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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 3 juillet 2013

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 55

Co-présidence de M. Patrick Bloche, président et de M. Gilles Carrez, président de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire puis de M. Dominique Baert, vice-président

– Audition, ouverte à la presse, commune avec la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, de M. Didier Migaud, premier président de la Cour des Comptes, et de M. Patrick Lefas, président de la 3ème chambre, sur le rapport public thématique de la Cour « Gérer les enseignants autrement » 2

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 3 juillet 2013

La séance est ouverte à neuf heures.

(Co-présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission et de M. Gilles Carrez, président de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, puis de M. Dominique Baert, vice-président)

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La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’audition, commune avec la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, de M. Didier Migaud, premier président de la Cour des Comptes, et de M. Patrick Lefas, président de la 3ème chambre, sur le rapport public thématique de la Cour « Gérer les enseignants autrement ».

M. Gilles Carrez, président de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Nous entendons ce matin M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, et M. Patrick Lefas, président de la 3e chambre, sur le rapport public thématique « Gérer les enseignants autrement », arrêté par la Cour le 14 mai dernier.

Je me dois d’indiquer l’importance extrême que nous attachons aux travaux que la Cour conduit. Hier encore, dans l’hémicycle, chacune des dizaines d’interventions qui se sont succédé, tant sur la loi de règlement que sur les perspectives financières, faisait référence à tel ou tel de ses travaux, en donnant parfois des interprétations différentes mais toujours en reconnaissant leur autorité. Ainsi, la Cour désigne dans son excellent rapport un point qui n’est pas contestable : la France est en passe de prendre la tête des pays de l’OCDE, devant la Suède et le Danemark, au regard du poids de la dépense publique par rapport à la richesse produite annuellement. Or, on ne peut pas sacrifier 57 % de la richesse produite sans en attendre une réelle efficacité en retour. La Cour estime que le retour pourrait parfois être amélioré, et elle en fait l’enjeu d’une grande partie de ses travaux, en tout cas du rapport qui nous intéresse aujourd’hui.

Avec le président de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, dont je peux témoigner qu’il est très soucieux, depuis des années, de la bonne gestion des crédits publics, notamment dans le domaine de la culture, nous avons souhaité procéder à cette audition en raison de l’enjeu financier considérable : près de 40 milliards d’euros, essentiellement de masse salariale, sur les seuls enseignements primaire et secondaire.

M. le président Patrick Bloche. Je remercie le président de la Commission des finances de nous accueillir dans ses locaux. Nous sommes impatients d’entendre M. le Premier président Migaud ainsi que M. le président Lefas, avec lequel nous avons nos habitudes, l’ayant déjà auditionné. Nous honorons ce matin, finalement, un rendez-vous que nous nous étions fixé avec les députés de l’opposition membres de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation au moment de la publication du rapport de la Cour, qui était intervenue, de façon plus ou moins opportune selon le côté duquel on se place, au moment même du débat en séance publique sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Plutôt que de parler d’un rapport qu’on découvrait à peine, avec la grande sagesse qui caractérise les membres de notre Commission, nous étions convenus de nous laisser le temps d’en prendre connaissance sereinement. Puisque, par-delà nos différences de choix et de convictions, nous avons le souci commun de la bonne gestion de la dépense publique, un rapport intitulé « Gérer les enseignants autrement » pourrait nous rassembler.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Je suis heureux de vous présenter, sur l’invitation de vos deux Commissions, le rapport public thématique de la Cour sur la gestion des enseignants et de répondre à vos questions sur le sujet. Je suis venu entouré, outre de M. Patrick Lefas, de M. Mathieu Dufoix, rapporteur de cette enquête, de Mme Jeanne Seyvet, conseillère-maître, présidente de section, de Mme Caroline Régis, conseillère référendaire, de Mme Mariam Monteagle et de M. Loïc Robert, rapporteurs, qui ont beaucoup travaillé sur ce rapport.

La loi fixe à l’école l’objectif de réussite de tous les élèves. Si plusieurs facteurs, tels la personnalité de l’élève, ses origines sociales, économiques et géographiques ou encore le rôle de son entourage, échappent au système éducatif, l’éducation nationale dispose de plusieurs leviers d’action pour favoriser cette réussite, en particulier, la façon dont les enseignants sont employés, affectés, soutenus, autrement dit leur gestion au sens large. En raison du nombre d’enseignants – 837 000 en 2012, soit 44 % des agents publics employés par l’État –, et du poids que représente le total de leurs rémunérations – 49,9 milliards d’euros en 2011, soit 17 % du budget général de l’État, 2,5 % du produit intérieur brut –, les décisions liées à leur gestion ont un impact fondamental sur les finances publiques et la performance des services publics.

Depuis 2010, la Cour des comptes a fortement investi les sujets d’éducation. Elle a publié, il y a trois ans, un rapport sur l’objectif de réussite de tous les élèves ; elle a cherché à approfondir son analyse sur plusieurs sujets : la répartition territoriale des moyens, qui a donné lieu à deux référés en 2012, une étude sur la formation initiale des enseignants figurant dans le rapport public annuel de la même année, un rapport sur l’orientation des élèves à la fin du collège, qui a été présenté à votre Commission des affaires culturelles et de l’éducation au mois de décembre dernier.

Le présent rapport est le résultat d’une importante enquête de terrain sur la gestion des enseignants s’appuyant sur des données nouvelles, inédites. Elle s’est concentrée sur cinq académies représentant un quart des effectifs nationaux, dans des régions aux caractéristiques variées : Bordeaux, Lille, Limoges, Nantes et Versailles. Elle a concerné tant les établissements publics que privés sous contrat, les fichiers de paie et de suivi du temps de travail ont été exploités, des comparaisons internationales avec la province de l’Ontario au Canada, les Pays-Bas, le Land de Berlin en Allemagne, ont permis d’identifier des exemples de réforme d’organisation réussie dont la France pourrait s’inspirer. Enfin, pas moins de soixante-douze auditions, représentant l’ensemble des parties prenantes, ont été organisées, dont vous trouverez la liste en annexe 3 du rapport. Dernière précision, la Cour n’a pas examiné le contenu des programmes et la façon d’enseigner, sujets qui ne relèvent pas du tout de sa compétence.

Le message central du rapport est que l’éducation nationale souffre surtout d’une utilisation défaillante des moyens existants, non d’un manque de moyens ou d’un nombre trop faible ou trop élevé d’enseignants. Comme pour toute politique publique, il faut comparer les moyens déployés pour l’éducation nationale et les résultats obtenus. Trois éléments de contexte doivent être rappelés.

Le premier est que, pour la performance des élèves, la France ne ressort de l’étude PISA (Programme for International Student Assessment) qu’au dix-huitième rang sur trente-quatre pays membres de l’OCDE. Les enquêtes internationales montrent une dégradation continue des résultats du système français par rapport aux autres États développés. L’école n’est pas encore parvenue à relever le défi qualitatif consistant à mener tous les élèves à la réussite scolaire, en particulier ceux que leur environnement culturel ou social met le plus en difficulté. Ainsi, l’impact de l’origine sociale des élèves est deux fois plus important en France que dans les pays qui réussissent le mieux. En contradiction avec l’objectif de réussite de tous les élèves, plus de 120 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire avec le seul brevet ou aucun diplôme, soit un élève sur six. D’autres pays, comme l’Allemagne, ont su, en tirant les conséquences de résultats dégradés, engager une réforme d’ensemble de leur système scolaire dont les effets positifs sont aujourd’hui visibles.

Deuxième élément de contexte, les résultats ne sont pas décevants seulement du point de vue de la réponse aux besoins des élèves ; le système scolaire ne parvient pas davantage à répondre aux attentes des enseignants. La France connaît une inquiétante crise d’attractivité du métier enseignant : en 2011 et 2012, plus de 20 % des postes proposés au concours du CAPES externe n’ont pas pu être pourvus dans six disciplines, dont l’anglais et les mathématiques.

Le troisième élément de contexte est que l’effort financier consenti par notre pays en faveur de l’enseignement primaire et secondaire, soit 4,1 % du PIB se situe à un niveau comparable, voire supérieur, à celui des pays qui assurent mieux la réussite de leurs élèves, en particulier les Pays-Bas, avec 4,1 % de leur PIB ou la Suède avec 4 %. Au cours des dix dernières années, pendant que les résultats de la France se dégradaient, dans un contexte de diminution du nombre d’élèves, le budget de l’éducation nationale a été préservé.

Ces constats montrent que le système éducatif souffre avant tout d’une mauvaise organisation et non d’une insuffisance de ses ressources financières et humaines. Compte tenu des reprises qui ont pu être faites dans la presse, je veux insister sur l’objet du rapport. Il ne s’agit pas de contre-expertiser le choix du Gouvernement d’augmenter le nombre d’enseignants et pas davantage de porter de jugement sur celui du gouvernement précédent d’en réduire le nombre. Le rapport montre que la décision de faire varier les effectifs dans un sens ou dans l’autre ne peut pas apporter de solution pour répondre aux défis de l’éducation si le système de gestion reste inchangé. D’ailleurs, les évolutions des effectifs d’enseignants ne sont pas en cohérence avec le nombre d’élèves, et les périodes de hausse ne sont pas allées de pair avec une amélioration de la performance du système scolaire.

