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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 11 juin 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 35

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marc Bordes sur son rapport à Mme la ministre de la culture et de la communication, relatif à l’exposition de la musique dans les médias

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 11 juin 2014

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)

——fpfp——

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marc Bordes sur son rapport à Mme la ministre de la culture et de la communication, relatif à l’exposition de la musique dans les médias

M. le président Patrick Bloche. Nous accueillons ce matin M. Jean-Marc Bordes, qui a remis en mars dernier à Mme la ministre de la culture et de la communication un rapport sur l’exposition de la musique dans les médias. Je salue l’initiative de notre collègue Rudy Salles qui m’a suggéré d’organiser cette audition.

Directeur général délégué de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) jusqu’en mai 2011, vous avez été chargé, monsieur Bordes, de dresser « un état des lieux qualitatif et quantitatif de l’exposition actuelle de la musique sur les différents médias, du secteur privé comme du service public ». Votre rapport, nourri par de nombreuses auditions, fait le point sur les modalités d’exposition de la musique dans les trois grands secteurs de diffusion – radio, télévision, services culturels numériques – et propose, pour chacun de ces secteurs, des pistes d’évolution, afin de répondre à quatre objectifs : assurer la diversité culturelle, faire émerger les nouveaux talents, promouvoir la francophonie, garantir la pluralité des acteurs. De telles ambitions nous renvoient aux débats que nous avons pu avoir à l’occasion des réformes successives de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ou des auditions des présidents de l’audiovisuel public organisées chaque année.

Vous êtes favorable au maintien d’un seuil minimum de diffusion de chansons d’expression française à la radio et vous préconisez la mise en place d’un système de « malus » afin d’empêcher la surexposition d’un petit nombre de titres sur certaines radios musicales et de contraindre ces dernières à diversifier leur programmation. Une telle disposition impliquerait-elle des modifications législatives ou réglementaires ?

Vos propositions relatives à la régulation des plateformes de musique en ligne vont nettement moins loin que celles concernant les médias traditionnels – radio et télévision. Auriez-vous rencontré des obstacles dans ce secteur ? Avez-vous hésité à vous engager sur un terrain mouvant, qui fait l’objet de nombreux débats ?

Enfin, pourriez-vous nous donner de plus amples détails sur la « taxe au clic » dont vous préconisez la création ?

M. Jean-Marc Bordes. À l’échelon mondial, le marché de la musique enregistrée, qui représente 17 milliards de dollars, est un micromarché comparé à celui des télécommunications, qui est cent fois plus gros. Toutefois, il représentait 34 milliards d’euros au début des années 2000 et sa valeur a été divisée par deux en l’espace de dix ans.

On a, en outre, assisté entre 2007 et 2013 à un important transfert de valeurs au profit des acteurs de l’internet. La capitalisation boursière des géants de ce secteur est passée, durant cette période, de l’indice 100 à l’indice 195, alors que, dans le même temps, celle des opérateurs de télécommunications diminuait de 25 % et que celle des fournisseurs de contenus se maintenait tant bien que mal au même niveau. Contrairement à une opinion largement répandue, ce ne sont donc pas les opérateurs de télécommunications qui ont profité des contenus.

Mettant à profit les possibilités que leur procure leur taille mondiale, les géants de l’internet ont bâti des écosystèmes complets. Ils sont, aujourd’hui, les seuls à pouvoir investir plusieurs centaines de millions de dollars pour attaquer le marché mondial de la musique.

En revanche, les modèles d’affaires se cherchent encore. Les fournisseurs de musique, comme Spotify ou Deezer, hésitent entre le financement par la publicité de contenus gratuits, suivant l’exemple de la monétisation des contenus d’actualité, et un système d’abonnement inspiré des offres premium ou des services éducatifs ; ils font actuellement l’hypothèse d’un passage, à terme, de l’un à l’autre. Entre ces deux extrêmes subsiste le modèle initial de vente de fichiers numériques lancé par iTunes.

Dans ce contexte général, la production francophone résiste bien. Si le nombre d’albums produits par les majors est passé de 407 albums en 2005 à 264 en 2012, le secteur indépendant se montre très dynamique, avec l’essor de labels tels que Wagram Music, PIAS, Play On, Naïve, Tôt ou Tard ou Atmosphériques. Ce secteur, qui regroupe 1 140 producteurs de musique, réalise 85 % du nombre total de titres francophones produits chaque année en France. Entre les titres de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et ceux de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), la production francophone représente 38 % de la production mondiale de musique ; en revanche, seulement un quart de cette production est diffusé par la radio.

En parallèle, les habitudes de consommation évoluent rapidement. On note de grandes différences de comportement d’une tranche d’âge à l’autre. D’après une enquête de Médiamétrie, en 2012, un tiers des 13-19 ans écoutaient la radio sur des supports multimédias – smartphones, tablettes ou micro-ordinateurs – contre 3,2 % des 60 ans et plus ; c’est aujourd’hui probablement plus de la moitié des jeunes qui utilisent ce type de support.

Au cours des dix dernières années, le nombre de contacts musicaux sur le panel des trente et une radios de l’Observatoire de la musique a diminué de 20 %, passant de 280 à 230 milliards, alors que le nombre de titres augmentait dans le même temps de plus de 38 %. La part des nouveautés dans les diffusions est restée stable, entre 57 % et 60 % ; en revanche, celle des titres francophones a baissé de 5 points. La diversité externe, c’est-à-dire la capacité du paysage radiophonique à proposer une offre variée, pâtit du manque de fréquences. Le développement de la radio numérique est certainement l’un des défis des prochaines années ; une station comme TSF Jazz, qui ne dispose que d’une dizaine de fréquences, ne peut toucher que 30 % de la population française.

Sur certaines radios musicales à destination d’un public jeune, la concentration des diffusions sur le Top 10 est excessive. Les labels indépendants ont augmenté leur part de contacts de 8 % à 26 % en l’espace de dix ans. Globalement, la radio publique joue bien le jeu, même si Le Mouv’ a connu quelques difficultés.

Dans le secteur de la télévision, il existe trois chaînes dites « musicales », M6, W9 et D17, mais elles ne programment presque pas de musique en prime time. W9 a l’obligation de consacrer la moitié de son temps d’antenne à des émissions musicales et D17, 75 % ; ces deux chaînes souhaiteraient que leurs conventions avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) soient révisées de manière à réduire ces taux de programmation, mais les négociations n’ont pas encore abouti car le CSA demande, en compensation, la diffusion d’un plus grand nombre d’émissions musicales en première partie de soirée.

