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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 7 octobre 2015

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 03

Présidence de M. Michel Ménard, vice-président puis de M. Patrick Bloche, président

– Audition de M. Michel Cosnard, dont la nomination en qualité de président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur est envisagée par le Président de la République

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 7 octobre 2015

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.

(Présidence de M. Michel Ménard, vice-président de la commission,
puis de M. Patrick Bloche, président)

——fpfp——

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède à l’audition de M. Michel Cosnard, dont la nomination en qualité de président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur est envisagée par le Président de la République.

M. Michel Ménard, vice-président. Mes chers collègues, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence du président Patrick Bloche en ce début de réunion : il m’a demandé de le suppléer jusqu’à ce qu’il puisse nous rejoindre.

Nous nous retrouvons donc cet après-midi pour auditionner M. Michel Cosnard, puis émettre un avis sur sa nomination aux fonctions de président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES).

En application des articles 90 et suivants de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) a été remplacée, depuis le 17 novembre 2014, par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Cette autorité administrative indépendante composée de trente membres – dont deux parlementaires, Mme Sandrine Doucet pour l’Assemblée nationale et M. Jacques Grosperrin pour le Sénat – dispose de compétences importantes en matière d’évaluation des établissements d’enseignement supérieur, des organismes de recherche, des fondations de coopération scientifique mais également des formations et diplômes de l’enseignement supérieur ainsi que des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui emploie actuellement 190 personnels administratifs et techniques, peut s’appuyer sur un important réseau d’experts français et étrangers, régulièrement formés et renouvelés et bénéficie d’un budget de 15,3 millions d’euros. Son organisation et son fonctionnement ont été précisés par le décret n° 2014-1365 du 14 novembre 2014 ; sa composition étant désormais arrêtée, il convient de désigner son président, fonction pour laquelle M. le Président de la République a pressenti M. Michel Cosnard.

Cette nomination – comme celle, auparavant, du président de l’AERES – fait partie de celles sur lesquelles notre commission doit se prononcer au préalable en application de l’article 13 de la Constitution. Je rappelle qu’aux termes de cette procédure, si l’addition des suffrages négatifs émis dans les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat atteint les trois cinquièmes du total des suffrages exprimés, le Président de la République ne peut pas procéder à la nomination.

Cher monsieur, je vous souhaite la bienvenue à la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, après votre audition ce matin devant la Commission de la culture du Sénat.

Né en 1952, vous êtes diplômé de l'École nationale supérieure d'informatique et de mathématiques appliquées de Grenoble, titulaire d'un master's degree en mathématiques appliquées de l’université Cornell aux États-Unis, et docteur en informatique. Spécialiste mondialement reconnu des algorithmes, vous avez également travaillé sur la complexité des réseaux d'automates et de neurones. Les étapes de votre carrière figurent dans la biographie qui a été communiquée aux membres de la commission ; je rappellerai simplement que vous avez été chercheur au CNRS, professeur d’informatique à l’École normale supérieure de Lyon, directeur d’unités de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), puis membre du comité directeur et enfin président-directeur-général de ce même institut, de mai 2006 à septembre 2014. Auteur de très nombreuses publications et lauréat de plusieurs prix scientifiques, vous êtes chevalier de la légion d’honneur et docteur honoris causa de la faculté polytechnique de Mons, en Belgique.

Au-delà de ces quelques éléments biographiques, l’audition d’aujourd’hui va vous permettre de vous présenter à nous et de nous exposer vos projets et votre ambition pour le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Je vous propose de prendre la parole pour une intervention liminaire d’une quinzaine de minutes, après quoi un échange pourra s’instaurer avec les membres de la Commission. Je rappelle que nous procéderons à huis clos au vote sur votre nomination, à l’issue de votre audition.

M. Michel Cosnard. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, mon propos sera constitué de trois parties : une présentation succincte de mon parcours professionnel mettant en avant ce qui motive ma candidature ; un état des lieux du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur ; un développement sur les évolutions du Haut Conseil qui me semblent souhaitables pour qu’il remplisse au mieux ses missions.

À l’issue de mon doctorat d’État de l’université de Grenoble, j’ai commencé ma carrière de chercheur au CNRS puis ai été nommé professeur à l’École normale supérieure de Lyon où j’ai dirigé le département de mathématiques et d’informatique et créé un magistère en informatique, en lien avec l’université Claude-Bernard de Lyon et l’université
Joseph-Fourier de Grenoble. J’y ai également mis en place le laboratoire d’informatique du parallélisme (LIP), aujourd’hui internationalement reconnu, qui est une unité mixte de recherche ayant la particularité d’être associée à l’université Claude-Bernard de Lyon, à l’Institut national des sciences appliquées de Lyon, au CNRS et à l’INRIA.

J’ai effectué le reste de ma carrière au sein de l’INRIA : d’abord en tant que directeur du centre INRIA de Lorraine puis du centre INRIA de Sophia Antipolis, en parallèle avec mon poste de professeur à l’université de Nice-Sophia Antipolis ; en 2006, j’ai été nommé président-directeur général, fonction que j’ai occupée jusqu’en 2014.

Entre 2006 et 2014, j’ai présidé l’Alliance des sciences et technologies du numérique, Allistene, et le groupement européen des organismes de recherche des mathématiques appliquées et de l’informatique, l’ERCIM – European Research Consortium for Informatics and Mathematics.

Pour terminer, je mentionnerai trois missions importantes dans le domaine de l’évaluation : j’ai été membre pendant quatre ans du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) ; j’ai été directeur scientifique adjoint du département des sciences et technologies de l’information et de la communication (STIC) de la Mission scientifique et technique du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, préfiguration de l’AERES ; j’ai été membre du groupe d’experts de haut niveau en charge de l’évaluation du septième programme-cadre de recherche et de développement de la Commission européenne (7PCRD) – et seul Français parmi ses dix membres.

La loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche du 23 juillet 2013 a remplacé l’Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur sous la forme d’une autorité administrative indépendante. L’AERES avait pour mission d'évaluer les établissements d'enseignement supérieur et de recherche, les unités de recherche et les programmes d'enseignement supérieur. Cette action d'évaluation était conduite en coordination étroite avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le but d’établir des contrats entre le ministère et les universités, les écoles ou les organismes. Ces missions s'organisaient par vagues, chaque établissement étant évalué tous les cinq ans sur une base régionale. En 2014, l’AERES a ainsi procédé à l'évaluation de 65 établissements, dont le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), de près de 600 unités de recherche, et de plus d'un millier de programmes de formation ; elle a également préparé la transition vers le Haut Conseil.

