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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Jeudi 22 novembre 2012

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Claude Casanova, président de la Fondation nationale des sciences politiques, et de M. Michel Pébereau, président du conseil de direction de l’Institut d’études politiques de Paris (IEP), sur le rapport de la Cour des comptes relatif à la gestion de l’IEP et sur le processus de désignation du directeur de l’IEP

– Présence en Commission

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Jeudi 22 novembre 2012

La séance est ouverte onze heures cinq.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Jean-Claude Casanova, président de la Fondation nationale des sciences politiques, et M. Michel Pébereau, président du conseil de direction de l’Institut d’études politiques de Paris (IEP), sur le rapport de la Cour des comptes relatif à la gestion de l’IEP et sur le processus de désignation du directeur de l’IEP.

M. le président Patrick Bloche. Il y a une heure, la Cour des comptes a rendu public son rapport sur la gestion de Sciences Po entre 2005 et 2010. J’ai souhaité que la représentation nationale, et plus particulièrement notre Commission, puisse se faire une opinion en auditionnant certains des responsables de Sciences Po. J’ai donc grand plaisir à accueillir M. Jean-Claude Casanova, président de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), et M. Michel Pébereau, président du conseil de direction de l’Institut d’études politiques de Paris (IEP).

« Sciences Po » est le nom générique de l’ensemble formé par la FNSP et l’IEP, créés en 1945 pour succéder à l’École libre des sciences politiques. La Cour des comptes souligne qu’il s’agit d’une architecture institutionnelle atypique, à l’organisation complexe, ce qui est dû sans doute à la volonté de préserver l’autonomie de l’établissement tout en l’intégrant au service public de l’enseignement supérieur. La Cour note, d’autre part, que Sciences Po a connu depuis 2005 un développement rapide et des innovations nombreuses, mais qui ont été obtenus à un coût élevé. Enfin, elle signale que sa gestion a été marquée par de nombreuses anomalies. Le titre du communiqué de presse résume à lui seul la teneur du rapport : « Une forte ambition, une gestion défaillante » – suivant le plan traditionnel en deux parties !

J’évoquerai d’abord les points positifs, à mettre au crédit de Sciences Po. Durant ces cinq dernières années, les effectifs de l’établissement ont quasiment doublé, pour atteindre en 2010-2011 plus de 10 000 étudiants, dont 35 % d’étrangers. Priorité a été donnée à la diversification sociale du corps étudiant : Sciences Po comptait 26 % de boursiers en 2011 – les droits d’inscription étant par ailleurs modulables en fonction du revenu des familles. L’activité de recherche a été fortement développée.

Parallèlement, la Cour des comptes relève des anomalies de gestion : non-respect de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés publics ; souscription d’un emprunt structuré dit « toxique » de 15 millions d’euros ; développement d’un système opaque de rémunération des salariés de la FNSP ; irrégularités multiples dans la gestion du service des enseignants-chercheurs ; dysfonctionnements dans la gestion et la déclaration des logements de fonction ; instauration d’un système de rémunération de l’administrateur-directeur non maîtrisé et hors de proportion avec les rémunérations perçues en France par les dirigeants d’établissements d’enseignement supérieur comparables ; financement sur les ressources de Sciences Po, sans approbation du conseil d’administration de la FNSP, de la mission « Lycée pour tous », confiée intuitu personae au directeur de l’IEP par le précédent Président de la République et n’entrant pas dans l’objet de la FNSP.

La Cour des comptes conclut ainsi : « en dix ans, Sciences Po a montré son dynamisme et sa capacité d’adaptation à la recherche ; toutefois, sa gestion a été marquée par de nombreuses irrégularités ».

La Cour impute la responsabilité de ces défaillances tout autant à Sciences Po qu’à l’État, et invite aussi bien l’un que l’autre à prendre les mesures nécessaires pour assurer une réelle transparence dans la gestion de l’établissement et renforcer la cohérence de son pilotage opérationnel et de sa gouvernance.

La Cour formule, à cet égard, 19 recommandations. Par ailleurs, sa troisième chambre a décidé de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière de certains faits constatés, et a transmis le dossier au parquet général.

Le président Casanova a déjà apporté une réponse à ces critiques au moyen d’un volumineux document et d’un courrier adressé à Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, portant notamment sur deux points : les contrôles que les pouvoirs publics doivent exercer sur l’emploi des crédits alloués à la Fondation, et la mise en place de règles transparentes et incontestables. En outre, des propositions seront faites au conseil d’administration concernant les rémunérations du personnel dirigeant de la Fondation.

Pour finir, je rappelle que le décès de Richard Descoings a rendu nécessaire la nomination d’un nouvel administrateur-directeur ; le conseil d’administration de la FNSP et le conseil de direction de l’IEP de Paris ont proposé le nom d’Hervé Crès, directeur des études et de la scolarité. Cette nomination est actuellement en suspens.

M. Jean-Claude Casanova, président de la Fondation nationale des sciences politiques. Je remercie votre Commission de l’attention qu’elle porte à Sciences Po, qui se trouve actuellement dans une situation difficile. Richard Descoings est mort le 3 avril 2012, et nous souhaiterions qu’il soit rapidement remplacé, ne serait-ce que pour assurer le bon fonctionnement de l’institution : notre contrat quadriennal avec les pouvoirs publics arrive à son terme en décembre, le nouveau contrat n’a pas été élaboré et les négociations salariales avec le personnel sont interrompues.

Nous assistons à la conjonction de trois événements. D’abord, la mort tragique de Richard Descoings, liée à ce qui s’est produit durant le premier trimestre 2012 à Sciences Po. Il est toujours délicat d’évoquer un mort ; à mes yeux, Richard Descoings a réussi à mener à bien son projet, mais il s’y est consumé. Ensuite, trois mois avant son décès, la Cour des comptes avait entamé la procédure de contrôle des comptes de Sciences Po qu’elle mène régulièrement, tous les sept ou huit ans. Enfin, Sciences Po, qui venait de vivre en 15 ans un changement historique, devait entrer dans une phase de stabilisation et de renforcement – c’est ce qui fut décidé lors des dernières discussions du conseil d’administration et de la commission des finances avec Richard Descoings ; nous avions notamment décidé de stopper la croissance du nombre des étudiants, passé de 3 000 à 12 000.

Comme souvent, la vitesse du changement a fait qu’un certain nombre de formes n’ont pas été respectées. Notre ossature reste fragile. La moitié de nos ressources seulement proviennent de l’État ; sans moyens complémentaires, le système actuel ne peut pas fonctionner – et si nous prenons du retard dans les négociations financières, nous connaîtrons des difficultés.

Avant l’arrivée de Richard Descoings, on faisait ses études à Sciences Po en deux ou trois ans – il s’agissait d’ailleurs souvent d’études complémentaires. Sciences Po était une institution strictement française, dont le cœur de mission était la préparation aux concours administratifs : ENA, concours des assemblées, Banque de France ; il existait également une section financière – un certain nombre de diplômés travaillaient ensuite dans les assurances ou dans la banque –, ainsi que des formations au journalisme et aux carrières internationales, touchant un public encore plus minoritaire.

La grande mutation provoquée par Richard Descoings – et préparée auparavant par Alain Lancelot – fut l’internationalisation de Sciences Po – bien au-delà de la francophonie, avec l’arrivée d’étudiants allemands, américains, anglais, italiens, espagnols ; près de 40 % du corps étudiant est aujourd’hui composé d’étrangers. Richard Descoings avait compris que, dans le monde actuel, une petite institution française ne pouvait survivre. La section « Service public » est ainsi en train de devenir une école de préparation aux « affaires publiques », pour les futurs cadres des collectivités européennes et des gouvernements, etc., sans se limiter à la préparation du concours d’entrée à l’ENA.

