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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 2 octobre 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 02

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Martin, président de l’établissement public du musée du quai Branly

– Information relative à la Commission

Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 2 octobre 2013

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Stéphane Martin, président de l’établissement public du musée du quai Branly.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous avons le grand plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Stéphane Martin, président de l’établissement public du musée du quai Branly, accompagné de M. Karim Mouttalib, directeur général délégué.

Ce temps d’échange va nous permettre d’évoquer l’activité intense qui se déroule derrière les façades vitrées de ce superbe musée à travers ses collections, ses expositions temporaires, ses conférences, mais aussi une politique orientée vers le jeune public et un travail de recherche passionnant. Nous sommes d’autant plus intéressés à vous entendre, monsieur le président, que nous serons amenés au cours de l’année prochaine à examiner une « loi patrimoine » qui nous permettra, cent ans après la loi historique de 1913, d’évoquer un certain nombre de sujets, en particulier la circulation des collections nationales, à laquelle la ministre de la culture est très attachée.

M. Stéphane Martin, président de l’établissement public du musée du quai Branly. Mesdames, messieurs les députés, je suis très honoré d’être parmi vous aujourd’hui.

Le musée du quai Branly fait partie de cette étrange famille des grands projets présidentiels, puisqu’il est né à l’initiative du président Jacques Chirac.

Dès son élection, en 1995, Jacques Chirac a envisagé – comme il l’a fait plus tard pour le département des arts de l’Islam – un département des arts premiers au sein du musée du Louvre. Malgré le manque de places, le président a voulu un espace symbolique à l’intérieur du Louvre qui, vous le savez, n’est pas un établissement comme les autres dans la mesure où 80 % de ses visiteurs ne se rendent dans aucun autre musée. D’où un premier espace, ouvert en 2000, appelé le Pavillon des Sessions, dont la caractéristique unique au sein des musées français est d’être l’œuvre d’un seul homme – ce qui suscité une grande polémique à l’époque –, qui a conçu une sorte de musée imaginaire à la Malraux. Jean-Luc Martinez, le nouveau directeur du Louvre, avec lequel j’ai visité le pavillon la semaine dernière, l’a jugé incroyablement moderne et visionnaire car très cohérent par son articulation intelligente avec la sculpture verticale du musée. Ainsi, de manière assez magistrale, cette salle est une sorte une réponse aux préjugés sur une Afrique emplumée dansant à l’orée des forêts et dont les cultures seraient secondaires par rapport aux grandes cultures nées autour du Bassin méditerranéen.

Un an après le lancement du projet du pavillon des Sessions, en 1996, Jacques Chirac a souhaité voir réunies dans un bâtiment nouveau les collections ethnographiques françaises.

Il faut rappeler que les collections ethnographiques des trois grands centres historiques – Cabinet des monnaies et médailles, Musée de la marine, installé ensuite au Louvre, et cabinets de curiosités des grands aristocrates du XVIIIe siècle, progressivement rachetés par la Couronne – ne cessèrent de pérégriner à partir du XVIe et surtout au XIXe siècle, en particulier lorsque Napoléon III, sous l’influence du positivisme et d’une vision assez nationaliste de l’histoire, décida de créer le musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye. Dès lors, l’universalité du Louvre s’en trouva limitée puisqu’en furent sorties les salles dites des gloires de la France, appelées aussi à l’époque le musée de la marine où figuraient par exemple les objets rapportés par Dumont d’Urville, Bougainville et les grands navigateurs de la fin du XVIIIe siècle, mais surtout le musée américain, c’est-à-dire le premier musée d’antiquités précolombiennes d’Europe. Puis ces objets furent transférés au musée du Trocadéro, qui devint ensuite le musée de l’Homme. Enfin, dans les années soixante, André Malraux installa dans l’ancien musée des colonies, devenu ensuite musée des arts d’Afrique et d’Océanie, une toute petite partie de cette collection, estimant que le musée de l’Homme n’attachait pas d’importance à la qualité esthétique de certaines de ses œuvres.

Ainsi, le choix de Jacques Chirac a été de rassembler ces collections, mais surtout de leur donner un autre sens, un autre mode d’interprétation.

À l’époque, on a beaucoup parlé du président Chirac, et à juste titre, mais moins de l’accord parfait entre lui et le premier ministre, M. Lionel Jospin. J’ai toujours eu le sentiment que, pour le président Chirac – et M. Lionel Jospin me l’a dit lui-même –, le musée du quai Branly était avant tout un geste de politique africaine et un geste de politique internationale, et moins une volonté d’un projet culturel classique ou esthétique. À un moment où la Chine construisait un musée par semaine, il s’agissait de montrer que la France était encore animée d’une ambition universaliste et avait la volonté de créer un grand et bel établissement pour parler de tout, sauf de nous-mêmes – le musée du quai Branly concernant le monde entier, sauf l’Europe et les cultures directement héritées du modèle occidental. Le premier ministre et le président ont passé une sorte de pacte consistant à faire construire le musée du quai Branly selon un budget égal au coût annuel de fonctionnement de la bibliothèque François Mitterrand, soit 1 milliard de francs. Nous n’avons pas beaucoup dépassé cette somme, puisque la construction du musée du quai Branly a représenté environ 250 millions d’euros.

Ouvert en 2006, le musée du quai Branly est placé sous la tutelle conjointe du ministère de la culture et du ministère de la recherche, pour deux raisons. L’une tient à la continuité institutionnelle : 90 % de nos collections viennent du musée de l’Homme, qui était sous la tutelle exclusive du ministère de l’enseignement et de la recherche. L’autre s’explique par une politique de rayonnement international : dans l’esprit du président Chirac, la dimension de la recherche était – et cela s’est révélé exact – un des moyens pour le musée d’installer une image et une crédibilité au plan international.

