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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 12 juin 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 51

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Lescure, président de la mission « Acte II de l’exception culturelle », et de M. Jean-Baptiste Gourdin, coordinateur de la mission, sur le rapport de la mission relatif à la politique culturelle à l’ère du numérique

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 12 juin 2013

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Lescure, président de la mission « Acte II de l’exception culturelle », et de M. Jean-Baptiste Gourdin, coordinateur de la mission, sur le rapport de la mission relatif à la politique culturelle à l’ère du numérique.

M. le président Patrick Bloche. Monsieur Pierre Lescure, président de la mission « Acte II de l’exception culturelle », nous avons le plaisir de vous accueillir quelques semaines après la remise au Président de la République et au gouvernement de votre rapport sur la politique culturelle à l’heure du numérique ; vous êtes accompagné de M. Jean-Baptiste Gourdin, coordinateur de la mission.

Cette audition sera l’occasion d’échanger sur les 80 propositions que contient le rapport, sachant qu’un débat aura lieu cet après-midi en séance publique sur une proposition de résolution européenne – que j’ai déposée avec Mme Danielle Auroi, présidente de la Commission des affaires européennes, et qui a été adoptée à l’unanimité par notre Commission – portant sur le respect de l’exception culturelle. Notre objectif est de convaincre la Commission européenne d’exclure la culture en général et l’audiovisuel en particulier de son mandat de renégociation de l’accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne (UE) ; il sera cependant difficile à atteindre, M. José Manuel Barroso ayant fait montre hier de fermeté face à une délégation de cinéastes français et européens.

Nous sommes confrontés au défi de légiférer sur l’environnement de la culture et de la connaissance à l’ère du numérique, notamment dans les domaines de la création et de la diffusion des œuvres. Nous avons déjà abordé les enjeux liés au numérique lorsque nous avons examiné les projets de loi sur la refondation de l’école de la République et sur l’enseignement supérieur et la recherche.

Votre rapport pouvant déboucher sur l’adoption de dispositions législatives, nous sommes heureux de vous écouter aujourd’hui, avant de recevoir Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, le 19 juin prochain.

M. Pierre Lescure, président de la mission « Acte II de l’exception culturelle ». La mission a travaillé neuf mois et a organisé plus de 90 auditions, toutes consultables sur le site dédié ; celui-ci fut beaucoup visité, notamment par des internautes spécialistes qui laissèrent une centaine de contributions dont nous avons essayé de tenir compte.

Notre réflexion s’est articulée autour de quelques principes : tout d’abord, il était urgent de travailler à combler le fossé entre les créateurs ou ayants droit et les usagers, d’autant plus que le public – qu’il consomme légalement ou illégalement – aime les films, les images et les musiques, ce qui est très positif pour les industries culturelles.

Ensuite, si les fondements de l’exception culturelle demeurent pertinents à l’heure du numérique, ses mécanismes doivent être mis à jour. Il est erroné de penser que la régulation n’est ni possible ni nécessaire à l’ère d’internet, mais il convient de renouveler ses méthodes.

La rapidité des bouleversements nés du numérique doit nous conduire à privilégier les mécanismes souples et capables de s’adapter aux transformations des usages, plutôt que la réglementation contraignante et le droit dur : il faut un cadre législatif à l’intérieur duquel la régulation s’ajuste en permanence.

En cette matière, plus que dans toute autre, notre boussole doit être l’usager : une politique culturelle qui serait indifférente aux usages ou, pire, qui chercherait à les nier ou à les contraindre, serait vouée à l’échec. Or ceux-ci évoluent constamment.

Forts de ces convictions, nous avons identifié trois axes de réflexion : premièrement, comment faire en sorte que les possibilités offertes par les technologies numériques soient utilisées pour promouvoir l’accès des publics aux œuvres et pour développer l’offre culturelle en ligne, en termes quantitatifs mais également qualitatifs ? Deuxièmement, comment garantir, dans le contexte numérique, une juste rémunération des créateurs et un niveau adéquat de financement de la création ? Troisièmement, et au carrefour des deux premiers thèmes, comment protéger et adapter le droit de la propriété intellectuelle, traduction juridique du compromis passé entre les créateurs et leurs publics ?

Les usagers ont accès à des dizaines de millions de titres musicaux – l’offre étant dans ce domaine presque exhaustive –, à des milliers de films et de programmes audiovisuels, à environ 100 000 livres numériques et à des dizaines de milliers de jeux vidéo. Pour autant, l’offre culturelle en ligne peine toujours à satisfaire les attentes, très élevées, des internautes. Les reproches principaux – formulés notamment lors de nos déplacements en province, à Bordeaux, à Rennes, à Aix-en-Provence et à Marseille, et au cours de discussions avec des acteurs étrangers – concernent les prix trop élevés et, surtout, le manque de choix. La concurrence de l’offre illégale paraît difficilement égalable : majoritairement gratuite, elle tend à l’exhaustivité, elle est facile d’accès, dénuée de Digital Rights Management (DRM ou gestion des droits numériques), disponible dans des formats interopérables, et elle est parfois de meilleure qualité que l’offre légale en termes de formats ou de métadonnées associées.

Il s’agit donc de répondre à la soif de culture des internautes, de renouer le lien entre les créateurs, le public et les industries de la culture, et de tirer pleinement parti des possibilités d’accès aux œuvres permises par les technologies numériques. Les initiatives prises jusqu’ici pour développer l’offre légale – label de promotion des usages responsables (PUR) ou carte musique jeunes – n’ont, si vous m’autorisez un euphémisme, pas été couronnées de succès.

Nous avons donc élaboré des propositions pour améliorer cette situation. Afin d’accroître la disponibilité numérique des œuvres, nous préconisons de consacrer une obligation d’exploitation permanente : dès lors que le numérique facilite l’accès aux œuvres – puisqu’il abolit les contraintes de la distribution physique –, il n’y a plus de raison valable – hormis le droit moral de l’auteur – pour qu’une œuvre ne soit plus exploitée ; l’absence d’exploitation, appréciée selon des critères définis dans des codes des usages, devrait ouvrir au créateur la possibilité de saisir le juge et pourrait entraîner la restitution des aides publiques.

Toujours dans ce souci d’élargir l’offre et de répondre aux attentes, nous préconisons plusieurs adaptations profondes de la chronologie des médias. Nous pensons que nos propositions sont de nature à dynamiser l’offre de vidéo à la demande et à détourner le public du piratage, sans fragiliser le système de préfinancement des contenus cinématographiques et télévisuels. Les professionnels, notamment les exploitants de cinéma et les chaînes participant au préfinancement des films, ont vivement critiqué notre souhait de rendre la vidéo à la demande disponible au bout de trois mois et non plus de quatre. Cette mesure est pourtant symbolique, la plus importante étant d’encourager le développement d’offres de vidéos à la demande par abonnement (VàDA). La VàDA est presque inexistante en France, alors que le service d’Amazon – Lovefilm – arrivera rapidement et sans doute plus tôt que Netflix, car cette entreprise est déjà bien implantée en Europe, développe actuellement ce service en Allemagne et construit une base de métadonnées au Luxembourg. Certains propriétaires de catalogues français passeront des accords avec Amazon, qui proposera sûrement de participer au préfinancement des films pour pénétrer le marché. Il serait dommage que les grands acteurs audiovisuels français n’investissent pas dans cette activité pour se préparer à affronter la compétition des entreprises étrangères. Il faut attendre 36 mois pour avoir accès aux films dans le cadre de la VàDA, soit un délai supérieur à celui précédant la diffusion gratuite de ces œuvres, si bien que cette formule s’avère très peu attractive. Nous voulons donc que cette période soit ramenée à 18 mois.

Nous proposons également d’instaurer, sous l’égide du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), une commission des dérogations qui réunirait chaque semaine des représentants des distributeurs, des exploitants, des producteurs et des diffuseurs, afin de faire entrer chaque année une trentaine de films fragiles ou faisant une carrière décevante en salle plus tôt dans le circuit de la vidéo à la demande. De même, il est impératif que les chaînes de télévision françaises diffusent beaucoup plus rapidement les séries télévisées étrangères : il est insensé qu’à l’heure du numérique, elles attendent un an pour retransmettre ces programmes, situation qui incite au piratage et qui ne perdure que par habitude.

S’agissant de la rémunération des créateurs et du financement de la création, il est devenu un lieu commun d’affirmer que les usagers semblent de moins en moins disposés à payer des contenus dont le caractère immatériel entretient l’illusion de la gratuité, alors que les appareils connectés se vendent à des prix très élevés et que les acteurs over the top (OTT) génèrent des recettes toujours plus fortes grâce à la publicité et à l’exploitation des données personnelles. Payer cinq euros par mois pour accéder en streaming à la quasi-totalité des catalogues musicaux semble excessif pour de nombreux internautes qui ne voient, par ailleurs, rien de choquant à dépenser 500 ou 600 euros pour le dernier smartphone ou 1 000 euros pour un téléviseur connecté.

