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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 5 octobre 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 01

Présidence de M. Patrick Bloche, président et de M. Michel Ménard, vice-président

– Examen du rapport d’information relatif à la formation des enseignants (M. Michel Ménard, rapporteur)

– Examen, en lecture définitive, de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (n° 4070) (M. Patrick Bloche, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 5 octobre 2016

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

(Présidence de M. Michel Ménard, vice-président de la Commission)

——fpfp——

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation examine le rapport d’information relatif à la formation des enseignants (M. Michel Ménard, rapporteur).

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, deux points sont à l’ordre du jour de cette matinée : la présentation du rapport d'information sur la formation des enseignants, et l'examen en dernière lecture de la proposition de loi sur la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, pour lequel je laisserai la présidence à Michel Ménard, étant moi-même rapporteur de cette proposition de loi.

Nous commençons donc par le rapport de la mission d'information sur la formation des enseignants, présenté par notre collègue Michel Ménard. Cette mission de quinze membres, présidée par Frédéric Reiss, a été créée par la commission en janvier dernier dans le prolongement de la loi du 9 juillet 2013 pour la refondation de l'École de la République, qui a mis en place un nouveau dispositif de formation initiale des enseignants dans le cadre des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE). La mission a débuté ses travaux en février et a mené un travail approfondi, nourri de très nombreuses auditions et rencontres, afin d'étudier tous les aspects et enjeux de cette question cruciale de la formation des enseignants, qu'il s'agisse de la formation initiale ou de la formation continue.

C'est donc avec plaisir et intérêt que je vais maintenant donner la parole à nos collègues Frédéric Reiss et Michel Ménard afin qu'ils nous rendent compte des travaux de la mission d'information et de ses recommandations.

M. Frédéric Reiss, président de la mission d'information. Cette mission d’information sur la formation des enseignants se termine par la présentation d’un rapport que Michel Ménard va vous détailler dans quelques instants. En tant que président, je peux témoigner du sérieux du travail accompli par cette mission, depuis sa première audition à la mi-février, celle de l’historien Antoine Prost, jusqu’à la dernière audition, celle de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La mission a procédé à une vingtaine d’auditions et organisé neuf tables rondes, dont une table ronde réunissant des directeurs d’ESPE. Elle a également réalisé trois déplacements, à Strasbourg, à Nantes et à Montrouge, pour y rencontrer des acteurs de terrain : formateurs, enseignants, universitaires, acteurs de la recherche et de l’innovation, étudiants, stagiaires, professeurs, conseillers pédagogiques.

L’objectif était de faire le point sur la formation initiale et continue dans l’Éducation nationale, indépendamment du comité de suivi de la loi de refondation de l’école, et de formuler des propositions, que notre rapporteur va vous exposer. Dans cet objectif, celui-ci a pris l’initiale intéressante d’adresser à des enseignants de Loire-Atlantique un questionnaire « sur la formation des enseignants », dont vous trouverez les résultats, « bruts de décoffrage », dans l’annexe n° 2 du rapport.

M. Michel Ménard, rapporteur de la mission d'information. Au terme de vastes auditions, de plusieurs déplacements sur le terrain, à Strasbourg, à Nantes et à Montrouge, dans le souci constant de prendre en compte la réalité concrète et la grande diversité des expériences sur le territoire national qu’illustrent notamment les très éclairantes réponses apportées par les enseignants de Loire-Atlantique à un questionnaire que je leur avais adressé dès ce printemps, j’ai le plaisir de vous présenter aujourd’hui les principales conclusions auxquelles nous sommes parvenus.

Mon espoir est que, au-delà d’inéluctables divergences d’appréciation induites par le fort contraste entre la politique suivie à partir de 2010 et notre choix de rétablir une formation initiale plus exhaustive, la grande majorité des propositions formulées rencontrent un puissant consensus.

La place cardinale de l’éducation dans le destin de notre pays et, il faut bien l’avouer, les terribles défis que lui oppose le poids toujours disproportionné des inégalités dans la réussite scolaire, font de la qualité des pratiques des enseignants, et donc de celle de leur formation, la pièce maîtresse de la refondation de l’école engagée par la loi du 8 juillet 2013.

L’année 2013, ce n’est qu’hier, et il faut bien comprendre que nous avons été amenés à poser un regard sur un chantier encore en cours. Ce n’est qu’à la rentrée 2015 que sont entrés dans le métier les premiers enseignants totalement formés par les ESPE. À cet égard, il faut souligner que cette réforme si importante a pu être accompagnée, évaluée, corrigée souvent. En témoignent la conduite de trois vagues d’accréditation pour certaines ESPE, la publication de bientôt quatre rapports des inspections générales, celle de l’excellent rapport d’étape de nos collègues du comité de suivi de la loi de 2013, ainsi qu’une profusion de séminaires, de circulaires du ministère…

Désormais, le paysage se dessine plus clairement, et j’ai la satisfaction de vous dire combien il me semble prometteur pour la formation initiale, même si, nous le verrons, tant de choses restent à faire pour la formation continue.

L’inspiration de la refondation de la formation tenait en une conviction, simple mais si contradictoire avec l’histoire cloisonnée de nos anciens « ordres » d’enseignement. Enseigner, c’est un métier. Un métier qui ne s’improvise pas, mais qui s’apprend au contact des élèves, dans la complexité et la diversité de leurs aptitudes et de leurs besoins, et qui se perfectionne tout au long des carrières. Bien sûr, l’excellence disciplinaire est le socle de l’apprentissage, et je veux ici saluer la pertinence du choix effectué par la précédente majorité de porter le niveau de recrutement au master, qui nous place parmi les pays européens les plus exigeants. Mais l’exercice efficace et épanouissant du métier d’enseignant exige des aptitudes professionnelles qui, elles aussi, s’apprennent. C’est pourquoi nous avons tant regretté la suppression en 2010 de l’année de stage précédant l’entrée dans la carrière, qui était pourtant l’apport le plus salué de l’héritage des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), que je sais par ailleurs contesté.

C’est d’ailleurs en pleine lucidité, au regard des difficultés rencontrées par les IUFM, que nous avons placé les ESPE dans une philosophie profondément différente.

La première innovation, c’est le choix d’unifier la formation de tous les personnels de l’éducation, afin de colmater cette éternelle fracture opposant historiquement l’école de masse des « instituteurs » aux enseignements élitistes des « professeurs ». Mais cela va bien au-delà. L’ambition est de créer une culture commune à tous les acteurs de l’éducation : c’est l’objet du fameux « tronc commun ». C’est aussi ce qui justifie la volonté de renouveler et de diversifier le vivier des formateurs.

La deuxième originalité, c’est le positionnement des nouvelles écoles au sein des universités, pour parvenir enfin à sortir la formation de son moule disciplinaire et lui donner sa véritable identité professionnelle, académique et pédagogique. D’où le poids renforcé de l’alternance – près d’un mois et demi en première année de master, puis la moitié du temps en deuxième – tant il est évident que la meilleure, peut-être l’unique manière pour les futurs professeurs d’appréhender les exigences de leur métier et les besoins de leur formation demeure la conduite de la classe.

Ces réformes ont rencontré de réels succès, dont le rapport décrit la diversité en s’attachant à mettre en valeur les meilleures pratiques. Elles ont réussi à enrayer l’inquiétante crise des vocations – baisse de 40 % et de 55 % des candidats aux concours externes respectivement de professeurs des écoles et du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (CAPES) entre 2008 et 2012. Depuis, les aspirants au métier de professeur des écoles ont augmenté de 75 %, ceux de professeurs certifiés de 130 % ; cette reprise témoigne d’un indéniable dynamisme, même dans les académies les moins attractives. Les masters de l’éducation des ESPE s’imposent sans ambiguïté comme la voie de référence, avec des taux de réussite de leurs étudiants au concours de 15 à 20 points supérieurs aux autres candidats. Avec 12 % d’étudiants supplémentaires dans les écoles depuis 2014, ces masters bénéficient des plus fortes croissances observées dans les universités.

Pour autant, tout n’est pas parfait, et la mission a utilement identifié de très nombreux points d’amélioration.

De manière générale, ma conviction est que les vastes ambitions pertinemment identifiées en 2013 peinent à être satisfaites dans le temps si bref d’un master de deux années, dont l’une est préemptée par la difficile préparation du concours, et la seconde par le mi-temps du stage en responsabilité. Le risque est réel qu’à courir tant d’objectifs, les ESPE tendent parfois à dispenser des enseignements morcelés, brefs et généralistes. Enseigner est un métier qui demande plus de deux années de formation.

C’est pourquoi il nous est apparu indispensable de bâtir un continuum de formation qui sensibilise les jeunes dès la licence, par l’introduction de modules spécifiques, et surtout qui déploie l’effort de formation sur les deux premières années d’enseignement. Cela passera par un plus fort développement des effectifs des étudiants apprentis professeurs qui bénéficieront dès la licence d’un apprentissage renforcé, et par une adaptation des concours afin que leur expérience soit un atout et non un handicap.

Un tel étalement des enseignements professionnalisants permettra en outre de renforcer l’alternance en première année de master, pour la porter à un tiers du temps. Il offrira aux ESPE l’opportunité d’adapter et de hiérarchiser les contenus des formations, en fonction notamment des lacunes de leurs élèves, de la diversité de leurs parcours et des besoins induits par leurs affectations, et de donner une pleine cohérence aux objectifs du tronc commun dont les très nombreuses exigences seraient étalées sur quatre années, permettant en particulier d’aborder en profondeur les problématiques extrêmement importantes que sont la gestion des élèves à besoin éducatif particulier, le travail interdisciplinaire et le soutien. Il donnera enfin un rôle plus éminent aux tuteurs, les chevilles ouvrières de la formation dont nous proposons d’ailleurs la revalorisation, et fera des établissements d’accueil des jeunes stagiaires et enseignants de véritables « établissements formateurs », pleinement articulés aux ESPE, et dont la capacité de formation sera dûment évaluée et labélisée. Une telle démarche est un premier pas indispensable vers une meilleure affectation des stagiaires dans des établissements dont les compétences en formation seront ainsi reconnues et valorisées.

Parallèlement, il nous apparaît indispensable de mieux encourager les ESPE à mutualiser leurs ressources et à fédérer les divers acteurs qui travaillent à leur côté. C’est vrai pour les disciplines ou les métiers à effectif faible, et je pense aux enseignants spécialisés des lycées professionnels qui gagneraient à être formés dans des pôles labélisés, par exemple au sein des campus des métiers, l’important étant de porter une attention particulière à l’intensité des liens avec les milieux professionnels concernés. Mais c’est tout aussi vrai pour la recherche : les ESPE doivent s’imposer comme les grands fédérateurs et diffuseurs de toutes les recherches éducatives, sur le modèle de la démarche innovante de l’Institut Carnot des sciences de l’éducation, à Lyon, qui s’attache à répondre scientifiquement aux besoins exprimés par les enseignants eux-mêmes.

Ces évolutions nous conduisent évidemment à la lancinante question des concours, que la mission n’a pas voulu éluder.

Il est clair que la présence du concours au milieu du master ne favorise guère la cohérence générale du parcours de formation, accaparant la première année du master où les étudiants ne prêtent souvent qu’une oreille distraite aux contenus professionnalisants, et dévalorisant parfois la seconde où certains admis estiment que tout est déjà joué.

Pour autant, mon opinion personnelle est qu’il serait déraisonnable d’entreprendre dès à présent le bouleversement d’un système déjà modifié deux fois au cours des cinq dernières années, car le risque serait alors de le rendre illisible. La priorité est de renforcer le contrôle des aptitudes professionnelles dans les concours actuels, en particulier en veillant à ce que les jurys se réfèrent expressément au nouveau référentiel des compétences et contrôlent efficacement la connaissance des valeurs fondamentales du système éducatif.

À plus long terme, cependant, je dessine quelques pistes permettant de libérer le master de la « césure » du concours, par exemple en introduisant progressivement un décalage entre les épreuves d’admissibilité, à tonalité plus disciplinaire, conservées en première année de master, voire avancées à la fin de la licence, et celles d’admission, reportées en fin de master, qui permettraient de mieux vérifier la maîtrise des aptitudes professionnelles, au besoin par des épreuves en classe.

Sur les questions plus prosaïques de gouvernance, la mission a pu, là encore, formuler un jugement nuancé mais optimiste.

Le parti pris d’ancrer les ESPE dans les universités, tout en leur donnant une spécificité marquée, n’a évidemment pas manqué d’occasionner des tensions. En l’absence de règles claires sur le pilotage, les directeurs d’ESPE ont été nombreux à se plaindre d’une trop grande centralisation et à évoquer leur sentiment, en période budgétaire difficile, d’être la variable d’ajustement des universités. Deux points techniques cristallisent ces tensions : les inscriptions administratives et pédagogiques à l’université ; le budget de projet, qui identifie les moyens dévolus aux ESPE, mais qui est trop souvent un outil fragile et exclusivement comptable.

Pour remédier à ces difficultés, nous proposons de clarifier les relations entre les deux partenaires, en créant partout une structure dédiée de pilotage entre l’université – ou mieux encore, la communauté d’universités et d’établissements (COMUE) à laquelle elle appartient – et le rectorat, avec une seule université identifiée comme chef de file.

