Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires culturelles et de l'éducation > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 19 février 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 26

Présidence de M. Michel Ménard, vice-président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Fuchs, dont la reconduction dans ses fonctions de président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est envisagée par M. le Président de la République, et vote sur cette nomination en application de l’article 13 de la Constitution

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 19 février 2014

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Michel Ménard, vice-président de la commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Alain Fuchs, dont la reconduction dans ses fonctions de président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), est envisagée par M. le Président de la République

M. Michel Ménard, président. Je vous prie de bien vouloir excuser le président Patrick Bloche, qui ne peut être présent ce matin.

M. Michel Herbillon. Monsieur le président, le groupe UMP demande que notre Commission mette en place une mission d’information sur la thématique « Genre et éducation ». Beaucoup de rumeurs circulent en effet, et il est important de dresser un bilan objectif de la situation.

Le plan de formation des enseignants de l’académie de Nice se donne pour objet, à la rubrique « Genre et éducation », la « déconstruction de la construction sociale des différences et des inégalités de sexe » ; il s’agit également de « cheminer vers la liberté » et d’élargir le « choix au-delà des frontières de normes de sexe et de genre ». Il s’agit là d’un document officiel, et il est légitime que la Commission se saisisse de ce problème : quelle est la place de cet enseignement dans la formation des enseignants, comme dans l’apprentissage scolaire des enfants ? Quels outils pédagogiques sont utilisés pour ces formations ?

Nous souhaitons donc que le bureau de la Commission se réunisse dès la semaine prochaine pour se saisir de cette question.

M. Rudy Salles. Au nom du groupe UDI, je soutiens cette demande. Ce que Michel Herbillon vient de lire est insupportable ! J’aimerais que la majorité respecte les points de vue des uns et des autres.

Mme Claude Greff. Je veux moi aussi appuyer cette demande ! Et je tiens à rassurer nos collègues de la majorité : s’il n’y a aucun problème concernant ce sujet, ils n’ont pas de crainte à avoir !

M. Michel Ménard. Je vous propose que nous n’engagions pas maintenant une discussion sur le fond. Je relaierai votre préoccupation auprès du président Bloche.

Conformément à l’article 13 de la Constitution, nous sommes réunis ce matin pour émettre un avis sur la nomination de M. Alain Fuchs aux fonctions de président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Je rappelle qu’aux termes de cette procédure, si l’addition des suffrages négatifs émis dans les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat atteint les trois-cinquièmes du total des suffrages exprimés, le Président de la République ne peut pas procéder à la nomination.

Je souhaite donc la bienvenue à M. Alain Fuchs, qui s’est livré au même exercice hier devant la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. Monsieur, vous êtes président du CNRS depuis le mois de janvier 2010, après dix années passées à la présidence de l’École nationale supérieure de chimie de Paris. Votre premier mandat a expiré le 20 janvier 2014 et Mme Fioraso vous a confié les fonctions de président par intérim jusqu’à la nomination d’un nouveau président. Vous nous présenterez ce matin non seulement le bilan de votre action, mais aussi les objectifs de votre second mandat et les défis que le CNRS devra relever dans les années à venir.

M. Alain Fuchs. On me demande souvent « ce qui change au CNRS », ou « ce qui a changé au CNRS » ces dernières années. Les changements sont vastes, mais je commencerai par dire ce qu’il a été possible de maintenir et de consolider : l’excellence scientifique.

La mission principale du CNRS est, selon le décret qui le régit, d’opérer « toutes recherches présentant un intérêt pour la science ainsi que pour le développement économique, social et culturel du pays ». Le CNRS est aujourd’hui le premier producteur mondial de publications scientifiques, soit plus de 70 000 publications par an, et ce chiffre augmente régulièrement. Depuis 2010, trois prix Nobel et deux médailles Fields ont récompensé des chercheurs qui ont effectué tout ou partie de leur carrière au CNRS, ou dont les recherches ont été soutenues financièrement bien avant qu’ils ne deviennent célèbres. C’est toute la difficulté de la tâche confiée au CNRS : faire confiance à des chercheurs qui ne sont pas encore reconnus, mais qui ont de beaux projets.

Le CNRS est aussi la première institution bénéficiaire de contrats de recherche européens ; en particulier, les chercheurs CNRS forment le premier contingent de lauréats des bourses d’excellence de l’European Research Council (ERC).

Enfin, le CNRS a été reconnu ces deux dernières années comme l’un des cent principaux innovateurs mondiaux par le classement Thomson Reuters – avec neuf entreprises françaises, et deux autres organismes, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l’Institut français du pétrole Énergies nouvelles (IFP).

Cette activité dans le domaine de l’innovation se traduit, entre autres, par plus de 500 dépôts de brevets chaque année, brevets qui font l’objet de 100 contrats d’exploitation ; en dix ans, ont été créées quelque 800 start-up, dont 80 % sont toujours en activité. Cela représente plusieurs milliers d’emplois.

Ces quelques indicateurs montrent que le CNRS continue de tenir son rang.

De telles performances ne s’obtiennent pas par hasard. Les succès en matière de recherche fondamentale ne vont pas de soi. Ils reposent bien sûr sur la qualité des chercheurs – il ne faut donc pas se tromper dans leur recrutement –, mais aussi sur une méthodologie d’encadrement et d’accompagnement de la recherche. Par définition, les avancées scientifiques aux frontières de la connaissance sont imprédictibles. Il convient donc de développer les recherches sur un large front de connaissances. La stratégie scientifique de long terme s’accompagne d’une méthodologie rigoureuse pour détecter les découvertes sans éparpiller les efforts – j’insiste sur ce point parfois invoqué pour dévaloriser les recherches de base. Des choix sont nécessaires car tous les projets ne sont pas bons. La stratégie dans ce domaine doit s’attacher à définir des éléments de méthode pour la sélection des bons objets de recherche, plutôt que d’essayer d’en faire une liste a priori qui risquerait de définir soit des cibles trop restrictives, soit des thématiques trop larges.

Aussi libre qu’elle doive être, la recherche est menée par des équipes qui établissent ou s’insèrent dans des programmes, dans le cadre d’une stratégie discutée, validée et accompagnée par l’équipe de direction du CNRS. Dans ces étapes, la méthodologie passe par les notions de pertinence, de prise de risque et de capacité à structurer de nouvelles communautés de recherche, en prenant en compte différents facteurs, et notamment celui de la compétition internationale. Il n’existe pas de recherche fondamentale de qualité nationale, régionale ou municipale ; la recherche est de qualité mondiale ou elle n’existe pas.

Au cours des quatre dernières années, le CNRS a consolidé et accru l’excellence de la recherche qu’il mène aux frontières de la connaissance. Il jouit d’une réputation internationale exceptionnelle. En termes d’attractivité des chercheurs, mentionnons que 30 % des chercheurs que nous recrutons chaque année sont de nationalité étrangère. Dans un contexte budgétaire tendu, cela n’allait pas de soi.

Je voudrais également dresser un bilan des quatre dernières années dans le domaine des relations entre le CNRS et ses partenaires universitaires.

Le système universitaire français est l’héritier de l’Université impériale napoléonienne, caractérisée par une gestion jacobine par filière disciplinaire, comme l’a bien montré Mme Christine Musselin dans son ouvrage La longue marche des universités françaises. L’actualité nous montre souvent qu’il n’est pas facile de se déprendre de ce modèle ancien.

Les grandes universités mondiales sont quant à elles plutôt issues du modèle humboldtien, du nom de Wilhelm von Humboldt. Elles sont multidisciplinaires, et fondées sur le principe que la création de nouveaux savoirs doit se faire à l’endroit où se trouvent les étudiants. On parle souvent d’« universités de recherche », research-intensive universities, en référence à ce modèle. L’objectif, assez largement partagé, est d’en créer quelques-unes sur le territoire français.