Richard Descoings a également conduit une réforme extrêmement difficile : la sortie du système de concours unique et le recrutement de nouveaux étudiants, via des conventions avec les lycées des zones d’éducation prioritaire (ZEP) et des préparations spéciales ; cela a considérablement modifié la composition sociale du corps étudiant, puisque, en tenant compte des étrangers, Sciences Po compte désormais plus de 30 % de boursiers ; en outre, nous attribuons aux boursiers de l’État des bourses complémentaires. Parmi les institutions universitaires françaises, Sciences Po est celle qui a fait le plus gros effort de diversification de son recrutement.

Troisièmement, Richard Descoings a pensé qu’une institution comme Sciences Po ne pouvait pas se lancer dans la compétition internationale en se fondant uniquement sur des contrats passés avec des enseignants extérieurs exerçant divers métiers dans l’administration, la presse, la finance ou l’économie, mais qu’elle devait disposer d’un corps de chercheurs et de professeurs en interne. Résultat : alors que Jean Touchard et moi-même étions autrefois les seuls professeurs d’université nommés à Sciences Po, il en existe désormais une cinquantaine ! Richard Descoings a ainsi constitué une « faculté », bénéficiant de toutes les garanties d’indépendance, disposant de centres de recherche importants, qui ont tous été primés par des organismes internationaux d’évaluation – Sciences Po totalise la moitié des reconnaissances d’excellence accordées à la France dans le domaine des sciences sociales.

Il a aussi modifié la scolarité. Désormais, les études durent cinq ans, voire huit si l’on va jusqu’au doctorat. Les élèves sont recrutés juste après le bac, soit par l’équivalent d’un concours, soit par une procédure spéciale. Richard Descoings a créé une formule exceptionnelle, que cherchent vainement les institutions universitaires, car il n’en existe aucun équivalent en France, en raison de la spécialisation à outrance dès la sortie du lycée : un collège universitaire de trois ans, au cours desquels les étudiants acquièrent une formation générale, avec une année entière passée à l’étranger.

Je ne sais pas si vous mesurez la portée d’une telle réforme : en un an, Richard Descoings a obtenu qu’un millier d’élèves partent ainsi à l’étranger grâce à des contrats conclus avec les plus grandes universités du monde. Ces échanges, qui concernent 1 000 élèves chaque année, sont réciproques et certains de ces jeunes, à l’issue de leurs trois années de scolarité à Sciences Po, sont recrutés dans des graduate schools américaines ou à Cambridge. Bref, nous sommes désormais bien installés sur le marché international de la formation supérieure.

Enfin, Richard Descoings a estimé que nous n’étions pas assez riches pour rester uniquement dans Paris et que, pour internationaliser l’IEP, il fallait créer des campus en province où étudiants français et étrangers pourraient se mélanger. Il a ainsi créé un campus franco-allemand à Nancy, avec un enseignement dispensé moitié en français, moitié en allemand. Suivant le même principe, il existe à Reims un campus euro-américain, à Poitiers un campus euro-hispanique, au Havre un campus Europe-Asie et à Paris des études africaines. Tout cela permet d’attirer dès la première année des étudiants du monde entier.

Je dois reconnaître que, comme Richard Descoings était, tout comme Michel Gentot, un de ses prédécesseurs, conseiller d’État, je pensais, quand il est arrivé, que Sciences Po continuerait à préparer les étudiants à l’ENA. Eh bien, non : grâce à ses qualités personnelles, il a réussi à faire autre chose !

S’agissant des irrégularités relevées par la Cour des comptes et des reproches que celle-ci nous adresse, je suggère aux membres de la Commission de lire notre réponse, ainsi que la lettre que j’ai écrite au ministre. Nous acceptons toutes les recommandations de la Cour. Pour les marchés, nous appliquerons la nouvelle réglementation ; quoi qu’il en soit, ils sont fort peu nombreux et, à ma connaissance – mais je ne suis pas spécialiste de ces questions –, aucune irrégularité n’a été commise. L’emprunt avait été souscrit auprès de Dexia avant mon arrivée à la tête de la FNSP, en 2005 ou 2006 ; Michel Pébereau n’y a pas participé non plus. Si ses clauses de révision sont dangereuses – mais les élus locaux que vous êtes pour beaucoup d’entre vous en savent quelque chose… –, le mot « toxique » me semble un peu exagéré. Nous essaierons de le rembourser au plus vite afin de nous débarrasser du danger qu’il représente.

Nos budgets ont toujours été équilibrés, notre patrimoine immobilier parisien, qui a pris une grande valeur en raison de la hausse des prix, est important, et les agences de notation nous attribuent la note « AAA » ; bref, les finances de Sciences Po sont saines.

S’agissant de la gestion du service des enseignants-chercheurs, la réglementation nationale est difficile à appliquer. D’ailleurs, l’école Polytechnique et sept ou huit universités se sont attiré des observations de la Cour. Nous reconnaissons qu’il existe un problème, notamment pour les professeurs associés à mi-temps – dont certains, soit dit en passant, sont membres de la Cour des comptes. Normalement, les professeurs associés à mi-temps sont nommés pour une durée de trois ans renouvelable ; en pratique, ils sont chargés d’un cours sur une thématique assez large – l’Europe, les finances publiques, le métier politique… –, mais cela ne correspond pas toujours exactement à la moitié du service d’un titulaire. Nous aurions donc dû leur demander de rembourser la différence ; nous ne l’avons pas fait. Mieux vaudrait remplacer ce statut par un système contractuel, avec contrôle du bon respect des engagements. Tous nos partenaires – l’Allemagne, l’Angleterre, les États-Unis, l’Italie, l’Espagne – ont adopté des systèmes de ce type.

J’en viens aux problèmes délicats que sont la rémunération de Richard Descoings et le financement de la mission « Lycée pour tous ».

Parlons franchement : on ne parlerait pas aujourd’hui de Sciences Po s’il n’y avait pas eu le problème de la rémunération de Richard Descoings ; celui-ci ne serait d’ailleurs pas mort s’il n’y avait pas eu ce problème. Il avait réussi, il avait une belle image, il avait réussi – mais le miroir s’est fêlé. Il en a souffert très profondément et, pour l’avoir fréquenté durant ces trois mois tragiques qui ont suivi, je peux dire sans hésitation qu’il en est mort.

Sur quoi reposait le principe de sa rémunération quand je suis arrivé, en février 2007 ? La commission des rémunérations se réunissant en avril, il m’a transmis le dossier en mars. Il considérait que, s’il était resté conseiller d’État, il gagnerait à son âge environ 18 000 euros brut par mois. Il comparait en outre la direction de Sciences Po à celle des grandes écoles de commerce, des Mines, des Ponts et Chaussées, de l’Institut des hautes études scientifiques, de l’École d’économie de Paris, des universités suisses, des universités anglaises. Voulant se trouver au même niveau que ses homologues, il arrivait à une rémunération qui était en effet sept ou huit fois supérieure à celle d’un professeur, et quatre à cinq fois supérieure à celle d’un président d’université française – dès lors qu’il n’est pas professeur de médecine.

De mon point de vue, cette rémunération a été fixée régulièrement, par une commission comprenant le vice-président du conseil d’État, le procureur général honoraire près la Cour des comptes et quatre autres personnalités venant toutes de l’administration et exerçant des fonctions dans de grands établissements ; mais elle n’était pas publique, et cette publicité a créé un problème.

