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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 18 janvier 2017

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 25

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition de M. Jean-François Mary, conseiller d’État, pressenti par le président de l’Assemblée nationale pour siéger au Conseil supérieur de l’audiovisuel

– Vote sur cette désignation en application de l’article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 18 janvier 2017

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède à l’audition de M. Jean-François Mary, conseiller d’État, pressenti par le président de l’Assemblée nationale pour siéger au Conseil supérieur de l’audiovisuel.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, je vous présente à toutes et à tous mes vœux les plus chaleureux, pour ce qui relève tant de la sphère privée que de la sphère publique, compte tenu du caractère particulier de l’année qui vient de commencer.

Notre ordre du jour nous amène à auditionner ce matin M. Jean-François Mary, candidat pressenti par le président de l’Assemblée nationale pour les fonctions de membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), puis à émettre un avis sur cette nomination.

Je rappelle que la loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public a modifié la composition du CSA ainsi que les modalités de désignation de ses membres. Ainsi, si les présidents de chacune des assemblées parlementaires conservent le pouvoir de nommer, chacun, trois des membres du CSA, ces nominations sont désormais soumises à « un avis conforme de la commission permanente chargée des affaires culturelles statuant à bulletin secret à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés ».

Conformément à notre souhait, la loi a également défini les critères de compétence devant être pris en compte pour la désignation des membres du CSA. Ceux-ci doivent ainsi être choisis « en raison de leurs compétences en matière économique, juridique ou technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans le secteur audiovisuel ou des communications électroniques ». S’ajoute en outre un critère de parité, puisqu’il est précisé que ces nominations « concourent à une représentation paritaire des femmes et des hommes ».

En novembre 2014, le bureau de notre commission a décidé de procéder pour ces nominations de la même manière que pour les nominations par le Président de la République en application de l’article 13 de la Constitution, c’est-à-dire en auditionnant la personnalité proposée préalablement au vote. Nous nous sommes prononcés de la sorte en janvier 2015 sur la candidature de Mme Nathalie Sonnac aux fonctions de membre du CSA.

Je vous souhaite la bienvenue au nom de notre commission, monsieur Mary. Diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris et titulaire d’un diplôme supérieur de lettres, vous êtes aujourd’hui conseiller d’État, président de la Commission paritaire des publications et agences de presse et de la Commission de classification des œuvres cinématographiques au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). L’audition d’aujourd’hui va vous permettre de vous présenter, de rappeler les étapes de votre parcours professionnel et de préciser les compétences que vous entendez apporter au CSA, ainsi que les domaines qui vous tiendront particulièrement à cœur en tant que conseiller. À l’issue de votre audition, nous procéderons à un vote à bulletins secrets sur votre nomination.

M. Jean-François Mary, conseiller d’État. Je suis heureux de m’exprimer devant vous ce matin et mesure l’honneur qui m’est fait de pouvoir ainsi présenter à votre approbation ma candidature aux fonctions de membre du CSA, après que le président de l’Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, vous a proposé mon nom. Je mesure aussi le degré de rigueur personnelle qui s’attache, pour chaque membre du CSA, à l’exercice de ces fonctions, qui touchent à l’indépendance de la télévision et de la radio, et à l’existence d’une instance de régulation indépendante dans les temps difficiles que traverse notre pays.

J’exposerai d’abord quelles ont été mes activités professionnelles. Je vous dirai ensuite l’état d’esprit dans lequel j’envisage cette candidature. J’achèverai mon propos par quelques observations sur le rôle qui me semble devoir être imparti, en France, à une telle instance, sans prétendre épuiser le sujet.

Quel a été mon itinéraire ? En février 1995, j’ai eu la grande chance d’être nommé au tour extérieur maître des requêtes au Conseil d’État, maison que je n’ai plus quittée depuis ce jour. J’ai été rapporteur, puis assesseur dans différentes chambres de la section du contentieux. À la sixième chambre, j’ai participé avec mes collègues à l’instruction et au jugement d’affaires de nature diverse : affaires d’urbanisme et d’environnement ; affaires liées aux actes disciplinaires des ordres professionnels des professions judiciaires, ainsi que de l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour les professionnels dits réglementés ; affaires liées à la carrière des magistrats ou à la condition des détenus. Dans des affectations antérieures, j’avais eu à connaître d’affaires liées au contentieux des décisions prises par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), par la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Une telle diversité de sujets peut surprendre, mais elle correspond au mode d’organisation et de répartition des affaires au sein du Conseil d’État.

Précédemment, j’étais entré en 1985, en tant que directeur administratif et des relations sociales, au groupe AGEFI-La Vie française, qui éditait des journaux économiques et financiers tels que La Tribune de l’économie, La Vie française et L’Agence économique et financière, qui se sont transformés ou ont disparu depuis lors. À l’époque, le groupe occupait une place importante dans le secteur de la presse financière. Mon travail consistait à appliquer le droit du travail et le droit de la presse. J’ai pu observer alors, à l’intérieur d’une entreprise, les relations qui pouvaient exister entre un éditeur de presse et les journalistes, ainsi que l’univers particulier des ouvriers du livre parisiens. Ensuite, j’ai exercé des fonctions davantage liées à la communication publique : j’ai été, de 1991 à 1993, chef du Service d’information et de diffusion (SID) du Premier ministre, devenu Service d’information du Gouvernement (SIG), puis, de 1993 à 1995, chef du service de presse de la présidence de la République.

Dans quel état d’esprit j’aborde cette candidature ? Toute personne qui examine les compétences du CSA constate que le législateur lui a confié, au fil des années, pour la télévision comme pour la radio, la sauvegarde de principes et de valeurs aussi fondamentaux et variés que le pluralisme des idées et des opinions, la protection de l’enfance et de la jeunesse, la dignité de la personne humaine, la diversité, l’égalité entre les femmes et les hommes, la défense de la langue française, etc. Cette énumération m’incite à une grande modestie lorsque je songe à la manière dont je pourrai exercer ces fonctions si vous approuvez ma candidature.

