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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 16 juillet 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 40

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Brucy sur son rapport à Mme la ministre de la culture et de la communication, intitulé « France 3 : un avenir régional »

–– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 16 juillet 2014

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)

——fpfp——

La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Brucy sur son rapport à Mme la ministre de la culture et de la communication, intitulé « France 3 : un avenir régional »

M. le président Patrick Bloche. Pour ce qui sera sa dernière réunion au cours de cette session, notre commission a le plaisir d’entendre Mme Anne Brucy sur le rapport, consacré à l’avenir de France 3, qu’elle a remis le 1er juillet à Mme la ministre de la culture et de la communication. Ancienne directrice de France Bleu et de France 3
Nord-Pas de Calais-Picardie, vous avez, madame, été chargée en décembre dernier par Aurélie Filippetti d’une mission de réflexion sur le devenir de l’offre de proximité du service public après 2015. Un comité de suivi comptant notamment des parlementaires, parmi lesquels des membres de notre commission – Thierry Braillard, aujourd’hui appelé à d’autres fonctions, Christian Kert et Mme Martine Martinel –, des représentants de France Télévisions, du ministère de la culture et de la communication et du ministère des finances, ainsi qu’une personnalité qualifiée, s’est réuni une fois par mois pour accompagner votre réflexion. Votre rapport s’est nourri des très nombreuses auditions menées par la mission, mais également d’une étude des attentes des téléspectateurs en matière de télévision régionale.

Ce travail vous a conduit à la conclusion que sans offre régionale l’avenir de France 3 n’avait pas de sens. Vous soulignez que la légitimité de France 3 aux yeux des Français se fonde sur sa double identité, régionale et nationale. À partir de cette double vocation, votre rapport propose plusieurs pistes de réforme pour construire, à moyens constants, ce que vous qualifiez d’offre de proximité ambitieuse et renouvelée.

Je me contenterai à ce stade de vous poser deux questions. Vous dressez un bilan mitigé de l’organisation actuelle de France 3 en quatre pôles de gouvernance et préconisez de renouer avec l’organisation prévalant avant 2010 : pourriez-vous préciser votre proposition ? Pour quelles raisons jugez-vous que le réseau régional de France 3 est insuffisamment intégré à l’ensemble France Télévisions, qu’il s’agisse de la fabrication des programmes, de l’information ou de l’offre numérique ? Comment remédier à cet état de fait ?

Mme Anne Brucy. Permettez-moi d’abord, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, de vous remercier pour votre invitation. Je voudrais par ailleurs saluer le travail accompli par Mme Martinel et M. Kert dans le cadre du comité de suivi, ainsi que le rapport rédigé par M. Travert en tant que rapporteur budgétaire des crédits de l’audiovisuel public pour 2014 et qui a nourri notre réflexion. Je salue enfin les deux rapporteurs de la mission, Romain Laleix, adjoint au chef du bureau du secteur de l’audiovisuel public au sein de la direction générale des médias et des industries culturelles, la DGMIC, qui n’a pas pu être présent aujourd’hui, et M. Jean-Marc Dubois, directeur du développement de France 3, ainsi que M. Thomas Corona, chargé de mission, qui nous a accompagnés au cours des nombreuses auditions que nous avons conduites en régions.

Vous mesurez mieux que personne à quel point l’avenir de l’offre régionale de France 3 est un enjeu pour le service public. L’enjeu est d’abord politique : dans un moment où la demande de lien social se fait plus forte, la télévision publique de proximité peut et doit contribuer à réconcilier nos concitoyens avec les institutions. Dans la perspective de la prochaine réforme territoriale, la télévision publique régionale peut être un outil précieux pour diffuser le débat public, tant au sein des régions qu’au niveau national. L’enjeu est d’importance également pour l’entreprise France Télévisions elle-même, tant l’offre régionale est pour elle un élément structurant, un véritable marqueur de service public, qui doit faire l’objet d’une stratégie claire dans un contexte économique de plus en plus contraint. Notre mission avait également pour objectif d’anticiper l’impact de l’évolution des usages, notamment numériques, sur l’offre de proximité. Voilà les enjeux qui ont défini le cadre de notre mission.

Je rappelle que le réseau régional de France 3 emploie plus de 3 400 équivalents temps plein. Le coût de grille de l’offre régionale s’est élevé en 2013 à 360 millions d’euros, soit la moitié du coût de grille global de France 3. Ce sont au total 24 000 heures de programmes qui sont diffusées sur l’ensemble du territoire, même si l’offre régionale ne couvre que 10 % du volume des programmes auquel chaque téléspectateur peut accéder. Le problème est qu’à l’exception des journaux télévisés, ces programmes régionaux peinent à trouver leur public, avec une part d’audience de 4,2 %.

L’offre régionale de France 3 ne manque cependant pas d’atouts permettant d’envisager l’avenir avec optimisme. Le réseau bénéficie d’abord d’un maillage exceptionnel du territoire, avec 116 implantations au total, dont vingt-quatre antennes régionales de proximité, vingt rédactions locales excentrées et 67 bureaux d’information de proximité, les BIP. L’offre régionale bénéficie surtout de la compétence d’équipes, notamment de ses
1 400 journalistes, au professionnalisme reconnu et jouissant d’une excellente connaissance des régions. C’est sans doute ce qui explique les excellents résultats des éditions régionales, qui représentent 15,4 % de part d’audience. Ce sont eux qui permettent à France 3 d’être, avec 9,5 % de part d’audience, au quatrième rang des grandes chaînes généralistes.

Nous avons voulu travailler – c’est l’originalité de la démarche de notre mission – à partir des attentes des publics en matière d’offre régionale, car ce sont elles qui fondent la légitimité de la chaîne. C’est pourquoi nous avons, conjointement avec France Télévisions, commandé à l’institut Médiamétrie une étude visant à cerner la perception qu’a le public français de France 3 et ce qu’il en attend. L’étude s’est attachée plus particulièrement à corréler les usages de consommation des téléspectateurs avec l’évolution des bassins de vie. Nous avons dans ce domaine bénéficié des lumières du géographe Jacques Lévy, membre du comité de suivi. Selon cet expert, le processus d’urbanisation de notre pays étant désormais arrivé à son terme, les territoires peuvent être caractérisés par leur « gradient d’urbanité », soit leur plus ou moins grande proximité par rapport aux grands pôles urbains.