La programmation de France Télévisions paraît satisfaisante : les émissions musicales diffusées en prime time représentent une part importante de la grille des programmes ; leur nombre ne régresse que sur France 3, passant de vingt-huit en 2012 à douze en 2013. Il serait toutefois judicieux de faire en sorte que France Télévisions programme, chaque semaine, une émission musicale en première partie de soirée sur l’une de ses trois chaînes.

Arte se montre particulièrement dynamique, notamment via sa plateforme Arte Live Web et la diffusion de concerts. Quant à la vingtaine de chaînes musicales du câble et du satellite, leur avenir semble difficile, puisqu’elles se partagent 1 % d’audience.

Contrôlant 90 % du marché des vidéos musicales à la demande, YouTube occupe une position dominante dans le secteur des services en ligne. Son statut change : il joue, désormais, de plus en plus un rôle de distributeur plutôt que d’hébergeur. Son association avec Vevo, la filiale d’Universal Music et de Sony Music qui distribue une grande partie des vidéomusiques, lui apporte la moitié de sa clientèle.

On note un basculement progressif du modèle économique d’iTunes vers celui de Spotify, mais transformer des utilisateurs gratuits en abonnés payants reste pour l’instant limité.

Il existe des tensions entre l’industrie du disque et les plateformes de distribution au sujet de l’octroi d’avances ou de minima garantis. M. Christian Phéline a remis un rapport sur le sujet et M. Emmanuel Hoog s’y est également intéressé. Il est vrai que les maisons de disques ont tendance à négocier l’accès à leurs catalogues contre une participation au capital de la start-up, en misant sur une valorisation rapide de ce dernier, plutôt qu’à procéder à un véritable échange marchand.

Voilà pour l’état des lieux ; j’en viens maintenant à mes dix-huit propositions.

La première est de maintenir l’utilisation de la langue française comme critère pour les quotas de diffusion dans les médias et de conserver ceux-ci à leur niveau actuel – soit 35 % à 40 %, suivant les régimes. Le fait que le système soit actuellement sous tension ne doit pas conduire à le supprimer. Quant à l’idée de prendre en considération les artistes français, mais chantant en anglais, elle ne peut être retenue, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdisant, dans son article 18, toute discrimination en raison de la nationalité.

La proposition n° 2 vise à promouvoir la radio numérique. Plusieurs rapports, dont ceux de M. Marc Tessier, sur les perspectives de financement du projet de radio numérique terrestre, et de M. David Kessler, sur l’avenir numérique de la radio, avaient souligné les difficultés auxquelles se heurtait son déploiement à grande échelle sur les perspectives de financement du projet de radio numérique terrestre, notamment les coûts à la charge des éditeurs en phase de double diffusion analogique/digitale, les délais de renouvellement du parc de récepteurs radio, ainsi qu’un bénéfice douteux pour les utilisateurs. Entre-temps, la situation a changé ; aujourd’hui, trois ans après le dernier rapport sur le sujet, les smartphones se sont multipliés, ils sont devenus des objets personnels et l’on peut désormais utiliser les infrastructures de réseaux de télécommunications « 4G » pour diffuser des programmes de radio grâce à la technologie MBMS, Multimedia Broadcast Multicast Service.

Le système des quotas de diffusion de chansons francophones n’a de sens que si la programmation des titres concernés montre une certaine diversité ; si une radio ne programme en tout et pour tout que dix chansons, il n’y a pas d’intérêt à lui attribuer une fréquence ! Il faut stopper le matraquage effectué par certaines radios qui ne diffusent que des titres du Top 10, et lutter contre cette forme d’appauvrissement culturel. Durant le mois d’octobre 2013 par exemple, 74 % de la programmation francophone de NRJ et 64 % de celle de Fun Radio étaient concentrées sur le Top 10. Une dizaine de radios réalise plus de la moitié de leur programmation francophone avec des titres du Top 10. La proposition n° 3 vise à remédier à cette situation, en prévoyant qu’un malus sera appliqué dès lors que la part des titres du Top 10 dans les diffusions francophones du mois en cours dépassera le seuil de 50 % ; un taux de diffusion de 60 % de titres du Top 10 entraînerait ainsi un malus de 10 points, qui serait à retrancher par le CSA dans le calcul du taux de diffusion de titres francophones.

La proposition n° 4 souhaite répondre aux critiques des radios, qui se plaignent que la production francophone n’est pas de bonne qualité, en mettant en place un dispositif de soutien aux auteurs et paroliers en langue française similaire à celui qui existe déjà à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). Cette aide serait financée par une contribution des radios musicales perçue par les éditeurs.

La proposition n° 5 tend à provoquer une réunion de la Commission de la rémunération équitable en 2014 pour réexaminer les barèmes. En France, le taux réel de rémunération est de 3 % du chiffre d’affaires, contre 9 % au Royaume-Uni, et, depuis vingt-cinq ans, les barèmes de calcul n’ont été revus qu’une seule fois, en 2007 ! Il serait bon de procéder à une révision tous les cinq ans. Si l’on additionne les sommes perçues par la Société pour la perception de la rémunération équitable (SPRE) au titre des artistes producteurs et celles perçues par la SACEM au titre des auteurs compositeurs, on peut évaluer le coût des grilles musicales à environ 7 % du chiffre d’affaires des radios, ce qui représente une marge sur coûts variables de 93 % : les radios musicales commerciales sont plutôt rentables !

Il existe aujourd’hui sur le territoire français 3 300 salles de spectacle, qui accueillent 21 millions de visiteurs par an. Ces salles demandent régulièrement aux radios locales de promouvoir les concerts qu’elles organisent. Or les radios locales ont l’obligation d’émettre un programme d’intérêt local (PIL), qui pèse sur leur compte de résultat. La proposition n° 6 vise à alléger cette contrainte, en raisonnant à partir de grands ensembles régionaux et en tenant compte des productions, non pas seulement en local, mais aussi à destination du public local, en contrepartie de quoi les radios concernées s’engageraient à promouvoir davantage les spectacles musicaux locaux – le dispositif faisant l’objet d’un contrôle par le CSA.