En réalité, les effectifs d’enseignants ne sont pas fixés en référence avec les besoins des élèves, ceux-ci n’étant d’ailleurs pas mesurés. Chaque année, c’est le volume d’heures de cours que les programmes imposent de mettre en place et le souci d’assurer un débouché satisfaisant aux universités pour les concours qui guident les décisions de recrutement. Cela aboutit à une divergence entre la démographie des enseignants et celle des élèves. Est donc en cause, non pas le nombre d’enseignants, mais la façon dont ils sont employés, leurs règles de gestion.

L’inadaptation de ces règles est principalement responsable de la dégradation des performances du système scolaire. En ayant recours à un schéma de gestion unique, au nom d’un principe d’égalité interprété comme un principe d’uniformité, le système éducatif ne sait pas s’organiser pour répondre aux besoins des élèves, qui sont nécessairement différenciés. Pour ces raisons, la Cour appelle à une évolution profonde du mode de gestion des enseignants. La question, nous insistons, n’est pas de faire évoluer à la marge quelques dispositifs, ce que le ministère a constamment fait d’ailleurs depuis plusieurs décennies ; elle est plutôt de faire évoluer l’ensemble des règles de gestion pour faire primer l’équité sur l’égalité formelle, l’adéquation aux besoins sur l’uniformité, la qualité sur la quantité.

Les constats et recommandations du rapport peuvent prendre la forme de quatre messages, que je résumerai avant de les développer. Le premier est que l’exercice des missions et les modalités d’évaluation des enseignants demeurent régis par des règles dépassées, en décalage croissant avec la réalité du métier tel que le vivent les enseignants eux-mêmes. Le deuxième est que, du point de vue des élèves, les modalités de gestion des enseignants, en particulier leurs règles d’affectation et de mutation, ne permettent pas au système éducatif de s’adapter pour répondre aux besoins différenciés des élèves sur le terrain. Le troisième est que, du point de vue des enseignants, la richesse humaine que constituent les 837 000 enseignants recrutés sur un profit hautement qualifié, n’est pas assez valorisée et gérée de façon personnalisée. Le quatrième est que l’inévitable surcoût d’une gestion plus individualisée et adaptée aux besoins des élèves doit être compensé par une indispensable rationalisation de la scolarité au lycée ainsi que par les économies que permettra une gestion rendue plus souple et plus adaptée aux besoins des élèves.

Premier message, il existe un écart entre la réalité du métier d’enseignant et son statut. Le métier a connu des évolutions importantes depuis la conception héritée de l’université napoléonienne. La loi en a pris acte en reconnaissant le caractère global et collectif des missions des enseignants, qui vont bien au-delà des heures de cours. Ceux-ci sont responsables de l’ensemble des activités scolaires des élèves afin de les mener tous à la réussite scolaire, ce qui inclut les heures devant la classe, mais également des activités aussi diverses que le travail en équipe, l’aide au travail personnel des élèves, la formation, le conseil et l’orientation. Pourtant, la seule obligation à laquelle restent tenus les enseignants du second degré, en vertu de décrets datant pour la plupart de 1950, est d’assurer, selon leur statut, entre quinze et dix-huit heures de cours hebdomadaires pendant les trente-six semaines de l’année scolaire. Toute autre mission que celle de faire cours n’est pas reconnue dans le temps de service. Ces décrets de mai 1950 sont unanimement considérés comme relevant d’une logique caduque, étroite, appauvrissante. Selon le ministère, en plus de la préparation des cours, de la documentation et de la correction des copies, les enseignants consacrent en moyenne cinq heures trente par semaine, hors période de vacances scolaires, à des tâches autres. L’implication des enseignants dans le travail en équipe pédagogique, l’accompagnement personnalisé des élèves, les relations avec les parents ne sont pas valorisés. Toutes ces dimensions figurant dans la loi sont pourtant essentielles pour la réussite scolaire de tous les élèves.

Les pays qui ont amélioré leurs résultats dans les classements internationaux ont, le plus souvent, réussi à définir des obligations de service, des critères d’évaluation prenant mieux en compte la réalité des activités de l’enseignant, en particulier dans sa dimension collective. Aux Pays-Bas, le temps total de travail est de 1 659 heures annuelles, dont 750 d’enseignement au maximum, ce qui permet de compter dans ces heures toute la variété des activités nécessaires à la réussite des élèves. La mesure annuelle des heures permet de dépasser la logique hebdomadaire, autorisant ainsi une plus grande souplesse d’organisation dans les établissements pour les activités variables d’une semaine à l’autre ainsi que pour organiser les remplacements, en particulier ceux de courte durée.

La Cour recommande de définir, de façon cohérente dans tous les textes, la mission des enseignants et d’élargir leurs obligations de service à l’ensemble des activités effectuées dans l’établissement au service des élèves sous la forme d’un forfait annuel, la répartition de ce temps de service devant pouvoir être modulée en fonction du type de poste occupé et des besoins locaux des élèves. Il est, en effet, injuste que des enseignants exerçant dans le même établissement, au même niveau scolaire et dans la même discipline aient un nombre d’heures de cours inférieur à d’autres au seul motif de leur corps de recrutement. Il est encore plus anormal de constater que 20 % des professeurs agrégés, recrutés pour leur haut niveau de connaissance disciplinaire, exercent au collège. Seule la nature des postes et les conditions locales d’exercice des fonctions devraient être prises en considération pour pouvoir moduler à la baisse le nombre d’heures de cours au sein du temps de service.

Alors que les enseignants du primaire sont polyvalents, ceux du secondaire sont spécialisés par discipline. Cette monovalence oblige à une gestion segmentée et complexe des disciplines et rend nécessaire l’organisation de nombreux concours, car pas moins de 375 sections disciplinaires coexistent pour 272 matières inscrites à l’emploi du temps des élèves. Cette dispersion des spécialités et la monovalence ont un coût, notamment parce que les enseignants exerçant dans des établissements de petite taille n’ont parfois pas un service complet, ce qui représente une perte de près d’un millier de postes à temps plein à l’échelle nationale. En outre, des enseignants en surnombre dans certaines disciplines existent, au nombre de 1 544 en juin 2011. Enfin, la monovalence rend plus difficiles les remplacements de professeurs absents dans les classes, sans compter qu’elle place les élèves, dès leur arrivée en sixième, devant une multiplicité d’enseignants.

La Cour recommande également de développer la bivalence, c’est-à-dire l’enseignement dans deux disciplines scolaires au lieu d’une, à laquelle l’Allemagne recourt systématiquement. Elle pourrait être instituée dès la formation initiale pour tous les professeurs intervenant au collège. La bivalence permet de faciliter la transition du primaire vers le collège pour les élèves ; elle permet également une plus grande souplesse dans la gestion des affectations et des remplacements. Certains enseignants souhaitent pouvoir dispenser des cours dans plusieurs matières. Le cadre juridique ne le leur permet pas, sauf dans les cas particuliers de l’histoire-géographie, de la physique-chimie et du français-latin ainsi que des professeurs d’enseignement général dans les lycées professionnels. Dans les autres cas, les agrégés ou certifiés dans deux disciplines sont sommés de choisir l’une ou l’autre. L’extension de la bivalence suppose une adaptation des cursus universitaires des futurs enseignants. Pour ceux déjà en fonction, cette possibilité pourrait également être ouverte.

Deuxième message, les modalités de gestion des enseignants, en particulier leurs règles d’affectation et de mutation, ne permettent pas d’adapter le système éducatif pour qu’il réponde aux besoins des élèves sur le terrain. Le ministère ne connaît pas les compétences individuelles de ses enseignants pas plus qu’il ne sait mesurer directement les besoins scolaires des élèves pour en tirer les conséquences en matière d’allocation et de gestion des moyens. Or, faute d’une mesure précise des difficultés scolaires dans les territoires, les postes d’enseignants sont répartis en fonction de critères indirects donnant notamment un poids disproportionné aux besoins des zones rurales par rapport à ceux des aires urbaines. Il en résulte une absence de corrélation sur le terrain entre les difficultés scolaires constatées et les moyens alloués. Par exemple, dans le premier degré, l’académie de Créteil, qui concentre le plus de difficultés scolaires en France, reçoit moins de moyens par élève qu’une académie rurale à faibles difficultés sociales comme Clermont-Ferrand. La Cour recommande de mettre en place un système de mesure et d’analyse assurant une connaissance précise et fiable des besoins des élèves.