Cette étude a permis de dégager plusieurs grandes tendances. On constate tout d’abord un fort attachement à la double dimension, nationale et régionale, de l’offre de programmes de France 3, qu’il s’agisse de fictions, d’émissions telles que Les Carnets de Julie ou Midi en France, ou des journaux télévisés.

Deuxième grande tendance, les publics des grandes métropoles et de leurs banlieues sont très demandeurs de services de proximité. Les téléspectateurs vivant en périphérie des centres métropolitains, éloignés de la plupart des services publics, sont plus particulièrement attachés aux thématiques liées à la formation et à l’emploi et plus largement à tout ce qui concourt au renforcement du lien social et favorise l’accès aux services publics.

Dans les régions à forte identité, caractérisée notamment par la pratique d’une langue régionale, nous avons sans surprise constaté l’attachement des publics à la mise en valeur de la richesse et de la diversité culturelles de leur territoire ou des initiatives économiques, sociales et environnementales dont il est le cadre.

Ces diverses attentes appellent des programmes spécifiques, que ceux-ci soient diffusés sur les antennes de France 3 ou sur les supports numériques s’agissant des publics les plus jeunes. Sur la base de cette analyse et d’une étude approfondie de l’offre existante, nous avons dégagé plusieurs pistes pour faire évoluer l’offre régionale de France 3.

Si on s’en tient aux bonnes audiences des éditions régionales des sessions d’information de France 3, et au fait que celles-ci mobilisent 80 % des personnels travaillant pour l’offre régionale, la solution qui vient spontanément à l’esprit est de recentrer l’offre régionale de France 3 autour du « tout information ». Nous n’avons cependant pas retenu ce choix car il nous semble réduire excessivement le périmètre des missions de France 3, au détriment notamment de la création. En outre, il laisserait sans réponse les attentes des publics qu’aucun acteur privé n’est en mesure de satisfaire.

La deuxième orientation possible est le déploiement d’un réseau de chaînes régionales complémentaires à l’offre de France 3 « nationale », sur le modèle de Via Stella. Nous n’avons pas retenu cette stratégie, en raison, non seulement de son coût, mais surtout parce qu’elle ne correspond pas à une demande qui serait observable sur l’ensemble du territoire.

La troisième orientation possible, celle que je soumets à votre attention, est d’assumer clairement la double identité de France 3. On observe en effet qu’aucun des choix stratégiques qui ont présidé jusqu’ici aux évolutions de France 3, qu’ils aient été décentralisateurs ou, plus souvent, pour des raisons de moyens, centralisateurs, n’est parvenu à tirer parti du caractère unique de cette chaîne, à la fois régionale et nationale, et à faire dialoguer ces deux dimensions de manière féconde. C’est pourtant ce que le public attend : que France 3 assume cette spécificité qu’aucune autre chaîne du paysage audiovisuel français n’est en mesure de lui offrir – les chaînes concurrentes ne peuvent pas jouer la carte des régions sans tomber dans le folklore condescendant de la « carte postale ».

Parvenir à faire converger ces deux dimensions et à développer les riches potentialités de ces regards croisés suppose une collaboration étroite entre les équipes régionales et les équipes nationales, alors qu’aujourd’hui on a plutôt l’impression que France 3 tourne le dos à ses équipes régionales. Alors qu’il faudrait renforcer l’offre régionale à l’antenne, les horaires actuels de diffusion et de rediffusion des programmes régionaux ne permettent pas la constitution d’une véritable offre régionale de proximité.

À partir de cette analyse, mais aussi des compétences des équipes régionales, il faut rapprocher les programmes régionaux des attentes du public : c’est l’ardente obligation du local et du service. Il faut intégrer ce type d’offre dans une grille cohérente et lisible, harmonisée avec les programmes nationaux, afin de lui assurer la meilleure exposition. C’est d’ailleurs ce modèle qui a présidé à la refondation réussie de France Bleu, dans une démarche méthodique de coopération entre les régions et le niveau national. C’est ce qu’exprime le titre de mon rapport : « France 3 sans les régions n’a pas de sens, les régions sans France 3 n’ont pas de force ».

Nos propositions concernent autant les supports numériques que l’antenne. En ce qui concerne le numérique, nous préconisons une augmentation de près de 25 % de l’offre actuelle. Il faut renforcer l’offre régionale numérique de France 3 afin de pouvoir constituer un fil d’information régionale réactif, sur une plage horaire étendue, et qui fasse référence en termes d’information de proximité.

Nous proposons également de développer l’offre d’information de service attendue par les publics et de permettre l’accès systématique, en direct et en différé, aux programmes régionaux, notamment ceux en langue régionale.

France 3 et ses sites devraient devenir une vaste agora numérique, lieu de débat, de partage et de découverte assurant l’expression de toutes les initiatives des territoires. La mission préconise par ailleurs de poser la première pierre de l’arche numérique souhaitée par le Président de la République à l’occasion des quarante ans de la Maison de la radio. Dans cette perspective, le territoire régional pourrait être le terrain d’une expérimentation entre France 3, France bleu et l’INA.

S’agissant de l’offre régionale sur l’antenne, il est grand temps de définir une stratégie commune qui ne se limite pas aux considérations quantitatives. En effet les contrats d’objectifs et de moyens appréhendent la question de l’offre régionale sous l’angle unique du volume horaire de diffusion, alors que, comme vous l’avez souligné, monsieur Travert, ces volumes de diffusion sont souvent assurés par des rediffusions. C’est pourquoi il conviendrait de privilégier une approche qualitative.

La partition éditoriale en quatre pôles devrait disparaître, au bénéfice d’une offre générale correspondant au plus près au bassin de vie. Il convient d’accroître la réactivité de l’atout maître qu’est l’information en s’inspirant des expériences réussies dans ce domaine. L’information régionale ne doit pas se limiter à parler de ce qui ne va pas ; elle doit aussi accompagner les acteurs locaux, faire état des initiatives des territoires, favoriser le débat et surtout sortir de ses murs. Cela supposerait pour le réseau la production de près de 1 500 heures annuelles de programmes supplémentaires.