Je souhaite rendre hommage aux deux anciens présidents de l’agence et à Didier Houssin, président actuel du Haut Conseil, ainsi qu’à l’ensemble du personnel de l’AERES et du Haut Conseil.

L’évaluation a toujours constitué une part importante du travail des enseignants-chercheurs et des chercheurs, cette évaluation ayant la particularité d’être réalisée par le même corps professionnel que celui qui est évalué – on parle d’évaluation par les pairs. La mise en place de l’AERES a donné un caractère systématique à l’évaluation des établissements, des formations et des laboratoires de recherche.

Première conclusion que l’on peut tirer de ces dix dernières années : l’évaluation conduite par l'AERES, puis par le HCERES, est un facteur de progrès de la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cette période a permis le développement de la culture de l'évaluation au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche et des progrès dans leur autonomie. La qualité des rapports d'auto-évaluation s'est beaucoup améliorée, celle des rapports d'évaluation externes aussi. Ces évaluations ont permis d’accompagner et d’aider au pilotage des rapprochements des établissements et au développement de leur autonomie.

L'évaluation est maintenant mieux acceptée par la communauté académique. L'accueil fait aujourd'hui au Haut Conseil par les équipes sur le terrain en témoigne. L'impartialité des évaluations est reconnue, ce qui justifie le choix fait par l’État du statut d'autorité administrative indépendante. Au cours de l’année 2014-2015, des évolutions dans les procédures ont été conduites qui ont permis au Haut Conseil de s’inscrire pleinement dans le cadre de la loi.

Le décret de mise en œuvre de la loi prévoyait l'intégration de l'Observatoire des sciences et techniques (OST) au sein du HCERES à compter du 1er janvier 2015. Cette intégration a été une réussite et il faut en féliciter les personnels de l’OST et du HCERES. Elle pourrait permettre de mieux éclairer le jugement des experts en mettant à leur disposition des données quantitatives.

Enfin, l'association européenne des agences qualité pour l'enseignement supérieur et la recherche (ENQA) et le registre desdites agences attaché à la Commission européenne (EQAR) ont tous deux décidé de transférer au HCERES la reconnaissance européenne que l'AERES avait acquise en 2011. Cette reconnaissance est capitale pour l'image de qualité de la recherche et de l'enseignement supérieur français sur le plan européen et international. Ajoutons que l'AERES a été sollicitée pour accompagner la création d'agences d'évaluation dans d'autres pays et pour évaluer des formations et des établissements d'enseignement supérieur à l'étranger.

Au cours des dix dernières années, l’organisation du système national d’enseignement supérieur et de recherche a connu une transformation considérable : autonomie des universités, fusion d’universités, création des communautés d’universités et d’établissements (COMUE), mise en place du programme des investissements d’avenir, définition de contrats de site, accréditation des formations, importance accrue des programmes européens, compétition mondiale exacerbée. Les écosystèmes d’innovation ont eux aussi beaucoup évolué. Or la création de l’AERES était préalable à ces profonds changements et, même si elle a elle-même beaucoup évolué, elle n’a pas pu les intégrer pleinement pour répondre aux missions que la loi lui confie.

La loi pour l’enseignement supérieur et la recherche de juillet 2013 a confié au HCERES la mission d’évaluer les établissements d’enseignement supérieur et de recherche et leurs regroupements, les organismes de recherche, les fondations de coopération scientifique et de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou, le cas échéant, de s'assurer de la qualité des évaluations conduites par d'autres instances. Le HCERES doit aussi procéder à l'évaluation des formations préalablement à l'accréditation ou à la reconduction de cette accréditation. Il doit évaluer a posteriori les programmes d'investissement ainsi que les structures de droit privé recevant des fonds publics. Il peut également participer – et je suis certain que tel sera le cas – à l'évaluation d'organismes étrangers ou internationaux.

La mise en œuvre de ses missions doit respecter les trois grands principes de la loi : indépendance, transparence, impartialité. Elle doit aussi satisfaire les règles déontologiques internationales de l’évaluation conduite par les pairs, en particulier exclure toute possibilité de conflit d’intérêts. En réaffirmant fortement les règles éthiques et déontologiques qui dictent son fonctionnement, il est indispensable de positionner le Haut Conseil au-dessus de la compétition entre établissements et au-dessus des débats, parfois vifs, qui accompagnent toujours les évolutions profondes de ce secteur. Il convient pour cela de mettre en place un modèle d’évaluation qui vienne soutenir les politiques scientifiques des établissements et des communautés d’établissements, au service de la progression de la qualité de la formation supérieure et de la recherche de notre pays. Cela implique une vision partagée entre le HCERES et les établissements concernés, une reconnaissance de la diversité des établissements, des formations et des laboratoires, et une adaptation des critères à cette diversité. Le HCERES est un appui à la politique scientifique et pédagogique des établissements ; il n’est ni décideur, ni censeur.

La France possède une grande tradition universitaire et académique avec des formations prestigieuses et une recherche au plus haut niveau international. C’est ce niveau d’excellence qu’il convient de faire progresser. Cela n’est possible que dans le cadre d’un partage des grandes orientations stratégiques et d’une évaluation respectueuse de l’autonomie des établissements, soucieuse de les faire progresser au plus haut niveau international.

Il convient de conduire une évaluation intégrée se plaçant au niveau des orientations stratégiques des communautés d’universités et d’établissements ou de leurs équivalents, par sites, et se déclinant au sein de leurs composantes pour évaluer leurs apports à cette stratégie et les performances dans le référentiel associé. Ceci conduit à définir avec chaque site les objectifs de l’évaluation et ses modalités : le HCERES adaptera ses procédures en fonction des grandes orientations stratégiques du site et des particularités des établissements. On ne peut pas évaluer l’université de Paris-Saclay de la même façon qu’on évalue l’université de Strasbourg ou l’université de Bretagne-Loire !

