Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires culturelles et de l'éducation > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 10 avril 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 37

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Auditions, ouvertes à la presse, sur les accords de partenariat conclus par la Bibliothèque nationale de France (BnF) en vue de la numérisation de ses fonds :

–  MM. Lionel Maurel et Silvère Mercier, cofondateurs du collectif SavoirsCom1

–  M. Bruno Racine, président de la BnF

– Information relative à la Commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 10 avril 2013

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’audition de MM. Lionel Maurel et Silvère Mercier, cofondateurs du collectif SavoirsCom1, sur les accords de partenariat conclus par la Bibliothèque nationale de France (BnF) en vue de la numérisation de ses fonds.

M. le président Patrick Bloche. Nous allons procéder à deux auditions sur la question des partenariats conclus par la Bibliothèque nationale de France (BnF) en vue de la numérisation de ses fonds.

Dans le cadre du dispositif des investissements d'avenir, des financements ont été dégagés pour la numérisation du patrimoine conservé par la BnF, patrimoine essentiellement écrit mais aussi, par exemple, musical. Je ne reviens pas sur les polémiques qui, dans un passé récent, ont mis en lumière la volonté un peu trop manifeste des géants américains de la mise en ligne de s'approprier les trésors des collections nationales car nous avons déjà abordé cette question.

Toujours est-il que la BnF, engagée depuis une quinzaine d'années dans la numérisation de son patrimoine, est un acteur majeur de cette transition numérique qui a des conséquences évidentes en matière de diffusion et d'accessibilité des œuvres, connues ou moins connues.

Au début de l’année 2013, la conclusion de deux accords a été annoncée entre la filiale de droit privé de la BnF, qui s'appelle BnF-Partenariats, et des sociétés privées pour la numérisation et la valorisation de livres anciens, d'une part, et de disques vinyles 78 et 33 tours, d'autre part.

Cette annonce a suscité diverses réactions, notamment la dénonciation par certaines associations et personnalités du dessaisissement opéré en quelque sorte par la BnF vis-à-vis de son propre patrimoine. Nous avons été nombreux, je pense, à avoir été saisis de cette question.

C'est pourquoi, avec le bureau de la Commission, j'ai souhaité que nous puissions être informés de l'ensemble des éléments du débat de la manière la plus complète et la plus objective.

Nous entendrons donc dans un premier temps MM. Lionel Maurel et Silvère Mercier, que je remercie de leur présence parmi nous, qui ont cofondé le collectif SavoirsCom1. Nous entendrons ensuite M. Bruno Racine, président de la BnF.

J'indique que la présentation des accords, fournie par la BnF, a été communiquée aux membres de la Commission en fin de semaine dernière et qu'un exemplaire est en distribution à l'entrée de la salle.

M. Silvère Mercier, cofondateur du collectif SavoirsCom1. Nous nous exprimons devant vous sur des informations publiques et en tant que citoyens – même si, par ailleurs, nous sommes des professionnels de l’information-documentation et que nous travaillons dans le secteur des bibliothèques – et nous sommes comme tels très heureux de pouvoir être entendus sur un sujet qui nous semble problématique.

La création du collectif SavoirsCom1 est récente. Fort de 82 membres individuels, sa raison d’être est la défense et la promotion des politiques publiques permettant de développer les biens communs de la connaissance, soit, de tout type d’information créé, entretenu et constitué comme des ressources informationnelles. Ces informations ne sont pas hors sol mais produites par une communauté qui se donne des règles pour les définir, les développer et en favoriser l’épanouissement. Ces initiatives relèvent souvent d’une forme d’intérêt général comme, par exemple, Wikipédia, bien commun de la connaissance s’épanouissant sur internet.

Nous tenons également à définir une voie intermédiaire entre ce qui relève strictement du secteur public et ce qui concerne le domaine privé, au sens où les biens communs peuvent être conçus comme la réappropriation citoyenne d’un certain nombre d’informations au bénéfice de tous.

Notre manifeste défend ainsi la neutralité de l’internet, les sciences ouvertes, l’open data, le partage non marchand des œuvres ainsi que les logiques d’open sources ou de ressources pédagogiques ouvertes.

Cette approche fait le lien entre les initiatives culturelles et celles qui relèvent de l’économie numérique ou des logiciels libres.

Par ailleurs, nous nous battons contre les enclosures, c’est-à-dire la restriction de la circulation et de l’épanouissement des biens communs. En l’occurrence, elles nous semblent illégitimes compte tenu du rôle du domaine public sur un plan culturel.

Le domaine public contient en effet des biens communs potentiels. Il concerne des œuvres libres de tous droits réutilisables par n’importe quel citoyen. Nous le concevons comme le terreau de la construction culturelle et, comme tel, il est extrêmement important de le défendre.

Nous nous situons dans la perspective du manifeste de l’association Communia, selon lequel l’existence d’un domaine public prospère et en bonne santé est essentielle au bien-être social et économique de nos sociétés.

En outre, l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que toute personne doit pouvoir prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, jouir des arts et participer aux progrès scientifiques ainsi qu’aux bienfaits qui en résultent.

Cette conception du domaine public figure également dans la charte relative au projet Europeana porté par la BnF, le domaine public ne pouvant faire l’objet d’une appropriation à travers un droit exclusif – lequel constitue une enclosure –, et ce qui en relève devant y demeurer.

M. Lionel Maurel, confondateur du collectif SavoirsCom1. Deux accords de partenariats ont été conclus, respectivement sur un corpus de 70 000 livres anciens de 470 à 1701 – le cœur patrimonial des collections imprimées de la BnF –, ainsi qu’un corpus d’enregistrements sonores de 190 000 disques édités de 1900 à 1962 qui représentent 700 000 titres.

Ces partenariats s’inscrivent dans le cadre des investissements d’avenir, les fonds dégagés devant avoir un effet de levier afin que des partenaires privés engagent également des financements.

En contrepartie, s’agissant des livres, le partenaire ProQuest bénéficie d’une exclusivité de dix ans, les collections n’étant pas accessibles gratuitement sur internet. Il faudra, pour les consulter, accéder à la base de données que ProQuest commercialisera, notamment auprès d’autres établissements documentaires français et étrangers.

S’agissant des enregistrements sonores, les prestataires Memnon Archiving services et Believe Digital ont été retenus pour assurer leur commercialisation et les mettre à disposition.

Les exclusivités consenties au bénéfice de ces partenaires privés constituent des enclosures remettant très fortement en cause la notion même de domaine public.

Tout d’abord, la façon dont ces accords ont été conçus est opaque. Nous avons alerté votre Commission parce que nous ne parvenons pas à accéder aux informations essentielles permettant d’évaluer la nature de ces partenariats et d’engager un débat public serein. Ils n’ont d’ailleurs pas été publiés, contrairement au vœu exprimé dès le 18 janvier par nombre d’associations.

Cela soulève le rôle du Parlement et de votre Commission dans le contrôle des institutions culturelles. M. le député Rogemont a posé une question au Gouvernement concernant les éventuels déséquilibres de ces partenariats, laquelle est restée sans réponse pendant des mois, jusqu’au 29 janvier, après que leur annonce officielle a été effectuée. En l’occurrence, la ministre de la culture a indiqué que les accords sont à la disposition des assemblées parlementaires qui en feraient la demande. Or, vous ne disposez que des seuls éléments de langage transmis par le BnF qui ne contiennent d’ailleurs rien de plus que ce qu’elle a déjà mis en ligne sur son site.

Nous attirons également votre attention sur le dysfonctionnement de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) puisque le site d’informations Actualitté a formulé une demande qui est toujours en cours d’instruction, dépassant ainsi le délai d’un mois fixé par décret, lequel avait été respecté voilà quelques années s’agissant de l’accès aux accords que Google avait conclus avec la Bibliothèque municipale de Lyon.

Nous vous alertons aussi sur le grave déséquilibre existant par rapport à certains pays étrangers : au Royaume-Uni, les accords conclus par Google avec les bibliothèques ont été rendus publics par l’équivalent de la CADA ; au Pays-Bas, la bibliothèque royale a d’elle-même procédé de la sorte ; aux États-Unis, il est également possible d’accéder à de nombreux accords conclus par les bibliothèques.

On argue parfois que l’accord a été conclu entre deux personnes privées, la filiale de la BnF et ces opérateurs, mais s’il suffit, pour des établissements publics, de créer une filiale pour se dédouaner des conditions minimales de transparence, nous avons toutes les raisons de nous inquiéter !

Enfin, une pétition signée par plus de 10 000 citoyens demande instamment la publication de ces accords et un vrai débat de fond sur l’équilibre de ces contrats.