Ce bouleversement de la chaîne de valeur constitue un enjeu de compétitivité majeur pour l’Europe et, singulièrement, pour la France, qui dispose d’industries de contenus relativement puissantes, alors qu’elle est faiblement représentée dans les industries numériques, tant hardware que software. Des mécanismes de compensation doivent être instaurés pour corriger les déséquilibres excessifs, car il est de l’intérêt de l’ensemble de l’écosystème numérico-culturel que la diversité de la création soit protégée.

Le partage de la valeur entre les créateurs, les producteurs, les éditeurs et les services qui diffusent ou distribuent les œuvres donne lieu à d’importantes tensions. Celles-ci s’expliquent par la diminution générale des prix unitaires qui accompagne la dématérialisation et par l’émergence de nouveaux modèles économiques – abonnement et gratuité financée par la publicité. Ces questions relèvent à titre principal de la liberté contractuelle, mais la puissance publique est fondée à en assurer la régulation. Nous proposons par exemple que les modalités de calcul et les taux minima de rémunération des auteurs et des artistes soient fixés par des accords collectifs, et que les sociétés de gestion collective perçoivent directement ces émoluments auprès des plateformes. Ce système existe déjà dans certains secteurs et nous proposons donc de le généraliser.

La contribution au financement de la création de ceux qui profitent de la circulation des œuvres constitue l’un des piliers de l’exception culturelle. Or, avec la révolution numérique, de nouveaux acteurs sont apparus, mais ils échappent à ce principe simple et vertueux. Nos propositions en matière fiscale ont pour objectif principal de remédier à ces lacunes. L’objectif n’est pas de créer des taxes supplémentaires fournissant de nouvelles mannes et se superposant aux mécanismes existants. D’ailleurs, nombre de nos suggestions ne rapporteront, à court terme, que des sommes très limitées.

Ces préconisations visent en fait à rétablir l’équité fiscale, à tirer les conséquences de la transformation des usages et à anticiper, si possible, les évolutions à venir. Ainsi, en ce qui concerne le financement du cinéma et de l’audiovisuel, nous proposons d’adapter les taxes affectées qui alimentent le CNC : assujettissement des services de vidéos à la demande basés à l’étranger – alors qu’aujourd’hui, seuls les services installés en France contribuent – et de la télévision de rattrapage – quand la télévision en direct est actuellement l’unique contributrice –, prise en compte des nouveaux distributeurs de vidéos à la demande – alors que seuls les éditeurs sont mis à contribution –, refonte de la taxe sur les distributeurs de services de télévision (TSTD) pour prendre en compte toutes les modalités de diffusion des œuvres audiovisuelles et pas uniquement la télévision traditionnelle. Il n’est donc pas question de créer de nouvelles taxes, mais de modifier celles qui existent pour combler les failles, rétablir l’équité et anticiper la transformation des modes de consommation.

S’agissant de la rémunération pour copie privée – mécanisme vertueux dans son principe et essentiel à la rémunération des créateurs comme au financement de la création –, notre approche fut la même : elle a consisté à tenir compte de la transformation des usages, telle qu’on peut raisonnablement l’anticiper d’ici à cinq ans. Il nous semble, et nous ne sommes pas les seuls à le penser, qu’après l’âge de la propriété et de la copie, nous allons entrer dans l’ère de l’accès. Avec l’amélioration de la couverture et des débits, les œuvres seront disponibles à tout moment et en tout lieu, et il n’y aura plus besoin de les stocker sur un support physique pour les consommer. L’objectif de la taxe sur les appareils connectés dont nous proposons la création est précisément de prévenir cette fragilisation.

Son assiette devrait être large et son taux faible ce qui la rendrait presque indolore pour le consommateur ; elle frapperait en outre des matériels fabriqués dans leur grande majorité à l’étranger. Si les usages changeaient, ce dispositif serait disponible pour protéger le financement de la création.

Le droit d’auteur repose, depuis son origine, sur un compromis entre les droits des créateurs et ceux du public, et l’irruption du numérique a bouleversé les termes de cet équilibre.

Le téléchargement illicite ne constitue évidemment pas la cause de tous les maux dont souffrent les créateurs et les industries culturelles, mais les atteintes au droit d’auteur causent aux créateurs et aux investisseurs de la création un préjudice moral et matériel indéniable ; protéger ce droit reste donc indispensable. L’offre illicite oppose au développement des services légaux une concurrence qui ne peut être contrée par le seul développement de fonctionnalités nouvelles ou d’une ergonomie innovante.

Pourtant, si les atteintes au droit d’auteur doivent être combattues, le choix de la méthode doit tenir compte de la réalité des usages et des perceptions. L’incompréhension grandissante du public à l’égard de la propriété intellectuelle alimente une forme de banalisation du téléchargement illégal. Il est donc indispensable – dans un but de justice et d’efficacité – de réorienter la lutte contre le piratage en direction de ceux qui font de la contrefaçon une activité systématique et lucrative, qui en tirent des profits importants et qui entretiennent souvent des liens avec la criminalité organisée.

Nous proposons ainsi un arsenal de mesures à l’encontre des sites de streaming et de téléchargement direct reposant sur une coopération volontaire – à l’image de ce que les États-Unis ont mis efficacement en œuvre – entre les intermédiaires techniques et financiers d’internet ; cette forme d’autorégulation encadrée par la puissance publique – notamment les services de la cyberdouane – offrirait souplesse et réactivité.

À l’égard des internautes qui téléchargent illicitement des œuvres à des fins personnelles – piratage que l’on qualifie de domestique –, nous pensons qu’il est souhaitable de conserver la réponse graduée dans ses aspects positifs, qui tiennent essentiellement à sa dimension pédagogique. Ce dispositif a eu, en moins de trois ans, des effets indéniables sur le téléchargement de pair à pair, comme l’attestent le taux de récidive très faible constaté entre chacune des étapes de la réponse graduée et le recul de la fréquentation des réseaux pair à pair. Le nombre très faible de dossiers transmis au juge pénal – environ une trentaine – et de condamnations – deux – ne signe pas l’échec de la réponse graduée, mais son succès. Son coût, qui correspond à moins de la moitié du budget de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), n’est pas disproportionné au regard des enjeux en présence.

Nous ne pensons donc pas qu’une abrogation pure et simple de la réponse graduée soit souhaitable. Elle ne serait d’ailleurs pas à l’avantage des internautes qui téléchargent, puisqu’ils resteraient passibles du délit de contrefaçon, assorti de peines très lourdes. Cela provoquerait un engorgement des tribunaux, qui seraient amenés à sanctionner, pour l’exemple, un petit nombre de contrevenants à des peines disproportionnées au regard de la banalité des faits et au terme de procédures lourdes et coûteuses.

En revanche, nous préconisons un allègement de la réponse graduée, afin de la débarrasser de ses aspects les plus répressifs – qui ont nourri l’impression d’une stigmatisation des internautes – et d’en renforcer la vocation pédagogique. Il est donc proposé d’abroger la peine de suspension de l’abonnement à internet, particulièrement sévère, et de lui substituer une sanction administrative pour éviter la convocation au commissariat, le recours au tribunal de police et l’inscription de la condamnation au casier judiciaire. Enfin, la sanction pécuniaire pourrait être fortement diminuée sans que celle-ci perde son caractère dissuasif : son montant actuel, qui peut atteindre 1 500 euros, pourrait être ramené à une somme forfaitaire de 60 euros – représentant un an d’abonnement à un service de streaming musical ou une quinzaine de films en vidéo à la demande – et fortement majoré en cas de récidive.

Il ne nous semble pas souhaitable de maintenir une autorité administrative indépendante dont l’activité se limiterait à la lutte contre le téléchargement illicite ; cela ne répondrait pas au souci d’économie des deniers publics et contribuerait à donner l’impression d’une stigmatisation des internautes. Nous proposons donc de confier la réponse graduée au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Au-delà du souci de rationaliser le paysage administratif, il s’agit de marquer la cohérence étroite qui unit le développement de l’offre légale, la défense de la diversité culturelle en ligne et la vocation pédagogique de la réponse graduée.

S’il faut protéger le droit d’auteur, il convient également de l’adapter à la révolution numérique, qui transforme profondément le rapport entre les créateurs, les industries créatives et le public. Rien ne serait pire que de laisser se creuser un fossé entre le droit de la propriété intellectuelle et les pratiques culturelles des internautes.