La première réflexion qui me vient à l’esprit est la suivante : compte tenu de la nature des fonctions que j’ai exercées et exerce actuellement au Conseil d’État, la pratique de la collégialité, l’habitude du secret le plus absolu de l’instruction et du délibéré et l’attention portée au choix des termes juridiques peuvent être utiles au CSA. J’ai acquis une certaine expérience en la matière pendant près de vingt ans.

Seconde réflexion : les missions extérieures qui m’ont été confiées pendant cette période ont porté, ainsi que le président l’a rappelé, sur les secteurs de la presse écrite, de la radio et du cinéma, l’une d’entre elles étant le contrôle des films au regard de la protection des mineurs. Ces différentes missions m’ont apporté une certaine connaissance du monde des médias, certes plutôt de la presse écrite et du cinéma, mais je crois que les points communs entre ces différents secteurs sont suffisamment nombreux pour que l’on puisse passer de l’un à l’autre.

Je préside actuellement la Commission paritaire des publications et agences de presse. J’ai présidé auparavant le fonds de soutien à l’expression radiophonique et le fonds d’aide à la modernisation de la presse, devenu ultérieurement le fonds stratégique pour le développement de la presse – son rôle a alors évolué et ses compétences ont été étendues. Le Parlement suit attentivement l’activité de ces organismes, et j’ai été auditionné à deux ou trois reprises à ce titre par certains d’entre vous.

Je retiens de ces expériences que le Parlement et les gouvernements successifs ont toujours cherché à faire évoluer le régime des aides de l’État à la presse, notamment pour tenir compte de l’importance croissante de la presse en ligne par rapport à la presse imprimée. J’en garde l’idée que l’intervention de l’État peut être bénéfique si elle parvient à poursuivre des objectifs précis et déterminés qui répondent bien aux besoins des entreprises de presse. C’est une nécessité évidente, mais c’est une tâche assez difficile car ces besoins varient considérablement selon les catégories de presse, au-delà de la simple distinction entre presse en ligne et presse imprimée. J’ai pu notamment le mesurer lorsque j’ai rédigé un rapport sur la notion d’ « information politique et générale ». Il s’agissait de savoir si cette notion avait encore un sens avec le développement de la presse en ligne par rapport à la presse imprimée, sachant que le régime des aides favorise plus particulièrement les organes d’information politique et générale.

Je préside aussi la Commission de classification des œuvres cinématographiques, qui intervient dans l’application d’un régime de police spéciale. La projection d’un film dans une salle de cinéma est, vous le savez, la seule activité culturelle pour laquelle le ministre délivre des autorisations préalables, après avis de ladite commission, qui associe des acteurs très divers : professionnels, fonctionnaires, experts, représentants de la jeunesse, de l’Union nationale des associations familiales (UNAF) et de l’Association des maires de France (AMF).

Ces différentes missions m’ont permis de mieux comprendre sur quelles constantes étaient fondés les mécanismes d’intervention de l’État à l’égard des médias, et comment les mettre en œuvre dans le cadre de commissions où chaque partie doit pouvoir exprimer son point de vue sereinement, avant que les éventuels désaccords soient tranchés par un vote.

Quelles sont, enfin, les perspectives pour une instance de régulation audiovisuelle telle que le CSA dans la période qui s’ouvre ? Je ferai, à titre personnel, quelques remarques qui sont loin de prétendre à l’exhaustivité.

Ce n’est pas à vous que je rappellerai que, à la télévision et à la radio, tout est en permanence remis en question par une série de facteurs : les progrès fulgurants du numérique, les phénomènes de convergence, les rapprochements et les fusions, la multiplication des écrans, mais aussi le changement profond de la manière dont les Français, à commencer par les plus jeunes, regardent la télévision. De ce fait et en raison de la multiplication des nouveaux appareils – téléviseurs connectés à internet, téléphones « intelligents », tablettes –, la proportion des images régulées ne cesse de diminuer au profit des images non régulées venant de France et, plus encore, de l’étranger. Il faut bien en être conscient.

La logique d’internet repose sur l’idée, probablement illusoire, que les individus sont censés jouir d’une forme d’hyper-liberté face à une hyper-abondance d’images et de sons. Je dis illusoire, car on peut nourrir des doutes sérieux quant à la justesse de cette thèse, compte tenu du rôle croissant de ce qu’on appelle les « algorithmes de recommandation ».

La législation de l’audiovisuel repose, pour sa part, sur une autre logique : en vertu de la loi, les fréquences hertziennes sont un bien public ; et, si la loi prévoit que l’attribution de ces fréquences aux opérateurs est gratuite, cela doit s’accompagner d’engagements de la part de ces derniers. Ainsi, le soutien à la création audiovisuelle, qui se fait par le biais des engagements de production et des quotas de diffusion, a pour vocation d’orienter l’offre d’images de télévision dans un sens qui ne correspond peut-être pas toujours au choix spontané des téléspectateurs, mais que l’on peut estimer conforme à l’intérêt général. Cette politique produit des résultats que l’on peut apprécier de manière très variable, mais on note quelques signes encourageants, notamment un renouveau des fictions françaises.

Ce qui est sûr, c’est qu’il faut toujours respecter l’équilibre entre l’accès gratuit au domaine public et le poids de ces engagements, tout en permettant aux entreprises de prospérer et de se développer, qu’il s’agisse de la télévision ou de la radio. Veiller à cet équilibre est une tâche difficile, presque une gageure, pour le CSA. En tout cas, nul ne songe dans notre pays à revenir en arrière par rapport aux exigences que le législateur a fixées et auxquels doit se soumettre l’audiovisuel tant public que privé.