M. Silvère Mercier, cofondateur du collectif SavoirsCom1. Les accords prévoient un libre accès aux données à la BnF pour les 1 500 lecteurs quotidiens et pour tous ceux qui seront dès lors amenés à s’y rendre. Cela nous semble doublement critiquable. D’une part, les œuvres du domaine public numérisées ont une valeur infiniment plus grande puisque les citoyens peuvent se les réapproprier ; d’autre part, la double limitation de leur transmission – par l’accès sur le seul site physique et par l’exclusivité commerciale concédée – constitue la négation même de l’intérêt qu’il y a à numériser les œuvres du domaine public.

Je note, également, une certaine schizophrénie de la BnF puisque Gallica, sa bibliothèque numérique en libre accès, se développe considérablement, sa fréquentation étant de surcroît en augmentation. En tant que citoyen et membre de SavoirsCom1, la volonté de certaines bibliothèques d’opposer les usages « sur place » et à distance me semble dangereuse alors qu’il serait bien plutôt préférable de les rendre complémentaires. Il conviendrait même de mesurer l’action des bibliothèques patrimoniales – et des autres – à leur fréquentation, certes, mais également à leur contribution à la dissémination des biens communs sur internet. Une telle évaluation de ces outils de politiques publiques que sont les bibliothèques me paraîtrait bienvenue.

J’ajoute que l’appel à projets réalisé par la BnF dans le cadre du grand emprunt indiquait que plus l’accès aux documents numériques sur Gallica et Europeana, la bibliothèque européenne en ligne, serait large, plus l’appréciation de la proposition sera favorable. Dans quelle mesure un tel critère a-t-il été respecté dans le choix des prestataires et les accords finaux qui ont été conclus ?

M. Lionel Maurel, cofondateur du collectif SavoirsCom1. Sans un accès gratuit en ligne des œuvres du domaine public, la raison d’être de la numérisation reste problématique. Le domaine public implique une libre réutilisation des œuvres par tous, laquelle demeure largement théorique si les œuvres restent sous forme physique – et d’autant plus s’agissant des œuvres figurant dans ce corpus, l’accès à la réserve de la BnF étant relativement complexe.

Le domaine public ne prend tout son sens que dans le cadre d’une numérisation des œuvres suivie d’une mise en ligne, puis, de la gratuité de leur usage. Selon l’informaticien Philippe Aigrain, « c’est lorsqu’une œuvre a été numérisée que la notion de domaine public prend vraiment tout son sens puisqu’elle peut alors être infiniment copiée et que l’accès ne fait qu’en augmenter la valeur. L’acte de numérisation d’une œuvre du domaine public est un acte qui crée des droits pour tout un chacun, pas un acte au nom duquel on pourrait nous en priver. » L’acte de numérisation, hélas, est une occasion que nombre d’institutions culturelles utilisent pour faire renaître une couche de droits sur le domaine public, ce qui est très problématique puisque, à terme, l’existence même de cette notion sera annulée dans l’environnement numérique.

Plus largement, cette question soulève également celle de l’équilibre des partenariats public-privé (PPP), de leur impact sur les finances publiques et sur la réalisation des objectifs d’intérêt général. Selon le dernier rapport de l’Inspection générale des finances, les PPP peuvent entraîner des risques sur un plan budgétaire. La BnF a longuement fait valoir un argument financier pour les justifier mais nous montrerons qu’il est loin d’être valable si l’on se saisit globalement du problème – pas seulement en termes de budget de la BnF mais sur le plan plus général des finances publiques, y compris celles des collectivités territoriales et des universités.

M. Silvère Mercier, cofondateur du collectif SavoirsCom1. Parmi les missions que le décret du 3 janvier 1994 fixe à la BnF figurent l’assurance de l’accès du plus grand nombre aux collections sous réserve des secrets protégés par la loi dans des conditions conformes à la législation sur la propriété intellectuelle et compatibles avec la conservation de ces collections mais, également, la collecte, le catalogage, la conservation et l’enrichissement dans tout le champ de la connaissance du patrimoine national dont elle a la garde.

Lorsque nous observons les projets de cet établissement, nous ne pouvons pas, une nouvelle fois, ne pas parler de schizophrénie. En 2010, la BnF a ainsi signé un accord de partenariat avec l’association Wikimédias, qui gère les projets de Wikipédia, concernant plus particulièrement Wikisources : 1 500 textes français du domaine public que possède la BnF y ont été ainsi intégrés afin de bénéficier de l’effet de réseau qui en permet la correction, l’enrichissement et l’appropriation par la communauté des utilisateurs.

M. Lionel Maurel, cofondateur du collectif SavoirsCom1. Le bien-fondé voire la validité juridique de ces partenariats peuvent être également contestés. Des recours en justice sont effet possibles – ce dont nous ne nous priverons pas le cas échéant, même si nous préférerions ne pas en arriver là –, avec l’impact que cela pourrait avoir sur les crédits du grand emprunt et des investissements d’avenir. Nous tenons ces arguments à votre disposition.

D’autres, parmi eux, concernent la validité de la procédure même car la BnF aurait peut-être dû passer par un appel d’offres plutôt que par ces étranges appels à partenariats qui ne sont ni des appels d’offres ni des PPP.

La validité des exclusivités est également problématique puisque la loi du 17 juillet 1978 sur la réutilisation des informations publiques dispose qu’il n’est pas possible de conférer l’exclusivité de la sorte à un tiers.

Nous ferons aussi valoir des arguments financiers, la BnF et l’État disposant de ressources qui, contrairement à ce qui a été dit, permettraient de mener de tels projets de numérisation dans d’autres conditions.

Nous avons, enfin, des arguments d’ordre politique. Le ministère de la culture a argué que ces partenariats étaient conformes aux recommandations formulées par le « comité des sages » européens quant à l’équilibre des PPP. Or, tel n’est pas le cas puisque les accords, notamment, doivent être rendus publics. La transparence, en l’occurrence, n’a pas été effective.

M. Silvère Mercier, cofondateur du collectif SavoirsCom1. En premier lieu, nous souhaitons que les accords soient publiés.

Nous souhaitons également que le processus engagé fasse l’objet d’un moratoire. L’ensemble des 12 corpus n’ayant pas été intégré dans le projet de numérisation pour lequel la BnF a déposé un dossier dans le cadre des investissements d’avenir, d’autres accords seront vraisemblablement passés.

Nous souhaitons qu’une loi reconnaissant, protégeant et garantissant le domaine public ainsi que les droits positifs que nous avons sur lui soit votée.

Nous souhaitons également qu’un véritable débat soit organisé sur la numérisation du patrimoine, peut-être sous l’égide de votre Commission.

Enfin, un réexamen des aides du Centre national du livre (CNL) serait peut-être nécessaire s’agissant de cet enjeu qu’est la numérisation.

M. Marcel Rogemont. Je réserve une part de mes réflexions et interrogations pour le président de la BnF, M. Bruno Racine, que nous entendrons tout à l’heure.

Parmi les propos qui ont été tenus, je relève un point principal : l’accès libre à l’information numérisée et à la présence des œuvres de l’esprit sur internet. Cette question se pose d’autant plus que cet accès sera donc possible à la BnF mais pas sur le réseau, comme je l’ai dit à Mme la ministre de la culture à l’occasion de questions écrites ou orales. Si des universitaires rennais, par exemple, veulent accéder à l’information, ils devront payer. In fine, c’est d’ailleurs le service public qui paiera puisque les œuvres numérisées intéressent les chercheurs. Je remercie donc les cofondateurs de SavoirsCom1 pour avoir mis en évidence la question de la définition de l’espace public.

Le problème des PPP est également posé, de même que celui de l’utilisation des investissements d’avenir. Lorsqu’ils ont été lancés, M. Sarkozy avait considéré qu’ils devaient constituer une véritable base de lancement pour les start-up françaises. Je remercie à ce propos la BnF pour avoir choisi ProQuest, qui entre à n’en pas douter dans cette catégorie…

Vos réflexions nous intéressent. Elles contribuent à nous éclairer et à formuler peut-être plus utilement les questions que nous nous posons.

M. Patrick Hetzel. Je ne doute pas que M. Bruno Racine apportera un certain nombre d’éléments dans ce débat mais je souhaite d’ores et déjà revenir sur plusieurs points essentiels.

Vous faites légitimement valoir des principes généraux mais, parmi eux, figure le principe de réalité. Or, la BnF l’a dit : les chercheurs disposent à tout moment d’un accès physique à l’ensemble des documents. De ce point de vue-là, sa mission initiale est bien remplie.