Nous proposons de moderniser les exceptions au droit d’auteur, conçues pour stimuler la création et promouvoir la plus large diffusion des œuvres. En traçant la frontière entre les usages soumis à l’autorisation des titulaires de droits et ceux qui en sont libres, les exceptions dessinent un équilibre entre les droits des créateurs et ceux du public. Or l’irruption des technologies numériques remet en cause les termes de ce compromis et impose de moderniser la définition des exceptions. Nous formulons ainsi plusieurs propositions pour sécuriser la création transformative et permettre son épanouissement. Ces pratiques, facilitées par les outils numériques, connaissent un développement remarquable – en témoigne la profusion de morceaux musicaux issus de remixes ou de mashups diffusés sur internet. Leur statut juridique reste trop précaire et un élargissement de l’exception de citation – voire, à terme, la reconnaissance d’une nouvelle exception – leur permettrait de s’épanouir dans un cadre juridique sécurisé.

La protection résolue du droit d’auteur doit avoir pour contrepartie la défense non moins déterminée des œuvres qui n’y sont plus soumises et qui appartiennent donc au domaine public. Cela est d’autant plus essentiel que la durée de protection des droits s’est considérablement allongée ces dernières années. Or lorsque ces œuvres sont numérisées, elles se voient parfois soumises à de nouvelles couches de droits qui entravent leur circulation : nous avons donc élaboré plusieurs propositions pour lever ces obstacles.

Adapter le droit d’auteur à l’ère numérique exige également de promouvoir et de faciliter le recours aux licences libres, qui permettent aux auteurs de définir les conditions dans lesquelles leurs œuvres peuvent être diffusées, réutilisées et modifiées. Ces licences ne sont pas concurrentes, mais complémentaires du droit de la propriété intellectuelle classique ; elles sont particulièrement adaptées aux nouveaux usages numériques et elles permettent de les inscrire dans le cadre du droit de la propriété intellectuelle. Elles élargissent les libertés d’utilisation offertes au public, tout en laissant à l’auteur la maîtrise des conditions dans lesquelles ses œuvres sont exploitées.

Afin d’encourager le recours aux licences libres, nous proposons de conforter leur cadre juridique, d’assurer une articulation harmonieuse avec la gestion collective et d’inciter les bénéficiaires de subventions publiques à placer une partie de leurs œuvres sous ce régime.

Enfin, pour adapter le droit d’auteur, il convient également de faciliter l’accès aux métadonnées, terme qui cache un enjeu crucial pour la juste rémunération des créateurs, pour le développement d’une offre légale innovante et pour la promotion de la diversité culturelle. Or la dispersion et le cloisonnement des bases de métadonnées soulèvent des difficultés dans tous les champs de la création ; pour y remédier, nous proposons de créer, dans chaque secteur, un registre ouvert de métadonnées, grâce à la coopération de toutes les entités qui détiennent des données pertinentes – en premier lieu, les sociétés de gestion collective. Ces registres pourraient être coordonnés par les organismes responsables du dépôt légal, qui centraliseraient, intégreraient et actualiseraient en permanence les données. Ils seraient prioritairement destinés à faciliter l’identification des titulaires de droits et ils pourraient être complétés à terme par des mécanismes d’octroi simplifié d’autorisation d’exploitation.

M. le président Patrick Bloche. La loi du 20 décembre 2011 a permis de pérenniser le principe de la rémunération pour copie privée, menacé par la jurisprudence française et européenne. Notre Commission est attachée à ce système, mais elle est également consciente de la nécessité de lui insuffler un nouveau dynamisme permettant d’adapter la « loi Lang », votée en 1985 à l’unanimité des membres du Parlement, à l’ère numérique.

Il existe un lien entre la rémunération pour copie privée et la taxe sur les appareils connectés que vous proposez : la loi du 3 juillet 1985 avait instauré la rémunération pour copie privée et une exception au droit d’auteur qui autorisait la copie privée dans le cercle familial. Dans le même esprit, si l’on créait une nouvelle rémunération pour copie privée dont l’assiette reposerait sur les appareils connectés, il faudrait, dans un souci d’équilibre, conduire une réflexion sur le statut des échanges non marchands, afin de les dépénaliser, de les sécuriser ou de les légaliser. Une telle évolution ferait alors de la riposte graduée une question presque secondaire.

Mme Colette Langlade. Le groupe SRC se réjouit de la rédaction de ce rapport, dont les 80 propositions embrassent le cinéma, l’audiovisuel, la musique, le livre, la presse, la photographie et le jeu vidéo, et visent à doter la France d’une véritable politique culturelle à l’ère du numérique.

L’exception culturelle garantit le respect de la qualité et de la diversité de l’offre. Le renforcement de la gestion collective – qui se situe au cœur du droit d’auteur – et l’évolution souple du régime de la copie privée constituent des orientations fortes de ce rapport. Celui-ci contient une multitude d’idées et de propositions qui nourriront les réflexions des parlementaires : je pense notamment à la réduction des taux de TVA pour certains services électroniques, à la promotion de l’interopérabilité, au développement du pouvoir de saisine des associations de consommateurs, au renforcement de la protection du domaine public et à la promotion de l’utilisation des licences libres.

Je soutiens la suppression de la sanction visant à couper l’accès à internet, de même que l’élimination programmée de la Hadopi, mais, comme beaucoup de mes collègues, j’aurais préféré la disparition totale de la réponse graduée.

Nous devons prolonger la réflexion ouverte par le rapport, notamment sur la légalisation des échanges non marchands et sur la création d’une taxe de 1 % sur les appareils connectés – qui correspondrait, comme le souligne le président Patrick Bloche, à une nouvelle rémunération pour copie privée.

En tant qu’élue d’un territoire rural, je voudrais rappeler que les inégalités en termes d’accès au numérique sont encore nombreuses. Beaucoup de zones situées dans les campagnes restent dépourvues de haut débit, ce qui compromet l’accès du plus grand nombre au numérique. Le Président de la République a indiqué le 20 février dernier à Clermont-Ferrand que tous les foyers devront bénéficier du très haut débit d’ici à 2022. Les opérateurs de télécommunications projettent de contribuer à ce plan, à hauteur de 12 milliards d’euros par an, répartis paritairement entre investissements directs et redevances versées aux collectivités territoriales. Face à une situation économique tendue – provoquée notamment par l’entrée de Free dans le marché –, certains opérateurs critiquent le poids de la fiscalité, qui représente 2,8 % de leur chiffre d’affaires et 20 % de leurs investissements. Or votre proposition 46 suggère de réformer la TSTD en la transformant en une taxe assise sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications dont le produit serait affecté à un compte de soutien à la transition numérique des industries culturelles et non plus au seul CNC.

Monsieur Lescure, les opérateurs de télécommunications pourront-ils, malgré cette réforme de leur taxation, honorer leurs engagements nécessaires à la réduction de la fracture numérique ? Ne pourrait-on pas réfléchir à d’autres sources de financement qui menaceraient moins le déploiement de la couverture en haut débit de l’ensemble du territoire ?

M. Franck Riester. Beaucoup de propositions contenues dans le rapport et attendues par le secteur – l’assouplissement de la chronologie des médias pour la vidéo par abonnement ou le respect de la neutralité technologique des taux de TVA – vont dans le bon sens ; la plupart d’entre elles se situent d’ailleurs dans la continuité des politiques culturelles menées ces dernières années : ainsi, s’agissant de la chronologie des médias, la loi dite « Hadopi » du 12 juin 2009 avait ramené la première fenêtre de six à quatre mois.

Monsieur Lescure, vous saluez dans votre rapport – et je tiens à vous remercier de votre honnêteté – l’efficacité du système de la réponse graduée : le dispositif fonctionne, son caractère pédagogique est reconnu et l’envoi d’avertissements aux internautes a eu un effet positif notoire dans la lutte contre le téléchargement illégal. Cela posé, pourquoi vouloir changer ce système ? Vous conseillez de supprimer la Hadopi, autorité administrative indépendante (AAI) qui gère la réponse graduée, de transférer au CSA un mécanisme amoindri de réponse graduée et de concentrer la lutte contre le piratage en direction des acteurs qui en tirent un bénéfice économique.

Lors de la remise du rapport, le gouvernement a insisté sur la fin de la Hadopi, signal déplorable envoyé à nos compatriotes en matière de lutte contre le piratage. Selon vous, il y aurait une distinction à opérer entre les échanges entre particuliers – plus tolérables – et le piratage commercial qu’il faudrait poursuivre sans restriction – nous sommes d’accord avec vous sur ce dernier point. Ne pensez-vous pas qu’il serait plus efficace pour défendre les droits des créateurs et favoriser l’essor de l’offre légale des contenus sur internet de viser toutes les formes de piratage ? Si l’on ne lutte plus contre le téléchargement illégal, il devient impossible de développer l’offre légale et de financer la création. On pourrait au contraire étendre les compétences de l’AAI au suivi des engagements pris volontairement par les différentes catégories d’intermédiaires pour lutter contre le téléchargement organisé à but commercial – nous souhaiterions d’ailleurs que vous puissiez nous en fournir quelques exemples.