La responsabilité de définir une stratégie éditoriale en matière de documentaires devrait être partagée entre les antennes régionales et la direction nationale afin de dégager une ligne éditoriale propre à France 3 et d’améliorer leur financement unitaire.

Le renforcement du caractère régional des programmes nationaux à travers des émissions comme Midi en France ou Les Carnets de Julie devrait être poursuivi. On pourrait enfin envisager de déconcentrer en régions la production de certains programmes nationaux, sur le modèle de la production de Plus belle la vie.

Plus largement, le réseau régional de France 3 devrait s’adapter aux évolutions des bassins de vie. Quant aux zones de diffusion, elles devraient être redéfinies en fonction du redécoupage régional prévu par la future réforme territoriale.

La mission envisage enfin la possibilité de lancer des expériences d’offres régionales de complément, en coopération avec les collectivités locales et les antennes locales volontaires, dans les cas où l’identité régionale – c’est le cas de la Bretagne par exemple – ou la taille de la métropole le justifierait.

En tout état de cause, la rénovation de l’offre régionale de France 3 suppose le concours de tous et une forte implication des équipes dans l’évolution de leurs pratiques professionnelles. Dans le contexte économique contraint qui est le nôtre, un tel enrichissement de l’offre régionale ne peut être que le fruit d’une politique volontariste. Il requiert de France Télévisions un véritable choix stratégique en faveur de ses antennes régionales et un positionnement éditorial clair qui traduise fortement la double identité, régionale et nationale, de France 3. Il suppose enfin un vrai soutien de l’État et de tous les acteurs qui concourent à l’audiovisuel public. Je pense que dans la situation actuelle, toute autre orientation aboutirait à l’affaiblissement et à la marginalisation progressive de l’offre régionale, au point de mettre en péril l’existence même de France 3.

M. Stéphane Travert. Cette mission sur l’avenir de France 3, qui fait suite au rapport pour avis que j’avais présenté en novembre dernier devant notre commission, résulte de la volonté de la ministre de la culture et de la communication. Celle-ci a salué votre travail, estimant que les programmes régionaux sont une force pour le service public et que l’organisation de la chaîne, comportant une antenne nationale et des décrochages régionaux, modèle le plus répandu en Europe, est le plus pertinent pour la France métropolitaine.

Penser l’avenir de la télévision publique comme un élément indispensable de la relation de proximité avec les Français est aujourd’hui une impérieuse nécessité. Les échanges de qualité qui se sont déroulés dans le cadre des nombreuses auditions que vous avez menées ont permis de dégager une vision partagée de ce que doit être aujourd’hui un service public audiovisuel au service de nos concitoyens et des territoires.

Avant d’en venir aux conclusions de la mission, je voudrais exprimer le souhait que nos travaux respectifs, qui sont complémentaires, constituent un cadre de réflexion pour le prochain contrat d’objectifs et de moyens entre l’État et France Télévisions. En effet la réforme de France 3 est attendue, à la fois par les téléspectateurs, qui souhaitent plus de proximité et d’informations sur ce qui fait la vie des territoires où ils résident, mais aussi par les salariés de la chaîne, soit près de la moitié des effectifs de France Télévisions. Ses antennes constituent un maillage indispensable à la fabrication de programmes dont la qualité est reconnue.

Depuis quelques années pourtant, la chaîne peine à trouver sa place au sein du service public et son identité, partagée entre réseau national et régional, demeure floue. En effet la diffusion d’informations de proximité représente à peine quarante minutes sur vingt-quatre heures d’antenne quotidienne. France 3 ne saurait demeurer une chaîne nationale avec des aspects régionaux quand on connaît à la fois le professionnalisme des journalistes qui y travaillent et la mine d’information et de production de programmes que constitue cette task force.

Votre rapport tente de répondre à la question de la valorisation de ces investissements dans des programmes régionaux, voire interrégionaux. Votre rapport précise que si « l’antenne nationale de France 3 possède toutes les compétences pour la fabrication de ses programmes : unités de programmes (documentaires, magazines, fiction), direction de la programmation, direction artistique, direction des études, etc., toutefois, ces structures travaillent rarement pour ou avec le réseau. » La raison est à chercher dans le fonctionnement en pôles de gouvernance, qui constitue à mon avis un frein au développement de France 3.

Je m’étonne que votre rapport ne fasse mention d’aucun projet de collaboration des stations régionales avec les chaînes locales. Vous rejetez aussi la proposition de basculement vers un système de chaînes locales avec des décrochages nationaux. Vous proposez en revanche le principe d’expériences d’offres de complément diffusées sur des canaux dédiés. Si une telle expérimentation est concevable pour la Bretagne, dont on connaît la capacité à proposer des programmes régionaux, je m’interroge sur le choix de France 3 Île-de-France, dont l’identité est peu visible, et dont le traitement de l’actualité souffre de sa proximité avec France 3 nationale.

Certaines de vos propositions sont de nature à redonner de l’éclat et de la visibilité à France 3. Vous préconisez ainsi de veiller à assurer un accès systématique, en direct et en différé, aux programmes régionaux et locaux, ou encore de saisir l’opportunité de la réforme territoriale pour revoir l’organisation territoriale de la chaîne. Vous recommandez d’augmenter le volume de diffusion, la réactivité et l’amplitude horaire des programmes régionaux. La priorité reconnue au développement de l’offre numérique est également à porter au crédit de ce rapport, tout comme la préconisation de développer les émissions de service, à des horaires permettant de capter une nouvelle cible de téléspectateurs actifs. C’est ce que vous appelez le développement d’une offre d’information de proximité enrichie, capable de mieux rendre compte de la vie des territoires.

Je voudrais pour terminer souligner que, si l’avenir de France 3 nous importe beaucoup, nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion plus générale sur l’offre de service public. L’offre territoriale devra être de nature à favoriser le succès de la réforme de France 3.

