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Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social

Séance de 18 heures 

Compte rendu n° 19

Présidence de
M. Alain BOCQUET, Président

Table ronde sectorielle « Éducation populaire » :

– Mme Françoise Doré, trésorière du Comité pour les relations nationales et internationales des Associations de jeunesse et d’éducation populaire (CNAJEP) ;

– M. Jean-Pierre Ledey, président de Planète Sciences ;

– M. Didier Jacquemain, délégué général de la Fédération nationale des Francas ;

– M. Karl Deschamps, secrétaire national délégué aux vacances à la Ligue de l’enseignement ;

– M. Jean-Luc Cazaillon, président du Collectif des associations partenaires de l’école (CAPE), et Mme Catherine Chabrun, représentante du CAPEMARDI
30 septembre 2014

    L’audition débute à dix-huit heures dix.

    M. le président Alain Bocquet. Mesdames, messieurs, avec cette table ronde consacrée à l’éducation populaire, c’est à un monument du monde associatif que touche aujourd’hui notre commission d’enquête.

    Lorsqu’on parle d’éducation populaire, on pense facilement à un âge d’or de la vie associative militante, avec le risque de verser dans une nostalgie déplacée. Car l’éducation populaire est tout aussi nécessaire aujourd’hui que pendant les cinquante glorieuses années de l’après-guerre. Nous allons évoquer les difficultés de ce secteur, les solutions qu’il peut avancer, voire l’opportunité de réinventer un modèle.

    Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

    (Mme Françoise Doré, MM. Jean-Pierre Ledey, Didier Jacquemain, Karl Deschamps, Jean-Luc Cazaillon et Mme Catherine Chabrun prêtent serment)

    Mme Françoise Doré, trésorière du Comité pour les relations nationales et internationales des Associations de jeunesse et d’éducation populaire (CNAJEP). Mesdames et messieurs les députés, le contexte de cette année 2014 ne peut que nous interpeller. Le livre de Viviane Tchernonog sur le paysage associatif délivre des informations précises et montre que les associations sont de taille, de structure et de fonctionnement très divers et qu’elles peuvent être ou non des employeurs. Depuis quelques années, on observe un tassement de l’emploi associatif, même si les associations continuent à faire preuve de vitalité. Toutefois, depuis 2010, on note un fléchissement qui montre leurs difficultés.

    Il faut pourtant se méfier des idées reçues. On parle beaucoup de la crise du bénévolat. Dans les associations, si l’on se soucie, en effet, du renouvellement des cadres, des administrateurs et des gens qui portent les activités, il y a, dans notre secteur, une vitalité et une capacité d’initiative porteuses d’espoir.

    S’agissant du financement public, le CNAJEP étudie chaque année les lois de finances et le budget opérationnel du programme « Jeunesse et vie associative », qui montrent que nous connaissons des difficultés particulières en ce qui concerne le soutien aux associations. En 2013, la ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative a fait le choix de maintenir le soutien aux associations et aux têtes de réseaux nationales. Toutefois, l’écart est important entre les têtes de réseau nationales et les associations locales, qui ne vivent sans doute pas la même réalité. Les associations rencontrent aujourd’hui des difficultés financières, du fait du tassement des crédits d’État, et deviennent plus vulnérables au plan national comme régional. Les associations, au niveau national, n’existent que parce qu’elles peuvent mettre en synergie leurs actions, le terrain et ce qu’il se passe dans toutes nos belles régions de France.

    J’en viens à ce que j’appelle le « mythe » du mécénat, autrement dit le financement privé. Les associations s’emploient depuis plusieurs années, avec plus ou moins de succès, à diversifier leurs ressources. Pour autant, les financements privés ne parviendront pas à pallier la baisse des financements publics. Des possibilités innovantes pour résoudre les problèmes financiers apparaissent, comme KissKissBankBank ou le crowdfunding. Nous doutons fortement que ce soit la bonne solution pour nous, les ressources que nous recherchons n’étant pas à la même échelle. Les ressources des associations sont donc marquées par une réelle précarisation. L’objectif, au plan national, étant de diminuer les dépenses publiques, les orientations budgétaires pour 2015-2017 ne peuvent que nous inquiéter. On constate d’ailleurs, depuis 2007, une baisse de 24 % des concours destinés à la vie associative.

    Dans notre secteur, les orientations 2015-2017 le montrent, l’engagement se résume le plus souvent à des dispositifs. Le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports va encourager la montée en puissance du service civique, ce qui ne fera que déplacer les difficultés.

    M. Jean-Pierre Ledey, président de Planète Sciences. Planète Sciences est un petit réseau, puisque nous avons un réseau de délégations régionales, en parallèle avec l’association nationale. Notre association est plus modeste et dédiée à la culture scientifique et technique.

    Planète Sciences a cinquante ans d’existence. C’était, au départ, une association de clubs aérospatiaux, qui s’est développée au début des années quatre-vingt, avec l’expansion de la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI) dans d’autres thématiques, et qui a mis en place les délégations territoriales, qui comptent aujourd’hui 70 permanents, 150 vacataires et touchent 200 000 jeunes. L’association a mis en place des activités dans différents domaines tels que l’environnement, la robotique et l’astronomie. Nous comptons, dans le cadre de la CSTI, parmi les associations majeures, avec Les Petits Débrouillards et La Main à la pâte. Toutes ces associations ont été créées au milieu des années quatre-vingt, lors de l’expansion de la culture scientifique et technique.

    Nous travaillons aussi avec les associations généralistes, comme les Francas et la Ligue de l’enseignement. Il existe de nombreuses associations, qui constituent un milieu extrêmement dispersé. Cela fait sa force, mais aussi sa faiblesse, car il est, de ce fait, assez difficile de parler d’une seule voix. Nous avons eu, ces dernières années, du mal à nous faire entendre.

    Comme la plupart des associations, nous n’avons aucun soutien fonctionnel ou structurel. Nous ne fonctionnons que par appels à projets, avec beaucoup de bénévoles. Du coup, le réseau est fragilisé, précarisé, mais cela donne une certaine dynamique aux gens, qui y croient et font preuve de détermination.

