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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mardi 15 novembre 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 14

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition de Mme Véronique Cayla, présidente d’ARTE France, et avis de la Commission sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens 2017-2021 de la société

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 15 novembre 2016

La séance est ouverte à seize heures vingt.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède à l’audition de Mme Véronique Cayla, présidente d’ARTE France, sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens 2017-2021 de la société.

M. le président Patrick Bloche. En ce mardi 15 novembre 2016, je salue la publication au Journal officiel de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Quelles que soient les positions que nous avons exprimées dans le débat public, nous nous sommes tous mobilisés préalablement au vote de cette loi. Le Conseil constitutionnel en a censuré l’article 4, qui n’était pas secondaire : il visait à réformer la protection du secret des sources des journalistes. Toutes les autres dispositions de la loi s’appliqueront, notamment celles qui assurent l’indépendance des journalistes et des médias à l’égard des intérêts de leurs actionnaires ainsi que dans l’audiovisuel public.

Nous serons d’ailleurs amenés à auditionner, dans les toutes prochaines semaines, M. Mathieu Gallet et Mmes Delphine Ernotte et Marie-Christine Saragosse.

Cet après-midi, j’ai le plaisir d’accueillir Mme Véronique Cayla, présidente d’ARTE France, accompagnée de Mme Anne Durupty, directrice générale, afin d’échanger avec elles sur le bilan du troisième contrat d’objectifs et de moyens (COM) de la société et sur le projet de COM pour les années 2017-2021.

ARTE occupe une place particulière dans nos cœurs et nos esprits, mais aussi dans le paysage audiovisuel français. Par son ancrage profondément européen, incarné dans le lien franco-allemand, par son choix délibéré d’une programmation exigeante et innovante, par son investissement déjà ancien dans l’offre numérique et délinéarisée, ARTE demeure aujourd’hui plus que jamais, en ces temps de surabondance médiatique, un objet audiovisuel unique, mais aussi fragile puisque dépendant presque exclusivement des dotations publiques.

Le projet de COM 2017-2021, qui nous a été transmis le 26 octobre dernier par le Gouvernement, s’inscrit pleinement dans ces spécificités, puisqu’il met en avant une triple ambition pour l’offre de la chaîne : plus de programmes inédits, plus d’Europe et plus d’innovation et de responsabilité. En contrepartie, il affiche un plan d’affaires alimenté par une augmentation régulière des dotations publiques sur toute la durée du COM et une légère croissance des recettes commerciales.

Conformément aux recommandations du rapport Schwartz, le nombre d’indicateurs a été resserré autour de ceux qui paraissaient les plus pertinents pour le suivi des objectifs du COM.

Comment vos objectifs de gestion, qualifiée d’« économe » par l’indicateur 7, vous permettront-ils d’assurer l’offre télévisuelle à laquelle nous tenons tant ? Quelles seront les conséquences de cette gestion économe sur les emplois, permanents et non permanents ?

Est-il prévu d’établir des liens de coopération plus étroits avec les autres sociétés de l’audiovisuel public, qu’il s’agisse du contenu des programmes ou des services en ligne ? Je vous pose la question au regard de la nouvelle offre d’information en continu, Franceinfo, qui a réuni quatre de ces sociétés et qui vise à promouvoir un projet commun d’information à la fois novateur et positif pour l’audiovisuel public.

En raison de délais trop contraints pour permettre la rédaction d’un rapport d’information, j’ai demandé à M. Michel Pouzol, rapporteur pour avis sur les crédits de l’audiovisuel public pour 2017, de bien vouloir étudier ce projet de COM préalablement à l’audition de cet après-midi. Je le remercie de ce travail et lui donnerai en conséquence la parole avant les orateurs des groupes.

Mme Véronique Cayla, présidente d’ARTE France. Je commencerai par dresser le bilan du COM en cours qui couvre la période de 2012 à 2016. Il reposait sur deux axes de développement pour ARTE : conforter nos fondamentaux en procédant à une relance éditoriale et assurer le développement numérique.

Le premier objectif, la relance éditoriale, visait à montrer qu’ARTE était capable de rebondir et d’inverser la tendance à la baisse de son audience, également constatée chez les autres chaînes historiques, consécutive à l’arrivée des chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT). Nous avons cherché à atteindre cet objectif en confortant nos fondamentaux de chaîne culturelle franco-allemande et ayant vocation à s’adresser à l’ensemble du public européen – le traité interétatique signé entre la France et l’Allemagne pour la création d’ARTE précise que nous devons rapprocher les peuples d’Europe. Nous voulions moderniser ces fondamentaux en ouvrant davantage nos programmes sur le monde, en axant davantage nos réflexions sur la société actuelle et en nous tournant le plus possible vers l’avenir. Dès lors que le gros travail sur la mémoire accompli par l’équipe précédente, pilotée par Jérôme Clément, avait porté ses fruits et que la France et l’Allemagne portaient un regard tout à fait comparable sur le XXsiècle, on pouvait davantage se tourner vers le présent et l’avenir tout en s’ouvrant sur le monde. Nous avons souhaité le faire tout en respectant la spécificité d’ARTE, dont les programmes sont pour près de 55 % des documentaires.

À partir de 2012, nous avons instauré une nouvelle grille plus simple, plus claire et plus facile à mémoriser, à laquelle nous avons intégré trois nouveautés. D’abord, un bloc d’informations cohérent et solide, recentré sur l’actualité internationale et européenne. Ce bloc d’informations – auquel on peut ajouter 28 minutes, ARTE journal junior et les reportages que nous faisons toutes les semaines –, nous l’avons resserré sur une thématique bien particulière que les autres n’abordent pas toujours aussi rapidement que nous. Grâce à ce resserrement, le nombre de téléspectateurs qui suivent maintenant nos émissions d’information – et en particulier ce bloc de 19 heures 45 à 20 heures 45 – a doublé. Nous avons ensuite rajouté, dans cette nouvelle grille, une soirée de séries de fiction, le jeudi, qui n’existait pas sur ARTE et qui lui a conféré une image plus moderne. Enfin, nous avons aussi décidé de consacrer une soirée aux auteurs, en particulier au cinéma d’auteur, le mercredi.

Nous avons également souhaité changer de ton et afficher qu’ARTE pouvait être plus facile d’accès. Nous avons prêté attention aux cinq premières minutes de nos programmes pour que les gens se sentent bien concernés par nos sujets. Nous avons rajouté à tout cela un peu d’humour, voire un peu d’insolence avec des programmes courts qui viennent clôturer la séance d’information à 20 heures 45, pour apprendre en s’amusant. C’est notre désir que de démontrer que culture et plaisir peuvent très bien aller de pair.

Le deuxième axe du COM 2012-2016 était le développement numérique. Nous souhaitions construire autour de l’antenne une galaxie numérique reposant sur nos fondamentaux et nos programmes de prédilection. Nous avons créé cinq plateformes thématiques : ARTE Concert – qui existait avant que nous arrivions et que nous avons consolidée et développée –, ARTE Créative, ARTE Information, ARTE Future et ARTE Cinéma. Sur ces cinq plateformes que nous avons mises en œuvre au cours des cinq années du COM, deux ont rencontré un grand succès : ARTE Concert, qui se développe actuellement au rythme de plus 40 % tous les ans et dont le nombre de vidéos visionnées a été multiplié par trois au cours des quatre dernières années ; ARTE Créative, qui a été recentrée il y a un an et demi sur la création numérique actuelle. Cette plateforme nous sert de lieu de découverte de nouveaux talents qui émergent des réseaux sociaux mais aussi de notre imagination. Elle connaît, elle aussi, des taux de développement considérables, et l’on sent que le succès s’est bien installé, et pour longtemps. Les autres plateformes ont malgré tout trouvé leur position autour de notre antenne.

En plus de cette galaxie numérique, nous avons pu créer ARTE Europe, ce qui n’était pas prévu dans le COM. Grâce à internet et à l’aide du Parlement européen et de la Commission européenne, nous avons pu individualiser 600 heures de programmes dans ce qui constitue le cœur de programmation d’ARTE, c’est-à-dire les documentaires, les spectacles, les reportages et les actualités. Ce cœur d’ARTE, nous l’avons mis à disposition de l’Europe en quatre langues – le français, l’allemand, l’anglais et l’espagnol – depuis à peine un an. Nous allons encore le développer puisqu’à la fin du mois de novembre, nous proposerons ces émissions en polonais et, à la fin de l’année 2017 ou au début de l’année 2018, en italien. Lorsque nous proposerons ces six langues, nous pourrons entrer en contact avec la quasi-totalité des Européens susceptibles d’accéder à ARTE. Il s’agit d’une opération de longue durée. Nous savons qu’il faudra au moins une dizaine d’années pour faire connaître ARTE dans tous les coins et recoins du continent. Cette opération nous permet d’avoir un projet de grande envergure avec nos partenaires allemands qui ont suivi le mouvement en y mettant beaucoup de cœur. C’est donc un programme qui réunit maintenant l’ensemble des membres du groupement européen d’intérêt économique (GEIE) et du groupe ARTE.

