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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 28 mai 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Boissinot, président du Conseil supérieur des programmes

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 28 mai 2014

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation entend M. Alain Boissinot, président du Conseil supérieur des programmes.

M. le président Patrick Bloche. Monsieur le président Boissinot, soyez le bienvenu.

Le Conseil supérieur des programmes (CSP), institué par la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, a pour mission d’assurer davantage de transparence et de cohérence dans l’élaboration des programmes d’enseignement ; pour ce faire, il peut émettre des avis et formuler des propositions, tous rendus publics. Le CSP réunit des universitaires, des chercheurs, des spécialistes du système éducatif et des élus de la nation, parmi lesquels trois de nos collègues, Luc Belot, Sandrine Doucet et Annie Genevard.

Votre carrière d’enseignant dans le secondaire et le supérieur, ainsi que vos expériences dans l’administration de l’éducation nationale, en cabinet ministériel et à l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP) vous confèrent une vision large et diversifiée des questions au cœur de la mission du CSP. Depuis votre installation, en octobre 2013, par le précédent ministre de l’éducation nationale, le CSP a publié une charte des programmes qui présente vos principes de travail et définit la notion de « programme d’enseignement ». Vous vous êtes ensuite engagé dans l’ambitieux calendrier de travail fixé par le ministre en février 2014.

La première étape de ce calendrier concerne le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Sur ce sujet essentiel, vos propositions sont attendues d’ici à quelques jours ; mais peut-être pourrez-vous nous en dire quelques mots, en particulier – je le dis en tant que président de notre commission qui associe affaires culturelles et éducation – sur le poids que ce « triptyque » accordera à la culture.

M. Alain Boissinot, président du Conseil supérieur des programmes. Je vous remercie de votre invitation.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, le CSP a été institué par la loi d’orientation et de programmation de juillet 2013 ; il avait été précédé par le Conseil national des programmes (CNP) qui, créé par la loi de 1989, avait disparu en 2005. Il avait paru important de créer une instance chargée d’animer la réflexion sur les contenus d’enseignement. La loi de 2013 et sa mise en œuvre par M. Vincent Peillon ont cependant introduit deux données nouvelles.

La première est la composition même du Conseil, dont le législateur a souhaité qu’il réunisse non pas seulement des spécialistes, mais aussi des élus de la nation – trois députés et trois sénateurs –, ainsi que deux membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Cette composition apporte une réponse intéressante à un vieux débat : les contenus d’enseignement doivent-ils être déterminés par les représentants de la nation, en tant qu’ils expriment la volonté générale, ou par des experts ? Le CSP associe les deux catégories, dans un dialogue constructif auquel participent trois de vos collègues, ici présents. Les échanges sont libres et fructueux : aucune frontière ne sépare les personnalités qualifiées et les élus dans nos délibérations quotidiennes, et chacun s’est mis au travail avec le même enthousiasme.

M. Vincent Peillon avait par ailleurs fait le choix de confier au CSP la responsabilité de la totalité de la chaîne de fabrication des programmes. C’est un changement par rapport au CNP qui, lui, avait pour rôle de présenter des orientations générales et d’émettre un avis sur les programmes, dont l’élaboration proprement dite était l’apanage de la direction générale de l’enseignement scolaire. Notre responsabilité, lourde, englobe donc la définition des grandes orientations, la mise en place des groupes de travail qui rédigent les projets et la présentation de ceux-ci au ministre.

Ces deux originalités fortes traduisent l’ambition placée dans le CSP. De ses missions, dont quelques-unes sont fixées par la loi d’orientation, on peut retenir trois grands principes.

Le premier est la recherche de la transparence, qui impose de savoir qui fait quoi, en évitant de donner le sentiment que les programmes sont rédigés sur un coin de table par quelques experts. Il s’agit aussi de travailler de la façon la plus ouverte possible, en associant, tout au long de la chaîne, tous ceux qui peuvent avoir un avis à donner : les enseignants eux-mêmes, les experts de toutes compétences et, bien sûr, les usagers du système éducatif. La qualité d’un programme s’apprécie en fonction non seulement de sa pertinence technique, mais aussi, au moins autant, de sa capacité à être reçu par ceux qui auront à le mettre en œuvre. De ce point de vue, la participation des élus est un atout décisif.

Le deuxième principe est la cohérence. Depuis les années 90, on s’inquiète d’une construction trop éclatée des programmes, dont ne se dégagerait pas de projet d’ensemble. Or cette cohérence est essentielle pour l’efficacité des programmes : la cohérence horizontale, qui associe des matières connexes – les mathématiques, la physique et la chimie par exemple –, comme la cohérence verticale, qui évite de juxtaposer les enseignements tout au long du parcours de l’élève. La cohérence est d’ailleurs au cœur de la restructuration du système éducatif, par exemple à travers le rapprochement de l’enseignement élémentaire et du collège autour du socle commun, ou du lycée et de l’enseignement supérieur.

Cette cohérence concerne non seulement les programmes, mais aussi – c’est là l’une des nouveautés de la loi de 2013 – les procédures d’évaluation, la formation des maîtres et les outils pédagogiques, à commencer par le numérique. L’idée d’associer la définition des contenus à ces trois chantiers est un aspect important de notre mission.

Le troisième principe est la recherche d’une continuité dans l’effort. Dans le passé, l’éducation nationale a pâti de changements à répétition et de révolutions coperniciennes trop fréquentes, souvent dictées, oserai-je le dire dans cette enceinte, par les alternances politiques ou les changements de gouvernement. Les programmes doivent résolument s’installer dans une perspective de long terme, afin d’assurer une continuité de la réflexion. En ce domaine, il faut du temps pour que les idées cheminent, pour que les enseignants et les parents d’élève s’approprient les enjeux et pour que les outils s’élaborent : on ne peut bousculer les échéances. À une époque où l’urgence est reine, nous plaidons pour une relative permanence des contenus, pour que les enseignants, notamment, n’aient pas le sentiment que la vérité d’aujourd’hui est l’erreur de demain.

C’est sur la base de ces principes que nous avons engagé nos travaux en octobre dernier. La première tâche du CSP, aux termes de son décret de création, était de préparer une charte des programmes : elle a été publiée début avril. Ce texte de référence définit plusieurs principes de méthode conformes à nos engagements.

Le deuxième chantier a été de préparer la redéfinition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Le texte que nous remettrons prochainement au ministre a l’ambition, conformément à la loi de 2013 et à la demande de M. Vincent Peillon, de définir, à partir de perspectives claires permettant d’organiser les programmes, un équilibre pour l’école élémentaire et le collège. Cette ambition, déjà formulée dans les années 90 – en particulier dans un ouvrage cosigné par Luc Ferry et Jack Lang sur l’enseignement au collège –, s’est traduite dans la loi de 2005 et dans le décret de 2006 définissant le socle commun ; nous la faisons nôtre aujourd’hui, avec la volonté de répondre à plusieurs questions soulevées, depuis, sur la mise en œuvre du socle commun à partir de 2006.

J’en évoquerai deux, en commençant par la relation entre les connaissances et les compétences. Sur ce sujet, nous voudrions éviter de rallumer certaines guerres picrocholines. Connaissances et compétences doivent être associées dans le projet d’enseignement selon un juste équilibre : une compétence n’existe pas en dehors d’un savoir, et une connaissance n’a guère d’intérêt si elle n’est mise en œuvre par le moyen d’une compétence.

La deuxième question est l’évaluation du socle. Force est de reconnaître qu’au cours des dernières années, le ministère n’a pu y apporter la bonne réponse, laissant prospérer une rivalité délétère entre le livret personnel de compétences et le brevet des collèges, respectivement censés évaluer l’acquisition du socle et celle des enseignements. Une telle dichotomie n’est pas tenable : il faut réconcilier les deux évaluations.

Nous préparons également un nouveau texte de programmes pour l’école maternelle, lequel sera remis au ministre avant l’été. Il fera l’objet, comme le socle commun, d’une large consultation des enseignants et des partenaires concernés dès les premiers mois de la prochaine année scolaire. Il doit être perçu non pas comme un point d’arrivée, mais comme une proposition soumise au débat public, autrement dit comme une ouverture pour des échanges avec l’ensemble des acteurs concernés. Cette appropriation collective garantira, nous l’espérons, la qualité et la pérennité des textes fixant les programmes.