    Quelle est la situation de notre secteur CSTI depuis 2000 ? J’ai hésité à employer le mot de « difficultés » car elles existent, c’est vrai, mais il n’y a pas que cela : il y a aussi quelques choses positives…

    Nous répondons de plus en plus à des appels d’offres et à des appels à projets, ce qui nous fait perdre notre identité, car cela nous transforme en prestataires de services. Cela nous oblige à réfléchir aux moyens de ne pas être soumis aux règles du marché : devoir payer la TVA, se trouver en concurrence avec des sociétés commerciales qui répondent aux mêmes appels d’offres. Cela inhibe l’initiative et les développements propres. Cela épuise le vivier de bénévoles et augmente la charge administrative, et finalement, cela décourage.

    Ce qui était vrai avec l’État l’est maintenant avec les collectivités territoriales et cela le devient avec les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) et les grands établissements scientifiques avec lesquels nous travaillons depuis très longtemps.

    Concernant la chute des soutiens financiers, il y a d’abord eu l’État, il y a une dizaine d’années, puis les collectivités territoriales, depuis un ou deux ans. Dernièrement, ce sont les avantages en nature qui ont considérablement diminué parce que tout le monde serre les boulons, y compris dans les mairies de proximité. Nous sommes aujourd’hui dans une situation d’extrême difficulté.

    Dans le même temps, nous bénéficions de financements complémentaires provenant de l’industrie et des grands EPIC, auprès desquels nous avons un certain écho. Mais cela ne compense pas la perte du budget qui, depuis le palier des années 2004-2005, est de l’ordre de 20 %. Le mécénat des entreprises est trop peu orienté vers la culture scientifique et technique, alors que c’est souvent pour eux un vivier et une façon de préparer les jeunes à la vie professionnelle.

    Les emplois jeunes nous avaient énormément aidés. Ils avaient, au début des années 2000, permis une véritable expansion territoriale. Leur suppression nous oblige à recourir à des contrats à durée déterminée (CDD), ce qui fragilise tout notre système en augmentant le turnover et en nous contraignant à former de nouveau entrants. Les emplois tremplins ou les emplois d’avenir, par exemple, sont moins bien adaptés à l’animation scientifique.

    Je souligne également la quasi-disparition, depuis 10 ans, de nos séjours de vacances scientifiques, soit au profit de sociétés commerciales qui n’ont pas hésité à nous faire des procès et à nous envoyer l’URSSAF pour récupérer la TVA, soit en raison de la difficulté à trouver des implantations et à payer l’encadrement nécessaire pour faire un travail de qualité. Si j’étends mon propos à l’éducation populaire, il est extrêmement dommageable que notre jeunesse ne puisse pas profiter de ces séjours.

    Par ailleurs, il y a de moins en moins de conventions pluriannuelles. Il s’agit maintenant de conventions annuelles, sans garantie de reconduction. C’est un vrai problème, car une convention pluriannuelle apporte plus de sécurité.

    Vous parlez d’une baisse du bénévolat. Il est toujours très présent chez nous. Ce sont des jeunes, qui ont souvent été de jeunes adhérents formés chez nous. On constate une légère désaffection, mais il s’agit davantage de gens qui ont envie de venir lors d’opérations événementielles pour se faire plaisir et qui ont plus de difficulté à venir participer à l’administration de nos associations. Globalement, nous avons perdu environ 15 % de nos effectifs dans le réseau. La situation est à peu près similaire dans les autres associations de ce secteur d’activité.

    J’en viens aux programmes d’investissement d’avenir qui, au départ, semblent être une perspective exaltante puisqu’ils proposent de financer un projet à hauteur de 50 %, l’association devant réunir le reste des fonds. Mais trois ans après la mise en place du dispositif, je me demande si ce n’est pas une fausse bonne idée. Ces programmes sont en effet conçus pour des industriels ou de grands instituts qui peuvent investir de l’argent. Le suivi et l’administration, très compliqués et très prégnants, ont eu pour conséquence de faire de notre équipe une équipe monoprojet. Car si nous n’allions pas au bout du projet, nous risquions de mettre l’association et le réseau en grande difficulté.

    Nous espérons nous en sortir, mais, s’agissant des modalités de financement, je ne suggérerais pas de réitérer l’expérience, sauf à trouver des formules adaptées au milieu associatif. Des sommes considérables étaient disponibles et nous avions proposé la rénovation de nos animations. J’espère que cela nous permettra tout de même de recréer une dynamique. Tout n’est pas mauvais dans ce dispositif, mais quand on est au milieu du gué, dans le cadre d’une opération de ce type, c’est extrêmement lourd, et les milieux associatifs ne sont pas éduqués, formés, pour répondre à la complexité de ces administrations, comme peuvent l’être de grandes entreprises.

    S’agissant des temps d’activités périscolaires, nous avons lancé une opération pilote qui nous semble aujourd’hui assez satisfaisante. Toutefois, nos activités demandent plutôt des temps longs, car il est difficile, en moins d’une heure et demie, de déployer du matériel et de commencer à faire faire des expériences à des jeunes. C’est aussi un peu plus cher, ce qui nous met en difficulté par rapport à certaines de nos communes partenaires. Malgré tout, nous allons poursuivre l’expérience et nous orienter vers la formation d’animateurs locaux, ce qui est l’une de nos vocations. Nos associations ne peuvent pas tout faire, mais il faut former des gens à faire les animations, d’autant qu’ils sont sur place, ce qui nous évite d’avoir à déplacer des vacataires pour passer une heure ou une heure et demie dans un coin du département.

    En matière de propositions, j’insiste sur la question du soutien aux réseaux, qui sont garants d’actions menées sur un territoire. Nous aimerions avoir partout le même niveau de qualité. Pour ce faire, il faut pouvoir réunir nos équipes, les former et se voir régulièrement. Tout cela coûte cher, et c’est de l’argent qu’on ne trouve pas dans des projets.