Le système qui régit les mouvements d’enseignants repose sur l’application mécanique d’un barème de points attribués en fonction de différents critères : ancienneté de poste et de service, rapprochement de conjoints, handicap, situation familiale, entre autres. Tous les postes sont considérés comme équivalents et tous les enseignants sont jugés également qualifiés pour les occuper. Ni le directeur de l’école ni le chef d’établissement n’ont leur mot à dire. Les exceptions à ce système, les postes dits « à profil », ne représentent que 6 % des postes de l’enseignement public. Le caractère automatique de ce système répond au souci d’objectivité parfaite, du moins en apparence, auquel les organisations syndicales sont attachées, mais il conduit à de nombreux dysfonctionnements. Ainsi, la répartition des professeurs expérimentés sur le territoire privilégie le Sud, la façade atlantique et Paris, sans lien avec les besoins des élèves. La première affectation des enseignants se fait, pour les deux tiers d’entre eux, sur des postes de remplacement ou des postes difficiles pour lesquels, au contraire, une solide expérience pédagogique et un recrutement sur profil pourraient être plus efficaces. La difficulté de l’exercice des fonctions dans ces établissements n’est reconnue ni par un aménagement des conditions de travail et des obligations de service, ni par un complément de rémunération suffisant. La prime accordée aux enseignants de l’éducation prioritaire est trop faible pour compenser la difficulté de ces postes. Cela entraîne une rotation rapide et une instabilité des équipes pédagogiques. Entre 1999 et 2006, 84,6 % des enseignants de l’académie de Créteil ont été renouvelés. Le système fonctionne donc au détriment des établissements fréquentés par les élèves les plus fragiles.

La Cour recommande, au contraire, de revaloriser tous les postes difficiles. Plus généralement, elle préconise de fonder le système des mutations sur une meilleure adéquation entre les exigences du poste et le profil des enseignants appelés à l’occuper sur la base d’entretiens entre les candidats et les chefs d’établissement s’inspirant d’exemples étrangers ou du système qui peut exister dans des établissements d’enseignement privé catholique. Les chefs d’établissement joueraient un rôle plus affirmé dans la constitution et l’animation des équipes pédagogiques et pourraient moduler la répartition du temps de service des enseignants en fonction des besoins locaux, dans le cadre d’une contractualisation avec les rectorats et les services départementaux de l’éducation nationale.

Par ailleurs, la Cour recommande de recruter les enseignants du second degré sur la base de concours académiques à partir d’épreuves nationales. Ces deux propositions portant sur le recrutement des enseignants et leurs modalités d’affectation ne visent pas, bien sûr, à remettre en cause le caractère national de l’éducation, mais à permettre une meilleure prise en compte des réalités de terrain dont l’ignorance conduit aux inégalités constatées dans le cadre des principes et des limites qui restent fixées par l’administration. Je rappelais, dans mon propos introductif, que le système éducatif français était parmi les plus inégalitaires.

La Cour recommande également de permettre des affectations de professeurs des écoles dans le second degré et, réciproquement, d’enseignants du secondaire dans les écoles, pour faciliter la transition des élèves du primaire au collège et mieux garantir l’acquisition par ceux-ci du socle de connaissances.

Troisième message, la richesse humaine que constituent les 837 000 enseignants recrutés sur un profil hautement qualifié n’est pas assez mise en valeur. La Cour appelle à une revalorisation de leur métier, tant dans sa dimension individuelle que collective, qui est essentielle pour surmonter la crise d’attractivité que celui-ci connaît. Cela passe par le déroulement de carrière, les conditions de travail et la rémunération, sujets que je vais successivement aborder de façon très concise.

S’agissant du déroulement de leur carrière, les enseignants, dans leur grande majorité, n’ont pas de perspective autre qu’une mobilité géographique. En effet, un enseignant qui serait systématiquement retenu pour une progression plus rapide de sa rémunération gagnerait, après quarante années de carrière, seulement 16,4 % de plus qu’un autre qui ne progresserait qu’à l’ancienneté. L’agrégation apparaît, dans le secondaire, comme le premier outil de promotion du corps enseignant, alors qu’elle ne conduit pas à un changement de fonction ou de responsabilités. Il n’existe pas de parcours de carrière se traduisant par une prise de responsabilités progressive, ce qui conduit la plupart des enseignants à exercer les mêmes fonctions tout au long de leur vie professionnelle. La différenciation des postes, notamment dans la coordination des équipes pédagogiques et l’appui aux enseignants, est mise en œuvre en Allemagne, au Canada et aux Pays-Bas, par exemple. Elle permettrait d’offrir aux enseignants des perspectives de carrière plus attractives et apporterait une meilleure réponse à la diversité des situations d’enseignement. Ces pistes pourraient être plus facilement mises en œuvre si la gestion des ressources humaines était assurée plus près des enseignants, par exemple à l’échelle d’un ensemble d’établissements formant un bassin de proximité. Dans beaucoup d’académies subsistent encore des pratiques dépassées consistant à confier à des gestionnaires le suivi de portefeuilles d’enseignants constitués par ordre alphabétique. Ce sont des procédures inadaptées à toute démarche de valorisation des ressources humaines et, plus largement, à toute vision d’ensemble centrée sur l’établissement.

La rémunération nette annuelle des enseignants est de 30 100 euros en moyenne, selon l’INSEE. Elle se situe à un niveau 35 % plus bas que celui des fonctionnaires de niveau équivalent. Les comparaisons internationales fournies par l’OCDE font apparaître que la rémunération des enseignants est inférieure de 30 % à la moyenne européenne dans le primaire et de 10 % au collège. Le caractère peu attractif de la rémunération en France n’est pas la conséquence d’un temps de travail plus faible, comme le veut une légende tenace. La rémunération des enseignants par heure de cours et plus faible en France qu’à l’étranger. Le niveau de la rémunération est le fruit d’une évolution de long terme. C’est, en réalité, le nombre d’enseignants qui rend le ministère réticent à mettre en œuvre des mesures de politique salariale. Depuis de nombreuses années, le choix implicite a ainsi été de privilégier le nombre d’enseignants sur le montant de leur rémunération, la revalorisation indiciaire sur le développement d’une véritable politique indemnitaire.

Au total, l’individualisation de la gestion des ressources humaines et la valorisation des postes exercés dans des conditions difficiles sont indispensables pour améliorer la qualité du système d’enseignement, valoriser les carrières des enseignants et mieux répondre aux besoins des élèves. La mise en œuvre de ces préconisations a un coût, la Cour en est tout à fait consciente. Si le contexte actuel de redressement des finances publiques impose une quasi-stabilisation en valeur de la masse salariale de l’État, des marges de manœuvre substantielles peuvent être trouvées dans plusieurs autres recommandations de la Cour.

Ces marges font l’objet du quatrième message du rapport. J’évoquerai principalement la rationalisation de l’organisation de la scolarité au lycée. Le coût moyen d’un élève en lycée est de 31 % supérieur à la moyenne de l’OCDE, en dépit d’une rémunération plus faible des enseignants français. Les raisons sont multiples : un temps d’instruction plus long de 21 % par rapport à la moyenne de l’OCDE ; un nombre d’élèves par classe plus faible de 12 % ; la multiplication, surtout, des matières, d’options et de modules proposés à des groupes, nécessairement plus restreints, d’élèves. L’éparpillement progressif de l’offre de formation au lycée, qui ne se constate nulle part ailleurs en Europe, a conduit à une augmentation des besoins d’enseignement et à un renchérissement progressif du coût du système scolaire, sans que cette lente dérive ait fait l’objet d’un arbitrage clair entre le nombre d’enseignants et la revalorisation de leur rémunération. L’indispensable rationalisation de ces options fournit, nous semble-t-il, une marge de manœuvre.

De nombreuses recommandations que j’ai déjà citées – l’annualisation du temps de service, la bivalence, dont l’objet principal est de donner plus de souplesse à l’organisation pour mieux répondre aux besoins des élèves – sont de nature à dégager des économies de poste. En effet, elles faciliteraient grandement l’organisation des activités scolaires dans chaque établissement, en particulier les remplacements. L’existence de ces marges de manœuvre nourrit la conviction de la Cour que toutes ses recommandations sont réalisables à coût constant et forment un bloc cohérent. Cela permettrait que chaque acteur perçoive l’ensemble des bénéfices et inconvénients qui en résulteront pour lui. Il ne faut pas, nous semble-t-il, traiter séparément la question du temps de service et celle de la rémunération ou encore la question de l’affectation et celle de l’attractivité des postes. Tout se tient. Ce serait déformer le message de la Cour et affecter la cohérence de ses propositions que d’en isoler certaines.

L’ampleur de cette réforme exige sûrement qu’elle soit conduite dans un temps long, afin qu’elle soit bien comprise de l’ensemble des parties prenantes et qu’un consensus minimum soit réuni. Les exemples étrangers montrent que des réformes éducatives de cette nature peuvent être conduites avec succès avec un horizon temporel d’environ dix ans. Ainsi, la réforme d’ensemble du système scolaire de l’Ontario au Canada, centrée sur les modalités de gestion des enseignants et non sur le contenu des programmes, a permis, dix années après son lancement, d’obtenir des résultats bien meilleurs pour les élèves de cette province. Ces exemples montrent qu’une volonté politique constante tout au long du processus de réforme est indispensable à la réussite. Le fait que la plupart des recommandations de la Cour s’appuient sur l’expérience de pays étrangers permet de s’assurer de leur réalisme et de leur faisabilité.