Étonnamment, le musée du quai Branly a été créé à un moment où la fonction traditionnelle du musée d’ethnologie entrait dans une crise profonde. Dans la plupart des pays européens ayant une histoire coloniale, les musées d’ethnologie sont d’abord dédiés à la valorisation du patrimoine colonial, l’exemple le plus parfait étant le musée de Tervuren près de Bruxelles, conçu comme une exaltation du patrimoine colonial. Le musée du quai Branly a aussi été conçu comme une continuation de la vision encyclopédiste de la fin du XVIIIe siècle, c’est-à-dire avec le fantasme de pouvoir réunir dans un seul bâtiment une collection d’échantillons de l’ensemble de l’Humanité. Ce musée était aussi celui de ce qui allait disparaître : le musée des derniers peuples migrateurs, des derniers hommes fleurs, des derniers hommes nus. Or, contrairement à ce qu’a prétendu la littérature scientifique pendant un siècle et demi, ces derniers sont loin de disparaître, les aborigènes d’Australie ne disparaissent pas, ils se transforment, se métissent, voire se renouvellent. C’est ce regard condescendant et pessimiste que le musée avait vocation à changer.

Il me semble aussi que les attentats du 11 septembre ont conduit à modifier notre regard sur le monde. À l’époque où j’étais enfant, les gens avaient le sentiment, me semble-t-il, que l’on s’orientait vers une civilisation globale, un monde universalisé avec de bons aspects, certes, – amélioration de l’égalité des droits, de la condition de la femme, de la démocratisation, abolition générale de la peine de mort –, mais aussi de moins bons, comme la consommation généralisée de McDonald’s et l’utilisation par tous de la langue anglaise. Or les événements au début des années 2000 ont montré que les choses étaient plus compliquées et que la diversité culturelle était une richesse qui perdurait.

Se sont ajoutés à cela la sensibilité écologiste, un regard différent sur une manière d’habiter le monde, par exemple un nouvel intérêt pour des peuples ayant un rapport à la nature différent de celui des sociétés occidentales.

Enfin, le monopole d’information détenu par les musées de l’homme et les musées d’anthropologie dans le monde a volé en éclats du fait de ces nouvelles préoccupations et, surtout, de l’émergence des nouvelles sources d’information, à commencer par internet. Dans mon enfance, on entendait parler du moko des Maoris au musée de l’Homme et nulle part ailleurs ; aujourd’hui, vos enfants de dix ans en connaissent la signification, comme celle du haka, devenu un terme du quotidien.

Le musée du quai Branly est donc apparu à ce moment crucial, ce qui a été pour nous une très grande chance, car nous avons essayé d’en tirer les conséquences dans notre mode de fonctionnement, d’abord en nous appuyant fortement sur la recherche et sur l’évolution méconnue de l’ethnologie en France.

Tous les grands projets présidentiels n’ont pas bénéficié du même volontarisme politique. Le projet du musée d’Orsay était dans les cartons du ministère de la culture, et M. Valéry Giscard d’Estaing a facilité sa réalisation ; le projet du Grand Louvre était porté par l’institution, et le président Mitterrand l’a rendu possible. Par contre, le Centre Pompidou a été littéralement imposé contre tout le monde par le président Pompidou. À l’époque, la machine du ministère de la culture – je ne parle pas des ministres, qui l’adoraient – haïssait le Centre Pompidou qui avait commis le crime de lèse-majesté d’absorber un musée, en ambitionnant d’avoir une vocation plus large, et qui était le premier établissement public à se gérer de manière autonome, ce qui était totalement révolutionnaire. De la même manière, la création du musée du quai Branly a été très violente car elle faisait suite à la volonté du président Chirac de retirer les collections de deux musées pour les installer dans un nouveau bâtiment géré différemment. Nous avons profité de ce choc pour essayer de donner un certain nombre de directions nouvelles à l’institution.

La construction de l’établissement s’est déroulée sans encombre. Les relations avec l’architecte Jean Nouvel ont été très bonnes. Celui-ci a gagné le concours parce que son projet était le meilleur, il répondait parfaitement au nôtre, à commencer par l’absence de division par salles. Ce musée a été ouvert sans aucun contentieux non purgé, contrairement au Centre Pompidou et à la Bibliothèque nationale de France. Aujourd’hui, le bâtiment nous donne entièrement satisfaction, il est sain et ne présente pas de difficultés majeures, si ce n’est des besoins d’entretien, en particulier en raison d’une fréquentation qui s’est révélée supérieure aux estimations initiales.

Notre système de fonctionnement repose sur quelques principes, dont certains sont empruntés à l’expérience du Centre Pompidou.

Le premier est l’importance que nous accordons à la recherche et notre appui sur un groupe d’ethnologues. Dans la bagarre et les discussions sur le projet du musée du quai Branly, Claude Lévi-Strauss a été un des premiers à le soutenir, considérant que l’ethnologie traditionnelle fantasmée par certains au musée de l’Homme – l’explorateur avec son casque partant interroger les Indiens d’Amazonie sur leurs systèmes de parenté – était belle et bien révolue. En effet, aujourd’hui, l’ethnologie s’intéresse à la cognition, à la perception, aux rapports entre minorités au sein d’une société – les ethnologues ont par exemple été largement mis à contribution sur le mariage pour tous, par exemple. Ainsi, notre département de la recherche, aujourd’hui dirigé par une Franco-américaine, a été pour nous une source d’inspiration.