Mon mandat au CNRS a été placé sous le signe de l’établissement de relations stratégiques avec nos partenaires académiques, universités et grandes écoles. Cela s’est traduit par la signature d’accords-cadres avec la Conférence des présidents d’université (CPU), puis avec la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI). Concrètement, le CNRS a participé activement aux rapprochements entre établissements d’enseignement supérieur et de recherche sur un même site, sous forme de pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) et maintenant de communautés d’universités et d’établissements (COMUE). Nous nous sommes également beaucoup investis dans les projets d’initiatives d’excellence (IDEX), issus du programme Investissements d’avenir : j’ai souhaité que nous soyons membres fondateurs des structures de gestion de la grande majorité des IDEX – Aix-Marseille, Bordeaux, Paris-Saclay, Paris Sciences et Lettres (PSL)… Sur chaque site académique où le CNRS est présent, nous avons proposé, avec succès, de contribuer à la mise en place d’une stratégie scientifique de site qui s’est traduite par la signature de conventions de site, à la place des différentes conventions que nous établissions auparavant avec chacune des universités ou écoles. De telles conventions ont été mises en place et signées à ce jour à Bordeaux, à Clermont-Ferrand, à Toulouse, en Lorraine… L’objectif du CNRS dans le cadre de sa politique de site est de bien articuler la politique nationale de recherche et les différentes politiques scientifiques de site naissantes.

Voilà les points principaux que je voulais mettre en évidence pour mon mandat 2010-2013 : le renforcement de l’excellence en recherche dans une compétition mondiale exacerbée, et la politique de rapprochement stratégique du CNRS avec les universités et grandes écoles françaises, avec notamment la mise en place d’une politique scientifique de sites.

Quant à mon projet pour les quatre années à venir, en voici quelques points saillants – au-delà de l’accomplissement de notre mission principale, qui est évidemment, vous l’avez compris, de poursuivre inlassablement nos efforts en matière d’excellence dans la recherche de base.

Mon premier objectif est de renforcer encore la visibilité de la recherche française à l’international. C’est un des principaux buts de la politique de site que mène le CNRS. Une enquête très récente du Times Higher Education a montré à quel point les universités françaises manquaient de visibilité internationale ; les deux universités les plus « internationalisées » sont les deux écoles polytechniques suisses, et aucune université française ne figure dans ce palmarès. Or si la France veut continuer à jouer son rôle dans la circulation mondiale des cerveaux et des idées, elle doit offrir aux regards extérieurs quelques institutions fortes, multidisciplinaires et attractives pour les chercheurs et les étudiants. Les classements internationaux divers, on le sait, ne sont pas favorables aux universités françaises, alors que la recherche française en elle-même est reconnue et que plusieurs indicateurs attestent de sa qualité.

Le CNRS doit donc contribuer à renforcer la présence et la visibilité internationale de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Notre visibilité et notre réputation tiennent pour partie aux outils développés au cours des années pour soutenir les collaborations internationales : le CNRS pilote 105 groupements de recherche internationaux (GDRI), 160 laboratoires internationaux associés (LIA) et une soixantaine de laboratoires mixtes internationaux – ces laboratoires, implantés chez des partenaires prestigieux à l’étranger, par exemple au MIT (Massachusetts Institute of Technology) à Boston ou à l’Université de Tokyo, sont souvent de taille petite ou moyenne, mais ils sont extrêmement performants et très visibles. Ces structures constituent des aides précieuses pour l’établissement de collaborations à moyen et long terme ; elles sont très appréciées aussi bien par les chercheurs français que par nos partenaires étrangers. Le CNRS dispose également de onze bureaux installés à l’étranger, dans des pays stratégiques.

Ces outils doivent être mis, plus qu’aujourd’hui, au service de l’ensemble de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’objectif est d’élaborer conjointement avec les sites de recherche – COMUE, IDEX, etc. – des politiques internationales de recherche ciblées, s’appuyant autant que nécessaire sur les outils que le CNRS met à disposition et qui ont fait leurs preuves.

Mon deuxième objectif est la promotion de l’interdisciplinarité. Il est assez clair que le regroupement d’établissements français sur un même site – l’université de droit, celle de sciences humaines, celle de sciences et médecine, etc. – ne créera pas spontanément une grande université de recherche telle qu’on la connaît à l’étranger si l’on ne fait pas l’effort d’inciter les chercheurs et enseignants-chercheurs à traverser les frontières de leur discipline. C’est là que le CNRS fait jouer l’atout que constitue sa très large couverture disciplinaire et interdisciplinaire. La participation active du CNRS à la gouvernance des principales COMUE ou nouvelles universités – Paris-Saclay, Bordeaux, Strasbourg, etc. – devrait rendre ce mouvement irréversible.

Dans le cadre de l’élaboration de la Stratégie nationale de recherche (SNR), la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a confié au CNRS une mission de réflexion sur les problématiques transverses aux neuf défis de sociétés qui ont été identifiés, et transverses également aux thématiques des Alliances de recherche. Ces problématiques sont évidemment fortement interdisciplinaires – l’interdisciplinarité est clairement au cœur de mon projet pour le CNRS.

Mon troisième objectif est la promotion d’une innovation d’excellence, et donc le renforcement du transfert des résultats de la recherche et de la valorisation. La notion de transfert fait maintenant partie des missions de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis la loi du 22 juillet 2013. J’ai évoqué tout à l’heure les évolutions récentes en la matière, et les actions fortes du CNRS depuis quelques années pour devenir un acteur du transfert et de la valorisation. De toute évidence, nous pouvons encore faire mieux.

L’objectif est de poursuivre l’adaptation du CNRS aux nouveaux écosystèmes d’innovation – nous sommes actionnaires de différentes structures de transfert de technologie, par exemple les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) – et d’amplifier nos capacités de transfert des résultats de la recherche vers le tissu industriel. Pour cela, plusieurs mesures peuvent être mises en place.

Concernant la gestion des brevets « dormants », c’est-à-dire qui n’ont pas fait l’objet d’un contrat de licence parce que la négociation sur la propriété intellectuelle était trop longue, et que les PME n’ont souvent ni le temps ni l’énergie de travailler sur ces questions, je propose des mécanismes qui permettent de faciliter autant que possible la négociation juridique pour se concentrer sur le sujet scientifique. Cela fonctionne plutôt bien.

Nous allons mettre en place pour tous les nouveaux chercheurs recrutés au CNRS des formations qui permettront une meilleure sensibilisation aux différentes dimensions du transfert et de l’innovation.

Une politique d’amplification de la création de laboratoires communs avec des partenaires industriels va également être menée ; il en existe un certain nombre, mais nous pouvons faire mieux.

Enfin, nous allons travailler au renforcement de la phase amont de la valorisation et de l’amorçage dans les PME.

S’agissant de la contribution du CNRS à la construction d’un espace européen de la recherche, notre stratégie de participation au programme cadre Horizon 2020 comporte trois axes : information, soutien et incitation. La présence française dans le septième programme-cadre européen de recherche et de développement (PCRD) a été très bonne en qualité, mais pas suffisante en quantité de projets retenus. Si le taux de succès des projets français est bon, le retour financier global sur l’investissement français n’est en revanche pas satisfaisant : c’est une préoccupation du Gouvernement et nous la partageons. Nous avons de bonnes raisons de croire à une amélioration prochaine, car certains freins à la participation de nos chercheurs ont disparu. Nous incitons et aidons donc nos collègues à coordonner des projets européens.

Au-delà des aspects techniques, financiers et budgétaires, qui ne sont pas négligeables, il faut que l’espace européen de la recherche fasse rêver : si nous voulons construire l’Europe scientifique, cela ne doit pas être simplement une affaire de comptabilisation des dépenses et des recettes. Nos chercheurs voient dans l’Europe de la recherche l’occasion de consolider leurs réseaux scientifiques, et c’est très important. Mais l’Europe doit être une nouvelle frontière scientifique. Je viens d’être élu au Governing Board de l’organisation Science Europe, créée par différentes institutions de recherche européennes et agences de financement, et dont le rôle est de porter à Bruxelles une troisième voix, à côté de celle des États et de celle de la Commission européenne : la voix des scientifiques, qui demandent plus de science et moins de bureaucratie, plus de grands projets et de grands défis.