Parmi les autres contreparties auxquelles sont soumis les opérateurs figure la qualité des programmes. Sur ce sujet, je m’en tiendrai à quelques remarques brèves et simples.

Il faut, selon moi, partir du constat que la télévision numérique terrestre (TNT), dont la réussite technique a été saluée de manière unanime, est aujourd’hui encore le mode de diffusion principal de la télévision. La TNT a considérablement élargi l’offre de chaînes gratuites pour un large public. Cela a nécessairement eu un effet sur la qualité de l’ensemble des chaînes et de chaque chaîne. Cependant, la diversité des chaînes n’épuise pas, loin de là, la question de la qualité ; elle n’est pas une réponse suffisante.

Le rôle du CSA est important en la matière : sur le fondement d’un suivi des programmes, qui représente un ensemble d’actions assez lourdes, il veille au respect des engagements pris par les sociétés de programmes ainsi que des obligations du service public. Le CSA y a ajouté des instruments nouveaux tels que les chartes conclues avec les opérateurs sur des points qui nous tiennent à cœur, par exemple l’accessibilité des programmes aux personnes souffrant d’un handicap ou la promotion d’une alimentation et d’une activité physique favorables à la santé.

Je mentionne un autre facteur qui joue un rôle largement reconnu en matière de qualité des programmes, même s’il n’est pas le seul : en France, le financement de l’audiovisuel est, de manière générale, insuffisant et, surtout, néglige les perspectives de long terme ; les groupes audiovisuels français, tant publics que privés, n’ont ni la surface financière ni la puissance de leurs homologues étrangers. Cette situation a fait l’objet de nombreux rapports.

D’autre part, en ce qui concerne l’information, les chaînes doivent respecter le pluralisme, l’honnêteté et la qualité, à la radio comme à la télévision. À cet égard, la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, dont le président Patrick Bloche a été le rapporteur, a donné au CSA une gamme d’instruments qui devraient lui permettre – ils n’ont pas encore été utilisés – d’éviter autant que possible des conflits comparables à celui qu’a connu une chaîne d’information en continu en décembre dernier.

Me fondant sur mon expérience à la Commission de classification des œuvres cinématographiques, je souhaite évoquer un sujet qui me tient à cœur : la protection des mineurs et des publics fragiles. Elle revêt aujourd’hui une importance particulière à la télévision et, au-delà même du champ de compétence du CSA, sur internet. Assister à la projection d’un film dans une salle de cinéma relève d’une démarche volontaire, individuelle ou collective. Il ne faut pas pour autant, loin de là, baisser la garde en matière de restriction d’accès pour les plus jeunes. Dans le cas de la télévision, un enfant ou un adolescent peut être confronté dans une situation de pure passivité à des images qui sont de natures à heurter gravement sa sensibilité. Dans le système actuel, il appartient aux chaînes de télévision d’avoir, de leur propre chef, le souci de la protection de l’enfance et de la jeunesse, mais aussi, ne l’oublions pas, du respect de la dignité humaine. Telles sont les exigences que le législateur a fixées et dont le CSA assure le suivi. Dans le cadre de mon activité à la Commission de classification, j’ai pu apprécier l’intensité et le sérieux du travail fourni par les services du CSA en la matière. Il s’agit, à mes yeux, d’un aspect essentiel de la régulation que doit exercer une instance telle que le CSA.

De plus, la représentation de la diversité et la représentation de la femme à la télévision et à la radio font désormais l’objet, en vertu de la loi elle-même, d’engagements annuels de la part des chaînes et de clauses particulières dans les conventions. Le champ d’intervention du CSA a été élargi sur ces questions.

D’une manière générale, c’est dans le contexte économique mouvant que j’ai décrit précédemment, qui nécessite des équilibres subtils, que doivent s’appliquer, d’une part, le régime des seuils de concentration et, d’autre part, les règles du jeu entre opérateurs, notamment entre éditeurs et distributeurs en matière de numérotation des chaînes dans les offres de programmes.

La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a été modifiée à de nombreuses reprises. Les jugements portés sur ces ajouts successifs sont très divers, et c’est bien naturel, mais il y a, me semble-t-il, une constante : le Parlement a toujours cherché à faire évoluer la loi afin qu’elle ne soit pas en décalage avec l’évolution du paysage audiovisuel. C’est un élément très important à mes yeux.

Mes dernières remarques porteront sur la place du CSA en tant qu’autorité publique indépendante et régulateur par rapport au Gouvernement, au Parlement et aux autres autorités publiques indépendantes, notamment l’ARCEP.

Un premier élément de réponse se trouve dans le statut de l’autorité elle-même. Ce statut a été notablement renforcé par les dernières lois, notamment celle de 2013. Concernant les rapports avec le Parlement, la proposition de loi portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, adoptée récemment, élargit les prérogatives du Parlement dans sa mission de contrôle de ces autorités, ce qui était tout à fait souhaitable. Par ailleurs, la liste de ces autorités a été, à juste titre, restreinte – je m’exprime ici à titre personnel. Dès lors que le rôle du Parlement sera ainsi renforcé, l’instance de régulation exercera l’ensemble des missions qui lui sont dévolues, tandis que le juge administratif, en l’occurrence le Conseil d’État, devra demeurer en arrière-plan. C’est sans doute cet équilibre qu’il est le plus nécessaire de trouver dans les années à venir.

S’agissant des liens avec les autres institutions, la réflexion est ouverte depuis longtemps, mais je ne saurais en dire davantage, la question relevant du législateur. Néanmoins, on peut tout à fait envisager, à textes constants, un dialogue et des coopérations entre les différentes autorités. Derrière cela se pose la question du poids respectif de la régulation juridique et de la régulation économique pour une instance telle que le CSA.

C’est au bénéfice de ces quelques observations, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, que j’ai l’honneur de soumettre à votre commission ma candidature aux fonctions de membre du CSA.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie. Je vais à présent passer la parole aux orateurs des groupes.