Le système actuel concilie les droits des auteurs – protégés efficacement par une autorité administrative dédiée pouvant appliquer des sanctions significatives – et ceux des internautes, dont la garantie est organisée par la loi dite « Hadopi 2 » qui prévoit l’intervention du juge judiciaire pour prononcer les éventuelles condamnations. Dans votre rapport, vous préconisez d’abroger la peine dissuasive de suspension de l’abonnement à internet et de plafonner le montant de la sanction à une amende de 60 euros, qui, selon vos propres mots, représente le montant annuel d’un abonnement à une offre légale de musique et n’incitera donc pas l’internaute à y souscrire. Votre dispositif ne présentera plus de caractère pédagogique, puisque ce sont les rappels à la loi reposant sur une éventuelle sanction qui s’avèrent efficaces. Ne devrait-on pas maintenir le système de réponse graduée et étendre les missions de la Hadopi ?

Assujettir les appareils connectés à une nouvelle contribution permettrait de tenir compte de l’évolution des marges dans la filière de la culture, mais pourquoi devrait-on instaurer une taxe plutôt que de modifier les dispositifs actuels ? Dans le cadre de mon rapport sur le Centre national de la musique, nous avions d’ailleurs proposé de réorienter certaines taxes pour les adapter aux nouvelles répartitions de la valeur. À quoi comptez-vous affecter ce prélèvement supplémentaire ? Comment serait géré le compte placé sous la responsabilité du ministère de la culture et de la communication ? Si cette taxe devait se substituer à la rémunération pour copie privée, son produit couvrirait-il intégralement celui du système actuel ?

Mme Isabelle Attard. Monsieur Lescure, votre rapport me laisse perplexe : d’un côté, vous avancez des propositions positives – exceptions au droit d’auteur, défense du domaine public, licences libres, contenu numérique en bibliothèque, numérisation du patrimoine culturel et répertoires ouverts de métadonnées d’œuvres – dont nous espérons qu’elles figureront dans le projet de loi que présentera Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication ; d’un autre côté, votre rapport repose sur une conception répressive de la culture qui ne tranche en rien avec ce qui a été fait précédemment. Ainsi, votre recommandation 56 vise à alléger le dispositif de riposte graduée, en remplaçant la déconnexion de l’accès à internet par une amende légère qui conduira à distribuer beaucoup de contraventions sans que les infractions aient pu être solidement établies. Mme Marie-Françoise Marais, présidente de la Hadopi, s’est d’ailleurs réjouie de l’instauration d’un système qui ne la contraindrait pas à établir des dossiers rigoureux pour faire sanctionner les internautes.

Votre rapport fait surtout l’impasse sur l’aberration que constituent les condamnations prononcées par la Hadopi. N’oublions pas que ce n’est pas le téléchargement d’œuvres culturelles qui est puni, mais l’absence de sécurisation de la connexion. Depuis trois ans, la Hadopi est censée certifier des solutions de sécurisation des connexions à internet, mais elle a récemment décidé de ne pas se charger de cette mission, qui fait pourtant partie de ses prérogatives légales, car cette sécurisation s’avère impossible pour les particuliers. Parmi les très nombreux problèmes techniques, la Hadopi se fonde sur l’usurpation des adresses IP des internautes, qui n’est ni contrôlée ni sanctionnée et qui est bien plus simple que celle d’une plaque d’immatriculation. Dans ces conditions, il est incroyable de vouloir reconduire les missions de la Hadopi sous quelque forme que ce soit.

Ce constat inclut ses activités de promotion de l’offre légale ; la blogeuse Klaire a récemment testé les 20 sites internet auxquels la Hadopi a décerné le label PUR : parmi eux, 16 posent des problèmes graves d’accès et leurs clients paient ainsi pour des films qui sont en réalité inaccessibles. Chers collègues, allez visiter le site « J’voulais pas pirater » et vous comprendrez que ceux qui prétendent que l’offre légale est satisfaisante en France mentent. Le partage est un principe de base de la culture. L’exemple du site Megaupload a montré que les internautes étaient prêts à s’abonner pour accéder à des films partagés gratuitement par ailleurs, et nous devrions nous réjouir des possibilités accrues de partage qu’offre le numérique au lieu de les condamner.

Nous regrettons que la proposition 54 écarte nos idées de contribution créative ; pourtant, l’élaboration d’un système juste pour rémunérer les créateurs ne pourra pas être éludée. Votre rapport soutient qu’une contribution créative de cinq euros ne suffirait même pas à compenser l’intégralité du chiffre d’affaires de la musique enregistrée et de la vidéo, et qu’il faudrait l’établir entre 20 et 40 euros. Or, il est absurde de demander à ce type de contribution – qui ne viendrait qu’en complément des autres sources de revenus – de couvrir l’intégralité du chiffre d’affaires de l’industrie culturelle.

Les députés du groupe écologiste seront très attentifs au projet de loi qui nous sera soumis : nous soutiendrons tous les progrès qu’il contiendra, mais nous combattrons toute attaque contre ceux qui partagent la culture. Rappelons que l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme consacre « le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ». C’est ce principe qui guidera notre action.

M. Rudy Salles. Monsieur Lescure, à la tête de Canal Plus, vous incarniez une exception culturelle vigoureuse, offensive et non défensive, qui partait à la conquête de l’Europe, de l’Afrique du Nord et même du continent américain. Que vous ayez été nommé à la tête de cette mission était donc rassurant, et ce d’autant plus que celle-ci affichait comme objectif de maintenir l’exception culturelle française et de l’adapter à l’ère numérique. L’objectif est-il atteint ? Je m’interroge.

Votre travail constitue une somme qui mérite respect et remerciements. Néanmoins, je regrette qu’un échange avec le Parlement n’ait pas eu lieu au moment de l’élaboration du rapport et qu’il ne soit organisé qu’une fois celui-ci publié.

Parmi vos 80 propositions, on retient immédiatement l’enterrement de la Hadopi, qui présente un bilan très modeste, puisque seules deux personnes ont été condamnées après un million de courriers électroniques envoyés et ce, pour un budget de 12 millions d’euros. Il convient cependant de modérer nos critiques, car le précédent gouvernement avait tenté de concilier le libre accès aux œuvres artistiques sur internet avec la protection des droits d’auteur, deux notions qui peuvent apparaître incompatibles. Vous proposez de maintenir une réponse graduée, pédagogique et assortie d’une contravention de 60 euros en cas de délit de négligence caractérisée de sécurisation de l’accès à internet : en somme, on supprime la Hadopi, mais on la remplace par un système assez semblable dans lequel c’est l’opérateur qui surveille, jouant ainsi le rôle d’une police privée. Où est le progrès ?

Il semble que d’ici deux ou trois ans, nous ne téléchargerons plus d’œuvres, car nous les regarderons exclusivement en streaming. Ne procédant plus à l’acquisition de produits culturels en ligne, nous posséderons une licence pour les regarder ou les écouter ; cette évolution exige d’élaborer un mécanisme permettant de rémunérer les auteurs. Actuellement, il en existe deux principaux : la rémunération pour la copie privée et la vente d’œuvres. La première fut créée en 1985 et s’appliquait à l’époque aux bandes magnétiques vierges ; elle a été progressivement étendue aux autres supports permettant d’effectuer des copies privées – CD et DVD, puis l’ensemble des nouveaux appareils pouvant contenir des copies –, mais avec l’avènement du streaming, cette notion de copie privée pourrait devenir caduque. Sur ce sujet, votre rapport reste indécis – puisque vous proposez de consolider la rémunération pour copie privée tout en prévoyant son remplacement progressif par une taxe sur les appareils connectés – et apporte donc peu de perspectives de long terme pour la lutte contre le piratage. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?

À la disparition de la Hadopi répond le triomphe du CSA, qui pourrait notamment signer des « conventions engagement bénéfice » avec les hébergeurs et les diffuseurs de contenus culturels, ce qui romprait avec l’esprit d’internet. Je doute également de la pertinence de votre recommandation de charger le CSA de l’observation des pratiques culturelles sur internet, sachant que cet organisme a démontré dans le passé son incapacité à suivre l’activité des radios et des télévisions associatives.

L’orientation que vous proposez ne diffère pas fondamentalement de celle du dispositif précédent, puisque l’on attribue au CSA les missions de la Hadopi et que l’on continue d’interdire le partage non marchand. Existe-t-il, dans votre rapport, un motif de satisfaction pour la création libre ?

M. Thierry Braillard. Votre rapport porte le titre de « Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique » et il faut donc l’appréhender comme une contribution au débat ; le gouvernement s’inspirera de cet apport pour rédiger un projet de loi sur lequel le Parlement se prononcera : cette chronologie de l’élaboration de la politique publique permet de respecter le rôle de chacun.