Que s’est-il passé durant les deux dernières décennies ? La BnF s’est engagée dans des programmes de numérisation très importants qui se sont accélérés considérablement depuis 2007 grâce aux subventions du CNL et aux crédits que la Bibliothèque dégage sur son propre budget de fonctionnement. À ce jour, elle a numérisé plus de dix millions de pages et des centaines de milliers d’images chaque année, ce qui est énorme. De surcroît, Gallica propose en libre accès plus de deux millions de documents qui sont dans le domaine public. Un tel effort est sans équivalent en Europe. La BnF a donc accompli une véritable révolution culturelle.

Elle souhaite aujourd’hui aller plus loin mais elle ne parvient pas à le faire au rythme qui s’impose, notamment s’agissant des collections qui se situent en dehors du champ des aides du CNL. D’où les accords dont nous discutons.

Les exclusivités qui figurent dans les contrats passés avec les sociétés privées sont très temporaires et visent à favoriser un équilibre économique à un instant donné. Le bien public sera préservé puisqu’à l’issue de cette période contractuelle de dix ans, l’ensemble des œuvres numérisées a vocation à rester dans le domaine public et à être librement consulté. Or, j’ai le sentiment que vous faites fi de cette limite temporelle. Pensez-vous vraiment que cette exclusivité temporaire, sur une période relativement courte à l’échelle humaine, exclut le savoir du bien commun ?

Mme Isabelle Attard. Je remercie de leur présence les représentants de SavoirsCom1, collectif de veille citoyenne pour la transmission du savoir et le respect du domaine public.

Je rappelle que la loi sur les « lanceurs d’alertes » qui vient d’être votée permettra également de protéger les personnes qui « soulèvent des lièvres » et qui veillent à ce que nos diverses institutions ne dérivent pas.

Comme M. Marcel Rogemont, je réserve certaines analyses à l’audition de M. Bruno Racine.

La situation que vous décrivez est extrêmement préoccupante et, à la différence de M. Patrick Hetzel, je trouve qu’une exclusivité de dix ans, c’est très long !

La BnF a pour mission de conserver les documents qu’elle a recueillis mais, au-delà, de diffuser et de communiquer le savoir, et pas seulement aux Parisiens et aux habitants de la proche banlieue qui pourront facilement s’y rendre : elle doit veiller à ce que cela se fasse sur l’ensemble de notre territoire. Si nous voulons réduire les différences entre nos régions et nos départements, il y a là un effort primordial à réaliser.

Quelle est la situation dans les bibliothèques nationales des autres pays européens ? Quels accords ont-ils été passés ? Je note, quoi qu’il en soit, qu’ils ont été publiés – la transparence, c’est en quelque sorte le « mot du mois » ! Quels partenariats ont-ils noué ? Quelle est la durée d’exclusivité ?

Mme Marie-George Buffet. Je salue à mon tour le travail accompli par le collectif. Vous avez bien mis en évidence le paradoxe qui consiste à limiter l’accès à des œuvres alors que nous vivons à l’ère du « tout numérique ».

Qui est responsable d’une telle situation et de cet accord ? La BnF, la situation financière dans laquelle elle a été placée ? Ne faudrait-il pas s’interroger sur ses rapports de financement avec l’État ?

M. Hervé Féron. Si l’accès aux contenus numérisés demeure possible sur le site de la BnF, il sera donc payant pour la plupart des institutions culturelles françaises et étrangères mais aussi pour les particuliers qui ne pourraient se déplacer.

Dès lors que les œuvres du domaine public sont en libre diffusion, pourquoi les établissements publics et privés français ayant des missions d’enseignement supérieur et/ou de recherche, les bibliothèques privées et publiques ou celles de notre réseau culturel à l’étranger ne profiteraient pas d’un accès gratuit aux contenus numérisés dans le cadre du partenariat entre la BnF et ProQuest ?

De nombreux professeurs ont rappelé l’importance de l’accès libre et gratuit en ligne aux œuvres du domaine public. Sans les sites qui permettent d’accéder librement aux textes et aux images, ils retourneraient à l’âge de pierre de la profession. Que pensez-vous donc des difficultés spécifiques auxquelles le professorat sera confronté ?

Mme Annie Genevard. Votre audition et notre débat se situent dans un contexte d’exigence de plus en plus grande de l’accès à la connaissance comme en témoigne par exemple l’appel pour la constitution d’un réseau francophone autour des biens communs et de ces ressources que vous souhaitez promouvoir et voir partagées. Ces dernières peuvent d’ailleurs être naturelles, comme les rivières ou les forêts, matérielles ou immatérielles – logiciels, ADN d’une plante ou d’un animal – ou relever, comme ce qui nous préoccupe ce matin, du domaine éducatif et des œuvres de l’esprit.

Je songe, également, au mouvement international des promoteurs des biens commun, qui est en voie de constitution, mais aussi au manifeste pour le domaine public alors que le droit d’auteur, considéré comme l’exception absolue, est quasiment aboli.

Comment concilier l’accès aux biens communs de la connaissance avec la garantie légitime du droit des auteurs à valoriser leurs créations et avec les aspirations, elles aussi légitimes sur le plan économique, des éditeurs d’œuvres numériques ? J’ajoute que nous avons déjà parlé de cette question lors de l’examen de la loi sur la refondation de l’école avec le grand service public du numérique.

Puisque vous voulez placer les biens communs au cœur des modèles économiques de l’information tout en refusant la stricte défense d’acteurs économiques, pourriez-vous donc préciser votre position quant à la protection de l’édition et au droit des auteurs ?

Mme Sophie Dessus. Je vous remercie de votre présentation d’une problématique à laquelle la BnF est certes confrontée mais, également, tous les lieux de réserves patrimoniales. Ce fut notamment le cas, voilà trois ans, des archives départementales de la Corrèze.

Les collectivités territoriales et l’État disposant de peu de moyens financiers, l’arrivée du secteur privé est tellement prometteuse lorsqu’il s’agit de numériser toute notre mémoire mais c’est la fable de La Fontaine intitulée « Le loup et le chien » qui illustre la contrepartie de tels projets !

Oui, donc, à l’indispensable numérisation pour que le plus grand nombre puisse accéder au patrimoine mais attention à la libre et égale numérisation pour tous les acteurs ! Il convient de nouer des accords en toute transparence. Même si notre monde va de plus en plus vite, nous ne devons pas nous livrer pieds et poings liés, au risque de priver le citoyen d’un accès gratuit à sa mémoire. Il ne faut pas oublier que nous sommes le pays de l’exception culturelle et que nous devons… en abuser.

M. Frédéric Reiss. Nous avons entendu des propos très durs à l’endroit de la BnF puisque vous avez notamment parlé de schizophrénie. Nous avons également bien compris que vous ne faisiez pas confiance aux PPP mais quelles sont vos préconisations en matière de diffusion du savoir ?

Vous avez parlé de dissémination des œuvres sur internet. Qu’est-ce que cela signifie ? S’agit-il de diffusion immédiate ou d’éparpillement ? Que craignez-vous ? Quel serait le délai adéquat de l’exclusivité ? Quel serait le bon tempo ?

M. Lionel Maurel, cofondateur du collectif SavoirsCom1. Les exclusivités durent donc dix ans et, à leur terme, les œuvres peuvent être théoriquement mises en ligne gratuitement. Cela est néanmoins fort long à l’échelle d’internet. Songeons à ce qu’était le paysage numérique il y a une dizaine d’années et à ce qu’il sera dans dix ans ! Il est grave que des corpus aussi essentiels soient soustraits à une telle dynamique.

De plus, il existe deux sortes d’exclusivité : l’exclusivité d’accès qui interdit la mise en ligne des œuvres, et l’exclusivité commerciale qui réserve à un seul acteur la possibilité d’en faire commerce. L’exclusivité d’accès aurait dû être un terminus ad quem et n’aurait jamais dû être acceptée comme l’estimait d’ailleurs le rapport du « Comité des sages » européens définissant l’équilibre de ces partenariats : « Les institutions culturelles doivent faciliter le plus possible l’accès et la réutilisation des œuvres du domaine public ayant fait l’objet d’une numérisation. Cet accès doit être rendu possible au-delà des seules frontières nationales et devenir l’une des conditions pour obtenir un financement public à des fins de numérisation. » La BnF aurait dû faire de l’accès en ligne l’une des conditions non négociable des partenariats.

