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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 5 décembre 2012

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Patrick Bloche, président puis de M. Michel Ménard, vice-président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la priorité à l’école primaire et à la petite enfance, en vue de l’examen du projet de loi de programmation et d’orientation pour la refondation de l’école de la République (M. Yves Durand, rapporteur), rassemblant :

– M. Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne ;

– M. Éric Charbonnier, analyste à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ;

– M. Jean-Paul Delahaye, directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’éducation nationale

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 5 décembre 2012

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles organise une table ronde sur la priorité à l’école primaire et à la petite enfance, en vue de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (M. Yves Durand, rapporteur), rassemblant M. Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne, M. Éric Charbonnier, analyste à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et M. Jean-Paul Delahaye, directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’éducation nationale.

M. le président Patrick Bloche. Nous entamons aujourd’hui une série d’auditions et de tables rondes destinées à préparer l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, actuellement en cours d’élaboration sous la responsabilité du ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, et dont M. Yves Durand sera le rapporteur.

Le premier thème que nous avons choisi de traiter n’est pas le moindre : il s’agit de la priorité à accorder à l’école primaire et à la petite enfance. Pour en parler, j’ai le plaisir d’accueillir en votre nom trois invités. M. Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne – dont un rapport paru en 2010 s’intitulait « Vaincre l’échec à l’école primaire » –, a versé à la concertation qui s’est tenue cet été sur l’école une contribution portant précisément sur la « Priorité au primaire ». M. Éric Charbonnier est analyste à l’OCDE, dont l’édition annuelle des Regards sur l’éducation apporte des indications précieuses sur la situation relative de la France dans ce domaine. L’édition 2012 est ainsi consacrée au système d’accueil de la petite enfance et au déséquilibre du financement du système d’éducation en faveur du secondaire. Enfin, M. Jean-Paul Delahaye, après avoir appartenu au cabinet de Vincent Peillon, est le nouveau directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) au ministère de l’éducation nationale. Il est donc concerné au premier chef par l’élaboration du projet de loi de programmation et d’orientation, comme il le sera ensuite par sa mise en œuvre.

M. Yves Durand, rapporteur. Le sujet que nous abordons ce matin est en effet d’une grande importance. Il a d’ailleurs fait l’objet d’un certain nombre de rapports et d’études, qu’ils proviennent de la Cour des comptes, de l’Institut Montaigne ou du ministère de l’éducation nationale.

Je vois trois raisons de donner la priorité à la petite enfance et à l’école primaire. La première est que toutes les réformes menées par les ministres successifs – je souligne ce dernier mot, afin d’éviter que mon propos ne soit interprété comme polémique – ont davantage porté sur d’autres degrés que l’enseignement primaire : nous avons connu la réforme des lycées, de nombreux débats autour du collège, mais très peu d’évolutions du système éducatif ont touché le primaire. On considérait en effet que tout allait bien à l’école élémentaire, le maillon de la chaîne considéré comme le plus solide.

Or – et c’est la deuxième raison de cette priorité –, même si, grâce notamment à l’implication de ses personnels, l’école élémentaire ne marche pas si mal que cela, elle nécessite tout de même une réforme, parce que c’est là qu’apparaissent des difficultés qui peuvent par la suite devenir insurmontables : une fois l’élève parvenu au collège, il est souvent trop tard. Nous nous trouvons alors devant ces élèves « décrocheurs » qu’a évoqués hier le ministre en annonçant le plan du gouvernement en la matière. Il faut, bien sûr, s’attaquer au problème qu’ils posent, mais il faut surtout anticiper ce « décrochage », éviter dans la mesure du possible qu’il ne se produise. Or il trouve ses racines dans l’enseignement primaire.

Troisième raison, enfin : c’est à l’école primaire que les inégalités apparaissent, voire se renforcent. C’est d’ailleurs la conclusion des multiples rapports auxquels j’ai fait allusion. À l’arrivée en sixième, le mal est déjà fait. Si nous voulons que l’école exerce à nouveau sa double mission d’élever le niveau d’éducation de la population et de combattre les inégalités, c’est donc bien sur l’école primaire que nous devons faire porter l’essentiel de l’action publique. Il y a là une exigence éducative et économique, mais aussi, tout simplement, humaine et morale.

Le Président de la République, dans le programme qu’il a soumis aux Français lors des dernières élections, a d’ailleurs clairement indiqué la place prépondérante que l’école primaire devait prendre dans le processus de refondation de l’école. Le débat ne porte donc pas sur cette priorité – d’autant qu’elle me semble faire l’unanimité –, mais bien plutôt sur les moyens de satisfaire à cette exigence.

M. Éric Charbonnier, analyste à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il est agréable d’entendre que la nécessité de donner la priorité à l’enseignement primaire fait consensus. Cela n’était pas vrai il y a une dizaine d’années.

L’étude PISA – Programme for international student assessment – de l’OCDE montre que le système d’éducation français est non seulement de niveau moyen, mais surtout de plus en plus dichotomique : si un tiers des enfants de quinze ans sont de bons élèves, 20 % sont en échec scolaire. De surcroît, cette dernière proportion tend à croître, puisqu’elle n’était que de 15 % il y a dix ans – une augmentation d’un tiers. Enfin, la France est le pays dans lequel les inégalités sociales constituent le premier facteur d’échec scolaire.

Il est vrai que l’étude PISA est menée auprès d’élèves scolarisés au collège ou dans les premières classes de lycée. Mais ce que l’on observe dans cette tranche d’âge est le fruit d’inégalités sociales présentes dès l’école primaire – comme le montrent d’ailleurs les études internationales consacrées à l’évaluation de cet enseignement.

Il est donc vraiment nécessaire d’investir dans le premier degré. Certes, les sommes que la France dépense en faveur des enseignements primaire et secondaire, pris ensemble, se situent dans la moyenne des pays de l’OCDE. Mais si l’on distingue les deux niveaux, on observe une grande différence, qui peut expliquer une partie des difficultés : dans le primaire, la dépense par élève est inférieure de 17 % à la moyenne de l’OCDE, tandis que dans le secondaire, elle est supérieure de 15 %.

Étant acquis que le système d’éducation français n’est pas dépourvu de moyens, il faut certes investir davantage en faveur du primaire, mais il faut également réfléchir à l’efficacité de la dépense. À cet égard, les comparaisons internationales effectuées par l’OCDE peuvent encore apporter des éléments utiles.

Elles montrent ainsi que le réseau des écoles maternelles fonctionne bien : à l’âge de trois ans, quasiment tous les enfants de France y sont inscrits, de sorte que notre pays connaît l’un des meilleurs taux de scolarisation précoce de l’OCDE. C’est un élément positif à porter au crédit de notre système d’éducation – même si le taux de scolarisation à deux ans a légèrement baissé ces dernières années.

En revanche, une réflexion doit être menée sur certains points fondamentaux : les rythmes scolaires, la formation des enseignants, les méthodes pédagogiques – en particulier la pratique du redoublement.

La formation des enseignants est, selon moi, un des aspects les plus importants de la refondation de l’école primaire – mais aussi, d’ailleurs, de celle du secondaire. Dans ce domaine, la France est dans une situation assez atypique par rapport aux autres pays de l’OCDE, non pas à cause du niveau de diplôme exigé de ses enseignants – avec un master, ils n’ont rien à envier, en termes de qualification, à leurs collègues étrangers –, mais en raison du contenu de la formation, trop académique. Il faudrait donner plus de place à la formation pédagogique qui, aujourd’hui, n’intervient qu’après les épreuves du concours. Nos enseignants sont sélectionnés sur leur connaissance des matières et ce n’est qu’ensuite qu’ils abordent la pédagogie tandis que, dans la plupart des autres pays, celle-ci est enseignée dès le début de la formation et fait partie des critères de sélection pour accéder au métier.

À cet égard, la Finlande, qui a réformé son système éducatif dans les années 1970, constitue un modèle de juste équilibre entre compétences académiques et pédagogiques.

La réflexion doit également porter sur l’affectation, car les jeunes enseignants sont souvent parachutés dans les établissements les plus difficiles. L’âge moyen du personnel enseignant en zone d’éducation prioritaire (ZEP) est statistiquement beaucoup moins élevé que celui des enseignants exerçant ailleurs. Il faut donc trouver les moyens d’aider ces nouveaux professeurs à exercer leur métier, grâce au tutorat ou à la formation continue.

Quant au redoublement, toutes les études internationales démontrent son inefficacité. En général, il ne faut en effet que deux ou trois mois pour qu’un élève sache qu’il va redoubler son année scolaire. Dès lors, incapable de rattraper son retard, il va très vite décrocher. Or, même si la pratique tend à diminuer depuis trente ans, 38 % des élèves français âgés de quinze ans ont redoublé au moins une fois au cours de leur scolarité. Dans les pays de l’OCDE, la moyenne est de 13 %. Les pays les mieux placés dans les résultats de l’enquête PISA sont d’ailleurs, en général, ceux qui ont adopté des méthodes destinées à réduire le redoublement, méthodes fondées sur l’individualisation de l’enseignement, sur le soutien scolaire et sur la prise en compte des difficultés des élèves.

Enfin, les rythmes scolaires, dont on parle beaucoup ces temps-ci, sont aussi un élément de la réforme à conduire, même si ce n’est sans doute pas le plus important. Il faut dire que la France présente, dans ce domaine également, un profil atypique : dans l’enseignement primaire, l’année scolaire comprend 35 semaines de cours et la semaine de classe y est de quatre jours, contre 38 semaines et quatre jours et demi ou cinq jours dans la plupart des pays de l’OCDE. Une réflexion sur les rythmes scolaires est donc justifiée, mais elle ne peut suffire. Plus généralement d’ailleurs, on peut douter de l’efficacité d’une réforme qui ne s’attaquerait pas à tous les points que je viens d’évoquer.