L'évaluation des politiques de site doit s'accompagner d'une approche à grain plus large de l'évaluation des formations et des entités de recherche au niveau d'un site, avec un accent particulier mis sur l’interdisciplinarité. La loi indique que, lorsqu'une unité relève de plusieurs établissements, il n'est procédé qu'à une seule évaluation et que lorsque les établissements décident conjointement de recourir à une autre instance, le Haut Conseil valide les procédures d'évaluation mises en œuvre par cette instance. Actuellement, cette possibilité n’est utilisée par aucun établissement, à de très rares exceptions près. Mais le HCERES doit mettre en place les conditions et les procédures permettant d’évoluer vers un système où certains sites conduisent l’évaluation de certaines composantes.

Cette évolution vers une évaluation holistique d’un site sera facilitée par l'intégration de l'Observatoire des sciences et techniques au sein du Haut Conseil. Pour chaque site, cela permettra de mieux éclairer le jugement des experts en mettant à leur disposition des données quantitatives. Ces indicateurs devront venir en appui de l'évaluation qualitative et collégiale par les pairs.

Le Haut Conseil tiendra compte aussi des résultats obtenus dans le domaine de la valorisation de la recherche pour remplir sa mission d'évaluation des établissements.

Par ailleurs, le HCERES doit contribuer à définir l’état des lieux de secteurs disciplinaires au plan national et soutenir des travaux de recherche sur l’évaluation. Il pourrait aussi contribuer à l’évaluation de la mise en œuvre des stratégies nationales de l’enseignement supérieur (STRANES) et de la recherche (SNR). Pour conduire toutes ces missions, et en particulier produire des indicateurs précis et fiables, le Haut Conseil pourra utiliser les services de l’OST. Celui-ci conduira des études pour des besoins internes, dans le cadre des campagnes d’évaluation des établissements, ainsi que pour des besoins externes, à la demande du ministère.

Pour remplir sa mission, le HCERES doit travailler en bonne intelligence avec les autres organismes ou instances d’évaluation : Conseil national des universités, CoNRS, commissions d’évaluation, conseils académiques des établissements, commission des titres d’ingénieur, et d’autres. Les conseils ont pour mission d’instruire les rapports d’évaluation pour préparer les décisions des instances dirigeantes.

Le HCERES doit construire la légitimité de ses avis en utilisant les meilleures pratiques déontologiques et en fondant ses rapports sur les principes d'objectivité, de transparence, d'égalité de traitement, de neutralité et d'équilibre dans la représentation afin de tenir compte de la spécificité des établissements.

Le Haut Conseil devra aussi faire évoluer le modèle économique de l'évaluation. L’AERES avait fondé son équilibre économique sur trois principes : gratuité de l’évaluation ; volume constant d’entités à évaluer ; participation des universités et des organismes de recherche par des mises à disposition de personnels scientifiques.

Or le nombre d’entités à évaluer augmente sans cesse – signe de succès – et les établissements demandent à ce que les mises à disposition soient mieux remboursées. Cette question essentielle au bon fonctionnement du HCERES devra être débattue au sein du conseil en lien étroit avec le ministère et les présidents des établissements. Ma conviction est que l’évaluation doit rester gratuite et que les mises à disposition doivent être mieux remboursées pour garantir l’indépendance des évaluations. Rappelons en effet que le Haut Conseil ne comprend pas de personnel scientifique permanent mais des experts mis à disposition par les établissements en contrepartie d’un remboursement plus ou moins important. Enfin, partout où cela sera possible, il conviendra de simplifier nos procédures afin de les rendre plus transparentes, plus efficaces, moins onéreuses et de rendre du temps aux enseignants-chercheurs.

Par ailleurs, le HCERES doit continuer à s’intégrer dans l’ensemble des instances d’évaluation européennes et internationales. La reconduction de sa reconnaissance européenne à la suite de l’évaluation du Haut Conseil en 2016 sera l’un des sujets prioritaires.

En une décennie, l’AERES puis le HCERES ont montré l’importance d’une évaluation rigoureuse, impartiale et conduite par les pairs des structures de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’évolution de ces structures et la loi pour l’enseignement supérieur et la recherche de juillet 2013 ont conduit à une réforme importante de l’AERES. Il convient, tout en conservant les acquis de cette décennie, de prendre la pleine mesure de ces réformes. Le HCERES a un rôle clé à jouer pour servir de repère et d’appui aux établissements en forte évolution.

Mme Sandrine Doucet. Voici le Haut Conseil arrivé dans sa phase d’installation définitive : certains pourraient penser que cela a pris du temps, j’estime pour ma part qu’il était nécessaire de prendre ce temps.

La loi pour l’enseignement supérieur et la recherche de juillet 2013 a créé le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur en redéfinissant la composition et les missions de l’AERES. Dans la foulée, la ministre Geneviève Fioraso a mis en place une mission de réflexion et de proposition sur les pratiques de l’évaluation scientifique et sur l’organisation de la future autorité indépendante, insistant dans sa lettre de mission sur l’essor des politiques de site et sur l’articulation avec les autres procédures d’évaluation dans un souci de lisibilité et de simplicité. Il s’agissait de prendre en compte le nouveau cadre de la loi et la principale critique formulée à l’encontre de l’évaluation, sa trop grande complexité. La loi avait déjà donné un signal clair en hiérarchisant les différents rôles du Haut Conseil.

Peu après la publication du décret d’application, en novembre 2014, le Haut conseil recevait la reconnaissance européenne auparavant acquise par l’AERES. Un verrou supplémentaire sautait face à ses détracteurs.

Les différentes campagnes d’évaluation menées en 2014 commençaient d’intégrer les réformes de la loi. Le 1er janvier 2015, l’Agence cédait la place au Haut Conseil.

Ce passage n’a pas été exempt de critiques, à commencer celles formulées par le président du HCERES lui-même, Didier Houssin. Lors d’une audition devant le Sénat, il a ainsi dit craindre que la disparition de la notation ne fasse perdre tout son sens à l’évaluation. Non seulement cette analyse est réductrice mais elle occulte le principal enjeu de la création du Haut Conseil : avoir la réponse la plus ouverte possible aux différentes expressions qui se sont fait entendre aux Assises de la recherche tout en les conciliant avec l’utilité d’un organisme indépendant. Il évoquait aussi le sentiment d’un changement qui n’existe pas vraiment alors même que le Haut Conseil n’avait pas eu l’occasion de fonctionner pleinement.

La loi a voulu doter le Haut Conseil d’une organisation plus démocratique que celle de l’agence : élargissement du nombre des membres du conseil à trente, accroissement du nombre de chercheurs en son sein, intégration de deux représentants des étudiants. Parmi les personnalités qualifiées, deux sont désormais issues de la recherche privée et trois appartiennent à des agences d’accréditation ou d’évaluation étrangères.