M. Michel Françaix. Il n’est pas inutile qu’en fin de législature votre audition, monsieur le conseiller d’État, permette de rappeler que nous avons voté une loi, grâce à laquelle l’audiovisuel public a vu son indépendance renforcée, par rapport au bon vouloir d’un seul homme, fût-il le Président de la République.

Cette loi a également renforcé l’autonomie de l’organisme de régulation et accru ses compétences. Elle a donné au Parlement la prééminence en matière de désignation de ses membres, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Nous avons enfin voulu que les nominations se fondent sur des critères de compétences juridiques, économiques ou techniques ainsi que sur l’expérience professionnelle, ce qui n’avait pas toujours été le cas par le passé.

Quoi qu’il en soit, c’est avec satisfaction que je salue votre expérience dans les médias, et tout particulièrement dans la presse écrite, puisque vous avez notamment présidé la Commission paritaire des publications et agences de presse.

Pour ce qui concerne les fonctions auxquelles vous prétendez aujourd’hui, estimez-vous nécessaire de garantir un certain équilibre entre chaînes publiques et chaîne privées, ce qui n’est pas simple ? Pensez-vous qu’il fait également partie des missions du CSA de garantir l’équilibre entre chaînes payantes et chaînes gratuites ?

Peut-être pourriez-vous également nous dire un mot sur la manière dont vous envisagez la circulation des œuvres dans la sphère audiovisuelle et l’évolution du système de régulation. L’audiovisuel est un monde en pleine mutation et sans doute conviendrait-il de repenser son cadre réglementaire, en desserrant quelques contraintes mais en veillant à mettre en place les nouveaux garde-fous que cette mutation impose : qu’en pensez-vous ?

M. Christian Kert. Monsieur le conseiller, si nous nous réjouissons de recevoir un spécialiste de la presse écrite, votre réflexion va désormais devoir se déployer dans un autre domaine.

Il ne vous aura sans doute pas échappé que l’opposition considère que, depuis quelques années, les lois successives que nous avons votées ont conféré trop de pouvoirs au CSA – opinion que vous n’êtes pas tenu, naturellement, de partager. Faut-il poursuivre dans cette voie ? Sans doute est-il encore un peu tôt pour que vous nous donniez votre sentiment sur la question.

Dans un rapport récent, Marcel Rogemont a mis en exergue la difficulté pour le CSA de demeurer un organisme indépendant, et ce quel qu’en soit le président. C’est pourtant, selon moi, le grand défi auquel il est confronté aujourd’hui et dans les années à venir. Considérez-vous donc que cette indépendance est possible en pratique et, si oui, faut-il pour la garantir améliorer les conditions de fonctionnement du CSA ?

Nous sommes ici, majoritairement, des défenseurs du secteur public de l’audiovisuel, lequel connaît certaines difficultés financières, liées notamment aux transformations actuelles du paysage audiovisuel. À titre d’exemple, il semble que la toute nouvelle chaîne d’information en continu du secteur public peine à véritablement éclore. Pensez-vous qu’il est du devoir du CSA de prendre en compte ces difficultés ?

Par ailleurs, dans la mesure où les téléspectateurs privilégient désormais les séries télévisées sur les films, les chaînes ont tendance à moins investir dans la production ou la promotion d’œuvres cinématographiques, ce qui, à terme, pourrait mettre en difficulté la production cinématographique. Là encore, pensez-vous que cette problématique concerne le CSA ?

Enfin, dans un paysage audiovisuel en pleine mutation, le CSA doit-il rester un organe de régulation et de contrôle ou doit-il se recentrer autour de nouvelles missions en impulsant et en encourageant de nouvelles politiques, par exemple en matière de synergies entre le cinéma et la télévision ?

M. Michel Piron. Permettez-moi de rappeler en premier lieu l’importance que revêt l’audiovisuel et en particulier l’audiovisuel public pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

En ces temps d’incertitude, l’accès à une information « neutre » et libre est un bien assez précieux pour que nous ayons le souci de le préserver et, si la liberté de communication et le respect du pluralisme sont deux piliers de la démocratie, en tant que garant de ces principes, le CSA occupe une place toute particulière.

Votre intervention liminaire, monsieur Mary, nous a éclairés sur votre parcours et vos précédentes missions, notamment au CNC et au Fonds de modernisation de la presse quotidienne ; nous notons que vous montrez dans toutes ces fonctions les qualités requises pour intégrer cette noble institution. J’imagine que vos connaissances des mutations technologiques que connaît le secteur de la presse seront très appréciées et trouveront certainement un écho au CSA.

Suivant le résultat du vote de notre commission, vous devriez prendre vos fonctions dans le contexte particulier de cette année électorale. J’aimerais donc vous interroger plus précisément sur les conséquences pour le CSA de la loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle.

Chacun sait que le groupe UDI était opposé à cette loi, en raison de la modification des temps de parole attribués aux candidats. Alors que, jusqu’à présent, une stricte égalité des temps de parole protégeait les prétendants une fois la publication au Journal officiel de la liste des candidats, désormais, pour comptabiliser le temps de parole, le Conseil supérieur de l’audiovisuel tiendra compte, premièrement, de la représentativité des candidats, appréciée d’une part en fonction des résultats obtenus aux plus récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent, et, d’autre part, en fonction des indications fournies par les sondages d’opinion – ce qui est pour le moins curieux si l’on songe que les sondages n’ont aucune valeur institutionnelle ; deuxièmement, de la « contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral ».

Sans m’attarder sur la volatilité des sondages, que chacun a récemment pu apprécier, savez-vous comment devrait s’organiser le passage d’un partage égalitaire du temps de parole à une répartition prétendument « équitable » ? Mais surtout comment le CSA va-t-il se prononcer sur un critère aussi singulier que « la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral » ? J’aimerais d’ailleurs connaître l’interprétation que vous faites de cet objet juridique mal identifié.

