme Bernadette Laclais.

    Excusés. – M. Jean-René Marsac.