La loi de 2013 nous a aussi confié la mission de réfléchir à un parcours d’orientation et d’information sur les métiers, ainsi qu’à un parcours d’éducation artistique et culturelle. Bref, notre calendrier est chargé s’agissant des échéances proches ; d’autres chantiers déjà se profilent, auxquels nous avons commencé à nous atteler. Je pense en particulier à la redéfinition des programmes détaillés pour chaque cycle de l’école élémentaire et du collège. Le socle commun est en effet le texte global qui assure la cohérence de l’enseignement dispensé dans le cadre de la scolarité obligatoire ; mais il doit ensuite être précisé, pour chacun des cycles concernés, par des programmes dans les différents domaines disciplinaires.

Mme Anne-Lise Dufour-Tonini. Monsieur le président, vous venez de nous présenter le travail conséquent réalisé par le CSP. La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 précise les missions du CSP et lui demande de répondre à une double exigence, qui elle-même émane d’une volonté politique claire quant à la transparence du processus d’élaboration des programmes – il s’agit, comme vous l’avez rappelé, de savoir qui fait quoi – et à la cohérence entre les contenus d’enseignement, le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, les évaluations et la formation des enseignants.

Le CSP émet des avis et formule des propositions sur la conception générale des enseignements, sur l’introduction du numérique dans les méthodes pédagogiques et sur la construction des savoirs, mais aussi sur le contenu du socle commun et des programmes scolaires – en veillant à leur cohérence et à leur articulation entre les cycles –, ainsi que sur les modalités de validation de ce socle ; c’est d’ailleurs sur ce point que je souhaite vous interroger.

Vous travaillez aussi sur la nature et le contenu tant des examens scolaires que des concours de recrutement des enseignants des premier et second degrés. C’est donc une lettre de mission particulièrement ambitieuse et lourde de responsabilités qu’a confiée le ministre de l’éducation nationale à votre instance qui, comme vous l’avez rappelé, rassemble des professionnels du système éducatif reconnus pour leurs compétences et leur expertise, ainsi que des représentants de la société civile et de la nation. Vos propositions et avis, élaborés en toute indépendance, doivent permettre d’éclairer et de mener à bien les chantiers au cœur de la refondation de l’école de la République.

L’article 13 de la loi d’orientation dispose que « la scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité. Ce socle doit permettre la poursuite d’études, la construction d’un avenir personnel et professionnel et préparer à l’exercice de la citoyenneté ». La loi confirme ainsi le principe du socle commun défini par le décret du 11 juillet 2006, mais elle invite également à le faire évoluer pour qu’il devienne le principe organisateur de l’enseignement obligatoire, dont l’acquisition doit être garantie à tous.

Si l’obtention du brevet des collèges est étroitement liée à la validation complète du socle, le CSP doit nous éclairer sur son évaluation. Pour être tout à fait claire, vous avez en face de vous une ancienne principale de collège qui, chaque année, au mois de juin, s’est retrouvée face à des enseignants se demandant si l’on pouvait priver tel ou tel jeune du brevet – seul diplôme obtenu, dans certains cas – en ne validant pas son socle, ou si l’obtention du brevet validait globalement le socle. Au vu des éléments d’appréciation dont il dispose, le jury académique, souverain, se prononce en effet à la fois sur la note obtenue au brevet et sur la maîtrise du palier 3 du socle, si bien que l’attribution du brevet valide le socle. Pensez-vous que le fait de lier l’obtention du brevet à la validation du socle soit le meilleur moyen d’apprécier la maîtrise de ce dernier ? Si, comme vous l’avez laissé entendre, la réponse est non, quid de l’évaluation et quid du brevet ?

Enfin, comment, à la sortie du collège et de l’enseignement obligatoire, peut-on offrir aux jeunes qui n’ont pu valider la totalité du socle la possibilité de le faire effectivement et dans les meilleures conditions ?

M. Frédéric Reiss. Les axes de travail du CSP sont clairement définis dans la charte des programmes, laquelle définit les orientations pour les classes maternelles dès cette année et le fera pour l’école élémentaire, le collège et le lycée dans les années futures.

Le Haut conseil de l’éducation a vécu ; il a été remplacé, d’une part, par le CSP et, de l’autre, par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO), deux instances indépendantes créées à l’initiative de la majorité par la loi d’orientation de 2013. Des chercheurs, des personnes qualifiées, des parlementaires se sont mis au travail, avec l’objectif partagé de faire baisser significativement l’échec scolaire ou, mieux encore, de favoriser la réussite de tous les élèves. Les travaux du CSP et du CNESCO se recouperont-ils ? Une synergie est-elle possible entre l’élaboration des programmes et l’évaluation du système scolaire ?

« L’égalité des chances n’est pas une réalité, le sentiment d’injustice est prégnant : il ne faut pas que l’école s’accommode de cette situation », écrivais-je en 2005 dans mon rapport sur le projet de loi d’orientation pour l’avenir de l’école, dit projet de loi « Fillon ». Afin de lutter contre les inégalités, ce texte imposait l’acquisition d’un socle commun de connaissances et de compétences pour tous les élèves. Le dysfonctionnement du socle commun tient sans doute à une évaluation trop compliquée et à un livret personnel peu adapté.

La loi de refondation de l’école a confirmé le principe du socle, auquel on a adjoint le terme de « culture » cher au président Bloche. De façon assez paradoxale, parmi les cinq compétences relevées – langages fondamentaux, apprendre à apprendre, former la personne et le citoyen, les sciences et les techniques, l’activité humaine dans un monde en évolution –, la culture n’apparaît pas explicitement ; mais, aux termes de la charte, elle « sera […] définie comme l’idéal d’un bien commun à construire ». D’où ma deuxième question : comment la culture sera-t-elle déclinée dans les programmes, sachant qu’un puissant syndicat, que je ne nommerai pas, refuse la logique des compétences transversales ?

La révolution numérique permet une production exponentielle de connaissances. Le fossé se creuse inexorablement entre ceux qui ont accès au savoir par des outils numériques qu’ils maîtrisent et ceux qui n’y ont pas accès. Comment les programmes permettront-ils de lutter contre l’échec scolaire en utilisant les ressources nouvelles du numérique ?

Avec la loi de refondation de l’école, M. Peillon a imposé la morale civique et laïque contre l’instruction civique et les valeurs de la famille défendues par l’opposition. La mission du CSP relevant à la fois de l’instruction et de l’éducation, les programmes incluront des enjeux éducatifs. L’enseignement de la morale civique sera-t-il interdisciplinaire ? D’une manière générale, quelle approche opérationnelle le CSP préconise-t-il dans l’élaboration des programmes pour assurer la cohérence entre les acquis souhaitables et les enseignements dispensés, dans le respect de la liberté pédagogique des professeurs ?

Mme Barbara Pompili. Les débats sur la refondation de l’école ont beaucoup animé notre commission, et l’instance que vous présidez, monsieur Boissinot, est au cœur de cette grande réforme, tant les programmes et leur évaluation occupent une place déterminante pour réinventer l’école.

Notre système éducatif est en panne, chacun peut l’observer : 140 000 jeunes en sortent tous les ans sans diplôme, et l’ascenseur social est cassé. Lors des débats sur le projet de loi d’orientation, je suis intervenue à maintes reprises pour souligner la nécessité d’être ambitieux, de changer notre façon de concevoir l’école et l’éducation à travers plusieurs principes : laisser plus de liberté aux équipes pédagogiques, favoriser les expérimentations, travailler sur des projets collectifs, ouvrir l’école sur l’extérieur et permettre aux élèves de devenir acteurs de leur éducation.

Le CSP est l’outil idéal pour mettre en œuvre ce changement d’approche ; et comme vous le savez, les écologistes se retrouvent dans la logique du socle. Où en est la réflexion du CSP sur la notion de « curriculum », qui suggère plus de souplesse pour les professeurs dans la déclinaison des programmes et le dépassement du cadre traditionnel des disciplines ? Cette notion n’apparaît pas en tant que telle dans la charte, alors que vous y sembliez plutôt favorable.

Quid des « éducations à » l’environnement, la santé ou la citoyenneté, par exemple ? L’école ne peut plus se borner à enseigner à lire, écrire et compter ; de nombreux pays ont ainsi revu leur système scolaire en intégrant les « éducations à », qui impliquent un dépassement du cadre traditionnel des disciplines. Où en sont les réflexions du CSP à ce sujet, notamment en ce qui concerne l’éducation à l’environnement et au développement durable ? Celle-ci appelle en effet une réflexion spécifique, au même titre que le parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel, ou que le parcours d’éducation artistique et culturel.