Je crois pouvoir dire que le bilan de ce premier COM, que nous avons piloté, Anne Durupty et moi, depuis maintenant cinq ans, est positif. Plusieurs indicateurs nous confortent dans cette appréciation, à commencer par les audiences.

En tant que chaîne culturelle, les audiences ne sont pas pour nous une obsession, mais en même temps, elles constituent une récompense que nous sommes heureux de pouvoir recevoir le plus souvent possible. Ces audiences sont au rendez-vous. En un peu moins de cinq ans, nous avons développé notre part de marché de 50 % en France et de 30 % en Allemagne. Le fait d’avoir une progression positive et quasi parallèle entre nos deux pays est important : cela montre qu’il n’y a pas un pays qui se développe au détriment de l’autre, mais qu’il s’agit d’un mouvement général de la France et de l’Allemagne – et donc sans doute de l’Europe – qui s’annonce. En ce qui concerne internet, nous enregistrons de forts taux de croissance non seulement avec ARTE Concert et ARTE Créative, mais aussi sur Facebook et les autres réseaux sociaux.

En termes d’image, les prix qui nous sont décernés dans les grands festivals sont un bon indice de succès. Au festival de Berlin l’an dernier, nous avons eu à la fois l’ours d’or, pour le film italien Fuocoammare, et l’ours d’argent, pour le film français L’avenir de Mia Hansen-Løve. Ces deux films sont tout à fait symptomatiques de notre politique de coproduction et de notre présence à l’international. À Cannes, nous avons remporté deux prix importants dans le palmarès final, pour le film Le Client d’Asghar Farhadi, actuellement en salle et que je vous conseille. Ce film a beaucoup de succès et va sûrement rester assez longtemps à l’affiche. Nous avons obtenu le prix de la meilleure fiction au festival de La Rochelle pour le film Tuer un homme qui ne commencera à être diffusé qu’au début de l’année qui vient. Au festival de Toronto, qui est extrêmement compétitif et très international, nous avons obtenu le prix du meilleur film documentaire pour le film de Raoul Peck, Je ne suis pas votre nègre, tiré des textes de James Baldwin. Tous ces prix ont été remportés au cours des six derniers mois. Je pourrais en citer d’autres, mais il me semble que ceux-ci illustrent bien à quel point les programmes d’ARTE sont attendus et appréciés par toute la communauté internationale.

Un troisième indicateur qui nous semble favorable est celui du rajeunissement de l’audience. Ce n’est pas forcément le terrain sur lequel ARTE est attendue, pourtant on peut dire que, grâce à internet, nous avons réussi à rajeunir notre audience. Nous avons toujours eu comme stratégie de considérer que ce n’est pas le programme qui vieillit mais bien le support sur lequel on le diffuse. En deux mots, si l’on veut toucher un public plus jeune, rien ne sert de rajeunir son audience sur l’antenne, il faut aller chercher le public là où il se trouve, c’est-à-dire sur internet. Les premiers résultats enregistrés ont conforté cette stratégie : sur l’antenne, la moyenne d’âge tourne autour de soixante ans ; sur le web, elle est de quarante-cinq ans, et sur les réseaux sociaux, de trente-cinq ans. C’est bien la preuve qu’il faut utiliser les supports en fonction des pratiques, et non pas attendre que les pratiques suivent nos supports. Si on ne regarde le rajeunissement de l’audience que sur un seul support, on peut être inquiet ; si on le regarde sur tous les supports, on peut l’être beaucoup moins.

Nous avons le sentiment qu’il reste encore beaucoup à faire, et c’est ce que nous avons essayé de synthétiser dans ce COM qui couvrira les années 2017 à 2021. Il définit trois axes de développement : la promotion d’un nouveau cap éditorial marqué par un enrichissement de notre offre de programmes ; une meilleure diffusion de ces programmes, à la fois sur les réseaux numériques et sur ARTE Europe ; le confortement d’ARTE en tant que chaîne citoyenne et responsable.

Nous entendons enrichir notre offre de programmes tout en gardant notre spécificité, avec toujours beaucoup de documentaires sur notre antenne. Au printemps dernier, lorsque nous sommes passés de la définition standard (SD) à la haute définition (HD), tous les Français, et notre public en particulier, ont été amenés à régler leur appareil et ont alors découvert qu’ils avaient accès à beaucoup d’autres chaînes gratuites, qu’ils ne connaissaient pas encore forcément. En a résulté une désagréable chute d’audience d’ARTE pendant un mois, nos téléspectateurs allant fureter sur les vingt-six autres chaînes gratuites du paysage audiovisuel français. Notre public est toutefois revenu assez rapidement vers notre prime time – ce qui est assez naturel puisque ce dernier est très différent de celui des autres chaînes. En revanche, il a fallu du temps pour qu’il revienne à nos programmes de journée. Nous savions déjà que ces programmes étaient une faiblesse d’ARTE puisque, pendant longtemps, lorsque la chaîne partageait son canal avec France 5, elle ne diffusait que le soir. En creusant davantage, nous nous sommes aperçus que très peu d’inédits étaient proposés à notre public pendant la journée. ARTE France apporte seulement trois heures de programmes inédits par mois – programmes qui sont diffusés en moyenne entre dix et vingt fois par mois. Cela est très pénalisant pour la fidélisation de notre public.

C’est pourquoi nous avons beaucoup axé nos demandes auprès de notre tutelle sur la possibilité de développer des programmes inédits, et de les concevoir pour la journée. Vous verrez dans le plan d’affaires que nous avons obtenu, pour l’année 2017, une augmentation non négligeable de notre budget de programmes, et nous nous sommes engagés à ce que tout euro supplémentaire en provenance de la redevance en 2017 y soit consacré. Nous sommes prêts à y rajouter ce qu’il nous reste de fonds de roulement à la fin de cette année-ci. Nous devrions ainsi pouvoir augmenter notre budget de programmes de 13 millions d’euros au cours de l’année 2017, puis continuer à le faire au fur et à mesure de notre COM. Un budget de 13 millions peut paraître assez modeste mais, par rapport à nos budgets de programmes précédents, c’est vraiment considérable.

En parallèle, nous avons prévu de créer une nouvelle émission quotidienne dès mars 2017, et les Allemands nous ont suivis dans cette démarche : eux-mêmes apporteront un nouveau programme quotidien au cours de toute l’année 2017. Nous devrions ainsi avoir à l’été une offre de programmes pendant la journée plus riche que jamais sur ARTE. C’est notre principale priorité : enrichir nos programmes sur l’antenne pour pouvoir ensuite mieux les diffuser.

J’en viens justement à notre deuxième objectif : mieux diffuser nos programmes grâce à une politique d’hyperdistribution, c’est-à-dire grâce à une présence systématique sur tous les supports et réseaux numériques, dans toute l’Europe. La révolution numérique ne fait que commencer dans l’audiovisuel. Il faut se préparer à naviguer dans un océan totalement délinéarisé où seuls quelques petits îlots pourront continuer à rassembler, parfois mais peu souvent, des audiences importantes. Le public ne fera bientôt plus la différence entre les programmes conçus pour l’antenne et les programmes conçus pour le web. D’où la nécessité de se préparer à la disparition progressive de la frontière qui existe actuellement entre le web et l’antenne. Il faut que nous rapprochions ces deux secteurs et que l’irrigation entre les programmes linéaires et les programmes non linéaires soit systématique et permanente pour pouvoir faire face à ce nouveau monde.

Dans cet univers délinéarisé, c’est ARTE+7, c’est-à-dire la télévision de rattrapage qui permet d’avoir accès à des programmes à la demande, qui deviendra le premier vecteur de diffusion d’ARTE, et non plus l’antenne. ARTE+7 permettra à chacun de trouver le programme qu’il recherche ou de le découvrir et, je l’espère, de l’aimer. Cette politique d’hyperdistribution passera par la remise à plat d’ARTE+7, pour lui donner cette vocation de premier vecteur de diffusion de l’ensemble des programmes d’ARTE.