Je n’ai pas l’intention de jeter la pierre à un mort : je n’ai pas l’habitude de cracher sur des cadavres, et je dédierai un bâtiment de Sciences Po à la mémoire de Richard Descoings. Peut-être était-il trop payé – je n’ai pas d’opinion à émettre sur ce sujet. Quoi qu’il en soit, nous avons proposé à la ministre et au conseil d’administration de la FNSP que la direction de l’IEP soit rémunérée à la hauteur de la présidence d’une université. Néanmoins, en tant qu’administrateur de la Fondation, le directeur a des responsabilités supérieures : il doit gérer 900 salariés, une douzaine d’immeubles, rechercher des fonds, effectuer de nombreux déplacements à l’étranger. Richard Descoings travaillait 70 heures par semaine ; à l’heure effective, il était certes moins payé que les gens qui le jugent aujourd’hui !

Le futur directeur-administrateur disposera donc d’un traitement de président d’université et d’une indemnité en tant qu’administrateur de la Fondation, qui sera votée par le conseil d’administration de celle-ci, donc rendue publique. Le conseil d’administration a agréé ce dispositif et la ministre n’a fait aucune objection.

Quant au problème du financement de la mission « Lycée pour tous », cela m’échappe un peu. Le précédent Président de la République avait confié cette mission, intuitu personae, à Richard Descoings ; même si celui-ci m’en avait parlé parallèlement, c’est par la presse que je l’avais appris : cela ne concernait pas Sciences Po. Richard Descoings a souhaité, en accord avec le secrétaire général de l’Élysée, que cette mission ne soit pas financée par le ministère de l’éducation, mais par les pouvoirs publics, suivant deux modalités : une subvention spécifique de 200 000 euros, et des dépenses engagées, sur son ordre, par la FNSP, et compensées par une augmentation de la subvention du ministère de l’enseignement supérieur – que, curieusement, le secrétaire général de l’Élysée a demandée par écrit au ministre. Nous avons pris connaissance de ces informations en lisant le rapport de la Cour des comptes. Au final, tout cela n’aura pas coûté un sou à la Fondation – qui n’est pas directement concernée.

En tant que simple observateur, je regrette que les pouvoirs publics n’aient pas été mieux organisés. Selon la Constitution, c’est le Premier ministre qui est le chef de l’administration : l’organisation et le financement d’une telle mission auraient dû donner lieu à la réunion d’un comité interministériel à Matignon, à un « bleu » budgétaire et à une lettre au ministre du budget. Je regrette que l’on n’ait pas respecté cette procédure – mais Sciences Po n’y est pour rien.

Il existe un précédent. En 1973, le ministre d’alors avait demandé à la FNSP d’accepter une subvention régulière destinée à financer les voyages du directeur de l’enseignement supérieur. Le président de l’époque, François Goguel – fonctionnaire parlementaire extrêmement rigoureux –, avait accepté. La subvention a été versée sans interruption de 1973 à 2002 ; durant cette période, tous les voyages du directeur de l’enseignement supérieur ont été payés par Sciences Po sur présentation des justificatifs. Le dernier directeur ayant fait un trop grand nombre de voyages, il a été renvoyé par la Cour des comptes devant la Cour de discipline budgétaire et financière et en correctionnelle ; Alain Lancelot et Richard Descoings ont été désignés comme gestionnaires de fait. Pour avoir obéi au ministère, ils ont dû payer une amende de leur poche !

Dans le cas présent, Richard Descoings a répondu à une demande du Président de la République et nous devons à nouveau en subir les conséquences ! C’est pourquoi j’ai demandé au conseil d’administration de la FNSP de ne plus accepter aucune mission de l’État, tant que celui-ci ne respectera pas les lois qui le régissent.

Je le répète : nous acceptons toutes les propositions de réforme présentées par la Cour des comptes. J’ai écrit à la ministre pour répondre aux points essentiels. Le contrôle de l’État est déjà prévu par le décret de 1946, qui précise que le ministre de l’éducation et le ministre des finances peuvent à tout instant venir et contrôler Sciences Po. À eux d’en prendre l’initiative ! Nous les informerons désormais plus précisément des dates des conseils d’administration.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les observations que je souhaitais faire.

M. le président Patrick Bloche. Permettez-moi de vous faire part d’une information de dernière minute. Mme Fioraso, tirant les conséquences du rapport de la Cour des comptes, et notamment du fait que certains faits graves sont déférés à la Cour de discipline budgétaire et financière, a estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour donner suite aux délibérations des deux conseils dirigeants de Sciences Po et procéder à la nomination d’un directeur. Mme la ministre a déclaré qu’elle désignerait dans quelques jours un nouvel administrateur provisoire de l’IEP, après avoir consulté les deux présidents.

M. Jean-Claude Casanova. Nous avons rendez-vous avec elle demain à 17 heures.

M. Michel Pébereau, président du conseil de direction de l’Institut d’études politiques de Paris. J’ai peu de chose à ajouter à ce que vient de dire Jean-Claude Casanova.

Contrairement à ce qu’insinue la presse, je ne siège pas aux instances dirigeantes de Sciences Po en tant que banquier, mais en tant qu’ancien enseignant de l’IEP. Très jeune, j’ai souhaité consacrer une partie de mes loisirs à l’enseignement ; étant un enfant de l’école républicaine, et en ayant beaucoup reçu, j’ai essayé lui rendre un peu de ce qu’elle m’avait donné en donnant des cours parallèlement à l’exercice de mon métier. J’ai enseigné à Sciences Po à partir de 1969-1970 : jusqu’en 1980, j’ai été maître de conférences, puis j’ai assuré pendant une vingtaine d’années le cours sur la politique économique de la France – à l’époque le statut de professeur associé n’existait pas.

En 1987-1988, François Goguel, qui était alors président du conseil de direction, m’a demandé de lui succéder à ce poste – j’étais déjà membre du conseil en tant que professeur, élu par mes pairs. J’ai accepté car Sciences Po était entré, avec Alain Lancelot, dans une phase de réformes, et je pensais que ma présence serait de nature à les favoriser.

Je précise que la participation au conseil de direction est une activité bénévole, et que son président est élu tous les ans. À la demande expresse des présidents successifs de la FNSP, je suis élu président, sans discontinuer, depuis 24 ans – M. Goguel était resté 20 ans à ce poste.

Le conseil de direction a pour mission de déterminer « la politique générale de l’Institut, notamment en approuvant le contrat d’établissement en ce qui concerne tant la formation initiale que la formation continue. Il fixe les conditions d’admission, l’organisation et le programme des études, ainsi que les modalités de leur sanction et les conditions de recrutement des chargés d’enseignement. » Le conseil de direction n’a donc pas de responsabilité dans la gestion des finances de Sciences Po ; en revanche, il donne chaque année un avis sur le projet de budget de l’IEP, avis qui est soumis au conseil d’administration de la FNSP.

Le conseil de direction était donc « mobilisé » pour mener à bien les politiques définies par le conseil d’administration. L’œuvre accomplie est considérable ; il y a un avant et un après Richard Descoings. Mes autres fonctions me conduisant à voyager souvent à l’étranger, j’ai pu observer que Sciences Po est aujourd’hui l’une des rares universités françaises à bénéficier d’une réputation internationale exceptionnelle. L’IEP a d’ailleurs signé des accords avec les établissements les plus prestigieux à travers le monde.

Il importe de souligner cela quand on évoque des problèmes de gestion – sur lesquelles l’administration de Sciences Po a apporté les réponses requises. J’adhère entièrement à ce qu’a dit Jean-Claude Casanova : Sciences Po a opéré durant cette période une mutation considérable, en particulier dans le domaine social. Le Conseil de direction a eu à prendre des décisions difficiles, car les oppositions internes étaient fortes. Il a fallu toute l’énergie de Richard Descoings pour en triompher.

