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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Mercredi 9 juillet 2014

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 23

Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Serge Boscher, directeur général de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII)

–  Présences en réunion

Présidence
de M. Luc Chatel,

L’audition commence à seize heures quinze.

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons aujourd’hui M. Serge Boscher, directeur général de l’Agence française pour les investissements internationaux – AFII –, qui est chargée de promouvoir à l’étranger l’image de notre pays. À ce titre, il a une bonne connaissance de l’attractivité de la France comparativement à celle des autres pays. C’est pourquoi il nous a semblé utile de lui demander s’il avait constaté une aggravation de l’exil des acteurs économiques.

Avant de vous entendre, monsieur, je vous demande, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Serge Boscher prête serment.)

M. Serge Boscher, directeur général de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII). La problématique qu’étudie votre commission d’enquête n’est pas au cœur des préoccupations de l’agence que je dirige, laquelle a pour mission d’attirer en France les investissements étrangers créateurs d’emplois. Nous pouvons toutefois faire part de notre appréciation « en miroir ».

La question posée est celle des talents. Dans notre économie moderne, postindustrielle, les facteurs d’attractivité sont de plus en plus liés aux talents et à l’écosystème dans lequel ils évoluent. L’importance croissante des activités de services rend la matière grise de plus en plus nécessaire. Or la capacité de la France à se différencier des autres pays grâce à ses talents est une clef de la réussite. Ainsi, nous n’avons jamais eu autant de décisions d’investissements étrangers en matière d’innovation – recherche et développement (R&D), ingénierie, design – qu’en 2013, où leur nombre a augmenté de 32 % par rapport à 2012. On nous concède donc un réel avantage comparatif. La qualité de nos ingénieurs est reconnue par les investisseurs étrangers que nous rencontrons chaque jour, lesquels connaissent bien les politiques publiques mises en place – les pôles de compétitivité et un crédit d’impôt recherche qui, d’après le cabinet d’audit KPMG, est le meilleur d’Europe. Il ne s’agit pas seulement d’être bons, mais d’être – ou de paraître – meilleurs que les autres.

Chaque année, l’AFII fait au Gouvernement des recommandations concernant des mesures destinées à améliorer l’attractivité de la France pour les talents étrangers : c’est ainsi qu’ont été mis en place les titres pluriannuels de séjour pour les dirigeants et les salariés étrangers. Le 17 février 2014, le Conseil stratégique de l’attractivité a décidé la création d’un « passeport talent », pris des dispositions pour faciliter l’accueil et l’accès au travail des étudiants étrangers, ou pour accélérer la délivrance du numéro de sécurité sociale.

Parallèlement, nous organisons une conférence annuelle des dirigeants français d’entreprises étrangères. Nous en avons repéré quelque 240 qui occupent des postes stratégiques – présidents-directeurs généraux, patrons de branche ou de filiale – en France ou à l’étranger. La première conférence, en août 2013, a réuni cinquante et un de ces Français en présence de trois ministres. La deuxième aura lieu le 29 août prochain à Bercy, où nous escomptons en accueillir au moins soixante. Nous souhaitons faire d’eux des relais de notre action : dans le processus de décision, un Français plaide généralement en faveur de son pays d’origine. Nos compatriotes à la tête de filiales françaises de groupes étrangers nous aident beaucoup pour des projets d’investissements qui, dans une situation de compétition, sont très mobiles. Nous avons donc identifié la question des talents français à travers une action d’influence.

Certains territoires veulent tirer parti de nos talents exilés et vont les chercher à l’étranger pour les convaincre de revenir en France : ce sont, en général, des personnes qui, ayant passé cinq à dix ans hors de nos frontières, aspirent à retourner au pays. Ainsi, dans le cadre du programme « Home Sweet Home », les équipes de Provence promotion – agence de développement économique créée il y a plusieurs années par la métropole marseillaise – se rendent dans la Silicon Valley pour tâcher de convaincre les Français qui y travaillent de venir poursuivre leur aventure entrepreneuriale en Provence. Plusieurs dizaines d’entre eux ont franchi le pas.

Chaque année, un baromètre TNS-Sofres mesure la perception de l’attractivité de la France par les investisseurs étrangers. Ces chiffres alimentent le rapport annuel que nous remettons au Gouvernement et dont les recommandations sont confidentielles. En 2013, on compte 685 décisions d’investissement étranger créateur d’emplois en France. Après un record de près de 800 décisions en 2010, leur nombre s’est stabilisé autour de 700 décisions depuis 2011 – ce qui, dans un contexte de stagnation économique et de concurrence exacerbée, constitue une performance. Nos amis allemands et britanniques ne nous font en effet aucun cadeau : nous sommes en situation de guerre économique pour accueillir l’emploi et la valeur ajoutée. La tendance est positive, puisque, il y a dix ans, le nombre de décisions se situait plutôt autour de 550 à 600.