En plus d’ARTE+7, nous devons aussi développer notre présence sur les réseaux sociaux. C’est le seul endroit où nous pourrons véritablement élargir notre audience à de nouveaux publics. Dans le cadre du COM précédent, nous avons réussi à mieux fidéliser notre public et à faire en sorte qu’il reste plus longtemps sur notre antenne. Par contre, nous avons du mal à élargir notre audience à des publics qui ne nous connaissent pas ou qui ne croient pas qu’ARTE puisse les concerner. Les réseaux sociaux sont l’outil le plus efficace pour pouvoir le faire. On y trouve des publics qui n’ont pas l’habitude de regarder une chaîne de télévision linéaire ni de rechercher la culture à la télévision. C’est donc à nous, comme nous l’avons fait pour les plus jeunes, d’aller sur les réseaux sociaux pour montrer à ces publics qu’ARTE est capable de leur proposer quelque chose qui les intéresse. C’est pour nous une deuxième priorité que de savoir utiliser les réseaux sociaux pour élargir notre bassin d’audience, non pas pour le plaisir d’avoir plus de monde, mais pour avoir un échantillon représentatif de l’ensemble de la France. Il faut qu’ARTE puisse intéresser tous les publics, y compris en milieu rural et dans les petites villes. Ces publics-là, d’ailleurs, nous regardent déjà souvent, car nous sommes pour eux la seule offre culturelle disponible.

Les réseaux sociaux sont, pour les cinq années qui viennent, notre « nouvelle frontière ». Nous avons donc décidé d’y consacrer un plan de formation. Pendant les cinq ans du COM précédent, nos équipes sont déjà passées d’une spécialisation sur l’antenne à une formation bi-média, de sorte qu’elles puissent envisager la diffusion de tout programme à la fois sur l’antenne et sur le web traditionnel. Pour le COM suivant, il nous faudra faire en sorte que toutes nos équipes, en particulier nos équipes éditoriales, deviennent « tri-média », c’est-à-dire qu’elles intègrent l’existence des réseaux sociaux, que l’on n’utilise pas du tout comme on utilise internet. Sur les réseaux sociaux, ceux qui ont préparé les programmes prennent la parole pour expliquer leur choix, pour dire pourquoi ils les ont aimés ou ont voulu les concevoir de la sorte. Cela requiert une pratique particulière, car il n’est pas évident de savoir à la fois concevoir un programme et communiquer à son sujet sur les réseaux sociaux. Comme pour le passage à internet, nous procéderons à ce plan de formation à masse salariale égale. L’argent sera investi dans la formation et non pas dans l’embauche d’équipes nouvelles qui viendraient lutter avec les équipes plus traditionnelles au sein même de la chaîne. Une telle concurrence serait stérile et coûteuse.

Nous souhaitons que nos équipes puissent, non seulement prendre la parole sur les réseaux sociaux, mais aussi adapter nos thématiques en les déclinant en vidéos spécialisées et éditorialisées pour chacun de ces réseaux sociaux. On ne s’adresse pas au public de la même manière sur Snapchat que sur Facebook ou sur Youtube. Il faut donc que nos équipes connaissent la différence entre tous ces réseaux sociaux et supports numériques pour pouvoir y être présentes et y trouver le public qui a l’habitude de s’y connecter mais pas celle de venir sur ARTE.

Toujours pour développer notre diffusion sur tous les supports possibles et imaginables, il nous est nécessaire de mieux diffuser l’ensemble de nos programmes dans toute l’Europe. Nous avons déjà atteint un bel objectif avec des programmes à 85 % européens. Mais la plupart sont des programmes conçus par des Français ou par des Allemands, et s’adressent plus particulièrement tantôt aux Allemands, tantôt aux Français, ou aux uns et aux autres, rarement à d’autres pays. Nous voulons absolument que chacun apprenne à s’intéresser à l’ensemble de l’Europe et à concevoir des programmes susceptibles d’intéresser pratiquement tout le continent.

Pour ce faire, nous avons constitué progressivement autour d’ARTE un réseau de chaînes partenaires publiques européennes. Nous sommes maintenant en lien avec une dizaine de chaînes et venons de signer avec l’Irlande – où Anne Durupty s’est rendue il y a à peine quinze jours pour conclure un accord de coproduction avec la chaîne RTÉ – et avec la RAI, il y a deux ou trois mois. C’est un plaisir immense, car depuis vingt-cinq ans qu’ARTE existe, c’était une frustration considérable que de ne pas avoir eu d’accord de coproduction avec cette chaîne italienne qui représente un pays incontournable sur le plan culturel. Au cours d’un déplacement récent à Rome, j’ai pu constater que la mobilisation de la RAI était réelle, ce qui n’était pas forcément évident pour une structure puissante mais lourde, ressemblant beaucoup à l’ORTF. Cette mobilisation est d’autant plus effective que la perspective d’avoir, dans un an et demi, un ARTE Europe en italien excite un peu la curiosité de tout le monde à l’égard d’ARTE, dans ce pays comme ailleurs.

Avec ces réseaux, nous commençons à faire de nombreuses coproductions qui permettront d’avoir des programmes beaucoup plus irrigués par l’ensemble de l’Europe et donc susceptibles d’intéresser davantage tout le continent, et non pas uniquement la France et l’Allemagne, comme c’était souvent le cas précédemment. De plus, grâce à la diffusion prochaine d’ARTE en cinq langues puis six, nous constituons des plateformes linguistiques sur lesquelles nous aimerions pouvoir accueillir, non seulement les programmes les plus intéressants d’ARTE – ce noyau dur de 600 heures dont j’ai parlé tout à l’heure –, mais aussi une partie des programmes les plus culturels des chaînes partenaires avec lesquelles nous constituerons ces plateformes. Ainsi, je pense que prochainement – ce qui peut vouloir dire dans cinq ou dix ans, nous ne sommes pas pressés sur ce plan-là –, ARTE pourra devenir une constellation européenne multilingue qui respectera la spécificité de chacun. Nous respecterons, sur chaque plateforme, la langue mais aussi la culture du pays en intégrant, progressivement et de plus en plus, quelques documentaires en provenance de la chaîne partenaire correspondant à cette langue.

Le troisième volet de notre prochain COM sera consacré à faire d’ARTE une entreprise toujours plus citoyenne et plus responsable. Je crois que nous le sommes déjà. Nous avons une économie modeste, raisonnable, à laquelle nous tenons ainsi que notre personnel dans son ensemble. Nous voulons absolument mettre en application, dans la gestion de cette entreprise, les valeurs que porte son antenne. Beaucoup des programmes d’ARTE traitent du développement durable et de l’écologie. Ce sont des éléments que l’on doit retrouver à tous les étages de notre entreprise. Le personnel d’ARTE a une forte sensibilité écologique, si bien que chaque fois que nous formulons une proposition allant dans ce sens, elle est immédiatement suivie d’effets. Cela va du papier à l’électricité en passant par les photocopieuses. Ce sont des réformes qui n’ont l’air de rien mais qui donnent le ton à la maison et qui sont toujours très appréciées par notre public. Cela fait partie de ces valeurs que nous voulons défendre à l’intérieur de la société, dans sa manière de fonctionner.

De même, nous souhaitons absolument faire en sorte que tout le personnel en place, quel que soit son âge, soit formé pour pouvoir suivre la révolution numérique à laquelle nous assistons tous. Il n’y a pas de raison que certains personnels restent sur le bord du chemin. C’est pourquoi nous n’embauchons pas pour passer du mono-média au bi-média puis au tri-média ; nous formons. Cela prend du temps mais, en termes de solidarité, c’est infiniment plus efficace. Nous essayons également de faire participer le personnel aux décisions qui sont prises dans cette maison, et en particulier à la stratégie qui est déterminée. Je ne donnerai pour seul exemple que celui du COM qui vous est proposé aujourd’hui. Depuis un an, il a fait l’objet de multiples réunions au sein d’ARTE. En fin de parcours, il a été présenté au comité d’entreprise où il a été voté à l’unanimité, avec les félicitations du personnel. C’est assez remarquable pour être souligné.

Anne Durupty, avec qui je travaille depuis plus de dix ans, va vous expliquer comment nous avons traduit ce COM en termes d’indicateurs et de plan d’affaires, à la fois pour le mettre en place et pour pouvoir en mesurer l’efficacité.

Mme Anne Durupty, directrice générale d’ARTE France. Nous avons retenu neuf indicateurs, trois pour chacun des grands axes stratégiques du COM. Avec un nombre assez restreint d’indicateurs précis et clairs, qui traduisent bien les objectifs que nous nous sommes fixés pour les années à venir, nous disposons non seulement d’un moyen de suivre les réalisations et les performances de l’entreprise année après année, mais aussi et surtout d’un bon instrument de mobilisation collective, ce qui me paraît très important.

Les neuf objectifs quantifiés ont fait l’objet d’une concertation au sein d’ARTE en amont de l’élaboration du COM. Nous disposons donc d’une feuille de route synthétique et opérationnelle pour les années à venir, que tous les collaborateurs de la maison peuvent s’approprier et pour l’application de laquelle ils peuvent se mobiliser. C’est un gage à la fois de cohésion et d’efficacité.

Notre premier objectif, qui est au cœur de la mission d’ARTE et figurait déjà dans le COM qui s’achève, consiste à augmenter nos engagements dans la création, en cohérence avec la priorité donnée à l’offre de programmes. L’indicateur correspondant est le montant consacré à ces engagements. Le seuil minimal en la matière, qui avait été fixé à 77 millions d’euros en 2016, passera à 84 millions en 2017, soit une augmentation de près de 10 %, et atteindra 90 millions à la fin de la période couverte par le COM.