S’agissant des inscriptions, nous estimons que les inscriptions administratives et pédagogiques doivent être centralisées au sein de l’ESPE de l’université intégratrice, afin que les écoles aient une pleine visibilité sur leurs effectifs.

Quant au budget, il conviendrait de généraliser la conclusion de contrats d’objectifs et de moyens entre l’ESPE et l’université intégratrice, qui permettraient de garantir une parfaite lisibilité, une continuité et un fléchage efficace des moyens vers le budget de l’ESPE.

Les constats, vous le lirez, sont beaucoup plus sévères s’agissant de la formation continue de nos enseignants, actuellement décevante par sa complexité, ses disparités et son manque de lisibilité et d’attractivité. L’Éducation nationale n’est guère un employeur à la hauteur des responsabilités qu’elle assigne à ses professeurs. Le chantier est immense et doit être ouvert sans tarder.

Rien ne pourra se faire sans clarifier, d’abord, les besoins et, ensuite, les missions des acteurs.

Il est ainsi primordial de simplifier et de hiérarchiser, tant dans les plans nationaux qu’académiques, l’offre de formation, aujourd’hui pléthorique – 650 offres dans le plan national de formation ! – et presque totalement dépourvue d’évaluations et de retours d’expérience.

De même, il faut remettre de l’ordre entre les formations relatives aux priorités assignées par la Nation à l’École, légitimement exercées par l’État employeur et en ce sens « obligatoires », et toutes les autres formations, tout aussi précieuses, qui doivent entrer dans le giron des ESPE, dont c’est aussi le cœur de métier.

Nous proposons ainsi que soit institué dans toutes les académies un comité de pilotage, recensant, évaluant et hiérarchisant les offres, et répartissant les tâches entre les services académiques, les ESPE, mais aussi le réseau Canopé de création et d’accompagnement pédagogique – ex-Centre national de documentation pédagogique (CNDP  – dont le rôle est si précieux.

Nous insistons aussi pour que les enseignants bénéficient d’un véritable droit à la formation, dûment certifiante, grâce à la mise en place d’un compte personnel de formation et à un suivi individuel dans un portfolio. Leurs efforts pour améliorer leurs compétences doivent être valorisés – ce qui n’est quasiment pas le cas aujourd’hui –, y compris en instaurant un barème de points intervenant dans la carrière et les affectations et en mettant en place un dispositif de validation des acquis de l’expérience (VAE).

En parallèle, le moins que l’on puisse attendre est que l’Éducation nationale se comporte comme tous les autres employeurs. Le remplacement des enseignants en formation et une pleine prise en charge des frais induits par ces formations sont au nombre des sujets qu’il conviendra de régler sans attendre. De nombreuses autres propositions, centrées notamment sur le relèvement des qualifications des formateurs et sur une meilleure coordination des acteurs, sont apparues tout aussi décisives à la mission.

En résumé, je considère que la création des ESPE a permis le rétablissement d’une formation initiale ambitieuse, unifiée et professionnalisante ; qu’il convient de clarifier des points concernant la gouvernance des ESPE ; que les ESPE doivent, après avoir consenti des efforts en direction de la formation initiale, s’investir sur la formation continue en partenariat avec les rectorats ; et que le rôle de la recherche doit être renforcé au bénéfice des enseignants, mais surtout des élèves, afin que tous réussissent leur scolarité.

M. le président Patrick Bloche. Merci, monsieur le rapporteur, de cette présentation très claire qui nous permet de comprendre les enjeux de la formation des enseignants. Nous notons votre grande lucidité sur ce qui marche et ce qui marche moins, d’où l’intérêt de toutes vos recommandations.

M. Yves Durand. Je félicite Michel Ménard pour son rapport, ainsi que l’ensemble des membres de la mission pour leur travail remarquable sous la présidence éclairée de Frédéric Reiss.

Je ne reviendrai pas sur l’importance de la formation des enseignants. Je pense qu’elle peut faire consensus entre nous, quel que soit l’avis ou le regret que nous pouvons avoir sur la suppression de cette formation au cours du mandat précédent. Regardons devant nous, et non plus derrière nous.

Le chantier est en cours : 2013, c’est relativement proche. Remettre en place une véritable formation professionnelle des enseignants est une ambition qui demande du temps et un suivi auquel la mission s’est attachée pour formuler, non pas des critiques, mais des préconisations intéressantes.

Au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER), je poserai trois questions, qui ont été abordées par Michel Ménard.

La première a trait à la formation continue, qui coûte cher, ne l’oublions pas, mais qui a toujours été – ce qui est catastrophique – la variable d’ajustement dans les budgets de l’Éducation nationale. Comment les ESPE peuvent-elles devenir un lieu de formation continue ? Et comment les enseignants les plus chevronnés peuvent-ils devenir des formateurs ?

La deuxième question concerne la formation initiale. Il existe encore une césure entre formation académique et formation professionnelle, d’où l’importance de l’organisation du continuum. Comment parvenir à une formation professionnalisante, c’est-à-dire une véritable alternance ? Comment les ESPE peuvent-elles être les maîtres d’œuvre de ce continuum préconisé par le rapport ?

En lien avec le continuum, se pose la question de la nature du concours. Sur quels critères doit-on recruter nos futurs enseignants : sur l’importance de la virgule dans un texte de Virgile, ou sur le métier lui-même ?

Ma troisième question, enfin, concerne la recherche. La recherche « maison » de l’Éducation nationale n’est pas une véritable recherche. Comment les ESPE peuvent-elles être de véritables donneurs d’ordres en direction de laboratoires de recherche totalement indépendants ?

Mme Dominique Nachury. Le groupe Les Républicains (LR) a pris connaissance avec intérêt du rapport de la mission sur la formation des enseignants, dont le rôle est crucial pour la réussite de chaque élève. Après la loi de refondation de l’École de la République voulue en 2012 par la nouvelle majorité, le groupe UMP devenu LR a souhaité la création de cette mission d’information, indépendamment du comité de suivi de la loi.

Nous saluons le travail réalisé par les membres de la mission, comme nous apprécions sa restitution aujourd’hui. Les auditions ont été nombreuses et de qualité, couvrant beaucoup des champs concernés, de même que les tables rondes et les déplacements sur sites.

Toutefois, notre groupe déplore le parti pris du rapporteur, qui essaie de démontrer que la loi de refondation a permis à la formation des enseignants de passer, en quelque sorte, de l’ombre à la lumière, en stigmatisant la précédente majorité qui aurait sacrifié en 2010 la formation initiale des lauréats aux concours de recrutement. Notons qu’il souligne néanmoins dans son rapport le choix tout à fait pertinent fait en 2010 de porter le niveau de recrutement des enseignants à « bac + 5 ».

Cela étant dit, le groupe LR ne peut que soutenir certaines de ses propositions, comme la proposition 29 : « assurer systématiquement le remplacement du personnel enseignant suivant une formation imposée par l’administration ». En effet, de nombreuses formations imposées par les réformes lors du troisième trimestre de l’année scolaire 2015-2016 ont déstabilisé des écoles primaires et des collèges qui ont vu leur personnel enseignant partir en masse sans pouvoir le remplacer.

En revanche, mon groupe s’interroge sur d’autres propositions, comme le fléchage des moyens vers le budget de l’ESPE, qui pose le problème de l’autonomie des universités et risque de dériver vers des structures de type IUFM, pourtant décriées et finalement abandonnées.

D’autres propositions devraient être développées, comme la proposition 10 sur la formation en alternance, en reprenant les expérimentions réalisées dans les académies de Créteil ou de Guyane. Pour participer au comité de suivi de la loi de refondation, je me souviens de propos sur l’intérêt de la formation médicale, par exemple, qui associe beaucoup mieux les aspects académique et clinique.

Il nous semble également que certaines propositions manquent dans ce rapport. D’abord, sur la formation continue des enseignants. Des exemples sont intéressants, comme les formations ouvertes à tous dans les universités, connues sous l’appellation MOOC, acronyme anglais de massive open online course. Il pourrait être envisagé une formation continue en ligne avec des unités à valider sur des plateformes de formation. Ensuite, le rapport ne dit rien sur la formation aux défis d’aujourd’hui : violence en milieu scolaire ; respect mutuel entre parents, professeurs et élèves ; valorisation du savoir ; etc.

En outre, nous pensons que la formation des enseignants devrait se faire par alternance, en intégrant les problématiques réelles, comme la violence ou le respect en milieu scolaire, en utilisant pleinement les possibilités des nouvelles technologies, et au sein de structures pertinentes. C’est toute la question de la définition des ESPE et de ce qui reste encore à définir.

Enfin, il est nécessaire de s’interroger sur certaines réformes, en particulier celle du collège, pour en intégrer toutes les composantes dans les formations des enseignants. Aujourd’hui, de nouvelles activités, comme les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), semblent une perte de temps pour certains enseignants. Il est très difficile d’imaginer que ces nouvelles activités puissent se faire sans adhésion des enseignants, mais aussi sans formation des enseignants.

M. Rudy Salles. Au nom du groupe Union des démocrates et indépendants (UDI), je félicite à mon tour nos collègues Frédéric Reiss et Michel Ménard pour ce travail. À la lecture de leur rapport, j’ai constaté que cette mission avait donné lieu à un grand nombre d’auditions depuis le mois de février.

L’éducation est une question cruciale pour l’avenir de notre pays. Depuis 2012, le Gouvernement se félicite de recruter des milliers de professeurs, mais, malheureusement – et le passé l’a prouvé – ce n’est pas le nombre d’enseignants qui fait la qualité de notre système éducatif et assure la cohésion de notre communauté éducative au quotidien. De nombreuses études montrent que notre école est toujours plus inégalitaire – le dernier rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO) dénonce la reproduction des inégalités au travers des zones d’éducation prioritaire – et qu’elle ne garantit pas la réussite de tous les élèves. En plus de ces mauvais résultats, le nombre de professeurs insatisfaits, voire désabusés, est en augmentation.

La réforme du collège, mal pensée, mal préparée, et dont la mise en œuvre s’est faite sans concertation et sans dialogue avec les enseignants, est aujourd’hui un exemple parmi tant d’autres de l’échec de ce gouvernement à redonner confiance dans notre système éducatif.

En 2013, notre groupe s’était opposé à la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Nous avions profondément regretté le manque d’écoute du Gouvernement sur plusieurs de nos préoccupations, notamment l’autonomie accordée aux équipes pédagogiques. Je constate avec satisfaction que cette proposition est reprise dans le rapport.

Les différentes auditions témoignent de la difficulté de mise en œuvre de cette réforme, avec des relations compliquées entre les différents acteurs – directeur d’ESPE, recteur, président d’université – et une difficile coordination sur certains sujets, comme les inscriptions ou le budget.

Pour l’université, le travail de nos collègues pointe du doigt un important manque de lisibilité des formations. Comment espérer attirer les étudiants si l’offre de formation est incompréhensible ?

Parmi vos préconisations figure l’introduction de modules dès la licence ; c’est une première piste pour rassembler les différents cursus. Mais que conseillez-vous pour juguler la crise du recrutement dans certaines disciplines – je pense notamment aux mathématiques ?

L’état de la formation continue est particulièrement préoccupant. Déjà, en avril 2015, la Cour des comptes dénonçait dans un rapport les carences du système de formation continue des enseignants. Les enseignants français bénéficient en moyenne de quatre jours de formation par an, contre huit en moyenne dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), et ils sont plus de 42 % à invoquer l’inadaptation des activités de formation à leurs préoccupations comme raison pour ne pas y participer. Aujourd’hui, alors que le métier d’enseignant devient de plus en plus compliqué, il me semble essentiel de renforcer cette formation et d’accompagner les personnels tout au long de leur carrière.

Si le niveau de connaissances théoriques est essentiel, il ne doit pas faire oublier les autres compétences à acquérir pour accomplir le métier d’enseignant. Actuellement, les enseignants ont des savoirs universitaires, mais manquent de formation sur les méthodes, la pédagogie, pour savoir gérer une classe et instaurer une discipline de travail. Les enseignants eux-mêmes sont plus de 40 %, au collège, à s’estimer insuffisamment préparés pour le volet pédagogique de leur travail. Que préconisez-vous pour mieux accompagner les futurs professeurs ?

M. le président Patrick Bloche. Si notre commission me semble pouvoir se retrouver dans le rapport de Michel Ménard, on ne peut pour autant oser imaginer un seul instant qu’un accord général se dégage des deux côtés de cette salle sur la politique en matière d’éducation ces dernières années. Et heureusement, c’est la démocratie !

M. Jean-Noël Carpentier. Ce rapport sur la formation des enseignants est précieux. Au nom du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP), je félicite le président de la mission et le rapporteur, dont les préconisations sont extrêmement stimulantes.

En 2012, année de l’arrivée aux affaires de notre majorité après dix ans de gouvernement de droite, l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), qui comparait les résultats scolaires entre les différents pays de l’OCDE, démontrait que la France prenait du retard sur ses voisins. C’était notre base de départ.