Le deuxième principe est de dire que « mettre le monde en bouteille » ne fait plus sens. Aujourd’hui, un enfant de dix ans ne vient pas voir une succession de vitrines devant lesquelles seraient inscrits les mots « papou », « baoulé », « dogon ». La vie d’une femme dogon ne peut pas être exprimée à travers une vitrine. C’est pourquoi nous avons pris la décision radicale de diviser les surfaces en deux parties, une partie consacrée aux expositions permanentes et une partie aux expositions temporaires. La première a été réalisée de façon neutre : les objets y sont présentés avec des cartes et un minimum de commentaires, mais sans volonté idéologique de démonstration. La seconde, au contraire, est très engagée avec une démonstration de l’auteur ; une dizaine d’expositions de ce type sont organisées chaque année – je citerai « Qu’est-ce qu’un corps ? », « La fabrique des images », etc.

En outre, nous avons décidé que les conservateurs du musée n’auraient pas le monopole des expositions présentées au musée. À l’exception du Grand Palais, la grande majorité des expositions d’un musée sont réalisées par les équipes permanentes de conservation. Selon moi, il était très important que les expositions ne soient pas nécessairement le reflet d’un état de la pensée et c’est pourquoi que nous avons organisé, à plusieurs reprises, des expositions défendant des points de vue presque contradictoires. Ce fut le cas avec l’exposition « Polynésie », qui présentait des objets polynésiens sous l’angle d’un amateur d’art premier, Jacques Kerchache, puis, deux ans plus tard, avec une exposition très militante, très subjective, que nous avons entièrement confiée au musée Te Papa de Wellington.

Nous avons aussi ouvert nos programmes d’exposition à d’autres spécialistes que des ethnologues. C’est ainsi que nous avons réalisé une exposition passionnante avec Serge Gruzinski, intitulée « Planète métisse », qui présentait le point de vue d’un historien sur la circulation des idées, en particulier entre le XVIe et le XIXe siècle. Nous avons confié une exposition à Claire Denis, cinéaste, sur les diasporas africaines et l’Afrique hors d’Afrique. Nous avons également confié une exposition à Lulian Thuram, ancien joueur de footballeur, laquelle fut un des grands succès du musée.

Cette diversité est, à mes yeux, la caractéristique du musée du quai Branly. Elle est intéressante au regard de ce qui se passe en Europe, en particulier l’ouverture prochaine du Humboldt-Forum à Berlin, nouveau musée dont la philosophie s’attachera à conserver une représentation absolue, visant à l’objectivité. Notre programmation, elle, fait le pari d’une fidélisation de notre public. De fait, celui-ci est très fidèle, puisque environ 65 % de nos visiteurs ne sont pas des primo visiteurs, 25 % d’entre eux étant déjà venus plus de quatre fois. Ainsi, nos expositions permanentes et temporaires, auxquelles s’ajoutent nos conférences, spectacles, ateliers, colloques, etc., fournissent aux visiteurs une matière première qui est, selon moi, le seul moyen de représenter de manière stimulante l’infinie diversité de la réalité du monde non européen. S’ajoute à cela une politique dans le domaine de la création, à travers par exemple notre biennale de la photographie, Photoquai.

Le musée du quai Branly est un établissement public à caractère administratif. Lors de sa création par un décret de décembre 1998, il était une toute petite structure, avec les six conservateurs du Musée national des arts africains et océaniens (MAAO) et autant du musée de l’Homme. Il fallait choisir entre deux modèles de fonctionnement. Le premier, dans lequel les musées n’ont pas de personnalité juridique, avec des personnels affectés par l’administration centrale du ministère de la culture, un budget relevant du ministère, et des expositions temporaires produites et réalisées par la Réunion des musées nationaux. Le second, conçu par Georges Pompidou en réaction contre ce monde des musées, dans lequel les musées ont une autonomie complète – le Centre Pompidou a ouvert avec ses propres conservateurs, agents de billetterie, agents comptables et même ses pompiers.

Nous avons essayé de trouver une voie médiane avec l’externalisation massive de nos métiers non scientifiques. Il ne s’agissait pas pour nous d’inventer un modèle idéal de gestion, encore moins de considérer les fonctionnaires comme moins efficaces que des agents privés. À l’époque, le Centre Pompidou était le seul établissement public ; le Grand Louvre était une sorte de faux établissement public puisque Pierre Rosenberg, au début de son mandat, n’avait autorité sur pratiquement aucun de ses personnels ; Versailles, en raison des bagarres entre les conservateurs du patrimoine et ceux des monuments historiques, s’était vu affecter un président extérieur. Et c’est Jean-Jacques Aillagon qui a étendu au musée d’Orsay, au musée Guimet et au musée du quai Branly le système des établissements publics.

Dans ce système, les agents sont soit des agents de l’établissement, soit des agents détachés, et le président dirige son établissement. Selon moi, ce statut a permis – et le Centre Pompidou en est le meilleur exemple – une très grande modernisation des musées en France, en particulier de l’offre dont la production a été démultipliée depuis une trentaine d’années. Songez à l’invention de l’atelier des enfants au Centre Pompidou, aux politiques d’adhésion, aux rapports avec les comités d’entreprise, qui n’existaient pas avant ce statut d’établissement public.

Nous voulions disposer d’une équipe cohérente, sans fonctionner exactement comme le Centre Pompidou qui a ses propres pompiers ... .Pour faire fonctionner notre musée, qui accueille entre 1,3 et 1,5 million de visiteurs par an, une équipe de 450 personnes est nécessaire. Avoir une équipe de cette taille de manière permanente ne permet pas de leur offrir des possibilités de carrière suffisantes, mais avoir des personnels affectés et gérés directement par le ministère relève du système antérieur.