L’enquête ne rassemble pas seulement des données objectives, elle comporte aussi un volet qualitatif, qui trahit un problème de communication : c’est dans les grands pays émergents – qui représentent 11 % des investissements en France en 2013 – que notre déficit d’image est le plus important. Si nous avons toujours une bonne image du point de vue culturel ou gastronomique, nous n’y sommes pas toujours connus – même dans les milieux d’affaires – comme la cinquième puissance économique du monde, comme le pays en Europe qui compte plus de grandes entreprises parmi les 500 plus grandes entreprises mondiales que le Royaume-Uni ou l’Allemagne. C’est pourquoi l’AFII, mandatée par le Gouvernement, a mené une politique de communication destinée à réduire l’écart entre la réalité et sa perception.

Pour ce qui concerne nos deux grands clients, nous constatons en 2013 une baisse d’environ 20 % des investissements américains et une baisse plus légère, de l’ordre de 6 %, des investissements allemands. Ces données nous invitent à une certaine vigilance, puisque ces pays comptent pour un tiers des projets d’investissement étranger en France contre 40 % pour les années précédentes, à raison de 17 à 18 % pour les Allemands et de 22 à 23 % pour les Américains. Cette inflexion est corroborée par les résultats de notre sondage de 2013 : la perception de l’attractivité de notre pays est en baisse nette chez les investisseurs allemands et subit un tassement chez les Américains.

Ces observations justifient une politique de communication très offensive, avec une forte implication du Gouvernement et du chef de l’État qui, le 17 février dernier, a réuni le Conseil stratégique de l’attractivité pour la première fois sous son quinquennat – cet organisme n’avait été réuni qu’une fois, en 2011, et sous la présidence du chef de l’État, les autres réunions ayant été présidées par le Premier ministre. Cette réunion s’est tenue à la suite d’un déplacement du Président aux États-Unis, en particulier dans la Silicon Valley : les entreprises des pays émergents sont, en effet, attentives à la direction que prennent les investissements américains.

La dernière de nos campagnes de communication, fondée sur l’innovation – « Say oui to France, say oui to innovation » –, a été engagée, à la fin de 2012, par Mme Fleur Pellerin, alors ministre déléguée aux PME, à l’innovation et à l’économie numérique, et s’est terminée fin 2013. Dans la continuité, l’initiative « French Tech », lancée par Mme Pellerin, a été reprise par M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, et Mme Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du numérique. Par ailleurs, des travaux sont menés sur la « marque France ». Il s’agit de diffuser un récit économique clair, une image fidèle de notre pays, puissant sur les plans scientifique et économique.

Il importe également d’améliorer l’environnement des affaires en France. Le rôle du Conseil stratégique de l’attractivité consiste à écouter les investisseurs étrangers, mais aussi à proposer et à prendre de nouvelles mesures. Nous sommes, je le répète, en guerre économique. Nous faisons en permanence l’objet de comparaisons de la part de nos concurrents, et nous-mêmes nous nous comparons sans cesse à eux. Nous ne devons accuser aucun retard et il nous faut rester très vigilants sur les « fondamentaux » : le cadre réglementaire, fiscal et social doit être aussi incitatif que possible. Dans cette optique, le dernier Conseil stratégique de l’attractivité a annoncé une vingtaine de mesures.

M. le président Luc Chatel. Nous entendons avec plaisir votre message optimiste au sujet des relocalisations ou des talents français qui se trouvent dans les grandes entreprises internationales. Voilà qui met du baume au cœur ! Mais il ne faut pas que ce soit l’arbre qui cache la forêt. Il ne s’agit certes pas de blâmer qui que ce soit, mais de comprendre un phénomène : celui du départ de centres de décisions, d’entreprises, de dirigeants qui préfèrent, pour diverses raisons, s’établir sous d’autres cieux.

Vous affirmez que nous avons connu un record d’investissements en matière d’innovation. Nous avons en effet des dispositifs très attractifs en la matière, mais il s’agit là de volume. Qu’en est-il en termes de parts de marché ? Quelle est l’évolution des investissements en France par rapport à celle constatée en Europe ?

Vous avez évoqué l’enquête TNS-Sofres. Quelle image les dirigeants étrangers ont-ils de la France ? Qu’en est-il de leur éventuelle envie d’investir en France ? Avez-vous des données sur le moyen terme ? Voyez-vous des phénomènes nouveaux se dessiner ?