Je viens de signer, en tant que président de la Fondation de BNP-Paribas, un accord avec Jacques Attali, président de PlaNet Finance, visant à soutenir la création d’entreprise dans les quartiers difficiles. L’action conduite par Sciences Po en faveur des élèves de ZEP a créé un électrochoc. Dans chacun des établissements concernés, pour un élève intégrant Sciences Po, c’étaient des dizaines d’autres qui prenaient conscience qu’il était possible de sortir de la précarité et des difficultés de la vie quotidienne.

Je veux rendre un hommage particulier à Richard Descoings, pour avoir pris cette initiative. Si tout cela a pu voir le jour, c’est parce qu’il a tenu bon, et qu’il a été soutenu par le président de la FNSP. Tous deux ont réussi à faire quelque chose dont notre pays peut être fier.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie, messieurs. Nos collègues vont à présent vous poser des questions.

M. Yves Durand. Messieurs les présidents, je dois dire que vos interventions me laissent un sentiment de malaise.

Nous sommes tous conscients de l’importance de Sciences Po pour la France, sur le plan international, pour la formation des cadres de l’administration, et pour la vie politique de demain.

Mais, vous avez beaucoup parlé de quelqu’un qui est décédé, et qui ne peut donc pas se défendre. Il y a toujours de l’indécence à parler d’un mort, et il est un peu facile de prétendre que tous les problèmes de Sciences Po proviennent de la rémunération de Richard Descoings et de la « dérive » de ses derniers mois. J’ai moi aussi bien connu M. Descoings, car je présidais une mission parlementaire sur la réforme du lycée quand l’ancien Président de la République lui a confié une mission parallèle. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, et j’ai pu apprécier son inventivité.

Quand on examine le rapport de la Cour, on s’aperçoit que ce qui est mis en cause, ce n’est pas seulement la rémunération de M. Descoings, mais tout un ensemble d’éléments, suffisamment graves pour que la Cour de discipline budgétaire et financière soit saisie – ce qui n’est pas anodin. Vous répondez que vous allez suivre les préconisations de la Cour. Encore heureux ! Avant même que le problème de la rémunération de Richard Descoings ne soit soulevé, il existait des signaux qui auraient dû alerter les présidents que vous êtes.

Il faut envisager une évolution de Sciences Po. Ce qui est en jeu, ce sont les rapports entre Sciences Po et l’État – ce que vous appelez « les pouvoirs publics », qui, soit dit en passant, ne sont pas systématiquement fautifs. Comment allez-vous répondre aux propositions de la ministre ?

Il faut ensuite réfléchir à la conduite de l’innovation pédagogique. Vous avez tous deux rendu un hommage chaleureux à l’action de Richard Descoings en direction des ZEP – qui a donné lieu à des débats, mais que, globalement, nous considérons comme positive. Comment cela peut-il s’inscrire dans le cadre d’un contrat avec l’État, qui est le financeur ?

Au-delà, il vous appartient, messieurs, de proposer des remèdes à la situation actuelle. Comment comptez-vous répondre à la dégradation du climat à Sciences Po – qui, depuis le mois de juin au moins, est délétère ? Je crains que le dernier conseil d’administration du 29 octobre ait accentué la coupure entre, d’un côté, les enseignants et les étudiants de Sciences Po et, de l’autre, la direction.

Pourquoi ne pas avoir, comme la ministre vous l’avait demandé, attendu la publication du rapport de la Cour des comptes avant de nommer le nouvel administrateur-directeur ? Cette décision n’a pas été favorable à l’apaisement, et nous venons d’apprendre que la ministre refusait de la valider – ce qui est une première. Comment allez-vous réagir à ce refus ?

Quelles mesures comptez-vous prendre, dans les jours et les heures qui viennent, pour que revienne la sérénité nécessaire au bon fonctionnement de l’institution dont vous avez la responsabilité ?

Mme Virginie Duby-Muller. Vu tout ce qui s’est passé rue Saint-Guillaume depuis quelques mois, ne croyez-vous pas qu’est venu le temps du changement, du renouvellement – de la parité ? Je rappelle qu’il n’y avait aucune femme parmi les quatre finalistes pour le poste d’administrateur-directeur, et qu’on ne compte que deux femmes parmi les titulaires des douze postes de direction !

Ne faudrait-il pas mettre en place une nouvelle gouvernance et renforcer le contrôle de l’État sur Sciences Po ? Que pensez-vous de la recommandation de la Cour des comptes quant à la présence d’un représentant du ministère de l’économie et des finances et d’un représentant du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche au conseil d’administration de la FNSP ?

Nous venons d’apprendre que Mme Fioraso allait nommer un administrateur provisoire chargé de préparer les conditions de nomination du futur directeur. Qu’en pensez-vous ?

Étant moi-même ancienne élève de l’IEP de Grenoble et ancien membre de son conseil d’administration, je m’associe à ce qui a été dit : Richard Descoings a tiré vers le haut non seulement Sciences Po Paris, mais également les autres IEP, qui ont dû suivre. Or, ces derniers, qui comptent chaque euro, ont été choqués par les sommes d’argent évoquées, et surpris par le statut dérogatoire de Sciences Po Paris. Ne serait-il pas temps d’améliorer la lisibilité de l’institution et la transparence de sa gestion ?

Mme Annie Genevard. L’IEP de Paris jouit d’une renommée dont le président Casanova et le président Pébereau ont livré quelques clefs. C’est une école dont les étudiants sont fiers : lorsqu’un jeune dit : « J’ai fait Sciences Po Paris », on voit de la lumière dans son regard.

Nous sommes tous, collectivement, d’autant plus fiers de cette école qu’elle participe au rayonnement culturel de la France, au même titre que l’École normale supérieure, les Mines, l’ENA, HEC ou l’ESSEC. Je voudrais dire au passage au président Casanova qu’il existe une autre université en France qui accueille de très nombreux étudiants étrangers : la faculté des lettres de l’Université de Franche-Comté, avec le centre de linguistique appliquée, qui avait d’ailleurs envisagé un partenariat avec Sciences Po Paris.

L’IEP de Paris est aujourd’hui confronté à une situation financière et morale périlleuse, en raison des soupçons qui pèsent sur sa gestion. Tant d’institutions et de collectivités territoriales se sont laissé prendre aux emprunts « toxiques » – ou « structurés », qu’on ne peut adresser à l’IEP de reproche particulier. Cependant, la polémique sur la succession de Richard Descoings n’arrange rien. Comment l’IEP entend-il l’enrayer, protéger son image et préserver les acquis de la direction de Richard Descoings ?

Mme Isabelle Attard. La lecture du rapport de la Cour des comptes, messieurs les présidents, m’a également laissé une sensation très étrange. Sciences Po est-il une bulle au-dessus des lois ? J’ignore combien perçoivent les membres du conseil d’administration mais, s’ils ont laissé se développer de telles pratiques, le ver était dans le fruit : selon la Cour, « l’indemnité mensuelle du directeur ne repose sur aucun contrat formel et n’a pas été votée en conseil d’administration. » Plusieurs de mes collègues ont parlé du salaire de feu Richard Descoings, de l’auto-attribution de primes pour lui et son équipe d’encadrement, sans rapport avec ceux des établissements équivalents. Vous avez cité les universités étrangères, mais le président de Berkeley, qui compte 35 000 étudiants, a touché 396 760 dollars en 2010, M. Richard Descoings 537 246 euros – soit beaucoup plus en dollars.

La bulle encore : des cours, d’excellents cours, mais assurés à 93 % par des vacataires. Pourquoi, messieurs, ne pas aller jusqu’au bout de la logique, et supprimer carrément les professeurs qui représentent 80 % de la masse salariale ?