Le découpage des programmes par année scolaire est lui aussi problématique, de même que l’inscription des élèves dans une classe en fonction de leur âge : un tel cloisonnement conduit beaucoup d’élèves à l’échec. Aussi prônons-nous davantage de souplesse dans la navigation au sein d’un cycle, ce qui suppose une autre approche des programmes que celle, rigide, qui prévaut aujourd’hui ; car donner de la souplesse est la meilleure façon de faire revivre notre idéal républicain et de mettre en œuvre l’école inclusive en faveur de laquelle nous sommes nombreux à plaider. Dans le changement d’approche que nous appelons de nos vœux, les programmes, la conception générale des enseignements et le contenu du socle sont en effet indissociables. Comment la réflexion du CSP progresse-t-elle sur ces thèmes ? Au final, l’enjeu est bien de donner plus de liberté pédagogique et de renforcer les capacités d’expérimentation, afin de conjuguer démocratisation de l’accès et démocratisation de la réussite.

J’ai conscience que les travaux du CSP sur le socle qui ont « fuité » dans la presse ne sont pas des documents de travail, mais permettez-moi deux remarques. En premier lieu, je regrette la disparition de la notion d’« apprendre à apprendre », que de nouvelles formes de pédagogie devraient faire vivre. La notion de « plaisir d’apprendre » mériterait aussi d’apparaître dans la redéfinition du socle, car il s’agit d’encourager les élèves à donner le meilleur d’eux-mêmes, à favoriser la coopération et à promouvoir une pédagogie centrée sur le développement de l’élève. Ma seconde remarque concerne l’évaluation. Les écologistes souhaitent que le projet de socle indique clairement la nécessité de sortir d’une logique de notation et de mettre fin aux compensations interdisciplinaires qui n’ont aucun sens.

Enfin, le CSP a-t-il prévu un travail spécifique sur le programme des ESPE, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation ? La création d’un socle commun et la réforme des programmes ne pourront en effet se concrétiser que si les enseignants sont formés à ces innovations.

M. Jean-Noël Carpentier. Le système éducatif français est en difficulté, et même en panne : c’est ce que révèle l’enquête de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la fameuse enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves, dite « PISA ». Cette étude montre que, dans le domaine de la compréhension de l’écrit, des mathématiques et des sciences, le niveau de la France est moyen, voire faible. Mais ce qui nous a le plus marqués, le plus choqués, nous, Français, tellement sûrs de notre école républicaine, une école que l’on veut porteuse d’espoir pour les jeunes générations, c’est que celle-ci est devenue socialement très inégalitaire, au point de compromettre, à terme, notre pacte républicain. Au-delà de la question sociale, on constate aussi que l’école reste insuffisamment adaptée au profil de chaque enfant.

Ces constats, c’est vrai, sont douloureux ; mais ils doivent agir comme un stimulant. Sur ce sujet au moins, dans ces moments troubles, la nation, j’en suis persuadé, peut se rassembler. La majorité a pris ses responsabilités en matière de refondation de l’école, dégageant de nouveaux moyens budgétaires, à des niveaux très élevés. Cette politique diffère assurément de celle conduite sous l’ancienne majorité.

Un enseignement de qualité requiert des moyens ; et peut-être en faudrait-il encore davantage ; mais il faut aussi repenser les contenus à transmettre à nos jeunes, ainsi que nos méthodes pédagogiques. C’est l’objectif de la loi d’orientation et du CSP.

Nous voulons créer les conditions d’une méthode nouvelle, afin que les évolutions des programmes se fassent dans la sérénité et au plus près des attentes de notre jeunesse et d’une société qui évolue si vite. Aujourd’hui, les enseignants comme les parents le disent, le contenu des enseignements pose problème. Les programmes scolaires sont trop chargés, trop théoriques ; ils incitent trop les professeurs à se soumettre au dogme de la note qui sanctionne l’échec au lieu d’encourager la bonne volonté. Cette forme d’évaluation génère de l’angoisse et ne favorise pas la confiance en soi.

Il faut remédier à cette situation. Pour ma part, je suis satisfait des premières orientations de vos travaux. En matière de contenus pédagogiques, la qualité doit assurément primer sur la quantité et, en matière d’élaboration des programmes, l’approche progressive doit prévaloir sur le chamboulement périodique. Si vous avez raison de dire que « le travail sur les programmes ne dépend pas d’un ministre ou d’une majorité » et qu’il doit s’inscrire dans la durée, ce travail doit aussi se faire dans la concertation la plus large, en associant l’ensemble de la communauté éducative et le peuple, car c’est de la jeunesse qu’il s’agit. L’école doit ouvrir ses portes et ses fenêtres pour rassembler notre peuple.

De ce point de vue, des formes nouvelles de concertation sur les programmes sont à mettre en place, au plus près du terrain, pour recueillir les opinions des familles et des enseignants. Cette démarche me paraît indispensable pour mobiliser les familles et renforcer le lien entre l’école et la nation. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

En outre, si les programmes doivent évoluer régulièrement, il faut aussi que les enseignants y soient bien préparés. La formation continue des professionnels est une donnée majeure pour réussir l’école de demain et, en ce domaine, la France est en retard. Vous qui avez été enseignant et recteur d’académie, vous le savez, monsieur le président : agir dans ce domaine sera une marque de reconnaissance pour les enseignants, qui en ont bien besoin.

Enfin, le fait que la réforme des rythmes scolaires ait exclu la réflexion sur les programmes a sans doute largement contribué à son incompréhension : il me paraît urgent de rapprocher ces deux chantiers pour une plus grande lisibilité et une meilleure efficacité. Dans cette optique, il faudra aussi concevoir un nouveau partenariat à vocation pédagogique entre l’éducation nationale et les communes, dont le temps périscolaire est accru, en quantité et en qualité. Si les enseignements, dans leur contenu, restent bien entendu de la responsabilité de l’État, le rôle des collectivités territoriales ne peut se résumer à celui d’un tiroir-caisse dans lequel l’État vient « piocher » pour mener à bien ses réformes, si indispensables soient-elles.

M. Yves Durand. Vous avez axé votre travail autour du socle commun et de sa définition, élément majeur de la refondation de l’école et de la reconstruction d’une véritable continuité pédagogique de l’enseignement obligatoire. On ne peut cependant détacher les programmes de ceux qui vont les appliquer, c’est-à-dire des maîtres, donc de la formation de ces derniers, autre priorité de la loi pour la refondation de l’école qui s’est traduite par la création des ESPE. Comment envisagez-vous de travailler avec celles-ci ? Quels liens entendez-vous établir entre la définition des programmes et la formation des maîtres ? Quelle formation des maîtres au socle commun, mais aussi aux compétences, pourrait être instaurée ? Comment la continuité pédagogique se concrétisera-t-elle au niveau des enseignants de l’école élémentaire et du collège ?

Mme Dominique Nachury. Le Conseil supérieur des programmes est composé de dix-huit membres, dont vous avez évoqué l’enthousiasme. Quels sont les apports – et peut-être aussi les difficultés – de la diversité de leurs origines et de leurs regards ? Les questions ne sont jamais indiscrètes, mais les réponses peuvent l’être ; je comprendrais donc votre discrétion.

Nous souhaitons l’inscription de nombreuses connaissances nouvelles dans les programmes. Nous avons auditionné récemment des membres du Conseil économique, social et environnemental sur l’éducation à l’environnement et au développement durable ; la mission d’information sur la création architecturale a entendu une aspiration à un éveil à l’architecture et à la qualité de l’espace public. Comment répondre à toutes les demandes, dans la nécessaire cohérence que vous avez rappelée ?

Enfin, les parents doivent être informés des programmes pour mieux comprendre les enjeux de l’école. Comment envisagez-vous ces relations avec les parents ?

Mme Martine Martinel. Le socle commun intègre l’apprentissage obligatoire de deux langues vivantes. L’anglais occupera-t-il une place privilégiée ? Sera-t-il l’une de ces deux langues ?

La loi a mis en place un nouveau cycle CM1-CM2-sixième. Comment les programmes peuvent-ils rendre le fonctionnement par cycles efficient ? S’il existe depuis très longtemps, celui-ci demeure en effet souvent à l’état d’incantation.