Mon dernier grand objectif est de rapprocher la science et les citoyens, de partager les connaissances avec le plus grand nombre, de les valoriser aussi bien dans l’espace public qu’avec les entreprises. Si le partage de la connaissance est une évidence dans une société démocratique, le partage de la production de connaissance est encore une question à explorer. Le mouvement visant à impliquer les citoyens dans les questions de science et de technologie a pris différentes formes – conférences de citoyens, débats publics, etc. On en connaît aujourd’hui les limites, notamment lorsque la science et surtout les technologies apparaissent comme monopolisées par des experts et imposées d’en haut. Le succès du Forum « Les Fondamentales du CNRS », qui s’est tenu les 15 et 16 novembre derniers en Sorbonne et qui a réuni presque 10 000 participants, est en grande partie dû au fait que le grand public a été invité à venir dialoguer avec une centaine de grands chercheurs.

Les réflexions sur la responsabilité citoyenne de la science se sont étendues depuis quelque temps à l’examen du rôle que les citoyens peuvent jouer par leur engagement en matière de production de connaissance. En ce domaine, les grandes organisations de recherche européennes et américaines, notamment la National Science Foundation (NSF), ont pris sur nous une sérieuse avance dans le domaine.

Il ne s’agit évidemment pas pour le CNRS de défendre l’idée générale d’une co-production de la connaissance, ce qui n’aurait aucun sens, mais de cibler des opérations ou domaines particuliers où le recours au crowdsourcing, c’est-à-dire à des données recueillies par une multitude de citoyens, s’est révélé fécond – c’est le cas de l’étude du climat et des variations écologiques, de la biodiversité, des mesures de radioactivité, de la qualité de l’air ou des eaux, etc. Des procédures participatives ont été développées au niveau international dans le cadre de projets rigoureusement scientifiques impliquant des données en masse qu’il serait impossible d’obtenir autrement dans des délais raisonnables.

L’intérêt de ces expériences ne change rien au fait que c’est bien de la science dans sa pointe avancée que relève la production de nouvelles connaissances fondamentales. Mais, dans ce domaine de la participation citoyenne à des recherches de grande envergure, nous sommes quelque peu à la traîne, et le CNRS peut, je crois, jouer un rôle important pour rattraper notre retard.

Voilà donc, brossés rapidement, les principaux éléments de mon projet.

L’histoire du CNRS est prestigieuse, et la recherche française ne figurerait pas à son niveau d’aujourd’hui sans ses organismes de recherche. Les valeurs portées par le CNRS – la recherche fondamentale désintéressée au service de l’accroissement des connaissances et de la prospérité du pays – sont reconnues par le grand public. J’ai la conviction que mon projet est de nature à renforcer la position du CNRS comme un des acteurs majeurs de l’enseignement supérieur et de la recherche français, européens et mondiaux, dans le cadre de relations aujourd’hui pacifiées avec nos partenaires universitaires.

Notre potentiel de recherche fondamentale a pu être préservé ces dernières années en dépit des contraintes qui pèsent sur les finances publiques. Je mesure l’importance de l’effort consenti par l’État. Durant mon mandat au CNRS, ma politique a été de contenir l’inflation de la masse salariale sans sacrifier les campagnes de recrutement, et j’ai pu préserver quelques marges de manœuvre qui m’ont permis de remettre des crédits sous forme de soutien de base dans les laboratoires. Cela s’est traduit par une baisse du niveau global d’emploi d’environ 5 % en équivalents temps plein travaillé (ETPT) en quatre ans. Cette baisse a porté principalement sur les CDD sur subvention d’État. Toutefois, à ce jour, la totalité des départs en retraite des agents a pu être compensée. Les campagnes d’emploi pour les chercheurs comme pour les ingénieurs et techniciens sont restées de bon niveau, avec un taux de renouvellement des générations de l’ordre de 2,5 %. Si l’essentiel a pu être sauvegardé, les perspectives pour le prochain triennal pourraient se révéler assez sombres, notamment en matière d’emploi, en raison de la baisse assez forte des départs en retraite prévisibles. Une réflexion devra être menée très vite. Si ma candidature est retenue pour un nouveau mandat, je proposerai des scénarios. Je considérerais comme dramatique que le CNRS ne puisse plus recruter : ce serait un signal extrêmement négatif envoyé aux jeunes qui continuent de vouloir faire de la science.

Dans ce monde incertain, la qualité de notre recherche, héritage d’un effort soutenu de la nation pendant des décennies, est un atout considérable. Nous sommes un des pôles actifs de la science mondiale multipolaire, et si nous parvenons à consolider cette position enviable, les efforts consentis pour restructurer notre système d’enseignement supérieur et de recherche, accompagnés d’une plus grande efficacité du transfert des résultats de la recherche vers le milieu industriel, contribueront notablement au redressement de notre pays. Il ne saurait y avoir de nation prospère sans recherche scientifique de qualité.

Mme Sandrine Doucet. Votre candidature à la présidence du plus prestigieux et du plus connu des organismes scientifiques arrive dans un moment intense pour la recherche française, fait – ne nous voilons pas la face – non seulement de contraintes budgétaires, mais aussi d’ambitions nationales et internationales, notamment dans le cadre européen de l’Horizon 2020 et du huitième PCRD.

Le groupe SRC tient à affirmer la grande considération dans laquelle il tient les chercheurs et les grands organismes, très loin de la vision caricaturale et préjudiciable au niveau international que nous avons connue il y a quelques années. Nous espérons que cette considération est perceptible pour tous les chercheurs.

Nulle volonté de ma part d’écarter la question de l’emploi et notamment des précaires, mais je sais qu’elle sera posée ; je note toutefois que les 685 départs à la retraite au CNRS en 2013 ont été remplacés et que Mme la ministre a annoncé, de façon générale, la résorption de l’emploi précaire dans la recherche.

Le CNRS a tout son rôle dans la politique ambitieuse mise en place par la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche votée en 2013 ; le budget pour 2014 a par ailleurs stabilisé les crédits dédiés à la recherche. Le Conseil stratégique de la recherche a également ouvert de nouvelles perspectives, et votre adhésion à cette nouvelle politique est sans équivoque, ainsi que vous l’annonciez en décembre.

« Une page est aujourd’hui tournée dans les relations autrefois compliquées et parfois conflictuelles entre les universités et le CNRS, leur premier partenaire en matière de recherche », avez-vous récemment écrit. Vous avez notamment signé de nombreux contrats de site, ce qui permet de renforcer la recherche dans les universités, où sont implantés 90 % des laboratoires du CNRS. Les crédits consacrés aux projets pluridisciplinaires ont également beaucoup progressé. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre politique de site ? Comment pensez-vous améliorer la gestion des unités mixtes de recherche (UMR) ? Serez-vous le ciment utile à la constitution des communautés d’universités ?

Vous savez que la volonté du Gouvernement est d’organiser le retour de la France dans la recherche européenne : en effet, ces dernières années ont été marquées par une inadéquation entre notre taux de participation au PCRD, qui était de 18 %, et le taux de retour, qui n’était que de 11 %. Comment le CNRS peut-il soutenir ce retour, sachant que cela se fera à partir de 2014, dans le cadre européen de l’Horizon 2020 avec un huitième PCRD en augmentation, à 80 milliards d’euros ?

Il m’est difficile d’énumérer tous les champs d’action qui s’ouvrent au CNRS, comme la mise en place de l’agenda stratégique, la question du transfert ou encore la question budgétaire du crédit d’impôt recherche (CIR). Mais je souhaiterais revenir au cœur de votre réflexion : l’excellence de la recherche dans des champs d’investigations très vastes et très divers. Mme la ministre a récemment évoqué la biologie comme « la science du XXIe siècle », évoquant la part importante de la bio-économie dans le PIB des États-Unis. Cela ouvre d’intéressantes perspectives, mais comment y associer les sciences humaines qui se sentent parfois marginalisées ?