C’est pourquoi le système que nous avons imaginé, qui a plutôt bien fonctionné jusqu’à présent, malgré quelques inconvénients sur lesquels je pourrai revenir, consiste à externaliser, comme le font tous les musées pour une partie de leur mission, mais d’une manière originale : nous passons un marché avec une entreprise – pour l’heure, nous en sommes à notre deuxième partenaire – qui travaille elle-même avec de multiples co-traitants et sous-traitants et qui gère l’entretien, l’accueil, la surveillance, avec une obligation de résultat, mais pas les métiers scientifiques liés au musée. Sur les 250 agents payés par l’établissement public, 25 sont des fonctionnaires détachés, les autres des contractuels à durée indéterminée.

Ce modèle nous permet d’offrir un service de qualité, en particulier en faisant sortir le musée de ses murs. Le musée multiplie les partenariats en région : nous avons organisé une série d’expositions en Ardèche ; nous avons signé un accord avec la ville du Mans pour y organiser régulièrement des expositions. Et nous nous projetons de plus en plus à l’extérieur, en particulier en Asie. Les deux tiers de nos expositions tournent, c’est-à-dire sont soit directement coproduites, soit revendues à d’autres musées en Europe ou aux États-Unis, ce qui permet d’en diminuer les coûts de production.

Ainsi, le musée du quai Branly est un musée à part, en particulier sur le plan diplomatique. La fonction que nous pouvons jouer dans ce domaine est très particulière, à la fois par notre présence à l’étranger et par les expositions que nous accueillons. Notre grande exposition sur les Philippines organisée cette année a rencontré un succès correct en France, mais a eu un impact considérable sur les relations entre la France et les Philippines. Nous avons été approchés au début de l’année par le nouveau gouvernement mexicain qui souhaite vivement voir organiser dans nos murs pour le deuxième semestre de l’année 2014 la plus grande exposition sur les Mayas jamais réalisée. Nous allons donc déplacer en 2015 l’exposition que nous avions prévue sur la Nouvelle-Guinée pour accueillir une exposition coréalisée par le Mexique, Belize, le Honduras et le Guatemala. Autant d’exemples qui montrent que notre musée peut être un instrument diplomatique.

Mme Colette Langlade. Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir fait voyager dans le monde entier…

Votre musée, ouvert il y a sept ans, fait partie de la demi-douzaine de musées les plus visités de notre pays, avec plus de 1,5 million de visiteurs par an. Centre de recherche et d’enseignement, votre établissement ne se contente pas d’exposer, de faire découvrir, il accueille aussi les chercheurs, les étudiants, des conférences, ce qui contribue à son rayonnement international.

Votre rapport d’activité cite plusieurs chiffres très intéressants et flatteurs. Quelles catégories socioprofessionnelles visitent votre musée ? Parvenez-vous à assurer une certaine diversité sociale de vos visiteurs ?

Un grand nombre de groupes scolaires visitent votre musée. Disposez-vous de données sur la nature de ces groupes ? Avez-vous des projets concernant les différents enseignements, dans un objectif de démocratisation des savoirs et de la culture ?

Les initiatives des experts du quai Branly, que je tiens à saluer, permettent à des jeunes enfants de découvrir votre musée grâce à une tablette électronique sur laquelle sont diffusées des vidéos en langue des signes française. Avez-vous d’autres projets de ce type, notamment à destination du public adulte et des personnes souffrant de handicap ?

Dans un contexte de réduction de la dépense publique, il est demandé aux établissements comme le vôtre d’augmenter leurs ressources propres. Selon votre rapport d’activité de 2011, elles sont en augmentation. Est-ce toujours le cas et quelles sont vos perspectives pour l’avenir ?

Mme Annie Genevard. Monsieur le président, l’établissement que vous dirigez a su occuper une place essentielle dans la famille des grandes institutions muséales.

Vous avez rappelé que ce musée est le fruit d’une volonté partagée entre le président Jacques Chirac et le premier ministre Lionel Jospin. Sans doute faut-il y voir l’une des clés de la réussite de cet établissement.

Jean Nouvel souhaitait que l’on s’y perde. Pour fréquenter régulièrement les musées, je peux témoigner de ce sentiment de perte de nos repères habituels. Les œuvres y sont si puissantes, si nombreuses, les choix si originaux que l’on est un peu submergé. De l’avis de tous, la lisibilité méritait d’y être améliorée. Avez-vous réussi à concilier la volonté de l’architecte et la nécessité de donner au visiteur les clés de compréhension de ces œuvres majeures ?

Vous avez souligné l’importance du fonctionnement d’une institution culturelle. Celui-ci peut représenter, en quelques années seulement, l’équivalent de l’investissement. Or vos crédits vont diminuer de 2 % à 2,5 %, conformément à la volonté de la ministre de privilégier les crédits du spectacle vivant. Comme l’explique l’entourage de la ministre, « nous avons pris dans la caisse des plus riches » – Louvre, Orsay, Opéra de Paris, Versailles, Fontainebleau, musée du quai Branly. Moins de travaux, moins d’expositions : tel est le sort réservé aujourd’hui aux grands établissements. Le risque est de voir moins d’expositions temporaires avec moins de prêteurs sollicités. Comment pensez-vous régler cette nouvelle donne budgétaire, monsieur le président ?