Il s’agit de repartir sur des bases plus simples – le Haut Conseil intègre ainsi l’Observatoire des sciences et des techniques – mais aussi de coller davantage à la politique de site induite par la loi ESR.

Cela ne va pas sans questionnements mais il appartiendra au Haut Conseil, conformément au décret d’application, de se doter d’une charte et d’un référentiel. En effet, comment évaluer, dans le cadre d’une politique de site, la stratégie suivie par une école alors que les écoles représentent la moitié des composantes universitaires et seulement 15 % des élèves ? Je prendrai l’exemple des dernières recommandations adressées par le Haut Conseil à l’école nationale d’ingénieurs de Tarbes, qui visent à lui faire développer des partenariats tout en reconnaissant son statut d’entité territoriale.

La création du Haut Conseil pose la question de l’indépendance de cette nouvelle autorité. Comment l’envisagez-vous, monsieur Cosnard ?

Thierry Mandon, secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, a souligné hier que l’enseignement supérieur vivait une période charnière. Il a évoqué les nouveaux défis qui s’offrent à lui tout en prenant acte de sa nécessaire démocratisation. Il s’agit de réfléchir aux pratiques pédagogiques et à la manière de les intégrer dans les critères d’évaluation, ce qui pose évidemment la question de l’évaluation des personnels.

L’excellence doit-elle toujours guider les choix de l’enseignement supérieur ? Je pose cette question car elle vient de faire l’objet d’une recherche présentée ces jours-ci qui préconise de privilégier, plutôt qu’une excellence générale, des excellences locales et plurielles, synonymes d’une excellence démocratique, ce qui demande peut-être une vision plus diversifiée de la performance.

J’espère ne pas faire offense au mathématicien que vous êtes en utilisant de façon profane les termes de plan et de projection. Quels sont donc les vôtres pour le HCERES ?

Pour finir, je précise que le groupe Socialiste, républicain et citoyen est favorable à votre nomination.

M. Frédéric Reiss. La loi pour l’enseignement supérieur et la recherche de 2013 a procédé à la suppression de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur au profit du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Permettez-moi, monsieur le président, de faire un petit rappel de nos débats. L’orateur de notre groupe avait considéré qu’il était pour le moins étrange de supprimer une autorité administrative indépendante pour la remplacer par une autre autorité administrative indépendante dont l’objet affiché était quasiment équivalent. Supprimer purement et simplement cet organisme revenait à supprimer le dispositif national d’évaluation qu’il avait mis en place, le capital accumulé en termes de reconnaissance européenne ou encore son référencement sur le web. La reconstruction d’une nouvelle agence ne pouvait que coûter cher à notre pays, aspect que l’étude d’impact ne prenait pas en compte.

Le décret du 14 novembre 2014 précise les missions et l’organisation du HCERES. Il évalue les établissements ou les organismes de recherche ; il valide, le cas échéant, l’évaluation d’unités de recherche par d’autres instances ; il veille aussi à l’évaluation des personnels sur l’ensemble des missions qui leur sont assignées comme il veille à la diffusion de la culture scientifique, en valorisant les activités des chercheurs.

Contribuer à faire progresser l’excellence de la recherche française dans un cadre transparent, avec un budget maîtrisé, est un atout réel pour notre pays. La pratique de l’évaluation des politiques publiques n’a pas toujours été une évidence en France, et pas seulement dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. La garantie d’une évaluation indépendante et impartiale est au cœur de l’amélioration de la recherche publique et de l’enseignement supérieur. C’est pourquoi la priorité du groupe Les Républicains est d’affirmer, voire de réaffirmer la préservation de l’indépendance de l’évaluation.

Monsieur Cosnard, vous avez insisté sur ces points et j’ai le sentiment que vous avez parfaitement compris la dimension de votre mission à la présidence de ce Haut Conseil. Votre nomination ne nous pose donc aucun problème.

Mme Isabelle Attard. Lors des débats sur la loi pour l’enseignement supérieur et la recherche en 2013, le groupe Écologiste avait formulé plusieurs propositions afin que le futur HCERES soit une instance démocratique de méta-évaluation. Nous entendions par là qu’il aurait pour mission de fixer des règles générales d’évaluation que des comités seraient chargés ensuite d’appliquer. Nous n’avons pas été entendus. Aujourd’hui, la solution inverse s’applique : l’évaluation menée par des comités nécessitant un accord unanime est l’exception et l’évaluation par le HCERES est la règle. Nous le regrettons.

La loi de 2013 a confié de nouvelles missions au service public de l’enseignement supérieur. Citons-en quelques-unes : la réussite de toutes les étudiantes et de tous les étudiants, la lutte contre les discriminations, l’amélioration des conditions de vie étudiantes, la construction d’une société inclusive, le développement de la cohésion sociale du territoire national, le renforcement des interactions entre sciences et sociétés. À ce vaste programme, il faut ajouter l’impressionnante mission de « contribuer à la croissance et à la compétitivité de l’économie et à la réalisation d’une politique de l’emploi prenant en compte les besoins économiques, sociaux, environnementaux et culturels et leur évolution prévisible », qui relève quasiment d’un programme gouvernemental !

Ma première question sera donc la suivante : comment le HCERES prendra-t-il en compte ces nouvelles missions dans sa tâche d’évaluation ?

De nombreux chercheurs dénoncent la pression croissante à la publication très bien décrite par la formule anglo-saxonne du « publish or perish ». Cette pression provient en partie de l’importance donnée aux publications dans le processus d’évaluation. Je cite le journaliste scientifique Pierre Barthélémy : « Dans le système scientifique, les articles publiés sont comme une monnaie. Ils servent à obtenir des "biens" – un poste, un échelon hiérarchique. Cela n'est pas sans conséquence puisqu'on voit parfois certains chercheurs avoir une production prolifique de travaux médiocres voire non-reproductibles, en profiter pour monter dans les hiérarchies, entrer dans les revues, bénéficier de renvois d'ascenseur et obtenir leur signature dans une étude pour laquelle ils n'ont donné qu'un avis. » Il cite encore la technique du salami qui consiste à « découper une recherche en tranches, en sous-sections, et à "vendre", sur la base d'une seule expérience, plusieurs études à des revues différentes ». Cette technique est une réalité. Je le sais d’autant plus que je l’ai moi-même pratiquée. En tant que doctorante à l’UMR d’archéozoologie du Museum national d’histoire naturelle, j’ai publié deux articles au lieu d’un : le premier pour les actes d’un colloque en Pologne, le second pour un colloque français. Je n’en suis pas particulièrement fière mais comme tous mes collègues chercheurs, je subissais cette pression à la publication engendrée par le système d’évaluation. Soutenir cette pression est aussi un sport de groupe, les laboratoires étant
eux-mêmes évalués sur les publications de leurs membres.