    Il faut privilégier les appels à initiatives, les projets pluriannuels, et mettre en place des conventions qui permettent une stabilité et une pérennisation des emplois. J’insiste aussi sur la formation des salariés et sur la nécessité d’adapter les procédures des marchés publics pour les petites et moyennes structures, afin d’alléger le travail administratif qui consiste à remplir d’énormes dossiers. Il conviendrait également de privilégier le soutien aux acteurs de terrain, selon certains critères, comme les actions menées, les publics touchés, la qualité des actions. Ce sont là des contreparties légitimes à un soutien structurel.

    Enfin, il faut mobiliser le privé et l’industrie. La CSTI profitant directement à l’industrie, il faudrait inciter les fondations à soutenir nos pédagogies et à favoriser le bénévolat interne au profit des associations. L’aide de professionnels permet aux jeunes d’être confrontés à la vie industrielle et à nos animateurs de se former avec des gens qui ont un vécu : ce serait très profitable. Il y a quelques initiatives en la matière, qu’il faut encourager, notamment dans les grandes entreprises.

    S’agissant de la culture scientifique et technique, la gouvernance a été lancée il y a quelques années. Mais, aujourd’hui, tout est quasiment bloqué. Nos associations avaient été entendues afin que nous ne soyons pas perdants dans cette affaire. Nous avions l’impression que l’animation de terrain et les gens qui allaient au plus près des jeunes avaient été complètement oubliés dans la gouvernance. On nous a promis que ce ne serait plus le cas, mais les dossiers, comme les décisions, peinent à sortir. Je me permets de signaler cette nouvelle difficulté.

    M. Didier Jacquemain, délégué général de la Fédération nationale des Francas. La Fédération nationale des Francas est une association de jeunesse et d’éducation populaire, agréée au titre de sa complémentarité à l’enseignement public. Elle porte un regard national, mais aussi territorial, avec 81 associations départementales, 20 unions régionales et 5 000 centres d’activités développés sur l’ensemble du territoire national, soit par des associations locales, soit par des collectivités.

    Dans le contexte de crise que nous connaissons, nous avons des craintes, des incertitudes. Les difficultés des grands réseaux nationaux n’ont pas commencé il y a quelques années : elles sont beaucoup plus anciennes. La baisse de l’intervention de l’État, je pense notamment aux financements publics émanant de l’Education nationale, est de l’ordre de 50 % sur les vingt dernières années ; cela inclut la substitution progressive des détachements de fonctionnaires aux mises à disposition qui avaient cours précédemment.

    Cette évolution s’explique par la position adoptée à une époque par rapport aux grands réseaux nationaux : on considérait alors qu’il fallait plutôt soutenir les petites associations territoriales. Aujourd’hui, on est revenu sur cette logique et on prend soin de s’assurer que les fédérations nationales arrivent à soutenir un niveau d’activité permettant, dans un contexte de crise, d’assurer une réelle animation fédérative, une réelle animation de réseau et le développement de réelles coopérations en interne. Cela suppose un niveau fédéral fort.

    Depuis deux ans, nous avons engagé un travail de fond sur le modèle socio-économique de notre organisation afin de voir comment devraient évoluer les équilibres entre les concours publics, les financements issus des activités et les cotisations. Il est nécessaire de renforcer le financement de la formation des bénévoles associatifs, s’agissant notamment de ceux qui acceptent de prendre des responsabilités dans la gouvernance, afin qu’ils puissent conduire les travaux nécessaires pour assurer la pérennité de l’association, au regard des évolutions qui existent aujourd’hui. Cela suppose, dans les organisations, un niveau national suffisamment outillé, de manière à accompagner ces évolutions et à garantir que les bénévoles puissent mesurer l’impact des décisions prises, notamment dans un contexte où la commande publique connaît un développement de plus en plus important.

    La loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) vise à stabiliser le concept de subvention publique, mais au-delà de ce qui est inscrit dans la loi, il faudra observer la manière dont cette disposition sera mise en œuvre. Car, par rapport au milieu éducatif et à celui de l’éducation populaire, la logique de mise en marché et d’appel d’offres est contraire à ce qu’il faudrait pouvoir faire aujourd’hui.

    Les activités périscolaires sont le signe d’une réelle transformation du modèle éducatif, qui peut donner une place particulière à l’éducation populaire. La logique d’appel d’offres à elle seule ne permet pas les innovations aujourd’hui nécessaires. Il faut, dans le cadre des associations, encourager la recherche-développement, qui ne peut trouver de financement qu’à partir du moment où la puissance publique reconnaît aux associations la vocation à innover. Dans le contexte que nous connaissons, cette innovation est nécessaire, notamment dans la mobilisation citoyenne que nos associations suscitent à travers l’éducation populaire. Il faut veiller à ce que les activités liées à l’éducation populaire échappent à la seule logique des appels d’offres.

    S’agissant de la réforme territoriale, notre première préoccupation porte sur le risque de disparition de la clause de compétence générale, au niveau des départements et des régions. Aujourd’hui, nos 100 entités territoriales, au niveau régional ou départemental, sont soutenues, dans leurs projets, par les conseils généraux et les conseils régionaux. Si, demain, la suppression de la clause de compétence générale ne leur permettait plus d’agir dans le champ de l’éducation, notamment de l’éducation populaire, il y aurait un risque fort d’affaiblissement des niveaux territoriaux, qui coordonnent l’activité locale.

    Notre second sujet de préoccupation porte sur les compétences. Aujourd’hui les départements et les régions n’ont pas de compétence affirmée sur la question de l’éducation et de l’éducation populaire, à l’exception du financement des infrastructures. Cela étant, les conseils généraux et les conseils régionaux sont allés bien au-delà, pour soutenir le développement de projets éducatifs. Il faut donc veiller à ce que, dans le cadre de la réforme territoriale, il y ait une compétence affectée à ces niveaux territoriaux afin que ce qui a été investi au profit de l’éducation puisse continuer à l’être.