La ministre de la culture souhaite la circulation des œuvres. Ce sujet fait débat depuis le lancement du projet du Louvre d’Abu Dhabi. Dans une émission récente diffusée sur France Culture, le nouveau directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, a clairement indiqué que sa priorité était l’amélioration de l’accueil du public. Il est possible de faire sortir des œuvres de votre établissement sans appauvrir les collections permanentes tant vos collections sont abondantes. En définitive, monsieur le président, vous êtes plutôt un prêteur qu’un conservateur.

Mme Isabelle Attard. Monsieur le président, je tiens à vous féliciter d’avoir réussi ce challenge, qui n’était pas gagné d’avance tant la création du musée du quai Branly a suscité chez mes collègues du muséum d’Histoire naturel et du musée de l’Homme de nombreux remous. J’ai beaucoup apprécié toutes les expositions temporaires organisées dans votre musée, en particulier en 2009 avec « Tarzan », « Le siècle du jazz » ou encore « Teotihuacan », pour lesquelles les files d’attente de trois heures sous la pluie dans un calme absolu étaient le signe d’une grande réussite.

L’avenir des collections ethnologiques de votre musée, et peut-être de celles d’autres musées d’ethnologie, se pose dans un contexte de restitution des têtes maories. Aujourd’hui, les pays pillés par les explorateurs des siècles précédents pour remplir les musées européens votent des lois patrimoniales plus dures. De fait, les équipes d’archéologues français qui fouillent actuellement en Égypte ne ramènent plus rien, doivent tout laisser sur place. J’aimerais avoir votre opinion sur ces demandes de restitution ? Comment voyez-vous l’avenir de nos collections ?

Votre site internet, wwwquaibranly.fr, est très bien fait : les photos des collections sont de taille raisonnable et de très bonne qualité, et un plan indique l’emplacement des œuvres à l’intérieur du musée. Néanmoins, la page sur les conditions d’utilisation indique : « L’ensemble des contenus édités sur le site quaibranly.fr est la propriété exclusive du musée du quai Branly ou de tiers dont il a été obtenu les droits d’exploitation. Le terme "contenus" signifie tout type d’information, d’œuvre, de texte, de vidéo, de son, d’animation, de photographie ou d’image contenus dans le site ». Monsieur le président, l’immense majorité des œuvres de votre collection datant de plus de cent ans, elles font partie du patrimoine culturel de l’Humanité et de ce que nous dénommons en France le domaine public. Comment des œuvres du domaine public pourraient-elles être la propriété exclusive de votre musée ?

La réponse pourrait être qu’il s’agirait des droits d’auteur, du photographe de l’œuvre. Mais j’ai une première objection d’ordre technique. Pour qu’une photographie soit considérée comme une œuvre, elle doit avoir un caractère original, comme le mentionne la directive européenne du 29 octobre 1993. Or toutes les photos de votre site sont prises sur le même modèle : un fond neutre, une lumière de face, un angle de trois-quarts. Elles cherchent donc simplement à représenter au mieux l’œuvre photographiée, et non à être originales. Si vous craignez que le photographe qui a fait ces photos vous attaque en justice, il vous suffit de les faire refaire par un des très nombreux agents de votre musée. Ma seconde objection est d’ordre moral. Une des fonctions principales de chaque musée est de contribuer à la diffusion de la culture. Pourquoi alors ajouter des barrières juridiques à l’usage d’un domaine public qui devrait être accessible et réutilisable librement par chaque citoyen ?

En conclusion, je pense que vous auriez tout à gagner à revoir les conditions d’utilisation inscrites sur cette page obscure. Le ministère de la culture a encouragé tous les musées publics à clairement identifier les œuvres qui ont été élevées dans le domaine public : on ne peut pas faire plus explicite.

M. Rudy Salles. Monsieur le président, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue dans ce que d’aucuns considèrent comme un autre musée, celui de la République, l’Assemblée nationale où les vents feraient parfois du bien – comme les vents qui soufflent à quelques centaines de mètres de là dans vos cubes multicolores, qui dépoussièrent les diversités et les rend aimables, et qui donnent à chacune et à chacun sa place. Qu’il me soit donc permis de profiter de votre venue parmi nous pour saluer ce musée voulu par le président Chirac et qui fêtera ses dix ans en 2016.

Je tiens également à saluer le travail remarquable accompli depuis huit ans par vos équipes. Je veux tout particulièrement saluer une belle idée sur pilotis, bousculée un temps par des controverses qui ont heureusement eu pour effet de la faire avancer en suscitant la curiosité et la popularité phénoménale de cette institution.

Comment ne pas être heureux de ce succès, celui d’une rupture généreuse avec le traditionnel modèle du musée des beaux-arts, pour faire dialoguer les cultures par l’entremise de l’art en refusant toute hiérarchie entre les peuples ? Cette idée sur pilotis, qui enjambe aussi les idées reçues, est comme l’expression consubstantielle à notre époque où se croisent sans cesse les préoccupations mémorielles et la mondialisation.

Après la genèse, nous aimerions savoir comment ce musée va évoluer pour nous aider à suivre les évolutions du monde, à comprendre le monde. À cet égard, j’ai trois questions à vous poser.

D’abord, quelles conséquences identifiez-vous pour le quai Branly de la réouverture du musée de l’Homme et quelles collaborations éventuelles envisagez-vous ?

Ensuite, que pensez-vous de la Colline des musées, ce projet de passerelle métaphorique entre quelques-uns des musées parisiens de part et d’autre de la Seine ?

Enfin, au moment de la remise sur pied de l’État malien, envisagez-vous d’initier de nouvelles collaborations avec ce pays, notamment avec le musée de Bamako ?