Le numérique génère de grandes opportunités en termes de recherche, d’information et d’échange, mais il entraîne également quelques conséquences négatives pour la politique culturelle. Contrairement à M. Franck Riester, nous estimons que le bilan de la Hadopi reste mitigé : le mécanisme de sanction s’inscrit davantage dans une démarche de communication que dans une volonté d’efficacité et, alors que 50 000 coupures d’accès à internet étaient prévues, seules trois personnes ont subi une telle condamnation. Dans le même temps, nous déplorons la diminution constante de la consommation des biens culturels ; ainsi, en 2012, la fréquentation des salles de cinéma a baissé de 11 %, la vente des DVD Blu-ray a décliné de 9 % et le marché français de la musique a chuté de 5 %.

Votre rapport défend une ligne périlleuse mais pragmatique, puisque vous cherchez à concilier la préservation des atouts du droit d’auteur – pilier de la culture française et de son financement – avec le desserrement des contraintes de ce régime juridique pour faire face à la nouvelle donne technologique. Adapter et moderniser, telles sont les ambitions de votre rapport.

La transition numérique rapide des industries culturelles et l’accélération de la chronologie des médias favoriseront le développement de l’offre légale en ligne, celle-ci devant pratiquer des prix abordables pour décourager le téléchargement illégal. La lutte contre ce dernier implique que l’État soutienne la création et réfléchisse à l’évolution de son financement qui doit intégrer la mutation numérique. Le débat sur la nature de la taxe sur les ventes d’appareils connectés devrait plutôt se concentrer sur son affectation et je souscris aux propos tenus par le président Patrick Bloche sur la copie privée.

Nous avons été très sensibles à la partie du rapport traitant de la diffusion numérique de la captation des spectacles et des droits à créer pour les producteurs de spectacles vivants. La loi d’orientation devra combler un vide juridique et reconnaître le rôle de ces producteurs.

Nous serions favorables à l’idée de modifier le régime de la protection de la propriété intellectuelle en gardant le principe de la riposte graduée. Le dispositif que vous présentez vise à conduire une lutte ciblée contre les sites contrefacteurs, tout en abrogeant la mesure de suspension de la connexion à internet, contraire aux libertés des usagers. Une méthode d’alerte et de pédagogie auprès du public paraît en effet plus efficace.

La politique culturelle nécessite un profond renouvellement et une réelle modernisation ; elle doit s’adapter aux nouvelles technologies et ne pas laisser se creuser de fossé entre les acteurs. Nous saluons pour ces raisons l’orientation des préconisations du rapport de M. Pierre Lescure et nous encourageons le gouvernement à le prendre en compte pour élaborer un projet de loi à la hauteur de ces enjeux.

Monsieur Lescure, je vous trouve optimiste quant à l’idée de conclure un accord collectif impliquant les auteurs et les artistes, alors que la négociation sociale reste difficile dans le secteur culturel, comme l’ont montré les dossiers de la copie privée et de l’intermittence. Pouvez-vous nous expliquer ce qui nourrit votre espoir ?

Mme Isabelle Bruneau. Afin de lutter efficacement contre le téléchargement illégal, il est nécessaire de proposer au consommateur une offre de qualité. Les contenus des œuvres numériques achetées sur internet sont souvent accompagnés de mesures techniques de protection qui posent deux problèmes principaux : il arrive, fait inadmissible, qu’un consommateur ne puisse pas lire le contenu qu’il a acquis légalement sur le terminal de son choix et pour une durée illimitée ; en outre, les Media Transfer Protocol (MTP) ne permettent pas à l’acheteur de bénéficier des exceptions au droit d’auteur, notamment celle de la copie privée. Il convient donc de garantir l’interopérabilité des contenus achetés et de lever l’obstacle que constituent les MTP, dont votre rapport reconnaît l’inefficacité dans la lutte contre le téléchargement et les méfaits pour les usagers de bonne foi. Vous proposez d’instaurer un devoir d’information du consommateur : sous quelle forme l’envisagez-vous ? Un dispositif exigeant – comme une obligation d’acceptation des conditions par l’utilisateur – vous paraîtrait-il utile ?

Vous soulignez que l’offre culturelle en ligne peine à satisfaire les attentes des internautes. Les reproches les plus fréquents portent sur l’incohérence, le manque de flexibilité, l’absence de fraîcheur et les contraintes techniques de cette offre. Plusieurs enquêtes ont mis en lumière les difficultés à accéder aux contenus en ligne sur des plateformes bénéficiant du label PUR de la Hadopi. Vos propositions sur la chronologie des médias et sur les MTP suffiront-elles à dynamiser l’offre légale ?

Mme Annie Genevard. Dans la lutte contre le piratage, les artisans de la musique considèrent que la Hadopi a eu tort de stigmatiser les usagers plutôt que les entreprises qui font commerce de l’illégalité. Nous ne partageons pas cette vision qui dégage le citoyen de toute responsabilité. En maintenant mais en allégeant le mécanisme de réponse graduée – auquel les députés de l’actuelle majorité se sont tant opposés –, en abrogeant la peine de suspension de l’abonnement à internet, en diminuant fortement le montant des amendes et en concentrant la lutte des pouvoirs publics contre la contrefaçon commerciale, pensez-vous, monsieur Lescure, contribuer à l’éducation du citoyen pour qu’il prenne conscience de l’importance du rôle des créateurs et du nécessaire respect de leurs droits ?

Lors de la discussion du texte sur la refondation de l’école, nous avons abordé la question de la préservation des droits d’auteur dans le cadre de l’utilisation pédagogique des œuvres numériques, car la rédaction initiale du projet de loi avait beaucoup inquiété les éditeurs privés. Ce sujet pose la question de la nécessaire conciliation entre la préservation des droits d’auteur – qui incarnent la reconnaissance des œuvres de l’esprit et qui constituent le moteur de la création artistique et culturelle – et le partage des produits culturels sur internet. Monsieur Lescure, estimez-vous que vos propositions 70, 71 et 72 – redéfinir l’exception pédagogique pour y intégrer les usages numériques, sans préjuger de l’évolution des pratiques pédagogiques et des outils techniques, ni entraver les pratiques collaboratives ; inciter les enseignants à mettre à disposition les ressources numériques qu’ils produisent sous licence Creative Commons et encourager le développement de manuels pédagogiques sous licence libre ; mettre en place une gestion collective obligatoire couvrant l’ensemble des œuvres et des utilisations pédagogiques, couvertes ou non par l’exception légale – apportent une réponse équilibrée à la protection des droits des auteurs dans le cadre de l’édition numérique pédagogique ? Les éditeurs privés ont-ils été associés à l’élaboration de ces recommandations et celles-ci les satisfont-ils ?

M. Marcel Rogemont. Nous sommes aujourd’hui le 12 juin 2013, quatrième anniversaire de la mise en place de la Hadopi. Ce dispositif s’avère lourd par rapport à son activité et à son rendement.

Pourquoi ne pas avoir demandé aux sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) de contribuer au financement des missions de la Hadopi, qui les intéressent directement ?

Pourquoi recommandez-vous d’accroître considérablement les compétences du CSA et quel en serait l’impact sur les missions qu’exerce cette AAI ?

Qu’un film soit accessible en VàDA dès 18 mois et non plus au bout de trois ans me paraît bien plus utile que de réduire d’un mois la disponibilité en vidéo à la demande. Pourquoi proposez-vous cette dernière mesure si ce n’est pour provoquer les acteurs du système ?

M. Patrick Hetzel. Il était important que le rapport mette en lumière le lien et la convergence entre les droits des publics et ceux des créateurs. Vous avez également eu raison de pointer le caractère factice de l’opposition entre les industries culturelles et les industries numériques.

Votre proposition d’instaurer une taxe sur les appareils connectés permettant de stocker ou de lire des contenus culturels semble poser une question de mise en œuvre : comment pensez-vous rendre opérationnelle une telle mesure ?

M. Stéphane Travert. Nous devons intégrer le régime de la propriété intellectuelle dès que nous publions une photo, une vidéo ou une composition musicale sur internet, tandis que de nombreux artistes émergent par le biais de la mise en ligne gratuite. Il reste difficile de trouver un bon système de rémunération des artistes interprètes et des producteurs à l’heure du numérique. Vous suggérez de réorienter la lutte contre le piratage en ciblant les sites de contrefaçon pour mettre fin à la stigmatisation des internautes. Monsieur Lescure, comment concevez-vous la mise en place d’une telle politique et niez-vous tout avenir à la licence globale que votre rapport passe sous silence ?

M. Paul Salen. Prétendre renforcer les sanctions contre le piratage en remettant en cause la réponse graduée me rend sceptique.

Vous dites que la taxe sur les smartphones n’augmentera pas la pression fiscale, mais vous ne précisez pas quelles seront les impositions supprimées ou allégées.