Ces remarques formulées, nous restons, bien sûr, favorables à votre nomination.

Mme Marie-George Buffet. Nous avons, au cours de cette législature, eu tendance à donner beaucoup de pouvoir au CSA. On peut s’en féliciter, mais estimez-vous que le fonctionnement actuel du CSA, sa composition, ses moyens – humains et matériels –, sont à la hauteur des nouvelles missions qui lui ont été confiées ?

Pensez-vous ensuite que le fonctionnement actuel du CSA garantisse véritablement son autonomie, et qu’en est-il selon vous de l’indépendance des médias confrontés à un phénomène de concentration du secteur dans les mains de groupes financiers qui n’appartiennent plus à des patrons de presse ? On sait en effet les problèmes que cela pose aux rédactions – je ne reviens pas sur le cas d’iTélé.

Je partage également les interrogations de Michel Piron sur la manière dont le CSA va appliquer les nouvelles règles applicables à l’élection présidentielle.

Enfin, en matière d’équilibre entre les chaînes publiques et privées, payantes ou gratuites, comment envisagez-vous la question des retransmissions sportives, que les chaînes payantes ont les moyens de s’accaparer en faisant monter les enchères, au détriment des chaînes publiques en accès libre ?

Sachez, pour conclure, que j’ai apprécié vos propos sur l’image de la femme à la télévision, ayant été particulièrement scandalisée par un reportage diffusé sur une chaîne privée nationale, qui présentait de manière assez positive les conditions de la prostitution en Espagne.

Cela étant dit, je donnerai un avis favorable à votre nomination.

M. le président Patrick Bloche. Nous en venons à présent aux questions des députés.

M. Christophe Premat. Parmi les défis que doit relever le CSA, vous avez mentionné l’équilibre entre audiovisuel public et audiovisuel privé, le suivi de la qualité des programmes et l’offre de services gratuits. Pour ce faire, le Conseil doit s’adapter au nouveau cadre législatif dessiné par la loi sur l’indépendance et le pluralisme des médias, ce qui induit naturellement une transformation de ses pratiques.

Lors des auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête sur les conditions d’attribution de la chaine Numéro 23, il est apparu que le CSA avait parfois du mal à exercer sa mission de contrôle, en raison du nombre croissant des tâches qu’il a à assumer. Dans ces conditions, quels seraient les axes prioritaires que vous entendriez privilégier parmi les nombreuses missions du CSA ?

D’autre part, si chacun se félicite des innovations numériques, elles induisent de profondes mutations des pratiques dans le secteur audiovisuel et remettent en question la télévision traditionnelle. Comment peut-on, selon vous, assurer un développement équilibré de ces deux modèles ?

Enfin, il me paraît essentiel de permettre l’accès de tous, et notamment des plus jeunes, aux grandes œuvres du patrimoine francophone, conservées à l’INA ou à la Cinémathèque. Pensez-vous qu’il fasse partie des missions du CSA de contribuer à renforcer leur diffusion ?

Mme Dominique Nachury. J’ai été très sensible à votre engagement en faveur de la protection de l’enfance et de la jeunesse, qui est l’une des missions importantes du CSA.

Qu’en est-il de la défense de la langue française et des actions à mener face à la multiplication des émissions qui portent un nom anglais, y compris sur les chaînes du service public, alors qu’elles sont destinées à un marché exclusivement francophone ?

M. Yannick Trigance. Vous avez présidé la Commission consultative sur les mesures d’interdiction concernant la prévention et la répression des infractions sexuelles et la protection des mineurs. Compte tenu de cette expérience, que pensez-vous pouvoir apporter concrètement au CSA, dont la protection de la jeunesse et des mineurs est une des attributions ?

M. Frédéric Reiss. L’audiovisuel traditionnel est aujourd’hui de plus en plus concurrencé par internet. Pour rester attractives et attirer des spectateurs, les chaînes de télévision frôlent parfois l’indécence, comme en témoignent les polémiques récentes suscitées par un geste déplacé dans l’émission Touche pas à mon poste, l’interview du mentor repenti des frères Kouachi ou la diffusion prématurée d’informations concernant des opérations sensibles.

En cas de récidive, le CSA dispose d’un arsenal de sanctions à l’encontre des responsables. Cependant, la mise en œuvre de ces sanctions n’est possible qu’après un nombre significatif de plaintes et de sommations et, bien souvent, le mal est déjà fait. Comment pensez-vous que le CSA puisse empêcher ces dérives de l’audiovisuel et limiter les effets négatifs de la recherche permanente du « buzz » ?

Il ressort par ailleurs du baromètre sur la diversité, publié le 13 janvier par le CSA pour l’année 2016, que les personnes « perçues comme non blanches » sont surreprésentées dans les activités marginales ou illégales, tandis que, globalement, les CSP+ sont surreprésentées à l’antenne, les moins de vingt ans, les plus de soixante-cinq ans ou les personnes perçus comme handicapées étant, quant à elles, sous-représentées. Cela confirme la déconnexion des médias par rapport à la réalité. Dans ces conditions, se dirige-t-on vers un système d’obligations ou de quotas, comme c’est le cas dans d’autres pays ?

M. Hervé Féron. Monsieur Mary, vous êtes actuellement président de la Commission de classification des œuvres cinématographiques. Vous avez même été chargé par Fleur Pellerin en 2015 d’une mission sur la classification des œuvres relatives aux mineurs de 16 à 18 ans. Ce sujet suscite régulièrement des polémiques, comme on l’a encore vu récemment avec le film Sausage Party. Il est en effet problématique que la justice administrative prenne parfois le contrepied de l’avis de la Commission de classification, en décidant d’interdire aux moins de 18 ans ou aux moins de 16 ans des films qui n’auront pas la même diffusion et donc pas les mêmes retombées économiques. Dans votre rapport, vous avez formulé des propositions, dont un nouveau système de classification des films créant notamment une catégorie intermédiaire entre 12 et 16 ans. Pouvez-vous nous indiquer lesquelles de ces propositions devraient être mises en œuvre et selon quel calendrier ?