Pour résumer, tout n’est pas noir dans notre système d’éducation, qui compte de bons élèves et des ressources utiles comme l’école maternelle. Mais il n’a pas fait l’objet de réformes suffisantes, notamment s’agissant de combattre l’échec scolaire et les inégalités sociales.

M. Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne. Je me réjouis de la présence de Jean-Paul Delahaye : l’arrivée d’un nouveau directeur général de l’enseignement scolaire, au moment où une nouvelle loi d’orientation va être mise en œuvre, témoigne d’une volonté politique de mettre en cohérence la législation et son application pratique.

Je ne reviendrai pas sur le tableau brillamment brossé par Éric Charbonnier. Je ne retiendrai que deux idées : non seulement notre système éducatif est trop peu performant, mais il est devenu très inégalitaire, cette dernière évolution ayant longtemps eu lieu dans une certaine indifférence.

La question posée au gouvernement et à la représentation nationale est de savoir comment passer de la démocratisation de l’accès à l’éducation – qui semble être un succès en France – à la démocratisation de la réussite, à la réussite pour tous. Le problème n’est d’ailleurs pas propre à la France, mais est celui de toutes les grandes démocraties. On sait, en effet, que les personnes les moins qualifiées ont moins de chance de pouvoir vivre une vie normale de citoyen, de salarié, d’entrepreneur, de fonctionnaire – une vie d’homme libre. Toutes les grandes décisions de politique publique doivent donc tenir compte de cette question fondamentale.

Pour éclairer vos débats, je rappellerai quatre principes.

Le premier est que la petite enfance, avant même l’âge de trois ans, doit être la priorité des priorités. Si de nombreux facteurs expliquent les excellents résultats que connaissent, en matière scolaire, certains pays du nord de l’Europe – par exemple le fait que le finnois est une langue plutôt facile à apprendre –, il en est un qui me paraît décisif : dans ces pays, relativement peu peuplés, on considère que « laisser tomber » un élève revient à se priver d’un talent et d’une contribution à la productivité, à l’attractivité, à la cohésion sociale du pays. L’idée de voir 20 % de la population scolaire sortir de l’école sans rien à l’âge de seize ans est, là-bas, inacceptable – c’est un « luxe » que l’on ne peut tout simplement pas se permettre.

Au contraire, en France, on s’est accoutumé, en matière scolaire, à un niveau de douleur insupportable, non seulement pour ceux qui la vivent, mais aussi pour la nation dans son ensemble.

Deuxième principe : cette priorité doit trouver une traduction budgétaire. Les pays qui ont cherché à améliorer la performance et l’équité de leur système scolaire ont investi ou surinvesti à deux niveaux : la petite enfance et l’université. En France, nous avons fait exactement le contraire, en portant l’effort sur le lycée napoléonien, sur le baccalauréat, sur les filières d’enseignement général, technologique et professionnel. Certes, ces secteurs sont très importants mais, dans le même temps, nous avons laissé s’appauvrir les enseignements primaire et supérieur – en tout cas jusqu’à la licence. C’est un choix public qu’il faut remettre en question, en concertation avec le corps social, car je ne pense pas qu’il offre aux individus une formation en phase avec les enjeux de la mondialisation.

Troisième principe : la question de la formation des maîtres est absolument cruciale, qu’il s’agisse de la formation initiale, en alternance ou continue. Je suis moi-même enseignant du second degré et je n’ai pas vu une salle de classe avant d’avoir réussi mon concours ! Après cinq années d’études, je n’ai donc pas pu éprouver ma vocation ni être formé directement par des enseignants chevronnés avant d’entamer mon stage pratique. Je crois sincèrement que cette formation en alternance nous a manqué, à moi et à mes camarades de l’institut universitaire de formation des maîtres. À cet égard, le dispositif des emplois d’avenir me semble aller dans le bon sens.

De même, il est paradoxal que l’on investisse aussi peu dans la formation continue des 800 000 enseignants que compte notre pays.

Quatrième et dernier principe : il est important, en particulier dans certains quartiers sensibles ou certaines zones particulièrement défavorisées, d’assurer un continuum entre les structures permettant d’accueillir les enfants âgés de moins de trois ans et l’école maternelle, puis élémentaire. Pouvons-nous nous satisfaire d’une situation dans laquelle 30 % des petits Parisiens peuvent se voir accueillis en crèche, contre 5 % seulement des enfants de Clichy-Montfermeil ? Certains choix publics sont donc fondamentaux, notamment en matière de péréquation entre territoires. Le prix Nobel d’économie James Heckman a montré qu’un euro investi entre zéro et trois ans, bien utilisé, aura toujours un effet plus fort que s’il est dépensé plus tard dans la vie d’un individu. Nous le savons depuis les années 1960, mais nous n’en avons pas tiré toutes les conclusions.

On peut demander beaucoup de choses à l’école, mais on ne peut pas tout lui demander, surtout si les structures placées en amont ne fonctionnent pas. L’Institut Montaigne a publié avec Gilles Kepel l’enquête « Banlieue de la République », qui consacre un chapitre entier à l’éducation. Elle montre la déficience des structures précédant l’école maternelle. Il faut y porter remède.

J’en viens maintenant à cinq points sur lesquels nous devons faire preuve de vigilance.

Tout d’abord, il convient de remettre la formation des maîtres au cœur du dispositif. La qualification du capital humain, la capacité à attirer les meilleurs d’une génération vers le métier d’enseignant – qui fut longtemps un des moteurs de notre république – devront être au centre du projet de loi dont vous allez débattre.

Ensuite, il faut s’assurer que leur formation initiale comprenne une part de formation en alternance, et que les enseignants bénéficient d’une formation continue. J’en profite pour souligner que la recherche en psychologie cognitive et en éducation reste insuffisante dans notre pays. L’Agence nationale de la recherche, le ministère de l’enseignement supérieur – en lien étroit, cela va sans dire, avec celui de l’éducation nationale – doivent consentir des efforts beaucoup plus importants en ce domaine. Un système éducatif aussi fort que le nôtre devrait pouvoir compter sur une recherche de premier plan, à même de publier dans des revues internationales à comité de lecture et de rayonner dans le monde entier. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : la recherche existe, mais elle est loin d’atteindre au niveau que notre potentiel universitaire autoriserait. Or, en éducation comme en médecine, c’est la recherche qui permet de proposer des outils nouveaux, puis de les tester et de les évaluer.

Il faut également enrichir considérablement l’offre de formation continue, au profit de l’enseignement dispensé en salle de classe – grâce à l’amélioration des compétences pédagogiques –, mais aussi au bénéfice de la carrière des enseignants. Alors que l’on ne cesse de dire aux salariés qu’ils n’exerceront pas le même métier toute leur vie, il ne serait pas anormal, après tout, d’aider les professeurs à évoluer vers d’autres métiers de la fonction publique, voire d’autres secteurs économiques. Je connais d’ailleurs des enseignants passionnés de numérique qui sont presque devenus des entrepreneurs. La formation continue doit donc être un outil puissant de qualification, mais aussi de requalification. Non seulement il ne faut pas s’étonner de voir des enseignants, après dix ou vingt ans de carrière, envisager d’exercer un autre métier, mais il est du devoir de la fonction publique d’offrir cette possibilité d’évolution à ses agents.

Autre point de vigilance, la participation des familles. L’étude réalisée à Clichy et à Montfermeil montre qu’un écart se creuse entre ces dernières – en particulier les primo-arrivantes, mais pas uniquement – et l’institution scolaire. Celle-ci doit consentir un effort d’ouverture. Je ne veux pas être caricatural, car je sais que cet effort est consenti, dans certains endroits, de façon merveilleusement efficace, mais il doit devenir beaucoup plus systématique, afin que les familles puissent prendre conscience des enjeux de la scolarité maternelle et élémentaire.

Enfin, le dernier point de vigilance, s’il n’est pas central, a une grande valeur symbolique. Il serait paradoxal de vouloir faire de la petite enfance une priorité tout en laissant le débat sur les rythmes scolaires « s’enkyster ». Nous savons tous que l’année scolaire n’est pas suffisamment étendue et qu’au contraire les journées d’école sont trop longues. Nous savons aussi que le ministre s’est saisi de ce sujet avec sérieux et ténacité. Sur ce point, il ne faut pas lâcher : certes, la semaine de quatre jours ne pose aucun problème à mes enfants, mais il n’en va sans doute pas de même dans d’autres territoires et pour beaucoup d’autres familles.

M. Jean-Paul Delahaye, directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’éducation nationale. Je m’inscrirai dans la parfaite continuité des propos tenus par les précédents orateurs, car je partage leur constat ainsi que nombre des orientations qu’ils préconisent. Je me contenterai donc d’apporter certains compléments en abordant ces questions sous l’angle pédagogique.

Nos propres études confirment – et c’est heureux – les résultats des évaluations internationales, comme l’étude PIRLS – Progress in International Reading Literacy Study –, qui permet de mesurer les performances des élèves en lecture dès la fin de la quatrième année de scolarité obligatoire, c’est-à-dire en fin de CM1 pour la France. Elle montre une surreprésentation de nos élèves dans la catégorie des élèves en difficulté et, inversement, une sous-représentation des élèves qui s’en sortent mieux. Plus inquiétant, elle révèle que les écarts tendent à se creuser. Mais sur le plan pédagogique, il est intéressant de constater, grâce à de telles évaluations, que les élèves français sont toujours les plus nombreux à s’abstenir de répondre quand les questions appellent des réponses rédigées, et aussi les plus nombreux à ne pas terminer les épreuves. L’étude PISA, quant à elle, révèle qu’ils osent moins facilement répondre quand ils hésitent sur la réponse à donner. Cela signifie que notre système éducatif considère l’erreur commise comme une « faute » qu’il faut sanctionner, plutôt que comme le signe permettant de détecter les difficultés et d’aider l’élève à progresser. Les petits Finlandais, eux, n’hésitent pas à répondre, même lorsqu’ils ne sont pas sûrs que leur réponse soit juste.