On peut lire au point 4 de la charte des programmes que « les élèves doivent bénéficier de l’univers numérique comme vecteur d’accès aux savoirs et d’échanges, et outil de coproduction qui détermine une nouvelle approche coopérative au sein de la classe ». Pouvez-vous expliciter plus concrètement ces termes auxquels nous ne pouvons qu’adhérer ?

Mme Virginie Duby-Muller. Deux enquêtes récentes de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), structure chargée de l’évaluation des politiques conduites par le ministère de l’éducation nationale, conduites sur une même génération d’écoliers, démontrent qu’en matière de lecture, les Français sont de bons décodeurs, mais pas de bons « lecteurs-compreneurs ». Que vous inspirent ces résultats, qui vont de pair avec une alerte sur les mathématiques, délaissées en primaire comme le reconnaît la directrice de la DEPP ?

Pour rester dans le domaine du code, qu’en est-il de l’initiation informatique des élèves français ? Notre système scolaire serait en retard en matière d’apprentissage du codage par rapport à des pays comme le Japon, les États-Unis ou l’Allemagne. Alors que des initiatives privées se développent en marge de l’école, à quand un enseignement du code informatique à l’école et la création d’un certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (CAPES) ou d’une agrégation d’informatique, comme le préconise le rapport audacieux – unanimement applaudi – de nos collègues Laure de La Raudière et Corinne Erhel ?

Mme Sophie Dessus. Le séisme électoral que nous venons de vivre démontre à quel point les valeurs de notre République et de notre société sont abandonnées. L’enseignement est un outil essentiel pour les rappeler. N’avons-nous pas besoin d’un retour à l’histoire, et d’abord à une histoire chronologique ? Nos jeunes n’ont plus de repères. L’autre jour, j’ai fait visiter l’Assemblée nationale à des élèves de certificat d’aptitude professionnelle (CAP). Lorsque l’huissier leur a demandé ce que leur évoquait 1789, cela a été le silence ! Il y a de quoi s’interroger… Comment enseigner les bases et les valeurs à nos élèves ?

J’évoquerai également le temps de l’enseignement. Au fil des années, les heures d’enseignement se sont réduites, en histoire-géographie comme dans les autres matières. La jeunesse est une priorité ; il y a un effort à faire pour lui donner le temps dont elle a besoin pour assimiler le socle commun.

Enfin, je discute beaucoup avec des instituteurs. S’ils se félicitent que l’on mette en place la culture et l’art à l’école, ils ont surtout besoin d’un retour à l’autorité. Comment voulez-vous, me disent-ils, que l’on enseigne si l’on n’est pas respecté ?

M. Patrick Hetzel. S’agissant du calendrier de travail du Conseil supérieur des programmes, certains échos donnent à penser qu’il y aurait déjà un peu de retard : qu’en est-il, monsieur le président ?

Au moment de la discussion de la loi pour la refondation de l’école, le Conseil supérieur des programmes a fait l’objet de longs débats, notamment s’agissant de son indépendance – M. Peillon nous avait indiqué qu’il avait vocation à être indépendant. À quel degré estimez-vous votre indépendance vis-à-vis du ministère, de l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN), des lobbies disciplinaires, et enfin des lobbies syndicaux ? Certaines organisations syndicales s’étonnent de la surreprésentation de la Fédération syndicale universitaire (FSU) au Conseil supérieur des programmes. C’est évidemment un point qui intéresse la représentation parlementaire.

Si la lettre de mission qui vous a été adressée par M. Peillon est très précise, je relève un manque – voire une méconnaissance du ministre de l’éducation nationale – quant aux évolutions récentes sur les questions pédagogiques. Une mission concernant les programmes vous a été confiée. Or nous savons aujourd’hui que ceux-ci n’ont de sens que si on les met en perspective avec des modalités pédagogiques – les évolutions récentes des sciences cognitives le montrent d’ailleurs clairement. Quelle place les sciences cognitives occupent-elles dans les débats au CSP ? Quel lien établissez-vous entre la partie substantielle des programmes et les modalités pédagogiques ? Est-ce un sujet de débat, comme cela peut l’être dans les pays dont les résultats scolaires sont autrement plus brillants que chez nous, qui occupons la vingt-cinquième place au classement PISA ?

Mme Colette Langlade. Je vous remercie d’avoir pris le temps de nous exposer vos trois grandes ambitions, monsieur le président.

J’aimerais vous interroger sur le parcours d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel. Vous devez animer une réflexion prospective sur la circulation entre le système éducatif et les besoins du monde économique et professionnel, et sur les relations entre l’économie, l’éducation et l’emploi. Pouvez-vous nous rappeler les objectifs dans ce domaine et nous éclairer sur le futur référentiel du parcours d’orientation, en particulier sur sa pluridisciplinarité ?

M. Michel Herbillon. Vous avez évoqué le parcours d’éducation artistique et culturelle dont nous approuvons tous le principe. Mais comment passer de l’incantation à des actions et à des programmes concrets ?

Ma deuxième question est d’une tout autre nature. Il y a eu beaucoup de polémiques sur ce que l’on a appelé la « théorie du genre ». Le groupe UMP avait demandé la création d’une mission d’information de la commission des affaires culturelles sur ce sujet ; la majorité ne l’a pas souhaité. Le président Bloche m’avait dit que nous pourrions l’évoquer à l’occasion de votre audition. Je me permets donc de vous interroger sur cette question, afin que nous puissions tout simplement l’objectiver en laissant de côté la polémique. Quelle est la place de la thématique du « genre » dans les programmes ? Comment cela se traduit-il dans la pédagogie et dans la formation des enseignants ? Notre attention avait notamment été appelée sur le programme de formation des enseignants de l’académie de Nice, dont les termes et la nature nous avaient interpellés.

Mme Sylvie Tolmont. Je salue la volonté de transparence dont fait preuve le Conseil supérieur des programmes, qui s’est traduite par la publication de la charte des programmes. Celle-ci rappelle les principes généraux relatifs à l’éducation et à la formation scolaire, énumérés aux articles L. 111-1 et L. 111-2 du code de l’éducation, sur lesquels doivent se fonder les programmes d’enseignement. Ainsi, ces derniers ont entre autres pour mission de « faire partager aux élèves les valeurs de la République » et de leur « faire acquérir le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité ».

L’égalité entre les femmes et les hommes figure indéniablement au nombre des valeurs républicaines, et contribue au respect de l’égale dignité des êtres humains. C’est pourquoi la loi pour la refondation de l’école a fait figurer l’objectif d’égalité des sexes parmi ses priorités. Affichant une volonté forte d’instaurer une réelle égalité entre les filles et les garçons, et entre les femmes et les hommes au sein des établissements scolaires, l’éducation nationale doit pouvoir jouer un rôle crucial dans cette vaste lutte. Pour faire avancer l’égalité entre les sexes, il faut sensibiliser les élèves à ce thème. Or le combat des femmes pour l’égalité demeure tristement ignoré des programmes scolaires. L’intégration dans les programmes d’histoire-géographie et d’éducation civique du secondaire d’un chapitre à part entière sur les combats des femmes – et de certains hommes – pour l’égalité des droits civiques et sociaux serait donc une réelle avancée. Vous semble-t-elle pertinente et possible ?

M. Guénhaël Huet. Notre pays a toujours prisé les comités consultatifs et conseils supérieurs en tout genre. Quel est donc votre sentiment personnel quant à l’utilité réelle du Conseil supérieur des programmes ? Notre collègue Patrick Hetzel vient de le rappeler, le ministère de l’éducation nationale est marqué par un fort corporatisme, voire une sorte de cogestion. J’ai du mal – et je ne suis pas le seul – à voir quel peut être le rôle réel du Conseil supérieur des programmes dans un tel environnement.

Je souhaite aussi connaître votre sentiment sur le lien qui est souvent établi entre l’apprentissage et le jeu. Depuis quinze ou vingt ans, il est à la mode de dire que l’on apprend principalement par le jeu. Je suis d’un avis contraire : on apprend dans l’effort et la difficulté, et non dans le jeu.

Enfin, je voudrais vous interroger à mon tour sur votre point de vue – ou celui du Conseil supérieur des programmes – sur cette idée latente et dangereuse d’introduire au sein de l’école, de quelque manière que ce soit, une théorie du genre.

M. Stéphane Travert. Je vous remercie, monsieur le président Bloche, de nous donner l’occasion d’entendre le président du Conseil supérieur des programmes, organe créé par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Cette grande loi a eu pour objectif de rétablir l’égalité républicaine entre tous les élèves et de leur donner les mêmes chances. Le Conseil supérieur des programmes doit veiller à définir avec précision ce que nos élèves doivent apprendre pour répondre à cet objectif.