Si, auparavant, la télévision fournissait, en matière d’audiences, des données globales – on parlait de Médiamat –, l’arrivée du digital a permis d’obtenir énormément de données individuelles. Ces données sont présentées comme le Graal du numérique, car elles permettent une publicité ciblée, et donc très rentable. Et, en effet, en 2017, le marché publicitaire sur internet dépassera celui de la télévision. Or, cette manne est largement confisquée par Google et Facebook, multinationales faisant partie des GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, ces géants de l’internet qui occupent une situation dominante sur les marchés créés par la transformation numérique. Vous reconnaîtrez aisément dans ma question le titre de la table-ronde organisé par le CSA en septembre 2016 : en matière de données d’audience, « quel équilibre entre innovation et protection des consommateurs » favoriserez-vous si vous êtes nommé au CSA ?

M. Pascal Demarthe. Les programmes audiovisuels doivent aujourd’hui contribuer à l’éducation citoyenne, et en premier lieu à celle des jeunes. Cela passe notamment par le respect et la reconnaissance de nos diversités. Le CSA a créé en 2007 un observatoire de la diversité et a publié un baromètre de la diversité pour 2016 il y a quelques jours. Il est en effet essentiel d’évaluer dans quelle mesure la télévision est représentative de la population.

La diversité est un enjeu fondamental. Elle concerne aussi bien l’âge, la classe sociale, le sexe, le handicap que les origines ethniques. Or les chiffres parlent d’eux-mêmes : la représentation de cette diversité à la télévision est bien en-deçà de sa réalité dans le corps social, notamment dans les programmes d’information et dans les journaux télévisés, qui devraient pourtant en être un reflet aussi fidèle que possible.

À titre d’exemple, alors que les moins de 20 ans représentent un quart de la population, ils ne sont visibles à l’antenne que 9 % du temps. Cette distorsion est encore plus flagrante en ce qui concerne la représentation du handicap : alors que 20 % de la population, c’est-à-dire un Français sur cinq, est atteinte d’un handicap visible ou non visible, cette proportion à l’antenne est inférieure à 1 %.

On voit ici limites de l’action du CSA. Il semblerait qu’une fois constatée cette distorsion entre la télévision et la réalité sociale, celui-ci n’ait pas vraiment les moyens d’agir pour la corriger. Ne faudrait-il pas dès lors instaurer un système d’obligations visant à accroître la diversité à l’antenne, comme c’est le cas aux États-Unis, pour corriger cette déconnexion des médias par rapport à la réalité ?

Plus globalement, quelles pistes proposeriez-vous pour rétablir une juste représentation de la population à la télévision, laquelle a un rôle majeur à jouer dans la construction de la cohésion sociale ?

Toujours dans cette perspective, il avait été demandé au CSA et à France Télévisions de veiller à améliorer la représentation des femmes dans les médias, leur temps de parole étant encore nettement inférieur à celui des hommes. Qu’entendez-vous donc faire pour améliorer l’image de la femme dans les médias ?

De même, avez-vous des projets concernant la promotion du sport féminin mais aussi du handisport ? Les sports féminins et paralympiques souffrent d’un manque d’audience, et sans doute les jeux Olympiques de 2024 à Paris pourraient-ils constituer l’occasion de mettre en place véritable politique en la matière.

M. Jean-Pierre Allossery. Le CSA a vu le nombre de plaintes de téléspectateurs exploser l’année dernière, passant de moins de neuf mille en 2015 à un peu moins de quarante mille en 2016. Il convient certes de relativiser ces chiffres, le CSA ayant facilité la procédure permettant d’effectuer un signalement. Néanmoins ce qui fait réagir les Français est connu : leurs plaintes ont d’abord visé cette année un provocateur notoire, puis le présentateur d’une émission particulièrement vulgaire. Que pensez-vous de la politique du CSA en la matière ? Doit-il encore améliorer les dispositifs de signalement et davantage communiquer sur le sujet auprès des téléspectateurs ?

Mme Julie Sommaruga. Je souhaiterais vous interroger sur deux missions essentielles du CSA.

Ma première question portera sur la protection du jeune public, que vous avez évoquée dans votre propos liminaire. Notre jeunesse peut être confrontée à des images et à des propos violents et choquants à la télévision comme sur les sites de médias à la demande. Si des mesures ont déjà été prises, notamment avec le développement d’une signalétique jeunesse et des campagnes de sensibilisation en direction du jeune public et des parents, quelles mesures le CSA pourrait-il utilement prendre pour que notre jeunesse soit encore mieux protégée ? Quelle est votre position vis-à-vis de certaines émissions qui véhiculent des valeurs qui sont à l’opposé de celles de respect, de tolérance, de dignité de la personne et de vivre-ensemble, et qui peuvent exercer une influence sur le savoir-être de notre jeunesse ?

D’autre part, l’une des missions du CSA consiste à veiller à la représentation de notre diversité dans les programmes audiovisuels. Or, force est de constater que la diversité, véritable richesse de notre société, est toujours aussi sous-représentée sur nos écrans, et quand elle l’est, c’est bien souvent de manière négative ou caricaturale – alors même que les habitants et les associations des quartiers populaires s’impliquent de façon remarquable et qu’il nous faut approfondir la lutte contre les discriminations et les amalgames. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. Marcel Rogemont. L’indépendance du CSA se conquiert chaque jour par un comportement qui installe la distance nécessaire avec les opérateurs publics et privés, alors même que les missions de cette institution imposent des relations très fréquentes. L’actuel président du CSA est très attentif à cet aspect.