Le ministre de l’éducation nationale a répondu à la Cour qu’il partageait l’orientation de ses recommandations pour une gestion plus qualitative, individualisée des ressources humaines. Il a annoncé un réexamen du métier, des missions et des carrières des enseignants à l’automne, dans le cadre d’un agenda social proposé aux personnels du ministère et à leurs organisations représentatives. Il dit considérer que les recommandations du rapport de la Cour pourront utilement alimenter la réflexion et le dialogue social.

Votre assemblée vient d’achever l’examen du projet de loi de refondation de l’école. La Cour ne se prononce pas sur les besoins en enseignants que nécessite tel ou tel volet de la politique éducative. Elle a déjà eu l’occasion d’exprimer la priorité qui devrait être attachée sur ce plan à l’école primaire et à la formation initiale des enseignants, axes qui sont au cœur des priorités aujourd’hui, mais elle considère que ces besoins légitimes doivent d’abord être couverts par la mobilisation des marges de manœuvre de gestion qu’elle met en évidence, donc pas nécessairement par des recrutements supplémentaires. Ces marges de manœuvre peuvent être dégagées par une toute autre manière de gérer les enseignants, d’où le titre du rapport. Il s’agit de renverser la logique issue de la massification de l’enseignement et de la pression à l’égalitarisme selon laquelle tous les enseignants se valent et tous les élèves ont les mêmes besoins. Une telle remise à plat est le principal levier qui permettrait, c’est en tout cas la conviction de la Cour, d’inverser la tendance à la dégradation des résultats de notre système scolaire et l’attractivité du métier d’enseignant ne pourrait qu’en ressortir renforcée.

M. Dominique Baert, vice-président de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. La politique d’éducation prioritaire préoccupe particulièrement nos deux Commissions, au point qu’elles ont constitué une mission d’information commune sur les travaux actuellement menés dans le cadre de la modernisation de l’action publique. Avez-vous des suggestions spécifiques à faire en la matière ?

M. Yves Durand. Votre rapport, publié au moment de la deuxième lecture du projet de loi sur la refondation de l’école, a déclenché un débat, voire une polémique regrettable. Pour ma part, je ne me livrerai pas à une quelconque tentative de récupération.

Je remarque, d’abord, que l’examen de la gestion pour les besoins de votre rapport s’arrête en 2012. Ensuite, la qualité d’une politique éducative n’est pas, avez-vous dit, une question de moyens mais plutôt de leur adossement à une réforme de fond. C’est là l’essentiel du message de votre rapport. En effet, une véritable refondation de l’école s’impose, dans un temps nécessairement long de façon à permettre aux acteurs de se l’approprier. C’est ce que nous avons toujours dit, et c’est l’un des éléments majeurs de la réponse que le ministre vous a adressée ainsi que de la loi. Je ne voudrais pas que l’on détache le rapport d’aujourd’hui sur la nécessaire gestion des enseignants autrement des autres rapports sur l’école que des membres de la Cour ont pu nous présenter, en particulier ceux sur l’orientation en fin de collège mettant en évidence la corrélation des inégalités scolaires aux inégalités sociales, et sur les difficultés de mise en place d’une véritable démocratisation à l’origine des résultats modestes du système éducatif français.

Vous mettez en avant un manque criant de l’évaluation des politiques, au niveau des établissements comme au niveau national, de l’encadrement des enseignants et de la formation. J’ai d’ailleurs noté un paragraphe très important sur la formation initiale et continue. À cet égard, j’espère que les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation – ESPE – seront une réussite. N’y a-t-il pas, toutefois, contradiction entre votre souhait d’une véritable formation professionnalisante, qui est le but de ces écoles, et la formation disciplinaire qu’implique la masterisation ?

S’agissant de la mauvaise prise en compte des besoins, je note la nécessité d’une programmation pluriannuelle de la gestion des enseignants tout en regrettant que cette dernière ait été abandonnée par de précédents gouvernements.

Au fond, la base de votre rapport est la conception du métier d’enseignant dans notre pays, qui n’a pas évolué depuis les fameux décrets de 1950 que tout le monde se plaît à considérer comme obsolètes mais dont le dispositif n’a jamais été amélioré. On peut regretter que ce sujet n’ait jamais été frontalement abordé au cours des mandats précédents.

La Cour des comptes va à la fois trop loin et pas assez : trop loin, en allant jusqu’à faire des préconisations sans donner d’indications sur les modalités de leur mise en pratique ; pas assez loin, en se contentant de faire des préconisations. Dans cette grande refondation nécessaire, qui a commencé avec la loi récemment votée, pensez-vous que votre institution puisse avoir un rôle non seulement de conseil mais aussi, parce qu’elle émet des recommandations, de mise en pratique d’une véritable politique ?

M. Frédéric Reiss. Incontestablement, le métier d’enseignant a changé. Après le rapport « Les communes et l’école de la République » de décembre 2008, dans lequel la Cour avait montré la pertinence du projet de création des établissements publics de l’enseignement primaire et le manque de statut des directeurs d’école, après le rapport « L’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves » de mai 2010, qui a montré le lien entre accroissement des écarts entre élèves performants et élèves moins performants et origine sociale, ainsi que l’importance du socle commun de connaissances et de compétences, le rapport d’aujourd’hui, « Gérer les enseignants autrement », montre l’incapacité de l’éducation nationale à prendre en compte les élèves en difficulté et l’insuffisance des réponses quantitatives, comme celle qu’apporte le Gouvernement pour tenir une promesse électorale.

Selon M. Yves Durand, la formation de nos enseignants va être améliorée grâce aux ESPE, à condition toutefois qu’elles ne retombent pas dans l’erreur du pédagogisme qui a caractérisé les instituts universitaires de formation des maîtres – IUFM. Bien évidemment, nous sommes favorables à davantage de formation professionnelle et à ce que nos enseignants soient suffisamment formés pour aller devant les classes.

L’embarras du même Yves Durand, qui ne souhaite pas faire de polémique, était très perceptible au sujet du rapport. Il faut dépasser cela pour nous mettre au service des enfants qui en ont besoin. Le rapport démontre que la réforme précipitée de l’école est passée à côté de l’essentiel : valoriser le métier d’enseignant par la redéfinition des services et des rémunérations, ce que nous disons depuis très longtemps à l’UMP. La loi de refondation de l’école n’a donc de refondation que le nom.

J’ai apprécié les nombreuses références à l’Ontario, où j’ai pu constater que l’enseignement des sciences revêt une importance capitale, d’abord dans la formation des enseignants puis à l’école. Cet enseignement permet d’éviter cette hésitation que connaissent nos étudiants en France à s’engager dans les voies scientifiques et technologiques.

Vous avez évoqué l’étanchéité entre le premier et le second degré en parlant d’école du socle. Je souhaiterais que l’on puisse aller au-delà de cette expérimentation, notamment avec la bivalence dans les premières classes du collège, notamment dans les établissements du réseau ÉCLAIR – Écoles, collèges et lycées pour l’ambition et la réussite. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

L’isolement de l’enseignant, auquel on remédie au Canada par le travail en groupe, qui existe dans notre code de l’éducation mais a du mal à être mis en œuvre, et l’existence de postes à profil dans certains enseignements spécialisés révèlent que nous n’avons pas suffisamment la culture de l’évaluation en France. Ne faudrait-il pas adopter résolument une évaluation qui prendrait en compte non seulement l’enseignement, mais aussi la classe et l’établissement entier ?

Selon vous, le regroupement des élèves pourrait-il être une solution à l’éparpillement des postes ? Je sais que les maires souhaitent défendre l’école dans leur commune et que l’Association des maires de France se montre réticente à une telle proposition. Pourtant, la mise en commun de projets d’école et de direction d’école serait susceptible d’éviter ce genre de phénomène. Pour les collèges et les lycées proposant de multiples options ne permettant pas aux enseignants d’assurer un service complet, donc d’être efficaces et épanouis, ne faudrait-il pas revoir et le recrutement de ces enseignants et les projets d’établissement ?

Mme Barbara Pompili. Le rapport émet une analyse juste qu’il fallait entendre. Pour le groupe écologiste, les préconisations vont dans le bon sens et constituent une base pour poursuivre la refondation de l’école engagée avec la loi que nous venons de voter. Toutefois, on ne peut pas s’exonérer d’un vrai débat politique sur le métier d’enseignant ouvert à l’ensemble des acteurs de la vie éducative, y compris les syndicats, les parents et les représentants du monde médico-social concernés par la scolarisation des enfants handicapés.

Être enseignant aujourd’hui, ce n’est pas simplement transmettre des savoirs dans une salle de classe, c’est apprendre à apprendre. Que ce métier soit toujours régi par des décrets de 1950 témoigne de l’obsolescence de notre vision de la fonction. Le débat que les écologistes demandent depuis longtemps permettrait de redéfinir l’ensemble des tâches qui composent le métier d’enseigner et de les intégrer aux missions officielles.