Quels sont pour vous les grands défis scientifiques à relever ? Vous avez le droit de nous parler de chimie !

Nous avons envie et besoin également de vulgarisation, car la culture scientifique est un enjeu non seulement social et éducatif, mais aussi de rêve : la recherche est synonyme de progrès et de bien-être. C’est avec cette longue feuille de route, que l’on décline du laboratoire aux confins du monde, que le groupe SRC se prononcera pour votre reconduction.

M. Frédéric Reiss. Au nom du groupe UMP, je souligne que les échos de votre premier mandat à la tête du CNRS sont plutôt positifs, et le premier rang mondial de l’organisme que vous présidez en matière de publications montre l’excellence du travail réalisé. De plus, 90 % des Français font confiance au CNRS – certains politiques se contentent de bien moins !

Au sein du CNRS, vous avez su organiser de grands instituts, dont trois nationaux, chacun gérant la politique scientifique dans son domaine. J’ai bien noté également votre politique volontariste en matière d’interdisciplinarité. Pour reprendre une image chère à Claude Thélot, qui compare l’école à un « sanctuaire ouvert sur la société », le CNRS est un sanctuaire de la recherche scientifique, connu et reconnu, et plus que jamais ouvert sur le monde qui l’entoure. Vous avez su développer des partenariats avec les établissements d’enseignement supérieur et avec d’autres organismes de recherche comme l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ou l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ; vous contribuez ainsi à coordonner les actions de chacun.

En matière de recherche fondamentale, la France occupe, selon les classements, le troisième ou le cinquième rang mondial ; mais elle n’occupe que le seizième rang en matière d’innovation. Votre mission a aussi consisté à faire plus souvent déboucher la recherche fondamentale sur de l’innovation. Comment entendez-vous accentuer ce processus ?

La recherche mondiale évolue ; le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine ont désormais une recherche reconnue. Comment le CNRS se situe-t-il dans ce nouveau contexte international ? Vous avez évoqué les 30 % de chercheurs étrangers recrutés chaque année au CNRS : comptez-vous faire évoluer cette proposition ?

La France dispose d’un potentiel scientifique remarquable, mais hélas, nous voyons également de plus en plus de jeunes scientifiques partir à l’étranger : pensez-vous que l’on puisse rendre à la France son attrait, et faire revenir ces jeunes diplômés ?

Vous avez évoqué votre politique de conventions de site. Celle-ci donne de bons résultats, notamment à Strasbourg.

La nouvelle loi sur l’enseignement supérieur et la recherche vise à améliorer encore le rayonnement de la recherche : quelles actions concrètes envisagez-vous pour la mettre en œuvre ?

Enfin, quels sont les projets que vous regrettez de ne pas avoir pu mener à terme lors de votre premier mandat, et qui vous apparaissent désormais prioritaires ?

Je terminerai en précisant que le groupe UMP émettra un vote favorable à votre reconduction.

Mme Isabelle Attard. Monsieur Fuchs, le groupe écologiste juge votre bilan à la tête du CNRS mitigé. À l’occasion de la discussion du projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, j’ai organisé de nombreuses auditions qui ont montré que la situation n’était pas brillante. Nous assistons à une précarisation toujours plus grande des chercheurs, notamment les jeunes ; le financement des équipes est en constante réduction. Ce constat est partagé au CNRS : quatre élus du personnel au conseil d’administration se sont prononcés contre le budget primitif 2014 au mois de décembre dernier.

Il pourrait paraître banal que les agents du CNRS s’opposent à des réductions de postes. Mais ils ont également dénoncé la distribution arbitraire et opaque de la prime d’excellence scientifique (PES), qui a coûté plus de 12 millions d’euros. Au-delà des difficultés budgétaires, ce sont bien les choix politiques opérés pour répartir les crédits alloués au CNRS qui posent problème. Le conseil scientifique est parvenu à une conclusion semblable, expliquant dans une adresse à Mme Geneviève Fioraso, votée à l’unanimité le 29 mai 2013, que la situation de l’emploi dans les organismes de recherche créait « les conditions d’une catastrophe annoncée et plonge dans le désarroi toute une génération de jeunes chercheurs ».

Ce constat doit être rapproché du rapport de la Cour des comptes publié en juin 2013, qui décrit un paradoxe : l’augmentation des dépenses de l’État dans le domaine de la recherche s’est traduite par une stabilité de l’effort de recherche. Cette augmentation s’explique en effet non par la croissance des crédits budgétaires ou extra-budgétaires consacrés à la recherche – ils n’ont augmenté que de 8 % entre 2006 et 2013 – mais par les pertes de recettes dues au crédit d’impôt recherche (CIR), qui a augmenté en euros constants de 244 %, culminant en 2013 à 5,8 milliards d’euros. Dans un rapport ultérieur, la Cour a estimé qu’en rythme de croisière, le CIR coûterait 7 milliards d’euros par an, alors qu’il était initialement estimé à 2,7 milliards d’euros lors de sa réforme en 2008. Ce choix politique n’a pas eu l’effet levier escompté : l’effort de recherche publique s’est maintenu à 0,82 % entre 2002 à 2011 ; l’effort privé est passé de 1,42 % à 1,43 % ! On est bien loin des 3 % du PIB que visait la Stratégie de Lisbonne.

Pour corriger ces mauvais résultats, il faut changer de politique. Or le Gouvernement a affiché, dans sa loi de finances pour 2014, un maintien de sa stratégie en matière de recherche : ainsi, la quasi-totalité des organismes de recherche, dont le CNRS, doivent encore une fois se serrer la ceinture alors même que la politique d’appels à projets et de mise en concurrence des chercheurs et des organismes est relancée. On installe ainsi un système à deux vitesses, notamment par le biais des IDEX dont vous faites pourtant la promotion. Je sais bien, monsieur Fuchs, que vous n’êtes pas directement responsable de ces choix politiques ; mais vous en êtes l’exécutant.

Pensez-vous que les difficultés du CNRS, dénoncées par son conseil scientifique ainsi que par les représentants du personnel au conseil d’administration, pourraient être résolues si une autre politique de soutien à la recherche était engagée ?

Comment expliquer le cloisonnement des instituts, alors que vous faites la promotion de l’interdisciplinarité ?

Je terminerai par un sujet beaucoup plus grave. Trois membres du personnel du CNRS se sont suicidés en janvier 2014 ; les causes de ces drames ne sont pas connues, mais nous devons nous interroger. Les syndicats dénoncent une dégradation des conditions de travail, notamment sous l’effet d’un management qui renforce le poids de la hiérarchie et des outils de contrôle, mais aussi de la course aux publications et à l’obtention des contrats. Les risques psycho-sociaux ont des conséquences néfastes connues : il faut supprimer leurs causes et non traiter les seuls symptômes. Que fait le CNRS pour prévenir les risques psycho-sociaux aux conséquences lourdes pour les personnels comme pour l’organisation dans son ensemble ?

Compte tenu de ce bilan mitigé, le groupe Écologistes s’abstiendra sur votre reconduction.

M. Rudy Salles. Au nom du groupe UDI, je vous félicite d’avoir dirigé le CNRS avec succès, dans un contexte de grandes mutations, au premier rang desquelles la toute nouvelle autonomie des universités. En 2010, vous souligniez déjà que l’autonomie était vitale pour la recherche : elle est désormais effective.

La crise des vocations scientifiques est particulièrement inquiétante. Le CNRS entend-il jouer un rôle, et lequel, pour encourager ces vocations, en particulier les vocations féminines, encore moins nombreuses ?