La bulle, toujours. Qu’y aurait-il eu de ridicule à soumettre au conseil d’administration l’attribution des logements de fonction ? Et comment voir dans la recommandation de la Cour des comptes de respecter le code des marchés publics la lubie d’une administration soviétique ?

La bulle Sciences Po est tellement éloignée de la planète Gouvernement qu’il n’a pas jugé utile d’établir un contrat d’objectifs et de moyens. Pourtant, Sciences Po n’est-il pas financé majoritairement par de l’argent public ?

L’absence de représentant des ministères des finances et de l’enseignement supérieur au conseil d’administration de la Fondation nationale de sciences politiques est-elle normale ? La ministre ne devrait pas tarder à apporter une réponse à ces questions en prenant des mesures. En outre, la Cour des comptes vient de demander des poursuites devant la Cour de discipline budgétaire et financière.

À l’heure où le Gouvernement veut mener une politique d’égalité des territoires, les moyens financiers dont dispose Sciences Po-Paris sont sans commune mesure avec ceux des IEP de province. Comment justifier que Sciences Po-Lille doive se contenter de 4 000 euros par étudiant quand Paris est doté de 13 000 euros, sinon par cette bulle qui protège Sciences Po-Paris ? Les autres IEP font pourtant de l’excellent travail, eux aussi envoient des étudiants à l’étranger, mais avec moins d’argent et surtout avec une gestion saine et dans un cadre légal. À destination des populations les plus défavorisées, je signale le programme d’études intégré – PEI – mis en place à Lille.

Messieurs les présidents, de deux choses l’une : soit le directeur adjoint Hervé Crès était complice des pratiques illégales du précédent directeur ; soit il n’a rien vu et il serait alors incompétent. Quoi qu’il en soit, il paraît nécessaire de procéder à un renouvellement du conseil d’administration de la FNSP et du comité de direction de l’IEP. On ne peut pas demander à ceux qui sont à l’origine des problèmes de les résoudre.

M. Émeric Bréhier. Je souscris aux propos d’Yves Durand sans arborer aucune fierté dans le regard puisque je ne sors pas de Sciences Po Paris, mais de Grenoble.

Vous avez rappelé avec raison, monsieur Casanova, les réussites qui sont à l’actif de Sciences Po, et que la Cour des comptes a relevées dans son rapport : l’augmentation du nombre d’étudiants, la diversification du recrutement social. Cela dit, si nous avions donné aux autres établissements de formation 30 % de plus en cinq ans, leur bilan se serait amélioré aussi.

Vous avez écrit à Mme la ministre le 16 novembre dernier que vous mettriez en œuvre les recommandations de la Cour des comptes ; l’inverse aurait été étonnant. Les observations de la Cour ne sont pas anodines, comme l’a souligné Yves Durand. Elle a d’ailleurs saisi la Cour de discipline budgétaire et financière.

Toutefois, les dysfonctionnements signalés par la Cour concernent également les pouvoirs publics, notamment les administrateurs représentant l’État aux conseils d’administration, et ils incitent à s’interroger sur les difficultés, voire l’incapacité, des membres des instances de surveillance à faire leur travail. Les anomalies ne sont pas le fait d’un homme, mais un problème collectif à déterminer ce qui devait, ou non, être soumis au conseil d’administration. Notre responsabilité à tous, c’est de nous pencher sur le fonctionnement du conseil d’administration et sur les liens entre les différents membres. J’aimerais que vous nous fassiez part de vos réflexions à ce sujet.

D’autre part, pourquoi avez-vous maintenu le conseil d’administration du 29 octobre, alors que vous aviez connaissance du rapport imminent de la Cour des comptes. Pourquoi avoir fait fi des remarques de plusieurs administrateurs, notamment des enseignants et des personnalités qualifiées ? Comment désormais surmonter cette crise de croissance et remettre Sciences Po sur ses rails ?

M. Marcel Rogemont. Il en est de ce rapport de la Cour des comptes comme de tous les rapports : il laisse dans l’ombre ce qui va bien et met en lumière ce qui ne va pas. Les élus locaux que nous sommes le savent bien. Cela n’enlève rien à l’intérêt du travail accompli.

La très forte augmentation des frais de scolarité tient sûrement à ce que le coût d’un élève est sensiblement plus élevé à Sciences Po qu’à HEC ou dans d’autres établissements comparables. Mais une telle réalité pourrait laisser croire que l’ouverture sociale, pour intéressante qu’elle soit, serait destinée à la masquer, d’autant que, dans le même temps, la part des élèves dont les parents exercent des professions intellectuelles supérieures s’est accrue.

M. Jean-Claude Casanova. Ces professions intellectuelles, ce sont les professeurs d’école et de collège.

M. Marcel Rogemont. Oui, et leur part s’accroît.

Vous avez passé un peu vite sur la rémunération de M. Descoings et sur la mission Lycée pour tous. Sciences Po ayant vocation à former l’intelligentsia, l’exemplarité, plus qu’ailleurs, devrait être la règle d’or. Quelles propositions concrètes entendez-vous faire pour renforcer le contrôle des pouvoirs publics ? Envisagez-vous d’accorder une place plus importante au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ? En tout état de cause, comment remettre l’éthique à sa place ?

Mme Colette Langlade. La représentation nationale demande beaucoup plus de transparence et de concertation, pour éviter que les dysfonctionnements pointés par la Cour des comptes ne se reproduisent.

Comment entendez-vous modifier la composition du conseil d’administration pour dissiper l’opacité des procédures et instaurer une démocratie interne ? N’y a-t-il pas lieu d’accroître la représentation de l’État, des étudiants et des salariés de l’IEP qui sont les premiers concernés par les décisions ?

Le manque de femmes au conseil d’administration saute aux yeux : sur 35 membres, elles ne sont que huit. Comment y remédier ?

Même si ce n’est pas le sujet aujourd’hui, je voudrais relayer la parole de certains IEP de province qui se sentent parfois lésés par la FNSP. Pouvez-vous les rassurer ?

Mme Sophie Dessus. Je tiens d’abord à vous remercier, messieurs, pour votre témoignage. Vous avez évoqué une étonnante aventure humaine, celle de Richard Descoings, qui a lié son destin à l’une de nos plus belles institutions, une des plus grandes écoles de notre pays. Et si l’IEP Paris a connu, jusqu’à la mort de son directeur, un essor remarquable, l’homme, porteur d’une vision, s’y est brûlé les ailes – comme Icare.

L’urgence est de reconstruire, en tirant parti des erreurs du passé, en s’appuyant sur les conseils de la Cour des comptes. L’école doit faire évoluer sa gestion administrative comme elle a su faire évoluer sa pédagogie. Il reste sans doute beaucoup à faire, notamment en matière de diversité sociale et de surveillance de la part de l’État. Mais cette école doit rester le modèle auquel nous tenons tant, un exemple de la culture française. Ce sera la tâche du nouveau directeur – ou directrice –, qui doit reprendre le flambeau au plus vite.

Mme Michèle Fournier-Armand. Sciences Po est l’un des maillons importants de la formation supérieure dans notre pays. Sa spécificité doit être préservée, mais il faut que le calme et la mesure reviennent rapidement.

Même si la proportion d’élèves boursiers s’est accrue, elle demeure insuffisante. Les conventions avec les établissements des ZEP ont conduit à une légère modification du recrutement, mais elles ont concerné moins de 900 élèves en dix ans. Le volet social ne relèverait-il pas des « bonnes œuvres » ? En effet, les frais de scolarité grimpent mais en même temps, on annonce qu’il y a davantage d’étudiants boursiers…

Quelles mesures prendre pour mieux assurer la représentation de la diversité de notre société, notamment dans sa composante féminine, au sein de l’établissement, qu’il s’agisse du corps enseignant ou des étudiants ?