De la même manière, que représentent en Europe les quelque 700 décisions d’investissement que vous évoquiez ? La France reste-t-elle dans la course ?

Enfin, vos clients sont parfois les mêmes que ceux qui cherchent d’une manière ou d’une autre à délocaliser : il s’agit d’entreprises internationales qui soit investissent dans un marché donné pour développer leurs affaires, soit cherchent à optimiser leurs coûts, leurs charges, leur logistique, et qui décident de relocaliser à tel ou tel endroit. Que vous disent ces dirigeants sur ce que la France représente pour eux et sur ce qu’ils pensent de son attractivité ? S’ils la trouvent insuffisante, quelles mesures préconisent-ils ?

M. Serge Boscher. Le rapport 2013 de l’AFII a confirmé une tendance : l’érosion des quartiers généraux européens. En 2013, seuls cinq ont choisi la France, contre douze en 2012 et vingt en 2011. Nous avons alerté le Gouvernement à ce sujet et une mission d’inspection est en cours, confiée à l’inspection générale des finances. Les quartiers généraux sont des investissements mobiles, qui s’implantent là où ils jugent opportun de le faire à un moment donné. Ils ne sont pas forcément liés aux évolutions du marché.

En ce qui concerne les centres de décision qui partent, l’AFII ne recense pas les flux sortants, mais uniquement les flux entrants, et, je l’ai dit, le nombre de centres de décision mobiles est en baisse. Or l’établissement en France d’un centre de décision a un impact sur d’autres investissements.

Pour ce qui est de l’évolution des investissements en France par rapport à ce qu’elle est en Europe, il n’existe pas de classement labellisé consensuel. Le « baromètre EY » – anciennement Ernst & Young – fait office de référence et permet de mesurer les investissements créateurs d’emplois avec un périmètre plus réduit que celui de l’AFII – EY ne prend pas en compte la reprise de sites en difficulté ni certains secteurs comme le commerce ou le tourisme. L’évaluation concernant la R&D place la France au troisième rang.

Nous avons lancé, dès 2009, l’enquête annuelle TNS-Sofres, qui constitue un matériau indispensable à la rédaction de notre rapport – lui-même élément clef de notre contrat d’objectifs et de performances. On peut avancer que les grands pays émergents, comme la Chine, ont une meilleure perception de la France. Cependant, on note une érosion pour les pays proches comme l’Allemagne, cependant que la perception de notre pays par les investisseurs américains est plus fluctuante.

Que représentent en Europe les quelque 700 décisions d’investissements ? Là aussi, je renvoie au baromètre EY : nous sommes troisièmes pour le nombre de projets – on en dénombre 514. Si nous restons derrière les Britanniques et les Allemands en termes de projets, nous sommes passés devant les Allemands en nombre d’emplois : nous étions au cinquième rang en 2012 et nous nous sommes hissés au deuxième rang en 2013. Pour sa part, l’AFII a recensé 26 000 emplois créés ou sauvegardés par les investissements étrangers en 2012, pour 693 projets ; en 2013, ce sont près de 30 000 emplois qui ont ainsi été créés ou sauvegardés pour 685 projets. La baisse a donc été enrayée grâce à des projets importants, comme ce centre de services créé à Lille par IBM, qui a engagé 1 000 personnes, ou grâce à des reprises de sites en difficulté, comme celle des usines d’aluminium du groupe Rio Tinto par le groupe allemand Trimet, qui a permis le maintien de 500 emplois.

En 2013, un projet d’investissement étranger représente en moyenne 41 emplois : il y a sept ans, c’était 60 emplois, mais, après une chute régulière, on était tombé à 37 emplois par projet en 2012. En général, les projets industriels ou de services que nous attirons sont à forte valeur ajoutée : ce qui les intéresse, c’est notre main-d’œuvre qualifiée, mais cela ne représente jamais des centaines d’emplois. En outre, les usines que nous accueillons sont très numérisées et la productivité horaire y est importante. Ainsi avons-nous remporté, contre les Allemands et les Néerlandais, un projet d’assemblage de tracteurs du groupe japonais Kubota, qui créera, à Dunkerque, 140 emplois. Si la France est le premier pays d’accueil des investissements industriels étrangers en Europe, c’est parce qu’elle tire parti du socle industriel existant, la majeure partie des 200 projets industriels étant des extensions – nous n’avons accueilli que trente-deux usines nouvelles en 2013.

M. Alain Rodet. Quel est le contexte par rapport aux dirigeants de la zone Japon-Corée qui souhaitent s’implanter en France ?

Les projets se dirigent-ils en priorité vers de grands parcs d’activité, comme Sophia Antipolis ou Paris Sud, ou vers des sites industriels traditionnels ?