On a récemment parlé de fuite des start-up et des doctorants vers la Californie et ailleurs. Les dispositifs d’accueil et les perspectives de carrière des jeunes chercheurs en France permettent-ils d’éviter que l’investissement public dans la formation ne profite à des pays et à des centres de recherche étrangers ? Comment pensez-vous améliorer l’attractivité de la France pour les chercheurs ?

La Cour des comptes a rendu en juin 2013 un rapport globalement positif sur la gestion du CNRS. Elle pointait toutefois des faiblesses : une certaine incapacité à capter les crédits de recherche européens, qui sont pourtant en croissance ; une insuffisante maîtrise des charges de personnel, qui croissent à un rythme soutenu alors que les besoins d’équipement sont criants ; une grande complexité des aides aux entreprises ; une trop faible valorisation économique de la recherche. Comment comptez-vous remédier à ces problèmes ?

Enfin, de nombreuses universités et unités de recherche ont renoncé à s’abonner à de prestigieuses revues scientifiques anglo-saxonnes, qui abusent de leur position dominante et augmentent exagérément leurs prix. La France est victime de la politique à courte vue qui a jeté les chercheurs dans la gueule du loup : ces revues font payer aux chercheurs les publications dont leur carrière dépend, tout en fixant des prix d’abonnement prohibitifs. Le CNRS entend-il mettre fin à cette politique, et favoriser des revues européennes publiées dans des langues européennes, d’accès libre, ce qui mettrait fin à cette soumission à des intérêts privés ?

Le groupe UDI votera en faveur de votre reconduction.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur Fuchs, vous avez évoqué la valorisation du travail effectué par le CNRS et parlé des nombreuses publications de cet organisme. Mais, derrière cette excellence, il y a des chercheurs et des chercheuses.

Or, depuis 2010, le CNRS a vu la suppression de 500 postes de titulaires et de 1 500 contrats à durée déterminée. Et l’examen du budget 2014 laisse supposer la disparition de 842 emplois à temps plein. Je souligne également la situation dramatique des personnels précaires : les docteurs ne peuvent pas bénéficier des mesures prévues par la loi Sauvadet. Je n’ai pas l’impression que vous ayez manifesté une grande détermination pour résoudre ces problèmes.

Les conditions de travail se sont détériorées ; certains chercheurs parlent de souffrance au travail. Mme Attard a évoqué cette situation. Comment allez-vous affronter ce problème ? Allez-vous faire preuve de plus de détermination pour arracher des moyens nouveaux pour votre organisme, ou allez-vous jouer sur le personnel d’appui, en mutualisant et en augmentant les charges de travail ? Envisagez-vous la suppression de certains laboratoires ? Bref, comment comptez-vous gérer la pénurie alors que vous affirmez vouloir rechercher l’excellence en recherche de base ?

Vous avez évoqué la loi Fioraso du 22 juillet 2013 et le rôle nouveau, ou plutôt le poids nouveau, des régions. Vous voulez à tout prix favoriser l’innovation. Quelles sont les conséquences de cette loi pour la stratégie du CNRS ? Y a-t-il d’ailleurs un changement, ou estimez-vous qu’il existe une continuité avec les politiques précédentes ?

Le groupe GDR s’abstiendra sur votre reconduction.

Mme Martine Martinel. Vous avez récemment signé un accord avec la Communauté Leibniz, portant notamment sur des travaux dans le domaine de la biodiversité et prévoyant des échanges de doctorants, la mutualisation de données, l’organisation de colloques, etc. Pensez-vous renforcer encore ce partenariat privilégié ? Avez-vous des projets similaires avec les organismes scientifiques d’autres pays de l’Union européenne ?

Mme Dominique Nachury. Dans un rapport de 2012 sur les structures de la recherche publique française, l’Académie des sciences soulevait, pour le CNRS, le problème du ratio entre masse salariale et dotation de l’État, concluant à une asphyxie : une fois payés les frais et les traitements, il ne resterait plus rien à distribuer aux équipes de recherche. Quelles mesures avez-vous prises ou comptez-vous prendre pour inverser cette tendance ? Le ratio idéal entre masse salariale d’une part, crédits de fonctionnement et d’équipement de l’autre, se situerait semble-t-il entre 60 % et 65 %. C’est un problème difficile à résoudre, puisqu’il est aussi lié à ceux du recrutement et de l’attractivité.

Quant au mille-feuille des structures visant à gérer, organiser et orienter la recherche, pensez-vous qu’il serait judicieux de le simplifier ? Comment le CNRS pourrait-il participer à cette simplification ?

M. Pascal Deguilhem. Plusieurs problèmes ont été évoqués, notamment la question des personnels : comment conjuguer les perspectives sombres que vous évoquez en matière de recrutement avec l’application de la loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire ? Les précaires sont en effet très nombreux dans les laboratoires du CNRS.

Vous avez parlé du nombre de chercheurs étrangers recrutés par le CNRS. Une circulaire pour le moins discutable a été publiée à ce sujet au mois de janvier. Il semblerait qu’elle ait été retirée, mais il est très regrettable qu’elle ait pu paraître.

M. Paul Salen. La Cour des comptes a montré que la hausse des ressources allouées au secteur de la recherche n’a pas eu l’effet escompté sur les marges de manœuvre financières des universités et des organismes de recherche, ce qui s’explique par la croissance de la masse salariale et des cotisations retraite. C’est d’autant plus inquiétant que, si la part du personnel augmente, le système public de la recherche semble peu concerné par les retombées économiques. Dans le cadre du processus d’augmentation du potentiel de recherche privée, comment pensez-vous agir pour que le secteur public joue vraiment son rôle de guide ?

S’agissant du CIR, qui représente un effort conséquent, on peut s’interroger sur son efficacité en matière de compétitivité. Si la recherche privée est insuffisante et surtout si ses liens avec la recherche publique laissent à désirer, ces ressources financières supplémentaires ne risquent-elles pas in fine de bénéficier à des entreprises déjà fortement engagées dans ce combat ?

Mme Annie Genevard. Avez-vous le sentiment d’un progrès en matière de valorisation de la recherche ? Ayant travaillé sur l’installation d’un pôle de compétitivité dans ma région, je sais bien qu’il s’agit là d’une faiblesse de notre pays. Nos entreprises ont pourtant impérativement besoin de ces transferts de technologie.

Vous avez évoqué la nécessité de susciter chez les jeunes le goût de la recherche. Le Conseil supérieur des programmes, dont je fais partie, a récemment auditionné l’astrophysicien Pierre Léna, membre de l’Académie des sciences et co-fondateur de l’association La Main à la pâte : d’après lui, l’âge d’or de la curiosité se situe avant huit ans. M. Léna déplorait aussi les très faibles résultats en mathématiques de certains élèves à la fin du collège, et l’enquête PISA conforte malheureusement ce constat. Le CNRS s’empare-t-il aussi de cette question ? Peut-il contribuer à améliorer notre système éducatif, notamment en mathématiques ?

Mme Maud Olivier. J’ai rédigé avec mon collègue sénateur Jean-Pierre Leleux un rapport intitulé « Faire connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle : un impératif ». Nous y préconisons notamment de développer les actions de médiation des chercheurs et de mieux les valoriser dans les progressions de carrière. Nous recommandons également la nomination, au sein des établissements de recherche, d’un référent à l’égalité entre les femmes et les hommes, chargé de prévenir les discriminations, et la présentation par les universités et les organismes de recherche d’un rapport annuel sur ce sujet. Nous proposons même de conditionner une partie de la dotation des organismes de recherche à la prise de mesures en faveur de l’égalité femmes-hommes. Pouvez-vous vous engager à agir dans le sens de ces préconisations ?