D’autre part, il est exact que nous consacrons davantage de moyens au second degré qu’au premier degré. C’est ce qu’illustre le taux d’encadrement dans l’école primaire, qui est en France de 18,7 élèves par enseignant, soit, après le Royaume-Uni – qui est à 19,8 –, l’un des plus faibles des pays de l’OCDE, où l’on compte 15,9 élèves par enseignant en moyenne. Ce taux ne doit pas être confondu avec le nombre d’élèves par classe, car il existe plus de professeurs que de classes.

Quant au taux de redoublement, même si un travail important a été accompli ces dernières années pour le faire baisser, il reste encore élevé par rapport à d’autres pays comparables : 3,4 % en cours préparatoire et 4 % en CE1.

Cela posé, comment traduire concrètement la priorité qu’il faut donner à l’école primaire ?

Tout d’abord, les chiffres que je viens de rappeler en matière d’encadrement tendent à indiquer que des moyens supplémentaires seront nécessaires, même s’ils ne suffiront pas – à cet égard, je suis d’accord avec mes prédécesseurs. En outre, le poids que représente l’éducation dans le budget national nous donne une grande responsabilité : il conviendra d’utiliser ces nouvelles ressources de la meilleure façon possible.

Ensuite, il convient de mieux inscrire la scolarité du premier degré dans une continuité, de la maternelle jusqu’au collège en passant par l’école élémentaire. Or, même si l’organisation en cycles d’enseignements a été inscrite dans la loi en 1989 puis confirmée en 2005, nous ne parvenons pas à la faire entrer en application. Un gros travail d’accompagnement des enseignants, de formation, de conseil reste à accomplir pour donner à ces cycles une existence concrète.

En tout état de cause, la loi d’orientation et de programmation en cours de préparation confirmera que l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture est, pour la nation, ce qui donne tout leur sens aux premières années de la scolarité obligatoire. Il faut donc concevoir des programmes en parfaite articulation avec les éléments de ce socle. Et pour assurer la continuité de l’enseignement entre l’école élémentaire et le collège, la loi fera obligation de mener des actions pédagogiques communes et complémentaires entre les deux niveaux, en prévoyant à cet effet l’institution d’un conseil école-collège. L’objectif est d’améliorer la fluidité des parcours et la progressivité des apprentissages.

J’en viens à l’école maternelle, dans laquelle est accueillie la quasi-totalité d’une classe d’âge à partir de trois ans. Je nuancerai le propos d’Éric Charbonnier : cette école fonctionne bien en termes d’accueil mais, malgré les efforts des personnels, elle perd peu à peu le sens de sa mission, qui a besoin d’une redéfinition. Plusieurs rapports de l’inspection générale ont donné l’alerte sur ce point : nous avons une tendance culturelle à « primariser » l’école maternelle – en particulier au cours de la dernière année, celle de la grande section –, à anticiper les apprentissages alors qu’il faudrait, au contraire, les rendre beaucoup plus progressifs. Ce faisant, on exerce très précocement une pression presque insupportable sur certains élèves, on les met en difficulté, puis, très vite, on les identifie comme élèves en difficulté. Or nous ne savons pas, dans notre pays, réparer les difficultés ni compenser l’impact des inégalités sociales sur le parcours scolaire, de sorte que l’on ne parvient jamais à rétablir la situation de ces élèves.

On observe également une perte de professionnalisme chez certains maîtres, qui n’ont pas été préparés à l’enseignement en maternelle. Cette école a une identité propre, elle correspond à un type de scolarisation particulier. Il faut donc apprendre à y enseigner, ce que l’on ne fait plus dans notre pays, en formation initiale comme en formation continue. Notre école maternelle a très longtemps été un modèle ; elle l’est encore, grâce au dévouement de son personnel, mais il existe des signaux d’alarme qu’il ne faut pas négliger.

D’autre part, si la scolarisation à trois ans est satisfaisante, il n’en est pas de même pour les enfants de moins de trois ans, dont le taux de scolarisation est passé de plus de 35 % au début des années 2000 à 11 % aujourd’hui. Il convient d’inverser la tendance. Une partie des moyens supplémentaires dont bénéficie l’éducation nationale sera d’ailleurs consacrée à cet objectif, en ciblant plus particulièrement les écoles situées dans un environnement social défavorisé, c’est-à-dire dans les zones d’éducation prioritaire, mais aussi, par exemple, dans les zones rurales isolées. L’enjeu de la scolarisation précoce est en effet plus important dans ces parties du territoire.

L’entreprise risque cependant de se heurter à des difficultés. Se posera d’abord la question des moyens, en particulier dans des zones comme la Seine-Saint-Denis où l’on partira d’un taux de scolarisation très bas – inférieur à 1 %. Mais il y a autre chose : cette offre de scolarisation précoce ne rencontre pas toujours la demande des parents, notamment dans les milieux défavorisés. Il faudra donc susciter cette demande en allant à la rencontre des familles pour leur démontrer qu’une scolarisation avant l’âge de trois ans est facteur de réussite pour l’enfant.

Nous réfléchissons aussi à la meilleure manière d’accueillir ces jeunes enfants, car on ne peut le faire dans n’importe quelles conditions. Cela nécessite une formation spécifique des enseignants, des locaux et des équipements adaptés, et aussi une certaine souplesse dans l’organisation car on n’accueille pas un enfant de moins de trois ans comme on le fait d’un enfant de CP ou de CM2. Certains moments de la journée, voire certaines périodes de l’année peuvent par exemple être plus propices que d’autres pour organiser cet accueil…

Enfin, le dispositif « plus de maîtres que de classes » est un autre exemple de dispositif destiné à améliorer les résultats de notre école. Là encore, des moyens financiers spécifiques y seront consacrés, mais pas dans n’importe quelles conditions, et pas partout : la volonté est clairement affichée de concentrer la dépense là où elle sera plus efficace.

Un maître de plus, dans une école, facilitera l’identification des élèves en difficulté et permettra de mieux leur venir en aide. En intervenant plus particulièrement au tout début de la scolarité élémentaire, il contribuera à faire évoluer les pratiques pédagogiques pour agir au plus près des élèves concernés. Il ne s’agira pas d’un coordonnateur comme en sont utilement dotés les établissements du programme ÉCLAIR – écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite –, où ils sont chargés d’élaborer des projets et de nouer des contacts avec les différents partenaires de l’école. Ce sera un professionnel aguerri, volontaire, recruté sur profil – on ne peut affecter un maître de plus dans ces écoles simplement au barème, car il devra disposer de compétences avérées ; un maître soumis aux mêmes obligations de service que ses collègues, et investi de la même dignité. Il ne s’agira donc pas d’un factotum ! Ainsi, dans une école comptant dix classes, on ne parlera pas de « dix maîtres plus un », mais bien de onze.

Mme Martine Faure. Merci, messieurs, pour la clarté de vos propos et pour les éclairages précieux que vous nous apportez à la veille de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation portant refondation de l’école de la République. Nous devons nous attaquer à de nombreux problèmes qui n’ont pas été traités – ou l’ont été mal – au cours des années, voire des décennies passées. Le temps de l’enfant en général, le temps scolaire, la formation des enseignants – initiale et continue –, leurs missions, les programmes, les pratiques, les méthodes pédagogiques, les futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation, la recherche pédagogique, l’arrivée du numérique sont autant de sujets, parmi bien d’autres encore, qui nous préoccupent et que nous espérons approfondir au cours du débat sur le projet de loi.

La priorité donnée à l’école maternelle et à l’école primaire ne peut que nous réjouir, car c’est un choix cohérent et qui fait consensus. Le gouvernement parle de « refondation » de l’école et, de fait, nous avons à reconstruire le système éducatif de manière à relever les défis d’aujourd’hui et de demain, sans pour autant nier l’engagement et le dévouement de beaucoup d’enseignants ni faire passer par pertes et profits de belles expériences et initiatives qui ont donné de forts bons résultats.

Quoi de plus logique que de commencer le travail par les fondations ? L’enseignement du premier degré joue un rôle fondamental dans la maîtrise de la langue, dans la détection des difficultés, dans la prévention du décrochage scolaire. L’école maternelle, en particulier, est le lieu privilégié des apprentissages de base, ultérieurement développés à l’école primaire. Et c’est précisément sur l’articulation entre ces deux écoles, et entre l’école primaire et le collège, que je souhaite d’abord vous interroger. Comment les enseignants peuvent-ils acquérir une vision d’ensemble du cursus de leurs élèves ?

D’autre part, même si l’essentiel se joue dans la classe, quelle doit être la place de l’école dans son environnement ? Le ministre réclame des efforts aux parents, aux élus, mais qu’en est-il du monde de l’entreprise, dont dépend en partie la disponibilité des parents de jeunes enfants ? Comment mieux articuler le temps scolaire et le temps périscolaire, dans la mesure où le deuxième devrait bénéficier de l’allégement du premier ? Les différents temps éducatifs contribuent en effet à la construction personnelle de l’enfant, à son émancipation, à sa connaissance du monde. Enfin, que pensez-vous de la démarche des contrats éducatifs locaux, qui rassemblent autour de l’école tous les acteurs qui lui veulent du bien ?

M. Benoist Apparu. Vous avez tous les trois rappelé l’inégale répartition des moyens dans le système éducatif français – beaucoup pour le lycée, peu pour le primaire et pour l’enseignement supérieur. Ce constat, nous le faisons tous. Mais je n’ai pas entendu dans vos exposés une seule préconisation pour résoudre ce problème.