Certes, nous demandons beaucoup à notre école, et elle fait déjà beaucoup ; mais malheureusement, trop d’élèves ne réussissent pas. Pourtant, les enseignants sont tout à leur mission : ils sont dévoués et pleinement engagés aux côtés de leurs élèves, leur bonne volonté est indiscutable. En aucune manière, nous ne pouvons leur attribuer la responsabilité des lacunes d’un système ; ils sont d’ailleurs souvent les premiers à les déplorer.

Depuis 2012, notre majorité n’est pas restée l’arme au pied, elle n’a pas chômé. Avec la loi pour la refondation de l’école, nous avons octroyé des moyens budgétaires sans précédent à l’éducation. Nous avons recruté des dizaines de milliers d’enseignants – postes que la majorité précédente, sous MM. Sarkozy, Juppé, Fillon, Le Maire, avait détruits. Nous avons engagé de nombreuses réformes, et parmi la plus importante, celle de la formation des enseignants.

La lecture de ce rapport montre clairement que la formation des enseignants est une des clés pour améliorer notre école. Tous les acteurs le disent : enseigner est un métier qui s’apprend, la formation des enseignants est un investissement budgétaire important, mais indispensable pour notre système scolaire.

Depuis 2013, nous avons remis en place la formation initiale des enseignants. Et nous avons bien fait, tant le monde de l’école a été durement ébranlé par sa suppression brutale, sans concertation, en 2010. La mise en place, en deux ans, des ESPE constitue une avancée majeure. Vouloir lier le monde de la recherche et le monde de l’enseignement est une petite révolution qui porte peu à peu ses fruits.

La revalorisation du métier d’enseignant est en marche. En témoigne le nombre grandissant des candidats au concours. Monsieur le rapporteur, j’aimerais avoir votre sentiment sur cette revalorisation du métier d’enseignant.

Concernant la formation continue, il y a encore beaucoup à faire. Les enseignants ne sont pas tendres à ce sujet : ils jugent globalement les contenus des formations insuffisants et peu utiles. Je partage le constat du rapporteur sur l’urgence à rénover cette formation continue. Il faut que les enseignants puissent bénéficier de formations de qualité tout au long de leur carrière, comme tous les travailleurs y ont droit dans l’exercice de leur métier. Il faut clarifier l’offre de formation et mieux l’orienter vers les réalités de la classe. De même, je partage la proposition du rapport de créer un compte personnel de formation. Enfin, je considère que les ESPE devraient avoir un rôle beaucoup important en matière de formation continue.

Telles sont les quelques remarques que je souhaitais formuler sur cet excellent rapport.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président de la mission, monsieur le rapporteur, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), je vous félicite pour ce remarquable travail.

Les enseignants auront beau être formés, le pari de l’école de la réussite pour toutes et tous ne sera pas gagné s’ils demeurent en nombre insuffisant. Il faut donc beaucoup d’enseignants, mais la question de la formation, en particulier de la formation continue, doit être placée au premier rang. Les réponses au questionnaire figurant en annexe n° 2 du rapport montrent que les questions relatives au déroulement de carrière, aux salaires, mais aussi au regard de la société sur ce métier, conditionnent grandement l’attractivité du métier. Mais, j’y insiste, la formation est un élément crucial.

« Le rétablissement réussi d’une formation initiale ambitieuse, unifiée et professionnalisante », lisons-nous dans le rapport. Vous avez nuancé ce propos, monsieur le rapporteur, en soulignant que le chantier n’en est qu’à ses débuts et en présentant quelques pistes pour répondre mieux encore à cette exigence de formation.

La première concerne la formation initiale et le contenu du concours. Vous évacuez la question de la place du concours, alors que les étudiants doivent dans le même temps préparer celui-ci et rédiger leur mémoire au cours de la deuxième année de master, sans compter l’alternance. Je pense que centrer le concours sur les aptitudes professionnelles des futurs enseignants est une nécessité.

Le bilan mitigé sur les étudiants élèves professeurs renvoie à la question d’un véritable recrutement. Le prérecrutement doit permettre à toutes celles et à tous ceux qui veulent s’orienter vers ce métier d’embrasser la profession d’enseignant, quelle que soit leur situation.

Deuxièmement, vous avez raison de nous alerter sur la qualité de la formation continue. La formation, l’évaluation des tuteurs formateurs, l’importance d’établissements formateurs, sont des questions cruciales.

Troisièmement, le temps de la formation est un point-clé. En tant que rapporteure d’un avis budgétaire sur le livre et la lecture, j’écoutais hier des enseignants m’expliquer qu’ils n’ont plus le temps de lire ni celui de renforcer leur culture générale. C’est un véritable problème. Comment revenir à l’essentiel en matière de formation continue, tout en laissant aux enseignants le temps d’accéder à d’autres moyens de formation, notamment par la lecture ? Votre proposition consistant à reconnaître cet effort de formation au travers de la validation des acquis de l’expérience est tout à fait essentielle.

Sur la place des ESPE ancrées dans les universités, je soutiens l’idée de moyens ciblés. On ne peut pas laisser les ESPE être la variable d’ajustement des budgets des universités. Certes, nous sommes pieds et poings liés en raison du problème de l’autonomie des universités, mais nous devons tout faire pour que les ESPE aient les moyens de leur fonctionnement.

Je partage également l’idée d’un rôle nouveau pour ces écoles supérieures en matière de recherche. Il faut donner plus de vitalité et d’ambition à la recherche pédagogique.

La mise en œuvre de toutes ces propositions exigera des moyens budgétaires. Car plus de formation suppose plus de remplaçants – et des remplaçants qualifiés.

En conclusion, je me réjouis de toutes ces pistes ouvertes grâce au rapport, en espérant que nous pourrons avancer dans les mois et les années à venir.

Mme Anne-Christine Lang. Je remercie le président et le rapporteur de la mission pour la qualité du travail accompli, sur un sujet dont nous considérons tous qu'il est au cœur de la refondation de l’école.

Je me concentrerai, faute de temps, sur la question de la formation continue, dont il est précisé dans la loi qu’elle est « indispensable pour permettre aux enseignants de rester au contact de la recherche, des avancées de leur discipline, ainsi que des évolutions qui traversent les métiers de l’éducation et la société ».

Or force est de constater que le compte n’y est pas. Le constat que vous faites dans ce rapport est sévère. Vous dites que la formation continue des enseignants est décevante du fait de sa complexité, de ses disparités, de son manque de lisibilité et d’attractivité. Ce qui, du reste, traduit parfaitement le jugement des personnes que nous avons auditionnées, chacun s’accordant à considérer que cet immense chantier est encore largement devant nous et qu’il doit être lancé sans tarder.

Plusieurs pistes évoquées lors de nos auditions, puis reprises dans les préconisations du rapport, me semblent intéressantes. Ces préconisations sont plutôt consensuelles, car l’honnêteté oblige à reconnaître que, pendant des décennies, personne, à droite comme à gauche, n’est réellement parvenu à provoquer des avancées significatives sur ce dossier complexe.

La première piste concerne l’entrée dans le métier et le besoin impérieux d’une formation pratique renforcée pour faire face à des situations parfois difficiles, qui n’ont pas été abordées ni anticipées pendant la formation initiale. À cet égard, comme Yves Durand l’a mentionné, toutes les pistes qui consistent à renforcer la formation entre pairs me semble devoir être explorées, que ce soit à travers le « mentorat » ou en développant l’idée d’établissements formateurs où les plus anciens et les plus expérimentés peuvent conseiller et épauler les plus jeunes, ce qui présente l’immense avantage de renforcer les liens, la solidarité et la cohésion entre les enseignants, qui peinent parfois à travailler en équipe.

La deuxième piste concerne l’offre de formation, actuellement pléthorique et disparate, pour laquelle le rapport suggère, à juste titre, de mieux prendre en compte la demande des enseignants et de mieux adapter l’offre à leurs besoins, ainsi que la délicate question de la formation des formateurs. Nous nous réjouissons que cette dernière question figure désormais parmi les priorités.

Force est de reconnaître également, comme le pointait la Cour des comptes dans un rapport déjà cité, que l’offre des ESPE reste largement à construire dans le domaine de la formation continue, que ce soit dans le domaine strictement disciplinaire ou dans celui de la pratique pédagogique. À cet égard, on constate avec satisfaction que, dans de nombreuses académies – je pense notamment à celle de Grenoble –, des progrès significatifs ont été accomplis pour mieux adosser l’offre à la recherche universitaire, notamment en recherche en éducation et en didactique. L’intérêt suscité par une publication récente du livre de Céline Alvarez prouve, s’il en était besoin, l’intérêt des parents et l’appétence pour introduire dans l’enseignement les apports des pédagogies innovantes ou alternatives.

Faute de temps, je ne pourrai pas évoquer la question de la formation des formateurs au sein de l’enseignement professionnel, qui est pourtant cruciale et insuffisamment pensée.

Il est regrettable que les enseignants français se forment très peu, en tout cas beaucoup moins que leurs collègues des autres pays de l’OCDE. Étant donné les conséquences que cela peut avoir sur la réussite des élèves, il me semble que c’est un sujet de réflexion prioritaire pour les années à venir.

M. Michel Herbillon. Je félicite à mon tour le président et le rapporteur de cette mission, qui ont fait un excellent travail.

Cela étant, votre rapport est un véritable réquisitoire contre la situation actuelle en matière de formation continue. Il faut absolument, comme vous le dites, procéder à une refondation. Je voudrais savoir, parmi les propositions que vous faites, quelles sont celles qui vous paraissent prioritaires et qui pourraient être mises en œuvre rapidement.

Par ailleurs, je regrette qu’une fois de plus, on considère que la question des effectifs soit la seule à pouvoir résoudre les problèmes en matière de formation. C’est le sentiment que j’ai eu en entendant certains de nos collègues, alors qu’à mes yeux, la solution n’est pas là. On a trop longtemps considéré, notamment du côté de la majorité, que seul le renforcement des effectifs permettrait de régler le problème de la formation, alors qu’on sait fort bien que ce n’est pas la seule garantie d’une formation de qualité.

Enfin, j’aimerais savoir comment votre objectif, extrêmement louable, de relancer durablement l’attractivité du métier d’enseignant vous semble compatible avec deux réformes clés mises en place récemment et très dissuasives : la réforme des rythmes scolaires et la réforme du collège, qui sont des échecs patents.

M. Christophe Premat. Ce rapport est extrêmement complet et détaillé. Les auditions que vous avez menées ont, dès le début, mis en évidence les points de tension. Je pense notamment à la mise en œuvre de la formation enseignante au sein des ESPE.

Les ESPE ne doivent pas être le parent pauvre des universités qui, en tant qu’entités autonomes, ont tendance à s’orienter davantage vers la recherche, qui leur donne une place au sein de la compétition internationale.

Dans le cadre du contrôle de l’application de la loi, cette mission était opportune. J’apprécie tout particulièrement le fait que les propositions soient réalistes et ne visent pas à créer une multitude de dispositifs.

Les enseignants doivent pouvoir bénéficier d’une formation adaptée, centrée non seulement sur la transmission des connaissances, mais également sur l’attitude des élèves et leur environnement.

La mise en réseau des ressources, que vous proposez, comme le réseau Canopé, la valorisation de la condition enseignante, la mise en place d’un portfolio, que l’on retrouve dans nombre de pays européens, sont des éléments importants dans l’évolution des parcours enseignants.

Dans votre proposition 8, vous évoquez la marge d’autonomie, très réduite, des ESPE. Au-delà de la définition des contenus, comment cela peut-il être amélioré quand on connaît l’étroitesse des budgets ?

Par ailleurs, dans la plupart des pays européens, on valorise les compétences pédagogiques, les notes pédagogiques, ce que vous nommez à juste titre le « continuum de formation ». Comment cela peut-il se traduire concrètement ? Faut-il donner plus de poids à l’aspect pratique dans l’enseignement ? Vous insistez sur la question des modules. Cela signifie-t-il qu’il faut envisager d’une autre manière la pondération des coefficients aux épreuves, donner plus de valeur aux stages pratiques, qui restent souvent le premier moment de confrontation à la réalité pour la plupart des jeunes professeurs ?

Concernant le recrutement et l’évaluation de la pédagogie des professeurs, ce serait une erreur que de banaliser le parcours enseignant et d’en faire simplement une voie possible, voire une voie de garage.

La piste que vous proposez vise à donner plus de poids à des enseignements diversifiés. Les auditions auxquelles j’ai assisté insistent d’ailleurs sur cet aspect. Comment pensez-vous matérialiser cette dimension pratique, qui est souvent post-concours, alors qu’elle fait partie intégrante de l’évaluation des professeurs ?

Mme Valérie Corre. Je salue à mon tour le travail du président et du rapporteur pour mener à bien cette mission d’information.

La bonne nouvelle, si j’ose dire, c’est que nous avons de nouveau la possibilité de parler de la formation des enseignants, car, rappelons-le, elle avait été supprimée. Recréer un modèle de formation est donc un des choix essentiels de la refondation de l’école. Pour autant, il serait hâtif d’émettre un jugement définitif, car ce dispositif est jeune et les premiers enseignants formés sont en exercice uniquement depuis la rentrée dernière.