Deuxième question : comment comptez-vous réformer en profondeur le système d’évaluation de la recherche pour éviter que de telle pratiques ne soient récompensées au lieu d’être sanctionnées ?

Enfin, la publication de travaux de recherche donne lieu à un système financier particulièrement absurde. Les chercheurs communiquent leurs travaux gratuitement à des revues scientifiques privées ; elles les font examiner par d’autres chercheurs, tout aussi gratuitement ; enfin, elles sont vendues à des prix considérables aux universités et aux laboratoires de recherche, qui sont pourtant à l’origine du financement des travaux de recherche.

La solution est simple : elle réside dans l’open data appliqué à la publication. L’instance d’évaluation que vous souhaitez diriger a son rôle à jouer dans la mise en place d’un système plus vertueux. Vous pourriez, par exemple, n’évaluer que les travaux disponibles sur une archive ouverte – je pense notamment à la plateforme HAL, archive ouverte pluridisciplinaire, que vous connaissez parfaitement bien, monsieur Cosnard. Si ce n’est pas le cas, je crains fort que nos collègues chercheurs aient recours à des moyens détournés par avoir accès aux articles dont ils ont besoin pour réaliser leurs travaux de recherche. Je mentionnerai le hashtag #IcanhazPDF qu’utilisent les chercheurs sur Twitter pour communiquer entre eux de façon à obtenir l’article qui les intéresse. Le système est efficace, mais je considère que c’est une manière détournée d’obtenir des informations dont ils pourraient disposer de manière beaucoup plus ouverte et utile.

La recherche se nourrit de la recherche. Pour que nos chercheurs fassent avancer la science, ils ont besoin d’accéder aux résultats de leurs pairs. Le frein que représentent les principaux éditeurs scientifiques, aux marges commerciales excessives, est nuisible à l’efficacité de notre recherche. J’aimerais avoir votre opinion sur l’avenir de cette plateforme et sur votre façon d’imaginer l’évaluation du futur.

M. Christophe Premat. Monsieur Cosnard, je vous remercie de votre présentation qui met en exergue les missions du Haut Conseil. Vous avez rappelé avec brio ses missions en insistant sur la pluridisciplinarité.

Le HCERES contribue à implanter une culture de l’évaluation, une culture de la déontologie – pour faire écho au projet de loi relatif à la déontologie des fonctionnaires actuellement examiné en séance publique.

Le paysage universitaire a évolué : autonomie des établissements, compétition européenne et mondiale accrue, importance croissante du classement de Shanghai, qui devient l’équivalent pour le niveau universitaire du classement PISA pour le secondaire. L’évaluation est un point central et sensible dans le recrutement et le travail des enseignants-chercheurs.

L’impartialité des évaluations de l’AERES était reconnue. L’Association européenne pour l’évaluation a décidé de transférer au HCERES le label que l’agence avait acquis en 2011. Comment le Haut Conseil va-t-il réintégrer cette culture de l’évaluation ?

Il est appelé à jouer un rôle essentiel dans l’évaluation de l’organisation de la recherche et je souhaiterais revenir sur la manière dont il se positionnera par rapport à l’Agence nationale de la recherche, dans la mesure où certains secteurs disciplinaires peinent à voir leurs dossiers retenus par cette instance, je pense en particulier aux sciences de l’univers. Comment, d’après vous, le HCERES peut-il avoir une influence positive sur le fonctionnement même de la recherche et le choix des dossiers ?

Ma dernière question rejoint celle de ma collègue Isabelle Attard. Les plateformes payantes auxquelles s’abonnent les bibliothèques me paraissent antinomiques avec la déontologie de l’enseignement et de la recherche et l’impartialité que le Haut Conseil défend. Comment vous positionnez-vous face à ce phénomène ?

M. Marcel Rogemont. Monsieur Cosnard, j’aurai d’abord une question. Je comprends tout à fait que vous ayez tenu à souligner les forces de l’AERES dans la mesure où vous êtes appelé à présider le Haut Conseil mais j’aimerais savoir si elle avait aussi des faiblesses. Si oui, pouvez-vous nous dire en quoi une réflexion sur celles-ci peut aider à penser le rôle du HCERES ?

Je vous ferai ensuite part d’une inquiétude. Les chercheurs dénoncent la volonté de développer des contrats de courte durée, qui a pour conséquence de multiplier leurs tâches administratives au détriment de leur travail de recherche, d’accroître la précarité et de diminuer l’importance de la recherche fondamentale. Le rabbin Nahman de Bratslav disait : « Ne demande pas ton chemin à celui qui le connaît, tu risquerais de ne pas t’égarer ». La recherche fondamentale implique, c’est une évidence, de parfois s’égarer. Est-ce encore possible ?

Mme Maud Olivier. Monsieur Cosnard, j’aimerais appeler votre attention sur la diffusion de la culture scientifique et technique. Aujourd’hui, elle fait partie des missions de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cependant, en France comme dans d’autres pays, de nombreux chercheurs ne voient pas dans la diffusion de la culture scientifique et technique une activité réellement gratifiante pour leur carrière, dont le déroulement est plutôt orienté par le nombre de publications. L’audition publique des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche qui s’est tenue à l’Assemblée nationale le 4 décembre 2012 l’a d’ailleurs montré à travers certaines interventions.

Tant que la diffusion de la culture scientifique ne sera pas considérée comme une partie importante et estimable du travail scientifique, et traitée comme telle à travers l’évaluation des chercheurs, la plupart des scientifiques, en particulier ceux qui se trouvent en début de carrière, pourront difficilement se permettre de faire de la médiation scientifique.

Le projet de loi ESR a donné pour mission au HCERES de s’assurer de la valorisation des activités de diffusion de la culture scientifique et technique dans la carrière des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche. Si vous étiez nommé président de cette institution, comment envisagez-vous de valoriser cette mission et de l’évaluer ?