    M. Karl Deschamps, secrétaire national délégué aux vacances à la Ligue de l’enseignement. Mesdames et messieurs les députés, la Ligue de l’enseignement vous remercie de l’avoir conviée à venir exprimer ici sa vision des difficultés du monde associatif en période de crise, mais aussi de manière plus générale.

    La Ligue de l’enseignement est un mouvement d’éducation populaire ancien, qui fêtera ses 150 ans dans deux ans. Elle regroupe aujourd’hui 1,6 million d’adhérents, répartis dans 30 000 associations, qui agissent tous les jours dans 24 000 communes de notre territoire national. Les adhérents ont un objectif : permettre aux citoyens d’accéder à l’éducation et à l’émancipation républicaine par l’éducation. Voilà, en résumé, la philosophie de la Ligue de l’enseignement et le cadre de son action.

    S’agissant des difficultés que nous rencontrons, à un moment où la crise a plutôt comme effet d’amener chaque citoyen à se refermer sur lui-même, le monde associatif reste un espace rempart face à cet isolement. Malgré la crise, nous avons, entre 2005 et 2011, constaté tous les ans une augmentation de 11 % du nombre d’associations et de 7 % du nombre de bénévoles. Aujourd’hui, près d’un quart des Français sont bénévoles dans une association. En 2013, le nombre d’emplois associatifs a augmenté de 0,2 %, là où l’emploi du secteur concurrentiel était en recul.

    Pour autant, le monde associatif rencontre des difficultés. Mais celles-ci ne sont générées directement par la crise. La crise accélère, accroît les difficultés qui existaient déjà. Pour illustrer mon propos, je me focaliserai sur les deux difficultés qui me semblent avoir le plus évolué au cours des quatre ou cinq dernières années. Elles sont d’abord de l’ordre du financement public de la vie associative, mais aussi de la gouvernance du monde associatif.

    Concernant le financement public, on pourrait résumer la relation entre le monde associatif et les pouvoirs publics de la manière suivante. Au fil des ans, nous sommes passés du rôle de partenaire à celui de prestataire. Cette relation s’explique, entre autres, par une évolution culturelle des pouvoirs publics. Depuis quelques années s’est développée, pour des raisons de bonne gestion publique, une approche consistant à codifier davantage pour assurer une meilleure sécurisation, ce qui n’est pas démontré dans les faits puisque le nombre de conventions attaquées devant les tribunaux est nettement inférieur, au regard du nombre de marchés publics, qui font, eux, l’objet de recours par milliers.

    Cette évolution culturelle se conjugue avec la baisse des moyens d’intervention publics. Le nombre de recours aux marchés publics, dans le cadre de la structuration des recettes du monde associatif, de manière générale, a progressé, entre 2005 et 2011, de 8 %. Dans le même temps, la subvention publique a diminué de 10 %. Cela conduit à une évolution du rapport à la subvention, mais surtout – car ce n’est pas seulement une affaire d’argent – du rapport à la complicité entre les structures représentant des militants, des citoyens, et les élus de la République porteurs de projets politiques.

    Dans le même temps, la provenance des subventions a, elle aussi, beaucoup changé, du fait de la baisse de l’intervention de l’État et, parallèlement, de la progression de l’intervention des collectivités locales. Or depuis une décennie, les collectivités locales connaissent, elles aussi, des difficultés budgétaires. Ces évolutions impactent la vie des associations. Le recours aux marchés publics, par exemple, entraîne une mise en concurrence des associations entre elles, et avec le monde concurrentiel. Or il ne s’agit pas ici de marchés, mais de formation des hommes, d’éducation et de citoyenneté.

    Alors que nous portons des concepts politiques au sens noble et éducatif du terme, la concurrence s’établit sur des rapports chiffrés. Le recours au marché, qui nécessite des compétences professionnelles spécifiques, limite l’initiative citoyenne et la capacité d’innovation sociale. Les associations doivent également développer des stratégies afin de trouver des financements pérennes pour des activités dont les pouvoirs publics attendent qu’elles soient, elles aussi, pérennes. Or, par définition, un marché public n’est pas pérenne. Il faut donc développer des stratégies d’entreprise, qui entraînent une professionnalisation accrue et participent à déposséder les bénévoles d’une partie du pilotage de leur association.

    La multiplication des financeurs publics alourdit la gestion administrative et financière et accroît les difficultés de trésorerie, car certaines subventions n’arrivent qu’une fois toutes les autres subventions perçues. C’est le cas, notamment, des fonds européens. Les délais administratifs et les délais de paiement de chacune des collectivités s’additionnent et génèrent de lourdes difficultés.

    Enfin, la multiplication des financeurs territoriaux met en difficulté les têtes de réseaux nationales et influe sur les flux nécessaires au développement de la vie associative.

    On constate, depuis quatre ans, une aggravation de ces situations, connues de longue date, mais accentuées par la crise. Aujourd’hui, s’y ajoute l’effet des difficultés budgétaires rencontrées par les collectivités locales, avec la baisse des moyens d’intervention. Cette baisse entraîne l’affectation prioritaire des moyens budgétaires des collectivités sur leur cœur de métier et sur le traitement des urgences : l’urgence sociale, l’urgence économique, l’accompagnement du monde de l’entreprise, par exemple. Que les collectivités accompagnent les entreprises n’est pas en soi un problème, mais cette approche très fermée évacue finalement un certain nombre de financements publics qui permettaient, entre autres, le développement de la vie associative.

    Les régions, notamment, mettent en cohérence les différents dispositifs d’accompagnement du développement territorial. C’est le cas, par exemple, des maquettes européennes. Je citerai également pour exemple la question du patrimoine du tourisme social. Combien de collectivités régionales auront intégré, dans la maquette européenne, la possibilité d’accompagner la rénovation, la mise aux normes, le maintien des colonies, des centres ou des villages de vacances du tourisme social qui, aujourd’hui, permettent non seulement d’accueillir les publics en difficulté, mais surtout de créer de la mixité sociale ?