Cette inégalité se traduit notamment dans les taux d’encadrement et dans le nombre d’heures de service effectuées par les enseignants. La solution la plus facile consisterait à mettre plus de moyens là où on a jusqu’ici sous-investi. C’est plus ou moins la réponse apportée par M. Delahaye, même s’il a lui-même souligné la difficulté qu’il y aurait à diminuer le nombre d’élèves par enseignant pour le rapprocher de la moyenne des pays de l’OCDE. Faut-il en conclure qu’il est nécessaire de réduire les financements d’un côté pour pouvoir les augmenter de l’autre ?

Vous avez également rappelé tous les trois le caractère inégalitaire du système scolaire français, notamment dans le primaire. Les enquêtes internationales montrent que notre pays est plutôt bien placé dans les classements, en particulier pour ce qui concerne les meilleurs élèves, mais que s’y pose un vrai problème de la difficulté scolaire : c’est pour les élèves les plus mauvais que le système est déficient – et il l’est de plus en plus. Or les propositions que vous évoquez en matière de réforme de l’enseignement, de rythmes scolaires, de formation des enseignants sont d’ordre général. Elles concernent tous les élèves, et non pas seulement ceux qui sont en difficulté. Certes, M. Delahaye a esquissé certaines pistes, concernant la scolarisation des moins de trois ans ou l’application du principe « plus de maîtres par classe ». Mais cela ne me semble pas être une réponse suffisante.

Ainsi, qu’il s’agisse de l’inégale répartition des moyens ou des effets des inégalités sociales, je n’ai pas entendu de réponse adaptée.

D’autre part, vous n’avez pas évoqué la question de l’autonomie des établissements. Serait-elle secondaire à vos yeux, voire insignifiante ?

Enfin, M. Delahaye a souligné la nécessité d’une meilleure articulation entre l’école primaire et le collège, notamment grâce à une redéfinition des programmes dans le cadre du socle commun de connaissances. Cela doit-il se traduire par la constitution d’établissements publics locaux d’enseignement – EPLE –, puis, dans un second temps, par celle d’« établissements du socle commun » ?

Mme Barbara Pompili. La formation des enseignants est le pivot de la réforme à venir. Or nous sommes nombreux à juger que la formation continue est délaissée au profit de la formation initiale. C’est une grave erreur : il faut donner aux enseignants des perspectives sur le long terme, notamment en termes d’évolution de carrière.

La place du concours d’accès au métier d’enseignant pose problème. Il est aujourd’hui organisé en fin de master. Or il est important que les futurs professeurs soient confrontés à des classes au cours de leur formation, ce qui passe par l’alternance. Ne serait-il pas préférable de placer ce concours après la licence, ou d’organiser les épreuves d’admissibilité en fin de licence et les épreuves d’admission en fin de première année de master ? On éviterait ainsi que cette première année de master ne se résume à une préparation au concours, ce qui n’a pas un grand intérêt du point de vue pédagogique.

En ce qui concerne les rythmes scolaires, sur lesquels les débats autour de la réforme de l’école se sont focalisés de manière excessive, il est dommage que l’on ait renoncé à toucher à la durée des vacances. Le nombre de semaines de travail est en effet trop faible, alors même que les journées d’école sont trop chargées. Mais cette question en masque une autre, plus importante : celle de l’articulation entre temps scolaire et périscolaire. Le travail sur les projets éducatifs locaux mériterait d’être approfondi, car cela permettrait d’associer tous les acteurs concernés, dont les collectivités et les parents. Ces derniers, aujourd’hui, ne sont pas suffisamment associés à l’éducation des enfants. Un fossé se creuse ainsi entre les familles et l’éducation nationale. Il faut parvenir à le combler.

Toutes les collectivités n’auront pas nécessairement les moyens de proposer une organisation satisfaisante du temps périscolaire : il faut donc prévoir une péréquation.

Il faut également « remettre à plat » la pédagogie et la recentrer sur l’enfant, ce qui implique de revoir la question des devoirs, l’usage de la notation ou la place des cours magistraux. Pour éviter l’échec, les travaux en petits groupes sont en effet plus efficaces. Le principe « plus de maîtres que de classe » est un premier pas vers le renforcement de l’encadrement, mais il faudrait aller plus loin.

S’agissant des programmes, nous devons éviter l’empilement des connaissances et privilégier un enseignement plus transversal. Le ministre s’y est d’ailleurs engagé. Mais la transversalité ne doit pas concerner seulement l’école primaire, elle doit servir à mieux articuler la maternelle et l’école élémentaire, puis l’école élémentaire et le collège.

Je partage l’idée selon laquelle l’enseignement en maternelle doit faire l’objet d’une formation spécifique. L’école maternelle ne fonctionne pas si bien que cela, et nous n’avons pas suffisamment réfléchi à son rôle. Il serait intéressant à cet égard d’approfondir la notion d’« école première » sur laquelle travaille Philippe Meirieu.

Je note au passage que les enfants de moins de trois ans ne sont pas pris en compte dans les effectifs retenus pour l’élaboration de la carte scolaire, ce qui peut entraîner, dans certaines écoles, la fermeture de classes comptant pourtant le nombre d’élève requis.

Enfin, j’insiste sur la nécessité de ne pas séparer la réflexion sur l’enseignement primaire de la réflexion sur la constitution d’un service public de la petite enfance.

M. Frédéric Reiss. N’étant pas de ceux qui pratiquent le catastrophisme en matière scolaire, je reste persuadé, comme M. Yves Durand, que notre école ne va pas si mal. De là à affirmer que tout va bien, il y a un pas que je ne franchirai pas.

La priorité donnée à l’école primaire, maternelle et élémentaire fait consensus. J’ai d’ailleurs remis en 2010 un rapport au Premier ministre – « Quelle direction pour l’école du XXIe siècle ? » – dont les préconisations me semblent toujours d’actualité.

L’histoire récente de l’école a été rythmée par l’adoption, tous les quinze ans environ, de grandes lois d’orientation et de programmation : loi Jospin de 1989, qui organisait les cycles d’enseignement dans le primaire, loi Fillon de 2005, qui instituait le socle commun de connaissances et de compétences et qui n’est aujourd’hui appliquée qu’à moitié – comme vous l’avez noté, monsieur Delahaye, il faut du temps pour que les enseignants s’approprient de telles réformes, pour que tous en comprennent bien le sens.

Selon moi, le seul enjeu qui vaille est de réduire significativement la proportion des élèves – 15 % aujourd’hui – qui sortent du système scolaire sans aucune qualification, ces « enfants en grande détresse scolaire », comme les qualifie M. Peillon. Nous en avons l’obligation. M. Bigorgne a parlé de « réussite pour tous » : c’était justement l’objectif, très ambitieux et très difficile à atteindre, affiché dans la loi Fillon. À cet égard, le socle de connaissances et de compétences est un outil primordial.

On a beaucoup discouru sur les aides individualisées, notamment sur les RASED – réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté –, mais sans qu’aucune véritable évaluation de ces dispositifs soit jamais réalisée pour en vérifier l’efficacité auprès des élèves. On se contente d’affirmer que les redoublements ne servent pas à grand-chose, ce que je suis tout à fait prêt à admettre. Mais il faut aussi avouer qu’une évaluation portant sur le socle de connaissances et de compétences constituait une tâche complexe, qui a découragé de nombreux enseignants.

Je ne crois pas que la réforme des rythmes scolaires constitue la réponse aux problèmes que rencontre notre système d’éducation. Pour autant, il faudra bien s’y attaquer.

Je tiens à évoquer le programme PARLER – Parler, apprendre, réfléchir, lire ensemble pour réussir – mené par Michel Zorman à Grenoble. Cette expérience, réalisée sur trois ans, de la grande section de maternelle au CE1, a permis de diviser par deux la grande difficulté scolaire. Dans un tel cadre, le principe « plus de maîtres que de classes » me semblerait prendre tout son sens, d’autant que les bons élèves bénéficient tout autant de ce programme que les moins bons.

La capacité pour les écoles de s’organiser de façon autonome, sujet abordé par M. Benoist Apparu, est selon moi une question très importante, d’ailleurs liée à celle du statut des directeurs d’école, qui appelle des réponses rapides. Et dans la mesure, monsieur Delahaye, où la plupart des écoles comptent moins de dix classes, il faudra sans doute poser également le problème du regroupement scolaire.

Quant à la formation des maîtres, elle est évidemment une des clés de la réussite de la réforme. En dépendent aussi pour une bonne part aussi bien l’accueil en maternelle que l’accueil des enfants handicapés dans les écoles.

Enfin, les projets d’école doivent s’articuler avec ceux des collectivités territoriales. Cette question devra donc être abordée en concertation avec elles, dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires.

M. Thierry Braillard. Yves Durand a parfaitement résumé le problème auquel nous sommes confrontés : la priorité donnée à l’enseignement primaire fait consensus, mais la question est de savoir comment la concrétiser.

Selon nous, l’égalité, l’un des trois éléments de notre devise républicaine, c’est la justice. Nous devons donc parvenir à éviter les injustices et à faire en sorte que tout enfant entrant en maternelle bénéficie des mêmes moyens que les autres. Or on ne peut parler de refondation de l’école sans partir de deux constats : celui des disparités territoriales entre grandes concentrations urbaines et déserts ruraux, d’une part ; celui du rôle important, sinon prépondérant, joué par les collectivités territoriales dans le financement de l’enseignement élémentaire, d’autre part. Mais la capacité à investir dans l’enseignement varie beaucoup d’une collectivité à l’autre, si bien qu’en certains endroits des classes comptent toujours plus de 35 élèves tandis que d’autres, ailleurs, sont beaucoup moins chargées. « Dis-moi où tu habites, et je te dirai comment tu seras traité ». C’est une première injustice, contre laquelle des élus de la République se doivent de lutter.

Ainsi, malgré l’existence des contrats éducatifs locaux, les tentatives de combler les inégalités sociales au sein de l’école se heurtent aux inégalités territoriales.