Ce qui se dégage de votre rapport, c’est la nécessité de faire confiance aux antennes pour porter cette ambition régionale à laquelle nous sommes tous très attachés et de faire entrer dans la modernité et la société du numérique l’offre régionale télévisuelle. Il en va de l’avenir de France 3, de son réseau et de ses salariés. Fenêtre ouverte sur nos régions, France 3 a tous les atouts pour rassembler les Français autour d’une ambition culturelle innovante et faire le lien entre les territoires et les citoyens, pour peu que cette volonté s’inscrive durablement dans des objectifs précis. Assumer une mission de proximité et une présence territoriale constitue aujourd’hui un objectif incontestable et incontournable du service public.

M. Christian Kert. Si les conclusions de votre mission, madame, sont frappées au coin du bon sens, elles n’ont rien de révolutionnaires. En rappelant combien le public est attaché à la double identité, nationale et régionale, de France 3, vous manifestez clairement votre volonté de ne pas « renverser la table » de l’audiovisuel public. Vous conservez ainsi le modèle d’une chaîne nationale avec des décrochages régionaux, certes améliorés.

Vous évoquez la possibilité pour France 3 de nouer des partenariats avec France Bleu ou des chaînes locales. Étant donné la rareté de celles-ci, ne devrait-elle pas plutôt établir de tels partenariats avec les collectivités territoriales ? De ce point de vue, vous avez raison de voir dans la réforme territoriale l’occasion de repenser l’offre régionale de France 3.

Nous ne pouvons par ailleurs qu’être favorables au rôle que vous assignez au numérique dans la diffusion de l’offre régionale. Vous indiquez que 69 % des internautes seraient intéressés par un accroissement de l’offre d’actualité régionale sur internet. Sachant que le public de France 3 est plus âgé que celui des autres chaînes, le développement du numérique ne serait-il pas le moyen, ou du moins l’occasion, de rajeunir l’audience de la chaîne ?

On ne saurait évoquer la réactivité de l’offre régionale sans poser la question de la concurrence des chaînes dédiées à l’information. Or je ne suis pas persuadé que votre rapport réponde véritablement à cette question. Il me semble qu’il est impératif de doter les équipes de France 3 des armes nécessaires pour affronter cette concurrence, via une meilleure formation ou une meilleure répartition des personnels sur le territoire. En tout état de cause, la direction de France Télévisions doit adresser un message fort aux personnels des antennes régionales. Pour avoir rencontré moi-même des représentants de ces personnels dans ma circonscription, je peux vous dire qu’ils ne demandent qu’à travailler davantage pourvu qu’un nouvel élan soit impulsé à l’entreprise publique.

L’effort de promotion des langues régionales devra tenir compte des spécificités régionales, certaines régions, telle la Bretagne, étant beaucoup plus sensibilisées que d’autres à cette thématique.

On ne peut que partager votre conviction que la réforme ne sera possible que si elle s’accompagne d’un soutien financier. Hélas, les dernières décisions budgétaires ne vont pas dans ce sens : on continue au contraire à raboter les moyens de France Télévisions. La question est de savoir si France 3 verra sa part augmenter dans la répartition de ces crédits budgétaires. Votre rapport aurait pu insister davantage sur cette nécessité.

Au-delà de toutes les considérations techniques et financières que vous avez fort bien développées, n’est-il pas nécessaire d’impulser, sans parler nécessairement de révolution, au moins un souffle nouveau à cette chaîne que chacun d’entre nous s’accorde à juger indispensable au paysage audiovisuel public français ?

Mme Barbara Pompili. Nous approuvons une bonne partie des recommandations de ce rapport. Ainsi nous considérons comme vous que France 3 doit relever le défi du numérique, afin notamment de permettre la mutualisation des ressources des différentes chaînes et le renforcement des synergies entre télévision et radio. Votre proposition de mettre en place une arche numérique de service public retient particulièrement notre attention. Il est impératif de développer des offres numériques communes à l’ensemble de l’audiovisuel public si on veut accéder à de nouvelles potentialités, à condition qu’elles soient sources d’enrichissement culturel et que l’ensemble des personnels soient associés à ce projet. Pourriez-vous préciser quelles pourraient en être les modalités concrètes, notamment lorsque les taux de couverture des différents réseaux publics ne coïncident pas – c’est le cas dans ma région de Picardie, où France Bleu Picardie couvre essentiellement la Somme, alors que France 3 Picardie couvre toute la région ?

Le développement envisagé du numérique se fera-t-il à moyens constants, alors que les effectifs sont déjà faibles, ou bien bénéficiera-t-il de moyens supplémentaires ? La polycompétence que vous appelez de vos vœux suscite également des inquiétudes. Pouvez-vous les lever ?

Je suis toutefois étonnée que votre rapport n’aborde pas certains problèmes bien identifiés. Je pense notamment aux difficultés organisationnelles dont souffre France 3. Cela fait des années qu’on y dénonce une détérioration des conditions de travail, encore tout récemment dans un rapport réalisé à la demande du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Celui-ci pointe notamment la perte du sens du travail chez les salariés, la surcharge de travail ou la sous-utilisation des personnels, le manque de communication et de transversalité. Votre rapport aurait pu de même aborder la question des emplois précaires et de la « permittence ». D’une façon générale, il me semble compliqué d’évoquer l’avenir de la chaîne sans évoquer les conditions de travail au sein de cette entreprise publique. Il faudrait ainsi évaluer l’impact potentiel des réformes organisationnelles que vous préconisez sur ces conditions de travail.

Il est en outre fort probable, comme vous le suggérez, que la réforme territoriale aura des effets sur la structuration du réseau et c’est là une nouvelle source de questionnement. Pouvez-vous nous préciser votre sentiment là-dessus ? En tout état de cause, votre proposition de mettre fin à l’organisation en quatre pôles de gouvernance nous semble sage, tant ces pôles ont concouru au relâchement des liens avec les territoires et à la désorganisation des conditions de travail, au détriment de l’offre de proximité.

Votre proposition d’adapter le nombre des postes aux bassins de vie suscite également notre inquiétude : n’y a-t-il pas là un risque de réduire la couverture des zones rurales ou peu denses, au profit des grandes agglomérations et des métropoles ? Comme vous le savez, les Écologistes sont très attachés à l’offre de proximité et à l’identité régionale de France 3. Nous considérons que les arbitrages financiers ne doivent pas se faire au détriment des territoires et de l’offre de proximité. France 3 doit être la chaîne des territoires, et non une chaîne nationale de seconde zone.