Autre question fondamentale soulevée par le rapport, l’adaptabilité de l’enseignement à chaque territoire, à ses élèves et à leurs spécificités. Il faut autoriser les expérimentations pédagogiques, réfléchir à l’évolution des recrutements et envisager de les adapter aux besoins territoriaux, donc réviser en profondeur la carte scolaire, en instaurant des zonages plus souples et gradués pour harmoniser notre politique éducative.

Vous insistez sur la nécessité d’une gestion plus efficace. L’importance de l’enjeu réclame, en effet, qu’on se penche sur la question sereinement.

Par ailleurs, la réflexion autour du métier d’enseignant est intrinsèquement liée à notre vision de la vie éducative. Les écologistes défendent une conception systémique de l’éducation intégrant l’ensemble des acteurs. Sur ce point, le rapport ne va pas assez loin puisqu’il n’aborde pas les métiers de l’éducation au sens large.

Nous pensons aussi que les projets éducatifs territoriaux sont une étape essentielle, et j’aimerais avoir votre opinion sur la manière dont ils pourraient être développés. Il faut renforcer l’articulation entre école et collège, faciliter les échanges d’enseignants entre premier et second cycle.

S’agissant des besoins des enseignants, vous mettez, à juste titre, l’accent sur deux impératifs : la formation initiale et continue – nous serons d’ailleurs extrêmement vigilants sur la mise en place des ESPE, dont le financement suscite quelques inquiétudes dans nos rangs ; la nécessaire évolution des grilles salariales pour que les enseignants français ne soient plus si mal rémunérés par rapport aux autres fonctionnaires mais également par rapport aux enseignants des autres pays de l’OCDE.

En conclusion, le rapport apporte de nombreuses idées, mais nous retenons que la redéfinition du métier d’enseignant doit être collégialement menée, dans un souci de concertation conforme à notre idée de la vie éducative.

M. Charles de Courson. Je ne cache pas ma satisfaction d’avoir entendu que notre système évoluait comme sous l’Ancien régime. À votre avis, peut-on mettre en œuvre vos préconisations dans un système centralisé ? Ne faudrait-il pas décentraliser l’éducation et revenir sur la nationalisation de l’enseignement primaire et secondaire décidée au XIXe siècle ? Avez-vous des exemples de pays qui auraient mieux réussi à mettre en place vos préconisations grâce à un système décentralisé ?

Vous n’avez pas abordé le lien entre la gestion des enseignants et la taille des unités d’enseignement. La situation des collèges est si incroyable que les Ardennes ont autant d’établissements que la Marne, pourtant deux fois plus peuplée. Est-ce une bonne gestion du corps enseignant que d’avoir des collèges de moins de cent élèves, exception faite des zones de montagne ? Le maintien d’écoles rurales isolées est une absurdité ; mieux vaudrait regrouper les écoles. Je m’interroge donc sur le lien entre une gestion efficace des enseignants et la taille des écoles, lycées et collèges.

M. Thierry Braillard. À titre liminaire, nous voulons rappeler deux constats pour éviter tout quiproquo ou récupération. D’abord, selon une étude réalisée il y a quatre mois par l’institut CSA, huit Français sur dix ont une image positive du métier d’enseignant, considérant qu’il offre des perspectives. D’ailleurs, trois quarts des Français se diraient fiers d’avoir des enfants enseignants. Ensuite, ce rapport est à rapprocher de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Force est de constater que malgré les nombreux atouts du système éducatif français, le nombre d’élèves en difficulté en primaire a augmenté depuis une dizaine d’années, 20 % des élèves de moins de quinze ans connaissant de grosses difficultés de maîtrise de la langue écrite et trop de jeunes sortant du système scolaire sans qualification. La France se classe également dans les derniers rangs des pays de l’OCDE du point de vue de l’équité scolaire. La loi que nous avons votée, rappelant la nécessité de réinvestir dans les moyens humains de façon à la fois quantitative et qualitative, n’est absolument pas contradictoire avec les préconisations du rapport, n’en déplaise à l’opposition. Dans un premier temps, 26 000 postes seront consacrés au rétablissement d’une véritable formation initiale pour les enseignants, ce qui ne correspond qu’au remplacement de tous les départs en retraite prévus chaque année ainsi qu’aux postes de stagiaires. On est donc loin du « toujours plus de fonctionnaires ». Surtout, l’effort consenti par cette loi est principalement dirigé vers les territoires fragiles et sensibles.

Le rapport avance des analyses et des propositions intéressantes et pertinentes qui restent dans le cadre de la mission de contrôle des comptes et de la gestion de la Cour des comptes. Nos débats ont permis de mettre le doigt sur la nécessité d’optimiser la gestion des enseignants et d’éviter les affectations inadaptées. Aussi reconnaissons-nous que le rapport pose des questions justes. Une fois la loi sur la refondation de l’école de la République publiée, le ministre aura sans doute à cœur d’en tirer les conséquences. Une large concertation non pas seulement avec les syndicats des enseignants, mais avec l’ensemble de la communauté éducative, devra porter sur l’évolution des métiers, des missions, des carrières dans le premier et le second degré.

L’examen du projet de loi a donné lieu au vote d’amendements et à des engagements du ministre relatifs à l’amélioration de la formation continue, au renforcement de la stabilité des équipes pédagogiques et la valorisation des compétences avec les postes dits « à profil ». Nous avons également travaillé sur la dimension collective du métier d’enseignant.

La réforme des rythmes scolaires peut-elle correspondre à un bouleversement de la logique hebdomadaire du temps de service montrée du doigt dans le rapport ?

Mme Marie-George Buffet. Félicitons-nous que la France consacre beaucoup de moyens à l’enjeu éducatif. Dans notre histoire, l’école de la République a été un facteur de réussite sociale mais aussi d’avancées économiques, technologiques et scientifiques de la France. Aujourd’hui, force est de constater que cette école n’assure plus à chaque enfant la réussite scolaire, autant pour des raisons de moyens que de conditions d’éducation, étant entendu néanmoins que, sans moyen pour assurer le remplacement d’un enseignant, la question du contenu pédagogique ne se pose même pas. Je me félicite que la loi de refondation de l’école ait créé 60 000 postes, mais nous avons besoin d’adosser ce progrès dans les moyens à une réforme de l’école elle-même.

Celle-ci passe par la formation professionnelle des enseignants, qui est l’élément-clé. Je m’étonne des remarques sur la pédagogie. Pendant des décennies, la recherche en la matière dans notre pays a permis à l’école de jouer son rôle. Cette recherche n’est hélas plus aussi foisonnante qu’elle l’a été, et j’espère qu’elle fera l’objet de nouveaux efforts. La formation continue est le deuxième élément de formation des enseignants, ce qui leur demande un travail personnel important de recherche et de documentation ainsi qu’un travail d’équipe. À cet égard, le maître en plus prévu dans la loi de refondation est un point positif.

La rémunération est un élément d’attractivité du métier. Pour l’augmenter, il faudrait baisser le nombre d’enseignants, avez-vous dit. Même sans avoir calculé de combien il faudrait l’amputer pour combler l’écart de 30 %, je pense que ce n’est pas la solution et qu’il vaut mieux passer par un agenda social. Au-delà de la rémunération, la valorisation c’est aussi la reconnaissance du métier d’enseignant en tant que tel.

Tout ne dépend pas de la gestion des enseignants. La priorité donnée à l’accueil en maternelle à partir de deux ans, prévue dans la loi de refondation de l’école, est tout aussi importante. La question de l’orientation n’est pas encore résolue, non plus que celle de la revalorisation de certaines filières, de l’aide aux élèves en difficulté et de l’accompagnement individuel vers le plus haut niveau de culture commune.

Quelles sont les préconisations de la Cour pour remédier à la multiplication des contrats de droit privé et des statuts précaires au sein de l’éducation nationale ?

M. Jean-Pierre Le Roch. Les constats d’ordre quantitatif et qualitatif qui rythment ce rapport illustrent les difficultés auxquelles de nombreux enseignants sont confrontés aujourd’hui dans l’exercice de leur métier comme dans la reconnaissance sociale de celui-ci. Ils suscitent aussi beaucoup d’interrogations.

Les travaux de l’INSEE nous informent que, sur les traitements moyens perçus en 2009, la rémunération nette annuelle des enseignants est inférieure de 35 % à celle d’un cadre non enseignant de la fonction publique, essentiellement en raison d’un niveau de prime plus faible. Les travaux de l’OCDE nous apprennent aussi que les enseignants français gagnent entre 15 et 20 % de moins que leurs homologues des États membres de l’Union européenne et des autres pays membres de l’OCDE. Les écarts se constatent également en ramenant le salaire au temps d’enseignement : dans le primaire en France, le salaire par heure d’enseignement est de 30 % inférieur à la moyenne européenne. Ces considérations chiffrées montrent combien il est indispensable de réaffirmer la place des enseignants au cœur de l’institution, de notre société et de notre modèle républicain.