Le deuxième indicateur vise à rendre compte de l’augmentation de notre offre de programmes inédits, axe stratégique majeur du nouveau COM. Il s’agit du volume des programmes inédits apportés par ARTE France à la chaîne ARTE. Celui-ci devra augmenter de 15 % à l’horizon 2021, et de 7 % dès 2017, avec la nouvelle émission quotidienne de l’après-midi que Véronique Cayla a mentionnée.

Le troisième indicateur permettra de mesurer la présence numérique d’ARTE. Nous souhaitons disséminer nos programmes le plus largement possible, afin qu’ils soient toujours plus regardés. L’objectif est de multiplier par deux le nombre de vidéos vues. Certes, la mesure de l’audience numérique n’est pas aussi exacte que celle que nous pouvons obtenir avec le système Médiamat, mais il nous a semblé qu’une multiplication par deux constituait un objectif mobilisateur. Nous verrons au fil des réalisations si nous l’atteindrons à la fin de la période couverte par le COM ou un peu plus tôt.

Le quatrième indicateur, qui figurait déjà dans le COM en cours d’achèvement, est essentiel, car c’est le marqueur de la nature européenne d’ARTE, qui lui est très spécifique : nous nous engageons à ce que, au minimum, 85 % des œuvres diffusées soient européennes.

Le cinquième indicateur, qui était inscrit, lui aussi, dans le COM précédent, est assez classique : nous nous engageons à consacrer au minimum 3,5 % de nos ressources à la coproduction d’œuvres cinématographiques françaises et européennes. Notre filiale ARTE France Cinéma coproduit vingt-deux à vingt-cinq films par an, dont trois longs-métrages documentaires et, depuis quatre ans, un long-métrage d’animation.

Le sixième indicateur vise à mesurer l’audience : l’objectif est que notre part de marché reste supérieure ou égale à 2,2 % pendant toute la durée du COM. Cet indicateur mérite quelques commentaires, car il suscite de nombreuses interrogations. Nous nous sommes nous-même demandé, avec les ministères de tutelle, s’il était pertinent de continuer à raisonner en termes de parts de marché, alors que le développement d’ARTE passe essentiellement par sa présence numérique sur tous les supports et dans toute l’Europe, et qu’il y a un phénomène croissant de fragmentation des audiences, qui se traduit par un effritement des parts de marché des chaînes historiques. Nous avons répondu positivement à cette question pour plusieurs raisons : d’abord, c’est un moyen simple, permanent et immédiat de mesurer la reconnaissance du public ; ensuite, cela reste encore, à tout le moins pour les trois ou quatre ans qui viennent, l’outil qui permet de se positionner par rapport à la concurrence ; enfin, il nous semble nécessaire de veiller à ce que les résultats restent satisfaisants, afin de ne pas perdre le terrain reconquis – ainsi que Véronique Cayla l’a expliqué, la situation d’ARTE a été redressée, après avoir été très fragilisée il y a quelques années.

Après avoir répondu positivement à cette question, nous nous sommes demandé à quel niveau fixer l’objectif en termes de parts de marché. Il avait été assez simple de fixer l’indicateur cible dans le COM précédent – pas nécessairement de l’atteindre : il fallait inverser la tendance, qui était à la baisse depuis plusieurs années, avec l’émergence de la TNT. Il s’agissait donc de progresser d’année en année, ce que nous avons fait : avec une part de marché de 2,2 à 2,3 %, nous avons dépassé l’objectif de 2 % fixé dans ce COM.

Toutefois, il serait irréaliste d’escompter continuer à progresser indéfiniment d’année en année, en raison de la fragmentation des audiences que j’ai évoquée : les nouvelles chaînes de la TNT diffusées en HD cumulent déjà, à elles seules, 9 % de parts de marché. Par ailleurs, nous considérons que, avec une part de marché située entre 2,2 et 2,5 %, nous sommes à un niveau satisfaisant. Cela signifie, par exemple, que le 28 minutes, réunit chaque jour 500 000 à 700 000 téléspectateurs ou que, en soirée, un film tel que le film polonais Ida ou un grand documentaire est regardé par plus d’un million de téléspectateurs. Si nous voulions aller au-delà, nous pourrions arriver à une contradiction : les objectifs d’audience risqueraient d’être excessifs par rapport à l’ambition culturelle de la chaîne. Nous avons donc retenu comme objectif de maintenir notre part de marché entre 2,2 et 2,5 %.

Les trois derniers indicateurs portent sur la performance économique de l’entreprise : nos recettes commerciales devront croître de 10 % sur la période ; nos charges de structure et de personnel devront rester relativement stables, au-dessous, respectivement, de 2,4 % et de 7,7 % de nos ressources. Lorsque ces charges fixes cumulées restent inférieures à 10 %, soit à un niveau beaucoup plus faible que dans les autres entreprises du secteur, cela montre bien que nous sommes une société particulière, dont le cœur de métier est la production et l’achat de programmes.

J’en viens au plan d’affaires. La première caractéristique de ce plan, que l’on trouve dans le projet de loi de finances pour 2017, c’est un fort soutien des pouvoirs publics, avec une hausse du montant attribué à ARTE au titre de la contribution à l’audiovisuel public de 10 millions d’euros en 2017, soit une progression de 3,8 %. L’augmentation de ce montant sera en moyenne de 2,7 % sur la durée du COM. En ce qui concerne nos ressources propres, nos recettes commerciales nettes devront croître de 10 % sur la même période. Elles resteront néanmoins marginales, autour de 2,5 millions d’euros. Ces recettes résultent pour l’essentiel de la commercialisation des documentaires que nous coproduisons, ainsi que de quelques reversements dont nous bénéficions en tant que coproducteurs. Compte tenu de ces grandes tendances en matière de ressources, le budget d’ARTE France devrait passer de 270 millions d’euros en 2016 à 303 millions à l’horizon 2021.

En ce qui concerne les charges, ainsi que Véronique Cayla l’a indiqué, la priorité sera donnée aux investissements dans les programmes, qui constituent, pour nous, la clef de tout. La ressource publique supplémentaire sera ainsi investie à 100 % dans les programmes. Nous allons mobiliser, en outre, le solde de notre report à nouveau, soit 3 millions d’euros. Au total, nous allons augmenter notre budget de programmes de 13 millions d’euros en 2017, soit de 10 %. À l’horizon 2021, l’augmentation sera de 19 % par rapport à 2016. Au sein des programmes, la priorité sera donnée à la création : sur les 13 millions supplémentaires en 2017, 7 millions seront consacrés à des œuvres de création, conformément à la cible fixée pour le premier indicateur.

Pour répondre à votre question, monsieur le président, nous prévoyons une légère croissance de la masse salariale afin d’accompagner la modernisation de l’entreprise. Je tiens à signaler, que, sur les cinq années passées, le budget de personnel, en particulier la masse salariale, n’a jamais été dépassé : nous avons réalisé chaque année une économie plus ou moins importante sur ce budget, et les effectifs sont restés stables, avec 242 équivalents temps plein en 2016, contre 240 en 2011. Nous prévoyons une croissance légèrement plus importante que d’habitude en 2017, afin d’étendre le plan de formation, qui demeure un élément essentiel, mais aussi de renforcer un petit nombre de fonctions d’expertise, notamment la sécurité informatique, véritable préoccupation au sein de l’audiovisuel en général, et de poursuivre le développement de quelques outils informatiques.

Les frais de structure ont fait l’objet d’une politique d’économie volontariste sur toute la période précédente : ils s’établissent à un peu moins de 8 millions d’euros en 2016, soit à un niveau inférieur aux 9 millions qui étaient prévus dans le COM qui s’achève. À la fin de la période couverte par le nouveau COM, ils devront être de 8,4 millions. Donc, non seulement nous maîtrisons nos charges de structure, mais nous réalisons des économies sur ce poste. Comment y parvient-on ? L’essentiel est de procéder à des appels d’offres de manière très systématique, pour chaque dépense. Cela a représenté beaucoup de travail au début, d’autant que nous ne disposons pas d’une équipe administrative très nombreuse, mais c’est très efficace.

En dehors des frais de structure, nous avons réalisé deux autres catégories d’économies sur la période précédente. D’une part, même si les montants en jeu n’étaient pas considérables, nous avons mis fin à quelques actions, notamment de coopération internationale en dehors de l’Europe, qui ne nous paraissaient pas relever du cœur de la mission d’ARTE. D’autre part, l’arrêt de la diffusion en SD nous a fait réaliser des économies relativement importantes en 2016 et en 2017 sur nos charges de diffusion. C’est un élément structurant du COM, qui nous permet de concentrer toute la ressource publique supplémentaire sur le budget de programmes. Nous étions, pour notre part, de grands partisans de l’arrêt de la diffusion en SD, car nous considérions que la transmission par voie hertzienne n’était sans doute pas l’avenir de la télévision – selon nous, les efforts doivent plutôt porter sur les relations avec les tiers, notamment avec les distributeurs. De plus, la double diffusion était très coûteuse et dénuée de sens pour nous. Nous sommes donc très satisfaits de cet arrêt.