Quel rôle la FNSP peut-elle jouer auprès des établissements non parisiens pour voir la fameuse lueur dans le regard de tous les étudiants, favoriser la diffusion de leurs activités de recherche et des formations universitaires en sciences politiques ?

M. le président Patrick Bloche. Laissez-moi, avant de vous interroger, messieurs les présidents, chausser mes lunettes, afin de masquer la lueur de fierté dans mon regard.

Le code des marchés publics est enseigné à Sciences Po, dont les cours de droit administratif font référence. Alors comment l’IEP a-t-il pu s’exonérer de ces règles, compte tenu de l’importance de son budget ?

Sciences Po a succédé à l’École libre des sciences politiques, et le statut actuel porte la marque de cette histoire. Son autonomie est sans doute à l’origine des défaillances dans le contrôle de l’État. Comment expliquer la coexistence de telles défaillances et d’une relation aussi directe entre l’administrateur-directeur et l’Élysée sous le dernier quinquennat ? La mission « Lycée pour tous » a été financée sur les ressources de Sciences Po sans l’approbation du conseil d’administration de la Fondation, tandis que M. Guéant, secrétaire général de l’Élysée, fixait arbitrairement une progression du budget de l’IEP qui a dû faire beaucoup de jaloux.

S’agissant de l’insuffisance de contrôle, comment y remédier à l’avenir ? La représentation nationale ne pourrait-elle y participer ?

M. Jean-Claude Casanova. Le regard que la représentation nationale porte sur Sciences Po a une grande importance pour nous ; il nous aide à comprendre comment nous sommes perçus et nous devons en tenir compte.

Si vous le permettez, je ne répondrai pas individuellement à chacun de vous, mais j’essaierai d’apporter des réponses à vos interrogations essentielles.

Le conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques, que je préside, trouve son origine dans l’ordonnance de 1945. Il faut comprendre celle-ci comme un pacte entre l’École libre des sciences politiques et l’État. L’École apportait son patrimoine – ses immeubles et sa bibliothèque –, et sa tradition. Elle avait formé l’administration française depuis la fin du XIXè siècle, entretenant des liens étroits avec le Conseil d’État ou le corps diplomatique. C’est pourquoi le conseil a été composé pour moitié – à l’origine du moins car la proportion diminuera par la suite – par les fondateurs, les autres membres étant nommés.

Le Premier ministre nomme six personnes : deux représentants de l’État, qui sont le vice-président du Conseil d’État, actuellement M. Jean-Marc Sauvé, et une personnalité de l’administration des finances – M. Jean-Pierre Jouyet ; ainsi que quatre personnalités du monde économique et social : un représentant des syndicats, M. François Chérèque ; un représentant du monde des entreprises, M. Marc Ladreit de Lacharrière ; un représentant du monde de l’agriculture, Mme Marion Guillou qui préside l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l’École polytechnique ; un représentant des entreprises publiques ou parapubliques, M. Jean-François Cirelli, vice-président de GDF-Suez.

L’université désigne aussi six personnes : un professeur de droit privé, un professeur de droit public, un professeur d’économie, un professeur d’histoire, un professeur de géographie et un autre que j’oublie. Le directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) nomme un directeur du CNRS.

À aucun moment la FNSP n’intervient dans ces nominations.

Le directeur de l’École nationale d’administration est membre de droit du conseil d’administration de la Fondation. Enfin, le directeur de l’IEP de Paris, s’il n’est pas l’administrateur de la Fondation, est lui aussi membre de droit.

À l’initiative de François Goguel, on a introduit des représentants, élus du personnel - cinq aujourd’hui –, les fondateurs ayant diminué à cet effet leur « part » au sein du conseil d’administration.

Quant aux 13 ou 14 représentants des fondateurs, ce sont tous des professeurs d’université ou des fonctionnaires de l’État. Il est donc difficile de dire que les pouvoirs publics ne sont pas présents au conseil d’administration de la Fondation.

Les fondateurs étaient animés par le souci de la réussite. Les hommes politiques les plus prestigieux de la IIIRépublique, y compris Léon Blum, ont été formés et ont enseigné à Sciences Po. Les fondateurs voulaient continuer à former la haute administration française, mais au sein de l’État. La seule condition qu’ils y mettaient était l’indépendance.

Pourquoi ? Ce dont souffre l’université française, c’est du manque d’autonomie. Le terme n’apparaît d’ailleurs dans les discours qu’à partir de 1968. Vous m’accorderez qu’elle n’est pas encore réalisée. Si vous vous reportez au rapport de la Commission européenne sur le degré d’autonomie des universités européennes, la France est classée dernière pour chacun des six critères de mesure retenus. Or, Sciences Po considère depuis l’origine, qu’il y a une relation étroite entre le degré d’autonomie et la réussite scientifique et universitaire. Les comparaisons internationales le confirment.

En guise de réponse à l’une de vos questions, je vais vous faire un aveu : personnellement, je dois beaucoup à la Faculté de droit et à Harvard, mais, intellectuellement, je ne dois pratiquement rien à Sciences Po, même si j’y ai beaucoup enseigné – ce qui n’allume aucune fierté dans mon regard. Sciences Po n’est pas composé de gens supérieurs aux autres. Je suis même prêt à dire que, si je compare Sciences Po à Paris I, Paris VII ou Paris VIII, il y a moins de gens intelligents à Sciences Po qu’il n’y en a dans ces institutions.

Le seul avantage de Sciences Po, c’est que les décisions que nous prenons sont immédiatement appliquées. Quand on décide d’envoyer 1 000 étudiants à l’étranger, un an après, c’est fait. Dans une université française, ce n’est pas possible. Si Sciences Po a réussi ses réformes, ce n’est pas parce que Richard Descoings était supérieur aux autres, mais parce que, quand il nous a proposé les contrats avec les ZEP, il n’a pas fallu plus d’un an pour les mettre en œuvre. Pourtant, nous nous sommes heurtés à d’énormes difficultés. C’est d’ailleurs le Parlement qui, en votant une loi, nous a permis de sortir du carcan et de surmonter les oppositions.

J’étais favorable à la réforme parce que c’était un moyen, d’une part, de faire venir à Sciences Po des gens qui n’y seraient jamais venus, et, d’autre part, de briser l’uniformité du concours qui, à certains égards, est une absurdité. Les individus sont extraordinairement divers, et plus on brise ce moule unique du concours, meilleure est la qualité du recrutement.

Quant aux femmes, je n’ai rien contre. Mais la moitié des membres du conseil d’administration sont désignés par les corps universitaires et les pouvoirs publics. Suggérez-leur de désigner des femmes, je ne demande pas mieux. L’université française à laquelle j’appartiens a recruté des femmes avant tous les autres corps de l’État, et, jusqu’à présent, elle ne tient compte dans ses recrutements ni du genre, ni de l’orientation sexuelle, comme on l’a reproché à Richard Descoings. Elle choisit en fonction des qualités intellectuelles. Certes, il y a des pesanteurs sociologiques mais vous n’en êtes pas plus maîtres que moi.

Pourquoi n’avoir pas attendu pour désigner le successeur de Richard Descoings ? Mais la vérité, c’est que nous avons attendu. Richard Descoings est mort le 3 avril. Le conseil d’administration s’est réuni à la mi-mai, une fois intervenue la nomination du nouveau Gouvernement. Ce dernier nous a demandé d’attendre encore un peu car il était question que la Cour des comptes fasse un référé. Nous avons donc attendu en organisant notre procédure. Pour la première fois, nous avons lancé un appel à candidatures alors qu’auparavant, c’était plus ou moins l’administrateur sortant qui choisissait son successeur, et Alain Lancelot avait choisi Richard Descoings.