Il est vrai que l’on observe parfois un défaut de professionnalisme chez les maîtres d’école maternelle, alors que leur rôle est crucial. En effet, si l’enfant se construit au cours des dix premiers mois de sa vie, ses cinq premières années sont également essentielles. Or ce ne sont pas les enseignants les mieux formés qui vont l’accompagner au cours de cette période. Cela pose un vrai problème.

Le constat est similaire s’agissant des relations avec les familles. Les enseignants estiment n’avoir ni le temps ni les moyens de nouer des contacts réguliers avec elles, ce qui est pourtant indispensable.

S’agissant des rythmes scolaires, l’analyse ne peut faire abstraction de l’évolution des conditions de vie : généralisation de l’exercice d’une profession par les deux parents, augmentation du nombre de familles monoparentales… Et les rythmes scolaires ne sont pas sans effet sur la vie professionnelle des parents. D’autre part, il convient aussi de considérer le coût pour les collectivités locales : l’application de la réforme des rythmes scolaires dès la rentrée 2013 représenterait pour la ville dont je suis l’élu, Lyon, un surcoût de 5 millions d’euros.

J’ai lu dans le rapport de l’Institut Montaigne que la progression d’un élève sur une année dépendait pour plus de 20 % de son enseignant. Comment peut-on prendre en compte les apports de la psychologie cognitive pour réduire ce pourcentage ?

Mme Marie-George Buffet. Je voudrais d’abord remercier les intervenants de nous avoir soumis tant d’idées et de propositions.

L’école maternelle a été dévalorisée ces dernières années, un ministre étant même allé jusqu’à remettre en cause la nécessité de la confier à des maîtres compétents – il n’est pas besoin de tant d’années d’études, disait-il, pour changer des couches. Il faut donc réaffirmer que l’école maternelle assure une mission éducative essentielle, dont l’accomplissement suppose des programmes adaptés et des maîtres bien formés, en nombre suffisant.

Il faudra également travailler à une vision globale de l’accueil de la petite enfance, dans la perspective, évoquée par une oratrice précédente, de constituer un service public de la petite enfance. Or, d’une part, l’accueil des enfants de moins de trois ans s’est considérablement dégradé, alors que, dans des territoires comme ma circonscription de Seine-Saint-Denis, il joue un rôle majeur dans la réduction des inégalités. D’autre part, il y a nécessité de prendre en compte dans la pédagogie le parcours des enfants avant leur scolarisation : il est en effet divers, les uns n’ayant connu que leur famille, les autres ayant été gardés en crèche ou confiés à une assistante maternelle.

Vous avez montré comment l’échec scolaire et les inégalités sociales se conjuguent et souligné la nécessité d’individualiser l’accompagnement des enfants en difficulté. Cela signifie-t-il que la politique des RASED doit être poursuivie ? Qu’il faut organiser une formation spécifique pour les maîtres chargés de suivre ces enfants ? Se pose aussi à ce propos la question d’une bonne articulation entre l’éducation nationale et les collectivités responsables des services périscolaires, sans oublier celle des moyens à consacrer à ces derniers.

L’un de vous a souligné l’insuffisance de la recherche pédagogique. Quels moyens mettre en œuvre pour relancer les sciences de l’éducation ?

Associer les familles au travail des enseignants suppose de donner aux équipes éducatives du temps pour les recevoir, mais aussi de reconnaître leur compétence. Je suis frappée par la volonté des familles des quartiers populaires, notamment des mères, de participer à la vie éducative.

Enfin, il avait été envisagé à une époque de lier plus étroitement les deux premières années de collège avec l’école élémentaire : cette idée est-elle complètement écartée ?

Mme Marie-Odile Bouillé. Je vous remercie à mon tour, messieurs, pour vos interventions extrêmement riches et pertinentes.

Si notre pays a su développer l’accueil de la petite enfance, c’est au prix d’une grande disparité des dispositifs. Or il semble que les enfants qui ont été accueillis en crèche se sentent plus à l’aise que les autres lorsqu’ils arrivent en maternelle. Comment faciliter la transition pour ceux qui ont connu des modes de garde plus individualisés ?

On attend trop souvent de tous les enfants qu’ils sachent lire au sortir de la grande section. Comment l’école maternelle pourrait-elle mieux prendre en compte les différences, tout à fait normales, de rythme d’apprentissage des petits ? Cela n’implique-t-il pas de donner une formation spécifique aux enseignants ?

M. Xavier Breton. Je me félicite également de la qualité de cette table ronde. Effectivement, l’école élémentaire ne se porte pas si bien qu’on le croyait encore récemment, mais nous sommes tous d’accord pour y voir le résultat de politiques étalées sur plusieurs décennies.

Autre constat partagé : la scolarisation des enfants de moins de trois ans nécessite une approche plus qualitative. Il ne s’agirait pas tant d’élever le taux de cette scolarisation que de scolariser les enfants qui doivent l’être, en privilégiant les territoires les plus défavorisés.

M. Yves Durand a raison de souligner que c’est au primaire que les difficultés apparaissent. Ne faudrait-il pas en conséquence organiser un repérage précoce de ces difficultés ? À la différence de la France, où l’on brandit facilement l’épouvantail du déterminisme, des pays comme le Canada n’hésitent pas à consacrer les moyens nécessaires à cette détection, ce qui leur permet d’aider dès leur plus jeune âge les enfants concernés.

On a peu parlé de l’évaluation des élèves. Les évaluations en CE1 et CM2 seront-elles remises en cause ?

Les questions d’organisation ont également été peu abordées : n’y aurait-il pas là aussi des pistes de réforme, s’agissant par exemple de la mission et du statut des directeurs d’école, ou de l’autonomie des établissements ?

M. Michel Ménard. Trois lignes de force se dégagent de vos exposés. En premier lieu, priorité doit être donnée à l’école élémentaire, dont le rôle est décisif, avec le souci de procurer aux enfants issus de milieux défavorisés de plus grandes chances de réussir leur scolarité. De ce point de vue, l’engagement « plus de maîtres que de classes » semble faire consensus. En deuxième lieu, il faut, nous en sommes également tous d’accord, revoir les rythmes scolaires en sorte qu’il y ait davantage de journées de classe mais moins longues. Enfin, il faut réfléchir à la formation des enseignants, tant initiale que continue. Or, à cet égard, l’intégration dans l’université des futures écoles du professorat et de l’éducation, les ESPE, ne risque-t-elle pas de faire de celles-ci une variable d’ajustement budgétaire à un moment où le budget des universités, désormais autonomes, est particulièrement contraint ? S’agira-t-il de véritables écoles professionnelles, bénéficiant de moyens dédiés et permettant de recruter les futurs enseignants avant tout sur leurs compétences pédagogiques ?

Je m’interroge enfin sur l’avenir des RASED, qui ont perdu 50 % de leurs postes depuis 2007 et qui n’ont pas été évoqués dans le cadre de la concertation préalable au futur projet de loi d’orientation, bien que chacun reconnaisse leur rôle positif. Songe-t-on à faire évoluer leur mission ? Proposerez-vous de rétablir les postes supprimés ?

Mme Annie Genevard. L’échec scolaire est le cancer de notre système éducatif : 40 % des élèves quittent l’école primaire avec des bases trop fragiles, 15 à 20 % d’entre eux étant quasiment illettrés et destinés à le rester. Pourtant, la question de l’échec scolaire est au centre de toutes les politiques publiques mises en œuvre au cours des dernières décennies. L’échec de la lutte contre la grande difficulté scolaire est patent et ses conséquences, tant individuelles que sociales, sont terribles. Il est commode politiquement et facile intellectuellement d’y voir le résultat de l’incompétence des uns ou des autres au gré des alternances. Vous témoignez, messieurs, du fait que les choses sont beaucoup plus complexes.

Plutôt que d’en faire un problème de moyens – les chiffres sont implacables : en douze ans, le nombre des enseignants a crû de 33 000, celui des élèves a diminué de 540 000 –, il convient de s’interroger sur la répartition de ces moyens entre le premier degré et le secondaire. Ce point fait aujourd’hui consensus. Mais ce qui est troublant, voire désespérant, c’est l’incapacité, en dépit de ce constat partagé, à infléchir le cours des choses. Face à la moindre réforme à peine envisagée se dresse l’armée de ceux qui veulent que rien ne bouge, souvent au sein de votre électorat, chers collègues socialistes, et jusqu’au cœur de l’institution elle-même. L’objectif « plus de maîtres que de classes », qui semble le seul à faire consensus parmi vous, est-il la bonne réponse ? Soixante mille enseignants supplémentaires, cela représente une dépense de 120 milliards d’euros, retraites comprises. Demander un effort aussi considérable à la nation serait immoral sans la certitude absolue que cela mettra fin à l’échec scolaire. Une augmentation des moyens garantit-il plus de réussite scolaire si on ne s’interroge pas sur l’efficacité de ces moyens ?

Nos invités pensent-ils que le système scolaire, tel qu’ils l’ont décrit avec sévérité, est à même d’opérer la révolution culturelle qui lui permettrait de résoudre le problème de l’échec scolaire ? Pourquoi l’expérience grenobloise PARLER de prévention de l’illettrisme, menée par Michel Zorman, ne fait-elle pas école en dépit de sa réussite avérée ?

(Présidence de M. Michel Ménard, vice-président de la Commission)

Mme Colette Langlade. Vous avez, monsieur Delahaye, relevé l’incapacité de notre système éducatif à détecter dès le début de leur scolarité les élèves en difficulté et à combler leur handicap. Cependant, parmi les nombreux acteurs qui doivent participer à la réussite des élèves, vous avez oublié de citer la médecine scolaire, qui accompagne les enfants dès l’école maternelle mais qui ne parvient pas à atteindre les objectifs qui lui ont été assignés – ainsi pour ce qui est des bilans de santé prévus à six, neuf et quinze ans. Selon la Cour des comptes, le pilotage assuré par l’administration centrale de l’éducation nationale se révèle déconnecté de la réalité des besoins sanitaires. Ne faudrait-il pas inscrire la promotion de la santé et de l’éducation sanitaire dans le code de l’éducation, en reconnaissant explicitement son rôle déterminant dans la réussite scolaire ?