    J’évoquerai pour finir la remise en cause de la clause de compétence générale, qui, sur le fond, ne nous gène guère – il s’agit d’un choix politique de structuration de la société ; néanmoins, dans les débats sur la réforme territoriale, il semble que plusieurs compétences ne soient plus prises en compte. C’est notamment le cas de la compétence « jeunesse » ou de la compétence « vie associative ». Le projet de loi portant réforme territoriale prévoit en effet la création d’une compétence partagée qui n’intègre que le sport, la culture et le tourisme. Quid des associations de jeunesse, de l’activité des collectivités locales auprès de la jeunesse, de la formation des bénévoles ? Nous proposons par conséquent d’élargir cette clause de compétence partagée aux compétences « jeunesse » et « vie associative ».

    La suppression de la clause de compétence générale risque en outre de mettre les associations en rapport avec un financeur unique. Qu’aurons-nous gagné à une telle configuration, en termes financiers mais aussi en ce qui concerne les missions liées à la vie associative ?

    La gouvernance associative peut se résumer ainsi : davantage de bénévoles mais moins de dirigeants ; moins de militants engagés prêts à prendre des responsabilités. Le difficile renouvellement des dirigeants associatifs est particulièrement important dans les associations de défense de l’intérêt général, de défense des droits, de l’éducation, de l’insertion, mais aussi au sein des associations promouvant le sport et les loisirs. Il s’explique en partie par l’augmentation de l’offre associative, mais également par un engagement qui se resserre parfois sur des problématiques très limitées, liées à la sphère personnelle, individuelle. Il serait trop simpliste ici de parler de montée de l’individualisme. Mais la crise, crée objectivement de l’insécurité sociale pour chaque individu : qui peut-être certain, à échéance de deux ou trois ans, d’habiter la même commune, d’exercer le même emploi ? Qui va, dès lors, s’engager durablement sur son territoire ? Ce changement du rapport au groupe, du rapport au collectif, influe sur le renfermement des uns et des autres dans des activités liées à leur vie quotidienne, à leur vie familiale, à leurs centres d’intérêt personnels.

    La difficulté de renouveler les dirigeants associatifs tient également à la technicisation de la gestion des plus grosses associations qui enferment les administrateurs dans des responsabilités de managers, d’employeurs ou de gestionnaires, lesquelles accroissent leur perception du risque individuel encouru.

    Nous appelons de nos vœux le lancement d’un plan pérenne de développement, de revalorisation de l’accès à la responsabilité associative. Il faut certes « communiquer » sur le sujet, mais aussi créer des dispositifs de formation des bénévoles – il en existe déjà, financés avant tout par les collectivités locales ; mais qu’en sera-t-il demain ? – pour leur permettre de devenir des responsables associatifs. Il convient par ailleurs de renforcer le dialogue civil : les pouvoirs publics doivent engager avec le monde associatif – troisième pilier de la République avec les syndicats et les partis politiques – un dialogue pérenne fondé non sur l’importance de l’un par rapport à l’autre, mais sur un dialogue égal de citoyens qui se regroupent pour proposer des innovations et des démarches participatives – et non pour faire pression sur les politiques ou les pouvoirs publics. Nous souhaitons enfin que ce plan aborde la simplification des textes, notamment en matière de fiscalité.

    Pour ce qui concerne les marchés publics, je ferai trois propositions. D’abord nous souhaitons une clarification du cadre du recours aux marchés publics. Nous avons en effet l’impression d’avoir affaire à une approche quelque peu dogmatique en la matière. D’où, ensuite, notre vœu d’une clarification législative de la sécurisation du recours à la subvention, qui recouvre la question de la formation des acteurs – élus, personnels des collectivités locales ou de l’État – qui traitent de ces sujets. Enfin, il faut inciter les autorités européennes à reconnaître le monde de l’éducation populaire comme un service d’intérêt général (SIG) pour pouvoir simplifier et sécuriser son subventionnement – je pense notamment au secteur du tourisme social.

    M. Jean-Luc Cazaillon, président du Collectif des associations partenaires de l’école (CAPE). Le CAPE, qui n’a que quatre ans d’existence, regroupe 22 associations complémentaires de l’école publique et mouvements pédagogiques. Son champ d’intervention couvre l’éducation nationale, l’éducation postscolaire et périscolaire, l’animation et les pratiques culturelles.

    La première difficulté rencontrée par les mouvements que nous représentons touche à la légitimité de notre histoire, de notre action et de nos projets. Nous devons en effet sans cesse prouver que nous sommes compétents pour accompagner les actions que nous lançons. Nous devons sans cesse réaffirmer que nous sommes de bons interlocuteurs, dans une dynamique non pas seulement d’acteur mais d’auteur impliqué dans une démarche de co-construction – nous avons cette capacité à être des partenaires, à intervenir dans l’élaboration des politiques publiques à l’échelle nationale, à l’échelon local mais aussi au niveau de l’État déconcentré. Cela suppose bien la mobilisation de nombreuses compétences, dans des champs concernant plusieurs départements ministériels.

    Si je prends l’exemple de la réforme des rythmes scolaires, l’aborder du seul point de vue de l’éducation nationale ne suffit pas, puisqu’elle concerne également le ministère de la jeunesse et des sports et celui de la culture. Or, à qui devons-nous nous adresser – au niveau national comme au niveau local – pour essayer de faire en sorte que les choses soient traitées globalement et non pas de façon morcelée ?

    La deuxième préoccupation concerne le fait que nous sont confiées des missions relevant assez nettement d’un service public « prolongé ». Or la question – politique – de la reconnaissance de la qualité du service public que nous rendons, dans un monde où l’on oppose facilement public et privé, n’est pas anodine.

    Le troisième point concerne l’échelon européen – enjeu important s’il en est. Là aussi nous devons être soutenus, accompagnés, mieux armés, notamment sur la question de la formation, du soutien administratif, de la trésorerie. Nos propositions en la matière sont similaires à celles formulées à l’instant par les représentants de la Ligue de l’enseignement et de la Fédération nationale des Francas.