La Mission pour la place des femmes au CNRS travaille à la mise à jour du recensement des recherches françaises sur le genre, au-delà des sciences humaines et sociales, et sur la comparaison des recherches françaises avec celles d’autres pays. Les ubuesques polémiques actuelles ne doivent pas nous faire oublier que ce champ de recherche est fondamental pour identifier et analyser les inégalités entre les femmes et les hommes, ainsi que pour distinguer ce qui relève du biologique de ce qui relève de la construction sociale, et plus généralement pour mieux comprendre les rapports sociaux de sexe. Pouvez-vous nous assurer que les chercheurs et chercheuses qui travaillent au CNRS sur la question du genre ont le soutien de leur direction ? C’est dans des moments comme celui que nous traversons que nous avons besoin d’eux pour expliquer à nos concitoyens ce dont on parle et pour dissiper ce qui relève du fantasme.

M. Jean-Pierre Le Roch. Ma question porte sur l’encadrement des activités de recherche. Le CNRS a mis en place un dispositif de suivi des temps destiné aux chercheurs : le logiciel TEMPO doit permettre de suivre les temps consacrés par les chercheurs à différents projets nécessitant une justification – projets européens, et BPI-France, par exemple. Sont concernés les agents travaillant sur un projet de recherche, les agents qui valident ces déclarations et les administrateurs gestionnaires impliqués dans la gestion de projets nécessitant un suivi des temps.

Si l’objectif est compréhensible, on peut s’interroger sur les caractéristiques de ce nouvel outil. La recherche se fait sur un temps long, et chaque chercheur s’organise comme il l’entend : lui demander de détailler son activité par journée ou par demi-journée pose de nombreux problèmes pratiques.

Pourquoi avoir mis en place ce logiciel ? Alors que les chercheurs déclarent déjà le nombre de jours passés chaque mois à leurs projets de recherche, l’échelle de la journée, voire de la demi-journée est-elle pertinente ? Ces impératifs comptables ou administratifs ne nuisent-ils pas au temps consacré à la recherche elle-même ? Cette approche est-elle exigée par l’Union européenne, ou bien n’est-on pas ici plus royaliste que le roi ?

Plus largement, à long terme, de tels contrôles ne peuvent-ils pas constituer un frein à l’attractivité du métier de chercheur ?

M. Hervé Féron. Les personnels de l’Institut de l’information scientifique et technique (INIST), antenne du CNRS située à Vandœuvre-lès-Nancy, demandent une clarification de leurs missions. En trois ans, quatre directeurs se sont succédé, et une cinquantaine d’emplois ont été supprimés. Il paraît difficile de comprendre le sort fait à cet institut : pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ? La mission de diffusion de l’information scientifique et technique est-elle pour vous une mission de service public ?

Il semble également que l’on déplore des carences en matière d’évolution des qualifications et des métiers. Le schéma d’orientation stratégique de l’information scientifique et technique mentionne une « priorité forte pour la formation à l’INIST » : pouvez-vous, là encore, nous en dire plus ?

M. Guénhaël Huet. L’absence de coopération entre la recherche publique et la recherche privée est traditionnellement l’une de nos insuffisances, à la différence d’autres pays. Quelles initiatives prenez-vous pour jeter des ponts entre l’une et l’autre ?

Pensez-vous que la culture du résultat soit suffisamment présente au sein du CNRS ?

M. William Dumas. Le maintien de nos investissements en matière de recherche est l’une des priorités du Gouvernement. À l’avenir, comptez-vous développer la nécessaire autonomie des CNRS régionaux ? Je sais que le contrat de plan État-région en cours d’élaboration a pour priorité l’innovation : il me semble important d’en tenir compte.

Vous avez parlé d’une plus grande démocratisation de la science et de la rencontre entre la science et nos concitoyens. Je salue les initiatives que vous avez prises : comment allez-vous pérenniser ces actions ?

Mme Sophie Dion. Monsieur Fuchs, je voudrais vous interroger sur l’importance de la recherche pour l’économie. Vous allez recruter 300 chercheurs en 2014 : quels domaines allez-vous privilégier ?

Le pôle de compétitivité Arve-Industries, installé dans ma circonscription, est spécialisé dans la mécanique de précision et la mécatronique. Il est notamment partenaire de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, que vous connaissez bien. Comment le CNRS peut-il apporter son aide à ces 1 500 chercheurs ?

M. Alain Fuchs. Je vous remercie pour ces questions foisonnantes, qui témoignent du grand intérêt suscité par la recherche et par le CNRS dans cette commission.

S’agissant des rapports entre le CNRS et les COMUE, j’ai beaucoup apprécié le terme de « ciment utile » : c’est une excellente définition de notre ambition. Les communautés d’universités devront, à terme, apparaître comme des universités multidisciplinaires, quels que soient leur statut précis et leurs modes d’organisation internes, qui finalement ne regardent que nous : il est inutile, comme nous en avons la malheureuse habitude, de décrire l’infinie complexité de notre système national aux étrangers que nous recevons. Le système allemand est extrêmement compliqué, mais nos collègues allemands ne nous en parlent pas si nous ne leur posons pas de questions ! Dès lors que les COMUE auront un projet à l’échelle internationale, nous y participerons de façon très active.

Par ailleurs, nous avons progressé sur le plan technique avec la CPU et l’Agence de mutualisation des universités et établissements d’enseignement supérieur et de recherche (AMUE), mais nous n’avons pas encore réussi à mettre en place une gestion commune des UMR. Voilà, monsieur Reiss, l’un de mes regrets… Nous ne sommes pas loin du but. Il existe sur l’AMUE un rapport intéressant de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, qui montre bien ce qui a freiné ce projet. L’AMUE a aujourd’hui un nouveau directeur et les préconisations du rapport seront, je crois, mises en œuvre. Nous adhérerons à la nouvelle structure de mutualisation. Notre volonté est aujourd’hui d’aboutir au plus vite, mais je suis optimiste sur ce point ; l’essentiel, qui était le rapprochement stratégique avec les universités, est fait. Il ne s’agit pas d’aller vers des délégations globales de gestion, où c’est soit un partenaire, soit l’autre qui gère tout ; il faut travailler ensemble et aller vers la mutualisation.

Vous m’interrogez sur l’Horizon 2020 et sur les moyens de mieux réussir au niveau européen. Je crois comprendre les raisons du creux que nous avons connu au moment du septième PCRD : la vaste restructuration de notre paysage d’enseignement supérieur et de recherche, le lancement des Investissements d’avenir, avec les IDEX et les laboratoires d’excellence (LABEX), ont beaucoup occupé les chercheurs pendant plusieurs années. Je suis plutôt optimiste pour le programme Horizon 2020 et le huitième PCRD, car tout cela est maintenant derrière nous. De plus, nos taux de succès sont très bons : sur les bourses d’excellence de l’ERC, notre taux de lauréats sur le nombre total de dossiers déposés est, je crois, le meilleur de tous les pays européens. Mais nous n’avons pas suffisamment incité et aidé les chercheurs, et notamment les jeunes chercheurs, à monter leurs projets ERC. Cela vaut pourtant vraiment la peine, et c’est pourquoi nous mettons aujourd’hui en place des structures d’aide et de préparation. C’est ce qui se fait ailleurs, en Allemagne, au Royaume-Uni – les Britanniques sont d’ailleurs particulièrement bons en ce domaine, ce qui nous rend quelque peu dubitatifs lorsqu’ils nous affirment vouloir quitter l’Union européenne.

Quant à la place des sciences humaines et sociales (SHS), elle est centrale ! La force du CNRS est de couvrir l’essentiel des champs disciplinaires, des mathématiques et de la physique des particules jusqu’aux SHS, en passant par l’ingénierie. Les SHS méritent d’être soutenues en tant que telles, et je crois avoir montré au cours de mon premier mandat que je pouvais redresser les taux de recrutement en SHS, qui étaient tombés très bas – on voyait des taux de remplacement de départs à la retraite de 50 %, ce qui n’est plus le cas actuellement. Aujourd’hui, on recrute en SHS comme dans les autres instituts et disciplines.