M. Thierry Braillard. Je tiens à féliciter M. Martin de son exposé. Il a su nous expliquer comment un établissement culturel relativement jeune est parvenu à un excellent fonctionnement. Je félicite également ses équipes pour le travail accompli, la diversité des expositions, le nombre important de visiteurs – plus de 8 millions depuis l’ouverture. C’est la preuve que l’on peut construire des musées pas si chers que cela et qui donnent entière satisfaction à un large public.

Vos collections sont très diverses et nombreuses. Comment envisagez-vous la circulation de ces œuvres dans les années à venir ?

Un musée de l’homme va ouvrir prochainement à Lyon. Envisagez-vous une future collaboration entre ce musée et le vôtre ?

Mme Marie-Odile Bouillé. Merci, monsieur le président, de votre présentation. Votre musée est d’une grande beauté, il est ouvert sur le monde, sur des publics totalement différents, et vous faites un travail remarquable.

Vos mécènes sont très nombreux. Comment faites-vous pour les conserver et les multiplier ? Et quelle est la part de ces dotations privées par rapport à la dotation de l’État ?

M. Patrick Hetzel. À mon tour, je tiens à féliciter le président Martin pour le travail réalisé. Comme il l’a indiqué, le musée du quai Branly contribue au rayonnement international de notre pays.

Lors de la création du musée, il y avait une volonté politique, mais aussi l’idée d’une révolution paradigmatique par rapport à l’ethnologie elle-même. Comment vous assurez-vous du maintien dans la durée de la relation entre la dimension muséographique, d’une part, et les évolutions des disciplines scientifiques, d’autre part ?

Deux autres acteurs sont très présents, le Muséum d’histoire naturelle et le musée de l’homme, en projet, au Palais Chaillot. Comment assurer une cohérence d’ensemble, une complémentarité de vos positionnements respectifs ?

Mme Julie Sommaruga. Monsieur le président, vous avez participé à l’opération « musées populaires, musées solidaires », menée par la ministre récemment, qui a permis à des centaines de personnes démunies socialement d’accéder à notre patrimoine culturel grâce à un partenariat avec des associations caritatives.

Quelle place accordez-vous à la culture pour tous et aux missions de service public de votre musée ? Quelle politique d’ouverture menez-vous sur le long terme pour que la culture soit aussi un vecteur de lutte contre les inégalités ?

Mme Dominique Nachury. Je remercie le président Martin de sa présentation.

La politique muséale nationale reste très parisienne. Le musée du quai Branly envisage-t-il d’ouvrir des antennes dans les régions ? Sinon, quelle politique de dépôts et de prêts permettrait une meilleure circulation des œuvres en région ?

La diversification des publics est un objectif fixé à tous les musées. Est-elle une réalité dans votre musée, monsieur le président, je pense en particulier aux jeunes publics ? Que pensez-vous de l’initiative du Metropolitan museum of art (Met) qui remet une invitation gratuite à tous les élèves qui viennent dans le cadre d’une activité scolaire pour les inciter à revenir avec leur famille ?

Pour prolonger les propos de M. Thierry Braillard sur la complémentarité des musées, on peut imaginer que le musée des Confluences à Lyon compensera ce qui n’existe pas au quai Branly, à savoir les collections Inuits.

M. William Dumas. Merci, monsieur le président, pour votre exposé très intéressant.

L’établissement public du Pont du Gard, dont je suis le président, a signé une convention avec la Cité des sciences et de l’industrie en vue d’organiser des expositions dans quelques lieux en France. En tant qu’élu rural, je reste persuadé qu’il faut amener la culture au plus près de nos concitoyens.

Les expositions nomades que vous avez organisées sont d’une très grande qualité. Avez-vous fait du sur mesure en fonction des lieux d’exposition ? Qu’avez-vous conclu de ces expériences ?

Notre établissement a signé une convention avec l’Académie et reçoit 60 000 scolaires chaque année. Combien en recevez-vous dans votre musée ?

M. Paul Salen. Monsieur le président, le budget de la culture pour 2014 va subir une baisse de 2 %. Comment concilier cet objectif avec la volonté de ce splendide équipement culturel qu’est le musée du quai Branly de développer son rayonnement et sa capacité à répondre aux ambitions d’une culture aisément accessible ?

Mme Sylvie Tolmont. Quatre ans après sa mise en place, la gratuité des musées et monuments nationaux pour les jeunes de moins de vingt-six ans ressortissants de l’Union européenne enregistre un effet positif en termes d’augmentation de la fréquentation du public visé. Cependant, ce sont les jeunes issus des milieux aisés, habitués des sorties culturelles, qui profitent le plus de cette mesure, alors même qu’elle a un coût relativement élevé pour les musées et l’État via la compensation budgétaire qui tend à se répercuter sur le coût des entrées à plein tarif. Quelles conclusions en tirez-vous ?

Le musée du quai Branly mène une politique d’accessibilité au sens large. Ne pensez-vous pas qu’une politique ciblée en direction des publics éloignés des musées serait plus efficace qu’une politique de gratuité – même si dans l’idéal ces deux politiques devraient aller de pair ?

M. Stéphane Martin. Nous avons deux types de visiteurs, qui ont des demandes très différentes.

D’abord, à peu près 70 % de nos visiteurs sont des visiteurs classiques des musées, c’est-à-dire essentiellement des consommateurs culturels, des gens bien informés, typiquement une femme de plus de cinquante ans, enseignante, qui se rend à plusieurs expositions chaque année, par exemple au Grand Palais et au Centre Pompidou.

La part de notre public de région qui vient fidèlement – 40 % – est beaucoup plus importante que ce que nous avions prévu. Assez étrangement, le public intra-muros est minoritaire au quai Branly. En outre, nous recevons relativement peu de touristes, moins de 20 %, ce qui peut paraître surprenant dans la mesure où nous sommes situés au pied de la Tour Eiffel.