La réaffirmation de la place des enseignants, de leur gestion autrement, ne passe-t-elle pas d’abord par une revalorisation de leur rémunération, et comment ?

M. Patrick Hetzel. En même temps que je félicite la 3e chambre de la Cour des comptes pour son excellent travail, je déplore que le ministre Peillon n’ait pas abordé dans l’hémicycle certaines des conclusions du rapport, notamment l’utilisation parfois problématique des moyens existants.

Je partage pleinement l’analyse du rapport s’agissant du décalage croissant avec la réalité du métier d’enseignant. Il faut faire évoluer les obligations réglementaires de service et préciser la notion de bon enseignant. Là aussi, je regrette que la loi sur la refondation de l’école ait complètement évacué cette question, confirmant son caractère de texte purement cosmétique qui n’aborde pas les questions de fond.

Depuis maintenant plus d’un siècle, le statut de fonctionnaire est la doctrine dominante dans le système éducatif. Or, beaucoup des pays de l’OCDE dont le système éducatif est extrêmement performant ne recourent pas à ce statut de fonctionnaire. N’y a-t-il pas là une question de fond à poser, qui est dans le droit fil du constat de votre rapport du décalage entre la réalité de la pratique professionnelle et le statut des enseignants ? Ne faudrait-il pas adopter la même pratique que le ministère de la Défense, qui emploie des officiers sous contrat, montrant ainsi qu’on peut assumer des missions régaliennes sans s’enfermer dans le seul statut de fonctionnaire ? L’éducation nationale pourrait-elle, elle aussi, faire appel massivement à des contractuels ? Dans l’affirmative, quel serait le bon quantum permettant de définir des missions et de sortir d’une vision fermée ? C’est là un tabou sur lequel il me paraît important de travailler.

Mme Colette Langlade. Selon votre rapport, les instruments qui pourraient aider à la constitution d’une communauté éducative rassemblée autour du projet d’école ou d’établissement reçoivent l’adhésion toujours très inégale des enseignants. Le projet d’école ou d’établissement a vocation à prendre en compte la réalité locale des élèves comme de l’enseignement. Ces activités, qui ne bénéficiaient jusqu’à présent d’aucun cadre défini au niveau législatif, sont maintenant prises en compte dans l’orientation et la programmation pour la refondation de l’école de la République. Depuis l’adoption de ce projet de loi, le système éducatif sait s’organiser. Dorénavant, un véritable cadre défini avec les partenaires locaux, les acteurs et le milieu enseignant permettra d’inscrire ces initiatives dans une politique d’aménagement du territoire et de favoriser leur développement en facilitant l’organisation et la concertation des acteurs impliqués. Avec cette loi sur l’école, c’est la gestion des équipes et non des individus qui est mise en valeur. Je voulais le souligner.

M. Xavier Breton. Je félicite le Premier président pour la présentation du rapport pour mieux regretter que ses dix-neuf recommandations n’aient pas été prises en compte au moment de l’examen du projet de loi sur la refondation de l’école. Pour une loi d’orientation et de programmation, qui est censée organiser notre système éducatif pour plusieurs années, il est vraiment dommage de se passer d’un rapport d’une telle qualité.

Dans un chapitre intitulé « Un manque de gestion de proximité », le rapport montre bien que notre système de l’éducation pratique une gestion des ressources humaines distante et essentiellement administrative, les services gestionnaires consacrant une grande partie de leur activité et de leur énergie à des centaines de milliers d’actes de gestion courante dans le cadre de procédures très complexes sans prendre en compte la situation spécifique des enseignants, des établissements et des territoires. Comment assurer une gestion plus individualisée, plus de proximité ?

Au-delà d’une éventuelle décentralisation évoquée par M. Charles de Courson, le rôle des corps d’inspection ne devrait-il pas être revu dans le système de gestion des ressources humaines ? Une coordination de cette gestion ne devrait-elle pas être assurée à l’échelon local ? Des tentatives ont eu lieu à l’échelle des bassins de formation dans les années 1990, qui sont restées lettres mortes. Ne serait-il pas opportun de les relancer ?

M. Jean-Louis Gagnaire. Je ne pense pas que gérer les enseignants soit le but ultime. Il s’agit de proposer à nos jeunes un système éducatif efficace et moderne, et d’assurer l’avenir par un fort investissement en matière de formation. Si je partage les constats, je m’interroge sur vos recommandations.

Vous faites des préconisations sur la carrière des personnels, mais vous n’analysez pas réellement le système. Pourquoi ne pas oser le terme et intégrer dans l’organisation la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ? Alors que tous les systèmes innovants partent de la réalité du terrain et la font remonter, vous n’abordez qu’à la marge notre héritage napoléonien, très hiérarchisé de haut en bas. Finalement, ne faudrait-il pas procéder à une refondation beaucoup plus profonde, qui concernerait, outre les enseignants, toute la hiérarchie du système ?

Vous ne parlez pas de la formation tout au long de la carrière des enseignants, qui a été sérieusement écornée au cours des années passées. Vous ne parlez pas non plus de leur mobilité. Les carrières d’enseignant sont longues et conduisent souvent à l’épuisement. Une bonne gestion prévisionnelle des emplois et des compétences consisterait à offrir aux enseignants la possibilité d’aller servir d’autres secteurs pour y prendre une respiration puis de revenir dans leur métier d’origine d’une manière très fluide. Les enseignants se vivent comme des fonctionnaires tellement à part qu’ils n’osent même plus sortir de l’éducation nationale alors qu’ils ont d’indéniables qualités.

Vous n’analysez pas les effets de la politique d’heures supplémentaires, qui a été massive dans l’éducation nationale et qui a eu un coût pour les finances publiques, représentant l’essentiel du budget de défiscalisation des heures supplémentaires. Pour clore l’éternel débat entre recrutements et heures supplémentaires, il faut savoir quel a été le coût de ces dernières, sachant que cette politique a permis à certains enseignants de doubler leur traitement.

Mme Julie Sommaruga. Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour la présentation de ce rapport, même si le terme de « gérer » ne me semble pas approprié au métier d’enseignant. La France, dites-vous, connaît une inquiétante crise d’attractivité de ce métier, qui a subi pendant longtemps de graves attaques. Le ministre de l’éducation nationale s’est attaché à le revaloriser à travers la création des ESPE, l’augmentation du nombre de postes ouverts au concours, une campagne de recrutement ou encore le renforcement de la formation continue. En matière de revalorisation des salaires, le Gouvernement s’est engagé à rattraper le décalage entre la rémunération des professeurs des écoles et celle du secondaire.

L’attractivité du métier d’enseignant en zone d’éducation prioritaire – ZEP – nécessite qu’on y mette des moyens financiers, certes, mais aussi qualitatifs. La spécificité du travail et les conditions de travail parfois difficiles dans les ZEP appelleraient un recrutement fondé sur la motivation. En retour, les enseignants devraient bénéficier d’horaires aménagés pour le travail en équipe. D’ailleurs, il faudrait en finir avec le programme ÉCLAIR, qui met les enseignants en compétition et ne facilite pas ce travail en équipe. Que penseriez-vous de pôles d’excellence en ZEP qui seraient reconnus comme lieux d’expérimentations pédagogiques et permettraient de mettre en avant le travail remarquable accompli par les équipes dans la lutte contre la fuite scolaire ?

M. Benoist Apparu. Le rapport indique grosso modo qu’il ne sert à rien d’augmenter le nombre de postes ou de le diminuer sans engager une réforme profonde du système éducatif autour de deux grands axes qui seraient le statut des établissements et le statut des enseignants. Je regrette vivement qu’il n’ait pas été publié quelques semaines avant la préparation du texte sur la refondation de l’école. Nous aurions alors pu le prendre en charge de manière beaucoup plus efficace, alors que le texte de loi et son rapport annexé, censé présenter le visage de l’éducation nationale et les réformes à mener dans les dix ans qui viennent, ne reprennent que deux des dix-neuf propositions du rapport de la Cour. C’est dire si la prétendue refondation du système éducatif passe totalement à côté des enjeux réels !

De son côté, le rapport présenté par l’UMP aborde douze de ces dix-neuf points. Malheureusement, il faut reconnaître et assumer que nous n’avons pas fait ces réformes dans le passé, et reconnaître tous ensemble que l’élément présenté aujourd’hui par la Cour des comptes est essentiel et que nous devons le traiter. Messieurs les présidents des Commissions, comment l’Assemblée nationale va-t-elle tirer les conséquences de ce rapport et essayer de faire évoluer notre système éducatif, alors que nous venons de voter une loi de refondation qui n’aborde pas les questions essentielles ?

Mme Monique Rabin. Un autre titre aurait mieux exprimé le souci qualitatif manifesté dans le rapport.