Ma question porte sur le socle commun de connaissances, particulièrement au sein des compétences fondamentales que doit définir le Conseil, celles que le journal Le Monde a qualifiées de « troisième pilier » dans un article daté du 12 mai intitulé « Former la personne et le citoyen ». En cette période troublée pour la République, il apparaît plus que jamais nécessaire que l’éducation civique retrouve tout son sens dans l’école, et joue pleinement son rôle. Il est souvent reproché aux élus de manquer de pédagogie, notamment sur la question européenne. L’école doit aussi contribuer à sensibiliser nos jeunes au vivre ensemble, aux valeurs de tolérance et de respect, et au modèle d’édiction des règles communes qui fonde notre pacte républicain. Je me rends régulièrement dans les classes, et invite un certain nombre d’élèves à visiter l’Assemblée nationale, la maison du peuple. Quelle place entendez-vous donner à l’instruction civique et à la formation à la citoyenneté dans le socle commun ?

Mme Marie-Odile Bouillé. Dans le cadre de la refondation de l’école, le rôle du Conseil supérieur des programmes est essentiel. Les programmes scolaires, leur élaboration et leur évaluation sont en effet au cœur de la loi pour la refondation de l’école. Je tiens à insister sur deux des principes généraux relatifs à l’éducation et à la formation scolaire qui doivent être la référence pour l’élaboration des programmes : la mission de faire partager aux élèves les valeurs de la République, et l’objectif de leur faire acquérir le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité.

Une évaluation très régulière des programmes sera proposée et mise en œuvre. Par qui, comment et à quel niveau ? Quelle place préconisez-vous pour les ESPE dans la formation et l’évaluation ?

La teneur de la charte, qui fait le cœur de la refondation de l’école, est passionnante, et même enthousiasmante : il est proposé un renouveau des programmes, et de ce fait une approche nouvelle de l’éducation.

Un autre point a attiré mon attention. Dans le calendrier de vos travaux, il est prévu une présentation des programmes de l’école maternelle au printemps 2014, pour une application à la rentrée 2015. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Enfin, je suis très attachée à l’éducation artistique et culturelle. Où en sont les travaux sur ce sujet ?

Mme Julie Sommaruga. Le Conseil supérieur des programmes est un élément majeur de la refondation de l’école. Le travail que vous menez est donc très attendu. Il doit en effet garantir une meilleure réussite de tous les élèves, et de meilleures conditions de travail pour les équipes éducatives. Après dix années de casse de l’école par la droite, le Gouvernement a décidé dès juin 2012 d’élever l’éducation au rang de priorité de la nation. Cette refondation passe par davantage de moyens humains et financiers, mais elle implique aussi de repenser la pédagogie et les enseignements dispensés.

Je tiens pour ma part à insister sur l’enseignement scientifique au primaire et au collège, qui est en crise, tant nos résultats dans les matières concernées sont préoccupants. Dans le rapport sur l’enseignement des sciences au primaire et au collège que j’ai présenté en octobre dernier, j’ai évoqué l’inaccessibilité des programmes actuels, qui accumulent les notions sans construire les savoirs. Je proposais que le Conseil supérieur des programmes sanctuarise la démarche d’investigation et les travaux pratiques, en complément bien sûr de l’acquisition des fondamentaux. Il s’agit entre autres de permettre aux enfants issus de milieux très éloignés de la culture scolaire d’acquérir le goût des sciences. Comment abordez-vous l’enseignement des sciences dans le socle commun ? Comment favoriser la démarche expérimentale et les travaux pratiques ?

Par ailleurs, dans le cadre de votre mission, il vous est demandé de prendre en compte les contraintes propres aux élèves en situation de handicap. Quelles dispositions envisagez-vous à cet égard ?

Deux autres questions pour terminer : comment allez-vous créer plus de passerelles sur les contenus entre le primaire et le collège pour atténuer cette rupture pédagogique bien connue ? Quelle place accordez-vous au droit à l’erreur ?

Mme Valérie Corre. Avec le Conseil supérieur des programmes, nous donnons enfin une place au dialogue pour définir de façon indépendante ce qui doit aujourd’hui être appris à nos enfants. Les programmes scolaires doivent être conçus dans la transparence, qu’il s’agisse des acteurs, des objectifs ou des méthodes. Transparence et bienveillance sont les piliers essentiels pour redonner confiance dans l’école.

Dans le cadre des auditions que j’ai menées en tant que rapporteure de la mission d’information sur les relations entre les parents et l’école, j’ai pu constater que les parents avaient un réel besoin de connaître et de comprendre l’école. Que se passe-t-il à l’école ? Qu’apprend mon enfant, et avec quelles méthodes pédagogiques ? Quels sont les objectifs fixés ? Voilà les questions qui sont sous-jacentes dans leurs attentes. Je salue donc la volonté du Conseil, rappelée dans la charte, de proposer des programmes plus synthétiques, explicites et accessibles aux publics non spécialistes. Comment entendez-vous procéder ? Prévoyez-vous des outils particuliers à destination des parents ?

M. Yves Daniel. Je me réjouis de vos travaux, qui vont dans le sens de la mise en œuvre d’un socle de connaissances et de compétences. J’y vois une prise en compte de la pédagogie. Le mot n’est sans doute pas le plus usité dans les documents, mais j’attache beaucoup d’importance à la pédagogie, et plus précisément à la pédagogie de l’alternance.

Au-delà des contenus et des quantités, dont la charte des programmes traite abondamment, il ne faut pas oublier l’importance de la question de la qualité. Lorsque nous avons travaillé sur la loi d’avenir pour l’agriculture, nous nous sommes réjouis de voir les ministres de l’éducation nationale et de l’agriculture travailler ensemble sur cette originalité que constitue la formation agricole, placée sous la responsabilité du ministère de l’agriculture. Les passerelles entre les deux ministères me semblent importantes. Comment intégrez-vous la notion de pédagogie, en particulier la question de l’alternance, puisque celle-ci est appelée à prendre une part croissante dans les formations, dans la charte des programmes ? Comment intégrez-vous l’enseignement agricole dans la charte, sachant que celui-ci tient à la fois de la formation scolaire, donc de la formation initiale, et de la formation professionnelle ?

Enfin, je préfère la notion de valorisation des acquis et de l’expérience à la sanction par la note. C’est en tout cas ainsi que nous évoluerons vers l’apprentissage tout au long de la vie.

Mme Martine Faure. Contrairement à ce qui a été dit, nous attendons avec impatience les résultats de vos travaux : nous subissons depuis de trop longues années des programmes inadaptés.

Nous connaissons tous l’importance des premières années de la vie scolaire, donc de l’école maternelle. Sans anticiper sur la remise de vos préconisations, pourriez-vous nous dire quels sont les changements les plus significatifs prévus dans les nouveaux programmes de l’école maternelle, quelle sera la place de l’outil numérique à l’école maternelle, et enfin comment seront évalués nos tout jeunes élèves ?

Mme Maud Olivier. Dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), j’ai rédigé un rapport avec le sénateur Jean-Pierre Leleux. J’aimerais avoir votre avis sur les préconisations de ce rapport, intitulé « Faire connaître et partager les cultures scientifique, technique et industrielle : un impératif ». L’amélioration du partage des savoirs passe par l’introduction systématique des cultures scientifique, technique et industrielle (CSTI) dans le système éducatif, et par la réduction des inégalités d’accès aux savoirs et aux métiers scientifiques et techniques. Pour cela, la formation initiale et continue des enseignants doit s’inscrire dans la perspective du développement du partage des CSTI. C’est à ce prix que les élèves des ESPE et les professeurs déjà en poste pourront donner le goût des sciences aux élèves et aux étudiants et susciter des vocations scientifiques et techniques. S’agissant des ESPE, il faudra que l’examen final, et notamment les épreuves d’admissibilité, donnent une place plus importante aux compétences pédagogiques des candidats, en particulier à la pédagogie par l’expérimentation.

Les difficultés persistantes rencontrées par les femmes pour accéder aux études et aux métiers scientifiques et techniques malgré de remarquables compétences au plan académique rendent tout aussi crucial le chantier de la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes. Il est important que le partage des savoirs en direction des femmes et des filles soit enseigné, pour que le service public de l’orientation encourage davantage les jeunes filles à se diriger vers les études scientifiques et les carrières d’ingénieur et de chercheur.