Vous indiquez à juste titre que le choix d’inscrire la formation des enseignants parmi les compétences des universités a été un choix structurant, dont vous saluez la pertinence, mais que cela ne se fait pas sans tensions. Je souhaite précisément revenir sur les relations entre les universités et les ESPE.

En tant que députée du Loiret, département dans lequel se situent la belle ville d’Orléans et son ESPE, je trouve que vous évoquez cet établissement de façon bien lapidaire. Les analyses en termes de « puissance », quand on parle d’un travail de partenariat, m’étonnent toujours car elles nourrissent les difficultés rencontrées. Ensuite, il ne faut pas, par une mention trop brève, risquer de fragiliser une école très avant-gardiste sur de nombreux sujets, s’agissant notamment de l’articulation entre la recherche, la formation et la pratique professionnelle.

Au-delà de ce cas particulier, pouvez-vous nous en dire plus sur votre proposition de chef de filât par une université pour régler la question du pilotage entre les universités et les rectorats ?

Mme Colette Langlade. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, monsieur le président, pour la présentation de ce rapport qui décrit une réforme positive de la formation des enseignants et une mise en pratique globalement réussie.

Les ESPE viennent de livrer à l’Éducation nationale leur première génération de professeurs formés et les enseignants s’imprègnent progressivement des nouveaux outils mis à leur disposition, comme le réseau Canopé. Le paysage institutionnel s’adapte peu à peu à cette nouvelle organisation.

Dans votre présentation, monsieur le rapporteur, vous avez évoqué la question de l’adaptation à l’enseignement professionnel. Vous proposez la mutualisation des moyens entre ESPE en matière de formation des enseignants des voies professionnelles afin de prendre en compte les faibles effectifs et d’améliorer l’offre éducative. Vous citez à cet égard les ESPE de Bordeaux, Toulouse et Montpellier, qui ont mis en place ce procédé. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet?

Mme Maud Olivier. L’égalité professionnelle, cela se travaille très tôt. La formation des enseignants dans le domaine de la construction de l’égalité entre les filles et les garçons est donc primordiale. En effet, on constate que les pratiques pédagogiques, l’organisation de la vie scolaire ou l’orientation des élèves répondent trop souvent à des stéréotypes de genre, sans que les équipes enseignantes, les élèves ou leurs parents en aient réellement conscience.

Aussi, pour construire une culture de l’égalité et assurer l’égalité des chances entre les filles et les garçons, il est nécessaire de former les enseignants à ces questions. La formation à l’égalité filles-garçons est devenue une obligation légale, dans le cadre de la mise en œuvre de la loi pour la refondation de l’école. Elle est également inscrite dans les textes de création des ESPE, qui ont pour mission d’organiser des formations de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations.

La convention interministérielle 2013-2018 pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif porte, quant à elle, sur l’intégration des actions de formation à l’égalité et de déconstruction des stéréotypes sexistes dans la formation continue des personnels enseignants.

Cependant, dans les faits – vous le constatez dans votre rapport –, il existe une réelle disparité d’offres, liée notamment à l’autonomie des ESPE. En effet, les formations à l’égalité, au sein des ESPE, sont très diverses, et la qualité de la formation dépend en grande partie du degré de développement des recherches sur le genre au sein de l’université dont dépend l’ESPE.

Ainsi, certains étudiants et étudiantes reçoivent un nombre important d’heures de formation, mais de manière optionnelle, tandis que, pour d’autres, le volume est moindre, mais la formation obligatoire. L’égalité filles-garçons ne faisant l’objet d’une unité d’enseignement dédiée et obligatoire que dans l’ESPE de Créteil, les volumes horaires qui lui sont réservés reflètent cette forte disparité, allant de six heures dans la majorité des ESPE à trente-six heures dans celle de Créteil.

C’est pourquoi, en complément du maintien d’une veille étroite, que vous appelez de vos vœux, je pense qu’un arsenal plus coercitif et ambitieux est nécessaire, pourquoi pas, notamment, par le biais d’une évaluation régulière des enseignements dispensés au sujet de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre les stéréotypes de sexe, ainsi que l’intégration de ce sujet au concours de recrutement des enseignants.

M. Hervé Féron. Je vous félicite pour ce travail, monsieur le président, monsieur le rapporteur. C’est une des contributions majeures du quinquennat dont nous pouvons être fiers.

La formation des enseignants est indispensable à la refondation de l’école de la République. Enseigner est un métier qui ne s’improvise pas, mais qui s’apprend et se perfectionne tout au long de la vie.

Nous avons été nombreux, ici, à regretter la décision prise en 2010, sous la précédente législature, de supprimer l’année de stage à l’IUFM, pourtant indispensable avant d’entrer dans la carrière, pour de jeunes professeurs qui se sont ainsi retrouvés « projetés » dans une classe, avec des élèves devant lesquels ils ne savaient pas comment se comporter.

Si l’on ne peut que se réjouir du regain d’attractivité que nous avons constaté avec l’augmentation du nombre de candidats aux concours de l’Éducation nationale, il reste des questions à clarifier, concernant les ESPE, dont la majorité sont récapitulées dans votre rapport. Cela dit, quelles que soient les mesures que l’on met en place, je suis persuadé que l’attractivité du métier d’enseignant passera forcément par une meilleure rémunération.

C’est d’autant plus vrai que cinq années d’études sont désormais nécessaires pour exercer un métier auparavant accessible avec une simple licence, pour des professionnels qui restent parmi les plus mal payés d’Europe. Or s’il faut être passionné pour exercer le métier d’enseignant, cela ne suffira pas, sans compensation financière, à attirer les talents.

Concernant les moyens d’attirer les talents, j’ai trouvé particulièrement intéressante la proposition 19 visant à libérer le master de la césure du concours. Cela m’a fait penser aux sessions exceptionnelles organisées pour le CAPES, il y a quelques années, avec de nombreux postes ouverts, notamment en français, en anglais et en mathématiques. C’était une bonne idée, qui a permis à des jeunes diplômés, pas forcément préparés aux spécificités de l’enseignement en classe, de se former sur le tas pendant un an avant de passer les oraux.

Enfin, je voudrais faire observer qu’il n’est question, à aucun endroit du rapport, d’éducation artistique et culturelle.

J’effectue actuellement un rapport sur la place de la musique en France, concernant notamment les jeunes artistes créateurs. Les personnes que j’ai rencontrées m’ont convaincu de la dimension essentielle de cet aspect de l’éducation, qui devrait constituer une matière à part entière, comme le français ou les langues. Des initiatives telles que « L’Orchestre à l’école » prouvent que la musique est bien plus qu’un esthétisme et qu’elle amène les jeunes, y compris et peut-être surtout les plus mal intégrés, à sortir de leur isolement, à se respecter, à se comprendre par la maîtrise d’une discipline. Or l’éducation artistique et musicale, qui était bien présente dans les écoles normales, s’est amoindrie dans les IUFM et est aujourd’hui totalement absente dans les ESPE.

Mme Martine Martinel. Monsieur le rapporteur, monsieur le président, je souligne, moi aussi, l’excellence de votre travail. J’ai particulièrement apprécié que vous n’ayez pas fait ce rapport dans un esprit partisan. On a l’impression, à vous lire, que les membres de la mission ont eu à cœur de faire un travail positif, sans cet esprit de « déploration » qui, chaque fois qu’une enquête sort sur l’Éducation nationale, donne envie à tous les enseignants, parents et élèves, d’aller se suicider sans attendre !

Je m’étonne que l’on puisse parler aussi prématurément d’échec de la réforme du collège ou de l’école élémentaire.

Je voudrais revenir sur votre proposition 33, qui vise à mettre en place un dispositif d’apprentissage pour la formation des enseignants professionnels. C’est un enseignement qui est souvent méconnu. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

M. le rapporteur. Il y a eu une formidable mobilisation des directions et de l’ensemble des personnels des ESPE pour relever le défi que représentait la mise en place de ces écoles. Cela fait maintenant trois ans que les ESPE ont été installées, un an seulement que les premiers stagiaires ont fini leur formation et un an qu’ils exercent dans les établissements. Il s’agit d’un bilan à mi-parcours. Il est donc normal que cette réforme ne soit pas totalement aboutie. Reste que nous avons rencontré, de façon transpartisane, des acteurs extrêmement mobilisés pour faire de la formation des enseignants une réussite.

La mobilisation s’est faite d’abord autour de la formation initiale. J’ai entendu les réserves émises par nos collègues de l’opposition, qui estiment que le rapport est sévère à propos de la réforme de 2010. Il l’est, en effet, parce que la suppression de l’essentiel de la formation professionnalisante, et surtout celle de l’année de stage, était une erreur. Mais il y a aussi des critiques sur la mise en place des ESPE, notamment sur la formation continue. Le but n’était pas de faire un rapport partisan, mais de mesurer, de la façon la plus objective possible, ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et de faire des propositions pour améliorer les choses.

Le chantier est en cours. Nous avons déjà parcouru beaucoup de chemin, mais nous ne sommes qu’au milieu du gué pour ce qui concerne la formation initiale, avec un certain nombre de propositions visant à apporter des modifications concernant, par exemple, la gouvernance.

Nous avons un chantier à lancer pour la formation continue. Les directeurs et directrices d’ESPE que nous avons rencontrés nous ont dit qu’ils s’étaient d’abord mobilisés sur la formation initiale. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, nous ne proposons pas, dans ce rapport, de modifier la place du concours, parce que cela nous paraît prématuré, même s’il y a, dans les propositions, des perspectives à moyen terme. Nous proposons, par contre, de renforcer, dans le concours, la partie professionnalisante.

La formation continue, c’est vrai, est souvent une variable d’ajustement en fonction des possibilités de remplacement des enseignants qui partent en formation. Pour ma part, je ne considère pas que la seule réponse réside dans les effectifs, même si des effectifs suffisants sont une condition nécessaire pour avoir une formation de qualité, et donc, des enseignants bien formés.

Nous avons constaté à plusieurs reprises à quel point le rôle de l’établissement était essentiel pour la formation professionnalisante. Si le rapport propose d’instituer des établissements formateurs, c’est qu’il y a parfois des stagiaires affectés dans des établissements où les enseignants ne sont pas préparés ou ne sont pas volontaires pour les accueillir, tandis que, dans d’autres établissements, il peut y avoir des personnes disposées à les accueillir, mais qui n’en ont pas l’occasion. Faire en sorte que les stagiaires, dès lors qu’ils arrivent dans un établissement, soient accueillis et accompagnés, est un gage de réussite pour entrer dans le métier.

C’est aussi le sens du continuum de formation qui est proposé, avec des modules de sensibilisation, voire des stages, dès la licence, puis une formation approfondie durant les deux premières années d’exercice du métier (T1-T2) permettant d’aborder des questions qui relèvent du tronc commun et qui ne sont pas suffisamment abordées en master, ou qu’il serait préférable d’aborder un peu plus tard pour laisser plus de temps aux stages.

Le coût de la formation est à relativiser. Dans le projet de loi de finances pour 2017, il est estimé à 100 millions d’euros, mais ce chiffre n’inclut pas ce qui coûte cher, c’est-à-dire le remplacement des enseignants. Il faut assumer la charge en termes de personnel quand les enseignants vont suivre une formation. Nous rappelons également, dans ce rapport, la nécessité de remplacer systématiquement les enseignants, parce que, dès lors qu’elle s’impute sur le temps de face-à-face pédagogique, la formation ne doit pas se faire au détriment des élèves qui seraient privés de cours pendant plusieurs jours.

Nous ne prétendons nullement, madame Nachury, qu’il y ait eu passage « de l’ombre à la lumière ». Le rapport émet des critiques sur la situation avant 2012, mais aussi sur la situation après 2012, qui n’est pas parfaite. Il y a encore des progrès à faire, mais je considère que la mise en place des ESPE est positive et que nous pouvons déjà dire, avec, aujourd’hui, un recul de trois ans, que la formation initiale a été nettement améliorée. Les étudiants ne s’y sont pas trompés puisque le nombre de candidats a augmenté de 75 % pour le premier degré et de 130 % pour le second degré. Cela montre que le métier est redevenu attractif, même si, dans certaines disciplines, on manque encore de candidats. Le chantier n’est pas terminé. Il y a des disciplines pour lesquelles il est plus difficile de trouver des candidats.

Rudy Salles a parlé de la réforme du collège. Je n’aborde pas cette question puisque mon rapport traite de la formation des enseignants. Cela étant, pour avoir rencontré un certain nombre d’enseignants, je dois dire qu’un des éléments positifs de la formation continue est précisément la formation offerte aux enseignants du second degré pour préparer la réforme du collège.

J’ai pu constater que cette réforme était prise en compte par les enseignants. Beaucoup nous disent, d’ailleurs, que certains d’entre eux s’investissent déjà dans le travail collectif et l’accompagnement personnalisé et que ce n’est pas un problème. Pour d’autres, cela suppose une modification des méthodes de travail, mais je pense que nous sommes en passe de réussir cette réforme.