Concernant maintenant la télévision, les propositions n° 7 et n° 8 abordent la question de la qualification des programmes musicaux. De nombreux acteurs de la filière ont demandé que les émissions dites « de variété » ou « de divertissement » soient comptabilisées par le CSA comme des œuvres, sinon patrimoniales, du moins audiovisuelles – comme c’est le cas dans d’autres États membres de l’Union européenne. Cependant, d’une part, il ne me paraît pas opportun de modifier un équilibre déjà fragile – la notion d’œuvre patrimoniale est définie par la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur –, d’autre part, les programmes de ce type ne répondent pas, à mon avis, aux critères en vigueur, car ils comprennent un grand nombre d’intermèdes, de discours, d’anecdotes, ce qui fait que la diffusion de musique représente souvent moins de 30 % de leur temps d’antenne. À cela s’ajoute le problème du financement : si elles étaient reconnues comme des œuvres patrimoniales, ces émissions ne pourraient faire l’objet que de deux coupures publicitaires, ce qui ne présente guère d’intérêt pour les grandes chaînes de télévision. Dans le contexte actuel, une telle option ne me semble donc pas souhaitable.

Les propositions n° 9 et n° 10 concernent France Télévisions. La première prévoit la diffusion en prime time d’au moins une émission musicale par semaine sur France 2, France 3 ou France 5. La seconde vise à intégrer les heures de concert dans le système de points prévu par le cahier des charges et à globaliser le calcul des points pour l’ensemble des retransmissions de spectacles musicaux, lyriques, chorégraphiques et dramatiques.

J’en viens maintenant aux nouveaux médias. Jusqu’à présent, les vidéomusiques étaient financées par les seuls diffuseurs. Mais, comme un nombre croissant d’entre elles est désormais présenté en exclusivité sur les services culturels numériques, les diffuseurs commencent à rechigner à devoir en assurer seuls le financement – qui devient insuffisant. La contribution du groupe M6, qui a versé à lui seul 10 millions d’euros, représente ainsi la moitié du budget français du secteur. La proposition n° 11 prévoit par conséquent que les services médias audiovisuels à la demande (SMAD) qui diffusent des vidéomusiques, comme YouTube, contribuent eux aussi au financement du secteur, dès lors que leur chiffre d’affaires atteint un niveau minimum.

La proposition n° 12 porte sur le régime d’obligations d’exposition applicable aux SMAD. Actuellement, ces obligations sont de deux types : l’une concerne la page d’accueil, l’autre le catalogue. Cette dernière me laisse sceptique, car la richesse d’un catalogue n’a pas nécessairement d’incidence sur l’audience. En revanche, je suis favorable à un renforcement de la première, qui s’ajoute à l’obligation de déclaration prévue par la loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public.

La proposition n° 13 vise à clarifier les qualités d’hébergeur et de distributeur. Quand YouTube conclut un accord avec Canal Plus ou France Télévisions pour diffuser des contenus, il agit bien comme un distributeur : il serait anormal qu’il se réfugie derrière sa qualité d’hébergeur pour décliner toute responsabilité dans ce domaine.

La création d’un registre d’immatriculation des oeuvres, qui reprend une proposition du rapport Lescure sur la politique culturelle à l’ère des contenus numériques, permettrait de mieux encadrer les exploitations et de disposer de métadonnées descriptives, de règles de gestion et d’empreintes digitales audio et vidéo des programmes, ce qui permettrait de savoir automatiquement quel contenu est diffusé, à quelle heure et sur quel réseau.

S’agissant de la diffusion de contenus, on est passé d’un système de diffusion obéissant à une logique top-down, du haut vers le bas, à un système à la demande, bottom-up ; il conviendrait donc de mettre l’accent sur le lieu de destination plutôt que sur le lieu d’émission. Sur le plan technique, il ne devrait pas être difficile de détecter les adresses IP des appareils qui se connectent sur les sites de contenus musicaux. En revanche, il est indispensable d’engager une concertation européenne afin d’arrêter des règles communes dans ce domaine. Tel est l’objet de la proposition n° 14.

La proposition n° 15 reprend l’idée, qui avait été avancée par le rapport Lescure, d’un conventionnement volontaire des services de diffusion en échange d’avantages, notamment en matière de distribution. Le problème, c’est que, jusqu’à présent, les opérateurs les plus importants, membres de l’Association des services internet communautaires (ASIC), l’ont rejetée, car ils ne sont pas intéressés par les contreparties proposées.

Les propositions n° 16 et n° 17 concernent la régulation des services en ligne. Le cas des opérateurs installés à l’étranger vient d’être traité par le projet de loi de finances rectificative pour 2013 ; il faut maintenant se pencher sur celui des services gratuits financés par la publicité. Il n’y a pas, monsieur le président, de volonté délibérée de ma part d’exclure internet du champ de la régulation, mais je préconise d’adopter des règles légères et simples à mettre en œuvre, de façon à ne pas enfermer les services en ligne dans un système trop compliqué à gérer.

Ma dernière proposition concerne la piraterie. Une pratique de plus en plus courante consiste à aller sur un site spécialisé pour extraire la bande audio MP3 d’une vidéomusique, afin de pouvoir stocker celle-ci dans son smartphone. Officiellement, il ne s’agit pas de piraterie, et pourtant tous les revenus potentiels liés au contenu s’évaporent. Il importe de faire œuvre de pédagogie sur le sujet.

M. Hervé Féron. Votre rapport souligne l’importance de maintenir en l’état le dispositif des quotas de diffusion de chansons francophones à la radio, dont nous célébrons cette année le vingtième anniversaire. Même à l’heure d’internet, l’exposition sur ce média est primordiale pour la carrière d’un artiste ; or la diversité musicale sur les ondes se trouve aujourd’hui menacée, nombre de radios diffusant exagérément les mêmes titres. Cette surexposition est néfaste pour la création, car elle réduit le nombre d’artistes ayant accès aux médias radio, ainsi que pour les auditeurs, qui n’ont plus la possibilité de découvrir de nouveaux talents. Le groupe SRC soutient donc votre proposition d’instaurer un dispositif visant à empêcher que les titres francophones les plus diffusés représentent plus de la moitié de la diffusion francophone mensuelle d’une radio. Une autre solution serait d’augmenter de 40 % à 50 % les quotas de diffusion de chansons francophones, afin de donner une place sur les ondes aux artistes émergents.

Nous regrettons cependant l’absence de toute proposition concernant l’exposition radiophonique des artistes français s’exprimant en langue étrangère. Quoiqu’ils représentent une part minime de la production, ils sont de plus en plus nombreux et contribuent au rayonnement de la scène musicale française. Deux groupes français chantant en anglais, Skip the Use et Shaka Ponk, ont ainsi été récompensés aux dernières Victoires de la musique, et la remise au deuxième des insignes de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres par la ministre de la culture et de la communication est une reconnaissance symbolique pour toute cette nouvelle génération d’artistes.