Enfin, vous préconisez d’étendre le mécanisme de l’aide au cinéma et à l’audiovisuel à d’autres secteurs de la culture : le financement de ce soutien passera-t-il par l’instauration d’une nouvelle taxe ou par une réallocation des prélèvements existants ? Si la seconde option était retenue, l’appui au cinéma et à l’audiovisuel diminuerait-il ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Monsieur Lescure, comme vous le soulignez dans votre rapport, l’innovation constitue un facteur clé de différenciation et de compétitivité pour les éditeurs de services culturels numériques. Ce secteur fait en effet face à une concurrence nationale et internationale très importante, à des évolutions technologiques et à des modifications permanentes des pratiques et des demandes des clients. Vous pointez également la différence structurelle entre les innovations d’usage – qui offrent de nouvelles fonctionnalités aux consommateurs – et les innovations technologiques ; or vous écrivez que « les dispositifs généraux destinés à soutenir la recherche et l’innovation se prêtent mal à la prise en compte de ces innovations d’usage ». En vous appuyant sur le rapport sur la fiscalité numérique rédigé par MM. Nicolas Colin et Pierre Collin, vous expliquez que les innovations d’usage des industries culturelles ne correspondent pas aux dépenses de recherche et de développement (R&D) éligibles au dispositif du crédit impôt recherche (CIR). L’obsolescence de notre conception de la R&D par rapport à son acception à l’ère numérique menace la compétitivité de notre économie.

Comment faudrait-il redéfinir la notion de R&D ? Quelles adaptations du CIR doivent être mises en œuvre pour répondre aux besoins des entreprises qui développent des services culturels numériques ?

Mme Dominique Nachury. Est-ce vraiment efficace de diminuer les sanctions et de ne pas distinguer les fraudeurs ? 

Quel produit la taxe sur les appareils connectés devrait-elle générer ? Comment l’allouer à la rémunération des auteurs ?

Mme Martine Martinel. Le CSA a-t-il vraiment vocation à réguler internet en plus de l’audiovisuel ? Quel bilan tirez-vous, monsieur Lescure, de l’action de la Hadopi en matière de développement de l’offre légale ? Pourquoi le CSA réussirait-il là où la Hadopi a échoué ?

En quoi consiste le dispositif de conventionnement que vous proposez dans votre rapport ? Pensez-vous que les plateformes seront incitées à entrer dans ce système optionnel et que pourra leur garantir le législateur en contrepartie ?

Mme Virginie Duby-Muller. Le rapport préconise la création d’une taxe de 1 % sur les terminaux connectés, qui viendrait alimenter un compte d’affectation spécial (CAS) finançant des actions de soutien à la transition numérique des industries culturelles. La musique enregistrée est la filière culturelle qui a le plus souffert de l’impact du téléchargement illégal, mais elle demeure la moins subventionnée : ne devrait-elle pas bénéficier d’une grande partie du produit de cette taxe ?

Les moteurs de recherche tirent une part substantielle de leurs revenus des contenus culturels auxquels ils donnent accès ; le rapport souligne d’ailleurs le déplacement de valeur qui s’est opéré au profit de ces acteurs et au détriment des industries culturelles. Leur participation au financement de la culture par le biais d’une rémunération compensant ce préjudice apparaît légitime ; elle répondrait à l’ambition d’un acte II de l’exception culturelle – sans alourdir la pression fiscale sur les consommateurs – et elle permettrait de capter en France une part des bénéfices réalisés par les moteurs de recherche, qui échappent très largement au fisc français. Pourquoi le rapport écarte-t-il les propositions formulées en ce sens par certains ayants droit ?

Mme Julie Sommaruga. L’allègement du dispositif de la réponse graduée est positif, mais n’aurait-on pas pu aller plus loin ?

L’infraction de négligence caractérisée punit un abonné qui a manqué de diligence dans la sécurisation de sa connexion, alors qu’il est difficile de sécuriser efficacement le réseau – même avec le meilleur antivirus. Comment éviter à ces usagers d’être sanctionnés ?

Enfin, tant que les prix des biens culturels resteront aussi élevés, le piratage subsistera et il convient de réfléchir au développement d’une offre légale accessible aux personnes disposant de revenus modestes.

M. François de Mazières. Monsieur Lescure, vous avez raison d’indiquer dans votre rapport que la culture n’est pas un bien comme les autres et que les droits d’auteur doivent être protégés.

Je voudrais souligner le paradoxe entre le bilan positif que vous dressez de la Hadopi et son désarmement. Ce système s’apparente au permis de conduire qui peut vous êtes retiré si vous avez trop enfreint la loi ; la réponse graduée repose sur le même mécanisme et en tire toute son efficacité.

La taxe sur les smartphones nous inquiète, car elle fragilise la redevance pour copie privée, qui a rapporté 180 millions d’euros en 2012. Or, d’après vos calculs, la taxe de 1 % que vous préconisez génèrerait un produit de 86 millions d’euros. N’est-ce pas dangereux de fragiliser ainsi l’un des éléments essentiels du financement de la création ?

Votre proposition visant à repenser la contribution des opérateurs de télécommunications apparaît la plus innovante. La réforme de la taxe sur les services de télévision (TST), due par les distributeurs, est bloquée par Bruxelles, d’où votre volonté d’instaurer un prélèvement assis sur l’ensemble du chiffre d’affaires de ces opérateurs. Quelle est la genèse de cette idée ? Comment le CNC et la Commission européenne l’ont-ils perçue ? Nous nourrissons quelques inquiétudes sur la mise en œuvre de cette proposition.

Votre rapport n’offre pas de solution pour résoudre la question de la participation des acteurs d’internet au financement de la culture, alors qu’il s’agit aujourd’hui du problème principal.

M. Malek Boutih. Monsieur Lescure, vous avez affirmé que la régulation était possible et qu’elle était nécessaire, mais il faut identifier le déséquilibre du système actuel. Je ne crois pas à la légende des pirates d’internet qui, tels des Robin des bois, redistribueraient des produits culturels. Nous sommes au cœur d’une guerre économique dont l’enjeu pour les acteurs américains consiste à imposer des normes de consommation. Ainsi, pendant que nous montions une grande machine administrative avec la Hadopi, iTunes s’est imposé à nous en devenant le principal pourvoyeur de musique. L’enjeu réside donc dans la reprise du contrôle de l’ensemble des activités d’internet. Le préalable à toute forme de régulation est de bâtir notre souveraineté numérique. Contrairement à ce que l’on entend souvent, les tuyaux sur internet importent, car de leur maîtrise dépend la domination sur les contenus.

Les missions de régulation de l’audiovisuel du CSA ne présentent plus d’intérêt et le Conseil devrait être dorénavant chargé de l’ensemble de la régulation d’internet. En revanche, cette AAI échappe à toute norme de droit et ses sanctions ne résultent pas d’un processus intégrant les obligations du débat contradictoire et du respect de la défense. En choisissant le CSA, on provoquerait un développement des appels devant les tribunaux. Le principe qui doit nous animer sur cette question repose sur le respect des droits des consommateurs que ne garantit pas le CSA.

Votre rapport s’avère excellent pour apporter une réponse défensive et de court terme aux problèmes actuels, mais les pouvoirs publics ne doivent pas s’épuiser à créer des digues de défense qui seront submergées par les nouvelles technologies ou par les normes élaborées par nos concurrents internationaux. La véritable responsabilité de la puissance publique réside dans la reconstitution de notre souveraineté numérique.

M. Michel Herbillon. Monsieur Lescure, vous adoptez sur la Hadopi un balancement circonspect qui vous fait recommander sa suppression tout en reconnaissant qu’elle a rempli son usage. Cette position vous amène à conserver le système de réponse graduée, avec sa dimension essentielle de pédagogie, n’en déplaise à un certain nombre de mes collègues qui s’étaient opposés à ce dispositif.

La partie de votre rapport traitant des usages m’a beaucoup intéressé ; en revanche, vous n’avez pas assez évoqué les industries culturelles, sachant qu’elles génèrent tout de même un chiffre d’affaires cumulé de 7,84 milliards d’euros.

Votre rapport, remis il y a un mois, a reçu un bon accueil général, mais les acteurs du secteur expriment désormais beaucoup de réserves sur les mesures principales que vous préconisez. Qu’en pensez-vous ?

Parmi les 80 propositions contenues dans le rapport, quelles sont celles que vous souhaitez le plus voir mises en œuvre ? Lesquelles ne seront pas retenues dans le futur projet de loi ?

M. Hervé Féron. La proposition 38 vise à instaurer un droit sui generis au profit des producteurs de spectacles leur permettant d’autoriser ou d’interdire la fixation des manifestations qu’ils ont produites, et de négocier une rémunération forfaitaire ou proportionnelle aux recettes de l’exploitation. On ne reconnaît pas assez leur rôle décisif dans l’émergence de nouveaux talents et le maintien de la diversité culturelle. À l’heure où les spectacles représentent une place prépondérante dans les revenus des artistes, les producteurs de la scène musicale sont les seuls acteurs culturels de la filière à rester dépourvus de protection quant à la diffusion de leurs créations sur internet.