Dans le cadre des partenariats avec Google – même si nous ne sommes pas des défenseurs acharnés de cet acteur de la numérisation, notamment pour des raisons qui tiennent au pluralisme et à un risque de constitution d’un monopole –, les œuvres sont en l’occurrence immédiatement accessibles en ligne comme c’est le cas avec la bibliothèque de Lyon. La semaine dernière, la Bibliothèque royale des Pays-Bas, quant à elle, a mis en libre accès gratuit sur son site 80 000 ouvrages du domaine public numérisés par Google.

Le contrat signé par la BnF avec ProQuest est le plus mauvais qui ait été conclu en Europe. ProQuest a signé des accords avec une grande bibliothèque anglaise, la Bibliothèque royale des Pays-Bas, la Bibliothèque royale du Danemark et les bibliothèques nationales italiennes. Dans tous les cas, l’accès en ligne est gratuit pour les habitants du pays concerné via le contrôle de l’adresse IP des usagers. La France est le seul pays dans lequel la réservation d’accès sur place a été maintenue. Pourquoi ? Parce que nous sommes le seul pays dans lequel la bibliothèque partenaire est intéressée commercialement, à travers sa filiale, à la vente de la base. Dans tous les autres pays, ProQuest numérise à ses frais, les bibliothèques n’étant pas intéressées aux retours financiers. Nous sommes donc dans une situation un peu perverse.

M. Silvère Mercier, cofondateur du collectif SavoirsCom1. M. Bruno Racine a reçu l’ensemble des associations professionnelles des bibliothèques, dont l’Association des directeurs et personnels de direction des Bibliothèques universitaires et de la documentation, l’Association des bibliothécaires de France – qui compte 3 000 membres – et l’Inter-association Archives Bibliothèques Documentation (IABD) qui regroupe une quinzaine d’associations. Il leur a fait valoir l’achat de l’accès aux œuvres en licences nationales pour l’ensemble des bibliothèques d’enseignement supérieur et de recherche mais 60 millions d’euros de crédits, là encore étrangement issus des investissements d’avenir, sont néanmoins prévus afin d’acheter de la documentation à l’ensemble de ces bibliothèques ainsi qu’à certaines grandes bibliothèques territoriales. Financera-t-on la numérisation à partir des fonds du grand emprunt en même temps que les œuvres numérisées seront achetées pour les bibliothèques avec, je le répète, l’argent du grand emprunt ? Nous nous interrogeons, à tout le moins, sur un tel montage financier.

SavoirsCom1 ne préconise pas un accès gratuit dans l’ensemble des bibliothèques françaises mais un accès gratuit pour tous sur internet parce que l’ensemble des citoyens, bien au-delà des chercheurs, est susceptible de se réapproprier les éléments du domaine public.

Je précise également que les dix ans d’exclusivité sont « glissants » et commencent pour chaque œuvre au moment de leur publication sur le réseau.

En France, et c’est naturel, le domaine public fait l’objet d’une exploitation commerciale. En 2008, une étude du MOTif, l’observatoire du livre et de l’écrit de la région Île-de-France, a ainsi montré que deux acteurs majeurs, Gallimard et Hachette, profitent économiquement de la numérisation et de la réédition d’un certain nombre d’œuvres qui sont dans le domaine public. Mais veut-on donc financer ProQuest ou favoriser une réactualisation commerciale ?

La Bnf, quant à elle, pourra au cas par cas exploiter commercialement un titre dans la période d’exclusivité sous réserve de ne pas faire concurrence à la base ProQuest et donc, de ne pas réaliser une base de données équivalente.

D’un côté, des éditeurs français pourraient tirer partie de l’opération et, de l’autre, une entreprise américaine de 1 500 salariés se situe dans une dynamique de développement économique qui la transforme peu à peu en multinationale dans le domaine de l’information.

S’agissant du financement, il est certes possible de nous considérer comme des idéalistes mais je vous invite à vous reporter au très intéressant rapport de M. le député Françaix sur les aides à la presse, à la fois directes et postales. Elles sont attribuées par l’État à hauteur de 23,5 millions d’euros pour les cinq titres suivants, qui sont éminemment culturels : Télé 7 Jours, Télé Star, Télé Loisirs, Télé Z et Télécâble Sat Hebdo. Une telle somme annuelle représente un petit peu moins que la totalité du budget du CNL, lequel consacre 15 millions d’euros, sur trois ans, à la numérisation.

La vision « économiciste » de ce problème doit donc être remise en cause et en perspective du strict point de vue de l’efficacité des aides publiques à un certain nombre d’entreprises.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie pour cet échange et les réponses que vous avez apportées.

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède ensuite à l’audition de M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France (BnF), sur les accords de partenariat conclus par la BnF en vue de la numérisation de ses fonds.

M. le président Patrick Bloche. Je souhaite la bienvenue à M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France (BnF), que nous avons convié pour nous parler des accords de partenariat conclus par la BnF avec des sociétés privées en vue de la numérisation d’une partie de ses fonds. Ces accords ont suscité une controverse. Vous avez d’ailleurs pu, monsieur Racine, prendre connaissance, en direct, de l’audition, qui vient de s’achever, des cofondateurs du collectif « SavoirsCom1 » à ce sujet.

Avant de vous céder la parole, je rappelle par ailleurs que la BnF et l’Assemblée nationale ont conclu un partenariat exemplaire de numérisation des œuvres, dans le cadre d’une convention, reconduite pour un nouveau triennat, qui fait de la bibliothèque de notre Assemblée un « pôle associé » de la BnF.

M. Bruno Racine. L’occasion m’est donnée d’apporter le plus d’informations et de précisions possibles sur le partenariat qui fait l’objet de cette controverse. J’ai donné de premiers éclaircissements dans les colonnes du journal Le Monde ; je suis heureux de les compléter devant vous.

S’agissant de la numérisation du patrimoine, la France est un cas singulier en Europe. Nous l’avons en effet engagée en 1998 avec la création de Gallica, qui était au départ la bibliothèque numérique de la BnF. Pendant une dizaine d’années, la numérisation du patrimoine de la BnF s’est faite de manière très sélective, à raison de quelques milliers de titres par an. La recherche d’exhaustivité provoquée par l’apparition du moteur de recherche Google a poussé la BnF à changer d’échelle, avec l’appui du CNL. Le CNL nous accorde une subvention annuelle d’environ 6 millions d’euros. Quatre millions d’euros sont alloués à la numérisation stricto sensu et 2 millions d’euros au développement de l’infrastructure de conservation pérenne des données numériques, sujet capital – et sur lequel nous sommes pionniers en Europe –, et au perfectionnement constant de Gallica. Il s’est concrétisé récemment par l’application Gallica pour iPad ; une application Gallica pour téléphones mobiles sera disponible sous peu. Ainsi avons-nous eu la chance, unique en Europe, de numériser environ 10 millions de pages chaque année.

Cependant, la subvention du CNL est exclusivement destinée à la numérisation des livres et des revues. Or, le patrimoine de la BnF ne se limite pas au seul imprimé : il y a aussi la presse, les manuscrits, les estampes, les photographies, les monnaies et médailles, les collections sonores… Aussi ai-je lancé à partir de 2009, sur le budget propre de la BnF, la numérisation méthodique de ces collections spécialisées ; nous consacrons chaque année un million d’euros à ce programme, ce qui a permis un million de prises de vue. Gallica permet désormais la consultation de quelque 2,4 millions de documents en libre accès, ce qui est sans équivalent dans le monde. J’insiste sur ce point car on touche là au principe directeur de Gallica : la mise en libre accès universel et gratuit aux documents, dès lors qu’ils sont dans le domaine public. Les exceptions à ce principe ne peuvent être que temporaires, et justifiées par des raisons sur lesquelles je reviendrai.

Vos précédents invités seraient sans doute surpris de savoir que je suis même prêt à aller plus loin. À ce jour, les documents publiés sur Gallica sont libres de réutilisation si elle n’est pas commerciale. Le groupe de réflexion européen sur la numérisation du patrimoine culturel européen, dit « Comité des sages », se demande s’il ne faudrait pas, pour encourager la croissance, aller au-delà, et rendre ces documents libres de toute réutilisation, qu’elle soit éducative, scientifique ou commerciale. À titre personnel, je n’aurai rien contre cette liberté complète, qui concernerait la moitié environ des contenus de Gallica. Elle correspond à la philosophie qui inspire l’action de la BnF : l’ouverture la plus large possible.

Cela étant, la subvention de 6 millions d’euros allouée par le CNL et le million d’euros dégagé tant bien que mal à partir d’un budget propre, au demeurant en décroissance structurelle à l’avenir, ne permettent de traiter qu’une petite partie du fonds qui reste à numériser. Par exemple, les collections de presse, qui forment notre mémoire collective, ne peuvent être numérisées qu’au compte-gouttes : trois millions de pages seulement sont numérisées à ce jour ; ce n’est pas suffisant.