Au titre des charges, il est prévu que le budget d’ARTE GEIE, qui réunit ARTE France et ARTE Deutschland, augmente en moyenne de 2 % par an entre 2017 et 2021, les financements étant toujours apportés à parité par la partie française et la partie allemande. Rappelons que le GEIE mène la stratégie de développement européen, principalement grâce à des subventions accordées par l’Union européenne, et gère toute l’exploitation numérique d’ARTE. Il est donc important que les deux partenaires assurent une évolution suffisante de ses ressources.

M. le président Patrick Bloche. Merci, madame la présidente, madame la directrice générale, de nous avoir fourni tous ces éléments, tant sur l’exécution du COM qui s’achève que sur le prochain COM. C’était un peu « tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur ARTE sans jamais oser le demander » !

M. Michel Pouzol, rapporteur pour avis de notre commission sur les crédits de l’audiovisuel public pour 2017, va maintenant nous livrer son regard d’expert sur le projet de COM pour les années 2017 à 2021.

M. Michel Pouzol. L’année 2016 est une année charnière pour ARTE France : elle marque la fin du troisième COM, qui s’étendait sur la période de 2012 à 2016, et précède, par voie de conséquence, la mise en œuvre d’un nouveau COM pour la période de 2017 à 2021, que nous évoquons aujourd’hui.

Avant d’aborder ce quatrième COM et la stratégie mise en place pour les années à venir, je reviens succinctement sur l’exécution du COM qui se termine. Ce COM 2012-2016 était articulé autour de deux grands axes, le positionnement éditorial et le développement numérique de la chaîne, afin de répondre à un objectif ciblé : enrayer l’érosion des audiences qui a frappé ARTE de même que l’ensemble des chaînes historiques, avec l’apparition de la TNT et des nouveaux modes de consommation liés à la révolution numérique et à la multiplication des supports.

Cette stratégie a, semble-t-il, porté ses fruits : la chaîne a atteint une part de marché de 2,2 % en France en 2015, contre 1,5 % en 2010, même s’il faut, bien entendu, relativiser ces chiffres. Dans le même temps, l’audience sur les réseaux sociaux a explosé, ce dont atteste le nombre de vues en podcast et en télévision de rattrapage. La fréquentation des cinq plateformes numériques développées par la chaîne a crû de près de 65 %, avec plus de 2 millions de visites mensuelles, 20 millions de vidéos visionnées chaque mois et une très nette progression de la visibilité de la chaîne sur les réseaux sociaux, ainsi qu’en témoigne le million d’abonnés – followers – de la chaîne sur Twitter. Or c’est de moins en moins par les équipements classiques et de plus en plus par les réseaux sociaux que l’on peut toucher la masse des auditeurs ou des téléspectateurs de demain.

Ainsi que vous l’avez indiqué, madame la présidente, les équipes de la chaîne sont passées assez naturellement au bi-média. On ne peut que se féliciter de la manière dont l’entreprise a géré les ressources humaines au moment où elle a pris ce tournant : elle a compris que la formation du personnel représentait certes un coût, mais que les dépenses en la matière réduisaient d’autant le coût en termes d’embauches. Cela a donc été une bonne stratégie.

La réflexion stratégique a d’ailleurs été globale : elle a porté non seulement sur les supports, mais aussi sur les contenus, la société consacrant les deux tiers de son budget aux dépenses de programmes et plus des trois quarts à la production d’œuvres originales. Enfin, je souligne que la chaîne a pleinement assumé son rôle de média citoyen, à la fois en garantissant une meilleure représentation de la diversité à l’écran et en promouvant le cinéma français et européen, qui représente désormais 20 % de l’ensemble des programmes diffusés.

En conclusion, on peut estimer que, cinq ans après sa signature, le COM 2012-2016 a plutôt bien tenu ses promesses. J’apporte néanmoins un léger bémol à ce satisfecit global : malheureusement, le plan d’affaires n’a pas été totalement respecté. Ce COM prévoyait une progression régulière de la ressource publique. Or, si celle-ci a bien augmenté au cours de la première année, la dotation de l’État n’a pas été revue à la hausse par la suite. Au total, par rapport aux prévisions initiales du COM pour ces quatre dernières années, ce sont plus de 100 millions d’euros qui n’ont pas été versés à la société. Ce manque à gagner important n’a pas freiné la créativité et l’innovation de la chaîne, mais a forcément rendu la mise en œuvre du COM plus difficile.

Au vu des grandes lignes du nouveau COM pour les années 2017 à 2021, vous souhaitez clairement vous inscrire dans la continuité de la stratégie du COM précédent : il s’agit de toucher une audience plus large, tout en réaffirmant l’identité d’ARTE et en consolidant une gestion responsable.

Pour la période de 2017 à 2021, la chaîne a articulé ses objectifs autour des trois axes que vous nous avez présentés : premièrement, franchir un nouveau cap éditorial en proposant davantage de programmes inédits et de créations originales ; deuxièmement, assurer un déploiement encore plus grand à l’échelle européenne en accentuant la nature européenne des programmes, mais aussi en diffusant des programmes en langue étrangère, notamment en polonais et en italien ; troisièmement, affirmer à nouveau le caractère d’entreprise responsable et innovante d’ARTE.

Dans le volet du COM relatif au contenu des programmes de la chaîne, la société s’engage à mettre l’accent sur la production et la création, en affirmant sa volonté de diffuser davantage de contenus inédits et de créations originales. Soucieuse d’affirmer et de renforcer son identité européenne, ARTE prévoit, non seulement de maintenir, mais d’augmenter la part des œuvres européennes au sein de l’ensemble des œuvres diffusées. Elle entend aussi participer à un nombre plus important de coproductions européennes et élargir sa diffusion à l’ensemble du continent. Nous ne pouvons que nous en féliciter, car nous sommes attachés à la diversité la plus large possible en matière de création, la diversité étant synonyme de richesse et d’ouverture citoyenne.

On peut toutefois déplorer l’absence de véritable projet de coopération entre ARTE France et les autres sociétés de l’audiovisuel public français, s’agissant notamment de la chaîne publique d’information en continu lancée le 1er septembre dernier. Il existe aussi d’autres synergies potentielles en matière d’éducation à l’image, de culture et de formation. Quel bonheur de voir que ces synergies et ces coopérations se développent de manière efficace et dynamique au niveau européen ! Nous pourrions nous pencher un peu plus sur ces coopérations au niveau français, même si tout n’est pas toujours simple en la matière.

Le dernier volet du COM 2017-2021 traduit la volonté d’ARTE France d’affirmer son caractère d’entreprise responsable et innovante : ARTE émet clairement le souhait de s’engager davantage sur des thématiques telles que l’éthique morale et citoyenne, la lutte contre les inégalités, la représentation équilibrée des femmes et des hommes ou le développement durable, autant de sujets fondamentaux inscrits au cœur du développement européen, bien au-delà du seul secteur de l’audiovisuel.

Ainsi que vous l’avez expliqué, madame la directrice générale, le plan d’affaires d’ARTE pour la période de 2017 à 2021 met en perspective les moyens financiers qui seront utilisés pour remplir ces objectifs. En parallèle, plusieurs indicateurs – dont le nombre a été allégé par rapport au COM précédent, conformément à la demande des tutelles, seules les cibles les plus pertinentes ayant été retenues – permettront d’assurer un suivi précis de l’exécution de ce COM et des engagements qu’il comporte.

Ainsi que vous l’avez indiqué, la création originale et la production de programmes inédits constitueront la priorité d’ARTE pour cette nouvelle période, et nous nous en félicitons. Cet objectif se traduit concrètement par un effort financier important : dès 2017, près de 146 millions d’euros seront consacrés à la production et à l’achat de programmes, contre 133 millions en 2015 ; selon les prévisions que vous nous avez fournies, ce chiffre devrait atteindre 158,3 millions d’euros en 2021, soit une hausse significative de 25,3 millions d’euros. Plus spécifiquement, les crédits alloués à la production seront portés de 77 millions d’euros en 2016 à plus de 90 millions en 2021, ce qui permettra d’accroître les investissements dans les œuvres audiovisuelles, cinématographiques et multimédias européennes.