Votre rapport propose la création d’une taxe sur la diffusion de clips sur internet, qui frapperait les plateformes de musique en ligne comme YouTube. Celles-ci financent pour l’instant la diffusion gratuite de vidéomusiques par la vente d’espaces publicitaires associés, dont les recettes sont censées être partagées avec les ayants droit – qui néanmoins ne touchent pas grand-chose… Une partie de ces nouveaux revenus alimenterait un fonds de soutien aux auteurs francophones. Des syndicats comme le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) estiment cependant qu’une telle taxe risquerait de fragiliser l’offre légale de musique en ligne, ainsi que les accords de licence entre producteurs et plateformes. Qu’avez-vous à répondre à ces inquiétudes ?

En janvier dernier, la ministre de la culture a relancé le projet de Centre national de la musique (CNM) qui, sur le modèle du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), devrait accompagner le développement de la production musicale française. Ce qui devrait être, selon la ministre, le grand chantier de la prochaine année se traduira par une réforme du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), dont la mission sera élargie afin d’en faire le réceptacle du financement dédié à la musique. Ce projet avait été abandonné en septembre 2012, faute de moyens financiers suffisants pour le mettre en œuvre, mais la donne a changé à la fin de l’année 2013, la taxe sur les services de télévision distributeurs (TST-D), principal canal envisagé pour abonder le nouvel établissement, ayant été sécurisée au niveau européen. Cette initiative a été saluée par l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI), ainsi que par le PRODISS, le syndicat des producteurs, diffuseurs et salles de spectacles, qui demandait depuis longtemps un plan d’aide pour sauver la production française.

Toutefois, de nombreuses questions restent en suspens, et la ministre n’a pas chiffré les fonds supplémentaires dont pourrait bénéficier le CNV, expliquant qu’il convenait d’attendre le projet de loi de finances pour 2015. Pourriez-vous néanmoins nous donner quelques précisions sur la réforme qui est envisagée ?

Mme Annie Genevard. Le marché de la musique a connu d’importants bouleversements au cours de la dernière décennie. La révolution numérique a permis aux géants de l’internet de se positionner de manière agressive sur ce marché, tout en faisant émerger de nouveaux comportements chez les jeunes générations, qui ne conçoivent les contenus musicaux que comme des contenus gratuits. Les artistes ont quant à eux besoin d’exposition médiatique, la radio restant le premier média prescripteur, juste devant la télévision. Or ils se heurtent actuellement à deux problèmes majeurs.

Le premier est la trop forte concentration des titres diffusés à la radio. Vingt ans après son adoption, la loi instaurant des quotas de diffusion de titres francophones à la radio donne lieu à des comportements en totale contradiction avec son esprit, qui était de protéger les artistes et de favoriser l’émergence de nouveaux talents : en 2013, cinquante titres de trente-neuf artistes représentaient la moitié des diffusions francophones à la radio ; sur les réseaux fréquentés par les jeunes, la concentration était encore plus forte, dix titres représentant 66 % des diffusions. Tout en respectant l’obligation de diffusion de 40 % de titres francophones, les radios « matraquent » les auditeurs avec quelques titres dont ils font des « tubes ».

Pour pallier ce dévoiement de la loi, vous proposez – c’est l’objet de la proposition n° 3 – d’appliquer un système de malus aux radios qui surexposeraient un trop faible nombre de titres francophones, au détriment de la diversité musicale. Une telle solution nous semble plus satisfaisante que celle du CSA, qui vise à permettre aux radios de renégocier leurs conventions à la carte, et que les auteurs, artistes et producteurs ont dénoncée dans un communiqué commun. Comme pour leur donner raison, Chérie FM vient d’obtenir, il y a quelques jours, une réduction de 50 % à 40 % de ses obligations de diffusion d’œuvres francophones, à la suite d’une simple décision du CSA !

La ministre de la culture et de la communication a rappelé à de nombreuses reprises – et encore récemment, à l’occasion du Marché international du disque et de l’édition musicale (MIDEM), le 3 février dernier – son attachement au système des quotas. À l’aune de ses déclarations, quel avenir voyez-vous pour votre proposition d’instaurer un mécanisme de malus, qui est peut-être l’une des plus importantes de ce rapport ?

Le deuxième problème est la réduction du nombre de programmes musicaux à la télévision. Beaucoup se sont émus de l’arrêt de la diffusion de Taratata. Selon une enquête réalisée par l’association Tous pour la musique (TPLM), les chaînes généralistes – TF1, France 2, France 3 et Canal Plus – ne consacrent que 1,3 % de leur temps d’antenne à la diffusion de concerts, d’émissions musicales ou de clips. Le volume de chansons diffusées sur les chaînes hertziennes a baissé de 32 % en moyenne entre 2000 et 2008, et il est en chute libre à la télévision publique, avec une baisse de 60 % sur France 2 et de 46 % sur France 3. Votre proposition de créer une obligation pour France Télévisions de diffuser au moins une émission musicale par semaine nous semble donc positive.

Vous suggérez de provoquer une réunion de la Commission de la rémunération équitable afin de réétudier ses barèmes. Vu l’état des finances publiques, il serait en effet nécessaire de revoir les modes de participation des différents acteurs au financement de la création musicale. Les ayants droit le réclament depuis plusieurs mois. Pourtant, il semble qu’il y ait en la matière une certaine inertie de la part du ministère de la culture et de la communication. Votre proposition a-t-elle des chances d’être retenue ?

J’émettrai en revanche quelques réserves sur votre proposition de créer une « taxe au clic » : il ne faudrait pas que la création d’une nouvelle taxe spécifiquement française fragilise les accords en matière de rémunération globale existant entre les plateformes, les maisons de disques et la SACEM.

La ministre de la communication vous a missionné en septembre dernier ; votre rapport, qui propose des solutions rapides pour un coût modéré, voire nul, est paru en mars ; il a reçu un accueil favorable de la ministre. Depuis, silence radio ! Que savez-vous de la feuille de route du ministère sur le sujet ?

Mme Isabelle Attard. Votre rapport ne m’a pas laissée indifférente, monsieur Bordes : certaines de vos propositions suscitent mon entière adhésion, d’autres – et cela ne vous surprendra pas – m’ont fait réagir.

Parmi les premières, le maintien du seuil minimum de diffusion de chansons en français, car sans mécanisme de soutien à la production en langue locale, c’est l’anglais qui l’emporte, au détriment de la culture locale ; la nécessité de promouvoir davantage les spectacles musicaux locaux ; la diffusion hebdomadaire par France Télévisions d’une émission musicale à une heure de grande écoute – à ce propos, je regrette moi aussi l’arrêt de Taratata.