Nous avons pour cette raison envisagé le programme du grand emprunt destiné à financer les investissements d’avenir comme une opportunité supplémentaire. Vous le savez, le commissariat général à l’investissement a logé à la Caisse des dépôts un Fonds national pour la société numérique de 4,5 milliards d’euros, dont 750 millions sont potentiellement destinés à la numérisation du patrimoine et aux usages numériques innovants. Ces fonds doivent être utilisés dans le respect de la doctrine de « l’État investisseur avisé » et non sur le mode d’une subvention. La BnF devait-elle tenter de bénéficier de cette source de financement supplémentaire ? Une étude menée sous l’égide conjointe du ministère de la culture et du commissariat général à l’investissement a conclu que cela était possible, à condition de passer par une entité spécifique. Aussi BnF-Partenariats a-t-elle été créée l’année dernière, selon une démarche transparente à toutes les étapes.

Après avoir déterminé certains éléments du patrimoine que nous ne pouvions numériser avec les moyens disponibles et qui nous paraissaient avoir un attrait pour des partenaires étrangers ou français intéressés par la valorisation du patrimoine numérique, nous avons lancé un appel public à partenariat en juillet 2011, en présence du ministre de la culture de l’époque et du commissaire général à l’investissement. Cela s’est fait en tenant compte du cadre, non normatif, européen ; élu président de la Conférence des bibliothèques nationales européennes et d'Europeana, la bibliothèque numérique européenne, je n’ai aucunement le sentiment de m’être mis en porte-à-faux avec les principes énoncés par mes pairs.

Deux accords de partenariat ont été passés ; l’un porte sur les livres imprimés antérieurs à 1700, l’autre concerne les collections sonores. J’entends dire qu’il y aura des restrictions d’accès ; or, c’est l’exact qui se produira. Aujourd’hui, l’accès à la réserve est plus restrictif encore que l’accès à la bibliothèque de recherche : les incunables et les livres du XVIe siècle ne sont communiqués que sous conditions, à une poignée de lecteurs – et encore, à un seul à la fois. Pour ce qui est des collections sonores, la situation est presque pire : qui veut entendre un morceau enregistré sur un 78 tours très ancien doit en faire la demande et attendre que la BnF le numérise pour avoir accès à une version de cet enregistrement.

Les critiques ne portent jamais sur l’accord de partenariat passé avec Believe Digital et visant à numériser notre fonds sonore. Ce n’est pas un hasard : outre qu’il est inattaquable puisqu’il permettra de diffuser une collection qui est la première au monde mais qui n’est à ce jour ni exploitée ni accessible, le fait que, dans leur très grande majorité, ces œuvres soient encore protégées par le droit d’auteur change la donne.

Pour les ouvrages de la réserve – les livres anciens –, l’accès se fera en deux temps. Dans un premier temps, ils deviendront immédiatement accessibles à 3 000 lecteurs chaque jour et non plus à un seul lecteur sous conditions. Je ne puis donc laisser dire qu’il y a une restriction d’accès. Puis, au bout de dix ans, on passera, potentiellement, à tous les lecteurs qui ont un ordinateur sur la planète.

Nous sommes très critiqués sur la prétendue opacité de ce que nous avons mis en ligne à propos de ces partenariats. Pour commencer, et contrairement à ce qui a été avancé, les contrats conclus par ProQuest à l’étranger ne sont pas librement consultables. Nous avons publié sur notre site, en sept pages, le contenu des accords ; n’y figurent pas, en effet, les clauses couvertes par le secret commercial. Nous attendons à ce sujet l’avis de la CADA, que j’ai saisie pour connaître le statut de ces contrats au regard de la loi de 1978. La CADA délibérera dans les jours qui viennent et nous suivrons ses recommandations.

Le choix fait par la BnF, encouragée par sa tutelle, de se placer dans le cadre des investissements d’avenir lui permet de compléter son programme de numérisation – je rappelle que nous mettons en ligne gratuitement chaque année plus de textes que ne peut en lire un être humain sa vie durant – par des partenariats portant sur deux niches qui ne peuvent figurer au nombre de nos programmes prioritaires de numérisation. Pour numériser les 70 000 livres anciens concernés par l’accord, il faudrait, dans les conditions actuelles, de 25 à 30 ans. On nous dit que tout citoyen français doit avoir accès à ces textes ; nous en sommes absolument d’accord, mais nous avons un retard de dix ans. Outre cela, les ouvrages dont il s’agit – essentiellement des textes théologiques des XVe et XVIe siècles – ne sont lisibles que par des chercheurs, latinistes de surcroît. Je suis certain qu’il existe un fort appétit pour cette littérature, mais c’est plutôt de la recherche qu’elle fait le bonheur.

Nous sommes accusés d’avoir été de piètres négociateurs ; nos homologues étrangers ont, nous dit-on, bien mieux discuté avec ProQuest. Je comprends mal que l’on puisse être aussi péremptoire quand, dans le même temps, on se plaint de la supposée opacité de l’accord que nous avons conclu. En réalité, nous avons défini des critères rigoureux, conformes aux conditions d’octroi des investissements d’avenir, qui supposent des projets économiquement viables ; ne le seraient-ils pas que l’accès aux ressources du Fonds national pour la société numérique nous serait refusé.

Si l’accord que nous avons conclu avec ProQuest se distingue de ceux qui ont été signés au Danemark et aux Pays-Bas en matière d’accès aux collections numérisées, c’est que nous avons joué à la fois sur les paramètres du contrat et sur les éléments d’un contexte spécifique à la France. S’agissant des paramètres, le « Comité des sages » recommandait de limiter au maximum la période d’accès privilégié consentie au partenaire privé. Les accords que passe ProQuest prévoient des périodes d’accès privilégié qui sont parfois de 15 ans, parfois de 10 ans – mais de 10 ans après la fin du programme de numérisation. Pour ce qui concerne la France, il s’agit de 10 ans glissants : les ouvrages numérisés maintenant à la BnF dans le cadre de ce partenariat seront en accès libre et gratuit en 2023. En outre, 5 % des titres numérisés dans le cadre de ce partenariat, soit 3 500 œuvres choisies par la BnF, seront immédiatement et librement disponibles sur Gallica, ce qui n’existe pas dans les accords danois ou néerlandais.

J’en viens au contexte français. Dans le cadre du grand emprunt, des fonds sont aussi alloués au financement des licences nationales au bénéfice de l’enseignement supérieur. Or, le ministère de l’enseignement supérieur a acquis auprès de ProQuest une licence nationale pour le programme européen Early European Books dans lequel s’insère le partenariat BnF-ProQuest et qui fournira aux chercheurs du monde entier une base de données sans équivalent. Aux termes de l’accord que nous avons conclu, ProQuest s’engage à accorder une remise intégrale correspondant à la part française ; autrement dit, si la part de contenu émanant de la BnF est de 40 % dans une des collections d’Early European Books, la licence nationale ou les licences particulières en France bénéficieront d’une remise de 40 %.

Il est vrai que, pendant la période d’exclusivité, les chercheurs habitant la province devront venir consulter à la BnF les ouvrages qui leur sont utiles. Mais qui peut croire qu’un seiziémiste n’a pas déjà sa carte de lecteur de la BnF en poche et qu’il n’a pas déjà l’obligation de venir y travailler – ce qui n’est pas un châtiment ! Par ailleurs, nous avons indiqué aux bibliothèques universitaires que si une partie du corpus les intéresse particulièrement, nous pourrons les mettre en libre accès sur Gallica, dans la limite dite.

S’agissant des collections sonores, la numérisation intégrale concernera 700 000 titres ; c’est une prouesse technique dont nous pouvons être fiers. Notre partenaire principal est Believe Digital, une entreprise française associée à une société belge. Des droits seront acquittés pour les œuvres encore protégées. La diffusion de cette collection se fera par le biais de centaines de plateformes ; des extraits des œuvres seront disponibles sur Gallica et, par exemple, par le biais Deezer pour ceux qui en sont les utilisateurs. Le modèle choisi me paraît exemplaire : n’aurions-nous pas retenu cette solution qu’un siècle au moins aurait été nécessaire pour numériser ce fonds. Le partenariat permettra une démultiplication phénoménale de l’accès à la collection sonore.