Cela m’amène à évoquer la question du financement, question centrale si on veut véritablement renforcer France 3 et l’identité régionale de son offre de programmes. Les récentes annonces du Gouvernement quant à la fin progressive de la dotation compensant la suppression de la publicité après vingt heures ne laissent pas d’être extrêmement inquiétantes pour le financement de l’audiovisuel public.

Je souhaite à ce propos ajouter une dernière remarque touchant plus particulièrement le financement de la création par France 3. Sachant que la chaîne assure 50 % des obligations de création de France Télévisions, il me semble essentiel de l’autoriser à détenir des parts de « producteur » dans les œuvres qu’elle finance.

Mme Martine Martinel. Je me réjouis de constater que M. Kert a envie de renverser la table et de faire la révolution – je fais allusion à une conversation récente que nous avons eue à ce propos. L’identité de France 3 est souvent incertaine et vous avez eu, madame, des propos forts sur l’ardente obligation du service local et sur les enjeux de service public liés aux missions de France 3 et des autres chaînes. Vous avez également évoqué une agora numérique.

Pourquoi ne proposez-vous pas d’inverser le modèle, conformément aux propositions figurant dans l’excellent rapport de M. Stéphane Travert, que vous avez cité ? Pourquoi, si nous pensons tous que la part régionale est si importante, conserver le programme national ? Qu’entendez-vous, par ailleurs, par « régionalisation du programme national » – ou, selon votre expression, par « offre nationale régionalisée » ?

Les salariés sont inquiets car, malgré leurs compétences, ils se sentent mésestimés. Quelles sont vos préconisations à cet égard ?

Enfin – et ma question n’est pas impertinente –, quel avenir aura cet excellent rapport dans le nouveau contrat d’objectifs et de moyens ou avec la nouvelle équipe de France Télévisions ? Que fera la tutelle de ce rapport sur une chaîne qui est peut-être la plus aimée, mais aussi la moins regardée ?

M. le président Patrick Bloche. Je rappelle que Mme Martine Martinel sera notre rapporteure sur les crédits de l’audiovisuel public pour 2015.

Mme Dominique Nachury. Merci, madame Brucy, pour votre contribution à la question, que vous qualifiez de « lancinante », de l’identité de France 3 et pour votre volonté d’y apporter une réponse claire. Mes questions porteront sur les moyens.

L’étude de Médiamétrie a établi, comme l’a souligné M. Kert, que 69 % des internautes de 15 ans et plus souhaiteraient davantage d’actualités régionales sur le site internet de leur région ou sur l’application France 3. Une réforme ambitieuse de l’offre numérique demande des moyens financiers, mais ce soutien ne viendra pas de l’État, qui compte plutôt sur des économies de la part de France Télévisions. Prudente, vous renvoyez au futur contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions qui entrera en vigueur à compter de 2015. Avez-vous à cet égard des pistes sûres, ou seulement des espoirs ?

Par ailleurs, les collectivités sont largement perçues comme des financeurs potentiels et des financements locaux sont évoqués pour la production de documentaires et la structuration des filières en régions. Le rapport suggère de tester des chaînes régionales de complément en coopération avec les collectivités volontaires là où l’identité régionale le justifie, comme en Bretagne ou en Alsace. N’est-il pas dommage que la question soit peu approfondie dans le rapport ? L’hypothèse soulevée n’est ni nouvelle, ni choquante, même s’il faut rappeler la prudence qu’imposent l’indépendance éditoriale et le pluralisme, comme l’a fait M. Stéphane Travert lors d’une récente intervention devant notre commission.

M. Marcel Rogemont. Le rapport budgétaire de M. Travert et votre rapport, madame Brucy, témoignent d’un intérêt pour France 3. Il s’en dégage le même constat qu’un changement est nécessaire afin d’assurer un meilleur avenir à la chaîne, mais les conceptions de ce changement sont très différentes : tandis que M. Travert préconise une chaîne régionale avec des décrochements nationaux, vous proposez une chaîne nationale avec des décrochements régionaux. Votre proposition évite l’écueil qu’aurait représenté une trop forte régionalisation, notamment en ce qu’elle renforcerait une tendance fréquente à ne voir que ce qui nous distingue des autres, en oubliant ce qui nous rassemble.

Votre onzième recommandation prévoit le principe d’expériences d’offres de complément diffusées sur des canaux dédiés. Outre que je doute que l’on puisse, avec 2 millions d’euros, alimenter sept heures de contenu par jour, ce type d’initiative viendrait télescoper et concurrencer certaines chaînes locales très développées – comme, en Bretagne, celles de Brest, Lorient et Rennes. La question se pose d’autant plus que vous suggérez, juste après cette proposition, que France 3 travaille de concert, là où c’est possible, avec des télévisions locales. Quelle hiérarchie et quelle articulation établissez-vous entre ces deux propositions ?

Pour ce qui est du numérique, je partage pleinement votre diagnostic – comment, du reste, nier la nécessité d’adapter le média télévisuel aux nouveaux modes de consommation ? Ce pourrait être, selon votre rapport, un moyen – voire le moyen privilégié – de diffusion des programmes en langues régionales. Pouvez-vous nous préciser votre position à ce propos ?

Vous suggérez également d’augmenter les programmes en langues régionales. Disposez-vous de statistiques d’audience, par région, des émissions actuellement programmées en langues régionales ? Quel en est le coût et quelle part cela représente-t-il dans les crédits alloués pour la production en régions ?

Votre rapport, qui n’est pas révolutionnaire, a le mérite de solliciter un approfondissement et un renouvellement de France 3, qui pourrait ainsi accéder à une existence propre. C’est ce que je souhaite.