Ma deuxième question porte sur un autre aspect de la loi ESR : la lutte contre les discriminations et les actions contre les stéréotypes sexués tant dans les enseignements que dans les différents aspects de la vie de la communauté éducative. À cela s’ajoutent la réduction des inégalités sociales ou culturelles et la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes en assurant à toutes celles et tous ceux qui en ont la volonté et la capacité l’accès aux formes les plus élevées de la culture et de la recherche. Comment envisagez-vous de valoriser ces actions et de les évaluer ?

M. le président Patrick Bloche. Je remercie M. Michel Ménard d’avoir assuré la présidence en mon absence. Je vous représentais, chers collègues, à la célébration des trente ans du diplôme d'études en langue française (DELF) et du diplôme approfondi de langue française (DALF) organisée par le Centre international d’études pédagogiques (CIEP).

Nous allons maintenant écouter les réponses de M. Michel Cosnard.

M. Michel Cosnard. Mesdames et messieurs, je vous remercie pour vos questions très pertinentes.

Madame Doucet, vous me demandez comment j’envisage l’indépendance du Haut Conseil. Je dirai que cette indépendance est d’abord garantie par la loi et qu’elle doit ensuite s’acquérir par la pratique. En ce sens, il me semble indispensable que le HCERES ait à sa tête non pas un président despote mais un président qui travaille avec une équipe. Cette équipe est constituée par le conseil, qui rassemble des représentants de l’ensemble des secteurs concernés par l’évaluation, qu’il s’agisse de représentants des évalués ou de représentants des évaluateurs – vous avez rappelé qu’y siégeaient trois membres d’instances d’évaluation étrangères. Mon souci sera de travailler au plus près avec le conseil : je préfère un conseil qui travaille à un conseil qui entérine. Mieux nous travaillerons ensemble, plus nous serons à même de garantir l’indépendance, reconnue de facto par les forces vives qui composent le conseil.

Comment intégrer les diverses pratiques pédagogiques ? J’ai précisé dans ma présentation liminaire qu’il était indispensable de mener des évaluations en lien avec les établissements, dans le cadre des politiques de site. C’est une dimension très importante. Le Haut Conseil ne doit pas se présenter avec des grilles d’évaluation figées identiques pour tous, au travers desquelles il faudrait faire passer les mêmes grains. Ce serait une approche extrêmement réductrice qui ne permettrait pas de faire évoluer le système dans une vision d’excellence. Et l’excellence n’a en effet pas de définition unique. L’excellence peut recouvrir les pratiques pédagogiques : prenons l’exemple d’un professeur qui, au sein de sa classe, amène tous ses élèves à un niveau très supérieur à celui qu’ils avaient au début de l’année. Elle peut aussi recouvrir les activités de recherche. Gardons-nous de vouloir définir des critères uniques.

Notre objectif est, dans un dialogue constant avec les établissements, d’établir des grilles d’évaluation. Certes, les évalués n’ont pas à décider selon quels critères ils seront évalués mais ils ont à déterminer, en fonction des objectifs scientifiques, techniques voire de vulgarisation qu’ils se sont fixés, les critères qui permettent une évaluation aussi précise et fiable que possible, à même de les faire avancer.

Monsieur Reiss, vous m’interrogez les différences entre l’AERES et le HCERES. La loi fournit des clefs pour les comprendre mais je vous donnerai une réponse de terrain. D’abord, il existe une continuité humaine : les personnels de l’agence font partie du Haut Conseil. On aurait pu penser que certains décideraient de ne pas suivre, cela n’a pas été le cas. Je les félicite et les remercie de leur choix. Il était indispensable, au moment où le Haut Conseil se mettait en place, de pouvoir bénéficier de l’acquis des dix ans d’expérience de l’agence. Cet acquis, quel est-il ? Il s’agit tout d’abord, chose nouvelle dans l’enseignement supérieur et la recherche, de l’auto-évaluation. Peu d’établissements étaient habitués à ces procédures désormais devenues incontournables. Des progrès considérables ont été enregistrés en la matière. Il s’agit ensuite de la mise en œuvre des standards internationaux et des guidelines élaborés par l’ENQA.

Les différences tiennent d’abord au fait qu’il y a désormais plus de transparence au niveau de la constitution des comités. L’évaluation des enseignements et des formations intègre la participation des étudiants, considérés comme des experts au même titre que les autres membres. Pour l’évaluation des laboratoires, une présence plus large sera également de mise. Ce matin, au Sénat, il m’a été demandé si j’étais favorable à la présence de personnels ingénieurs, administratifs et techniques, ma réponse est oui. Il est indispensable qu’il y ait au sein du comité de visite une personne à même de prendre en compte cette dimension de l’activité.

Autre différence : les rapports d’évaluation. Ils jouent désormais un rôle central. Leur qualité dépend beaucoup de la liberté laissée au comité d’évaluation et de l’engagement de son président. Le fait que le rapport porte sa signature est un plus. Vous le voyez, il s’agit non pas d’une rupture considérable mais davantage d’apports venant compléter des acquis.

La question de la publication du rapport d’évaluation est difficile à trancher. La loi précise qu’une synthèse est publiée. Ma conviction est qu’en ce qui concerne l’évaluation des formations et des établissements, nous pouvons sans grandes difficultés aller vers une publication complète. Pour ce qui est des laboratoires, les choses sont plus compliquées : pour certaines recherches dans des domaines très compétitifs, il faut prendre garde à ce que la publication d’un rapport très détaillé ne conduise à des fuites. Autrement dit, il y a à trouver un équilibre entre la communication la plus large et la préservation des travaux scientifiques. J’ai plutôt tendance à faire confiance aux comités de visite et aux groupes d’évaluation : ils sauront distinguer ce qui appelle une publication restreinte et ce qu’il est possible de publier très largement.

J’en viens à la notation. Une des grandes questions était de savoir s’il fallait ou non la conserver, en particulier pour les laboratoires. À titre personnel, je suis favorable à l’abandon de la notation. Le fonctionnement de l’INRIA, que j’ai dirigé pendant huit ans, est fondé sur une culture de l’évaluation : une évaluation est menée sur une base comparative auprès des équipes de recherche, dites équipes de projet, et sur la base des rapports du comité d’évaluation, il est décidé tous les quatre ans si ces équipes doivent être ou non reconduites, dans une limite de douze ans. Cette pratique, qui ne comprend aucune note, est totalement admise par les chercheurs, qui la réclament même.