Jean-Noël Carpentier a rappelé l’importance de la recherche. Dans le rapport, les propositions 34 et 35 visent à généraliser l’établissement des documents de cadrage concernant les mémoires de recherche en master 2, ainsi que la démarche innovante de l’Institut Carnot des sciences de l’éducation, qui met en réseau les acteurs de la recherche.

Marie-George Buffet a rappelé le titre d’un des chapitres du rapport : « Le rétablissement réussi d’une formation initiale ambitieuse unifiée et professionnalisante ». Je l’assume pleinement, même si la réforme n’est pas aboutie. C’est l’une des raisons d’être de ce rapport puisqu’il propose des améliorations. Mais cela ne remet pas en cause le bien-fondé de cette réforme ni le travail qui a déjà été effectué. J’ai indiqué tout à l’heure les chiffres concernant l’augmentation du nombre de candidats.

Anne-Christine Lang a évoqué la question de la formation continue. C’est effectivement un chantier à ouvrir. Quelque 56 % des enseignants ont suivi au moins une formation dans l’année. Nous ne visons pas nécessairement le volume des formations, déjà important, mais plutôt leur qualité et leur ciblage : proposer un catalogue de 650 formations différentes nous paraît excessif. Aussi suggérons-nous de croiser les demandes des enseignants et les nécessités de l’employeur.

D’ailleurs, un certain nombre d’enseignants demandent à suivre telle ou telle formation et n’ont pas toujours une réponse positive parce qu’il n’y a pas suffisamment de places. Donc, travailler le catalogue de formations, en s’appuyant sur la demande des enseignants et sur la nécessité fixée par l’employeur, en partenariat entre l’employeur et les ESPE, nous paraît être un gage d’amélioration de la formation continue des enseignants.

Le problème réside plus dans la qualité et la lisibilité des choix que dans le volume de formations. Les enseignants ne sont pas toujours satisfaits du stage pour lequel ils ont été retenus.

Michel Herbillon s’interroge sur les priorités concernant la formation continue. Je pense qu’il faut « faire le ménage » dans l’offre de formations, qui est pléthorique, en prévoyant des plans annuels de formation qui fixent de vraies priorités, en valorisant les personnels qui se forment, avec la certification, des avantages sur les barèmes et la validation des acquis de l’expérience (VAE). Ce sont des pistes qui peuvent inciter les enseignants à s’inscrire en formation dans la durée.

Enfin, il faut faire en sorte que la formation ne coûte rien à l’enseignant. Il n’est pas normal qu’un enseignant ne soit pas remboursé de ses frais de déplacement ou de restauration. Tout employeur doit assumer les frais liés à la formation. L’Éducation nationale doit aussi pouvoir le faire. Il ne s’agit pas forcément de sommes énormes, mais rembourser les frais de formation revient à reconnaître l’importance de la formation et l’effort que font les enseignants.

Christophe Premat a évoqué la proposition 8, qui tend à accorder une marge d’autonomie aux ESPE.

Il nous semble important que les ESPE puissent avoir une véritable autonomie concernant la mise en place des contenus de formation, dans un cadre fixé par l’Éducation nationale, qui est le futur employeur. Il s’agit, là encore, de trouver l’équilibre entre le cadrage général et l’autonomie nécessaire des établissements, ce qui nous semble tout à fait possible.

L’une des marges d’autonomie réside dans le continuum de formation. Dès lors que nous proposons de ne pas réduire la formation initiale aux deux années de master, mais de l’étaler en aval et en amont, les ESPE peuvent avoir une plus grande autonomie dans le séquençage des formations, tout en répondant à tous les objectifs inscrits dans le tronc commun.

Valérie Corre s’est émue d’une phrase figurant à la page 37 du rapport. Il s’agit d’une citation de M. Antoine Prost, qui nous a parlé de difficultés rencontrées au sein de l’ESPE d’Orléans. Si cela peut vous satisfaire, chère collègue, je suis prêt à clarifier cette phrase. Je rappelle simplement que ce ne sont pas mes propos. Je cite ce que nous a dit M. Antoine Prost pendant l’audition. Ce n’est en aucun cas une mise en cause de l’ESPE d’Orléans ou de son directeur.

Colette Langlade a parlé de la mutualisation. En ce qui concerne la formation des enseignants sur des métiers précis, les formations techniques, il y a parfois peu de postes à pourvoir. Nous proposons que certaines ESPE travaillent ensemble et se spécialisent dans la formation de ces enseignants, chaque ESPE n’ayant pas forcément la capacité de former quelques enseignants par an dans une discipline précise. La mutualisation des formations entre les ESPE peut constituer une réponse.

Cela suppose que les stagiaires se déplacent, mais il nous semble, au regard du faible effectif à recruter, que quelques ESPE se spécialisant dans telle ou telle discipline, avec des effectifs suffisants, donnent un meilleur gage de réussite qu’une formation destinée à deux ou trois personnes dans de nombreuses ESPE.

Hervé Féron a évoqué la question de l’éducation artistique et culturelle. Je n’ai pas listé toutes les disciplines, mais j’ai constaté qu’il y avait, dans les ESPE, des formations en la matière, comme dans l’éducation physique et sportive. Les ESPE balaient l’ensemble des disciplines pour l’ensemble des candidats au CAPES, mais aussi pour les professeurs des écoles.

Maud Olivier a abordé le thème de l’égalité entre hommes et femmes, qui fait partie des enseignements du tronc commun. Cela renvoie à l’autonomie des ESPE. Quand cette thématique doit-elle être abordée, ainsi que la conduite de la classe ou l’accueil des enfants à profils particuliers, souffrant de handicap ? Nous proposons, dans le rapport, que toutes ces questions, qui relèvent des enseignements du tronc commun, soient abordées, non seulement en master, mais aussi en licence et pendant les deux premières années d’exercice du métier.

Tel est l’esprit de ce rapport. Il y a encore du travail à faire, mais, pour conclure, je dirai que les ESPE se sont bien mobilisées. Elles ont toutes été accréditées et, dans les dossiers d’accréditation, nous avons pu voir des améliorations très importantes entre les premiers dossiers, qui ont été faits dans l’urgence, et ceux d’aujourd’hui, sur lesquels nous avons des retours très positifs.

M. Frédéric Reiss, président de la mission d’information. Si, en tant que président de la mission d’information, j’ai trouvé les interventions des uns et des autres ce matin très intéressantes, je ne peux pas laisser dire, en tant que député de l’opposition, que la formation a été supprimée en 2010, puisque c’est cette année-là qu’est entrée en vigueur la mastérisation, ce qui a conduit à ajouter une année supplémentaire au parcours des futurs enseignants. S’il y a eu effectivement un problème en 2010, l’alternance a été mise en place dans les années suivantes par la précédente majorité. C’est pourquoi il ne faut pas tenir des propos aussi catégoriques et abrupts.

Comme le rapporteur, j’ai été déçu par l’audition des responsables des ressources humaines du ministère. En les écoutant, nous n’avons pas eu le sentiment que les nouveaux stagiaires recrutés sont bien perçus comme ayant vocation à faire pleinement partie des personnels du ministère de l’Éducation nationale. Si vous avez pris conscience du problème de la formation continue qui, je le reconnais, est ancien et n’a pas beaucoup évolué, il n’en a pas été de même de nos interlocuteurs, qui se sont beaucoup exprimés sur la formation initiale mais très peu sur la formation continue. Certains d’entre vous ont rappelé que les enseignants français étaient parmi les plus mal payés des pays de l’OCDE. Il me semble évident que la valorisation du métier de l’enseignant qui commence à se dessiner doit être liée à l’obligation de formation. D’ailleurs, nos interlocuteurs nous ont dit qu’ils auraient du mal à faire confiance à un médecin qui n’aurait reçu aucune formation depuis vingt ans. C’est un peu la même chose à l’Éducation nationale, au vu de toutes les évolutions qui ont eu lieu ces dernières années. C’est l’une des vertus de ce rapport que d’avoir insisté sur la nécessité de la formation continue et d’avoir proposé des solutions.

En conclusion, alors que les ministres de l’Éducation nationale qui se succèdent sont atteints de « réformite aiguë », les enseignants nous demandent de les laisser travailler. Aussi faut-il créer les conditions permettant d’offrir le meilleur à notre jeunesse pour qu’elle puisse réussir à s’intégrer dans notre société.

Mme Dominique Nachury. Compte tenu des observations que nous avons faites, mais sans pour autant nier le sérieux et la bonne ambiance qui ont prévalu tout au long de la mission, le groupe Les Républicains s’abstiendra sur ce rapport et rappelle qu’il présentera une contribution.

M. le président Patrick Bloche. Madame Nachury, peut-être vouliez-vous rappeler que, lorsque la mission d’information s’est réunie pour adopter le rapport présenté par Michel Ménard, votre groupe s’est abstenu et a indiqué qu’il rédigerait une contribution qui sera annexée au rapport. Dès lors que ce fait est rappelé clairement, cela vous libère et peut vous permettre d’approuver – puisque c’est uniquement de cela qu’il est question à cet instant – la publication du rapport. Ainsi, cette décision serait-elle prise à l’unanimité, quoi que l’on puisse penser de ce rapport. J’espère que mon interprétation vous sied.

Mme Dominique Nachury. C’est plus qu’une interprétation. On peut considérer en effet que nous sommes favorables à la publication du rapport, mais que nous tenons à rappeler que nous nous sommes abstenus sur le contenu du rapport et que nous souhaitons qu’y soit introduite une contribution, au nom du groupe Les Républicains.

M. Yves Durand. Je me félicite de la publication de ce rapport à l’unanimité, parce que l’école a besoin d’un consensus. Aussi retiré-je mon intervention.

M. le président Patrick Bloche. Si j’ai bien compris, vous retirez votre intervention après l’avoir faite... (Sourires.) Quel talent !

M. Michel Herbillon. Notre collègue Yves Durand a en effet beaucoup de talent ! Il y a consensus sur la publication du rapport, mais pas sur les propositions qu’il contient.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie, monsieur Herbillon, pour ces précisions indispensables.

La commission autorise, à l’unanimité, la publication du rapport d’information.

*

* *

Puis la Commission procède à l’examen, en lecture définitive, de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (M. Patrick Bloche, rapporteur) (n° 4070).

M. Michel Ménard, président. Mes chers collègues, notre commission est saisie de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, en vue de sa lecture définitive qui aura lieu demain matin, jeudi 6 octobre, dans l’hémicycle. Aux termes de l’article 114, alinéa 3, du Règlement, nous sommes appelés à statuer sur « le dernier texte voté par l’Assemblée nationale, modifié, le cas échéant, par un ou plusieurs des amendements votés par le Sénat ». Le Sénat n’ayant pas, et pour cause, adopté d’amendements, nous devrons nous prononcer sur le dernier texte voté par l’Assemblée, sans modification possible.

M. Patrick Bloche, rapporteur. Le Sénat ayant en effet adopté, en commission comme en séance publique, une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, que j’ai déposée au début de l’année avec Bruno Le Roux et nos collègues du groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER), nous voici saisis, en lecture définitive, du texte que l’Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture, le 18 juillet dernier.

Cette lecture définitive est l’aboutissement d’un parcours législatif qui, bien que réalisé dans le cadre de la procédure accélérée, aura duré près de sept mois… Ce délai suffit à montrer que le grief formulé par certains de nos collègues sénateurs à l’encontre du calendrier d’examen de cette proposition de loi est pour le moins infondé.

Tout aussi surprenant est le reproche que la rapporteure du Sénat, Mme Catherine Morin-Desailly, a adressé aux députés d’avoir opposé « un refus quasi-systématique des apports du Sénat ». Je rappellerai que c’est sur proposition de la haute assemblée qu’ont été notamment introduits dans cette proposition de loi : l’article 1er bis A qui prévoit la remise, aux journalistes, de la charte déontologique de l’entreprise qui les emploie ; l’article 7 bis qui étend aux chaînes parlementaires le dispositif des comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes ; ou encore l’article 10 ter qui clarifie les règles applicables en matière de numérotation des chaînes de télévision dans les offres des distributeurs.

Le Sénat a par ailleurs accueilli favorablement, en les votant conformes ou en n’y apportant que quelques modifications d’ordre rédactionnel : l’article 4 qui dispose que les conventions conclues entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et les éditeurs de services diffusés par câble, satellite et ADSL intègrent les mesures à mettre en œuvre pour garantir le respect des principes de pluralisme, d’honnêteté et d’indépendance des médias ; l’article 6 qui fait figurer le respect de ces mêmes principes dans les critères obligatoirement pris en compte par le CSA lorsqu’il délivre une autorisation d’usage des fréquences hertziennes aux éditeurs de service de télévision et de radio ; l’article 9 qui vise à garantir l’effectivité de la limitation de la détention du capital des services audiovisuels par des personnes de nationalité étrangère ; ou encore l’article 10 bis qui élargit la saisine du CSA aux organisations de défense de la liberté de l’information reconnues d’utilité publique en France.