M. Patrick Hetzel. Je vous remercie moi aussi, madame Brucy, pour la qualité du travail qui nous a été présenté.

On ne peut que souscrire à la quatrième recommandation de votre rapport, où vous évoquez l’exploitation du potentiel des supports numériques pour offrir des services de proximité et exposer au mieux les langues régionales. Cependant, même dans le cas d’un réseau national, il conviendrait de prendre davantage en compte certaines spécificités régionales. Je suis surpris, à cet égard, que vous ne mentionniez pas les régions frontalières. De fait, les bassins de vie peuvent être transfrontaliers, comme c’est le cas en Alsace – France 3 Alsace a d’ailleurs engagé des démarches en ce sens et le pays de Bade est demandeur de relations plus fortes avec elle. Il importe de soutenir de telles initiatives au niveau national, car c’est ainsi que pourront émerger de véritables euro-régions, parfois transfrontalières. La même analyse vaudrait pour l’Italie et la région Rhône-Alpes, ainsi que pour l’Espagne et les Pyrénées. Sur ce point, votre rapport reste un peu franco-centré, alors que la question des chaînes régionales doit prendre en compte la dimension européenne. Du reste, la construction européenne doit aussi s’appuyer sur les chaînes nationales, dont France 3.

M. Paul Molac. Madame Brucy, votre rapport était très attendu chez nous, en Bretagne. La France se distingue des pays voisins en ce qu’elle ne possède pas de chaînes publiques régionales, à l’exception peut-être de Via Stella. En revanche, on trouve par exemple en Grande-Bretagne une offre double associant des chaînes nationales avec des décrochages régionaux et des chaînes régionales – comme Sianel Pedwar Cymru au Pays de Galles – parallèlement à BBC Wales ou BBC Alba en Écosse.

Avec une chaîne nationale à décrochages régionaux, ce qui nous distingue disparaît parfois des écrans. Ainsi, l’excellente émission en langue bretonne diffusée tous les dimanches matin est régulièrement supprimée au profit de diverses manifestations sportives et n’est même pas remplacée par des rediffusions durant les vacances. J’ai même pu constater récemment que la Coupe du monde de ski n’était pas seulement diffusée par France 3 sur la TNT et par satellite, mais aussi sur les 22 canaux régionaux de la chaîne : le matériel est sous-utilisé et sans doute faudrait-il également faire évoluer les esprits.

Le « média global » a cet avantage qu’il permet de faire beaucoup plus avec la même somme d’argent. Nous poursuivons en Bretagne cette idée de mutualisation associant les télévisions locales, France 3 et les radios, afin de mettre en place un média global de plein exercice. Je sais que la région y travaille et j’espère que ce travail arrivera à son terme.

Mme Isabelle Le Callennec. Merci, madame Brucy, pour ce rapport. France 3 Bretagne a fêté ses 50 ans au mois de janvier dernier, ce qui a donné lieu en région à un débat très intéressant au cours duquel l’idée d’une télévision régionale avec des décrochages nationaux a fait son chemin.

Vous avez déclaré que l’offre en régions était stratégique pour France Télévisions. Cette prise de conscience a-t-elle atteint la tête de la société et se traduit-elle concrètement dans les moyens dévolus aux régions ? Lors du débat tenu à Rennes s’est exprimé le souhait d’un rééquilibrage des budgets alloués à la production en faveur des régions, afin d’avoir, pour reprendre les mots que vous avez employés, une vraie télévision de proximité qui offre des services et que l’on ait envie de regarder, car cela valorise les initiatives des territoires et permet de débattre de questions intéressant spécifiquement une région.

Enfin, puisque vous évoquez des réformes à moyens constants, c’est une très bonne idée que de s’emparer du numérique et même d’augmenter de 25 % la part qui lui est dévolue. Cependant, j’ai lu dans la presse que le Gouvernement s’apprêtait à diviser par dix, dans le budget pour 2015, les crédits consacrés l’audiovisuel et que de grosses économies de fonctionnement seraient demandées à France Télévisions. Concrètement, comment
pourra-t-on mettre en œuvre vos préconisations et les appels exprimés par les régions avec une telle hémorragie financière ?

M. le président Patrick Bloche. Je précise que c’est sur trois ans, et donc d’ici à 2017, que la dotation budgétaire de l’État aux sociétés de l’audiovisuel public se réduira progressivement.

Mme Colette Langlade. Madame Brucy, comme bon nombre de mes collègues, je vous félicite pour le travail approfondi que vous nous présentez. Il était nécessaire de travailler à la pérennisation et au développement de France 3 régions, qui répond à un enjeu de service public. Dans les territoires éloignés de Paris, comme celui dont je suis élue, les citoyens tiennent aux médias locaux qui parlent d’eux, de leur environnement et de leur quotidien.

Si je souscris à un grand nombre de vos préconisations, j’émettrai cependant une réserve sur la nécessité d’accentuer l’ambition numérique en région. En effet, si France 3 régions doit s’adapter à la révolution numérique, elle est aussi regardée dans des territoires ruraux où la fracture numérique est une réalité et où les téléspectateurs ne sont pas toujours adeptes de la vidéo à la demande ou du streaming.

La carte des régions de France 3 devra-t-elle se caler sur celle qui sortira dans les prochains jours des débats que mène actuellement la représentation nationale sur la fusion des régions ?

S’il est pertinent de s’efforcer de conforter la place des langues régionales dans les antennes régionales et locales qui les valorisent et – pourquoi pas ? – de développer aussi leur présence dans l’offre numérique des régions de France 3, comment cela peut-il se traduire dans les faits et comment se feront les choix ? Comment organiser la promotion de langues qui, comme l’occitan, sont parlées dans plusieurs régions ?

Enfin, avez-vous réfléchi à la situation des télévisions locales – dont je salue l’action sur le terrain, notamment celle de TV7 Aquitaine ? Comment les pérenniser et assurer leur développement parallèlement à celui des antennes régionales de France 3 ?

M. Frédéric Reiss. France 3 suscite toujours des débats passionnants et passionnés. À cet égard, la dernière phrase du rapport, selon laquelle « l’avenir de France 3 sera régional, ou ne sera pas », invite à approfondir le débat.

Restant dans un premier temps sur ma faim, je trouvais que le rapport ne présentait pas de recommandations révolutionnaires susceptibles de donner un nouvel élan à France 3. Après votre exposé, madame Brucy, je comprends mieux la façon dont vous avez articulé ce rapport et j’y ai trouvé quantité de choses intéressantes.