Enfin, pourquoi ne pas inclure dans le cahier des charges des éditeurs de manuels scolaires une interdiction des clichés sexistes, pour ne pas dire de genre, et confier à la mission contre les discriminations entre filles et garçons du ministère de l’éducation nationale la charge de s’assurer du respect de cette interdiction ?

M. William Dumas. En créant le Conseil supérieur des programmes, nous avons montré l’importance que nous attachons à ce que nos élèves doivent acquérir et apprendre. Je me réjouis de voir inscrits dans la charte des programmes les principes généraux relatifs à l’éducation et à la formation scolaire. Je souhaiterais que nous y ajoutions l’enseignement des valeurs républicaines et celui du respect des différences, de toutes les différences. Ne convient-il pas aussi de réviser les orientations de l’enseignement de l’histoire dans les classes scientifiques ? La période actuelle nous invite à repenser cette discipline, qui doit retrouver toute sa place dans les enseignements dispensés à nos jeunes.

M. Alain Boissinot. Je vous remercie de toutes vos questions et remarques, que je prends comme autant de signes de l’intérêt porté aux travaux du Conseil et de vos suggestions, dont nous essayerons de tenir le plus grand compte.

S’agissant du fonctionnement et du rôle du CSP, j’ai bien entendu les remarques qui ont été formulées, notamment par M. Hetzel, fin connaisseur du sujet. Il me semble nécessaire, au sein du système éducatif, de prendre en compte en tant que telle la question des contenus d’enseignement, et de mener une réflexion sur ces questions qui ont longtemps paru aller de soi. Le débat sur ces sujets a émergé dans l’opinion publique et dans la vie politique à partir des années 80. Les vagues de massification successives de l’enseignement secondaire, qui touchent aujourd’hui l’enseignement supérieur, ont conduit à s’interroger sur l’adéquation entre les enseignements et des publics très nouveaux. La définition des contenus d’enseignement apparaît déjà comme une préoccupation dans la loi de 1989, comme dans le rapport de MM. Pierre Bourdieu et François Gros de la même année, qui traite précisément de cette question.

Il est important que celle-ci soit abordée par une instance ayant clairement pour mission d’y travailler, en toute transparence. Différentes solutions peuvent être envisagées : vous en avez débattu au moment de la loi de 2013. Celle qui a été retenue est la création du Conseil supérieur des programmes. Nous renouons ainsi avec l’esprit du Conseil national des programmes qui avait fonctionné entre la fin des années quatre-vingt et 2005. L’existence de cette instance est, à mes yeux, une excellente chose, même si la responsabilité qui lui incombe peut paraître écrasante. D’autres pays ont fait des choix différents, comme celui d’une agence. Vous verrez à l’usage. Au Conseil supérieur des programmes de faire ses preuves ! Mais j’espère que nous saurons répondre le mieux possible aux attentes.

Nous agirons dans la diversité de nos membres, qui est en soi une excellente chose. Le dialogue s’est noué dès le début entre des personnes d’origines et de parcours différents ; c’est une grande richesse. Nous ne prétendons bien sûr pas, à dix-huit membres, couvrir tous les champs d’expertise. Notre rôle est de conduire et d’animer une réflexion qui sollicite des compétences extérieures chaque fois que cela apparaît nécessaire. Nous mettons alors en place des groupes d’experts qui nous apportent leurs lumières. Le Conseil est en fait un groupe qui anime un chantier collectif, et qui va réunir au fil du temps de plus en plus de compétences autour de lui.

Chacun de ses dix-huit membres vient avec sa culture, son expérience, son envie de bien faire et sa bonne foi ; chacun a son parcours et son expérience ; mais nul ne se fait le porte-parole de quelque groupe ou de quelque organisation que ce soit. Je récuse donc absolument la tentation de certains, dont la presse a pu se faire l’écho, de compter les représentants supposés de tel syndicat ou de telle organisation. Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Chacun des membres du Conseil essaye d’apporter sa pierre à la réflexion collective, avec une grande liberté de pensée et de parole.

Nous le faisons en toute indépendance. Je n’ai jamais reçu de consignes des ministres de l’éducation nationale, en dehors des lettres de commande, qui sont publiques. Nous avons bien sûr un certain nombre d’interlocuteurs, dont les avis peuvent être utiles, mais qui ne sont pas pour nous des groupes de pression. Nous avons des échanges avec l’inspection générale de l’éducation nationale, dont les compétences nous sont précieuses ; mais nous les exploitons en toute liberté. Nous savons qu’il existe de nombreux groupes d’intérêts, qui représentent des disciplines, et de nombreuses organisations syndicales – c’est bien normal – qui expriment leur point de vue. Nous les rencontrons et nous les entendons, mais il s’agit d’une consultation, d’un débat collectif, et non de quelque forme de dépendance que ce soit.

En revanche, nous sommes très conscients de nos responsabilités, et du fait que nous devons être vigilants s’agissant de la capacité de l’opinion et du monde public à accepter les orientations que nous proposons. Il ne servirait à rien de jouer les provocateurs ; notre rôle est plutôt de faire émerger des points de consensus pour l’action collective. Il ne nous appartient pas d’apprécier si nous serons à la hauteur de la tâche mais nous n’avons pas le moindre doute sur l’intérêt de celle-ci.

Plusieurs orateurs ont souligné à juste titre l’enjeu que représente l’évaluation dans la question du socle commun. De fait, c’est sur ce point que la version 2006 du socle posait problème, quelle que soit la qualité du travail effectué par nos prédécesseurs. Le débat sur l’évaluation va se prolonger dans les mois qui viennent, mais le rapport que nous remettrons dans quelques jours retient d’ores et déjà quelques principes.

Ainsi, nous ne pouvons pas continuer à séparer le brevet des collèges et l’évaluation du socle : la même procédure d’évaluation doit valider le socle et les programmes, parce que c’est en fait la même chose.

De plus, cette procédure doit être simple et compréhensible par tout le monde – non seulement par les élèves, mais aussi par les parents. Dans le passé, et quelle que soit la bonne volonté des uns et des autres, les procédures retenues étaient devenues très difficiles à gérer, très compliquées pour les chefs d’établissement comme pour les enseignants, ce qui n’a pas permis de faire du bon travail. Nous prônerons donc un certain nombre de principes permettant de définir une procédure plus simple et plus transparente.

Par ailleurs, il faut non seulement prévoir une évaluation à chaque étape importante du parcours de progression des élèves, c’est-à-dire à chaque fin de cycle – puisque le décret du juillet 2013 fait du cycle la référence –, mais il faut aussi, et de façon complémentaire, une validation à la fin de la scolarité obligatoire, laquelle devra évidemment s’appuyer, au moins pour partie, sur le travail d’évaluation effectué au long du parcours. Les procédures que nous allons proposer seront donc marquées par une importante simplification – au moins pour ce qui concerne le livret personnel de compétences – et conduiront à une révision en profondeur du brevet des collèges, dont on peut facilement montrer aujourd’hui qu’il n’est pas satisfaisant.

Nous proposons d’organiser ce travail d’évaluation des connaissances et des compétences des élèves autour des cinq domaines qui composent le socle commun.

Le premier concerne les différents langages indispensables pour structurer sa pensée et pour communiquer : la langue française, qu’il faut bien sûr maîtriser, mais aussi au moins deux langues étrangères ou régionales – dont l’anglais, désormais difficilement contournable –, certains langages scientifiques comme les mathématiques et le numérique, et tous les outils de communication – les médias, Internet – permettant les échanges dans nos sociétés.

Le deuxième – qui n’a pas disparu, je peux vous rassurer sur ce point – concerne les façons d’apprendre. L’expression « apprendre à apprendre » est un peu stéréotypée et connotée, mais l’idée est bien là : maîtriser un certain nombre de méthodes et d’outils permettant d’avancer dans les apprentissages, non seulement lors de l’acquisition du socle, mais aussi dans la suite du parcours de formation et tout au long de la vie.

Le troisième domaine, essentiel, est relatif à la formation de la personne et du citoyen. L’école doit en effet assumer à la fois ses missions d’éducation et d’instruction, la difficulté étant de parvenir à articuler les deux.

Le quatrième domaine, relatif à l’observation et à la compréhension du monde, regroupe avec une forte volonté de cohérence les enjeux liés aux sciences et aux techniques.