Le coût par élève dans nos lycées est supérieur de 31 % à celui constaté dans d’autres pays. Ce taux distingue-t-il entre enseignement général et enseignement professionnel, où les moyens méritent d’être affinés ? L’enseignement en France tient encore à certaines options, telles le latin, le grec et la philosophie, qui peuvent coûter cher mais qui font aussi notre spécificité culturelle.

Qui, selon vous, a le pouvoir à l’éducation nationale ? À ce propos, j’attire votre attention sur le mouvement « Mutez-nous » qui dénonce l’embauche d’enseignants sur liste complémentaire, qui n’ont donc pas été diplômés, au détriment de personnes qui demandent des mutations et ne les obtiennent pas. Cela signale-t-il un fort pouvoir syndical ? Cela signifie-t-il que le traitement intervient au niveau de l’administration centrale et qu’il y a lieu de procéder à une décentralisation des pouvoirs au sein de l’éducation nationale ? Cela explique-t-il les rigidités constatées ?

Mme Valérie Corre. La question des moyens a beaucoup fait parler. Le rapport indique que le ministère de l’éducation nationale ne souffre pas d’un manque de moyens budgétaires ou d’un nombre trop faible d’enseignants, mais d’une utilisation défaillante des moyens existants, appuyant son argumentation sur une étude comparée de l’évolution, depuis 1990, du nombre d’élèves et de l’évolution de l’effectif global enseignant, qui révélerait une amélioration du taux d’encadrement. Je m’étonne que cette analyse repose sur le seul décompte du nombre de professeurs et non du nombre d’heures passées par les enseignants devant les élèves. Les temps partiels ou les heures supplémentaires ne semblent pas être pris en compte alors que, si tel était le cas, on constaterait, selon les chiffres du ministère, une dégradation du taux d’encadrement dans le premier degré et au collège depuis 1990. Partagez-vous cette analyse ?

De la même façon, le rapport indique que les moyens alloués au système éducatif ont été en hausse constante entre 2008 et 2012. L’affirmation peut étonner, alors même que 80 000 postes ont été supprimés par la droite dans l’éducation nationale. Elle s’explique en grande partie par l’augmentation de la charge des pensions, qui a peu à voir avec les moyens mis devant les élèves. Partagez-vous cette analyse selon laquelle l’école a largement souffert des coupes budgétaires et des suppressions de postes ces dernières années ?

Comme remède au manque d’efficience de l’éducation nationale, vous préconisez la mise en place de différenciation dans l’allocation entre les académies, les établissements et les élèves. Au lieu du critère territorial actuellement en vigueur, qui avantagerait injustement les académies rurales, vous préconisez une évaluation individuelle de chaque élève en début d’année scolaire et une détermination des besoins de chacun en fonction des résultats aux tests. Cette proposition quasi révolutionnaire pourrait sembler séduisante. Pouvez-vous détailler en quoi consisteraient ces tests et quel serait l’avantage pour le modèle de répartition ?

Mme Sandrine Doucet. Les travaux de la Cour, s’ils ont suscité des controverses dans le monde enseignant, constituent pour les parlementaires une base de travail incontournable pour la refondation de l’école et la reconstruction d’un système éducatif juste et efficace. Une lecture en creux de ce rapport conduit à constater que la diminution des effectifs a trop souvent réduit la gestion des enseignants à une simple gestion de flux. Rappelons-nous que ce ne sont pas seulement 80 000 postes d’enseignants qui ont été supprimés, mais aussi des postes dans l’administration, moyennant quoi le ministère de l’éducation nationale se retrouve aujourd’hui avec un agent pour gérer 143 enseignants, contre un pour 70 dans les autres ministères et même dans les entreprises. Quoi d’étonnant, dans ces conditions, à ce qu’une véritable politique des ressources humaines n’ait pu être assurée, avec une meilleure adéquation aux exigences scolaires ? Donner cette mission aux établissements, n’est-ce pas une façon de pallier le manque de moyens, alors qu’il faudrait, avant toute chose, définir les missions des enseignants, leur métier, leur qualité ? J’en veux pour exemple la formation à la hâte à la polyvalence des enseignants de la filière sciences et technologies de l’industrie – STI –, sans envisager les besoins en formation du pays dans l’industrie ni prendre en compte la qualité des enseignants qui, bien souvent, ont commencé par travailler dans le monde de l’entreprise. Faute d’avoir défini les missions des enseignants, l’annualisation de leur temps de travail risque d’être davantage une globalisation des tâches.

Cet appel à la reconnaissance du métier et à sa définition est un préalable indispensable à notre travail parlementaire autour de la question de l’école, mais il nécessite de retrouver un niveau d’effectifs compatible avec les devoirs de l’école républicaine d’aider les élèves en difficulté et de scolariser les moins de trois ans. Merci de nous aider dans cette mission républicaine.

M. Olivier Faure. Pour remédier à une éducation nationale aujourd’hui insuffisamment nationale et à l’inégalité entre les territoires, le rapport recommande de moduler le temps de service selon les besoins locaux. Si les enseignants des territoires déficitaires devaient travailler davantage, cela conduirait à rendre moins attractifs encore des territoires qui le sont peu. Or, la compensation que les enseignants trouvent à la faiblesse de leur rémunération, c’est un temps de travail permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale. La Seine-et-Marne est un département à faible attractivité, et le nombre de candidats reçus y est inférieur au nombre de postes vacants. Si, demain, le temps de travail y est plus important, le risque est grand d’avoir encore moins de candidats enseignants. Alors que nous bénéficions d’un des plus forts dynamismes démographiques, nous avons l’un des taux d’encadrement les plus faibles. Comment assurer le rattrapage entre les territoires au bénéfice des moins dotés ? Si la question n’est pas de savoir s’il faut plus ou moins d’enseignants, comment faire en sorte que les territoires déficitaires rattrapent leur retard ?

M. William Dumas. Le ministère de l’éducation nationale ne souffrirait pas, selon le rapport, d’un manque budgétaire, et les moyens alloués au système éducatif auraient été en augmentation constante entre 2008 et 2012. Or, sur cette période, se sont cumulées l’augmentation des charges de pensions et la mise en place des heures supplémentaires. Les 80 000 postes supprimés ont été liés, pour l’essentiel, à la suppression de la formation initiale des enseignants, qui impliquait une entrée progressive dans le métier, mais également à la diminution de la scolarisation des enfants de moins de trois ans, qui est passée de 34,5 % en 2000 à 11 % en 2012. Revenir sur ces deux points n’implique-t-il pas de recréer les postes supprimés ?

M. le Premier président de la Cour des comptes. Tout n’est pas qu’une question de moyens et telle n’est pas forcément l’approche de la Cour. Nous avons la faiblesse de penser qu’en présence de 837 000 enseignants, d’une population d’élèves encore plus importante et d’un budget de l’ordre de 50 milliards d’euros, la gestion – quand bien même le mot gênerait – est essentielle et ne doit pas faire peur. À cet égard, le titre que nous avons retenu était censé faire passer l’idée qu’on pouvait répondre à certaines difficultés d’organisation de l’éducation nationale par une gestion différente, sans forcément recourir à des moyens supplémentaires. C’est pourquoi nous avons indiqué que les résultats n’étaient pas corrélés au nombre à la baisse ou à la hausse des enseignants. Plusieurs d’entre vous ont regretté la suppression de 80 000 postes, alors que nos chiffres font état de 52 683 équivalents temps plein travaillé – ETPT – pour la période 2006-2012.

La politique d’éducation prioritaire ne constituait pas l’objet principal de notre rapport – peut-être faudrait-il en dédier un à part entière compte tenu de l’étendue du sujet. En revanche, le thème y a été abordé de manière indirecte à plusieurs occasions, à la fois au titre de l’insuffisante prise en compte des besoins des élèves et des mesures qui pourraient être prises pour mieux prendre en compte la difficulté des postes d’enseignants.

Selon M. Yves Durand, la Cour irait trop loin ou pas assez. Nous ne portons pas de jugement sur la gestion des différentes majorités politiques. Nous avons remis un travail de deux ans, qui est d’autant plus indépendant de l’actualité que ce type de réforme doit s’étaler sur une période longue. Tous les pays qui se sont engagés dans la réforme de leur système éducatif y ont consacré huit à dix ans. C’est le temps dans lequel nous nous inscrivons. La Cour est attentive à rester dans son rôle, à ne se substituer ni à l’administration ni au pouvoir politique, et à ne pas s’élever au-dessus de sa condition. L’absence de mode d’emploi est précisément due à cet attachement à ne pas sortir de nos compétences. Nous formulons des constats ainsi que des recommandations, d’ailleurs à l’invitation du Parlement qui souhaitait nous voir aller plus loin que le simple constat, mais la décision, la conception et la mise en œuvre d’une réforme relèvent de la responsabilité du Gouvernement et du Parlement. C’est bien volontiers que nous vous aidons, si nous le pouvons, dans la réflexion, et c’est ainsi que nous sommes convenus d’essayer de vous apporter des éléments de réflexion sur la question du lycée, que vous avez souvent soulevée et qui est essentielle dans notre système éducatif.