J’en profite pour répondre sur les rapports de l’administrateur avec l’Élysée. Richard Descoings a été nommé par Alain Juppé. Or, il était de notoriété publique que Richard Descoings était socialiste, comme Michel Gentot, désigné par Raymond Barre. Richard Descoings avait appartenu aux cabinets de M. Michel Charasse et de M. Jack Lang. Mais jusqu’à présent, dans l’histoire de Sciences Po, jamais les opinions politiques n’ont été prises en compte pour les choix.

Nous avons attendu, nous ne nous sommes pas réunis en juillet, comme nous l’avions prévu. Pourtant, le temps qui passe porte préjudice à Sciences Po, du fait de la vacance du pouvoir. On peut lire partout dans les journaux que Sciences Po est mal géré, que c’est une gabegie, qu’il faut plus de neuf mois pour nommer un administrateur. Nos ressources qui, pour la moitié d’entre elles, ne viennent pas de l’État, risquent d’en souffrir. Que fera le mécène qui donne un million de dollars pour financer huit bourses ? Nous avons besoin d’argent pour nos étudiants. Nous leur offrons la possibilité d’apprendre toutes les langues vivantes, mais pour cela, il faut bien payer les professeurs. Comme nous offrons une bonne formation, nos étudiants gagnent bien leur vie et nous leur demandons de nous rendre une partie de leur revenu, et ils le font. Nous recevons des contributions et nous espérons en avoir de plus en plus.

Le 1er septembre, Mme la ministre m’écrit en me disant tout le bien qu’elle pensait de Richard Descoings, évoquant une « icône ». Elle me demande de surseoir à la nomination d’un successeur. Très bien. Nous attendons. Arrive le rapport de la Cour des comptes il y a un mois. Je l’ai lu attentivement et n’y ai pas trouvé une ligne qui mette en cause l’un des candidats. En revanche, je constate qu’un des membres de la troisième chambre de la Cour est candidat… Moi qui ai signé le rapport Jospin sur les conflits d’intérêt, je m’interroge.

Poursuivons. Je cherche une date de réunion qui convienne à tout le monde. Je signale qu’il faut les deux tiers des voix pour qu’un administrateur soit élu. Nous décidons de convoquer le conseil d’administration le 29 octobre. J’indique alors à la ministre que j’attendrai le 22 novembre pour lui adresser la lettre de proposition du conseil. C’est ce que j’ai fait ce matin. J’ai donc strictement respecté les engagements que j’avais pris : attendre de connaître le rapport définitif – je l’ai eu début octobre avec la consigne de le garder confidentiel.

La presse a été moins discrète, et nous avons la preuve, grâce à une particularité, que la version diffusée provient soit de la Cour des comptes, soit de l’administration.

Reprenons le fil. Le conseil d’administration, à la majorité des deux tiers, juge que M. Hervé Crès est un homme intègre, aux qualités intellectuelles exceptionnelles. C’est donc lui que j’ai proposé. Je rappelle que je suis totalement indépendant, n’étant pas nommé par le ministre.

Soit dit en passant, le président de Berkeley, mon homologue, gagne beaucoup plus d’argent que moi et un peu moins que Richard Descoings, mais le provost, celui qui fait marcher la maison, gagne beaucoup plus que Richard Descoings. Je tiens d’ailleurs à votre disposition les rémunérations des présidents d’universités allemandes, anglaises, américaines, belges et suisses. Vous pourrez comparer, ainsi qu’avec les rémunérations des professeurs français à l’étranger. L’État français finance lui-même l’Institut européen de Florence, dont les professeurs sont payés deux fois et demie plus que les professeurs français. J’ajouterai, pour expliquer la rémunération de Richard Descoings, qu’un haut fonctionnaire gagne aujourd'hui trois fois plus qu’un professeur de physique théorique au Collège de France. La vérité, c’est qu’il y a une immense misère de l’université française qui aura des conséquences graves pour la science et la position de l’université française dans le monde.

Reprenons. Nous avons donc considéré M. Crès comme apte à exercer le poste. Une fois la date du conseil arrêtée, je suis allé voir la ministre pour lui indiquer que le conseil se réunirait le 29 octobre et que le comité de sélection proposerait M. Crès. Je suis allé voir le directeur de cabinet du Premier ministre avec le vice-président du Conseil d’État et Michel Pébereau, pour l’informer aussi. J’ai fait la même démarche auprès du président de la troisième chambre de la Cour des comptes M. Patrick Lefas, et je lui ai demandé de me communiquer d’éventuelles remarques sur notre candidat avant le 29 octobre.

Chacun est libre d’agir comme bon lui semble et Mme la ministre est libre de ne pas nommer M. Crès. Dans ce cas, nous chercherons quelqu’un d’autre, même si je le regrette profondément pour M. Hervé Crès. Cet homme de 47 ans s’est consacré à l’enseignement. Il a quitté HEC, où il était directeur adjoint, pour venir à Sciences Po en acceptant une amputation de sa rémunération de 20 %. Il retournera à HEC ou il ira enseigner ailleurs…

Quant à nous, nous ne sommes pas en guerre avec les pouvoirs publics. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que ces derniers ressentent le « malaise » que dit éprouver M. Yves Durand. Que devrais-je dire ? Je suis à temps plein à Sciences Po depuis la mort de Richard Descoings et j’éprouve plus qu’un malaise, monsieur Durand. Je suis très embarrassé

M. Yves Durand. C’est votre intervention qui m’a mis mal à l’aise.

M. Jean-Claude Casanova. Je le regrette, croyez-le bien.

Quoi qu’il en soit, on ne va pas revenir sur le passé. Richard Descoings est mort et nous ne nous cacherons pas derrière son ombre. Néanmoins, les décisions que Richard a prises sont signées de sa main. Les documents sont disponibles. D’autres personnes ont pris des décisions, je n’en disconviens pas. La Cour des comptes a peut-être décelé des irrégularités particulières, mais en dépit d’une lecture attentive, je ne sais pas qui est incriminé. Si vous le savez, dites-le moi.

La Cour nous « recommande » d’appliquer la procédure des marchés publics. Si nous ne l’appliquions pas, c’est parce que la Fondation est de droit privé, mais elle faisait l’équivalent. C’est un problème technique et nous y remédierons sans aucune difficulté.

Le problème de la rémunération de l’administrateur a créé un malaise dans l’opinion et à Sciences Po. Je le comprends. Je vous ai expliqué la philosophie de ceux qui ont demandé et accepté cette rémunération. De 2002-2003 à 2012, le principe était qu’il s’agissait d’un haut fonctionnaire à qui on accordait une indemnité le mettant au niveau des patrons de grandes écoles ou des universités étrangères. On peut contester cette philosophie, le cas particulier, ou la procédure.

La procédure sera révisée. Désormais, et j’en suis très heureux, toutes les rémunérations seront affichées, comme les loyers payés par les locataires des appartements appartenant aux communes suisses. Le tableau des heures de cours sera officiel, comme il l’était autrefois dans l’université. Mais nous continuerons à demander des exceptions et nous les justifierons.