Enfin, le cinquième domaine concerne les différentes représentations du monde, c’est-à-dire la manière dont, à travers les langages littéraires, la culture, l’histoire, la géographie, les hommes tentent de comprendre le monde dans lequel ils vivent.

Si nos propositions sont suivies, chacun de ces domaines sera divisé en quatre types de connaissances et de compétence sur lesquels portera l’essentiel de l’évaluation.

L’évaluation pose également la question du fonctionnement du système éducatif. Dans ce sens-là, il s’agit d’évaluer non plus les élèves et leur progrès, mais le système en tant que tel. Bien évidemment, nous travaillons sur ce point en lien étroit non seulement avec le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO), avec la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), avec l’inspection générale de l’éducation nationale, mais aussi avec les universités. En effet, les universitaires devraient être amenés à s’intéresser de plus en plus aux travaux de recherche sur ce sujet, et les ESPE ne peuvent que favoriser le mouvement. Nous ambitionnons de réfléchir de concert avec tous ceux qui œuvrent dans le champ de l’évaluation du système éducatif et d’en tirer les conséquences sur l’élaboration des programmes ou sur les évolutions nécessaires de nos projets.

L’actualité montre d’ailleurs l’intérêt de ce genre de va-et-vient. Catherine Moisan, directrice de la DEPP, vient ainsi de présenter une nouvelle enquête portant sur les performances à l’entrée du CE2, qui dépasse la question de savoir si le niveau monte ou baisse – un petit jeu dont les médias sont friands –, et dont les résultats sont très intéressants, bien que préoccupants : elle montre que si les élèves ont bien fait, à l’entrée au CP, des progrès assez nets dans le maniement de pratiques opératoires liées à la maîtrise du code, qu’il soit linguistique – lecture ou écriture – ou numérique, deux ans plus tard, à l’entrée en CE2, un progrès équivalent n’est pas observé, notamment parce que les élèves n’arrivent pas à réinvestir dans des activités complexes – lecture ou résolution de problèmes – les acquis obtenus en fin d’école maternelle.

Cette enquête montre que l’on ne peut pas mettre l’accent de façon systématique, voire mécanique, sur l’acquisition des codes, comme le suggèrent par exemple les personnes qui suivent attentivement les travaux de neurolinguistique. Mais bien entendu, on ne peut pas non plus insister uniquement sur les activités complexes : faute d’une maîtrise suffisante du code, en effet, on ne peut pas durablement résoudre des problèmes et comprendre des textes écrits.

En fait, une telle enquête permet de redécouvrir ce qui constitue une banalité en matière de réflexion pédagogique : il faut associer les deux démarches. On a besoin non seulement d’une acquisition et d’une consolidation systématique de la maîtrise des codes, mais aussi d’un travail avec les élèves sur la façon de mettre ces outils en œuvre dans le cadre d’activités complexes de lecture, d’expression, de problématisation. Les deux sont importants, et nous allons en tenir compte dans l’élaboration des programmes.

Le mouvement de va-et-vient entre les évaluations et la réflexion sur les programmes est donc essentiel à nos yeux. Nous souhaitons y associer la recherche universitaire, dont le travail doit être mieux connu et mieux utilisé.

Beaucoup d’entre vous ont abordé la question du numérique, un sujet difficile qui comprend plusieurs facettes. La loi prévoit explicitement que soit prise la mesure, dans la définition des enseignements, de la place désormais occupée par le numérique dans la société. Cela entraîne au moins trois conséquences.

Tout d’abord, nous devons intégrer lors de la conception même des enseignements, et dans la totalité des disciplines, le fait que celles-ci seront enseignées avec des outils numériques. Ce n’est en effet pas neutre dans la mesure où de nouvelles pratiques d’enseignement deviennent possibles. Par exemple, on n’enseigne pas l’orthographe de la même manière selon que l’on dispose ou non d’un correcteur orthographique.

Ensuite, il convient de réfléchir aux usages du numérique, qui posent des problèmes tenant à la protection de la vie personnelle, au respect de celle des autres, à la déontologie, etc.

Enfin, le numérique a des conséquences sur l’apprentissage du codage – même si tout le monde n’a pas la même définition de cette notion. Bien entendu, il faut que les élèves bénéficient très tôt d’une initiation suffisante pour ne pas être, face au numérique, dans le registre de la pensée magique : ils doivent comprendre que des techniques se trouvent derrière. Mais cela ne signifie pas que l’on va faire de tous les élèves, dès la maternelle, des programmeurs maîtrisant tous les langages informatiques. La question est de savoir comment établir une progression pertinente en ce domaine, compte tenu de la formation des professeurs et de leur capacité à assurer cet enseignement. L’enseignement de l’informatique et des sciences du numérique dans les classes de lycée offre un exemple de réponse possible. S’agissant de la relation entre l’enseignement de l’informatique et celui des mathématiques, une possibilité est que le second élargisse son champ de façon à répondre aux besoins du premier. C’est également vrai pour la technologie.

J’en viens à la question de la culture, une notion également polysémique. Deux approches sont possibles. Dans l’expression : « socle commun de connaissances, de compétences et de culture », ce dernier mot doit selon nous être entendu dans son extension maximale – il ne recouvre pas seulement les pratiques culturelles. Le socle commun ne doit pas être pensé uniquement en termes opératoires, utilitaristes, mais se donner une ambition culturelle, c’est-à-dire contribuer à une meilleure compréhension du monde, ainsi qu’à la construction de références, de représentations, de principes partagés dont notre société semble avoir le plus grand besoin. C’est un enjeu majeur pour l’école.

Par ailleurs, la culture, dans le sens plus circonscrit du mot, relève notamment des enseignements artistiques et du parcours d’éducation artistique et culturelle. Cette dimension doit également être prise en compte.

Cela m’amène au curriculum, à la place des « éducations à » et aux disciplines, questions dont on pourrait parler très longuement. Il est vrai que pour éviter les polémiques, nous n’avons pas employé, dans la charte des programmes, le mot « curriculum », utilisé dans la littérature pédagogique internationale ; nous avons simplement fait référence à la « pratique curriculaire » – un choix un peu jésuite, j’en conviens ! Nous pensons en effet qu’il est sans grand intérêt de se battre pour l’utilisation d’un terme pouvant prêter à polémique. En outre, la loi prévoit un Conseil supérieur des programmes et non des curricula.

Cela étant, et c’est un secret de polichinelle, l’esprit de notre travail est celui du curriculum, avec l’idée qu’en matière de définition des contenus d’enseignement, il faut partir d’un projet global pour en déduire les parties, et non pas l’inverse, comme on le fait traditionnellement. De même, il faut articuler et mettre en cohérence le contenu de l’enseignement, l’évaluation, les pratiques pédagogiques et la formation des maîtres.

Cette volonté de cohérence n’est pas pour autant une machine de guerre dirigée contre les disciplines, contrairement à ce qui ressort de certaines polémiques fâcheuses. Les disciplines sont un outil indispensable pour structurer et penser les enseignements, mais elles ne doivent pas être figées. Elles doivent pouvoir évoluer pour répondre à des besoins nouveaux, et doivent accepter de dialoguer entre elles. Autrement dit, les disciplines sont une excellente chose si elles sont ouvertes et évolutives, mais fort mauvaise si elles sont figées et sclérosées.

De ce point de vue, la question des « éducations à », que beaucoup d’entre vous ont soulevée, est très intéressante. Depuis vingt ans, dans le système éducatif, on a laissé les disciplines se figer dans leur définition la plus traditionnelle. En conséquence, celles-ci ne répondaient pas à un certain nombre de besoins sociaux, pour lesquels on a inventé les « éducations à », qui reprennent les préoccupations actuelles de la société : le développement durable, la parité et les relations entre les sexes, etc.

Il nous semble que nous devons repenser l’ensemble et arrêter de séparer les disciplines d’une part, les « éducations à » de l’autre, d’autant que ces dernières courent le risque d’être marginalisées dans la pratique des enseignants. Il faut au contraire revivifier les disciplines afin qu’elles s’emparent des préoccupations au cœur des « éducations à ». Ainsi, on ne peut enseigner les sciences de la vie et de la terre sans traiter certains sujets comme la sexualité ou les genres, ni enseigner l’économie sans évoquer le développement durable. De même, on ne peut pas donner un cours de français ni s’intéresser à l’argumentation et au débat oral sans se poser en même temps la question de savoir en quoi cette argumentation est plus satisfaisante que l’affrontement comme moyen de régler ses relations avec les autres.