Je reviens pour conclure sur la question de l’accès national. Dans ses recommandations, le « Comité des sages » condamnait la limitation de l’accès des bases de données numérisées à un seul pays. La BnF a précisément choisi un accès réservé à ses lecteurs pendant dix années, auquel succédera un accès universel. Préférer le modèle danois ou néerlandais aurait conduit à devoir accorder des conditions plus favorables à notre partenaire dans d’autres domaines.

M. Marcel Rogemont. Alors que l’internet est gouverné par un oligopole, la question de l’accès de tous aux œuvres de l’esprit se pose avec acuité. Notre Commission s’intéresse à ces choses de longue date : le 25 novembre 2009 déjà, vous participiez, monsieur Racine, à la table ronde consacrée en ces lieux à la numérisation des œuvres du patrimoine écrit. Nous souhaitons une nouvelle fois connaître les initiatives prises par la BnF à ce sujet. Il ne s’agit pas de prononcer un jugement de valeur. Le groupe SRC n’entend nullement dire, par exemple, que la BnF n’aurait rien fait en matière de numérisation ; nous vous remercions au contraire de vous être mobilisés à cette fin.

Le contexte est propre à des accords de différentes sortes ; on sait, par exemple, qu’en Italie l’accès aux fonds de nombreuses bibliothèques publiques ne se fait pas par Europeana mais par le biais de Google Books, un choix qui s’écarte des recommandations du « Comité des sages ». Le 25 novembre 2009, vous déclariez pour votre part : « Nous avons besoin d’un cadre européen pour aborder la question de la numérisation » ; dont acte. En janvier 2011, dans le rapport qu’il remettait à Mme Neelie Kroes et à Mme Androulla Vassiliou, commissaires européennes, le « Comité des sages » recommandait en particulier que les États membres garantissent « que tout le matériel numérisé grâce à des fonds publics [soit] accessible sur le site Europeana » et qu’ils permettent que « tous leurs chefs-d'œuvre du domaine public [soient] sur Europeana d'ici à 2016 ». Le « Comité des sages » évoquait par ailleurs l’éventualité de partenariats public-privé en recommandant de les encadrer.

Vous avez expliqué que les partenariats public-privé que vous avez signés trouvent leur place dans le cadre des investissements d’avenir. Mais ne visaient-ils pas à soutenir des entreprises françaises ? Ce que vous nous avez présenté n’entre pas dans ce cadre. Pourriez-vous expliciter la procédure de lancement de ces partenariats ?

Jusqu’à présent, le CNL versait à la BnF une subvention annuelle de 6 millions d’euros dont 4 millions étaient destinés à la numérisation proprement dite et 2 millions à la maintenance du dispositif, et la BnF consacrait elle-même 1 million d’euros à la numérisation. Qu’en sera-t-il une fois le contrat avec ProQuest entré en vigueur ? Les 5 millions d’euros attendus de BnF-Partenariats sont-ils ceux-là ?

Autre recommandation du « Comité des sages » : « L'accès privilégié au matériel numérisé accordé au partenaire privé ne devrait pas être octroyé pour une période de plus de sept ans ». Pourquoi, alors que vous êtes attaché au respect des recommandations du Comité, avez-vous concédé un accès privilégié pendant dix ans ?

Nous ne connaissons pas les détails du contrat que vous avez passé, mais la manière dont vous nous avez présenté les choses m’incline à penser que, puisque des aides publiques seront accordées aux chercheurs et aux universités qui auront besoin de consulter certaines des publications numérisées, on assistera en fait à un transfert d’argent public. Qui, en bref, paiera les droits d’accès aux documents numérisés? Quels seront les clients autres que publics ? Je comprends que vous cherchiez à enclencher un cercle vertueux, BnF-Partenariats réinvestissant dans la numérisation les produits de la commercialisation. Cependant, le schéma imaginé peut laisser craindre que l’on ait en réalité créé une usine à gaz destinée à financer la numérisation par des fonds publics jusque-là manquants.

Ce disant, je ne cherche aucunement à discréditer le fonctionnement de la BnF ; votre toute récente reconduction à la tête de l’établissement montre d’ailleurs que votre travail est apprécié. Il n’empêche : des précisions sur le financement de cette opération et sur l’accès du public aux fonds patrimoniaux seront bienvenues.

M. Patrick Hetzel. Je vous remercie, monsieur Racine, pour les premières précisions que vous nous avez données. Le groupe UMP a été très sensible au fait que, notamment depuis 2007, la BnF ait accéléré la numérisation. Nous avons la chance d’avoir un outil sans équivalent dans le monde ; d’évidence, les orientations que vous avez choisies devraient permettre qu’il le demeure.

J’avais jugé votre négociation très efficace, mais les représentants du collectif « SavoirsCom1 » considèrent que le contrat liant la BnF à ProQuest est de moins bonne qualité que ceux qui ont été conclus dans d’autres pays, ou qu’à tout le moins il contient des clauses différentes ; pourriez-vous préciser cela ?

Pour que la numérisation par le biais d’un partenariat public-privé soit menée à bien, le modèle économique sous-jacent doit être valide. Dans ce cas, il est fondé sur la durée d’exclusivité, et cette période a été fixée à dix ans, ce que certains jugent long. Le système retenu me paraît gérable, d’autant que la possibilité de consulter les œuvres sur place est maintenue et que les enseignants-chercheurs bénéficieront d’un accès spécifique aux documents qui leur sont utiles. J’aimerais cependant des précisions.

Mme Isabelle Attard. Monsieur Racine, où sont ces contrats de partenariat public-privé ? Le résumé en quelques pages que vous nous avez transmis n’en tient pas lieu ; en particulier, tout contrat doit contenir un cahier des charges technique dont je ne vois pas trace. Pourtant, le 29 janvier dernier, en réponse à une question de M. Marcel Rogemont, la ministre de la culture et de la communication a indiqué que ces contrats pourraient être communiqués aux parlementaires. Alors que la question avait été posée en octobre 2012, vous avez attendu le 5 février 2013 pour solliciter l’avis de la CADA. De plus, celle-ci se prononce sur l’accès des citoyens aux documents administratifs ; mais il s’agit ici de parlementaires, parfaitement capables de lire l’intégralité d’un contrat sans qu’il soit besoin de le leur présenter sous une forme prémâchée. Le groupe écologiste considère que contrôle parlementaire doit s’exercer sur la BnF, établissement public, et je ne vois pas comment le Parlement peut remplir sa mission s’il ne dispose pas des documents nécessaires à ce contrôle.

La création d’une filiale, BnF-Partenariats – laquelle, bien qu’elle soit financée par des fonds publics, est une société par actions simplifiée à associé unique, entreprise privée – vous permet de bénéficier des ressources du Fonds national pour la société numérique. Le rôle de la BnF est de conserver des œuvres et elle le fait très bien. Il est vrai que si ces œuvres restent dans les réserves, cela ne sert pas à grand-chose ; la deuxième mission de la BnF est donc d’assurer leur diffusion. La création de l’internet, en 1990, a été une révolution dans le partage du savoir, en permettant de rendre accessible à tous le contenu des réserves de toutes les bibliothèques. Vous avez expliqué que 5 % du fonds numérisé dans le cadre de ce contrat serait mis en ligne gratuitement. Comment ces titres seront-ils choisis ? Comment jugerez-vous de leur intérêt scientifique quand vous partez du principe qu’il faut être chercheur et latiniste pour s’intéresser à ces documents ? Il s’agit pourtant de rendre ces œuvres accessibles à tous les chercheurs potentiels, à tous ceux que le savoir intéresse.

Quant à la consultation dite gratuite, sur place, à la BnF, elle induit de facto une discrimination géographique et financière entre les étudiants et entre les chercheurs selon qu’ils habitent la région parisienne ou la province. Vous avez parlé d’un accord passé avec les bibliothèques universitaires pendant la durée d’exclusivité concédée. Outre que dix ans, c’est bien long, devront-elles payer un abonnement ? Si c’est cela, c’est un curieux schéma, l’argent public finançant d’autres développements publics. Pourquoi ne pas avoir opté, comme on l’a fait en Allemagne, au Danemark, en Italie, en Grande-Bretagne, pour la gratuité de l’accès au fonds dans le pays hôte, avec un financement uniquement privé ? Est-ce parce que, contrairement aux autres bibliothèques nationales, la BnF est intéressée financièrement à la commercialisation de sa base de données ? Si c’est le cas, j’en déduis que vous avez privilégié sciemment les rentrées d’argent à la communication des œuvres au public.

Par ailleurs, des membres du personnel de la BnF sont déjà mis à la disposition de BnF-Partenariats pour préparer le développement de la numérisation avec ProQuest. L’effectif de la BnF – dont, en ma qualité d’utilisatrice frénétique de Gallica, je salue le remarquable travail – est pourtant suffisamment restreint pour ne pas être affecté à des tâches annexes.