De son côté, l’Assemblée nationale a fait un pas en direction de nos collègues sénateurs. Afin de répondre aux interrogations qu’ils ont parfois exprimées quant au caractère subjectif de la notion d’« intime conviction professionnelle » – pourtant présente dans la loi depuis 2009, à l’initiative du Sénat, sans occasionner aucun contentieux à ce jour –, elle a décidé, sur ma proposition, de fonder le droit d’opposition, étendu par l’article 1er à l’ensemble des journalistes, sur la simple notion de « conviction professionnelle », formée dans le respect de la charte déontologique de l’entreprise ou de la société éditrice. Cette « conviction » ne sera en rien arbitraire. Elle devra être « professionnelle », c’est-à-dire trouver ses fondements dans l’accomplissement des démarches et le suivi des précautions fondamentales qui constitue l’exercice loyal et professionnel du métier de journaliste.

Cependant, les efforts consentis par l’Assemblée nationale pour parvenir à un consensus ne pouvaient la conduire à renier l’esprit qui animait l’exposé des motifs et la version initiale de la proposition de loi.

C’est donc en toute logique que notre assemblée, après l’échec de la commission mixte paritaire (CMP) réunie le 14 juin dernier, s’est attachée à renouer avec la démarche des auteurs de la proposition de loi.

Elle l’a d’abord fait en prévoyant, à l’article 1er, que les chartes déontologiques devront être rédigées conjointement par la direction et les représentants des journalistes. Cette rédaction conjointe devra résulter de véritables « négociations », c’est-à-dire d’entretiens, d’échanges de vues ou encore de consultations tendant à la recherche d’un accord, et non de simples « discussions » susceptibles d’être closes par une initiative unilatérale de la direction. Un amendement du Gouvernement est par ailleurs venu utilement préciser qu’à défaut de conclusion d’une charte avant le 1er juillet 2017, et jusqu’à l’adoption de celle-ci, les déclarations et les usages professionnels relatifs à la profession de journaliste pourront être invoqués en cas de litige.

L’Assemblée nationale ne pouvait pas non plus renoncer à l’ensemble du dispositif destiné à conforter le droit d’opposition des journalistes et à en assurer l’effectivité. C’est pourquoi elle a rétabli les dispositifs qu’elle avait adoptés en première lecture et qui prévoient : à l’article 1er bis, que le comité d’entreprise sera destinataire d’une information annuelle sur le respect du droit d’opposition par l’entreprise ; à l’article 2, que le CSA devra veiller à ce que les conventions qu’il conclut avec les éditeurs de services garantissent le respect du droit d’opposition reconnu à l’ensemble des journalistes. Au risque de me répéter, je tiens à souligner que le contrôle du CSA s’exercera bien a posteriori. Les éditeurs de services de radio et de télévision, à travers les conventions qu’ils auront conclues avec le Conseil, prendront ex ante des engagements visant à garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes et le respect du droit d'opposition des journalistes. C’est seulement ensuite que le CSA sera amené à prononcer des sanctions en cas d’éventuels manquements.

L’Assemblée a également décidé, à l’article 11 bis, que la violation du droit d’opposition des journalistes sera sanctionnée par la suspension, totale ou partielle, des aides publiques aux entreprises de presse. Il en sera de même en cas de violation des obligations de transparence des entreprises de presse, qui sont renforcées par l’article 11.

Pour ce qui est de la garantie, par le CSA, de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, les conventions conclues entre le CSA et les éditeurs de services devront intégrer les mesures à mettre en œuvre pour garantir le respect de ces principes – c’est l’objet de l’article 3 –, et le non-respect de ces mêmes principes sur plusieurs exercices interdira au CSA de recourir à la procédure de reconduction simplifiée des autorisations d’émission – ainsi en dispose l’article 5.

Quant aux comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, l’Assemblée a rétabli à l’article 7, à mon initiative, le dispositif qui avait le mérite d’asseoir la crédibilité de ces comités en leur permettant d’être consultés pour avis par toute personne et en définissant des règles d’indépendance exigeantes. À l’initiative de M. Stéphane Travert et des membres du groupe SER, la procédure de nomination des membres des comités a été simplifiée, sans que soient pour autant réduites les garanties de leur indépendance.

Enfin, je tiens à rétablir la vérité sur le contenu de l’article 1er ter qui concerne la protection du secret des sources des journalistes, car, contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit un peu hâtivement, ces dispositions comportent des avancées considérables par rapport au droit positif.

Premièrement, le champ des bénéficiaires de la protection du secret des sources est étendu. En l’état du droit, le bénéfice de protection est limité aux « journalistes » qui sont actuellement définis comme « toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public ».

Outre que le dispositif voté élargit la définition du journaliste en cessant d’exiger que ce dernier pratique le recueil d’informations et leur diffusion au public « à titre régulier et rétribué », il étend la protection du secret des sources aux directeurs de la publication ou de la rédaction et aux collaborateurs de la rédaction qui, par leurs fonctions, seraient amenés à prendre connaissance d’informations permettant de découvrir une source.

Deuxièmement, la définition des atteintes indirectes au secret des sources est étendue afin d’y inclure « le fait de chercher à découvrir une source au moyen d’investigations portant sur les archives de l’enquête » d’un journaliste, d’un directeur de la publication ou de la rédaction ou d’un collaborateur de la rédaction.

Troisièmement, le dispositif voté neutralise les moyens de pression indirects sur les journalistes. En effet, les incriminations d’atteinte à l’intimité de la vie privée, de recel du secret professionnel et de recel du secret de l’enquête et de l’instruction peuvent aujourd’hui être abusivement utilisées pour conduire les journalistes à révéler leurs sources. L’article 1er ter offre une immunité pénale aux journalistes qui se rendent coupables de ces délits lorsque la diffusion au public des informations que la commission de ces délits a permis d’obtenir constitue « un but légitime dans une société démocratique ».

Quatrièmement, les motifs susceptibles de justifier une atteinte au secret des sources des journalistes sont plus strictement encadrés. En l’état du droit, l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 définit ces motifs de manière très large puisqu’il autorise une telle atteinte « si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ». L’imprécision de la notion d’« impératif prépondérant d’intérêt public » et l’excessive marge d’interprétation qu’elle laisse à tous les stades de la procédure affaiblissent considérablement le degré de prévisibilité et la qualité de la protection.

L’article 1er ter que nous avons adopté définit donc plus précisément les motifs pour lesquels il pourrait être légitimement porté atteinte au secret des sources. Il s’agit : de la prévention ou la répression d’un crime ; de la prévention d’un délit constituant une atteinte à la personne humaine puni d’au moins sept ans d’emprisonnement ; de la prévention d’un délit d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou d’acte de terrorisme puni d’au moins sept ans d’emprisonnement, et de la répression d’un des délits précités, lorsque celui-ci est d’une particulière gravité en raison des circonstances de sa préparation ou de sa commission ou en raison du nombre et de la qualité des victimes et des mis en cause, et lorsque l’atteinte est justifiée par la nécessité de faire cesser le délit ou lorsqu’il existe un risque particulièrement élevé de renouvellement de celui-ci.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a maintenu la précision selon laquelle une mesure portant atteinte au secret des sources, directement ou indirectement, ne pouvait être mise en œuvre « qu’à titre exceptionnel ».

En outre, le dispositif voté prévoit qu’en toute hypothèse « les mesures envisagées qui portent atteinte au secret des sources doivent être strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi » et qu’« il est tenu compte, pour apprécier la nécessité et la proportionnalité, de la gravité des faits, des circonstances de la préparation ou de la commission de l’infraction et du nombre et de la qualité des victimes et des mis en cause ainsi que de l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et de son caractère indispensable à la manifestation de la vérité ». Cette dernière précision reprend la formule figurant déjà à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881.

Enfin, des garanties procédurales nouvelles sont introduites lors de la mise en œuvre de mesures d’enquête ou d’instruction susceptibles de porter atteinte au secret des sources. Sont ainsi prévues : l’intervention du juge des libertés et de la détention, qui se voit reconnaître la compétence pour autoriser tout acte d’enquête, mais aussi d’instruction susceptible de porter atteinte au secret des sources ; la notification d’un droit au silence avant le début de toute audition ou de tout interrogatoire de tout journaliste, directeur de la publication ou de la rédaction ou collaborateur de la rédaction, lorsqu’il sera entendu au cours d’une enquête de police judiciaire, d’une instruction ou devant une juridiction de jugement, en tant que témoin ou personne suspectée ou poursuivie, sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité ; l’alourdissement des sanctions pénales applicables à certaines infractions en cas d’atteinte directe ou indirecte au secret des sources des journalistes – cette atteinte étant érigée en circonstance aggravante.

L’article 1er ter est donc tout sauf un recul par rapport au droit positif : ce recul, c’est le Sénat qui a tenté de l’opérer en supprimant la notion même d’atteinte indirecte au secret des sources. L’Assemblée nationale s’est bien gardée de le suivre dans cette voie.

Ces vérités rappelées, je vous invite, mes chers collègues, à confirmer, en lecture définitive, le vote que nous avons émis en nouvelle lecture.

M. Stéphane Travert. Alors que nous achevons cette semaine l'examen de la proposition de loi du groupe Socialiste, écologiste et citoyen pour la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias je tiens, pour commencer cette intervention, à saluer l'excellent travail de notre président-rapporteur.

Ce texte est plus que jamais indispensable à l'heure où de nombreuses menaces pèsent sur les journalistes à travers le monde, en Turquie par exemple, tant sur leur liberté d'expression que sur leurs capacités mêmes à effectuer leur travail d'investigation.

Des menaces pèsent aussi sur ces grands principes dans notre pays : je pense notamment à la concentration dans les médias mais aussi aux propositions de sénateurs qui, dans le cadre du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, ont fait passer en commission spéciale des dispositions mettant en danger la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi est donc loin d'être superflue, elle est plus que jamais nécessaire pour protéger ceux qui s'inscrivent au cœur du processus de fabrication de l'information et des programmes : les journalistes.

Par cette loi, nous voulons protéger les journalistes de toute pression, et par là-même contribuer à restaurer la confiance qui doit exister entre le lecteur, le téléspectateur ou l'auditeur et les médias dits « classiques ». Cette loi, destinée non aux seuls journalistes, mais à l'ensemble du secteur des médias, érige l'autorité administrative indépendante qu'est le CSA en gardien de ces principes.

Tout d'abord, l'article 1er de la proposition de loi étend à tous les journalistes, quel que soit le média dans lequel ils exercent, un droit d'opposition réservé aujourd'hui aux seuls journalistes de l'audiovisuel public à l'article 44 de la loi du 30 septembre 1986. Les journalistes ne pourront donc accepter un acte contraire à leur conviction professionnelle. Celle-ci sera fondée sur la charte déontologique de l'entreprise. Cette charte devra être signée dans toutes les entreprises de presse, y compris la presse quotidienne régionale, d’ici le 1er juillet 2017.

C'est sur l'article 1er ter de la proposition de loi, relatif à la protection du secret des sources des journalistes, que la CMP a échoué, notamment en raison d'une forte opposition de la droite sénatoriale. Nous avions adopté en séance publique un amendement étendant aux collaborateurs de la rédaction ainsi qu'au directeur de la publication la protection de sources, définissant les notions d'atteinte directe et indirecte au secret des sources et limitant les cas dans lesquels il pourra être porté atteinte à ce secret. Je me réjouis particulièrement, au nom du groupe SER, que cette disposition protectrice attendue entre dans notre droit.

L'article 2 étend au CSA la possibilité d'émettre des recommandations en matière d'honnêteté et d'indépendance de l'information et des programmes. Ce faisant, le CSA pourra s'appuyer sur le respect du droit d'opposition des journalistes dans l'appréciation du critère d'indépendance des journalistes. Une infraction à ce droit sera la preuve la plus criante de l'intrusion d'un intérêt particulier dans l'information.

L'article 7 instaure le comité relatif à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes. Si certaines sociétés ont d'ores et déjà instauré des comités en leur sein, le troisième alinéa définit ce qui est entendu par « personnalité indépendante », tout en laissant à la société le loisir de définir la composition et les modalités de fonctionnement dans la convention la liant au CSA. Je tiens à rappeler que des initiatives du groupe SER ont étendu les garanties d'indépendance des membres du comité d'éthique pour une durée de douze mois après la cessation de leurs fonctions, y compris en cas de démission. D'autre part, nous avons prévu une représentation équilibrée entre les hommes et les femmes au sein des comités.

Enfin, j'avais déposé au nom du groupe SER un amendement visant à suspendre les aides publiques aux entreprises de presse en cas de violation des obligations de transparence et du droit d'opposition des journalistes créé à l'article 1er. Les articles 5 et 6 de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, tels que modifiés par la loi du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, dite « loi Warsmann », obligent les entreprises éditrices à publier, dans chacun de leurs numéros, les noms des personnes physiques ou morales détenant au moins 10 % de leur capital. Il est quotidiennement constaté que cette disposition est peu appliquée. Le Sénat a estimé qu'une telle obligation serait contre-productive. Bien au contraire, nous pensons que les obligations de transparence sont aujourd'hui peu respectées et que la sanction pécuniaire apportera un effet plus dissuasif.