Plusieurs d’entre vous ont estimé que la décentralisation serait plus adaptée que le cadre national pour mettre en œuvre les préconisations formulées par la Cour. Au vu des exemples que nous avons examiné, qu’on soit dans un pays fortement décentralisé ou dans un pays plus centralisé, il est possible de réformer. Le Canada et l’Allemagne ont un système plus décentralisé que la Finlande et la Suède, qui peuvent aussi être prises en exemple. Vraisemblablement, il faudrait plus de déconcentration qu’aujourd’hui. Nous invitons à raisonner davantage en fonction des bassins de proximité pour mieux prendre en compte les besoins des élèves et la diversité des enseignants, et remédier ainsi à une faille du système éducatif.

Nous constatons que la multiplication des contrats précaires dans l’éducation nationale résulte très souvent de la rigidité du système éducatif tel qu’il est organisé actuellement. Les assouplissements que nous recommandons – annualisation, élargissement du temps de service dans le cadre de l’année scolaire, bivalence – pourraient permettre de réduire le recours à ces contrats précaires. Le statut de la fonction publique n’est d’ailleurs pas tant le problème que l’utilisation rigide par le ministère. La totalité des recommandations de la Cour pourrait être mise en œuvre sans remettre en cause le statut légal de la fonction publique, d’autant que beaucoup d’aspects relèvent du pouvoir réglementaire et des décrets. Plusieurs d’entre vous ont insisté sur les décrets de 1950 : ils peuvent parfaitement être modifiés après les concertations d’usage.

Nous recommandons clairement la revalorisation du métier et de la rémunération, même si nous proposons qu’elle se fasse dans le cadre des moyens actuellement consacrés à l’éducation nationale, tant il est vrai que nous pensons possible de dégager des marges de manœuvre en gérant autrement.

M. Patrick Lefas, président de la 3e chambre de la Cour des comptes. Vous trouverez, à la page 159 du rapport, le détail, année après année, de l’évolution des plafonds d’emplois, avec la décomposition entre public et privé. Au total, entre 2006 et 2011, la baisse des effectifs a été de 52 683 ETPT, l’essentiel ayant porté sur des moyens périphériques plutôt qu’enseignants – gestion, emplois rattachés. En contrepartie, la majorité précédente avait fait le choix des heures supplémentaires pour partie défiscalisées.

Nous avons travaillé sur l’éducation prioritaire à l’occasion de notre enquête sur l’égalité des chances et la répartition des moyens. Nous avons constaté un problème de sédimentation de dispositifs ainsi qu’une définition peu cohérente du périmètre de l’éducation prioritaire, avec un nombre relativement important d’établissements classés en ZEP. Un tel classement n’existe pas chez nos partenaires, où la connaissance des difficultés scolaires sert de base à l’allocation des moyens. De la sorte, les situations d’éducation prioritaire peuvent être assez radicalement différentes de ce qui se passe en France. Ainsi, dans l’académie d’Aix-Marseille, les écoles ZEP des Bouches-du-Rhône n’ont pas les meilleures dotations ; au contraire, elles sont sous-dotées. L’éducation prioritaire comporte un certain nombre d’éléments d’incohérence qui devraient faire l’objet d’une étude complémentaire dont la Cour peut se charger si l’Assemblée nationale le souhaite.

S’agissant de l’annualisation et de la reconnaissance des missions des enseignants, le rapport procède à une analyse détaillée des textes et montre que le code de l’éducation a défini les missions de manière très extensive, alors qu’on est resté dans le cadre d’allocation des moyens des décrets de 1950 et donc des obligations réglementaires de service. Des expérimentations tendant à apporter de l’air au système sont menées, mais la réalité c’est qu’il est inadéquat parce que géré de manière trop globale. Partir des besoins des élèves dans les bassins de proximité, donner la respiration nécessaire sur l’annualisation du temps de travail, qui existe dans le primaire mais pas dans le second degré, sont des recommandations qui consistent à mettre en cohérence les missions définies dans les textes avec le temps de service.

L’attractivité différenciée des territoires peut se corriger par la modulation du temps de service. Dans les établissements difficiles, où les élèves vivent dans un environnement qui n’est pas tourné vers l’apprentissage des connaissances et des compétences, on passe plus de temps à faire autre chose que cours, ce qui est fatigant. L’accompagnement passe par la modulation du temps de service ainsi que des rémunérations, notamment au travers des indemnités accessoires, car, comparé au système de la fonction publique, le système des enseignants accuse un écart très important.

L’évaluation individuelle des besoins des élèves pour réformer l’allocation des moyens n’est pas une révolution. Elle se pratique couramment à l’étranger, en particulier en l’Allemagne et dans l’Ontario. Il n’appartient pas à la Cour de déterminer le contenu des tests, mais c’est bien à partir de tests objectifs, pilotés à l’échelon national et appliqués dans chaque classe de chacun des établissements, qu’on va mesurer la difficulté scolaire, donc la marche à franchir, et allouer les moyens en conséquence. Notre fonction n’est pas d’aller sur le terrain pédagogique, mais de trouver les solutions permettant de faire respirer le système et de mieux l’adapter aux besoins des élèves. C’est la fin de la logique de l’uniformité.

Le mouvement « Mutez-nous » est le résultat, que nous décrivons de manière très précise, des inerties et des contraintes du système actuel d’affectation, qui ne doit pas être réformé à la marge mais très profondément, bien sûr en prenant le temps du diagnostic et de la concertation. C’est bien vers une évolution globale, qui repose sur le profil d’un enseignant et son adhésion à un projet d’école, qu’il faut tendre.

L’allocation des moyens par le ministère de l’éducation nationale prend en compte un certain nombre de critères. Pour les besoins du rapport sur l’orientation en fin de collège, nous avions établi des monographies précises sur trois académies qui ont montré que la difficulté scolaire n’est pas uniquement caractérisée en fonction de l’origine socioéconomique. Il y a là un défaut de connaissance statistique qui permettrait de répondre précisément à la question.

S’agissant des moyens permettant de mieux encadrer les enseignants, une de nos recommandations consiste à mettre en commun des moyens aujourd’hui dispersés. C’est là que la mutualisation dans les petits établissements est pertinente. En raisonnant au niveau du bassin de proximité, on peut mettre en commun des moyens de support pour rendre une allocation plus efficiente, organiser des échanges pour éviter des pertes en ligne d’un enseignant qui va professer sur une option et qui n’aurait pas la totalité des heures correspondant à ses obligations réglementaires de service. On peut faire beaucoup de choses, comme permettre à des professeurs des écoles d’enseigner dans des collèges, et réciproquement, à des professeurs de langue d’enseigner en fin du premier degré. Plus de fongibilité, c’est plus de facilité.

Nous avons bien compris que la bivalence est un sujet sensible pour les organisations syndicales. Mais n’oublions pas que 375 disciplines dont 272 inscrites à l’emploi du temps des élèves, c’est autant d’ouvertures de concours, donc de recrutement d’enseignants pour quarante ans de carrière et vingt ans en moyenne de retraite. En raisonnant uniquement en disciplines universitaires, les moyens sont extrêmement contraints. Là aussi, les exemples étrangers montrent qu’il est possible d’associer plusieurs disciplines au choix. Cela existe chez nous, avec l’histoire et la géographie alors que ce sont deux disciplines universitaires très différentes, et les professeurs d’enseignement général dans les lycées professionnels. Le saut ne serait pas gigantesque, et une transition progressive pourrait être envisagée, d’abord au collège puis au lycée.

M. le Premier président de la Cour des comptes. Un dernier mot sur le lycée, dont la Cour souhaite approfondir la problématique du coût. Les chiffres de l’OCDE ne distinguent pas les différentes filières, mais ils font très bien ressortir la priorité qui est donnée au lycée en France : en 2010, l’effort par élève en faveur de l’école primaire y est de 6 622 dollars, contre 12 874 dollars pour le lycée. L’écart est donc extrêmement important, y compris d’ailleurs au regard des autres pays de l’OCDE. On voit bien que ce sujet du lycée peut expliquer beaucoup de choses et nous souhaitons pouvoir contribuer à vous éclairer sur cette situation.

M. Gilles Carrez, président de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Merci pour cette longue audition, extrêmement intéressante, comme toujours avec la Cour des comptes.

La séance est levée à onze heures cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 3 juillet 2013 à 9 heures 

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Malek Boutih, M. Thierry Braillard, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, Mme Dominique Chauvel, Mme Valérie Corre, M. Yves Daniel, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, Mme Françoise Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Vincent Feltesse, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, M. Patrick Hetzel, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Pierre Léautey, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Lucette Lousteau, Mme Marion Maréchal-Le Pen, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, Mme Barbara Pompili, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Paul Salen, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. – Mme Huguette Bello, M. Jean-Louis Borloo, M. Ary Chalus, Mme Sonia Lagarde, M. François de Mazières, M. Rudy Salles, Mme Michèle Tabarot, M. Jean Jacques Vlody

Assistait également à la réunion. – M. Lionel Tardy