D’après le projet de COM, cette hausse des investissements dans les programmes devrait être financée par l’augmentation continue des dotations publiques, les ressources propres d’ARTE se limitant en moyenne à 3,09 millions d’euros par an sur la période de 2017 à 2021, c’est-à-dire à environ 1 % des ressources totales de la chaîne. Au total, le budget d’ARTE France passera de 280,25 millions d’euros en 2017 à 302,81 millions en 2021, soit une hausse de 22,56 millions d’euros, que le plan d’affaires vise à repartir. L’effort financier consenti par l’État devrait ainsi permettre d’accompagner les orientations stratégiques établies par le COM et d’assurer à ARTE les moyens de remplir ses objectifs.

En conclusion, au regard des deux derniers COM, on constate que les projets d’ARTE France s’inscrivent dans une certaine continuité, qu’ils ne manquent pas de cohérence et que leurs objectifs sont bien identifiés : ils visent à offrir à la chaîne une audience plus large, tout en renforçant son image de média culturel, innovant et européen de référence et en assurant une gestion cohérente et maîtrisée. À l’appui de cette ambition, le budget d’ARTE bénéficiera d’une augmentation importante des dotations publiques pour la période de 2017 à 2021, ce qui lui donnera les moyens de ses objectifs et, donc, des garanties solides pour la réussite d’un projet de développement réaliste.

Compte tenu des solutions choisies par ARTE ces dernières années pour étendre ses missions et son rayonnement, notamment sa couverture européenne, de la présence forte et novatrice qu’elle a su développer sur les réseaux numériques et de la place prépondérante qu’elle a prise en matière de création au niveau européen, nous pensons que ce nouveau COM s’inscrit dans une réelle dynamique et va dans le bon sens pour la chaîne franco-allemande.

Pour que cette belle aventure continue et prenne encore un peu plus d’ampleur face aux défis que doivent affronter toutes les offres publiques en matière d’audiovisuel, il reste à chacune des parties concernées par ce COM à tenir fermement ses engagements dans le temps. Il y va du rayonnement de notre culture dans son périmètre européen et d’une certaine façon de voir le monde, la culture et la création, qu’ARTE incarne dans l’univers de la télévision. Vous avez qualifié ARTE d’ « objet unique », monsieur le président ; je serais tenté d’ajouter : « unique et précieux ».

M. Michel Ménard. Le COM 2012-2016 s’est articulé autour de deux axes : le positionnement éditorial et le développement du numérique.

Concernant le positionnement éditorial, vous nous avez rappelé, madame la présidente, votre volonté de maintenir une part très importante de documentaires. J’approuve totalement l’objectif de rapprocher les peuples d’Europe. À un moment où notre monde est perturbé et déstabilisé, il est particulièrement important de disposer d’un média télévisuel tel qu’ARTE, qui permet de prendre du recul et d’expliquer la complexité du monde.

Concernant le développement du numérique, nous pouvons apprécier la forte progression des audiences sur les nouveaux moyens de communication : la fréquentation des cinq plateformes numériques développées par la chaîne s’est accrue de 65 % pour atteindre 2,1 millions de visites mensuelles, ce qui est tout à fait significatif. L’audience de la chaîne de télévision en tant que telle a également connu une augmentation importante, avec une part de marché de 2,2 %. Néanmoins, le vieillissement du public incite à mettre un bémol : l’âge moyen du public d’ARTE est de soixante ans pour la chaîne de télévision, contre trente-cinq ans sur les réseaux sociaux. Certes, toutes les chaînes de télévision connaissent une évolution analogue. Cela étant, peut-être avez-vous des éléments de réponse à apporter, notamment en termes de programmation, afin de rajeunir le public de la chaîne ?

J’ai noté avec satisfaction que vous accordiez une attention particulière à la gestion des ressources humaines. D’une part, vous maîtrisez globalement les charges de personnel, qui représentent 7,3 % des charges d’exploitation, l’objectif inscrit dans le précédent COM étant de 7,1 %. D’autre part, vous affichez des objectifs en termes de qualité de la gestion des ressources humaines dans le COM 2017-2021.

Je relève qu’ARTE France reste très largement dépendante de la ressource publique. Il importe donc que nous soyons vigilants sur les moyens attribués aux médias publics d’une façon générale. Le COM 2017-2021 prévoit une augmentation des moyens au service d’un projet qui nous semble réaliste. Ainsi que Michel Pouzol l’a rappelé, vous souhaitez vous inscrire dans une certaine continuité par rapport à la stratégie menée entre 2012 et 2016, ce qui est tout à fait cohérent dans la mesure où le bilan de ces années est satisfaisant.

Vous nous avez fait part de votre volonté de vous déployer en Europe, notamment avec des programmes en espagnol ou en polonais. Dans ce nouveau COM, vous affirmez également votre intention de renforcer l’identité européenne de la chaîne et de maintenir une part importante d’œuvres européennes, ce qui est tout à fait conforme à la mission d’ARTE.

Je formule cependant un regret ou une interrogation : ARTE France pourrait réfléchir aux moyens de mieux coopérer avec les autres sociétés de l’audiovisuel public français. Il y a des synergies possibles, ce que nous montre la chaîne publique d’information en continu qui vient d’être lancée.

J’ai été particulièrement sensible, je l’ai dit, au dernier volet du COM pour les années 2017 à 2021 : vous entendez affirmer le caractère d’entreprise responsable et innovante d’ARTE France. À ce titre, la chaîne prévoit de s’engager davantage sur des thématiques telles que l’éthique morale et citoyenne, la lutte contre les inégalités, la représentation équilibrée des femmes et des hommes ou le développement durable. À l’instar, je le suppose, de l’ensemble de mes collègues ici présents, j’apprécie que vous vous soyez fixé une telle ambition. Votre objectif de gérer les ressources humaines de manière responsable tout en maîtrisant la masse salariale et en consentant un effort particulier en matière de formation et d’accompagnement des salariés me paraît également tout à fait judicieux. Au regard des tensions que connaît actuellement une chaîne de télévision privée, d’autres dirigeants de chaînes pourraient s’en inspirer.

En conclusion, l’analyse comparative du troisième et du quatrième COM d’ARTE France permet de constater que les deux projets s’inscrivent dans une certaine continuité et ne manquent pas de cohérence. L’augmentation importante des dotations publiques pour la période de 2017 à 2021 devrait assurer à ARTE France les moyens dont elle a besoin pour remplir les objectifs qu’elle affiche, ce qui lui donne des garanties solides pour la réussite de ce projet de développement réaliste. Il appartient désormais à chacune des parties de tenir ses engagements dans le temps.

Mme Annie Genevard. Je veux vous remercier pour le travail que vous effectuez à la tête d’une chaîne dont la qualité ne se dément pas.

Vous avez rappelé que l’audience d’ARTE, certes modeste, est en hausse, tout en préservant les fondamentaux culturels qui sont ceux de la chaîne.

En vous écoutant, madame la directrice générale, revendiquer la modestie de cette audience, qui garantit, selon vous, le maintien de la qualité, il m’est venu une réflexion. Nous sommes ici des gens de culture et nous aspirons à ce que celle-ci irrigue le plus largement possible. L’objectif doit tout de même rester d’augmenter l’audience pour permettre à un maximum de spectateurs de profiter de vos programmes, sinon on risque l’entre-soi. Je comprends ce que vous voulez dire mais je voulais vous faire part de cette remarque.

Vous avez rappelé les prix prestigieux décernés à des films coproduits. On pense aussi au succès de séries venues des pays du Nord – l’actrice de la série Borgen doit aujourd’hui beaucoup à ARTE – ou à des petits bijoux comme Catherine Deneuve lit la mode dont le succès viral tient beaucoup aux réseaux sociaux – c’est ainsi que je l’ai découvert.

Vous avez placé le prochain COM sous le signe de la création originale, en particulier pour les programmes en journée qui sont un peu le point faible de la chaîne. Cet objectif s’inscrit dans le cadre d’une gestion budgétaire maîtrisée – on ne peut que s’en réjouir. Dans le contexte de crise, de menace d’attentats et de tensions sociales que nous connaissons, alors que l’Europe est fragilisée par le Brexit, que les États-Unis font des choix qui nous interrogent, il nous faut réaffirmer la vocation citoyenne de l’audiovisuel public. Plus que jamais nos chaînes publiques, a fortiori ARTE, doivent se donner pour mission de donner à voir le monde autrement, par la force de la créativité. Nous avons besoin de plus de liens, plus de culture. De ce point de vue, je trouve intéressant le projet de diffusion d’ARTE en six langues européennes, dans une constellation multilingue, avez-vous dit. Cette ouverture linguistique aura-t-elle des incidences sur la gouvernance franco-allemande ?