Ensuite, selon les années, entre 25 % et 30 % de nos visiteurs déclarent n’avoir visité aucun autre musée que le quai Branly dans l’année : ce sont des passionnés, des fidèles de notre musée.

La part de nos visiteurs de dix-huit à trente ans est de 30 %, ce dont nous sommes très fiers.

Selon les années, entre 20 % et 25 % de nos visiteurs ont une affinité personnelle avec les collections présentées au quai Branly.

Dans aucun autre pays, le musée d’ethnologie ne figure dans le groupe de tête. Si nous avons réussi à nous installer dans ce groupe de tête, c’est précisément grâce à notre politique d’expositions temporaires et de communication, qui nous amène un public très particulier.

Beaucoup de jeunes s’intéressent à notre musée, y compris des jeunes n’ayant pas l’habitude de fréquenter les musées, car la « culture pop » d’aujourd’hui, les mythologies qui font fonctionner les jeunes actuellement plongent très largement leurs racines dans des mythologies extra-européennes. Si vous demandez à un jeune qui est Sainte Suzanne ou Europe enlevée par Jupiter, vous aurez moins de chance d’obtenir une réponse correcte que si vous l’interrogez sur la différence entre l’exocannabalisme et l’endocannabilisme ou la définition d’un haka ou d’un moko. Nous jouons beaucoup sur ces phénomènes.

Nous recevons 180 000 visiteurs scolaires chaque année.

Notre budget est en baisse de 2,5 % – et même plus car à la baisse des subventions s’ajoute le prélèvement sur le fonds de roulement. Dans un contexte économique difficile, tous les musées doivent contribuer à l’effort national – il n’y a aucune raison qu’ils en soient épargnés. Le problème est que cela s’accompagne d’un « débasage ». Logiquement, un prélèvement en fonds de roulement devrait être exceptionnel ; et sur un établissement qui n’a pas de subvention, comme le centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) la communication, c’est une opération unique. Mais les services du budget expliquent qu’un prélèvement sur un établissement public subventionné ne peut se faire autrement que par une baisse de sa subvention. Or le budget de la culture est voté chaque année à partir d’une base. Par conséquent, ce débasage sera très difficile à remonter à partir des années 2014 ou 2015, même dans l’hypothèse d’un redémarrage économique.

Pour que ces économies affectent le moins possible notre production culturelle, nous avons réduit considérablement nos coûts de production par toute une série de ruses. En programmant, par exemple, une exposition sur les îles Marquises plutôt que sur le Sépik, nous réalisons des économies de transport car les objets des Marquises, collectés par les sociétés missionnaires, se trouvent essentiellement en Grande-Bretagne. Nous avons réduit le nombre de prêteurs et essayons de travailler sur des sujets nous permettant d’avoir un nombre moins important d’interlocuteurs. Lorsqu’il faut faire venir des objets de l’autre côté de l’océan, nous essayons systématiquement de trouver un coproducteur de manière à réduire les coûts de transport, de loin les plus élevés.

Les ressources propres de notre établissement s’élèvent aujourd’hui à 22 %.

Plus de 50 % de nos visiteurs ne paient pas l’entrée. Cette proportion est identique à celle du musée d’Orsay. À part les musées dont la fréquentation touristique est très importante, essentiellement Le Louvre et le Château de Versailles, la part des visites gratuites est donc très importante si l’on y ajoute la gratuité, notamment les premiers dimanches de chaque mois et pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans. De surcroît, au quai Branly, nous ne tenons pas compte de la distinction communautaire, autrement dit un Malien de vingt-trois ans ne paiera pas non plus.

Vous me demandez s’il ne vaudrait pas mieux utiliser cet argent pour encourager la venue au musée d’un public non habitué. Dans notre cas, nous avons déjà une proportion sans doute plus forte qu’ailleurs de ce public. C’est un des cœurs de notre action, en particulier avec les opérations hors les murs, comme à Montreuil et à Clichy. À chaque fois, nous essayons d’envoyer l’original et pas la copie. Lorsque nous avons organisé une opération à Cergy-Pontoise, nous avons envoyé les conservateurs du musée, des professeurs au collège de France et non des animateurs qui ont répété la parole des professeurs. Cela me semble important et intéressant, même si cela a un coût.

S’agissant de la circulation des œuvres, ma position est différente de celle de Jean-Luc Martinez car, contrairement au Louvre, nous avons d’énormes réserves – 300 000 œuvres dans nos collections, dont 3 % ou 4 % sont exposées de manière permanente, que nous essayons de faire tourner le plus souvent possible. De fait, nous sommes un musée très prêteur et essayons de répondre au mieux aux demandes de prêts et de dépôts. C’est d’ailleurs la contrepartie de ce que nous demandons aux grands musées étrangers pour nos expositions.

Pour les opérations hors les murs, nous n’envoyons pas notre savoir parisien, nous travaillons avec les musées de région. C’est ce que nous avons fait avec la conservatrice du musée de Châlons-en-Champagne qui souhaite monter une exposition sur l’Inde.

Notre collaboration avec les autres institutions est un élément clé. Nous avons une convention de dépôts et de collaborations réciproques avec le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM). Nous ferons de même avec le musée des Confluences, qui est un très beau projet appuyé sur des collections exceptionnelles. Et j’espère que nous aurons de nombreuses occasions de coopérer avec le nouveau musée de l’Homme. Je suis assez confiant car le projet scientifique tel qu’il a été rédigé par M. Mohen, qui a été directeur des collections du musée du quai Branly et du musée de l’Homme, devrait assurer une bonne cohérence. Le projet concerne un sujet que nous ne traitons pas, à savoir l’histoire de l’homme et son rapport à l’environnement. Je pense donc que ces deux institutions seront complémentaires.