    Mme Catherine Chabrun, représentante du CAPE. Mon approche sera quelque peu différente puisque je représente les associations à convention annuelle – donc précaires –, petites associations qui appartiennent au CAPE, comme les mouvements pédagogiques. Je souhaite vous faire part de leurs inquiétudes et de leurs difficultés qui ont commencé avec la suppression des mises à disposition, remplacées par des postes détachés totalement à la charge des associations. Les baisses des subventions depuis longtemps rendent difficile l’équilibre des budgets : ne pouvant plus les financer, on doit supprimer ces postes de détachés. Les réductions successives de subventions provoquent des réactions d’austérité en chaîne : la diminution du budget de l’association entraîne celle de ses activités et donc celle de son financement propre. Les associations sont très inquiètes dans la perspective des restrictions budgétaires annoncées pour les trois années qui viennent.

    Même si elles sont complémentaires de l’enseignement public, les associations en question éprouvent des difficultés à être reconnues, notamment dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) et donc à être en contact avec des jeunes en formation, ce qui permettrait le renouvellement de nos membres, en particulier des bénévoles. Comment donner envie aux futurs enseignants de rejoindre nos associations s’ils ne rencontrent jamais d’hommes et de femmes de terrain ?

    L’obtention du statut d’association complémentaire vaut reconnaissance des actions en faveur de l’école publique. Mais si l’association ne peut plus développer ses actions, si elle est même obligée de les réduire pour équilibrer son budget, que restera-t-il de cette reconnaissance dans les années à venir alors que certaines ont plus de cinquante ans d’existence ? Le risque d’une disparition des associations dans le domaine éducatif est la plus vive de nos inquiétudes.

    Pour pallier la réduction de leurs moyens, nos associations pourraient relever le niveau des cotisations mais, étant donné le contexte actuel de baisse du pouvoir d’achat, une telle mesure paraît impossible – d’autant plus que nous entendons faciliter l’adhésion… Elles pourraient augmenter le prix de leurs prestations – formations, publications, outils pour la classe –, mais ne risque-t-on pas, dès lors, de « marchandiser » le secteur et ainsi d’abandonner le sens du projet associatif, son utilité sociale ? Elles pourraient avoir recours à des emplois privés au lieu de postes de détachés – si ce n’est que, pour certaines actions, les enseignants restent indispensables. Enfin, on nous a souvent conseillé de faire appel aux fondations – mais il s’agit surtout de fondations d’entreprise et on se retrouve là dans une logique de concurrence qui mettrait les projets associatifs au service des objectifs de la fondation, d’où une nouvelle inquiétude face à la menace qui résulterait d’une telle solution sur la capacité des associations à contribuer à la démocratie et à l’intérêt général.

    En dehors de toute considération financière, le ministère de l’éducation nationale pourrait assurer la promotion et la diffusion des actions de ces associations puisqu’elle les reconnaît, et faciliter toutes leurs activités – en particulier les stages, les formations. Enfin j’en reviens à la difficulté évoquée au début de mon intervention : les présidents, les trésoriers de nos associations sont dans leur classe, donc sur le terrain ; or, dès lors que les mises à disposition ont été supprimées, il faudrait les aider à pouvoir mieux se consacrer à leur activité associative.

    Mme Françoise Dumas, rapporteure. Vous avez évoqué, madame Doré, vos inquiétudes quant à la montée en puissance du service civique, pouvez-vous préciser votre point de vue ?

    Qu’en est-il ensuite de ce qui vous paraît nécessaire en matière de formation – initiale ou continue – des bénévoles associatifs ? Quel lien établir avec l’éducation nationale, avec des professions du champ médico-social ?

    Vous avez parlé, madame Chabrun, de la difficulté pour les associations que le CAPE représente d’être reconnues au sein des ESPE. Quel est le lien avec le périscolaire ?

    Dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, les associations peuvent nouer des contrats avec les collectivités territoriales, or je suis persuadée que l’éducation populaire reste une force de proposition. Au fil du temps, votre rôle reprendra toute son importance et l’on reconnaîtra votre nécessité. Le monde de la jeunesse et de l’éducation est en pleine mutation. Je ne suis pas aussi pessimiste que vous sur votre rôle dans les politiques que nous allons décliner en faveur de la jeunesse. La cohésion sociale, la mixité sociale passeront par le travail que vous effectuerez et par la manière dont on parviendra, y compris dans le cadre de la réforme territoriale, à contractualiser avec vous.

    M. Jean-Louis Bricout. Ma commune, qui compte 6 000 habitants, applique les nouveaux rythmes scolaires depuis 2013 et je suis très satisfait de cette expérience. Nous nous sommes appuyés sur une association pivot pour l’organisation, la coordination, le suivi des formations – nous avons dû embaucher quelques jeunes « emplois d’avenir », qui n’étaient pas forcément prêts, des professionnels, des employés de la mairie et des membres d’associations locales. Tout s’est globalement bien passé malgré la difficulté de trouver les bonnes ressources.

    Quel rôle, justement, pouvez-vous jouer dans un milieu rural « profond » où il peut être difficile de trouver les bonnes ressources et de coordonner ? Avez-vous été contacté par des communautés de communes qui pourraient jouer ce rôle pivot dans l’organisation, la coordination, le suivi, la montée en qualité des activités en s’associant avec des organisations telles que la vôtre – les Francas le font dans le nord de l’Aisne ?

    Quel regard portez-vous sur la gratuité ? Certaines communes la pratiquent, d’autres non.

    La loi relative à l’économie sociale et solidaire prévoit le volontariat associatif pour les plus de 25 ans pour des missions de six à vingt-quatre mois. Qu’en pensez-vous ?

    Enfin, monsieur Deschamps, dans quelle mesure la réduction des dotations allouées à certaines communes fragilise-t-elle les projets de voyages pour les jeunes enfants ?