Par ailleurs, nous croyons nécessaire de laisser des marges de manœuvre et d’initiative aux enseignants. Il faut arrêter de prétendre tout réglementer à la virgule près depuis les services du ministère. Le rôle de ce dernier est de définir clairement un certain nombre de priorités et de mobiliser les acteurs ; pour le reste, il faut faire confiance à la compétence collective, développer l’autonomie des établissements, celle des équipes pédagogiques, permettre aux acteurs de s’adapter à des contextes extrêmement variés et de faire preuve de créativité. C’est ainsi que le système se régénère, qu’il expérimente, qu’il invente de nouvelles réponses.

Plusieurs questions concernaient les ESPE, qui constituent un enjeu essentiel. Un programme ne vaut en effet que par la manière dont les enseignants peuvent se l’approprier et le mettre en œuvre, ce qui se joue très largement au cours de leur formation. J’ai rencontré le représentant de la Conférence des directeurs d’ESPE, de même que je rencontre mes collègues de l’enseignement supérieur. J’ai évoqué la nécessité de rapprocher « bac moins 3 » et « bac plus 3 » : l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur doivent tisser des liens afin de reconstruire des cultures professionnelles communes. La situation actuelle – qui n’est pas seulement déterminée par le mode de formation des maîtres – peut conduire un étudiant à développer, au cours de ses cinq années de formation universitaire, une certaine représentation de sa discipline et une certaine compétence puis, une fois nommé dans un collège des Mureaux, à découvrir que ce qu’il a appris n’a rien à voir avec les besoins de ses élèves. Améliorer cette situation suppose de travailler très étroitement avec nos collègues de l’enseignement supérieur sur l’ensemble du parcours de formation des futurs enseignants, non seulement dans les ESPE, mais dès la licence.

Plusieurs questions délicates ont été posées sur l’opposition entre éducation et instruction, l’éducation morale et civique, la parité, la laïcité, la « théorie des genres », etc.

Le débat sur les rôles respectifs de l’école, de la famille et de la société en matière d’éducation remonte au moins à la Révolution française. On a tendance à opposer deux mondes, l’école étant chargée de l’instruction tandis que l’éducation relèverait exclusivement de la famille, avec le risque de s’enfermer dans des logiques communautaires. Il nous semble que dans la tradition républicaine, l’école s’occupe également d’éducation, parce que l’instruction comprend une dimension éducative. Elle doit cependant le faire dans le respect des pratiques familiales. Il y a donc un équilibre à trouver, mais l’école ne peut se défausser de ses responsabilités en matière d’éducation.

Son action, dans ce domaine, doit toutefois prendre appui sur les valeurs inhérentes au projet de l’école républicaine, rappelées dans la charte des programmes et qui figureront également dans le socle commun. Nous pensons ainsi que l’école est à sa place quand elle cherche à fonder des pratiques éducatives sur l’idée que la pensée rationnelle et argumentée vaut mieux que la rumeur, que l’échange avec l’autre vaut mieux que la violence, etc. Ce sont des valeurs sur lesquelles, je l’espère, nous sommes encore capables de nous mettre d’accord, et que l’école peut porter avec son approche propre sans pour autant choquer les familles.

Parmi elles figurent la parité, le respect des autres et notamment d’un sexe par l’autre, des notions qui feront évidemment partie du socle commun. L’école peut donc être amenée à rappeler, dans le cadre de certains enseignements, que le fait d’être un homme ou une femme et de se comporter en tant que tel ne correspond pas mécaniquement, dans le cas de l’espèce humaine, avec la distinction biologique entre mâle ou femelle. De nombreuses cultures, de nombreuses civilisations, de nombreuses périodes de l’histoire le montrent.

Faut-il pour autant voir derrière cette affirmation une « théorie des genres » ? Pour ma part, je ne sais pas ce que c’est : en tant qu’universitaire, je n’ai jamais rencontré une telle théorie. Il existe des études de genre, c’est-à-dire des travaux s’intéressant aux manifestations culturelles de la masculinité et de la féminité. Que certains en aient tiré des conséquences pouvant paraître excessives aux yeux de certaines familles, c’est un fait, et je ne crois pas nécessaire de les suivre sur ce terrain. Il n’est donc pas dans le rôle de l’école d’enseigner une théorie des genres qui de toute façon n’existe pas, mais il est en revanche important, pour la formation de tout individu et de tout citoyen, de montrer la relation complexe entre nature et culture dans l’espèce humaine. Cela peut se faire dans le respect des principes de raison et de tolérance, sans choquer la conscience de qui que ce soit ni déstabiliser les enfants.

À cet égard, il me paraît nécessaire de rester prudents sur les questions liées aux stéréotypes, car ces derniers ont un aspect positif et un aspect négatif. Un stéréotype est dangereux quand il tend à enfermer quelqu’un dans un rôle, mais il est positif quand il permet de se construire. Et de toute façon, on ne peut échapper complètement aux stéréotypes. De telles questions exigent donc de faire preuve d’une plus grande nuance que les polémiques ne le permettent, même si l’école ne doit pas les esquiver. Tout en étant respectueuse des convictions de chacun, l’école peut développer une morale permettant la parité et le respect des uns et des autres sans pour autant que son enseignement ne soit caricaturé en une supposée théorie des genres.

Un orateur a souligné la nécessité de pratiquer, sur tous ces sujets, de nouvelles formes de concertation. J’y souscris tout à fait, car nous vivons dans une époque qui ne respecte plus aucune légitimité a priori. Dès lors, on ne peut pas imposer des programmes d’enseignement en se prévalant par exemple de sa seule qualité de professeur au Collège de France. Ce n’est pas comme ça que les choses se passent. Il faut construire de nouvelles légitimités par l’échange, le dialogue, les consultations, ce qui nous concerne tous. Il est donc très important que la représentation nationale soit associée à la réflexion sur les contenus de l’enseignement, laquelle doit se développer encore plus largement. Notre charte des programmes suggère par exemple la création d’observatoires régionaux des programmes, qui seraient des instances utiles de débat et de pilotage pédagogique – j’en ai parlé la semaine dernière avec le recteur de Rennes. Nous devons imaginer des procédures nouvelles de consultation. Là encore, les outils du numérique pourront nous aider à faire surgir du débat de nouvelles légitimités.

La maternelle est une question sur laquelle nous remettrons un projet au ministre avant l’été. Je n’ai pas le temps d’évoquer le programme en détail, mais son fil conducteur est la recherche d’un point d’équilibre entre deux positions trop souvent présentées comme antinomiques, l’une faisant d’abord, voire exclusivement, de la maternelle un espace d’épanouissement spontané des enfants, ce qui conduit à mettre l’accent sur le jeu, les échanges, etc. ; l’autre la considérant avant tout comme un lieu d’apprentissage, certains allant même un peu trop loin au point de vouloir transformer cette école, et notamment la grande section, en une sorte de propédeutique au cours préparatoire et à l’école élémentaire. Toute la question est de trouver le bon dosage, le bon équilibre entre les deux approches, ainsi que la bonne progression, car les enfants passent trois, voire quatre ans en maternelle. Nous pensons que l’école peut être à la fois le lieu du vivre-ensemble et le lieu de l’apprendre-ensemble.

Je vous rassure, monsieur Hetzel : sur toutes ces questions, nous tiendrons rigoureusement le calendrier qui nous a été assigné. Nous remettrons notre projet au ministre avant l’été, et le débat s’engagera à la rentrée. Nous sommes dans les temps, en dépit de l’ampleur de la tâche, et même si nous avons la volonté de ne pas passer en force et de prendre le temps nécessaire pour construire le consensus.

J’ai certainement oublié de répondre à certaines de vos questions, mais je vous promets de ne pas les oublier dans nos réflexions.

M. le président Patrick Bloche. Merci beaucoup, monsieur le président, pour la qualité de vos réponses et la richesse de nos échanges.

La séance est levée à onze heures vingt-cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 28 mai 2014 à 9 heures 30

Présents. - M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Emeric Bréhier, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Dominique Chauvel, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Yves Daniel, M. Gérald Darmanin, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Pierre Léautey, M. Dominique Le Mèner, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Paul Salen, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, Mme Michèle Tabarot, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Ary Chalus, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Sonia Lagarde, Mme Lucette Lousteau, M. Christophe Premat, M. Rudy Salles, M. Claude Sturni, M. Patrick Vignal, M. Jean Jacques Vlody