J’observe que vous êtes encore rapporteur général adjoint devant la Commission de la déontologie. Avez-vous des observations sur la façon dont la loi de 1986 aborde ce sujet en ce qui concerne le CSA ? Quelles propositions pourriez-vous faire sur ce point ?

Mme Martine Martinel. Votre exposé et votre curriculum vitae rendent votre candidature si séduisante que l’on peut se demander si Olivier Schrameck n’a pas du souci à se faire ! (Sourires.)

En ce qui concerne le financement de l’audiovisuel, vous avez regretté que l’on néglige par trop le long terme. Vous avez également souligné l’importance des relations entre le CSA et les différentes autorités administratives indépendantes, notamment l’ARCEP. Sur ces deux points, pouvez-vous nous en dire plus ?

M. le président Patrick Bloche. Merci, mes chers collègues, de ce débat très vivant et de ces très nombreuses questions, qui ont abordé énormément de sujets. Tous ne pourront pas être traités aussi complètement qu’ils le mériteraient, car le temps nous est compté.

En outre, monsieur le conseiller d’État, vous n’êtes pas tenu de répondre aux questions qui relèvent, soit de notre responsabilité de législateur, soit de celle des dirigeants des sociétés de l’audiovisuel public dans leurs relations avec l’État et dans le cadre de leurs contrats d’objectifs et de moyens. Mais vous avez néanmoins de la matière…

Vous aurez noté l’attachement de toute la Commission à l’audiovisuel public ; vous aurez noté également l’estime que nous portons tous au CSA et l’importance que nous attachons à son rôle de régulateur. La loi de 2013 a notamment renforcé son pouvoir de régulation économique – au moment où la concentration des médias est préoccupante.

M. Jean-François Mary. Je commencerai par trois remarques liminaires.

Je suis comme vous frappé par le fait que le législateur a beaucoup élargi, dans la période récente, les compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Pour ma part, je ne suis pas hostile – c’est un réflexe personnel, intellectuel – à l’idée d’une évolution des compétences de cette institution, dans un sens comme dans l’autre d’ailleurs, à condition, cela va sans dire, d’éviter les à-coups.

Je souligne aussi que le législateur, comme le pouvoir réglementaire, peuvent intervenir, notamment pour ce dernier, par le biais des cahiers des charges. Ceux-ci sont des textes fondamentaux, mais je ne pense pas que les textes réglementaires doivent être trop précis, trop développés, trop abondants.

Quant au CSA, l’augmentation du nombre des plaintes qui lui sont adressées a été soulignée : il est sain à mon sens qu’un nombre croissant de téléspectateurs veillent à la qualité des programmes et réagissent s’ils le jugent opportun. Les Français ne sont pas passifs devant leur télévision, et c’est plutôt réconfortant ! Mais le CSA doit s’adapter et porter une grande attention à la façon dont il peut corriger les excès les plus critiquables – je ne reviens pas sur les exemples qui ont été donnés, car mon rôle n’est pas de condamner tel ou tel programme – sans porter atteinte à la liberté d’organisation et de programmation des chaînes elles-mêmes. Placer judicieusement ce curseur doit être à mon sens une préoccupation permanente du CSA, mais ce n’est certainement pas facile.

Enfin, la question de l’indépendance est revenue plusieurs fois. Le CSA nomme les présidents des sociétés de l’audiovisuel public, et il doit aussi contrôler leur action ; il a réussi jusqu’à présent, je crois, à tenir les deux bouts de la chaîne, et le contrôle n’a pas été négligé. Je n’ai pas d’idée toute faite sur ces questions. Ce qui est essentiel, c’est de garantir l’indépendance de l’audiovisuel public, donc de ses dirigeants. Il existe en Grande-Bretagne ou en Allemagne d’autres manières d’assurer cette indépendance : ainsi, outre-Rhin, c’est un Haut Conseil pluraliste qui détient cette mission, et l’on ne peut pas dire que l’audiovisuel public allemand ne soit pas indépendant. Il y a plusieurs façons de garantir l’indépendance.

Monsieur Françaix, vous évoquez l’équilibre entre chaînes publiques et privées. J’y suis comme vous très attaché. S’agissant de l’équilibre entre chaînes payantes et chaînes gratuites, la télévision numérique terrestre (TNT) a permis, vous le savez, de proposer un nombre croissant de chaînes gratuites. Parmi celles qui ont été autorisées en 2012, certaines ont un niveau d’audience correct. Il est donc possible d’atteindre des équilibres satisfaisants.

Quant à la presse écrite, sa situation n’est pas symétrique de celle de l’audiovisuel : elle n’appartient pas au domaine public – ce qui est très positif à mon sens – et la réglementation n’est dès lors pas la même. Je ne pense pas qu’il faille préconiser un changement de ces principes fondamentaux.

Il est essentiel d’assurer la circulation des œuvres : cela passe par le soutien à la création, mais aussi par la chronologie des médias – question qui ne relève pas du CSA.

Le rôle du CSA – cela a été dit plusieurs fois – est d’articuler la régulation économique et la régulation juridique. Quant à l’évolution du cadre réglementaire, c’est au législateur que cette mission revient.

Monsieur Kert, il me semble qu’il est encore difficile de commenter la situation de la nouvelle chaîne publique d’information Franceinfo, surtout dans un contexte où certaines chaînes privées d’information évoluent d’une façon que je qualifierai de contrastée. On ne peut qu’envisager avec sympathie ce projet qui vise à créer des synergies entre différentes sociétés de l’audiovisuel public, télévision et radio. Je prends donc note de vos remarques, tout en restant, vous l’entendez, très prudent. L’information est l’une des vocations principales du service public : il n’est pas illogique que celui-ci dispose d’une chaîne qui y soit entièrement consacrée. Nous devrons néanmoins nous montrer attentifs.