    M. Jean-Noël Carpentier. Je partage l’avis de la rapporteure : vous avez un rôle important à jouer dans les années qui viennent car, les enquêtes le démontrent, comme la fameuse enquête PISA, le système éducatif français traverse une crise profonde. Nous avons mis du temps, en France, pour nous en rendre compte tant nous avons cru que notre système était immuablement bon. Et nous devons bien admettre que, depuis quelques années, notre école ne va pas si bien : elle est inégalitaire, ne favorise pas l’ascension sociale et ne met pas à niveau nos jeunes. Dans ce contexte, je crois profondément à votre rôle.

    Pensez-vous avoir été suffisamment sollicités dans le débat sur la refondation de l’école ? En cas de réponse négative, il n’est pas trop tard : il existe un comité de suivi de cette loi.

    Ensuite, ne pensez-vous pas que la modification de notre modèle éducatif suppose qu’on donne une plus grande importance au local, aux territoires ? Bien sûr, il faut une éducation nationale qui fixe les grandes orientations, mais pas l’éducation nationale d’arrière-grand-papa. De nouvelles collaborations avec les territoires sont donc à trouver alors que la place des communes et des agglomérations est amenée à grandir en matière d’éducation. Vous pouvez constituer un lien.

    Enfin, les évolutions du numérique vous conduisent-elles à vous interroger sur vos pratiques ?

    M. Régis Juanico. Un article paru la semaine dernière dans Aujourd’hui en France mentionne une étude du Collectif des associations citoyennes selon laquelle, d’ici à 2017, 260 000 emplois seraient menacés dans le milieu associatif, soit presque 15 % du total des emplois, du fait de la suppression progressive de 30 milliards d’euros de subventions. Ces chiffres sont assez alarmistes et je ne suis pas certain qu’ils soient bien étayés : je rappelle que les collectivités territoriales ne vont pas être supprimées par le projet de loi portant réforme des dites collectivités !

    Pour peu que l’article du projet de loi concernant la compétence partagée soit suffisamment bien rédigé et qu’il mentionne au moins la vie associative – pour la « jeunesse », il faudrait y regarder au moins à deux fois –, les subventions ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Nous venons de voter une loi relative à l’économie sociale et solidaire qui sécurise pour la première fois la définition de la subvention. Partagez-vous le pessimisme de cette étude ?

    Par ailleurs, quels compléments faudrait-il apporter à la loi relative à l’économie sociale et solidaire ?

    M. Didier Jacquemain. Je partage l’idée qu’un nouveau modèle éducatif reste à construire combinant intervention nationale et intervention territoriale, que des dispositifs sont à inventer en matière de gouvernance mais aussi concernant les modes de partenariat. Si les grands réseaux comme le mien – qui demeure modeste par rapport à celui de la Ligue de l’enseignement –, si les associations comme les mouvements pédagogiques, les centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), ne s’étaient pas mobilisés auprès de communautés de communes, de territoires, nous n’aurions pas réussi cette première évolution. On ne construira pas ce nouveau modèle si la mise en marché des activités est le seul mode de relation entre la puissance publique, quel que soit le niveau concerné, et les associations. Le nouveau modèle éducatif devra accorder toute sa place à l’éducation populaire car elle parvient à mobiliser des citoyens.

    En ce qui concerne la question des compétences partagées, inscrire la vie associative dans le texte de loi ne suffit pas, car celle-ci est un ensemble beaucoup trop divers – mais riche de sa diversité – et ses champs d’activité sont par conséquent très différents, qu’il s’agisse des modes d’organisation ou des normes créées – il suffit, par exemple, de comparer le secteur social et celui de l’éducation pour voir combien sont différents les modèles qui ont été développés. Au regard des enjeux, il faut arriver à ce que l’éducation devienne une compétence partagée ; nous serions alors contraints de réfléchir sur ce que devrait faire l’échelon national et sur ce que devrait faire l’échelon territorial. C’est une nécessité absolue.

    M. Jean-Luc Cazaillon. Je regrette que nos interventions aient pu laisser penser que nous sommes pessimistes, car nous sommes profondément optimistes, engagés, et résolument modernes. On nous fait parfois des procès en ringardise mais la valeur de nos pratiques, notre histoire, nos projets sont pour le moins d’actualité et même porteurs d’avenir. La refondation de l’école publique est un bon exemple de cette logique : nous avons été heureux de voir revenir sur la scène les principes de coéducation, de complémentarité des temps : ce sont nos combats historiques, nos projets, et ils demeurent d’actualité. Nous sommes donc dans une démarche de soutien et de combat.

    Pour ce qui est des activités périscolaires, nous sommes de ces acteurs qui ont construit la complémentarité déjà évoquée : nos militants sont des éducateurs qui agissent – intelligemment – au sein de l’école et en dehors d’elle, des acteurs de plusieurs champs de l’éducation, capables d’établir des passerelles et de créer des espaces de synthèse dont on mesure aujourd’hui l’importance, notamment à travers les projets de territoire.

    Nous apportons notre soutien aux collectivités et à la formation des jeunes, enjeu d’autant plus important que la réforme des rythmes scolaires bouleverse le secteur « historique » de l’animation volontaire ou professionnelle. Celui-ci se trouve profondément impacté par l’emploi massif de jeunes et des réponses parfois inadaptées en matière de profils métiers qui n’en sont pas vraiment. Il faut que l’on puisse traiter cette situation complexe à la fois avec les collectivités et avec l’État, à savoir le ministère de l’éducation nationale, mais aussi le ministère de la jeunesse, qui doit assurer la promotion de filières historiquement de son ressort. Nous avons donc un rôle à jouer, à la fois pour être aux côtés des collectivités et des jeunes, intervenir directement, créer de la « transversalité » et répondre aux besoins d’une politique qui refuse l’exploitation de jeunes sans qualifications – le BAFA ne doit pas devenir la réponse la moins chère, donc la moins adaptée aux profils de ces jeunes.