Une note peut être très réductrice. Est-il préférable d’avoir 20/20 en valorisation et 0/20 en publication ou bien 10/10 dans les deux ? J’aurais tendance à penser qu’il vaut mieux qu’une équipe excelle dans la valorisation de ses travaux de recherche conduisant à des développements économiques, quitte à ce que son niveau de publication soit moindre, pour des raisons diverses, dont la protection de l’information, plutôt que de se situer dans la moyenne en matière de valorisation et de publication.

La notation peut avoir une certaine utilité – elle permet, par exemple, de balayer d’un coup œil un ensemble des 3 000 laboratoires –, mais pour les personnes évaluées et pour les conseils d’établissement, cette utilité est faible. Un rapport fouillé et signé par le président du comité d’évaluation me semble constituer un progrès par rapport à une notation fondée sur des critères uniques.

Cette forme d’évaluation est maintenant intégrée dans les pratiques du HCERES. Et à l’issue de chaque campagne d’évaluation, qu’elle concerne les formations, les laboratoires ou les organismes, un questionnaire est envoyé aux responsables des entités évaluées. En 2014, 75 % des responsables d’université ont répondu à ces questionnaires et 90 % se sont déclarés satisfaits ou très satisfaits de l’évaluation ; pour les laboratoires, le taux de réponse est un peu plus élevé et le degré de satisfaction est de l’ordre de 80 %, alors que nous sommes partis de 30 %. Cela démontre qu’il y a eu une évolution, une évolution qui s’est faite dans la continuité.

L’évaluation, en particulier l’auto-évaluation, est désormais entrée dans les mœurs, notamment dans des secteurs qui n’en avaient pas l’habitude.

Quant au coût du passage de l’AERES au HCERES – vous remarquerez que je ne parle pas de rupture –, il a été raisonnable, les principales dépenses étant liées au changement de plaque et de site web. Les personnels de l’agence ont adhéré au Haut Conseil. Nous n’avons pas eu à reconstituer un organisme.

Madame Attard, vous évoquez la méta-évaluation. Mon sentiment est qu’il serait souhaitable dans le futur que le Haut Conseil devienne une instance de méta-évaluation. Cela implique que chaque établissement, chaque groupement soit capable de piloter l’évaluation de ses composantes. L’auto-évaluation à l’INRIA a toujours été accompagnée par l’évaluation d’un comité de visite externe, renouvelé fréquemment Ce changement en profondeur ne peut toutefois pas s’accomplir en en un jour. Il ne faut pas trop charger la barque, surtout pour les établissements d’enseignement supérieur et de recherche moins habitués à ces pratiques. Mon objectif, pendant les quatre années que durera mon mandat, sera d’aller dans cette voie mais d’y aller au rythme de l’évolution des établissements concernés, en les accompagnant.

Vous m’interrogez encore sur la prise en compte des nouvelles missions définies dans la loi ESR. On ne peut demander à chaque composante du système de l’enseignement supérieur et de recherche de les remplir toutes. Il importe de dialoguer avec les autorités des sites pour avoir leur vision : comment vont-elles prendre en compte ces missions, en particulier les missions de valorisation et de vulgarisation ? Comment vont-elles intégrer les retours des associations qui représentent la société ? Le Haut Conseil fait de la prise en compte de ces missions un critère d’évaluation mais un critère à pondérer selon les orientations des établissements. Certains peuvent être amenés à mettre davantage en avant certaines missions que d’autres. Pensons à l’Institut national de recherche agronomique : certaines de ses activités de recherche sont en lien très fort avec la société.

J’en viens maintenant à la question de la publication. Vous savez à quel point l’INRIA soutient le projet HAL, initié par le CNRS. Lorsque j’ai pris la présidence de l’institut en 2006, 10 % de ses publications étaient disponibles sur HAL. J’avais fixé l’objectif de 100 %, objectif impossible à atteindre, me direz-vous. Eh bien, je l’ai atteint : 100 % de nos publications étaient disponibles sur HAL en 2014 mais grâce à un petit artifice, je le reconnais, puisque j’ai déclaré que toutes les publications qui n’étaient pas sur HAL ne pouvaient être considérées comme des publications de l’INRIA – cela recouvrait en fait 10 %, avec des problèmes de copyright auprès d’éditeurs scientifiques.

Il me semble qu’il faut placer cette question dans une perspective historique. L’émergence de journaux académiques a constitué un progrès considérable dans l’évolution de la science. Reportons-nous à il y a un siècle. À une période où ni la photocopieuse ni internet n’existaient, il était capital de pouvoir accéder aux publications des chercheurs, notamment dans des bibliothèques. Le numérique, la mondialisation des activités de recherche sont en train de faire basculer ce modèle. Je suis tout à fait favorable à ce que les articles scientifiques issus de recherches financées par de l’argent public soient publiés en format ouvert. Je pense même qu’il faut aller plus loin et rendre accessibles non seulement les publications mais aussi les données sur lesquelles elles reposent ainsi que les logiciels ou les protocoles expérimentaux. On devrait pouvoir reproduire l’expérience qui a conduit aux résultats exposés dans l’article. Cela permettrait de lutter contre certaines pratiques qui, soyons clairs, sont extrêmement minoritaires.

Cela dit, nous n’allons pas passer d’un système à un autre d’un claquement de doigt. Ce que les informaticiens ont pu faire en dix ans, car leur discipline est jeune et en constante évolution, nécessitera plus de temps pour d’autres disciplines. Il faut respecter les rythmes propres à chacune.

En revanche, je ne suis pas du tout favorable à ce que l’on exclue les publications du processus d’évaluation. Toutefois l’évaluation par les pairs doit absolument éviter de n’avoir recours qu’à des critères quantitatifs. De manière générale, ne sont plus demandées toutes les publications mais seulement une sélection. Les comités d’évaluation de l’INRIA demandent ainsi les cinq meilleures publications d’un chercheur au cours des quatre dernières années. La recommandation que je fais aux experts – et que nous reprendrons au sein du HCERES – est de lire les articles au lieu de simplement prendre en compte les revues dans lesquelles ils ont été publiés. Il faut qu’ils puissent se faire un avis.

Toutefois, ce qui est vrai au niveau d’un chercheur ne l’est pas obligatoirement au niveau d’un établissement ou d’un site. Prenons l’exemple de Toulouse, Grenoble ou Lyon, entités de grande taille : pour évaluer leur production scientifique, la prise en compte de critères quantitatifs a tout son sens.