En revanche, votre seizième proposition, qui tend à taxer les services de vidéo à la demande « dont le siège est installé hors de France et qui s’adressent aux publics français », me laisse perplexe. Du point de vue légal, la terminologie me paraît douteuse : comment identifier le fait de « s’adresser aux publics français » ? Par la forme, c’est-à-dire le fait que le site soit disponible en français ? Tous les sites francophones seraient alors concernés. Par le contenu ? YouTube, qui ne présente qu’une infime proportion de contenus en français, serait écarté. Surtout, sur les milliers, voire les millions de sites potentiellement concernés, de quel recours l’administration fiscale disposerait-elle face à ceux qui refuseraient de payer ? Votre rapport n’en dit rien, mais je soupçonne que l’idée d’un filtrage de ces sites n’est pas loin.

Enfin, votre dix-huitième et dernière proposition, qui s’appuie sur un cliché éculé, achève de décrédibiliser votre rapport. Ce serait presque comique si ce n’était pas si triste.

Vous écrivez en introduction que « la crise de l’industrie musicale, qui a surtout subi depuis 10 ans de plein fouet les effets de la piraterie et de la consommation gratuite sur internet, est évidente ». Ce type d’appel à l’évidence incite d’emblée à la méfiance : soit l’évidence est telle qu’il est inutile d’en parler, soit on s’abrite derrière elle pour dissimuler la fragilité du raisonnement. Le lecteur en est réduit à reconstituer votre argumentation implicite : un Français qui télécharge une chanson, c’est une vente en moins pour l’ensemble de la chaîne de production de cette chanson, donc des revenus en moins pour tous ceux qui y ont travaillé. Si c’est bien là ce que vous voulez dire, je ne suis pas d’accord, et je ne suis pas la seule. Des études indépendantes – c’est-à-dire non financées par les producteurs de musique – convergent sur ce point : ce n’est pas parce qu’un morceau n’est pas téléchargé qu’il est acheté.

Ainsi, selon un rapport publié en 2013 par l’Institute for Prospective Technological Studies, rattaché au Centre commun de recherche de la Commission européenne, le partage
– j’insiste sur ce terme – ne remplace pas la consommation, mais la complète. L’étude des comportements des consommateurs montre que la fréquentation de sites de partage va de pair avec la dépense sur des sites officiels. Une autre étude, publiée par l’université de Harvard en 2004, suggère que le partage serait favorable aux ventes des artistes débutants et défavorable à celles des artistes mondialement connus, donc les mieux rémunérés. On est très loin de l’image du vilain pirate qui assassine les artistes ! Je vous renvoie également aux travaux de M. Philippe Aigrain sur l’économie du partage, notamment son article « Le partage est un droit culturel, pas un échec du marché ». Son point de vue a été jugé suffisamment pertinent pour qu’il figure parmi les personnalités qualifiées qui siégeront au sein de la commission de réflexion et de propositions ad hoc sur le droit et les libertés à l’âge du numérique qui vient d’être créée à l’Assemblée nationale.

Mon groupe défend de manière constante la légalisation du partage non marchand et l’instauration d’une contribution créative, pour un financement pérenne de la création.

Je m’étonne enfin de la liste des personnalités que vous avez auditionnées : elle offre un panorama exhaustif des professionnels, mais n’inclut aucun représentant des consommateurs. Tout juste, le rapport se réfère-t-il à des études de consommation. Notre pays compte pourtant dans ce secteur plusieurs associations de consommateurs considérées comme représentatives.

En résumé, vous formulez plusieurs propositions pertinentes, mais il faut plus d’audace pour résoudre les difficultés réelles auxquelles le secteur musical est aujourd’hui confronté. C’est ainsi que nous aiderons les créateurs à réaliser les œuvres dont notre culture a besoin.

M. Rudy Salles. Au nom du groupe UDI, je remercie M. Jean-Marc Bordes de la qualité de son rapport et de la pertinence de ses préconisations, notamment celles qui touchent à la promotion de la création et du patrimoine français ainsi qu’à la lutte contre la piraterie. Je me félicite d’avoir sollicité cette audition.

Je ne reviendrai pas sur les propos pertinents de ma collègue Annie Genevard, préférant me concentrer sur les quelques points suivants.

Vous proposez de laisser toute latitude éditoriale aux programmateurs de radio, tout en instaurant un dispositif destiné à empêcher une trop forte concentration des diffusions sur très peu de titres. On comprend votre intention, mais cela tient de l’équilibrisme : comment concilier cette liberté éditoriale totale avec l’obligation qui incombe aux pouvoirs publics d’imposer des règles de diffusion ?

Vous préconisez d’accroître la symétrie entre la régulation à la télévision et sur internet. Comment appliquer concrètement cette proposition ?

Vous semblez très attaché à défendre la radio contre les excès du numérique. Il faut pourtant anticiper les évolutions technologiques qui conduiront à remettre en cause le modèle auquel la radio obéit aujourd’hui. Comment, à votre avis, encadrer la diffusion de programmes et de contenus sur internet sans s’en tenir à des mesures répressives ?

Enfin, le système de malus déjà cité, ainsi que le système de points que vous préconisez d’instaurer pour promouvoir la diffusion de concerts à la télévision, s’apparentent à une distribution de bons et de mauvais points, sans sanction ni mesure dissuasive. Dès lors, comment en garantir l’efficacité ?

Mme Marie-George Buffet. Au nom du groupe GDR, je salue le travail de M. Jean-Marc Bordes, dont les objectifs – assurer la diversité culturelle, faire émerger les nouveaux talents, promouvoir la chanson en langue française, garantir la pluralité des acteurs – tendent à permettre au plus grand nombre de s’enrichir des pratiques culturelles dans leur diversité.

Si nous avons adopté l’an dernier une proposition de résolution relative au respect de l’exception culturelle en Europe, c’est bien parce que nous considérons la culture comme une activité humaine, irréductible au statut de marchandise comme les autres. Vous avez raison, on ne peut pas aborder le sujet qui nous occupe sans tenir compte de l’économie des médias comme de la filière musicale – ce micromarché de 16 milliards d’euros –, ni réfléchir au poids d’internet et de ses différents supports et réseaux.

Car, si la musique n’est pas un produit comme les autres, elle n’en reste pas moins soumise aux règles du marché. Et on ne peut que déplorer la concentration du capital dans ce domaine, dont atteste la progression constante de la capitalisation boursière des géants d’internet. À l’heure où se négocie le grand marché transatlantique, il est nécessaire de se mobiliser pour sauvegarder l’exception culturelle quand la totalité de ces groupes est implantée outre-Atlantique.