Mme Dominique Nachury. N’y a-t-il pas une cloison étanche entre le monde de la petite enfance et l’école ? Comment associer les familles sans les éclairer sur les attentes du système scolaire, comment prendre en considération leur compétence et tenir compte de leur avis ? Mais il faudra également se pencher sur la place à donner dans l’éducation aux collectivités territoriales, singulièrement aux communes.

Mme Julie Sommaruga. Il est vrai que l’école ne peut pas tout, monsieur Bigorgne. C’est pourquoi il faut renforcer l’éducation populaire, en allant peut-être un jour jusqu’à en faire un véritable service public, de même qu’il convient de conforter le rôle de la famille en accompagnant la parentalité.

Les RASED ont fait la preuve de leur efficacité et constituent une aide indispensable pour les enfants en difficulté scolaire et, au-delà, pour les équipes pédagogiques et pour les parents. C’est pourquoi les socialistes ont combattu la suppression injustifiée de postes par le gouvernement précédent, suppression qui a eu un impact désastreux dans les quartiers populaires : en quatre ans, ce sont au moins 250 000 élèves qui ont été privés de ce soutien. Je ne peux donc que me réjouir de la décision du ministre d’affecter des emplois nouveaux à ces réseaux. Mais ces recrutements destinés à répondre à l’urgence ne suffiront pas à couvrir l’ensemble des besoins. Y en aura-t-il d’autres ? Quelle place le futur projet de loi accordera-t-il aux RASED ? N’est-il pas l’occasion de professionnaliser et de pérenniser ces réseaux ? Pouvez-vous, monsieur Charbonnier, nous éclairer sur les dispositifs d’aide aux élèves en grande difficulté mis en place dans d’autres pays ?

Mme Isabelle Attard. La question des rythmes scolaires ne saurait être dissociée de celle de l’échec scolaire. Ce qui fatigue l’enfant, c’est l’échec, non le travail scolaire. C’est pourquoi nous devons nous inspirer de la façon dont le système anglo-saxon s’efforce de placer l’enfant en situation de réussite. Les logiciels pédagogiques qu’on trouve dans le commerce obéissent à la même logique : il s’agit de donner à l’enfant confiance en lui, en évitant de sanctionner ses erreurs et en l’encourageant plutôt à réessayer.

Quand on parle de l’école, on évoque également très souvent le modèle scandinave. Mais celui-ci va bien au-delà des augmentations de postes auxquelles vous songez. C’est d’une réforme en profondeur que nous avons besoin. Le constat a été dressé : quand allons-nous passer aux actes ?

M. William Dumas. Comme beaucoup de collègues des territoires ruraux, je me bats à chaque rentrée dans ma circonscription pour maintenir la scolarisation dès deux ans parce qu’elle est bénéfique pour les enfants, pour leurs parents et pour le dynamisme de nos villages. Mais il reste également beaucoup à faire pour améliorer l’accueil des enfants handicapés, dont les parents ont encore trop souvent le sentiment d’être abandonnés à leur sort.

Quant aux postes RASED, ils ont très souvent servi de variables d’ajustement au précédent gouvernement.

Il me semble enfin que, face à la forte recrudescence de l’intolérance et de la peur des autres dans nos zones rurales, dont témoigne la banalisation du vote extrême, il faudrait renforcer la place de l’instruction civique dans les programmes scolaires pour permettre à chaque enfant de devenir un citoyen responsable, ouvert aux autres et à la différence.

M. Gérald Darmanin. Quelle place la refondation de l’école fera-t-elle au sport à l’école, qui constitue souvent la première, voire la seule activité physique des enfants des milieux défavorisés ? Pratiqué dès le plus jeune âge, il est bénéfique, non seulement pour la santé, mais aussi pour la vie sociale et collective. Il a été prouvé en outre qu’il facilite les apprentissages scolaires.

M. Hervé Féron. La France croule sous les évaluations et sous les rapports de toutes sortes : le vrai problème est que nous ne faisons pas grand-chose des informations ainsi collectées. Comment pourrions-nous mieux exploiter les résultats de ces évaluations ?

Alors que le code de l’éducation dispose que « l’accueil des enfants de deux ans est étendu en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé », j’ai dû contester devant le tribunal administratif la fermeture d’une classe d’école maternelle dans une zone urbaine sensible de ma ville. La baisse des effectifs avancée par l’inspecteur d’académie pour justifier sa décision ne tenait pas compte des élèves de moins de trois ans, qu’il refusait de comptabiliser.

Je voudrais souligner les mérites des contrats éducatifs locaux : non seulement ils garantissent un soutien financier aux collectivités qui s’y engagent, mais cette contractualisation est facteur d’une plus grande cohérence de l’action éducative.

Mme Brigitte Bourguignon. J’entends dire de plus en plus, monsieur Delahaye, que la scolarisation des enfants de moins de trois ans serait nuisible en ce qu’elle provoquerait une rupture douloureuse avec la famille, notamment avec la mère. Je m’inquiète de voir ce type de généralités dépourvues du moindre fondement être relayées par les autorités académiques pour justifier la fermeture de classes en milieu rural, comme c’est le cas dans mon département. Cela signifie-t-il que la scolarisation précoce ne devrait concerner que les enfants des zones urbaines ? Quand en outre certains affirment, en s’appuyant sur de prétendues études, que les élèves d’origine rurale ne pourraient que rarement accéder aux grandes écoles, il est difficile de défendre la refondation de l’école dans une circonscription exclusivement rurale !

M. Luc Belot. La concertation sur la refondation de l’école a permis aux différents points de vue de se confronter dans un climat serein, ce qui est trop rarement le cas lorsqu’on parle de notre système éducatif. Le fait que le DGESCO vienne de vanter les avantages du recrutement sur profil montre d’ailleurs à quel point cela nous a permis d’avancer, même si on peut regretter que ce ne soit pas au point d’ouvrir le débat sur le statut des directeurs d’école.

Vous n’avez pas abordé la question des devoirs à la maison. Ceux-ci sont pourtant un facteur flagrant d’aggravation des inégalités sociales et culturelles dans la mesure où toutes les familles n’ont pas les moyens d’aider leur enfant.

D’autre part, je préférerais qu’on parle de temps de l’enfant plutôt que de rythmes scolaires, expression qui place l’école au centre de la préoccupation alors qu’aujourd’hui l’enjeu est d’aborder la question de l’éducation de façon globale. De ce point de vue, les projets éducatifs locaux me semblent être les seuls outils permettant de coordonner les politiques de l’État, pour l’enseignement, et des collectivités locales, pour la réussite éducative.

S’agissant enfin des évaluations, je trouve que l’on ne fait pas assez appel à la capacité d’expérimentation des enseignants. Il suffit de voir comment elle s’épanouit sur Internet, sous forme de sites ou de blogs, pour mesurer combien elle reste sous-utilisée.

Mme Martine Martinel. En quoi consisterait la formation en alternance des futurs enseignants ? Vous avez déploré l’insuffisance de la recherche pédagogique : il me semble pourtant que notre pays a produit de nombreux travaux en sciences de l’éducation. Quelle place ferez-vous d’ailleurs à l’Institut national de recherche pédagogique, l’INRP, qui a perdu beaucoup de ses moyens ces dernières années ? Enfin, qu’en sera-t-il du statut et de la fonction des directeurs d’école ?

M. Jean Jacques Vlody. Pour préparer les moins de trois ans à la scolarité, les classes passerelles, actuellement expérimentées dans quelques communes de La Réunion, donnent satisfaction au plus grand nombre. Animées par des éducateurs spécialisés « jeune enfance », elles fonctionnent avec le soutien des collectivités locales, qui mettent de leur personnel à disposition. Ce mode d’accueil évite une rupture brutale avec le milieu familial, dans la mesure où il permet aux parents d’accompagner la scolarité de leurs enfants. Quelle suite sera donnée à cette expérimentation ? Sera-t-elle généralisée ?

Il me semble d’autre part que le temps scolaire qui sera laissé à la gestion des collectivités locales devrait faire l’objet d’un encadrement au niveau national : en effet, tout ne doit pas être possible dans ce cadre. Comment entendez-vous prévenir les dérives ou, tout simplement, l’apparition de disparités d’un territoire à l’autre ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Le taux d’accueil des enfants de moins de trois ans s’est effondré, passant de 34 % à 12 % en dix ans. En Seine-Saint-Denis, il est même tombé à 1 % ! Ce recul a renforcé les inégalités en aggravant les difficultés rencontrées par les familles défavorisées, plus particulièrement les familles monoparentales. Ne pourrait-on améliorer la situation en travaillant sur l’articulation entre les écoles maternelles et les services d’accueil de la petite enfance assurés par des collectivités, par des associations, voire par des entreprises ?

Vous avez évoqué l’association des familles à la vie scolaire : l’instauration de nouveaux rythmes de l’enfant permettra-t-elle de faire une place à des rencontres informelles entre parents et enseignants, sachant que le samedi matin en était le moment privilégié ?

M. Jean-Jacques Cottel. Sera-t-il possible de pérenniser les emplois d’auxiliaires de vie scolaire, qui s’occupent en particulier des enfants en situation de handicap ?

M. Michel Ménard, président. J’ai évoqué cette question de la professionnalisation des auxiliaires de vie scolaire dans mon rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2013 et j’ai posé hier en séance une question à ce sujet à Mme Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative. Les quelques éléments de réponse qu’elle m’a apportés n’interdisent cependant pas à nos invités de vous répondre.

Messieurs, nous sommes nombreux, vous le voyez, à attendre vos réponses – et peut-être tout particulièrement sur les RASED car, dans nos circonscriptions, beaucoup d’enseignants mobilisés depuis des années pour défendre ces réseaux nous interrogent sur leur avenir – sans être pour autant hostiles à une évolution de leurs missions.