Vous l'aurez compris, le groupe SER votera en faveur de l'excellente proposition de loi de Patrick Bloche telle que nous l'avons adoptée le 18 juillet dernier. Elle vient compléter la loi du 15 novembre 2013 qui a réformé le mode de nomination des présidents de l'audiovisuel public. Ainsi, comme vous pouvez le constater, notre majorité a su mettre la transparence, la liberté, et l'indépendance des médias au cœur de ce quinquennat !

Mme Virginie Duby-Muller. Nous arrivons donc au terme de l'examen de cette proposition de loi, dont l’initiative revient à notre président-rapporteur et qui avait fait du bruit lors de son dépôt. Comme vous vous en souvenez, mes chers collègues, elle avait été qualifiée au départ de « texte anti-Bolloré », et tous les projecteurs étaient braqués sur la généralisation des comités d'éthique. Les débats ont toutefois révélé d'autres difficultés, sur lesquelles je souhaiterais revenir au nom du groupe Les Républicains, l’absence d'accord en CMP nous conduisant à exprimer de nouveau nos positions.

Notre première inquiétude est causée par le flou qui entoure la notion de conviction professionnelle. Certes, les chartes déontologiques proposées par notre groupe tentent, autant que faire se peut, d'encadrer le nouveau droit d'opposition créé à l'article 1er ; certes, vous avez consenti à supprimer l'adjectif « intime » qui suscitait de fortes inquiétudes. Cependant, nous estimons qu’il convient, et pas seulement dans le cadre des chartes, de définir plus précisément cette notion de conviction professionnelle sur laquelle se fonde le nouveau droit d'opposition créé à l'article 1er. À défaut de précision, ce nouveau droit ne peut s'analyser que comme un droit opposable teinté de subjectivité. Or, c'est un droit substantiel qui peut déstabiliser le fonctionnement des rédactions et qui fragilise le régime de responsabilité en vigueur. Demain, un directeur de la publication pourra se trouver responsable civilement et pénalement de contenus qu'il n'aura pas pu faire supprimer ou rectifier. C'est un véritable problème, sur lequel la proposition de loi reste silencieuse.

Notre seconde inquiétude a trait au renforcement inopportun des pouvoirs du CSA. Qu'il ait pour mission de garantir l'honnêteté et le pluralisme des programmes concourant à l'information ne nous choque pas : en revanche, que la proposition de loi reste également silencieuse sur le contenu des conventions censées encadrer cette nouvelle mission nous pose problème. En clair, la proposition de loi laisse le CSA définir lui-même la façon dont il entend garantir honnêteté, indépendance et pluralisme des médias. Ce silence fait du régulateur le juge des contenus et ce n'est pas acceptable. D'autant plus que la proposition de loi prévoit des sanctions portant sur les autorisations de diffusion en cas de non-respect des principes mentionnés à l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, tel que modifié donc par l'article 2 de la proposition de loi ; ces principes sont bien sûr le ceux d'honnêteté, d'indépendance et de pluralisme, déjà cités, mais aussi celui du nouveau droit d'opposition des journalistes dont je viens de souligner les dangers. Le pouvoir que confie la proposition de loi au CSA nous semble donc disproportionné.

En revanche, nous saluons l'intégration au texte de l'article 1er ter sur la protection des sources des journalistes : nous regrettons cependant – une fois n'est pas coutume – que le Gouvernement se soit fait battre en nouvelle lecture par sa majorité, les amendements qu’il proposait nous paraissant équilibrés. Nous saluons également l'article 10 ter sur la numérotation des chaînes.

Enfin, nous pouvons comprendre l'intention qui a fait naître les comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et de programmes, même si nous regrettons certaines de leurs modalités, notamment la consultation par toute personne, la publicité sur le nombre de saisines, ou encore le fait qu'il revienne encore une fois au CSA de définir les statuts de ces futurs comités.

Pour les raisons précédemment évoquées, notre groupe votera contre cette proposition de loi.

M. Rudy Salles. Alors que nous achevons ce matin l’examen en commission de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, il faut bien convenir que notre perplexité augmente de jour en jour. L’examen en procédure accélérée laissait entendre qu’un danger imminent planait sur les médias. Pourtant, à de très rares exceptions, sévèrement condamnables, force est de constater que les rédactions françaises travaillent et éditent librement. Les rédactions de Libération, d’iTélé, de L’Express ou encore du Monde, pour n’en citer que quelques-unes, s’organisent et se sont déjà mobilisées afin que les organes de presse demeurent indépendants de leurs actionnaires respectifs. La présente proposition de loi témoigne d’une conception désuète de la mission de régulation dans un paysage audiovisuel bouleversé par le développement de l’économie numérique et électronique.

Depuis longtemps, les députés du groupe UDI émettent de sérieuses réserves sur l’indépendance du CSA en raison notamment des modalités de nomination de ses membres. En effet, aucune exigence de compétence, de qualité, de légitimité ne leur est opposée ; vous nous permettrez donc de douter de l’absolue impartialité de cette institution, dont le texte fait le nouveau garant de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information et des programmes.

Sur le fond, l’extension à tous les journalistes du principe de l’indépendance rédactionnelle est discutable, dans la mesure où les journalistes bénéficient d’ores et déjà du recours à la clause de conscience en cas de désaccord avec la ligne éditoriale. Par ailleurs, le journaliste connaît et a priori adhère à la ligne éditoriale du journal ou de la chaîne dont il décide de rejoindre la rédaction. Plutôt que de créer de nouvelles règles à la constitutionnalité discutable et des structures ex nihilo, nous aurions préféré que l’on fasse confiance aux principaux concernés.

Enfin, le temps du monopole de la presse et de l’audiovisuel apparaît aujourd’hui révolu. Internet et les réseaux sociaux ne jouissent toujours d’aucun contrôle en matière d’indépendance ou de pluralisme. Or c’est principalement à partir de ces supports que la nouvelle génération s’informe. Hélas, il n’y a rien, dans votre proposition de loi, sur la crise du modèle économique de la presse, rien sur la précarisation croissante des journalistes…

Seule l’introduction de la protection du secret des sources des journalistes nous conduit aujourd’hui à ne pas voter contre ce texte. En effet, prévue dans un projet de loi en 2013, la protection du secret des sources des journalistes n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de notre Assemblée malgré l’accord unanime de notre commission.

Il nous apparaît essentiel que la protection du secret des sources soit améliorée, afin d’assurer une prévention suffisamment efficace et prévisible contre les atteintes injustifiées. Aussi saluons-nous l’inscription dans la loi, de manière plus claire et plus limitative, des conditions permettant de porter atteinte à ce secret. Sur un tel sujet, on peut regretter que nos deux assemblées ne soient pas parvenues à un accord.

Mme Gilda Hobert. Avant d'aborder le sujet de la proposition de loi, je voudrais signaler que, dans le dernier classement mondial de la presse de Reporters sans Frontières, la France a rétrogradé de la 38e à la 45e place, ce qui est pour le moins attristant, voire inquiétant. Il serait intéressant de connaître les causes qui ont pu produire ces effets.

Nous voici donc engagés sur la dernière partie du chemin qui nous conduit à l’adoption en lecture définitive de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, une lecture définitive qui intervient seulement huit mois après son dépôt sur le bureau de notre assemblée. C’est un délai plutôt court devant l'enjeu important que représente la liberté de la presse face à des intérêts économiques divers. Nous avons eu à mener une réflexion alors que l'information est dense, multiple et investit de nombreux modes de diffusion. Les médias ont de leur côté un devoir d'exigence pour garantir une information vérifiée et juste.

Je ne reviendrai pas sur la notion de conviction professionnelle qui a nourri nos débats ; l'article 1er me semble quant à lui toujours aussi approprié ; je soulignerai l’importance de l’article 7 qui concerne les comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, ou encore, à l’article 2, les prérogatives renforcées du CSA, qui pourra ainsi remplir pleinement son rôle de garant de « l'honnêteté, de l'indépendance et du pluralisme de l'information ».

Je voudrais surtout insister sur le renforcement de la protection du secret des sources des journalistes, qui prennent des risques parfois très importants, en citant notamment les sanctions qui accompagnent les atteintes à ce secret, le contrôle a priori par le juge de la liberté et de la détention en cas d'une mesure portant atteinte au secret des sources, l’impossibilité de condamner un journaliste pour la violation du secret professionnel : autant d’avancées fondamentales qui permettront à la profession de travailler l'esprit libre, en toute sécurité.

Aussi ne puis-je que regretter les divergences qui se sont instaurées entre les deux assemblées, et qui ont conduit le Sénat à s'opposer à l'extension de la protection aux collaborateurs de la rédaction et aux directeurs de publication. Il y a là un manque de cohérence.

La cohérence consiste également, au-delà de la protection du secret des sources, à permettre aux journalistes d'exercer leur droit d'opposition, renforcé par l'article 1er.

C’est pourquoi je vous remercie, monsieur le rapporteur, de votre pugnacité, heureusement partagée par nombre de nos collègues.

Je suis en revanche circonspecte devant les récentes initiatives du Sénat, qui tendent à remettre en cause les principes de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La possibilité de poursuivre des infractions au droit de la presse devant les seules juridictions civiles est contraire au principe d’indépendance de la presse par rapport aux puissances économiques, que l’Assemblée nationale a souhaité rétablir à juste titre.

Soulignons toutefois les quelques progrès du dialogue entre les deux chambres, en dépit de l’échec de la CMP en juin dernier. Le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte, par exemple, ou la sécurisation juridique des décisions de la commission du réseau du Conseil supérieur des messageries de presse, assurent une meilleure protection à ceux qui traitent et véhiculent l'information.

Cette proposition de loi, qui permettra aux journalistes, aux collaborateurs de rédaction et aux directeurs de publication de nous informer en toute liberté et en toute indépendance est primordiale pour que la France soit un pays où la presse a le droit, le devoir, et la capacité de critiquer. Les récentes affaires de contrôle des médias par quelques groupes économiques nous rappellent que nous devons continuer à être vigilants.

Notre groupe votera ce texte avec conviction.

Mme Marie-George Buffet. Nous voici presque arrivés à l’heure de l’adoption définitive de la présente proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Légiférer pour l’indépendance et le pluralisme des médias, donc pour le droit à l’information de nos compatriotes, est une ambition à laquelle nous ne pouvons que souscrire. J’avoue donc mon étonnement que l’on puisse voter contre un texte qui avalise un progrès de nos libertés.

J’ai eu le bonheur d’assister à l’inauguration de l’imprimerie rénovée à Dammartin-en-Goële et d’entendre les propos du Président de la République et les paroles, très belles et très fortes, de Michel Catalano. En les écoutant, je me suis demandé quelle était la responsabilité des législateurs que nous sommes pour garantir la liberté d’expression, celle des journalistes et des rédactions dans notre pays. C’est à cela que nous œuvrons ici ce matin et demain en séance publique. Il faut nous en féliciter.

On prétend qu’en la matière tout va bien en France. Non, ce n’est pas vrai. On a vu en effet que certains journalistes n’ont pas eu la possibilité d’aller au bout de leur expression, de leur œuvre, de leur création.

Nous sommes membres de l’Union européenne. Or nous voyons aujourd’hui des États membres s’en prendre à des journalistes, à des rédactions, à des médias, sans que la Commission européenne s’en offusque beaucoup. Je parle de réalités qui peuvent exister non dans des pays dictatoriaux situés l’autre bout du monde, mais dans l’Union européenne, et plus particulièrement aujourd’hui ou demain dans notre pays.

Bien sûr, les débats vont se poursuivre autour de ce texte, et je m’en ferai l’écho demain, en séance publique. J’en veux pour preuve la question des chartes par entreprise. Fallait-il faire référence à la charte de 1971 ou à la charte d’éthique professionnelle des journalistes de 2011 ? Ne risque-t-on pas de créer une déontologie à géométrie variable ?

Si nous sommes favorables à ce que des investissements puissent être réalisés afin de permettre à la presse et aux médias de se développer, nous estimons qu’il faudra aussi réfléchir à la question de l’intervention de groupes financiers qui n’ont rien à voir avec le secteur de l’information et prennent possession de ces médias pour ensuite peser sur leur rédaction.

Enfin, un amendement du Gouvernement, adopté en nouvelle lecture, à l’article 1er ter, visant à harmoniser à sept ans le quantum de peine, pose question. Dans son introduction, le rapporteur a précisé l’ensemble des droits garantis à travers cet article. J’y reviendrai demain.

Même si des questions demeurent et si nous avons quelques regrets sur certains points, il est extrêmement important que cette proposition de loi soit très largement adoptée afin d’envoyer un message à l’Union européenne. C’est pourquoi nous la voterons.

M. Michel Françaix. Comme vient de le dire Marie-George Buffet, on peut parfois s’interroger. J’ai entendu dire tout à l’heure que ce que nous sommes en train de faire est critiquable, parce que le monde bouge et que le numérique bouleverse tout. Mais s’il en est vraiment ainsi, alors ne faisons rien et abandonnons toute ambition !

Ce n’est pas simple, mais rédiger des chartes déontologiques, y compris dans la presse quotidienne régionale, où l’on avait largement omis de le faire jusqu’à présent, constitue une avancée importante.

Ce n’est pas simple, mais renforcer l’indépendance, le pluralisme, la liberté d’expression au vu de ce qui se passe en Europe constitue une avancée.