À mon sens, le fait que le rapport des jeunes à la musique passe prioritairement par l’utilisation des sites de streaming ou de téléchargement ne devrait pas nous alarmer : l’essentiel est que les jeunes aient envie d’écouter de la musique et de la connaître dans sa diversité. Ces voies d’accès à la musique peuvent en ouvrir d’autres, notamment la fréquentation de festivals payants. Je suis donc d’accord avec vous pour « renforcer la phase pédagogique » de la lutte contre la piraterie, mais non pour instaurer une nouvelle taxe. Car, si l’on ne peut qu’entendre les arguments des auteurs, dont M. Jean-Claude Petit, président de la SACEM, est l’efficace porte-parole, il convient de leur faire droit, sans criminaliser quiconque. Quelle forme proposez-vous donc de donner à ce « renforcement de la phase pédagogique » ?

Vous soulignez à juste titre le recul des émissions musicales sur France Télévisions, dont aucune n’est diffusée à une heure de grande écoute. Nous est-il possible d’obtenir une modification de sa ligne éditoriale autrement que par la révision du contrat d’objectifs et de moyens, dans lequel nous avons notre mot à dire ?

S’agissant de l’avenir de la musique à la radio, vous préconisez de maintenir les quotas de diffusion francophone, d’instaurer un système de malus, enfin de consacrer davantage d’efforts – et de moyens – aux spectacles musicaux locaux, en modifiant les contraintes imposées aux radios locales afin de conforter l’exposition de la musique dans le secteur du spectacle vivant. J’approuve cette dernière proposition.

Je profite de l’occasion pour rappeler que le dynamisme du spectacle vivant doit tout au professionnalisme et à l’engagement des intermittents du spectacle. Nous devons donc entendre leur demande de renégociation de la nouvelle convention Unédic, qui les met en danger.

M. le président Patrick Bloche. La représentation nationale avait anticipé ce débat en adoptant à l’unanimité le rapport de la mission sur les conditions d’emploi sur les métiers artistiques, présidée par M. Christian Kert.

M. Christophe Premat. Malgré le bouleversement que l’avènement du numérique a fait subir au marché de la musique au cours des dix dernières années, les vecteurs traditionnels de diffusion que sont la radio et la télévision restent les meilleurs moyens de promotion des artistes. Votre rapport, monsieur Bordes, le montre bien, par exemple lorsqu’il insiste sur la nécessité pour le service public audiovisuel de diffuser une émission musicale en première partie de soirée de manière hebdomadaire, afin de favoriser la découverte de nouveaux talents par un très large public.

La politique de l’État dans le secteur musical poursuit plusieurs objectifs, dont la promotion de la francophonie, l’éclosion de nouveaux talents et la diversité culturelle.

La musique à la télévision est représentée dans tous les genres de programmes : émissions de variétés, retransmission de concerts, vidéomusiques, documentaires consacrés à des interprètes, comédies musicales, longs métrages, magazines, actualités. Dans certains cas, elle obtient la qualification d’œuvre audiovisuelle patrimoniale, qui occupe une place centrale dans le dispositif réglementaire applicable à la télévision. Le caractère très récent des négociations sur l’œuvre patrimoniale, leur fragilité, l’habitude ancienne de qualification de la variété conduisent à penser que c’est par des formats innovants, pouvant prétendre au rang d’œuvre patrimoniale, que la filière résoudra ce problème, plutôt que par une modification de la réglementation.

Je m’étonne, par ailleurs, que la France ne s’investisse pas davantage lors de grands événements médiatiques qui contribueraient au rayonnement de notre chanson et de ses jeunes talents. Je songe en particulier au concours de l’Eurovision, qui reste très populaire auprès des citoyens européens et qui permettrait de promouvoir la chanson française dans tous les pays d’Europe. Dans ma circonscription d’Europe du Nord, la préparation du concours sert ainsi à faire émerger des talents locaux : dans les pays scandinaves et nordiques, l’organisation des tours de sélection, dans plusieurs villes, est fortement médiatisée, et, entre janvier et mars, le processus de qualification fournit l’occasion de dresser un panorama des variétés. Les radios sont tenues de diffuser les chansons des compétiteurs. La chaîne de télévision danoise qui a diffusé la finale de 2014 a raflé 90 % des parts de marché. Dans de nombreux pays
– Pays-Bas, Danemark, Suède, Finlande –, les scores d’audience sont impressionnants. Au Royaume-Uni, 9 millions de téléspectateurs ont suivi la finale. Évidemment, il s’agit d’un certain style de musique et les paroles sont, le plus souvent, en anglais. Mais il me paraît essentiel que, lors d’un tel événement, les chaînes de radio et de télévision s’engagent pour défendre l’image de notre chanson à l’étranger, d’autant que le français est l’une des langues officielles du concours, et qu’elles participent – ainsi que les applications numériques associées – à la qualification des candidats.

M. Michel Herbillon. Monsieur Bordes, vous avez remis cet intéressant rapport en février dernier et, si certaines de vos recommandations nécessitent un temps de réflexion, d’autres peuvent être d’application quasi immédiate, sans contrepartie financière. Où en est donc la mise en œuvre de vos recommandations ? Que vous a dit la ministre à ce sujet ?

Le CSA a-t-il les moyens juridiques, financiers, humains de contrôler l’application du malus que vous proposez ?

L’explosion du numérique, notamment de la radio numérique, représente l’enjeu principal des années à venir et un formidable atout pour concilier diffusion de masse et diversité musicale. Vous préconisez de taxer les services de vidéo à la demande (VAD) gratuits et financés par la publicité. Dans quelle mesure est-ce réalisable, notamment du point de vue juridique, lorsque ces services sont hébergés à l’étranger, comme YouTube ?

M. Stéphane Travert. Je vous remercie à mon tour, monsieur Bordes, pour cette analyse exhaustive et prospective, fondée sur une concertation délibérément large qui, toutefois, n’a pas inclus les associations de consommateurs.

Cet état des lieux qualitatif et quantitatif souligne la nécessité de maintenir les quotas de musique francophone, auxquels nous sommes tous attachés. Les stations de radio et les chaînes de télévision sont fortement concurrencées dans leur rôle de prescripteur de musique enregistrée par un univers numérique pléthorique, permettant l’écoute gratuite de contenus musicaux. Dans ce contexte, et au vu de la baisse des ressources publicitaires dont bénéficient les stations privées, de nombreuses radios s’inquiètent de l’avenir de l’offre culturelle, thème largement abordé par le rapport Lescure. Malgré les difficultés structurelles du secteur, je ne peux donc que souscrire à votre première préconisation, au nom de la défense de notre patrimoine linguistique.