Trois facteurs incitent à des réformes : la mort de Richard Descoings, la croissance de Sciences Po et le rapport de la Cour des comptes. Les réformes envisagées par Mme la ministre – j’ai communiqué sa lettre à votre président – visent à augmenter davantage le contrôle de l’État. Nous lui proposons une solution simple, que le recteur, chancelier de Paris, ou bien le directeur de l’enseignement supérieur siège au conseil d’administration de la FNSP. Le premier siège déjà au conseil de direction de l’IEP, ainsi que le directeur général de l’administration et de la fonction publique et un représentant de la région. Toutes les décisions prises par Richard Descoings ont donc été prises en présence du recteur, ou de son représentant, du directeur général de l’administration et de la fonction publique et du représentant de la région. Désormais, soit le recteur, chancelier de Paris, viendrait au conseil d’administration de la FNSP, soit le directeur de l’enseignement supérieur. Il pourra donc y avoir une représentation directe. Et si, demain, le Premier ministre, veut nommer comme représentant de l’État à ce conseil d’administration quelqu’un d’autre que le vice-président du Conseil d’État, rien ne l’en empêche. Nous n’avons jamais guidé les choix du Premier ministre. Il se trouve qu’il n’a fait que suivre une tradition très ancienne en nommant M. Sauvé, qui est notre conseiller juridique, et M. Jouyet.

D’ailleurs, il y a un point de droit sur lequel nous sommes en total désaccord avec la Cour des comptes, c’est la nature juridique de Sciences Po. Elle nous classe dans la même catégorie que la Ligue contre le cancer, et nous ne sommes pas d’accord. En France, le droit est déterminé soit par la loi, soit par le juge. En ce qui nous concerne, nous estimons avoir respecté le droit qui nous gouverne, mais nous proposons de l’améliorer en instituant un représentant spécifique du ministre de l’enseignement supérieur, qui s’ajouterait à celui du CNRS.

Nous contribuons un peu aux Instituts de province puisque nous y avons trente à quarante personnes, mais nous ne pouvons pas faire plus financièrement. Cela étant, nous discutons avec eux de notre politique générale, mais certains ont des politiques différentes de celui de Paris : sur la longueur des études, sur l’année à l’étranger.

Nous sommes tout à fait favorables à la création en cours d’un Institut supplémentaire, dans les Yvelines. Ce sera très important compte tenu de l’augmentation du nombre de candidats, qui atteste notre succès. Quand je suis entré à Sciences Po, il n’y avait pas de véritable sélection. Aujourd'hui, nous avons sept à huit candidats pour une place. Nous sommes donc très heureux de voir se créer un autre Sciences Po, avec un statut différent. La diversité institutionnelle est d’ailleurs une excellente chose, parce qu’elle permet de voir quel est le meilleur statut.

Incidemment, je n’aime pas beaucoup le mot « province » car il est un peu connoté. Il n’existe pas de supériorité de Paris et l’émulation est favorable à tous. Nous avons des relations très anciennes et particulières avec l’Institut de Grenoble, et nous y avons trouvé certains de nos dirigeants, tels Jean-Louis Quermonne et Georges Lavau. Nous avons également des liens avec Bordeaux. En revanche, Lyon et Strasbourg ont leurs traditions ou leur stratégie propres. Lille, plus récent, se montre dynamique.

Pour conclure, nous n’avons pas peur du contrôle des pouvoirs publics. Nous avons une position argumentée mais si on nous convainc, nous évoluerons. C’est comme ça que nous avons été formés et que nous formons nos étudiants.

M. Michel Pébereau. S’agissant de l’emprunt « toxique » évoqué dans le rapport de la Cour des comptes, je rappelle la procédure. En la matière, l’Institut d’études politiques de Paris, dont je préside le conseil de direction, n’a aucune forme de responsabilité : il n’a rien à connaître de ce sujet, comme d’aucun des sujets ayant fait l’objet de critiques de la part de la Cour, qui relèvent de la Fondation.

Comme je suis à la fois banquier et membre du conseil d’administration de la Fondation, vous pourriez penser que j’ai une responsabilité dans la politique d’emprunt. C’est le contraire : attentif depuis très longtemps aux conflits d’intérêt, je n’ai jamais souhaité m’occuper des questions financières de la Fondation. Je n’étais donc pas membre de la commission financière qui examinait les emprunts. En outre, le hasard a voulu que je n’aie pas été présent le jour où le conseil d’administration a pris la décision. Je n’ai donc rien su de cet emprunt, avant que Jean-Claude Casanova me communique le pré-rapport de la Cour des comptes – dont je n’étais pas destinataire puisque l’IEP de Paris n’était pas concerné. Sciences Po a répondu publiquement sur son site et je ne demande pas autre chose. J’observe que l’insistance de la presse à considérer que j’ai une responsabilité dans ce domaine n’a pas faibli, en dépit de la réalité des faits.

Sortant de mon rôle de président de l’Institut d’études politiques de Paris pour reprendre celui de banquier retraité, j’indique que, dans la souscription des emprunts toxiques, les responsabilités sont le plus souvent partagées entre banquiers et emprunteurs, les banquiers signalant aux emprunteurs les dangers des emprunts qu’ils contractent. En l’espèce, je ne sais pas ce qu’il en a été puisque je n’ai pas eu l’occasion d’interroger Richard Descoings. Mais, d’autres que Sciences Po ont souscrit de tels emprunts, de façon à réduire le taux d’intérêt, sans mesurer tout à fait le risque qu’ils prenaient par ailleurs.

Le coût des étudiants a fait l’objet d’une étude approfondie de la part de la direction de Sciences Po et je vous renvoie aux pages 42 à 46 de nos réponses. Le coût par étudiant n’a pas progressé plus vite à Sciences Po que dans les autres universités parce que, d’une part, nous avons augmenté le nombre de nos étudiants ; et, d’autre part, il est globalement comparable à celui d’autres établissements d’enseignement supérieur de notre pays. C’est un point important, et je ne suis pas de ceux qui pensent que les problèmes de productivité et d’efficacité sont des problèmes comptables. Ce sont véritablement des problèmes économiques, spécialement quand ils engagent autant d’argent public.

Il est injuste de qualifier de « bonnes œuvres » la politique suivie en direction des ZEP. Le conseil de direction a pris la décision, que le conseil d’administration a bien voulu soutenir, en se donnant des objectifs clairs. Et nous n’aurions pas tenu, face à la violence qui s’est alors déchaînée, s’il ne s’était pas agi d’un élément essentiel de notre stratégie.

De même, lorsque nous avons mis en place des droits de scolarité relativement élevés, nous avons pris la double précaution de les rendre progressifs en fonction du revenu des parents – à ma connaissance, le travail effectué n’a pas d’équivalent en France – et, parallèlement, de mettre en place un mécanisme de bourses complétant les bourses d’État.

Enfin, je précise que je n’ai pas été étudiant à Sciences Po Paris. En revanche, après avoir été sélectionné parmi les polytechniciens pour entrer directement à l’École nationale d’administration, j’ai fait un stage prolongé à Grenoble pour me former, sous la direction de M. Quermonne. Je suis donc tout à fait conscient de la qualité des Instituts « de province ».

M. le président Patrick Bloche. Merci, messieurs les présidents. Plus de deux heures d’audition n’auront pas épuisé le sujet. Notre Commission a voulu jouer son rôle de suivi, d’évaluation et de contrôle, mais nous avons aussi vocation à réfléchir et à faire des propositions, ce qui nous amènera sûrement à revenir sur cette question.

La séance est levée à treize heures dix.

Présences en réunion

Réunion du jeudi 22 novembre 2012 à 11 heures

Présents. – Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, M. Emeric Bréhier, M. Ary Chalus, Mme Sophie Dessus, Mme Virginie Duby-Muller, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, Mme Colette Langlade, Mme Martine Martinel, M. Marcel Rogemont

Excusés. – Mme Sonia Lagarde, Mme Lucette Lousteau, M. Michel Pouzol, M. Rudy Salles, Mme Michèle Tabarot, M. Stéphane Travert