Pour ce qui est de la télévision transfrontalière, évoquée par M. Hetzel, je déplore que la décision d’arrêter l’émission Vis-à-vis, diffusée par France 3 Alsace et la SWR, la télévision régionale voisine, ait été prise unilatéralement par Paris malgré les contrats en cours et le maintien d’une bonne audience en dépit de plusieurs déplacements dans la grille de programmation. De nombreux téléspectateurs m’ont également fait part de leur incompréhension.

Enfin, pourquoi si peu des personnes travaillant à France 3 Alsace maîtrisent-elles la langue alsacienne ? Pour que France 3 ait une âme régionale, il faut des hommes et des femmes qui aient la fibre régionale. La question est certes rendue plus complexe par le fait que ces personnels ont longtemps travaillé sous le statut d’intermittents du spectacle à France Télévisions, mais ma question porte sur l’avenir et le recrutement des personnels de France 3.

Mme Anne Brucy. Je rappelle sous forme de clin d’œil que, comme l’indique mon rapport, France 3 distinguait, avant la réforme mise en œuvre par Patrick de Carolis, 13 régions, dont celle du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, qui correspond à l’un des points les plus largement débattus de la réforme territoriale que votre assemblée examine actuellement. France 3 a la capacité de disposer d’implantations dans l’ensemble des grandes agglomérations, qui permettent ce maillage originel, et des systèmes de diffusion amovibles
– c’est-à-dire qu’elle peut diffuser selon différents découpages territoriaux –, comme cela a par exemple été le cas pour les élections européennes. L’organisation de demain devra bien entendu tenir compte de la nouvelle carte dessinée par la réforme territoriale, mais elle devra aussi pouvoir s’inscrire dans les bassins de vie et rester en lien avec les collectivités territoriales pour lancer certaines initiatives.

La disparition de l’organisation en quatre pôles semble rencontrer votre approbation – et notamment la vôtre, Monsieur Travert, qui avez qualifié cette superstructure de « kafkaïenne » dans votre rapport.

Il n’y a pas lieu de distinguer entre les salariés de l’échelon régional et national en considérant que les uns sauraient, et les autres pas : chacun a sa connaissance, les uns du terrain et des modes de travail plus souples y afférents, et les autres des réponses à apporter aux offres concurrentes des autres grandes chaînes généralistes. Il s’agit là d’un lien de complémentarité, et non pas d’un lien hiérarchique. Il est très important, en revanche, qu’une vision globale soit écrite sur le modèle de celle qui a dessiné les contours de France Bleu.

Madame Martinel, si nous n’allons pas jusqu’à l’inversion du modèle, c’est d’abord parce que ce n’est pas ce qu’attendent les publics, attachés à de grandes émissions telles que Thalassa ou Des racines et des ailes. C’est aussi parce que France 3 n’est pas mûre pour cela, car il faut déjà mener à bien l’écriture d’une ligne éditoriale partagée entre régions et national, présentant une offre générale. C’est enfin parce que les coûts rendent cette perspective inenvisageable.

L’offre nationale permet de satisfaire aux obligations en matière de création, qui sont une véritable richesse pour France 3 et qui sont appréciés par les téléspectateurs. Elle permet aussi de rapprocher et de rassembler les acteurs qui font vivre les territoires, ce qui est la vocation de France 3.

La régionalisation du programme national passe par des émissions qui sont un regard porté sur les régions, comme Midi en France et Les carnets de Julie. Ce regard doit encore évoluer et se fabriquer en collaboration avec les régions. Les équipes nationales font désormais un peu plus intervenir les personnels des régions, car rien ne vaut l’accueil de ceux qui connaissent la région et qui savent quels sont les gens qu’il faut voir et ce qu’il faut faire. Les équipes régionales permettent aux émissions nationales d’être aux bons rendez-vous et d’échapper aux images de carte postale.

Pour ce qui concerne les langues régionales, je cède la parole à M. Jean-Marc Dubois, qui a contribué au rapport.

M. Jean-Marc Dubois, directeur du développement de France 3. Monsieur Rogemont, France 3 propose 70 heures d’émissions en langue bretonne par an. Certains en Bretagne considèrent que c’est peu, mais cela représente en réalité un investissement important, de l’ordre de 1,8 à 1,9 million d’euros par an, pour des audiences parfois difficiles, qui se situent entre 2 % et 5 %, car ces programmes sont, par définition, segmentants. C’est aussi la gloire et la mission du service public que de diffuser de telles émissions qui valorisent la langue bretonne. Nous sommes les seuls à le faire à ce niveau et France 3 Bretagne maintient cet investissement.

Le coût de grille de ces programmes en breton se situe entre 20 et 25 millions d’euros : l’investissement n’est donc pas négligeable. En Alsace, le coût est de l’ordre de 2,5 millions, mais la proportion de locuteurs n’est pas la même – et je ne parlerai pas de la Corse. Les investissements en régions dépendent aussi du nombre de téléspectateurs susceptibles de suivre les émissions.

La création d’un portail des langues régionales pourrait être une solution pour rapprocher l’ensemble de ce que fait France 3, qui diffuse en sept langues régionales. Nous pourrions même envisager un portail européen, car d’autres télévisions régionales diffusent elles aussi des langues régionales. Il n’est pas question pour nous de réduire ou de supprimer la place des langues régionales, mais nous tenons à assurer la qualité des émissions, qui doivent pouvoir être plus regardées. Le critère ne doit pas être le seul volume horaire : à quoi bon diffuser chaque année un peu plus si cela ne s’accompagne pas d’une augmentation de l’audience et de la qualité ?

Mme Anne Brucy. Traiter les langues régionales comme des pièces de musée est rébarbatif et entraîne très peu d’adeptes. Or, il existe une manière moderne de traiter les langues régionales à la télévision, en les inscrivant dans l’actualité, dans l’air du temps. Il est tout à fait possible, sans jouer avec les volumes, d’inscrire dans l’offre de petits rendez-vous qui font des clins d’yeux à la langue et la rajeunissent – ce qui répond à la demande de nombreux téléspectateurs –, tout en invitant à se rendre sur les plateformes numériques évoquées tout à l’heure. Outre la Bretagne, il faut mentionner aussi les nouveaux périmètres qui se dessinent notamment autour des questions transfrontalières.