Nous militons beaucoup pour la place des SHS dans les grands défis pluridisciplinaires, dans l’analyse des milieux et systèmes complexes : à notre sens, l’analyse doit même commencer par les sciences humaines et sociales, et non se terminer par là. Lorsque nous réfléchissons aux grands défis de société, par exemple la transition énergétique, nous devons bien sûr essayer de trouver comment stocker de l’énergie, comment construire des panneaux solaires d’un rendement supérieur à 50 %, etc. Nous avons de très beaux programmes en ce sens, par exemple pour le stockage électrochimique de l’énergie. Notre réflexion a à l’évidence besoin des sciences de la matière et de la nature. Mais développer des solutions scientifiques, puis techniques, puis technologiques et ensuite seulement expliquer au grand public ce qui va se passer, cela ne marche plus aujourd’hui ! Le débat sur les nanotechnologies l’a bien montré : demander aux SHS de n’intervenir qu’en fin de processus, pour – passez-moi l’expression – faire passer la pilule, c’est devenu impossible. Toutes ces questions sont avant tout des questions de société, et la démarche de recherche pluridisciplinaire doit nécessairement intégrer les SHS, et ce dès le début. Il y a d’ailleurs aujourd’hui une vraie mobilisation de tous les chercheurs.

Vous m’avez posé de nombreuses questions sur l’innovation, le transfert de savoirs et de savoir-faire. Le CNRS, je l’ai dit tout à l’heure, n’a pas suffisamment montré à quel point la situation avait changé : il est aujourd’hui un acteur beaucoup plus important qu’on l’imagine du transfert de connaissances. La question de l’innovation est importante, mais ce qui compte pour un organisme qui travaille beaucoup en amont, c’est plus la question du transfert que celle de l’innovation : il faut surtout établir des relations suffisamment fortes avec les entreprises pour que celles-ci puissent se saisir des connaissances et les transformer en véritables innovations. Faut-il, parce que d’autres sont beaucoup moins discrets que nous, crier nos succès sur les toits ? Je n’en suis pas sûr, mais il faut sans doute mieux faire connaître la réalité. Nous sommes désormais beaucoup mieux organisés. Le CNRS est évidemment très déconcentré sur notre territoire : les initiatives sont donc connues localement, mais l’information ne se diffusait pas toujours suffisamment.

Je souligne que tous les domaines sont concernés, y compris les SHS : un salon de l’innovation en SHS, « Innovatives SHS », s’est tenu en mai 2013. Il a réuni énormément de très petites entreprises ; la rencontre des SHS et du numérique est très fructueuse. On peut ainsi développer, par exemple, des outils d’aide à la décision de politique locale. Il y a également des initiatives très nombreuses dans le domaine du patrimoine. À l’évidence, une barrière psychologique a sauté : le transfert de connaissances et l’innovation ne posent plus de problèmes de principe.

Mais attention : il ne peut pas s’agir d’une injonction aux chercheurs ! Certains d’entre eux, qui font de la recherche fondamentale à un très haut niveau, inventent des appareils formidables pour leur recherche. Plongés dans la compétition internationale, ils n’ont pas forcément l’idée d’opérer un transfert de connaissances, et d’ailleurs ce n’est pas leur métier ! Nous cherchons donc à identifier, très en amont, des idées, des objets, des nouveautés pour lesquels personne n’a encore pensé à un transfert. Ensuite, nous ne proposons pas aux chercheurs de se détourner de leur recherche fondamentale pour se lancer dans la valorisation : si nous les y obligions, ils le feraient de toute façon mal. Nous préférons leur proposer une aide : ainsi, le financement d’un chercheur post-doctoral pour un an peut permettre de trouver une solution d’amorçage.

Cette méthode a déjà rencontré quelques succès, dans le domaine de la physique par exemple. Elle en connaîtra, j’en suis sûr, beaucoup d’autres. Les innovations de rupture viennent toujours de là où on ne les attend pas : dans le domaine de la santé, jamais des chirurgiens réunis dans une pièce fermée pour réfléchir aux instruments du futur, fussent-ils les plus brillants au monde, n’auraient inventé le laser ! Celui-ci vient en effet d’un espace mental et scientifique complètement différent. On prend aussi souvent l’exemple de la résonance magnétique nucléaire (RMN) et de l’imagerie médicale. La recherche fondamentale peut donc être une source d’innovations.

À l’autre bout de la chaîne, le nombre de PME technologiques de taille suffisante n’est malheureusement pas assez important en France.

Nous devons donc, c’est vrai, consentir plus d’efforts en matière de transferts de connaissances, en proposant des brevets, en faisant tomber les barrières inutiles dans les négociations de la propriété intellectuelle, en sensibilisant plus encore nos chercheurs – mais les jeunes recrutés au CNRS aujourd’hui ont beaucoup bourlingué, et l’idée est acquise. Cela dit, toutes les connaissances ne peuvent pas faire l’objet d’un transfert ; et on ne peut pas tout demander à la recherche : il est nécessaire de réindustrialiser notre pays et de créer un tissu de PME technologiques. Pour progresser dans ce sens, nous allons essayer de faciliter encore plus la création de start-up. Je suis plutôt optimiste sur ce point : nos laboratoires foisonnent d’initiatives, et l’idée de lancer de petites entreprises est maintenant bien acceptée. Il nous reste du chemin à parcourir pour rattraper nos amis allemands, même s’il ne s’agit pas de les copier en tous points. Mais nous voyons que la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) dispose de 2,7 milliards d’euros pour financer des projets de recherche fondamentale : essayons de faire aussi bien ! Je vous lance, vous l’avez compris, un appel discret : c’est vous, mesdames, messieurs les députés, qui votez le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Au niveau européen, nous travaillons beaucoup aujourd’hui avec nos partenaires allemands, et j’ai été content d’entendre citer la Communauté Leibniz. Nous avons également des contacts de grande qualité avec la Communauté Helmholtz, comme avec la société Max-Planck – nous travaillons notamment sur l’idée de laboratoires communs. L’axe franco-allemand nous est très cher : l’effort de recherche de nos deux pays doit représenter près de la moitié de l’effort de recherche total européen. Ces discussions sont très intéressantes et très productives, et nous permettent de nous interroger sur les forces et faiblesses des uns et des autres. Les dépenses de recherche et développement de l’Allemagne atteignent aujourd’hui les 3 % du PIB, dont 2 % correspondent à des investissements privés ; et ces investissements de R&D sont souvent plus des investissements de recherche que de développement. Il y a de la recherche, et souvent de la recherche de base, dans de grosses PME allemandes : on sait que cela participe très largement à la prospérité de ce pays.

D’autres questions portaient sur notre positionnement international, sur le taux de chercheurs étrangers en France et sur l’attractivité de notre pays, et inversement sur les départs de chercheurs vers l’étranger. Depuis mon observatoire, je ne vois pas de fuite des cerveaux. Les départs de jeunes qui s’en vont faire une thèse ou un stage post-doctoral à l’étranger sont parfaitement naturels : lorsque j’étais directeur d’une école d’ingénieurs, je les encourageais vivement. Un parcours international est toujours très instructif. On peut parler actuellement non pas de fuite des cerveaux, mais plutôt de circulation des cerveaux et des idées. Bien sûr, si la situation se dégradait considérablement, il faudrait réfléchir, mais je ne crois vraiment pas que ce soit le cas aujourd’hui. La France scientifique est attractive ; elle peut le devenir plus encore. Lorsque nous ouvrons 300 postes de chercheurs au CNRS, nous recrutons 100 chercheurs étrangers qui choisissent ces emplois pérennes qu’on leur propose à un âge moins avancé que dans certains autres pays. Nous sommes donc compétitifs sur ces sujets. Nous offrons aussi une liberté de travail formidable. Les salaires sont ce qu’ils sont, c’est-à-dire pas exceptionnels ; mais le chercheur passionné réfléchit d’abord aux conditions de travail. Ce n’est pas une raison pour ne pas bien les payer…

Nous participons donc aujourd’hui pleinement à la circulation des cerveaux. Lorsque certains chercheurs qui doivent prendre leur retraite à 65 ou 66 ans, parce que c’est la règle dans la fonction publique, sont recrutés par des universités à l’étranger – je pense à l’exemple récent de quelqu’un qui s’est vu proposer un poste par l’université de Singapour –, le CNRS essaye ainsi de travailler avec eux pour tisser des liens avec ces universités.