M. Éric Charbonnier. Vos questions confirment la nécessité de refonder l’école.

Il faut cependant bien voir que les effets de certaines réformes ne se font sentir qu’à long terme quand d’autres donnent des résultats immédiats. Les investissements considérables que le Portugal a consacrés à la lutte contre l’échec scolaire lui ont permis d’améliorer la situation en cinq ans ; en revanche, la réforme de la formation des enseignants finlandais, préparée depuis 1971 mais décidée formellement en 1979, n’a conduit aux performances aujourd’hui unanimement saluées qu’au bout de vingt ans. Les bienfaits qu’un système d’éducation peut attendre d’une réforme aussi fondamentale que celle de la formation des enseignants ne sauraient en effet se faire sentir que progressivement.

Dans ce domaine, d’ailleurs, il ne faut pas parler d’un modèle scandinave, mais uniquement d’un modèle finlandais, les autres pays nordiques ne pouvant faire état de succès aussi exceptionnels. En Finlande, les enseignants sont recrutés, en partie sur les résultats qu’ils ont obtenus à l’équivalent du baccalauréat – le matriculation exam –, mais également sur la base d’entretiens individuels destinés à détecter les candidats qui ont la vocation. Ils sont en outre mis en situation, afin de tester leurs capacités pédagogiques. On voit combien ce système de recrutement se différencie du concours français, où seules les compétences académiques sont évaluées pour décider de l’admissibilité. Ces connaissances sont certes importantes, mais il faut absolument que nos enseignants soient formés à la pédagogie. Leurs collègues finlandais sont, eux, formés à créer leurs propres supports de cours, à évaluer les difficultés des élèves et à y remédier, et à mesurer leur progression au cours de l’année scolaire. Ils travaillent en équipe et échangent de façon très régulière avec le chef d’établissement et avec les autres enseignants.

Une réforme de la formation des enseignants ne saurait faire l’économie d’une réflexion sur le rôle du directeur d’école dans le primaire et des chefs d’établissement dans le secondaire. Dans ce domaine, la Finlande a fait le choix de la décentralisation : le rôle des municipalités y est beaucoup plus important que chez nous et les chefs d’établissement y sont à la fois des enseignants et des managers responsables des résultats de leur école. Un tel choix est cependant beaucoup plus difficile à faire en France.

Il est clair que l’investissement doit se concentrer sur le premier degré, si on veut combler son retard sur le secondaire en termes de moyens. Cela ne signifie pas qu’il faut enlever à l’un pour donner à l’autre : une réforme du primaire réussie permettra des économies dans le secondaire, en réduisant par exemple le nombre des redoublements qui nous coûtent quelque deux milliards d’euros par an. C’est la raison pour laquelle je crois que la réforme peut être réalisée à budget constant.

Je crois également que, sans aller jusqu’à la décentralisation, la réforme ne doit pas être uniforme, certains établissements ayant besoin de plus de moyens que d’autres. Cela vaut notamment pour la taille des classes. Les études de l’OCDE montrent que le système scolaire tire plus de bénéfice de l’amélioration de la formation des enseignants que de la réduction du nombre d’élèves par classe. En effet, une meilleure formation des enseignants bénéficie à tous les établissements du pays, alors qu’une réduction de la taille des classes ne s’impose que dans certains, les autres étant à même d’assurer sans cela le succès de leurs élèves. Et ce qui ressort de toutes les interventions, c’est que ce sont les établissements les plus défavorisés qui ont besoin de moyens supplémentaires, d’enseignants expérimentés, voire d’un directeur aux compétences renforcées.

M. Laurent Bigorgne. L’évaluation est pour moi essentielle. C’est pourquoi la future loi devrait poser que le Parlement débattra chaque année de l’évolution de la grande difficulté scolaire, ainsi que des mesures mises en œuvre pour y porter remède ou des expérimentations qui pourraient être menées sur le sujet. Cette évolution est mesurable à partir d’indicateurs tels que le taux d’élèves sortant du système scolaire sans qualification. En outre, la France a la chance de disposer, grâce à l’excellente direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, la DEPP, d’études qui n’ont rien à envier en rigueur et en précision aux études internationales les plus réputées. Il y a donc du grain à moudre, en particulier pour vous.

Il faut également s’interroger sur la conduite du changement. On ne réformera pas notre système scolaire d’en haut, à coups de lois et de circulaires. Comme vous l’avez souligné, la concertation a permis de « réaligner les astres » en mettant un certain nombre d’acteurs autour de la table. De plus, la nomination d’un homme de terrain à la tête de la DGESCO est un très bon signe.

S’agissant de la formation, il y a un travail considérable à accomplir pour se doter des outils nécessaires au développement et à l’amélioration des compétences prédictives de la lecture, ou à l’individualisation des gestes. Il faut apprendre aux enseignants qui ne savent pas le faire comment détecter et aider les élèves en difficulté, comment faire travailler les élèves en groupes restreints, comment faire travailler une partie de la classe en autonomie, etc. Mais, la progression d’un élève se mesurant au moins à l’échelle d’un cycle, il faut aussi se préoccuper du suivi des enfants. Or le nombre des conseillers pédagogiques a été divisé par deux en dix ans, alors qu’ils constituent un maillon essentiel.

Vous avez également évoqué le problème lancinant du statut du directeur d’école. Je me méfie, pour ma part, d’une réforme qui conduirait à créer des emplois non enseignants dans les écoles, alors que c’est le personnel enseignant qui est la clé de la réussite. À cet égard, j’approuve totalement l’objectif « plus de maîtres que de classes » dans les écoles primaires, ou du moins dans certaines d’entre elles, même si cette alliance de l’Institut Montaigne et du Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et professeurs d'enseignement général de collège (SNUIPP) peut surprendre !

Les protocoles expérimentaux que nous avons étudiés, PARLER par exemple, montrent qu’il ne saurait y avoir d’explication « monocausale » ni de recette – a fortiori de recette miracle. Il faut donc agir sur plusieurs leviers : les rythmes scolaires, le rôle des parents, la place du sport, etc. On ne saurait en particulier trop insister sur l’importance du « non cognitif », qu’il s’agisse de la pratique sportive ou de la pratique musicale : Pierre Cahuc et Yann Algan, « économistes de la confiance », ont démontré son rôle essentiel pour nourrir la confiance en soi et en son environnement.

On ne peut parler de recherches qu’à propos de travaux soumis à évaluation mais, en sciences de l’éducation, nous disposons de quelques organismes qui en conduisent de grande qualité : ainsi, outre la DEPP déjà citée, l’Institut de recherche sur l’économie de l’éducation, l’IRÉDU, de Dijon, ou encore l’École d’économie de Paris, où l’on trouve certains des meilleurs spécialistes mondiaux du sujet, comme Marc Gurgand et Esther Duflo. Mais j’insiste sur la nécessité d’évaluer le plus soigneusement possible les résultats de cette recherche avant d’en faire des outils aux mains des maîtres. Négliger ce point, ce serait un peu comme diffuser des médicaments qui n’auraient pas été testés selon des protocoles rigoureux.

Il me semble à moi aussi que les concours de recrutement font une part excessive aux compétences académiques. Je fais confiance à notre système universitaire et j’estime qu’il y a une forme de redondance à évaluer les compétences cognitives de candidats déjà arrivés au niveau du master. Le recrutement des enseignants doit s’attacher à bien d’autres critères, tels que la vocation ou la capacité à interagir avec les élèves.

Vous me permettrez de conclure par un brin de provocation : j’ai du mal à comprendre pourquoi un agrégé est mieux payé qu’un professeur des écoles. On n’attirera pas à l’enseignement les meilleurs des « bac + 5 » avec des rémunérations de « pied de grille » aussi faibles et aussi éloignées de celles qu’un diplômé de ce niveau peut légitimement s’attendre à trouver sur le marché du travail. Sur le long terme, c’est cela qui « tuera » le système.

M. Michel Ménard, président. Les RASED ont précisément pour vocation de redonner aux élèves en difficulté la confiance dont vous venez de rappeler l’importance.

M. Jean-Paul Delahaye. Pour préciser le dernier propos de M. Bigorgne, je rappellerai qu’un professeur d’école gagne 2 500 euros en fin de carrière.

Une mise au point, pour commencer : nous ne traitons ce matin que du premier degré et de la petite enfance, mais la refondation de l’école sera une réforme d’ensemble, qui ne se limitera pas à ces sujets. En outre, toutes les mesures ne seront pas comprises dans le projet de loi à venir : il y en aura bien d’autres, comme vous le verrez lorsque le ministre présentera l’agenda de cette refondation, dans quelques jours.

Comme cela a été dit, la réforme de la formation des professeurs s’inscrit dans le temps long. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) ont vocation à réintroduire dans notre pays une formation professionnelle des maîtres. Elles dispenseront une formation commune à tous les futurs enseignants : qu’ils soient appelés à exercer en maternelle, à l’école élémentaire, au collège, au lycée ou dans le supérieur, des modules communs leur donneront l’occasion d’apprendre à se connaître et leur permettront d’acquérir une vision d’ensemble du système éducatif. C’est dans ce cadre qu’ils seront formés, par exemple, à l’accueil des enfants en situation de handicap. Cet accueil est actuellement très insuffisant, en dépit de beaucoup de bonne volonté : c’est qu’il s’agit de situations professionnelles particulières, qu’il faut savoir gérer. C’est également dans ce cadre que sera dispensée une formation à l’évaluation, jusqu’ici absente de la formation des enseignants alors qu’il s’agit d’une composante essentielle de leur métier.

Ces ESPE auront un budget propre, intégré au budget de l’université, et les ministres compétents, c’est-à-dire le ministre de l’éducation nationale et le ministre en charge de l’enseignement supérieur, pourront leur affecter directement des crédits ou des emplois. Les moyens seront donc au rendez-vous.