Après avoir évoqué ce qui nous met d’accord, parlons un peu des sujets qui fâchent ; parlons d’argent puisque l’audiovisuel public, c’est aussi de l’argent. Pour 2017, ARTE France bénéficiera d’une dotation publique de 274,3 millions d’euros, en hausse de 3,8 %. Au terme de la négociation avec l’État, il est prévu un effort soutenu sur toute la durée du COM
– une augmentation de 3 % en 2018, et de 2 % par an entre 2019 et 2021. Ces augmentations décidées aujourd’hui seront assumées par d’autres. Elles viennent rejoindre la cohorte de hausses annoncées en cette fin de quinquennat, qui nous laissent perplexes. Durant le quinquennat, la tutelle n’a pas cessé de resserrer votre financement – diminution de 1 million en 2013 et en 2014, légère hausse en 2015, mais avec des prélèvements sur le fonds de roulement de l’entreprise. C’est donc à six mois de l’élection présidentielle que l’État s’apprête à signer un COM ambitieux pour ARTE France, avec une hausse substantielle des moyens.

Je tiens à revenir sur le revers essuyé par le Gouvernement en première partie du projet de loi de finances, à savoir le rejet par l’Assemblée nationale de la « hausse exceptionnelle de un euro » de la contribution à l’audiovisuel public, hausse qui n’avait rien d’exceptionnel puisque la contribution a augmenté de 7 euros sur l’ensemble du quinquennat. Cette décision jette une ombre sur l’équilibre du COM que vous vous apprêtez à signer, comme d’ailleurs sur ceux de l’ensemble des entreprises de l’audiovisuel public. Notre rapporteur Michel Pouzol a interpellé récemment Mme la ministre de la Culture sur le fait que le produit de la taxe sur les opérateurs de télécommunications ne compensera pas intégralement l’absence d’augmentation de la redevance. On demande beaucoup aux opérateurs. Si on les taxe, il est compliqué de leur demander dans le même temps d’équiper tous les territoires pour recevoir convenablement ARTE sur internet, dont vous avez montré toute l’importance. Avez-vous discuté avec le Gouvernement de l’équilibre de votre COM ? Pourrait-il être modifié avant sa signature définitive ? En d’autres termes, ce projet de COM n’est-il pas, sur le plan budgétaire, déjà caduc ?

Je tiens à souligner la rigueur de votre gestion, j’entends par-là une gestion très responsable et citoyenne. Vous présentez des budgets à l’équilibre depuis 2015, ce qui mérite d’être salué. Nous vous félicitons pour ce travail de redressement de la chaîne, tant en matière d’audience que de maîtrise de la dépense.

Vous faites le pari que la modernité des supports rajeunira l’audience. C’est un point de vue assez original. Vous avez montré que cela avait commencé à porter ses fruits. L’avenir le dira. On ne peut toutefois pas complètement se désintéresser du rajeunissement du contenu, si tant est qu’on puisse définir les contours de ce rajeunissement. On ne peut pas compter sur les seuls supports pour élargir l’audience.

À l’exception de l’inconnue budgétaire qui nous inquiète, sachez que notre groupe salue les orientations de ce nouveau COM, qui porte ARTE France vers un projet toujours plus ambitieux et au service de valeurs humanistes qui la caractérisent depuis sa création.

M. Jean-Pierre Allossery. Je serai redondant en saluant le travail que vous avez accompli.

Ce COM est ambitieux. Vous prévoyez, madame la présidente, une hausse importante des moyens alloués à la production et à l’achat de programmes. Le COM décrit votre stratégie avec une grande clarté.

Avez-vous l’ambition de renouveler l’expérience « Tandem », ce dispositif qui devait stimuler la coproduction de fictions franco-allemandes ? Comment le COM peut-il assurer sa pérennité ?

Mme Dominique Nachury. ARTE renvoie une image positive et de qualité, mais qui va de pair avec un certain élitisme des téléspectateurs. Comment, dès lors, élargir l’audience tout en maintenant la qualité ? La réponse est sans doute complexe.

Le plan d’affaires fait apparaître, entre 2014 et 2016, une baisse importante des recettes diverses. Dans le prochain COM, leur montant s’élève à 0,2 million d’euros sur toute la période. Que recouvre ce poste et quelles sont les raisons de cette forte baisse ?

Je constate une différence entre les audiences françaises et allemandes en 2015. L’audience est de 2,2 % en France tandis qu’elle n’est que de 1 % en Allemagne. Entre 2011 et 2015, elle progresse respectivement de 50 % et de 30 %. Comment expliquer cet écart ? Est-il lié à l’existence de chaînes concurrentes en Allemagne ? Je ne peux pas croire que les Allemands soient moins sensibles à la culture. La programmation correspond-elle plus aux goûts français ?

M. Hervé Féron. L’hyper-distribution des programmes d’ARTE en France et dans toute l’Europe, qui apparaît comme une de vos priorités, renvoie à la problématique de la territorialité des droits et, plus largement, à l’idée de marché unique numérique européen dont nous entendons parler depuis plusieurs années.

Actuellement, les pratiques de géoblocage empêchent les Européens en séjour dans un autre pays d’avoir accès aux mêmes contenus en ligne que dans leur pays d’origine. Le projet européen de réforme du droit d’auteur veut y mettre fin afin de faciliter la diffusion des œuvres. Or cela risque de porter atteinte au principe de territorialité des droits, garant du financement dont les créateurs ont besoin pour réaliser leurs œuvres. Pouvez-vous nous expliquer comment ARTE entend mener à bien sa stratégie de dissémination et de développement européen dans le respect du principe de territorialité des droits ? Que pensez-vous du projet de marché unique numérique tel qu’il est actuellement envisagé par la Commission européenne ?

Le soutien à la jeune création européenne apparaît comme une autre de vos priorités, particulièrement pour le cinéma et notamment le court-métrage. Le COM mentionne un engagement fort en faveur de la musique, mais seule la musique classique ou savante semble valorisée en France, à la différence par exemple de nos voisins anglo-saxons qui sont beaucoup plus libres et décomplexés dans leur conception des arts. Un effort en direction des spectacles et musiques actuels serait bienvenu pour valoriser l’ensemble de notre patrimoine culturel, d’autant que nous disposons d’un vivier de jeunes et moins jeunes talents qui, dans leur immense majorité – et c’est particulièrement vrai pour ceux qui chantent en français –, peinent à émerger.

Enfin, le numérique est un enjeu majeur pour ARTE, car il est susceptible de lui apporter un nouveau public. Mon intervention sera peut-être en décalage avec la tonalité fortement optimiste de ce COM et de nos débats, mais il faut prendre garde à ce que Morozov décrit comme le « mirage numérique ». En effet, ce dernier nous habitue à un consumérisme informationnel dont l’une des conséquences est l’affaiblissement de notre capacité d’imagination. Sans parler de l’utilisation en toute opacité que font les « GAFA » – Google, Apple, Facebook, Amazon – des données personnelles que nous leur fournissons en échange de services numériques, le danger pour ARTE ne serait-il pas, avec ce qu’on appelle l’expérience personnalisée, de nous proposer, via des algorithmes, des contenus en lien avec ce que nous avons déjà lu ou vu au risque de tuer notre esprit de curiosité ?

M. Paul Salen. Dans ce projet de COM, vous portez une attention toute particulière aux difficultés de notre société. Vous proposez, en ce sens, un projet fondé sur la richesse et la diversité culturelles, notamment par le développement de programmes inédits et de créations originales, afin de faire d’ARTE un lieu de rassemblement et de réconciliation.

Si je partage en tout point votre démarche, je trouve peu d’informations sur vos supports de communication, alors même que vous reconnaissez le bouleversement numérique que nous sommes en train de vivre. Sur quels supports souhaitez-vous vous appuyer pour véhiculer ces valeurs que vous entendez défendre ?

M. François de Mazières. J’ai rarement assisté à une présentation aussi passionnante et claire. Je vous en remercie.

Plusieurs points méritent d’être soulignés : la qualité du travail accompli ; une refonte de la grille qui est un succès ; un bloc d’information de très grande qualité – j’ai plaisir à l’écouter ; le développement numérique dans lequel vous faites un peu figure de pionnier ; la volonté d’ouverture européenne qui fait plaisir à entendre ; la participation à la création à travers laquelle ARTE joue pleinement son rôle de télévision publique – on aimerait qu’il en aille de même ailleurs ; la qualité de la gestion, dont nous tenons à vous féliciter ; la clarté des indicateurs pour le futur COM, qui est très intéressante – on aimerait qu’elle inspire d’autres chaînes publiques.

En revanche, vous effectuez un gros travail sur le spectacle vivant, mais il ne se retrouve pas vraiment dans le COM : aucun chiffre, aucun indicateur ne se rapporte à ce domaine. Or, l’étude du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) sur la production audiovisuelle aidée en 2015 montre qu’ARTE fait des efforts en faveur du spectacle vivant dont la place sur la télévision publique recule pourtant. Le volume de commandes d’adaptation audiovisuelle de spectacle vivant est ainsi passé de 433 heures en 2014 à 391 en 2015 – correspondant à une diminution de soixante-cinq heures pour France Télévisions et à une hausse de dix-huit heures pour ARTE. Quel regard portez-vous sur la politique de soutien au spectacle vivant de la part des tutelles ?