Monsieur Premat, j’en viens à vos questions. Je pense qu’il n’y a pas de rupture : les établissements sont en train de s’approprier la culture de l’évaluation et il faut les y aider. Avant chaque vague d’évaluation, des sessions de formation sont organisées pour préparer les responsables à définir des critères, à établir des grilles d’évaluation et à rédiger un rapport d’auto-évaluation.

S’agissant de l’ANR, vous savez que le Haut Conseil doit l’évaluer – j’ai d’ailleurs déjà rencontré le président de l’agence, M. Matlosz. C’est un sujet difficile que celui du poids des disciplines : faut-il favoriser les sciences de l’univers, les mathématiques pures, la biologie quantitative, que sais-je encore ? Mais il n’appartient pas au Haut Conseil de juger si telle ou telle communauté a été ou non avantagée – je vois que certaines œuvrent pour être soutenues par des personnalités éminentes ! Nous devons plutôt évaluer les procédures suivies par l’ANR, car ce sont d’elles dont dépend l’application des principes d’impartialité, de transparence et d’indépendance.

Évitons le débat franco-français. Le budget de l’ANR, institution importante dans le dispositif national, ne représente que 500 millions d’euros ; celui du septième
programme-cadre de recherche et de développement (PCRD) de la Commission européenne s’est élevé à 55 milliards d’euros sur sept ans. Il faut vraiment que les équipes de recherche françaises soumettent plus de projets à l’Europe. Si le Haut Conseil pouvait les aider en ce sens, ce serait une avancée très importante.

Cela me permet d’établir un lien avec la question de M. Rogemont sur la recherche fondamentale. En France, elle est de très haut niveau : le nombre de prix Nobel, de médailles Fields et de prix Turing qu’elle a engrangés est bien supérieur au poids de son PIB à l’échelle mondiale. Il faut continuer à la développer. Cela dit, le fait que la recherche soit financée par des subventions ou des contrats ne va pas forcément à l’encontre de cet objectif. Un organisme comme l’ERC – European Research Council – finance des recherches fondamentales à travers des bourses individuelles d’un montant d’1,5 million à 2,5 millions d’euros sur quatre ou cinq ans. Dans certaines disciplines, la France est extrêmement bien représentée mais, globalement, elle ne soumet pas assez de propositions. Le Haut Conseil prendra en compte dans ses évaluations des critères de nature en encourager les candidatures à des financements européens.

J’en viens aux faiblesses de l’AERES, question un peu difficile. Certaines ont été soulignées dans le cadre de la loi, je pense en particulier aux questions liées à la transparence et à la pluralité des critères. Nous progressons mais il reste des sujets sur lesquels travailler. L’AERES procédait selon une approche ascendante, dite bottom-up : évaluation des enseignements, des laboratoires de recherches, puis évaluation des établissements, puis éventuellement évaluation des coordinations d’établissements. Cela impliquait, en caricaturant – et j’espère que les directeurs de l’agence ne m’en tiendront pas rigueur – que trois départements travaillaient de manière indépendante : celui qui évaluait les enseignements, celui qui évaluait la recherche, celui qui évaluait les établissements. Il faut aller vers une approche beaucoup plus coordonnée et descendante, qui partirait du site en prenant en compte ses grandes orientations stratégiques, la réalisation de ses objectifs à quatre ou cinq ans, la façon dont il a mis en œuvre ses politiques. Une telle organisation du travail permettrait de faire progresser globalement le système.

Vous me posez, madame Olivier, l’importante question de la diffusion de la culture scientifique et technique. Nous allons progresser. Les chercheurs sont conscients de leurs responsabilités en ce domaine mais, comme je l’ai dit, les avancées s’accompliront principalement à partir du développement de politiques de vulgarisation menées par les sites et les établissements.

La lutte contre les discriminations et les stéréotypes sexués est une autre importante question. L’heure tourne et je me limiterai ici à la parité. Nous ne pourrons pas changer les pesanteurs liées à des décennies ou des siècles d’histoire d’un seul coup. Le Haut Conseil sera totalement paritaire et nous demandons que chaque comité mis en place comprenne au moins 30 % de membres de chaque sexe. Je me refuse en effet à appliquer une parité stricte. Prenons le cas de ma discipline, l’informatique : elle compte moins de 20 % de femmes, à tous les niveaux. Les brillantes jeunes filles titulaires d’un bac S ont tendance à se diriger vers des études de médecine plutôt que vers l’informatique. C’est un fait. Sur dix ans, nous avons pu mesurer que moins de 18 % de femmes se présentaient au concours de l’INRIA, et beaucoup étaient étrangères. Il faut absolument lutter contre ces phénomènes, je m’y engage solennellement. Nous ferons du respect de la parité un critère d’évaluation.

Et, bien entendu, il est inconcevable pour moi que dans les universités, les écoles, les établissements d’enseignement supérieur, les laboratoires de la République, s’exerce une quelconque forme de discrimination. Si le moindre acte discriminatoire était avéré, il serait souligné d’un trait rouge dans nos rapports. Et ce trait rouge, je le tracerai moi-même s’il le faut !

Le Haut Conseil ne va pas à lui tout seul révolutionner le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche mais contribuera, à sa modeste place, à le faire progresser vers des pratiques – des guidelines et des standards, comme on dit en franglais de Bruxelles – reconnues internationalement. Peut-être même parviendra-t-il à faire évoluer ces standards eux-mêmes.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie, monsieur Cosnard.

La Commission procède ensuite au vote, en application de l’article 13 de la Constitution et dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement, sur la nomination de M. Michel Cosnard en qualité de président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

En application de l’article 5, alinéa 2 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la Commission procède au dépouillement du scrutin simultanément avec la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

En conséquence, la Commission émet un avis favorable à la nomination de M. Michel Cosnard.

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 7 octobre 2015 à 16 heures 30

Présents. – Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, M. Pascal Deguilhem, M. Pascal Demarthe, Mme Sophie Dessus, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, M. Yves Durand, M. Michel Ménard, Mme Maud Olivier, M. Michel Pouzol, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, Mme Julie Sommaruga

Excusés. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Bernard Brochand, M. Hervé Féron, M. Jean-Pierre Giran, Mme Annick Lepetit, Mme Lucette Lousteau, M. Patrick Vignal