Après moult discussions, ouvrir le concours de recrutement aux étudiants en fin de première année de master est apparu comme la moins mauvaise solution. Refusant une formation « séquentielle », où la professionnalisation viendrait après l’acquisition des connaissances académiques, nous voulons faire en sorte que ce concours s’inscrive dans une entrée progressive dans le métier. Il est certes légitime qu’on s’assure que des connaissances de base sont acquises, en particulier par les futurs professeurs des écoles, nécessairement polyvalents, mais le concours devra également être un élément du parcours de professionnalisation. Celui-ci comprendra, dès les emplois d’avenir « professeur » et à chaque étape du cursus universitaire, des éléments permettant d’acquérir progressivement cette professionnalisation, par des contacts de plus en plus importants avec le « terrain », écoles, collèges et lycées, sous formes de stages – d’abord d’observation, puis en pratique accompagnée, enfin en responsabilité.

Nous voulons également renforcer la professionnalisation des 850 000 enseignants déjà en poste, pour lesquels la formation continue est aujourd’hui très déficiente. À ce propos, ce n’est pas tant le nombre des conseillers pédagogiques qui a diminué que le réseau des maîtres formateurs, qui a été en partie abîmé ces dernières années. Il y a un gros travail à faire pour le reconstituer dans le premier degré et le constituer dans le second degré, où il n’existe pas.

En ce qui concerne les rythmes de l’enfant, l’objectif de la réforme est bien d’instaurer un temps éducatif global, qui intègre, à côté du temps scolaire, le temps périscolaire. Le projet éducatif territorial sera l’outil majeur en la matière. La loi n’en fera pas une obligation, mais incitera fortement les collectivités locales à en élaborer un. Il englobera, à côté de la dimension scolaire, le travail avec les familles et avec le réseau associatif, notamment avec le réseau d’éducation populaire.

Cette réforme des rythmes est en cours pour l’école primaire. Elle sera engagée à la rentrée 2013, certaines communes ayant la possibilité de la reporter à 2014. Comme certains d’entre vous l’ont observé, l’organisation de l’année scolaire n’a pas été touchée. Cependant, comme le rapport annexé à la loi le précisera, il n’est pas exclu que, dans une deuxième étape, la réforme s’étende à ce point. De la même manière, la réflexion sur les rythmes scolaires s’étendra au collège et au lycée. On ne peut pas en effet se limiter à constater, après comparaison avec les pays équivalents au nôtre, que les lycéens français sont ceux qui ont les horaires les plus chargés. Il ne s’agira pas de réduire leur temps de présence dans leur établissement, mais modifier la répartition de ce temps entre travail personnel, éventuellement accompagné, et heures de cours. Ce sera donc une réforme à visée pédagogique, même si nous courons le risque d’être suspectés de chercher sous ce prétexte une réduction des moyens.

Je confirme que nous allons repenser le socle commun de connaissances et de compétences, même si beaucoup de ses éléments méritent d’être conservés. Il ne serait pas anormal, par exemple, d’y intégrer l’éducation physique et sportive, qui n’y figure pas en tant que telle.

Nous comptons également repréciser les étapes de la scolarité où les élèves doivent être évalués. Il n’est pas question de se priver des évaluations nationales en CE1 et en CM2. Il ne sera cependant pas nécessaire de faire remonter systématiquement toutes les données de l’ensemble des écoles, les pilotages national et académique pouvant s’appuyer sur des synthèses par échantillons. De plus, nous fournirons aux écoles les outils de ce que nous appelons « évaluations-diagnostics », afin de permettre aux enseignants de construire leur progression pédagogique.

Nous partageons votre souci d’une vision globale de l’accueil de la petite enfance. Vous avez évoqué les classes passerelles : nous suivons avec beaucoup d’attention cette expérimentation d’un mode d’accueil des enfants de moins de trois ans, et cette formule pourra faire partie des solutions locales de scolarisation précoce. Dans les zones où nous estimons que la scolarisation des moins de trois ans est prioritaire, ces enfants seront évidemment comptabilisés dans les effectifs. Enfin, la question de la scolarisation en zone rurale particulièrement défavorisée retiendra particulièrement notre attention.

Je vous confirme que nous allons travailler sur les cycles scolaires. Il y aura bien un cycle CM2-sixième, en vue d’une meilleure articulation entre école et collège. Par ce moyen, par la constitution d’un conseil école-collège et par les retouches que nous apporterons au socle commun, nous nous attachons à établir une cohérence entre ces deux niveaux sur le plan pédagogique. Et si nous y parvenons, soyez assurés que la nécessité de traduire cette cohérence dans les structures s’imposera alors comme une évidence.

L’utilité et l’importance des RASED ne font pas de doute pour nous. Ces réseaux jouent un rôle majeur dans l’aide aux élèves en difficulté. Le nombre des maîtres E et des maîtres G a été réduit de 45 % ces dernières années. Nous comptons recréer progressivement des postes, mais aussi évaluer le dispositif. Le ministre a d’ailleurs déjà demandé à l’Inspection générale de l’éducation nationale de dresser un bilan de son fonctionnement et les personnels concernés sont disposés à participer à ce travail. La réflexion pourrait par exemple porter sur les modalités de leur intervention : celle-ci doit-elle systématiquement conduire à extraire l’élève de sa classe, plutôt que d’être conduite en collaboration avec le maître habituel ?

Vous avez évoqué la nécessité de la confiance. Les personnels de l’éducation ne sont pas des exécutants, mais des cadres capables d’initiative. Il faut en conséquence leur confier des responsabilités et ne pas hésiter à laisser des marges de manœuvre aux établissements. La difficulté, c’est que les écoles ne sont pas des établissements autonomes sur le plan administratif et budgétaire. On voit donc que s’ouvre devant nous tous un vaste champ à défricher : des questions comme celle de l’autonomie des écoles ou des missions de leurs directeurs devront nécessairement être traitées dans les prochaines années.

Enfin, nous devons, avec les élus, avec les parents et avec les personnels enseignants, travailler à ce que la scolarité soit de la même qualité qu’ailleurs dans les zones rurales. Il est probable que, dans certaines, l’époque des regroupements pédagogiques dispersés est désormais révolue et qu’il faut – très progressivement et après concertation – aller vers la constitution de pôles éducatifs, susceptibles d’améliorer le service rendu aux populations. Cela étant, nous ne saurions en faire une règle.

Quant aux inégalités dont souffrent nos zones urbaines, j’inverserai les termes de la question : comment imaginer que l’école pourrait à elle seule assurer la mixité sociale en son sein, dans un territoire national de plus en plus compartimenté et où l’écart entre les différentes catégories de la population ne fait que se creuser ? Dans notre pays, où le collège est théoriquement unique, environ 6 % des collèges comptent dans leurs effectifs plus de 60 % d’élèves issus de milieux défavorisés, cependant que d’autres, exactement dans la même proportion, accueillent 60 % d’enfants de milieux favorisés : quand on visite ces établissements, on n’a pas forcément le sentiment qu’ils appartiennent à la même République ! Comment demander à nos enseignants d’obtenir les mêmes performances d’élèves dont les origines sont aussi disparates ? Cependant, l’école prendra toute sa part dans la réduction de ces disparités ; nous avons beaucoup à faire pour améliorer le fonctionnement de nos établissements et notre offre de formation. Mais, je le répète, l’éducation nationale seule ne pourra évidemment pas tout faire.

M. Yves Durand, rapporteur. De ce très riche échange, nous pouvons tirer deux enseignements pour réussir une refondation qui ne soit pas une énième réforme de l’école.

Premièrement, cette refondation ne peut se résumer à la loi, même si celle-ci doit en être la première pierre, voire le fondement. En effet, tout ne sera pas dans le projet à venir : il y aura le rapport annexé, qui sera politiquement aussi important que la loi ; il y aura aussi des décisions à prendre au cours du quinquennat, et sans doute au-delà. Nous avons à travailler dans le temps long – comme l’a fait la Finlande qui, ainsi qu’on l’a rappelé, a attendu vingt ans avant de bénéficier des premiers résultats de sa réforme. Ne soyons donc pas victimes de la dictature de l’urgence.

Deuxièmement, le Parlement doit tenir toute sa place dans cette démarche de long terme, non seulement dans sa mission d’évaluation et de contrôle de l’application de la loi, mais aussi dans la définition des grandes orientations de la refondation. S’agissant de l’école de la nation, il est normal que la représentation nationale veille à ce que ses décisions soient réellement et correctement appliquées, conformément à l’esprit dans lequel elle les aura votées.

M. Michel Ménard, président. Ces presque trois heures d’audition nous ont permis de mesurer, outre notre volonté commune d’améliorer notre système éducatif, la nécessité de refonder notre école. Il ne s’agit surtout pas de remettre en cause le travail et l’engagement des enseignants et de tous les personnels de l’éducation nationale, que nous devons bien plutôt saluer ici. Les premiers gestes de Vincent Peillon avaient d’ailleurs pour objectif de leur redonner confiance. Travaillons donc tous ensemble à une école plus juste et plus efficace !

Il me reste à vous remercier, messieurs, pour la qualité de vos interventions.

La séance est levée à douze heures quinze.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 5 décembre 2012 à 9 heures 30

Présents. - M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Thierry Braillard, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Isabelle Bruneau, Mme Marie-George Buffet, Mme Dominique Chauvel, Mme Valérie Corre, M. Yves Daniel, M. Gérald Darmanin, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, Mme Françoise Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Vincent Feltesse, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Mathieu Hanotin, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Pierre Léautey, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert, M. Jean Jacques Vlody

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Jean-Louis Borloo, M. Ary Chalus, M. Guénhaël Huet, Mme Sonia Lagarde, M. Dominique Le Mèner, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, M. Jean-Charles Taugourdeau

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Jacques Cottel, Mme Marie-Line Reynaud, M. Lionel Tardy