Il est bon que les chercheurs partent à un moment de leur carrière : il faut simplement veiller à ce qu’ils aient la possibilité de revenir.

S’agissant de l’emploi et de la précarité, nous appliquons la loi Sauvadet. Nous avons maintenant une charte du CDD. La question des précaires est une vraie question, et nous y travaillons. La loi sur les multi-employeurs ne nous a pas rendu la tâche facile : transformer en CDI le contrat de quelqu’un qui aura fait différents CDD à différents endroits est parfaitement légitime, mais nous ne sommes pas en mesure de disposer de l’information nécessaire. Nous rencontrons donc de grandes difficultés techniques, mais nous travaillons d’arrache-pied sur ce sujet.

S’agissant des risques psycho-sociaux, je suis surpris et choqué que l’on fasse le lien de façon inconsidérée – y compris dans un article paru hier soir dans Le Monde – entre les trois drames isolés que vous avez mentionnés, madame Attard, et la situation professionnelle de ces personnes qui travaillaient au CNRS, mais qui ne se sont pas suicidées sur leur lieu de travail et n’ont pas laissé d’indication qui laisserait penser qu’il existe un lien entre leur profession et leur mort. La question de la souffrance au travail est grave, et mérite mieux que ces amalgames. Nous avons mis en place des structures et un plan d’action. Dans les mêmes pages du Monde, vous pouvez d’ailleurs voir l’amalgame entre ces trois suicides récents et les conditions de travail de tous les agents d’un côté, et de l’autre un entretien avec un médecin du travail qui est au cœur des actions que nous menons. Qu’il y ait de la souffrance au travail dans la recherche, qui est de plus en plus mondialisée, de plus en plus compétitive, sans aucun doute ; que l’on dise que cette souffrance est provoquée par je ne sais quelle volonté du management du CNRS, vous imaginez bien que je ne peux pas l’accepter.

Nous avons demandé un peu de réserve sur la question des suicides : c’est un sujet trop douloureux pour être traité sans retenue. Si je dois donner des chiffres, je dirai que le taux de suicide au CNRS n’a jamais été plus élevé qu’ailleurs et que les arrêts maladie sont plutôt en diminution.

Nous avons, je le répète, un plan d’action, et nous travaillons à réduire les risques psycho-sociaux.

La circulaire à laquelle vous faites allusion, monsieur Deguilhem, et qui demandait aux directeurs de laboratoires de remplir une fiche de renseignement sur les collaborateurs étrangers du CNRS recrutés en CDD, venait d’une direction régionale. C’était une faute professionnelle, et son contenu était tout à fait hors de propos. Elle a été retirée après deux jours seulement.

Vous me demandez, madame Buffet, comment nous allons gérer la pénurie. Je voudrais revenir sur quelques chiffres. La subvention d’État au CNRS est de 2,6 milliards d’euros environ ; mais le budget total du CNRS est plutôt de 3,3 à 3,4 milliards d’euros, la différence venant des ressources propres – contrats européens, contrats ANR (Agence nationale de la recherche), contrats industriels, etc. Les seules marges de manœuvre de la direction du CNRS portent bien sur la subvention d’État, puisque les ressources propres sont directement affectées aux laboratoires. Contrairement aux chiffres donnés par le rapport de l’Académie des sciences, c’est au budget total qu’il faut rapporter la masse salariale si l’on veut analyser la situation des laboratoires ! Nous sommes donc à un ratio non pas de 80 %, mais plutôt de 60 % à 65 %. Il est trop facile, pour une institution aussi prestigieuse que l’Académie des sciences, de porter des jugements a priori sur la politique du CNRS.

Sur la subvention d’État, un peu plus de 2 milliards sont consacrés à la masse salariale – soit effectivement 80 % de la subvention d’État. Autrement dit, à budget constant
– ce qui est déjà positif dans les conditions économiques actuelles – nous devons tenter de limiter la croissance de la masse salariale si nous voulons conserver de l’argent pour les grands équipements, les grandes infrastructures de recherche, le soutien de base aux laboratoires, etc. Or cette masse croît spontanément de 1 % à 2 % par an, à effectifs constants. C’est l’équation que je dois résoudre : je ne vote pas le budget ! Bien sûr, je souhaiterais, comme mes amis allemands, que mon budget augmente de 5 % une année, de 3 % seulement la suivante, puis à nouveau de 5 % ! Je peux rêver, mais je dois regarder la réalité de notre pays. Et je souligne encore que l’État fait l’effort de maintenir notre budget, quand nos collègues espagnols ont vu le leur diminuer de 50 % en quelques années.

Pour maîtriser la masse salariale, je n’ai pas d’autre choix que de baisser le niveau d’emploi. Celui-ci a diminué, je l’ai dit, en faisant porter l’effort sur les CDD payés sur la subvention d’État, afin de maintenir autant que possible l’emploi titulaire. Voilà la politique que je mène aujourd’hui au CNRS. On peut en imaginer d’autres, comme l’arrêt des recrutements – ce qui serait catastrophique – ou au contraire l’affectation de tout le budget des soutiens de base aux laboratoires à la masse salariale ! Vous le voyez, il faut trouver les bons compromis.

S’agissant enfin de l’INIST, cela fait trois ans que je cherche à sortir cet institut de l’ornière. Pendant un long moment, vous le savez, l’INIST était un bateau ivre, avec énormément de personnels très compétents, mais des missions extrêmement mal définies ; et la direction du CNRS ne s’y intéressait pas du tout. Aujourd’hui, l’information scientifique et technique évolue de façon extraordinaire et les missions de l’INIST sont en cours de redéfinition. Je comprends l’impatience des personnels, mais il nous faut encore du temps : nous n’avons pas trouvé immédiatement le bon directeur pour mener cette évolution. Aujourd’hui, nous avons un plan d’action pour la formation scientifique et technique ; nous avons prévu des réunions avec les personnels ; nous avons mis en place un conseil de gestion de l’INIST. Des restructurations étaient nécessaires et on a tardé à les mettre en place. Nous nous en occupons. Il y aura sans doute des pertes d’emplois, mais nous nous sommes engagés à permettre aux personnels de demeurer sur le site nancéien. Je suis désolé de ce qui se passe à l’INIST, car nous n’avons vraiment aucune volonté de nous débarrasser de cet institut, bien au contraire : il demeure un outil extrêmement utile pour le CNRS et pour la nation.

M. Michel Ménard, président. Merci, monsieur Fuchs, de ces réponses très complètes.

La Commission procède ensuite au vote, en application de l’article 13 de la Constitution et dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination de M. Alain Fuchs en qualité de président du Centre national de la recherche scientifique.

En application de l’article 5, alinéa 2 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la Commission procède au dépouillement du scrutin simultanément avec la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

Nombre de votants : 36

Bulletins blancs ou nuls : 0

Abstentions : 8

Suffrages exprimés : 28

POUR : 28

CONTRE : 0

En conséquence, la Commission émet un avis favorable à la nomination de M. Alain Fuchs.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 19 février 2014 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, M. Ary Chalus, Mme Dominique Chauvel, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Yves Daniel, M. Gérald Darmanin, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Pierre Léautey, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, Mme Barbara Pompili, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. – Mme Huguette Bello, M. Patrick Bloche, M. Jean-Louis Borloo, M. Malek Boutih, M. Michel Françaix, M. Jean-Pierre Giran, Mme Sonia Lagarde, M. Dominique Le Mèner, M. Michel Pouzol, M. Jean Jacques Vlody

Assistaient également à la réunion. – Mme Virginie Duby-Muller, M. Yves Foulon