S’agissant de la production cinématographique, j’appartiens à une génération ancienne qui préfère les films aux séries télévisées – même si j’entends dire de toutes parts que les séries permettent une véritable création audiovisuelle, et que je me réjouis de l’éveil de la fiction télévisée française. Je n’aborderai pas ici le financement du cinéma, qui relève du CNC. Mais je note qu’il y a eu en 2016 213 millions d’entrées dans les salles de cinéma, ce qui constitue la deuxième meilleure année depuis cinquante ans ; même si neuf films américains figurent parmi les dix premiers, la part de marché des films français est d’environ un tiers, ce qu’il faut saluer. Cinéma et séries constituent deux démarches différentes, qui se portent plutôt bien en ce moment, même si la vigilance reste de mise. Mais nous sortons ici quelque peu des compétences du CSA.

Vous proposez enfin du CSA une vision tout à fait nouvelle, tout à fait intéressante, avec de nouvelles missions notamment économiques. Ces débats reviendront certainement devant vous. N’oublions pas non plus tout ce que peut faire le Gouvernement.

M. le président Patrick Bloche. Je me permets de vous indiquer que le temps de notre réunion sera bientôt écoulé.

M. Jean-François Mary. Je vais resserrer mes réponses, monsieur le président.

Monsieur Piron, vous abordez la question de la répartition du temps de parole pendant la campagne électorale qui s’annonce. En privilégiant le principe d’équité, le législateur organique a fait un choix qu’il a considéré comme réaliste. Ces nouvelles dispositions obligent le CSA à se montrer d’autant plus vigilant pour assurer l’équilibre entre les différentes sensibilités ; il dispose en effet d’une marge de manœuvre pour fixer des critères aussi justes et cohérents que possible. Je ne peux pas en dire davantage aujourd’hui, mais les enjeux sont si importants que je suis certain que les choix du CSA seront scrutés de près et donneront lieu à de riches débats.

Madame Buffet, je ne peux qu’approuver ce que vous avez dit sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette question est revenue plusieurs fois. Il est vrai que la profusion des chaînes de télévision crée une âpre concurrence, et que certaines choses ne sont pas acceptables. Or, regarder la télévision chez soi, ce n’est pas du tout la même chose que se rendre dans une salle de cinéma : devant ces excès, le CSA doit donc intervenir mais de façon mesurée.

Dans l’exercice du pouvoir de sanction, cela a été rappelé, la jurisprudence du Conseil d’État et plus encore de la Cour européenne des droits de l’homme nous obligent à garantir les droits de la défense du début de la procédure d’instruction jusqu’à la décision finale. Le CSA prend en considération tous ces éléments, sans que cela entrave, je l’espère, l’efficacité de son action. Mais il ne peut pas intervenir en permanence, sans quoi on lui opposerait la liberté éditoriale des chaînes – grand mot, je vous l’accorde, pour certains programmes. Il y a donc un équilibre à trouver.

Madame Nachury, vous avez raison, l’invasion de l’anglais, ou plutôt d’un faux anglais, est préoccupante. C’est une question qui mérite toute notre attention.

Monsieur Rogemont, j’appartiens en effet à la Commission de déontologie, qui a pour rôle de surveiller le départ des agents publics vers le privé. La question se pose de façon un peu différente au CSA. Les récents textes offrent aux membres du Conseil, me semble-t-il, les moyens statutaires d’assurer leur indépendance, même s’il appartient à chacun d’agir avec rigueur.

Quant à la Commission de classification des œuvres cinématographiques, elle relève, vous le savez, d’un régime de police : elle doit rechercher un équilibre entre la protection des mineurs et le respect de la liberté de création. J’avais en effet rédigé un rapport sur ce sujet.

Les contentieux que nous avons connus ont démontré que nos textes réglementaires avaient mal vieilli : s’il faut sans doute maintenir la classification X pour les films pornographiques, il paraît nécessaire de préciser les critères – images de violence, de sexe – des interdictions aux mineurs de dix-huit et de seize ans. Le Gouvernement n’a pas repris l’intégralité de mes propositions : en particulier, la ministre n’a pas souhaité multiplier les classes d’âge et a donc repoussé l’idée d’une catégorie intermédiaire des mineurs de quatorze ans. Un texte consacré à la tranche d’âge de seize à dix-huit ans est je crois en préparation.

Je termine d’une phrase : c’est au législateur qu’il revient de déterminer quelles doivent être les relations entre le CSA et les autres autorités administratives indépendantes, notamment l’ARCEP.

M. le président Patrick Bloche. Monsieur le conseiller d’État, je vous remercie et vous laisse quitter la salle pour que nous puissions passer au vote.

*

La Commission procède ensuite au vote, à bulletin secret, sur cette nomination, en application de l’article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, voici le résultat du scrutin :

– nombre de votants : 36

– nombre de suffrages exprimés : 35

– pour : 33

– contre : 2

La Commission donne en conséquence un avis favorable à la nomination de M. Jean-François Mary aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel.

La séance est levée à onze heures vingt.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 18 janvier 2017 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Véronique Besse, M. Patrick Bloche, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Brigitte Bourguignon, M. Xavier Breton, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, M. Jacques Dellerie, M. Pascal Demarthe, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, M. Yves Durand, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, M. Jean-Pierre Giran, M. Mathieu Hanotin, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Vincent Ledoux, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, Mme Stéphanie Pernod Beaudon, M. Michel Piron, M. Michel Pouzol, Mme Régine Povéda, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Marcel Rogemont, M. Paul Salen, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Michèle Tabarot, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert, M. Yannick Trigance, M. Patrick Vignal

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Emeric Bréhier, M. Bernard Brochand, M. Ary Chalus, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, M. Michel Herbillon, Mme Gilda Hobert, M. Romain Joron, Mme Sonia Lagarde, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Rudy Salles, M. Jonas Tahuaitu

Assistait également à la réunion. - M. Jean-Pierre Vigier