Enfin, comment la BnF peut-elle accorder une exclusivité à une société privée alors que la loi de 1978 prévoit en son article 14 que « la réutilisation d'informations publiques ne peut faire l'objet d'un droit d'exclusivité accordé à un tiers, sauf si un tel droit est nécessaire à l'exercice d'une mission de service public » ?

Peut-être aurons-nous l’occasion de vous entendre à nouveau pour évoquer le projet « ReLIRE » – le registre des livres indisponibles en réédition électronique –, qui pose d’autres problèmes.

Mme Julie Sommaruga. J’ai beau avoir entendu vos explications, monsieur Racine, je pense comme mes collègues Isabelle Attard et Marcel Rogemont que votre projet entraîne de fait une inégalité d’accès au fonds numérisé et des discriminations géographiques et financières. Par ailleurs, la BnF aura-t-elle le personnel suffisant pour assurer un contrôle qualité et l’absence de malfaçons pendant la numérisation ? Enfin, étant donné la contraction du budget consacré à la restauration, de quels moyens disposerez-vous pour restaurer les ouvrages qui, par malheur, seraient abîmés lors de la numérisation ?

M. François de Mazières. L’occasion m’est donnée de vous rendre hommage, monsieur Racine, à vous qui avez tant fait pour la rénovation du quadrilatère Richelieu, qui avez mené une politique d’acquisition très ambitieuse et qui vous êtes lancé dans cette œuvre sans fin qu’est la numérisation.

La loi du 1er mars 2102 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle commence d’être appliquée depuis la publication, le 21 mars, d’une première liste de 60 000 livres indisponibles. Quand les auteurs et les éditeurs ne font pas opposition, ces œuvres sont numérisées ; 500 000 ouvrages sous droits qui ne sont plus commercialisés pourraient ainsi être potentiellement mis à disposition. On voit l’intérêt d’une telle évolution ; quel est votre point de vue à ce sujet ?

Par ailleurs, si l’on consulte Gallica et que l’on tape « Molière », on obtient près de 25 000 résultats. Comment la BnF hiérarchise-elle la masse foisonnante d’informations qu’elle offre ?

J’observe enfin que vos tentatives, réussies, pour trouver de nouvelles méthodes de financement tiennent aux problèmes budgétaires : vous seriez le premier à souhaiter disposer des crédits qui permettraient à la BnF de réaliser l’intégralité de la numérisation. La nécessité d’un effort s’impose à tous les établissements publics culturels. Dans ce contexte, comment envisagez-vous, à l’avenir, la marche de votre établissement qui représente, et de très loin, le premier poste de dépense du ministère de la culture ?

M. Bruno Racine. Le registre ReLIRE des livres du XXe siècle indisponibles est un sujet en soi. Ce projet a pour point commun avec ceux qui ont été évoqués aujourd’hui d’être financé par les investissements d’avenir. Le rôle de la BnF est de publier un registre et de mettre les ouvrages du dépôt légal à disposition du projet pour leur numérisation. J’y reviendrai, le cas échéant, en une autre occasion.

Monsieur Rogemont, même si notre partenaire est une société américaine, les recrutements se feront en France ; quarante emplois seront créés pour ces deux projets. L’effet de levier est le suivant : pour ces deux opérations, dont le coût global est de 15 millions d’euros, notre filiale BnF-Partenariats a reçu de la Caisse des dépôts, gestionnaire du Fonds national pour la société numérique, 5 millions d’euros accordés par le commissariat général à l’investissement dans le respect des critères imposés par les critères de « l’État investisseur avisé ».

Vous m’avez interrogé sur la procédure qui a conduit à la signature des contrats. En juillet 2011, un appel public à partenariats a été lancé. Les projets offrant des perspectives concrètes de partenariat public-privé ont été soumis – non par la BnF mais par le ministère de la culture – au commissariat général à l’investissement, dont le comité d'engagement « Investisseur avisé » s’est prononcé. J’y insiste : la BnF a agi dans une parfaite transparence à l’égard de sa tutelle. Lors de l’étape décisive, celle qui conditionne l’octroi des fonds, la BnF n’est pas présente au débat : c’est le ministère, représenté par la direction générale des medias et des industries culturelles et par le cabinet du ministre, qui intervient. Ensuite vient la phase finale de négociation du contrat.

Beaucoup de questions ont porté sur la comparaison des contrats conclus par ProQuest en Europe. J’ai indiqué les différences, mais je vais les synthétiser. En France, à la BnF, seront accessibles potentiellement à 3 000 lecteurs chaque jour non seulement les originaux mais aussi la version numérisée. Il y a aussi accès à l’ensemble de la base de données ProQuest, c’est-à-dire aussi aux ouvrages de la même époque numérisés au Danemark, en Italie, en Allemagne… avec des fonctionnalités de recherche que Gallica n’offre pas. La plus-value est donc réelle. Encore une fois, il s’agit d’un programme de niche : 70 000 ouvrages sur des centaines de milliers, sinon des millions, par ailleurs.

Le financement des licences nationales provient également du commissariat général à l’investissement. Si, dans le cadre de ce contrat, on avait élargi l’accès au fonds numérisé, il aurait fallu compenser la diminution de recettes induite de ce fait pour nos partenaires privés, et pour cela accepter de leur concéder une période d’exclusivité plus longue et de percevoir une moindre redevance.

Les autres bibliothèques nationales, madame Attard, perçoivent des royalties bien moins élevées que celles que nous avons négociées, et dans notre cas, elles sont réinvesties dans le programme lui-même. Par ailleurs, dans le cadre de ce contrat, il nous faut recruter du personnel supplémentaire, alors que les emplois de titulaires décroissent. Le coût total du projet de numérisation des livres anciens est de 6,5 millions d’euros, dont 3,6 millions concernent la numérisation proprement dite et 2,9 millions les autres coûts – notamment le coût du personnel supplémentaire. Pour couvrir cela, nous avons reçu 2,5 millions d’euros du commissariat général à l’investissement ; le solde viendra des redevances que nous versera progressivement ProQuest. Une fois l’équilibre atteint, les redevances financeront le fonctionnement de la filiale et, je l’espère, d’autres projets de numérisation. J’admets que la construction puisse faire débat sur certains points, mais nous voulons en effet enclencher une machine économique rentable qui permettra non seulement de gérer ces deux projets mais aussi d’en porter d’autres.

Le projet de numérisation des collections sonores a un coût total de 9 millions d’euros ; 7,6 millions d’euros serviront à la numérisation proprement dite et 1,3 million d’euros correspondent principalement aux coûts de personnel. Là encore, BnF-Partenariats investit 2,5 millions d’euros.

Si, avec l’accord du ministère, nous avons accepté que l’accès soit dans un premier temps restreint aux lecteurs de la BnF, c’est en raison de la souplesse qu’offre la possibilité de mettre en ligne 5 % des documents numérisés au bénéfice des chercheurs, et parce que le dispositif retenu permettra à la France de bénéficier d’un prix de licence inférieur à celui défini pour les autres pays européens. Il est exact que la licence nationale ne permettra pas à n’importe quel particulier d’avoir accès à la base ProQuest. Si vous cherchez, madame Attard, à me convaincre que l’internet est une révolution, je pense pouvoir dire que la démarche entreprise par la BnF en est une illustration et non l’inverse. Ce que nous faisons en matière de libre accès universel et gratuit est sans équivalent dans le monde. Il y aura certes une exception, mais il s’agit d’une restriction temporaire, sous une forme qui permettra en soi une démultiplication de l’accès à des documents dont l’accès est actuellement fortement restreint.

Je ne pense pas que la contestation juridique de la concession de droits d’utilisation prospérera, d’autant que les droits concédés ne sont pas exclusifs. Il n’y a aucune privatisation du domaine public, et je pense que d’autres partenaires s’intéresseront au moins à une partie de ces données.

Madame Sommaruga, si des dommages sont constatés, le contrat prévoit la restauration des ouvrages abîmés. Il est vrai que les crédits de restauration « classique » de la BnF sont en baisse, mais la numérisation est aussi un élément de politique de conservation : elle permet que les ouvrages, communiqués sous forme numérique, ne soient plus manipulés.