L’offre numérique régionale est considérée comme une priorité au sein de France Télévisions mais, malgré des évolutions, trop peu de personnes y travaillent encore. Des compléments financiers seront donc nécessaires pour répondre à cette priorité. L’offre numérique est aujourd’hui essentiellement consacrée au prolongement de l’offre télévisuelle et de l’offre d’information. Par rapport à l’offre de la presse quotidienne régionale (PQR), le nombre d’informations et de pages consultées indique cependant qu’il reste beaucoup à faire pour être compétitifs. À cet égard, des collaborations peuvent être envisagées avec France Bleu et, à la différence de la PQR, nous disposons d’images, indispensables sur le Net.

La capacité à faire évoluer les équipes de France 3 passe par un double réflexe : ces équipes doivent faire leurs reportages et, grâce à des moyens de transmission rapides et légers, envoyer des photos ou des éléments qui seront traités par des équipes dédiées situées au sein des rédactions. Les contenus destinés à l’antenne ou au Net doivent se nourrir réciproquement et doivent permettre à la fois une présence permanente sur le Net et des rendez-vous plus fixes à la télévision.

France 3 doit donc offrir une agora numérique proposant des hyperliens avec l’ensemble des initiatives menées dans les régions, ainsi que des captations de concerts permettant à des groupes de jeunes de se retrouver dans une expression partagée. France 3 doit jouer son rôle de dénicheur de talents qui pourront remonter à l’antenne, moyennant un traitement particulier. Elle doit aussi proposer une offre numérique qui s’adresse aux 69 % d’audience qu’évoquait M. Rogemont – aux jeunes, certes, mais aussi aux moins jeunes – car la fracture numérique n’est pas celle qui est traditionnellement décrite et l’on observe aussi une forte augmentation des ventes de tablettes aux moins jeunes.

Le rapport comporte effectivement une recommandation invitant à faire des expériences, sur des canaux dédiés, avec des télévisions locales et des collectivités territoriales. Une autre proposition tend à montrer les formes que peut prendre la collaboration avec une télévision locale. Ainsi, à Grenoble, les équipes ont pu se répartir entre les différentes phases d’une course et en couvrir ainsi l’intégralité, ce qui aurait été impossible séparément. Ces collaborations permettent aussi des coproductions et des échanges de programmes avec les télévisions locales et France 3.

Monsieur Kert, toute l’histoire de France 3 n’a été faite que de révolutions et aucun cap n’a été tenu à long terme, ce qui n’a pas été sans susciter une certaine lassitude de la part des équipes. Par comparaison avec les chaînes privées – comme TF1, qui a tenu un même cap de sa création en 1987 jusqu’au départ de M. Patrick Le Lay –, le service public de l’audiovisuel a connu des révolutions quasi-permanentes, les alternances des présidents de France Télévisions étant elles-mêmes en alternance avec les gouvernements et faisant se succéder vent de dos et vent de face. Ainsi, nous avons connu en 1989 un projet de sociétés d’économie mixte, puis le projet de télévision numérique régionale (TNR), le projet Proxima et la dernière réforme : à force de changer de cap, on est déboussolé.

La révolution que je propose consiste à avoir un cap fixe et un objectif à long terme
– ce qui revient tout de même à renverser la table. Cette approche s’accompagnera d’une augmentation de la production en régions, ainsi que de la production numérique. Je souhaite que, pour une fois, France 3 ne tourne plus le dos à ses régions, que les gens travaillent ensemble et qu’une harmonisation se fasse, afin que France 3 puisse multiplier ses capacités d’intervention, au lieu de les diviser par des guerres picrocholines teintés de mépris. La suppression par Paris de l’émission que vous évoquiez, monsieur Reiss, est un procédé qui doit céder la place à une volonté partagée de mettre en avant l’offre régionale sur l’antenne de France 3.

Sur le plan financier, France Télévisions doit, dans le cadre de la péréquation des moyens, fixer des priorités à l’offre régionale de France 3 et l’État doit pouvoir accompagner cette évolution destinée, à terme, à devenir pérenne. Je souhaite contribuer à faire émerger des prises de positions claires pour cette chaîne, qui est l’élément de différenciation du service public et dont il serait dommage d’appauvrir l’offre.

La chaîne de complément proposée pour l’Île-de-France procède de la réflexion menée notamment avec Jacques Lévy sur le constat d’une urbanisation achevée : les personnes qui vivent à une centaine de kilomètres de Paris continuent à dépendre de Paris. Ces « invisibles », éloignés des grandes métropoles, doivent néanmoins avoir accès à ce que propose le service public. Ils doivent pouvoir s’y reconnaître – car on ne les voit jamais à la télévision – et échapper au système centre-périphérie. Pourquoi, lorsqu’on habite en banlieue ou en grande périphérie, aller à l’Opéra de Paris alors qu’on trouve dans la banlieue des opéras et des théâtres dignes de ce nom ? Il s’agit donc de créer des liens entre toutes ces populations qui, se situant essentiellement dans le système centre-périphérie, doivent pouvoir être interconnectées et avoir conscience d’une existence partagée, même si elles ne se connaissent pas les unes les autres. Je souhaite donc qu’une expérimentation puisse être menée sur le Grand Paris et, d’une manière générale, sur les grandes agglomérations.

Je rappelle enfin que le rapport est destiné à accompagner, à partir de 2015, la rédaction du prochain contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions, qui sera signé par le nouveau président désigné par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Il a donc vocation à être un élément d’orientation pour l’offre régionale de France 3 et il a bien sûr été adressé au CSA, qui en a pris connaissance.

M. le président Patrick Bloche. Madame Brucy, je vous remercie d’avoir pris le temps de répondre aux interrogations des membres de notre commission, qui ont témoigné ce matin à France 3 une attention toute particulière.

La séance est levée à onze heures vingt-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 16 juillet 2014 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Yves Daniel, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, M. William Dumas, Mme Martine Faure, M. Patrick Hetzel, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, Mme Martine Martinel, Mme Dominique Nachury, Mme Barbara Pompili, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert, M. Patrick Vignal

Excusés. – M. Jacques Cresta, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Guénhaël Huet, M. François de Mazières, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot

Assistaient également à la réunion. – Mme Isabelle Le Callennec, M. Paul Molac