Ce n’est pas simple, mais protéger les journalistes contre les intérêts des actionnaires et même des pouvoirs publics constitue une avancée.

Non, il ne sera pas simple de freiner toutes les formes de concentration, mais il est bon d’avoir permis à des journaux de devenir une entreprise de presse solidaire et de ne pas dépendre du capitalisme industriel.

Ce n’est pas simple, mais la protection des sources constitue une avancée, même si nous ne sommes pas allés au bout des choses.

Ce n’est pas simple, mais assurer une plus grande transparence en ce qui concerne le capital d’un journal constitue une avancée, même si je sais bien que certaines informations peuvent être déguisées et que la partie n’est pas complètement gagnée.

On peut toujours critiquer les instances de régulation, et il m’arrive parfois de dire que le CSA est loin d’être parfait, mais par rapport à l’absence de régulation, j’ai le sentiment que la différence est claire.

Le présent texte permet d’offrir à l’ensemble de la presse la possibilité d’un peu plus de qualité, de réflexion, de renouveau, donc de démocratie, même si, j’en conviens, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Mme Isabelle Attard. Je me suis déjà longuement exprimée dans l’hémicycle, au mois de juillet dernier, mais le reportage du magazine Envoyé spécial sur l’affaire Bygmalion, diffusé le 29 septembre dernier, nous rappelle l’importance de l’indépendance des médias, surtout lorsque l’on sait que ce reportage, qui a failli être censuré sur l’intervention de Nicolas Sarkozy, a été regardé par trois millions de téléspectateurs, ce qui n’est pas rien.

L’objet de la présente proposition de loi était bien de lutter contre la censure, puisque nous nous étions tous émus de la censure par Canal + de l’émission Spécial investigation, de Jean-Baptiste Rivoire, sur le Crédit mutuel et d’autres thèmes.

Comme l’a rappelé Marie-George Buffet, nous avons désespérément besoin, dans notre pays, d’une diversité d’opinions, de la diversité des médias et non d’assister, sans réagir, à cette concentration des médias qui s’est accélérée depuis 2010. À cet égard, j’insiste à nouveau sur le précieux travail effectué par Acrimed en la matière.

Je n’ai toujours pas compris comment la présente proposition de loi pourra empêcher ce que nous avons pu vivre ces derniers mois et ces dernières années en matière de concentration des médias. Mais peut-être ai-je raté quelque chose. De même, je ne vois pas comment, à l’article 7, les critères retenus pour l’appartenance aux comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes garantit une quelconque indépendance et ce qui empêchera M. Bolloré de nommer ses amis dans un tel comité. En la matière, je rejoins les propos exprimés récemment dans la presse par Julia Cagé ou Patrick Champagne.

Je voterai cette proposition de loi car elle contient quelques éléments positifs. Mais je maintiens qu’elle ne permettra pas de lutter efficacement contre ce que vous critiquez.

M. le rapporteur. Je vous remercie, chères et chers collègues, de vos interventions, auxquelles j’ai été sensible.

Peut-être dois-je rappeler, en préalable, pour répondre en partie à Rudy Salles et à Isabelle Attard, qu’il ne faut pas se tromper quant à l’objet de cette proposition de loi. Le présent texte vise à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, non à lutter contre la concentration. Les deux sujets se croisent, mais ne se recouvrent pas. Le problème de la concentration des médias est avant tout économique. C’est une sorte d’exception française, si je puis dire, qui fait, depuis assez longtemps, que de grands intérêts industriels et financiers, plutôt éloignés du monde des médias, ont investi massivement pour posséder ce que l’on appelle aujourd’hui des empires de presse écrite ou audiovisuelle. Cela vaut aussi bien pour les médias nationaux que régionaux. Ai-je besoin de rappeler le poids du Crédit mutuel ?

Je vous dis cela pour parer à toute déception. Pour avoir, avec beaucoup de collègues ici présents, suivi ces sujets depuis le début de cette législature, je n’ai pas le souvenir qu’un des groupes de notre assemblée ait jamais déposé une proposition de loi visant à proposer le dispositif miracle permettant de lutter contre la concentration des médias…

Nous savons que la presse écrite connaît une crise. En la matière, pour reprendre la fameuse formule de Montesquieu, il faudrait légiférer encore plus que d’une main tremblante, c’est-à-dire sans faire fuir les investisseurs privés, dont la presse écrite a tant besoin pour survivre à la concurrence née sur internet. Personne ici n’aurait l’idée de proposer que ce soit l’État qui finance la presse, même si nous conservons en le réformant – et Michel Françaix pourrait être plus disert que moi sur ce sujet – un dispositif d’aide publique qui permet de nourrir l’exigence de pluralisme.

J’ai lu l’excellent livre de Julia Cagé et participé à de nombreux débats sur la concentration des médias, mais ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi. Pour autant, je ne voudrais pas que l’on considère qu’elle ne sert à rien. Au contraire, elle contient nombre de dispositions protectrices pour les journalistes, permettant effectivement que l’information soit traitée à l’abri, si j’ose dire, des interventions liées aux intérêts des annonceurs et, a fortiori, des actionnaires. J’espère que ces dispositions inciteront nos concitoyens à accorder plus de crédibilité à l’information qui leur est servie quotidiennement, quel que soit le média, puisque, vous le savez, la cote de popularité des journalistes n’a rien à envier à la nôtre... Pour qu’il en soit ainsi, l’information doit être indépendante des intérêts de ceux qui possèdent les médias dans notre pays.

Il ne s’agit pas, au moment de répondre à vos légitimes interrogations, de refaire le débat, mais d’apporter rapidement quelques précisions.

Je veux tout d’abord remercier très chaleureusement Stéphane Travert et les élus du groupe Socialiste, écologiste et républicain, auquel revient l’initiative de cette proposition de loi. Les amendements qui ont été adoptés sur la transparence, les dispositifs de sanction, sont autant de verrous qui permettront à la loi de ne pas être une simple déclaration de principe, mais de produire tous ses effets.

Je remercie également chaleureusement Gilda Hobert pour son intervention et je tiens à la rassurer. Si Reporters sans frontières, organisation dont nous saluons l’engagement, a rétrogradé la France de la 38e à la 45e place, c’est moins à cause des politiques publiques qui ont été mises en œuvre dans notre pays que du fait de certains événements tragiques de l’année 2015, notamment l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo. J’espère que le vote de cette proposition de loi permettra à notre pays de remonter dans ce classement l’an prochain.

Cela m’amène à relever ce qu’a dit avec beaucoup de justesse Marie-George Buffet. La France est en effet membre de l’Union européenne. Or, dans nombre de pays membres, la liberté de la presse est menacée, voire remise en cause. J’ai participé, à Zagreb, il y a quelques mois, en tant que président du groupe d’amitié France-Croatie, à un débat pour contribuer à la défense de la liberté de la presse menacée par les initiatives de l’actuel gouvernement de ce pays – et ce qui vaut pour la Croatie vaut pour d’autres pays, comme la Hongrie ou la Pologne.

Madame Duby-Muller, nous n’allons pas « refaire le match », même si j’aurais grand plaisir à le refaire avec vous. En l’occurrence, nous sommes partis d’une intime conviction professionnelle, notion qui, je le rappelle, existe depuis la signature en 1983 d’un avenant à la convention nationale collective des journalistes, que le Sénat lui-même a souhaité renforcer en l’intégrant dans la loi en 2009. Cette notion d’intime conviction professionnelle, que nous avons réduite à la simple conviction professionnelle pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, existe déjà depuis longtemps et n’a généré aucun contentieux particulier. Comment se dire que l’on peut accorder aux journalistes de l’audiovisuel public des dispositions protectrices qui ne vaudraient pas pour tous les journalistes, notamment pour les journalistes des médias privés ? Notre démarche est donc avant tout d’élargir des dispositions protectrices qui existent déjà dans la loi.

Nous n’allons pas non plus refaire le débat sur le CSA. Cela dit, je tiens à corriger les inexactitudes de l’intervention de Rudy Salles. Notre collègue ne peut pas dire que le CSA est composé de membres qui n’ont aucune compétence professionnelle, puisque nous avons collectivement voulu, au contraire, par la loi du 15 novembre 2013 sur l’indépendance de l’audiovisuel public, professionnaliser ses membres tout en évitant qu’il y ait surreprésentation des journalistes – ce qui, à un moment, avait été caricaturalement le cas, et qui ne l’est plus.

On peut penser ce que l’on veut du CSA, mais je rappelle que, depuis la loi de 2013 les deux membres de cet organisme qui sont renouvelés tous les deux ans, l’un par l’Assemblée nationale, l’autre par le Sénat, doivent faire l’objet d’un consensus entre la majorité et l’opposition, puisque le choix qui nous est proposé par le président de chaque assemblée doit être validé à la majorité des trois cinquièmes, ce qui implique que l’opposition l’approuve.

J’ai trouvé par ailleurs que Rudy Salles avait une vision quelque peu « bisounours » de ce qui se passe actuellement dans les médias. Comme l’a rappelé avec beaucoup de pertinence Michel Françaix, il est nécessaire que le législateur intervienne, aussi bien pour les entreprises solidaires de presse – à cet égard, nous avons intégré ses excellents amendements – qu’en ce qui concerne la transparence. Marie-George Buffet s’est demandé si une charte unique n’eût pas été préférable ; encore faudrait-il qu’il y ait accord entre ceux qui représentent les éditeurs et les journalistes dans l’ensemble des secteurs de la presse, et il faut bien avouer que ce n’est guère réaliste. C’est pourquoi nous avons choisi, avec pragmatisme, par souci d’efficacité, de faire la révolution média par média – et je ne pense pas que Michel Françaix ait parlé de la presse quotidienne régionale par hasard… Les représentants des journalistes et la direction de chaque média de la presse écrite, de la presse audiovisuelle, de la presse en ligne, seront face à face, d’ici le 1er juillet 2017, pour échanger, discuter, négocier une charte des droits et des devoirs, dans laquelle chacun pourra se retrouver, aussi bien les directions, puisqu’il ne s’agit pas de remettre en cause leur responsabilité concernant notamment la fixation de la ligne éditoriale, que les journalistes. C’est sur ces chartes que sera assise la notion de « conviction professionnelle » évoquée tout à l’heure.

Enfin, la présente proposition de loi a été médiatiquement évoquée pour les amendements que nous y avons intégrés sur la protection du secret des sources des journalistes. Je ne referai pas l’exposé par lequel j’ai tenté de prouver, point par point, combien le droit avait progressé de manière positive entre la loi du 4 janvier 2010, dite « loi Dati », et le texte sur lequel nous serons appelés à voter demain matin. Bien sûr, on peut toujours faire mieux, mais il ne faut pas oublier l’essentiel.

Lorsque nous avons adopté en première lecture cette proposition de loi, le 8 mars dernier, et que nous y avons intégré l’article 1er ter sur la protection du secret des sources des journalistes – à cet égard, je tiens à saluer Michel Pouzol et Marie-Anne Chapdelaine pour le rôle décisif qu’ils ont joué – tout le monde a applaudi et considéré que nous étions les « rois du monde ». En nouvelle lecture, le 18 juillet, les députés de la majorité, qui ont peut-être une responsabilité plus particulière que les autres, ont refusé la plupart des amendements présentés – notamment par le Gouvernement – pour n’en retenir qu’un seul : celui de Mme Adam et de M. Bridey qui vise à protéger l’identité des membres des unités des forces spéciales. Je ne puis donc laisser dire que cette simple modification, liée à une actualité que je n’ai pas besoin de rappeler, constitue une régression catastrophique et qu’il aurait mieux valu en rester à la loi Dati ! Je vous avoue ma totale incompréhension, dès lors que l’essentiel, ce qui fait que notre démocratie progressera, a été maintenu. J’invite donc tous les esprits éclairés à se ressaisir et à s’approprier une matière, certes complexe juridiquement, mais qui justifiera que l’on dise que nous avons fait œuvre utile pour la liberté de la presse et la démocratie dans notre pays.

Mes chers collègues, j’ai été beaucoup trop bavard, mais je souhaitais apporter les réponses nécessaires aux vraies et bonnes questions que vous avez posées.

M. Michel Ménard, président. En tout cas, monsieur le rapporteur, vous avez apporté des réponses d’une grande précision.

Aucun amendement ne pouvant être déposé à ce stade de la procédure, je consulte la commission sur le texte de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture le 18 juillet dernier.

La commission demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de loi dans le texte voté par elle en nouvelle lecture.

La séance est levée à douze heures quinze.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 5 octobre 2016 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Pouria Amirshahi, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Xavier Breton, M. Bernard Brochand, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, M. Jacques Dellerie, M. Pascal Demarthe, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Mathieu Hanotin, M. Michel Herbillon, Mme Gilda Hobert, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Vincent Ledoux, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, Mme Martine Martinel, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, Mme Stéphanie Pernod Beaudon, M. Michel Piron, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Paul Salen, M. Rudy Salles, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. - M. Benoist Apparu, M. Ary Chalus, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Sonia Lagarde, M. Marcel Rogemont, M. Patrick Vignal

Assistait également à la réunion. - M. François Vannson