M. Christian Kert. Comme la plupart de mes collègues, je suis rassuré par votre chaîne. Elle nous montre que la télévision peut conduire les téléspectateurs vers le beau et vers le haut – c’est suffisamment original pour être relevé. Quelle est la nature de vos rapports avec les producteurs indépendants ? Les coproductions ne se font-elles pas au détriment de la production française ? Avez-vous le souci de soutenir la production indépendante française ?

Mme Véronique Cayla. Nous travaillons uniquement avec des producteurs indépendants, y compris pour les coproductions. Nous ne faisons pas de production interne. Les Allemands s’organisent différemment puisqu’ils font beaucoup de production interne.

Les arts et spectacles ont été et restent un des fondamentaux d’ARTE. On en parle peu mais ils sont de plus en plus visibles sur internet, au travers d’ARTE Concert, dans lequel on trouve aussi bien de la musique classique que de la musique moderne, et même très moderne. Les musiques actuelles sont très présentes sur ARTE au travers des festivals de techno hard ou métal. Ce genre de création musicale est au moins aussi important que la musique classique et les opéras. Vous le retrouvez à l’antenne, mais peut-être un peu moins.

Concernant la territorialité des droits d’auteur, nous réussissons à appliquer tous les jours ce principe dont le respect est fondamental. Il suffit de se donner un peu de mal pour y parvenir. Nous ne sommes pas très favorables à la disparition potentielle de la territorialisation du droit d’auteur, y compris sur internet. Nous démontrons constamment qu’il est possible de le faire dans le cadre actuel. Il n’y a donc pas de raison de démolir un système qui a fait ses preuves.

Quant au dispositif « Tandem », non seulement nous le conservons, mais nous le généralisons : nous avons réussi à créer un fonds franco-allemand d’aide à l’écriture de fictions franco-allemandes. Nous développons en ce moment une série baptisée Eden, qui aborde la question des migrants. Ce fonds de co-développement a été mis en place par le CNC, à notre demande, en partenariat avec les Länder qui sont traités comme des régions françaises. Il est réjouissant de voir que nous pouvons faire des petites révolutions institutionnelles pour permettre des coproductions qui sont autrement très difficiles à faire, car nos imaginaires ne sont pas encore exactement les mêmes.

S’agissant des algorithmes, je tiens à vous rassurer, nous n’y sommes pas favorables : il faudra attendre qu’ils prennent en considération le désir de curiosité avant qu’on ne s’y laisse aller. Pour l’instant, je n’en connais pas. Il est, pour nous, trop important que la curiosité ou la découverte puisse être favorisée par ARTE pour qu’on se contente de reproduire ce qui a déjà été aimé par quelqu’un et de lui proposer de vivre toujours dans son cercle personnel.

La collaboration avec France Télévisions et les synergies au sein du service public audiovisuel portent sur plusieurs domaines, mais il serait possible d’aller plus loin. Nous faisons beaucoup de coproductions : en matière de fiction, avec TV5 Monde, en matière de documentaire, avec France Télévisions, en particulier pour les documentaires historiques afin de pouvoir financer l’accès aux archives qui est très coûteux. Nous avons coproduit récemment avec France 3 un documentaire sur les Brigades internationales. En général, nous demandons à pouvoir diffuser en premier puisque nous sommes les plus petits. C’est l’une des contraintes que nous impose la relation franco-allemande. Parfois, nous acceptons malgré tout que France Télévisions diffuse avant nous. Ces règles valent pour l’Allemagne également.

J’adresse un coup de chapeau à Franceinfo, car créer une chaîne d’information aussi rapidement ? il fallait le faire ! On peut peut-être regretter sa présence sur la TNT puisqu’elle est très adaptée aux usages numériques.

Nous avions proposé, dès 2015, d’apporter à cette chaîne ARTE journal junior, programme que nous sommes les seuls à fabriquer dans le paysage audiovisuel français. Ce n’est pas la peine de proposer à France Télévisions des programmes qu’elle diffuse déjà ; il est naturel qu’elle donne la priorité aux productions internes. Ce n’est que tout récemment que les négociations ont repris sur ce programme, mais elles butent sur un problème de durée : le programme dure dix minutes alors que les tranches horaires de Franceinfo sont limitées drastiquement à huit minutes. Il me semble compliqué d’expliquer aux journalistes français et allemands qui fabriquent ce journal à Strasbourg qu’on va couper une partie du programme qu’ils ont conçu ensemble. D’après ce que je sais, il y a de bonnes chances pour que cette frontière drastique de huit minutes évolue. On pourrait, dans ce cas, envisager une diffusion sans être obligé de charcuter un travail que les journalistes souhaitent légitimement voir respecté.

L’harmonisation des programmes continue de poser problème. Nous sommes toujours inquiets de voir France 5 proposer une case de cinéma sur la même ligne éditoriale que la nôtre, à savoir du cinéma patrimonial, le même jour, à la même heure. Cela nous choque toujours. Peut-être que les choses évolueront et que cela permettra de mettre de l’huile dans les rouages de notre collaboration.

Sur le plan éducatif, les négociations avancent bien avec France Télévisions sur notre programme Educ’ARTE. Cette plateforme de SVoD, nourrie de 400 heures de programmes d’ARTE en bilingue, est actuellement expérimentée par des établissements scolaires en France comme en Allemagne. On devrait pouvoir travailler avec le site franceinfo, même s’il n’a pas de programme bilingue. Ce site, gratuit, ne comporte que des extraits tandis que le nôtre est payant – peu cher – et présente des programmes complets. Notre complémentarité est suffisamment forte pour qu’en se donnant un peu de mal, nous arrivions à faire quelque chose ensemble. Cela me paraît naturel de se donner ce mal.

Mme Anne Durupty. Au sujet de l’évolution des recettes diverses, en 2014, nous avons fait remonter de notre filiale cinéma un million d’euros de recettes exceptionnelles, qui sont le résultat cumulé sur plusieurs années des recettes correspondant à notre part de coproducteur. Cela se réitérera peut-être mais pas avant quelques années, le temps que le stock se reconstitue.

La gouvernance franco-allemande ne sera pas affectée par le développement en Europe. Au contraire, il s’agit de bâtir sur un socle franco-allemand solide un projet au service de coopérations avec les partenaires européens.

Concernant le spectacle vivant, un indicateur de suivi retrace, année après année, nos investissements dans les principaux genres de la création – documentaire, fiction, spectacle vivant. Chaque année, nous rencontrons les syndicats de producteurs qui sont très attentifs à ces chiffres.

Comment rajeunir l’audience ? C’est une illusion absolue d’imaginer rajeunir l’audience de l’antenne classique. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne sommes pas attentifs à ce que nos programmes soient plus actuels – ce n’est pas exactement la même chose, mais cela peut néanmoins contribuer à atteindre l’objectif. Les grands documentaires d’investigation sur les questions géopolitiques actuelles ou des sujets de société comme les OGM atteignent de fait un public plus jeune que les documentaires historiques sur la seconde guerre mondiale. Depuis cinq ans, les évolutions éditoriales, que nous poursuivrons, tendent à proposer plus d’investigation et de décryptage du monde contemporain, autant de sujets susceptibles de séduire un public rajeuni.

Concernant l’audience, le fait de maintenir notre part de marché sur l’antenne, alors que les nouvelles chaînes ne cessent d’accroître la leur et que celle des chaînes historiques se réduit, est ambitieux en soi. Notre autre objectif est de multiplier par deux, le plus rapidement possible, le nombre de vidéos vues sur l’ensemble des territoires par l’ensemble des publics.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie pour ces presque deux heures d’échange. Vous aurez noté, à travers les différentes interventions, le regard bienveillant que nous portons sur ARTE, au nom de cette excellence médiatique à laquelle nous tenons tant, ainsi que la vigilance particulière, sur tous les bancs, à l’égard des ressources dont vous devez disposer pour mener à bien vos missions.

Mme Véronique Cayla. Je remercie les membres de la commission de leur écoute et de leurs paroles.

La Commission émet ensuite, à l’unanimité, un avis favorable au contrat d’objectifs et de moyens 2017-2021 d’ARTE France.

La séance est levée à dix-huit heures cinq.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 15 novembre 2016 à 16 heures 15

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Patrick Bloche, M. Xavier Breton, M. Pascal Deguilhem, M. Jacques Dellerie, M. Pascal Demarthe, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Christian Kert, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Michel Piron, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Paul Salen, Mme Sylvie Tolmont

Excusés. – M. Pouria Amirshahi, Mme Brigitte Bourguignon, M. Ary Chalus, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Romain Joron, Mme Sonia Lagarde, M. Alfred Marie-Jeanne, Mme Martine Martinel, M. Marcel Rogemont, M. Rudy Salles, Mme Julie Sommaruga, M. Jonas Tahuaitu