Il convient qu’une offre légale, vaste et diversifiée soit mise à la disposition du public pour que l’ère numérique constitue un levier de croissance et de développement ; l’enrichissement de cette offre, issue entre autres de la captation de concerts, doit préserver les capacités de création et de production. Dans un contexte économique difficile, le syndicat national des entrepreneurs de spectacles (SNES) exprime son impatience à voir des mesures concrètes mises en œuvre. Pourriez-vous préciser les enjeux et les modalités de ce nouveau droit sui generis ? Quelle est votre vision de l’avenir du spectacle vivant ?

Mme Barbara Pompili. Monsieur Lescure, votre rapport contient plusieurs recommandations qui visent à impliquer les intermédiaires techniques dans la lutte contre la contrefaçon. Cette volonté peut entraîner des effets pervers, car ce n’est pas le rôle d’un opérateur de télécommunications ou d’un hébergeur de mener une telle action hors de l’intervention du juge. Le risque majeur – lié au copy fraud – réside dans la multiplication de poursuites judiciaires basées sur de fausses déclarations des ayants droit. Les intermédiaires techniques pourraient accéder à toutes les exigences des ayants droit, ne serait-ce que pour limiter les risques encourus. Comment les citoyens pourront-ils se défendre face aux abus de grandes entreprises ? Ne pensez-vous pas que la mise en œuvre de vos recommandations pourrait engendrer la création d’une police privée du droit d’auteur ?

M. William Dumas. Afin d’améliorer la disponibilité numérique des œuvres, vous recommandez, monsieur Lescure, d’avancer les fenêtres de sortie et de raccourcir le délai d’accès aux séries télévisées étrangères. Comment allons-nous contraindre les géants américains d’internet à respecter le droit français ?

Vous n’avancez aucune mesure pour lutter contre la cybercriminalité, qui constitue pourtant un enjeu majeur du numérique.

M. Patrice Martin-Lalande. Monsieur Lescure, que pensez-vous du projet gouvernemental de libérer la bande des 700 mégahertz (Mhz) – qui représente 30 % des fréquences utilisées par la télévision numérique terrestre (TNT) – pour la mettre aux enchères entre les opérateurs de télécommunications ? La TNT est accessible à 97 % de la population et elle constitue le premier mode de réception de la télévision en France – et le seul à rester gratuit ; elle est également un pilier de l’exception culturelle. En 2011, les groupes audiovisuels qui détenaient des chaînes sur la TNT ont engagé 96 % des dépenses en faveur des œuvres audiovisuelles et 84 % des investissements déclarés au titre de la contribution à la production d’œuvres cinématographiques – soit plus d’un milliard d’euros. Ne pourrait-on pas laisser plus de temps à la TNT pour que, grâce au progrès technologique permanent, elle arrive à consommer moins de spectre ? Cela permettrait également de pouvoir édicter de nouvelles normes et cela aiderait les industriels à s’adapter et les Français à s’équiper. Ce délai supplémentaire permettrait en outre de prolonger une partie du financement dont nous avons besoin tant que nous n’avons pas trouvé les relais que nous espérons.

Notre pays est reconnu comme l’un des plus créatifs en matière de jeux vidéo, mais les effectifs du secteur sont passés de 10 000 à 5 000 salariés au cours de la dernière décennie ; en effet, beaucoup de studios se sont implantés à l’étranger, notamment au Canada. Nous avons donc créé un crédit d’impôt en faveur de ce secteur lors de la précédente législature ; son bilan est positif, mais il demande à être adapté aux nouveaux modes de production du jeu vidéo et à être complété par un système de financement qui nous rende aussi attractif que le Canada. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. Vincent Feltesse. Ce rapport permet d’aborder de manière apaisée les questions posées par ce sujet sensible.

Les prochaines années seront marquées par les enjeux suivants : où s’effectue la création de valeur ? Par qui ? Qui en profite ? Si l’on ne s’attaque pas à ces défis, nous ne ferons que bricoler. Quelle est votre position sur ces interrogations que nous ne pouvons éluder si nous voulons maintenir la politique d’exception culturelle ?

M. Pierre Lescure. Lorsque nous avons débuté nos travaux, nous avons d’abord dû lutter contre l’idée que nous formions une mission centrée uniquement sur la Hadopi. Au final, notre rapport n’est bien entendu pas exhaustif, mais il embrasse une large palette de sujets. Nous souhaitions soumettre plusieurs propositions dont pourrait se saisir le pouvoir législatif, mais nous voulions également suggérer des mesures pragmatiques aux acteurs politiques et professionnels, afin que nous puissions avancer ensemble d’un pas.

La chronologie des médias, le maintien de la riposte graduée, l’évolution du CSA et l’élaboration de nouvelles sources de financement prenant le relais de celles qui vont disparaître constituent les propositions les plus importantes du rapport. Face aux grands acteurs, tout reste à faire, mais la France ne peut agir seule. Nous devons assurer la neutralité d’internet, tout en amenant les principales entreprises à discuter. L’un des argumentaires les plus développés dans le rapport n’est pas passé inaperçu chez Google, Amazon, Facebook et Apple que l’on regroupe sous le vocable GAFA – et notamment chez Google : il s’agit de notre refus de trop réglementer internet, tout en souhaitant amener ces sociétés à reconnaître la responsabilité de leurs bras armés commerciaux. Je pense aux grandes plateformes : combien de temps Google niera-t-il encore le fait que You Tube s’apparente, dans notre législation et même dans celle de l’UE, à un distributeur ? Or un distributeur a des obligations. Tout en réaffirmant son attachement à la neutralité du net, le patron de Google a récemment décidé de lancer des chaînes payantes, ce qui constitue une évolution à laquelle nous devons être attentifs. Ces entreprises – notamment Google et Amazon – développent leur activité de distributeur dans les pays européens, si bien qu’elles seront de plus en plus amenées à dialoguer avec les autorités nationales et européennes.

Nous devons privilégier le dialogue entre les acteurs. Ainsi, les services de la cyberdouane doivent travailler avec les entreprises privées pour éviter qu’elles nous surveillent. La cyberdouane doit également coopérer avec les sociétés proposant des modes de paiement numériques – comme Visa ou PayPal –, qu’utilisent la cybercriminalité et les sites pirates proches de la mafia ; cette collaboration a déjà commencé aux États-Unis et ces entités sont également disposées à agir avec les Européens. De même, les régies publicitaires sont conscientes de devoir, tôt ou tard, participer à cette tâche commune, qui s’opère certes sur une base volontaire, mais qui engage néanmoins leur responsabilité ; l’achat d’espaces publicitaires sur les sites internet se fait électroniquement et sans contrôle, si bien que même des sociétés d’économie mixte se retrouvent à faire de la promotion sur les sites pirates les plus liés à la criminalité. Pour empêcher ce phénomène, il convient de mener un travail étroit avec les publicitaires : les organisations professionnelles comme l’union des annonceurs (UDA) et les grandes régies nous ont assuré y être disposées.

Le rapport n’a pas dressé un bilan idyllique de la Hadopi, mais nous avons été convaincus, dès le début de nos travaux, de l’intérêt de l’action des services de cette AAI en matière de riposte graduée. Nous avons donc rapidement décidé que le principe de ce système devait être préservé ; en revanche, je ne pense pas que l’efficacité de la riposte graduée découle de la menace de l’interruption de la connexion à internet. Le maintien de cette sanction aurait engendré un débat de société violent et la communauté des internautes aurait radicalisé son opposition à ce type de démarche pourtant positive. Nous proposons un allègement des amendes, car c’est la pédagogie qui a montré son efficacité puisqu’il n’y a pas eu de récidive après le premier courrier électronique d’avertissement dans 90 % des cas. Tant que l’offre légale ne sera pas plus performante, pas plus abordable en termes de prix et pas plus développée, il y aura lieu de maintenir la riposte graduée.

Les autres actions de la Hadopi présentent un bilan très léger – notamment parce qu’elles avaient été moins pensées que la riposte graduée – et je ne vois pas l’intérêt de les conserver ; le label PUR, par exemple, s’est avéré inutile et a mobilisé trop de moyens pour un instrument inadapté à la réalité.

En ne gardant que la riposte graduée, il nous est apparu superflu de conserver une AAI et naturel de transférer cette mission au CSA. Nous avons examiné l’opportunité de confier cette compétence à d’autres organismes que le CSA, mais, au sein des AAI, celui-ci exerce les fonctions qui se rapprochent le plus des objectifs poursuivis par la riposte graduée ; une cohérence étroite existe en effet entre le développement de l’offre légale et la protection du droit d’auteur.