M. de Mazières m’a interrogé sur l’équation budgétaire de la BnF. La perspective n’est pas définitivement arrêtée pour 2014 et 2015, années dont on nous dit que, quoi qu’il en soit, elles ne seront pas faciles. En 2013, la BnF doit faire un effort assez considérable puisque, outre le prélèvement de 2 millions d’euros sur le fonds de roulement opéré fin 2012, on annonce un surgel de 3,4 millions d’euros. Je viens donc de proposer au conseil d’administration un budget rectificatif en baisse de 5,4 millions d’euros. Soixante-et-un pour cent de notre budget est consacré à la masse salariale. La BnF gère désormais son propre personnel, et elle ne reçoit plus de compensation des facteurs d’accroissement de la masse salariale que sont les très fortes augmentations du taux des cotisations pour pensions civiles. Aussi, selon nos projections, en dépit de la baisse prévue de l’effectif de 159 équivalents temps plein pour la période 2013-2015, la masse salariale devrait demeurer à peu près constante. Les réductions budgétaires portent donc sur le fonctionnement et les investissements. Autant dire que si, dans un monde idéal, nous ferions avec notre budget propre ou avec la subvention du CNL beaucoup plus que nous ne faisons aujourd’hui, cela ne nous paraît pas être une perspective réaliste à court terme.

Je souhaite insister sur un point : notre obsession c’est que ce que nous numérisons soit immédiatement si cela se peut, ou le plus vite possible, en accès universel et gratuit. À ce sujet, j’ai trouvé assez piquant que d’aucuns me reprochent de ne pas avoir conclu d’accord avec Google… Un accord avec Google permet certes un accès universel, mais on sait que d’autres limitations interviennent. L’intérêt d’une controverse n’est pas de bloquer les choses – car il serait très dommageable de renoncer aux investissements d’avenir – mais de les clarifier de manière à être largement entendu, sachant que tout est écrit dans les documents.

Nous avons en particulier essayé de coller au plus près aux recommandations du « Comité des sages », dont j’ai suivi les travaux de très près. Le Comité encourage les États membres de l’Union européenne à conclure de tels partenariats. Mais les autres pays n’ont pas de Centre national du livre ; ce type de contrat représente donc la quasi-totalité de leur programme de numérisation et l’on peut comprendre qu’il soit vital pour eux de rendre l’accès possible aux documents numérisés sur tout leur territoire. Pour ce qui les concerne, la période d’exclusivité est de sept ans calculés à partir de la fin de l’investissement ; pour nous, elle est de dix ans au total, mais il existe plusieurs manières de calculer cette durée. Pour les collections sonores, au bout de dix ans il n’y aura plus aucune exclusivité : ce qui aura été numérisé en premier aura été en accès privilégié pendant dix ans, ce qui sera numérisé à la fin, c’est-à-dire au but de 7,5 ans, ne sera couvert par cette clause que pendant 2,5 ans, si bien que la période moyenne de restriction d’accès sera effectivement de 7 ans.

S’agissant du contrat passé avec ProQuest, la période d’exclusivité prendra fin entre 2023 et 2028, ce qui représente une moyenne de 7 ans et quelques mois. Nous sommes donc aussi dans l’esprit de la recommandation du « Comité des sages ». L’Association des bibliothèques nationales européennes avait elle-même recommandé, avec réalisme, une durée de dix ans, mais ma collègue allemande m’avait alors dit : « Nous préférons écrire "sept ans", ce qui vous mettra en meilleure position pour négocier avec les partenaires privés, mais nous savons que le modèle économique suppose plutôt une durée d’exclusivité de 10 ans ». Il va de soi qu’une fois cette période expirée, tous les ouvrages numérisés seront accessibles par le biais de Gallica et d’Europeana.

M. Marcel Rogemont. Il nous intéressera de connaître le programme de numérisation que vous poursuivrez avec la subvention du CNL, qui concerne aussi les livres indisponibles. Ma question demeure : quelle clientèle fera que le cercle vertueux que vous voulez enclencher fonctionne ?

M. Bruno Racine. Les clients de ProQuest sont principalement les universités américaines et celles du Nord de l’Europe et de Grande-Bretagne. Pour la France, une licence nationale avait été négociée pour Early English Books, la collection précédente de ProQuest, et financée par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, auquel le ministère de la culture s’est associé pour l’étendre à d’autres bibliothèques. Dans le cas qui nous occupe, le client français devrait logiquement être le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, avec le financement du CNL.

M. Marcel Rogemont. Ce sont donc bien des fonds publics qui permettront le fonctionnement du dispositif. Je comprends que la BnF ait vu dans les investissements d’avenir une opportunité supplémentaire pour numériser son fonds, et que vous essayiez d’en faire le meilleur usage. Reste pendante la question de l’accès. D’autre part, le fait que les lecteurs intéressés sont dans la sphère publique a pour conséquence que l’opération est en dernier ressort financée par les deniers publics ; dont acte.

M. Bruno Racine. Le coût de la licence nationale pour Early English Books était compris entre 800 000 et 900 000 euros. À ma connaissance, la négociation de la licence nationale entre l’État et ProQuest n’a pas commencé, mais imaginons que la somme en jeu soit du même ordre : si BnF-Partenariats avait pris à sa charge le coût de l’élargissement de l’accès, le commissariat général à l’investissement aurait dû nous allouer davantage. En résumé, l’équation est résolue de manière différente mais la somme finale est la même.

Mme Isabelle Attard. Je souhaite préciser que personne dans cette salle n’a employé le mot « privatisation » : j’ai parlé du problème juridique que pouvait poser l’exclusivité accordée à une société privée. Deux questions demeurent : le contrat a-t-il, oui ou non, été signé de gré à gré, sans intervention du ministère ? Aurons-nous accès au contrat, comme promis par le ministère le 29 janvier dernier ?

M. Bruno Racine. J’ai parlé de « privatisation » parce que le terme a été utilisé plusieurs fois au cours des dernières semaines, mais je vous donne acte que ce n’est pas par vous. Mais il n’y a pas d’exclusivité au sens où vous l’employez puisque, comme il s’agit d’œuvres du domaine public, n’importe quel autre partenaire peut demander à avoir accès aux mêmes documents, à les numériser et à les commercialiser.

Mme Isabelle Attard. Si je vous entends bien, n’importe qui pourrait donc venir à la BnF scanner l’un ou l’autre des ouvrages en question ?

M. Bruno Racine. Pour des raisons de conservation, on ne permettrait à tout lecteur de manipuler et de scanner la bible de Gutenberg ; en revanche, il pourrait demander à acquérir une reproduction numérique – qui lui serait facturée, car il y a un coût de production. Le fait qu’une œuvre soit dans le domaine public ne signifie pas qu’elle soit gratuite ; sinon, les librairies s’effondreraient. La consultation sur place, elle, est gratuite, sous réserve d’avoir acquitté le droit d’entrée à la BnF ou d’avoir la carte de lecteur. Et tout lecteur de la BnF aura accès non seulement aux documents qu’il cherche mais à l’ensemble de la base des données numérisées.

Je verrai avec le président Patrick Bloche comment organiser la communication du contrat. La question juridique qui se pose à nous est celle de la communicabilité des contrats ; nous aurons l’avis de la CADA sur ce point dans de très brefs délais.

Mme Isabelle Attard. Voilà qui contredit la réponse du ministère indiquant à mon collègue Marcel Rogemont que ces contrats seront communiqués aux parlementaires.

M. Bruno Racine. Cela sera organisé avec le président de votre Commission.

M. le président Patrick Bloche. Le souci qui s’exprime dans l’échange de courriers avec la CADA, dont j’ai eu connaissance, est que le Parlement puisse remplir pleinement sa mission de contrôle. Je vous remercie, monsieur Racine, d’avoir été des nôtres au cours de cette matinée très attendue.

La séance est levée à onze heures cinquante-cinq.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation a désigné M. Patrick Bloche rapporteur sur la proposition de résolution européenne de Mme Danielle Auroi et M. Patrick Bloche relative au respect de l’exception culturelle (n° 875).

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 10 avril 2013 à 9 heures 30

Présents. – M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Malek Boutih, M. Thierry Braillard, M. Xavier Breton, Mme Isabelle Bruneau, Mme Marie-George Buffet, M. Ary Chalus, Mme Valérie Corre, M. Yves Daniel, M. Bernard Debré, Mme Sophie Dessus, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, Mme Françoise Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Vincent Feltesse, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, M. Pierre Léautey, M. Dominique Le Mèner, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés.  Mme Huguette Bello, M. Jean-Louis Borloo, Mme Brigitte Bourguignon, M. Michel Herbillon, Mme Sonia Lagarde, Mme Colette Langlade, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. Rudy Salles, M. Jean Jacques Vlody

Assistait également à la réunion. – M. Régis Juanico