Je m’interroge davantage sur votre sixième recommandation – étudier la possibilité d’alléger certaines obligations concernant les programmes d’intérêt local en contrepartie d’engagements des radios locales à mieux promouvoir les spectacles musicaux locaux. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces contreparties ?

Comme rapporteur du budget de l’audiovisuel public pour 2014, je m’intéresse particulièrement à votre neuvième proposition, qui tend à intégrer au cahier des charges de France Télévisions l’obligation de diffuser une émission musicale par semaine à une heure de grande écoute. Sous quelle forme pensez-vous proposer cette mesure à la présidence de France Télévisions ?

M. Christian Kert. Vous souhaitez empêcher une trop forte concentration sur quelques titres de la musique diffusée en français, mais n’est-ce pas un vœu pieux ? Je suis plutôt favorable aux quotas, mais pourrons-nous en imaginer indéfiniment de nouveaux sans entraver la liberté qui caractérise la culture et les arts ?

Vous a-t-on alerté sur le fait que, sur le continent africain, plusieurs petites chaînes de télévision et de radio qui diffusent beaucoup d’œuvres francophones sont en train d’être vendues à des opérateurs asiatiques ? Comment faudrait-il, selon vous, réagir à ce phénomène ?

Enfin, on entend beaucoup dire, sans pouvoir obtenir de chiffres précis, que les grands opérateurs ont compensé la baisse des ventes de disques en se tournant vers les concerts, lesquels deviennent extrêmement chers. Avez-vous eu connaissance de statistiques de votre côté ?

M. Yves Daniel. Votre dix-huitième préconisation place la pédagogie au cœur de la lutte contre la piraterie, dans le sillage du rapport Lescure. Comment l’appliquer concrètement tout en continuant à garantir la diversité et à promouvoir de nouveaux talents ?

Mme Dominique Nachury. La question de la différence de traitement entre radio et télévision, d’une part, et internet, d’autre part, a déjà été abordée par le président, de même que la « taxe au clic » sur les plateformes de musique en ligne, que d’aucuns considèrent comme un non-sens économique qui risquerait de fragiliser l’offre légale de musique en ligne. Je me contenterai donc de vous interroger sur les réactions que suscite votre proposition de malus pour empêcher une trop forte concentration de diffusions de certains titres, en particulier de la part de la ministre.

M. Jean-Pierre Allossery. Le rapport montre combien il est difficile de réguler l’univers des œuvres musicales. Si la radio et la télévision sont familières à nos administrations, le secteur d’internet est quasi dérégulé. En exposant cette différence de traitement, vous montrez la nécessité d’actualiser notre politique de soutien à la diffusion musicale.

Inutile de rappeler combien la filière musicale et l’industrie du disque ont pâti de la révolution numérique. Depuis ce bouleversement, aucune structuration dominante de la diffusion musicale n’est clairement apparue. Le marché des médias est aujourd’hui fragmenté, reflétant les usages de nos concitoyens. Chaque jour voit naître de nouvelles plateformes de diffusion de musique : radios numériques, applications téléphoniques, sites internet, etc. Or ces supports fonctionnent par des coups publicitaires et la diffusion du Top 10 : trop souvent, ce sont les artistes déjà les plus visibles qui y sont le plus relayés, au point que les nouveaux peinent à se faire entendre, sans parler de vivre de leur musique.

Face à ce phénomène, quelle organisation adopter ? Je suis d’accord avec vous : il faut faire évoluer le cadre législatif, car le soutien à la création musicale doit être identique quels que soient la renommée de l’artiste et le mode de diffusion. C’est le rôle des pouvoirs publics que de soutenir les nouveaux talents et leur audience par des outils inédits. Je salue donc vos propositions en ce sens.

Mme Martine Martinel. Monsieur Bordes, à propos de France Télévisions, vous parlez à la page 37 de votre rapport d’« émissions clairement identifiées » et de « rendez-vous incontournables maintenus ». Pourtant, à vous lire et à vous entendre, l’exposition de la musique sur France Télévisions pourrait être améliorée par des émissions régulières. D’autre part, les grands événements comme les Victoires de la musique ou l’Eurovision témoignent d’une programmation très convenue, sans parler de sa qualité, qui ne reflète absolument pas la diversité de l’offre musicale. Le jazz, assimilé aux musiques du monde, est programmé à des horaires étonnants et, d’une façon générale, est indignement représenté. Quelle stratégie comptez-vous employer pour convaincre France Télévisions et la ministre de veiller à une programmation plus conforme aux objectifs officiels ?

Par ailleurs, comme plusieurs de mes collègues, j’aimerais en savoir plus sur le « renforcement de la phase pédagogique » de lutte contre la piraterie.

M. Jean-Marc Bordes. Tout d’abord, ne travaillant ni à la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) ni au cabinet de la ministre, je ne connais pas en détail les suites que celle-ci entend donner à mon rapport. Ce que je sais, pour avoir interrogé le cabinet et la DGMIC à plusieurs reprises, c’est que les propositions que la ministre a décidé de retenir, et qu’elle a présentées lors d’un communiqué de presse, seront mises en œuvre dès que le véhicule législatif approprié sera disponible.

J’en viens à mes propositions de taxation de la VAD. Elles se fondent sur une analogie. Parlons de soutien, si le terme de taxe vous rebute : il ne s’agit que de redistribuer l’argent au moyen d’outils vertueux. Le Centre national du cinéma et de l’image animée en est un, que nombre de pays nous envient. Aujourd’hui, son compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (COSIP) est alimenté par plusieurs recettes : taxe prélevée sur les billets en salle, taxe vidéo, TST-E (taxe sur les services de télévision « éditeurs ») et TST-D (taxe « distributeurs »). Il semble assez simple de l’alimenter par un canal supplémentaire.

La difficulté, c’est que celui-ci proviendrait de services financés par la publicité et, surtout, d’opérateurs installés à l’étranger. Car, après tout, TF1 aussi est financé par la publicité, mais il est assez facile de calculer la TST-E due sur son chiffre d’affaires dans la mesure où il s’agit d’une entreprise française. Nous ne devons pas pour autant renoncer à mettre à contribution le chiffre d’affaires réalisé en France par YouTube. Certes, il est difficile à évaluer puisque l’on ne connaît pas celui de Google en France : ses représentants n’ont pas voulu nous le fournir, mais il est estimé à 1,5 ou 2 milliards d’euros. Supposons que celui de YouTube s’élève à 10 ou 15 millions d’euros : il ne paraît pas déraisonnable de considérer que, en tant que service culturel numérique, YouTube, comme TF1, doivent contribuer à financer la création française en alimentant le même compte de soutien.