Certains présidents du CSA se sont montrés à la hauteur de leur tâche, mais ce ne fut pas le cas de tous. Or le rôle de cette AAI présente une importance décisive, car ses responsabilités réglementaires se porteront de plus en plus sur internet puisque l’ensemble des contenus dont elle assure la régulation y sont véhiculés. Il faut donc élargir le périmètre d’action du CSA et assurer une plus grande indépendance à ses membres – à ce titre, je salue les dispositions contenues dans le projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public que vous allez bientôt examiner. Si le CSA se rapprochait du fonctionnement de la Federal communications commission (FCC) américaine – qui développe une recherche scientifique et technique d’un excellent niveau et qui organise un dialogue naturel et bénéfique pour tous les grands acteurs – et de l’Office of communications (OFCOM) britannique, nous aurions doté notre pays d’un outil adapté aux nouvelles conditions de la diffusion des contenus audiovisuels et culturels.

M. Jean-Baptiste Gourdin, coordinateur de la mission « Acte II de l’exception culturelle ». Nous rejoignons le constat – exprimé par certains d’entre vous – de l’actuelle insuffisance de l’offre légale et des frustrations que cette situation engendre chez les internautes. Il convient néanmoins de le nuancer selon les secteurs : des progrès substantiels ont été réalisés dans la musique – domaine dans lequel l’offre est large, s’avère riche en fonctionnalités et dispose d’un vaste espace de gratuité sur des plateformes comme You Tube ou Deezer –, si bien que le piratage ne peut plus se justifier par les lacunes des services ; en revanche, les catalogues de vidéos restent insuffisants, anciens et chers, et ceux des livres souffrent des mêmes défauts, à un degré exacerbé. Nous avons essayé de comprendre les insatisfactions des usagers – nous avons notamment consulté le site « J’voulais pas pirater » –, qui ont inspiré nos propositions sur l’obligation d’exploitation, sur la chronologie des médias et sur l’abandon du label PUR, qui, au-delà de son inutilité, pose de graves problèmes juridiques, puisque des sites furent labellisés alors que leur conformité au droit d’auteur posait question – je pense notamment à la plateforme de photographie Fotolia.

En matière de financement et de rémunération, nous sommes partis du constat du transfert de valeur, expression que l’on nous a reprochée, mais qui résume le déplacement de la valeur des contenus vers des acteurs de l’écosystème numérique qui tirent un profit substantiel de la circulation des œuvres sans contribuer suffisamment à la rémunération des créateurs et au financement de la création.

Nous avons identifié trois cercles d’acteurs. Tout d’abord, les fournisseurs d’accès à internet (FAI) dont l’activité soulève la question de la TSTD ; il faut préserver le principe de la contribution des FAI au financement de la création cinématographique, mais ses modalités posent aujourd’hui problème car elles visent à isoler la partie télévisuelle de l’activité des FAI, alors que les œuvres circuleront également demain par le biais de l’« internet nu », celui des offres ADSL. Il faut donc appréhender l’ensemble des modes de circulation pour ne pas créer d’iniquité fiscale, mais l’objectif n’est pas d’augmenter le rendement de la TSTD ; nos propositions ne sont donc pas de nature à fragiliser les FAI qui doivent assumer de lourds investissements pour le très haut débit, celui-ci étant d’ailleurs utile pour la diffusion des offres culturelles.

La deuxième catégorie d’acteurs regroupe les fabricants. La contribution sur les appareils connectés que nous proposons a vocation à s’articuler au système actuel de la rémunération pour copie privée dans une logique de vases communicants : il n’y a pas de contradiction entre les deux dispositifs, mais il faut assurer une transition ; en effet, si la copie privée reste répandue, elle est amenée à décliner dans les années qui viennent, si bien qu’il nous faut d’ores et déjà mettre en place un système capable de prendre le relais. Pour le consommateur, l’évolution sera neutre, puisque la taxe ne fera que compenser la diminution de la rémunération pour copie privée. Nous suggérons, par ailleurs, la création d’un compte de soutien à la transition numérique des industries culturelles qui garantisse que le produit de la taxe finance la création ; ce CAS serait géré par le ministère de la culture et de la communication qui répartirait chaque année cette ressource en fonction des besoins des industries culturelles et de l’impact de la transition numérique sur leurs activités ; il financerait ainsi des actions liées au numérique, comme le développement de métadonnées, de services innovants ou de nouveaux formats créatifs.

Certains d’entre vous ont regretté le manque d’ambition du rapport sur la dernière catégorie d’acteurs, celle constituée des OTT et des moteurs de recherche. Nous comprenons ce reproche, mais nous avons voulu construire des mécanismes réalistes qui puissent être compatibles avec le droit de l’UE. Or seulement trois types de dispositifs sont possibles : la fiscalité – mais nous ne disposons pas actuellement des outils permettant d’appréhender fiscalement ces acteurs, comme l’a montré le rapport de MM. Nicolas Colin et Pierre Collin –, le droit de la propriété intellectuelle – instrument qui nous est apparu dangereux, car si l’on soumet la faculté de créer un lien vers un contenu au droit de la propriété intellectuelle, on crée le risque de limiter la liberté de référencement et donc d’expression, qui se trouve au cœur de l’économie numérique – et la création d’un droit sui generis de l’enrichissement sans cause, voulue notamment par les producteurs phonographiques, qui nous a semblé inadaptée aux enjeux, fragile juridiquement et difficile à mettre en œuvre. Nous avons donc écarté ces trois options, ce qui laisse entier le problème de la contribution des OTT et des moteurs de recherche.

Le rapport fait le choix de confier la rémunération des créateurs aux organisations professionnelles et aux sociétés de gestion collective ; cette option ne nous semble pas irréaliste puisqu’elle fonctionne déjà dans certains secteurs comme celui de la vidéo à la demande où les auteurs sont rétribués par la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), qui collecte directement les rémunérations auprès des plateformes de vidéos. Ce système s’avère vertueux et simple à gérer pour les plateformes comme pour les artistes qui obtiennent la garantie d’être rémunérés correctement sur la base d’assiettes transparentes. La gestion collective, loin d’être un archaïsme, est adaptée à l’exploitation numérique des œuvres.

Les producteurs de spectacles vivants sont de plus en plus amenés à financer la création du spectacle vivant – puisque les producteurs phonographiques n’en ont plus les moyens –, mais ils ne peuvent pas être intéressés aux recettes générées par l’exploitation de leurs œuvres lorsqu’elles sont captées. C’est à cette carence que vise à remédier la proposition de création d’un droit sui generis.

M. Pierre Lescure. La mission a beaucoup débattu de la légalisation des échanges non marchands et de l’opportunité de mettre en place la licence globale – qu’on la nomme ainsi ou qu’on l’appelle rémunération compensatoire ou contribution créative ; il est évident que l’on ira à l’avenir vers un système qui s’en rapprochera.

Nous avons réfléchi dans une perspective de trois à cinq ans. De nombreux progrès techniques doivent encore être réalisés pour que ce débat repose sur des options opérationnelles précises. La légalisation des échanges non marchands se heurterait à la directive européenne 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ce que même nos contradicteurs de la Quadrature du Net reconnaissent. Il ne me paraît pas absurde d’évoquer la mise en place d’une contribution créative supérieure à cinq euros, qui induirait une explosion des échanges non marchands. La répartition des revenus provoquerait des débats difficiles, elle entraînerait une observation systématique – bien plus intrusive que la riposte graduée – des trafics et elle génèrerait une très grande quantité de conventions, si bien qu’il est nécessaire de conduire un travail de gestation permettant d’étudier l’ensemble des questions pratiques avec précision. À l’heure actuelle, la légalisation des échanges non marchands nous semble irréaliste.

M. le président Patrick Bloche. Messieurs, nous vous remercions d’avoir exposé vos convictions avec sincérité ; notre échange a été productif et utile, ce sujet passionne en effet de nombreux parlementaires, issus de tous les groupes. La représentation nationale saura donc faire son miel de ce rapport très riche.

La séance est levée à douze heures.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 12 juin 2013 à 9 heures 30

Présents. – M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Malek Boutih, M. Thierry Braillard, M. Xavier Breton, M. Bernard Brochand, Mme Isabelle Bruneau, Mme Marie-George Buffet, Mme Valérie Corre, M. Yves Daniel, M. Gérald Darmanin, M. Bernard Debré, Mme Sophie Dessus, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Vincent Feltesse, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Michel Piron, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert, M. Jean Jacques Vlody

Excusés. – Mme Huguette Bello, M. Jean-Louis Borloo, M. Ary Chalus, M. Pascal Deguilhem, Mme Sonia Lagarde, Mme Michèle Tabarot

Assistaient également à la réunion. – M. Patrice Martin-Lalande, M. François Vannson