    Enfin, en ce qui concerne la formation initiale et continue des enseignants, il faut faire vivre le second « E » de ESPE, la question essentielle n’étant pas celle du professorat mais celle de l’éducation. Cette institution doit en effet définir un projet global prenant en particulier en considération le point de vue des familles. Le 28 novembre prochain, à l’occasion du salon de l’éducation, le CAPE devrait signer un accord avec le réseau des ESPE. Nous soutenons que la réforme des rythmes scolaires, qui a beaucoup occupé le devant de la scène, n’est qu’un aspect de la refondation de l’école – projet ambitieux destiné à relever le défi lancé par les résultats des enquêtes PISA, à répondre aux enjeux sociaux et sociétaux actuels. Nous sommes à la manœuvre et ne fuirons pas nos responsabilités politiques.

    Mme Françoise Doré. Le débat d’orientation sur les finances publiques de juillet 2014 pour le budget triennal 2015-2017 a donné « la priorité à la jeunesse, qui implique la création des 60 000 postes programmés dans l’éducation nationale et une trajectoire ambitieuse pour les emplois d’avenir et le service civique ». Or là est notre inquiétude : se contenter de l’affectation de moyens financiers modestes à une seule priorité. M. Cazaillon vient d’évoquer les jeunes qui s’engagent dans les associations à des titres très divers… Le mot « engagement », dans nos associations de jeunesse et d’éducation populaire, recouvre une réalité depuis des années. Je l’affirme d’autant plus sereinement que notre association fait partie de celles qui ont souhaité, dans le milieu des années 1990, qu’on accorde au volontariat une place permettant un engagement significatif au service des projets des associations, un engagement grâce auquel des jeunes acquièrent une vraie expérience.

    Je ne dirais donc pas que le service civique ne soit pas intéressant. Nous en souhaitons même la montée en puissance. Le service civique est du reste la seule ligne en hausse au sein du budget de la jeunesse et des sports pour la période 2012-2014, celui alloué à la formation des bénévoles étant resté stable et les autres ayant diminué. Il faut donc trouver des moyens à la hauteur d’une ambition interministérielle, afin de ne pas sacrifier la qualité, de ne pas amputer la durée significative du volontariat à laquelle nos associations sont attachées : l’expérience en question doit être utile. Même si, entre 2013 et 2014, les coûts moyens par jeune ont baissé puisque l’on a diminué les charges sociales assumées par l’État, bien du travail reste à accomplir pour parvenir au chiffre de 100 000 jeunes en 2017.

    M. Karl Deschamps. Le problème n’est pas, en effet, l’affectation de moyens au service civique, mais la baisse des moyens attribués à toutes les autres actions. Le service civique est un dispositif remarquable que toutes nos organisations ont appelé de leurs vœux et qui fonctionne, qui se conjugue avec d’autres dispositifs comme les « associations juniors » et qui montre que les jeunes de notre pays ont envie de s’investir au service de l’intérêt général.

    Mme la rapporteure a évoqué la formation des bénévoles associatifs. Il existe déjà des dispositifs de formation. Nous souhaitons leur élargissement et la sécurisation de leur financement afin d’en garantir l’accessibilité. Il faut d’abord envisager le projet associatif, la démarche, la dynamique collective et son management. Il y a ensuite la question de la gestion humaine de ces dynamiques qui sollicitent des bénévoles mais aussi, parfois, des salariés. Enfin, il ne faut pas oublier l’aspect plus entrepreneurial de l’économie sociale et solidaire autour des budgets, des financements, des assurances… Ces éléments sont très importants et l’on pourrait s’interroger sur l’établissement d’éventuelles passerelles avec la validation des acquis de l’expérience (VAE). Toutefois, il ne suffit pas de former les bénévoles, il faut encore les accompagner de façon permanente ; or c’est le rôle des mouvements d’éducation populaire : il faut entretenir l’énergie du bénévolat grâce, entre autres, à la démarche collective supra-associative. Il convient en effet de donner des perspectives au-delà de l’action associative.

    M. Bricout m’a interrogé sur les voyages. Les structures du tourisme social, notamment celles liées au départ des enfants en colonies de vacances, rencontrent des difficultés. On constate un recul du taux de départ des Français en général et des enfants en particulier – durant l’été, 3 millions d’enfants « tiennent les murs ». Le chiffre de 2014 confirmera malheureusement les données des années précédentes. Nous avons des difficultés financières et des difficultés de partenariat avec les comités d’entreprise qui eux-mêmes se trouvent dans une situation économique et budgétaire délicate, alors qu’ils sont nos premiers partenaires avec les caisses d’allocations familiales. Il faudra par ailleurs assurer la stabilité juridique du statut des accompagnateurs, des encadrants et des animateurs.

    Nous n’abordons pas le numérique, monsieur Carpentier, du point de vue de l’infrastructure, mais du contenu et des pratiques. Nous développons dans cette perspective de nombreuses actions d’éducation au maniement de cet outil extraordinaire mais qui ne doit rester qu’un outil maîtrisé par l’homme. Il reste de grandes marges de progrès en la matière.

    Enfin, M. Juanico a raison : nous nous sommes peut-être montrés pessimistes dans nos propos. Toutefois, comme Jean-Luc Cazaillon, je répondrai que non seulement le monde associatif n’est pas pessimiste mais qu’il a une ambition collective, qu’il s’agisse de promouvoir le lien social, la mixité sociale, le « vivre-ensemble ». C’est de cela que nous voulons parler avec les élus de la République. Nous voulons parler du fond, de démarche politique et surtout ne pas être réduits à un rôle d’exécutants de politiques publiques qu’il n’est certes pas question pour nous de déterminer, mais de co-élaborer dans la concertation. En effet, si nous ne voulons pas que nos adhérents ne soient que des consommateurs, ils doivent avoir une place dans la société qui passe par la reconnaissance, par les élus de la République, du rôle du monde associatif.

    M. le président Alain Bocquet. Cette belle conclusion marquera la fin de notre réunion… Je vous remercie.

    L’audition s’achève à dix-neuf heures quarante.

Membres présents ou excusés

    Commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

    Réunion du 30 septembre 2014 à 18 h 10

    Présents. – M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Françoise Dumas, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Régis Juanico, Mme Bernadette Laclais.

    Excusés. – M. Jean-René Marsac.