Est-ce praticable ? Ce n’est assurément pas très facile à réaliser dès lors que l’on rencontre des difficultés à localiser ce qui se passe sur les serveurs. Mais nous pouvons estimer au plus juste l’assiette, par exemple à partir de la déclaration de TVA, puisque celle-ci, qui concerne les prestations publicitaires, sera prélevée dans le pays de destination à compter de 2015. Si l’on parvient ainsi à déterminer l’assiette, à partir d’établissements installés en France, on limitera l’évasion fiscale en matière d’impôt sur les sociétés et de TVA, et on alimentera aussi davantage le compte de soutien. Le registre d’immatriculation que nous proposons d’instaurer serait essentiel à ce dispositif, puisqu’il permettrait d’identifier les adresses IP françaises et les œuvres françaises diffusées.

Je n’ai guère d’éléments d’information sur la réforme du Centre national des variétés.

Je comprends que l’idée d’un malus irrite les radios, mais elles pourraient elles-mêmes y trouver un avantage dans la mesure où, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, elles risquent de perdre de l’audience à force de surdiffuser les dix mêmes titres. La mesure pourrait leur fournir l’occasion de se poser davantage de questions dans un environnement reconfiguré par l’avènement du numérique.

Du point de vue technique, ma proposition est très simple à appliquer. Le CSA n’éprouve aucune difficulté à analyser les diffusions francophones par l’intermédiaire du prestataire Yacast : la captation radio est rapportée à une base de données d’empreintes digitales audio qui permet d’identifier les chansons et de reconstituer la liste de lecture. Si plus de 50 % de diffusions francophones appartiennent au Top 10, il est très facile de le déceler. Le programmateur lui-même, qui sait parfaitement ce qui est diffusé chaque matin à l’antenne, pourrait aisément modifier sa programmation.

Quant à la liberté éditoriale, c’est une question politique : lorsque l’on accorde une fréquence gratuite à un groupe de radios, ne peut-on lui demander de ne pas dépasser certaines limites ? C’est à vous qu’il appartient d’y répondre.

Il est exact que je n’ai pas accordé une grande place aux associations de consommateurs, car je ne voulais pas relancer le débat sur la contribution créative qui, pour moi, est clos. Il est significatif que l’on parle de « propriété » littéraire et artistique – celle des auteurs, des compositeurs, des paroliers, des auteurs-interprètes, des producteurs qui investissent.

La création de formats innovants pour les émissions musicales est essentielle : on ne cherche pas suffisamment à innover en matière musicale. Il faut encourager les groupes à le faire, y compris par des incitations financières.

S’agissant de France Télévisions, il est possible d’inscrire l’obligation dans le contrat d’objectifs et de moyens comme dans le cahier des charges. Je n’ai pas eu le sentiment que M. Rémy Pflimlin y était hostile, d’autant que les statistiques des deux dernières années montrent que l’on n’est pas très loin de l’objectif. Il faudrait simplement résoudre le problème posé par France 3 – en respectant les contraintes territoriales ; mais, après tout, il y a de la musique en région, comme partout. Nous devons donc maintenir la pression, et mieux comptabiliser les 2 200 heures de musique diffusées dans l’année, dont 700 heures de concerts, en globalisant le calcul des points ainsi que je l’ai proposé.

Je rappelle qu’il ne s’agit pas ici d’un malus, mais d’un moyen de s’assurer que le contrat d’objectifs et de moyens est respecté. Dans le cas contraire, des sanctions sont-elles nécessaires ? Je l’ai bien constaté comme directeur général délégué de l’INA : dans les objectifs, il y a toujours une part résiduelle difficile à atteindre. Je doute que quiconque s’expose à être limogé parce qu’il n’aurait pas programmé cinquante-deux émissions musicales dans l’année.

En ce qui concerne la lutte contre la piraterie, la pédagogie est fondamentale. J’ai cité l’exemple de comportements que leurs auteurs ne considèrent pas comme illégaux, mais qui entraînent une évaporation de valeur préjudiciable à tous. Je suis tout à fait favorable au partage et à la découverte, par la radio, par les services numériques, par les réseaux sociaux, qui peuvent déclencher un achat. Mais si aucun revenu n’est généré, ce n’est pas tenable.

Avec Spotify et Deezer, la musique n’est plus achetée : son écoute est financée par la publicité. Je ne sais si Spotify vaut 4 milliards de dollars, comme on le dit ; en tout cas, la valeur de ces sites est liée à l’existence d’une clientèle, dont très peu d’abonnés payants (10 % à 25 % selon les cas). Ce modèle de financement par la publicité ne doit pas se soustraire à l’obligation de soutien à l’industrie créative à l’heure où il l’emporte sur celui d’iTunes, comme en témoignent les exemples que j’ai cités. Ce n’est pas parce que ce revenu est facturé à partir de bases étrangères en Irlande ou au Luxembourg qu’il faut renoncer à le cerner, bien au contraire.

M. le président Patrick Bloche. Monsieur Bordes, je vous remercie chaleureusement au nom de la commission. Comme toujours après la remise d’un rapport, nous nous interrogeons sur son sort, mais c’est à ses destinataires, et non à vous, que nous devons poser cette question – ce que nous ne manquerons pas de faire le moment venu, quitte à prendre ensuite nos responsabilités, en modifiant la loi s’il le faut.

Grâce à vous, nous aurons désormais un point de vue différent sur une question que l’on résume trop souvent à l’exposition de la musique à la télévision, notamment lorsque l’on interroge le président-directeur général de France Télévisions. Cela nous permettra peut-être d’échapper à cette réponse, devenue traditionnelle : « Si j’avais les moyens… ! »

La séance est levée à onze heures dix.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 11 juin 2014 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, M. Jean-François Copé, M. Yves Daniel, M. Bernard Debré, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, M. Yves Durand, M. Hervé Féron, Mme Annie Genevard, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, M. Pierre Léautey, Mme Martine Martinel, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, M. Michel Piron, M. Michel Pouzol, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal

Excusés. – Mme Huguette Bello, M. Bernard Brochand, M. Ary Chalus, M. Pascal Deguilhem, Mme Martine Faure, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Sonia Lagarde, M. Dominique Le Mèner, Mme Lucette Lousteau, M. François de Mazières, Mme Barbara Pompili, M. Franck Riester, Mme Julie Sommaruga, M. Jean Jacques Vlody