Je crois vraiment à ce projet de Colline des musées, qui est déjà une réalité. Le palais de Tokyo se spécialise de plus en plus dans l’art contemporain non occidental, et nous ne chercherons pas à lui faire concurrence. Nous travaillons dans une vraie complémentarité – Jean de Loisy a été le commissaire de notre exposition « Les maîtres du désordre ». La communauté des directeurs de musée n’a jamais été aussi connectée.

La restitution des objets est un sujet sur lequel nous ne sommes pas, pour l’instant, confrontés. En effet, une grande partie de ces demandes de restitution concerne des restes humains, que nous ne conservons pas puisque nous ne sommes pas un muséum. Le cas des têtes maories relève d’un vrai débat philosophique : sont-elles des restes humains ou des restes humains devenus des objets ?

Par ailleurs, nous essayons de multiplier les coopérations avec les pays d’origine. Nous avons déjà fait deux expositions en Afrique, l’une au Mali et l’autre au Sénégal. Et nous envisageons de réaliser prochainement une exposition sur Nancy Cunard, nous l’espérons au Mali.

La formule de notre site internet sur « la propriété exclusive du musée du quai Branly » s’adresse davantage à Bill Gates qu’à un professeur des écoles. Qui plus est, elle est en grande partie infondée puisque nos collections ne nous appartiennent pas : elles sont la propriété de l’État et nous en sommes les gardiens. Comme vous le savez, chaque musée est dépositaire de sa collection, mais n’en est pas propriétaire. Nous allons donc nous pencher sur le sujet, car des améliorations peuvent être apportées. Notre objectif est de favoriser la diffusion de ces images à l’usage de tous ceux qui en ont besoin pour leurs études, leurs recherches ou leur plaisir personnel, et d’éviter d’être pillé par des utilisateurs commerciaux. En effet, si vous tapez « dogon » sur internet, vous tombez sur cinq sites marchands proposant de vous vendre des objets dogons, vrais ou faux, et nous voudrions éviter que nos photos ne se trouvent mêlées à celles de ces objets.

La direction générale attache une grande importance à l’accès au musée du public en situation de handicap. Depuis l’ouverture, nous avons réalisé de grands progrès puisque nous avons reçu les trois labels nationaux pour nos actions en faveur des personnes handicapées, et notre commission handicap se réunit deux fois par an. Aujourd’hui, l’ensemble de nos expositions comporte une introduction en langue des signes. Tous nos spectacles sont disponibles soit en langue des signes, soit par des boucles à destination des personnes malentendantes. Nos visites sont adaptées à toutes les formes de handicap, y compris le handicap mental. Pour chacune de nos grandes expositions dans la Galerie jardin, un espace tactile est disponible et des opérations sont conduites spécifiquement pour les handicapés.

Pour la ville du Mans, qui est en train de se doter d’un équipement muséal de niveau quasi international, notre objectif est de lui proposer, pratiquement gratuitement, des expositions selon les standards des très grands musées. En Ardèche dans un château privé ou en Corrèze dans un château appartenant au conseil général et dont les équipements sont limités, nous faisons des opérations sur mesure. Chaque fois que cela est possible, nous essayons de travailler avec les conservateurs des musées environnants. Notre pays dispose d’un tissu de musées de petite taille, souvent dirigés par des gens de très grande qualité, mais qui manquent souvent de moyens : ce sont nos premiers interlocuteurs et nous travaillons avec eux.

Notre mécénat représente environ 2 millions d’euros par an. Pour l’instant, la fiscalité du mécénat reste très favorable en France. Le problème est la concurrence du mécénat social et sportif qui attire de plus en plus les entreprises. Il nous faut trouver des mécènes qui s’intéressent à nos questions. Notre petite équipe réalise un travail de qualité qui, je l’espère, continuera d’augmenter nos ressources propres.

Notre musée comporte un espace dédié, la mezzanine ouest, où nous essayons d’imaginer des expositions très ambitieuses sur le plan conceptuel. C’est là que nous avons présenté la grande théorie de Philippe Descola sur la perception et la représentation de la peinture occidentale et de la peinture aborigène. Nous continuerons d’explorer ce travail. Nous avons un projet sur le rapport entre le robot et le corps humain et la manière dont la forme du corps induit des questions de perception. Vous le voyez : nous essayons de nous maintenir à la pointe de l’actualité, notamment en participant à différents groupements, comme Labex, avec les universités françaises et étrangères.

M. le président Patrick Bloche. Merci, monsieur le président, pour cette audition passionnante.

La séance est levée à onze heures quinze.

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Information relative à la Commission

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation a désigné M. Christian Kert rapporteur pour avis sur le projet de loi de finances pour 2014 pour le programme « Patrimoines » de la mission « Culture » en remplacement de M. François de Mazières.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 2 octobre 2013 à 9 heures 30

Présents. – M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Malek Boutih, M. Thierry Braillard, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, M. Ary Chalus, Mme Dominique Chauvel, Mme Valérie Corre, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Yves Daniel, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Vincent Feltesse, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Pierre Léautey, M. Dominique Le Mèner, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont

Excusés. – M. Jean-Pierre Allossery, Mme Huguette Bello, M. Jean-Louis Borloo, Mme Sonia Lagarde, Mme Lucette Lousteau, M. François de Mazières, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, M. Stéphane Travert, M. Jean Jacques Vlody