Mme Claudine Schmid. Vous avez évoqué les agences qui vont chercher des Français de l’étranger pour les faire revenir en France. Savez-vous pourquoi ceux-ci sont partis ? Certains vous approchent-ils lorsqu’ils souhaitent quitter notre pays ?

Vous avez parlé d’usines peu pourvoyeuses d’emplois. Les gens partiraient-ils parce qu’ils ont du mal à trouver un travail en accord avec leurs qualifications ?

M. Christophe Premat. Vous évoquiez la nécessité de mieux communiquer. Avant de songer au récit économique de la France, il faudrait sans doute penser au récit de la France elle-même. Des efforts ont été faits avec la « marque France », la French Tech, les journées « Made in France », et ont été bien relayés à l’étranger par Ubifrance et le réseau Atout France. En Irlande, dès l’arrivée à l’aéroport, on est accueilli par des photographies du pays, de figures émergentes, de jeunes : si le pays a 4,5 millions d’habitants, il peut compter sur 70 millions d’Irlandais vivant à l’étranger pour valoriser sa marque. La Suède mène le même genre de communication, mettant en avant, dès l’aéroport, ses réussites culturelles et économiques, et son mode de vie. Le ministère des Affaires étrangères et celui du commerce extérieur ont commandé à un opérateur privé une campagne pour vendre la marque Suède à l’étranger. La guerre économique est aussi et avant tout une guerre d’images. Or l’image de la France est complexe. Comment la simplifier pour mieux communiquer ?

M. Claude Sturni. Vous organisez chaque année une conférence des dirigeants français d’entreprises étrangères. L’initiative est intéressante. D’autres pays procèdent-ils de même et s’intéressent-ils à leurs ressortissants dirigeant des entreprises en France ? Par ailleurs, que faisons-nous pour garder chez nous les dirigeants étrangers ?

De nombreux projets d’investissement étranger sont des extensions de sites existants, avez-vous dit. N’y a-t-il pas là matière à évaluation comparative ?

Quelle est la part des quelque 700 décisions d’investissement étranger en France relevant de la création, et non de la sauvegarde ou du rachat de sites ? Qu’advient-il de ces projets trois ou cinq ans plus tard ? Des entreprises étrangères peuvent en effet souhaiter racheter des entreprises françaises dont les marges s’amenuisent sans toutefois vouloir nécessairement pérenniser les sites en question.

M. Jean-Marie Tetart. Les investissements étrangers en France sont-ils des créations pures ? Quelle est la nature des investisseurs porteurs de ces projets : s’agit-il de grands fonds financiers ou de véritables entreprises qui investissent en France pour y développer leur activité ? La promotion de notre attractivité permet sans doute de rester dans le jeu international, puisqu’autant d’entreprises françaises s’implantent ailleurs – cet équilibre est heureux.

M. Serge Boscher. On compte 30 000 entreprises françaises implantées à l’étranger et 20 000 entreprises étrangères en France.

M. Jean-Marie Tetart. J’ai néanmoins l’impression que la photographie que vous nous présentez ne correspond pas tout à fait à notre cible : elle concerne plutôt des grandes entreprises alors qu’une partie des départs de France est le fait de patrons de PME et de PMI, d’aventures individuelles. Observez-vous que de petites PMI étrangères, asiatiques, européennes, latino-américaines s’implantent elles-mêmes en France ? Sont-elles nombreuses ? Quelles sont leurs motivations ? Qu’est-ce qui peut les freiner – les contraintes qui poussent les entrepreneurs français à partir sont-elles les mêmes que celles susceptibles d’empêcher un certain nombre d’entrepreneurs étrangers de venir s’installer en France ?

M. Serge Boscher. Monsieur Rodet, le Japon est le premier investisseur asiatique en France avec trente-cinq projets d’investissement en 2013. La Chine le talonne avec une trentaine de projets. En revanche, nous n’avons compté que deux projets d’investissement coréens. Nous souffrons auprès des Coréens d’un réel problème d’image en termes de flexibilité sociale. C’est d’autant plus dommage que ce pays est très puissant en matière d’innovation – 3,7 % de son produit intérieur brut est consacré à la R&D, soit le plus important taux d’Asie, et peut-être du monde, après Israël. Présente en France avec seulement quarante entreprises, la Corée fait partie de nos priorités : c’est une terre de conquête et nous devons redoubler d’effort pour y corriger l’image négative qui est la nôtre. Or les effectifs de l’AFII sont limités. Même si, après la fusion avec Ubifrance, nous serons plus de 1 500, nous n’avons pour l’heure que quatre-vingt-dix personnes réparties dans les pays du G20, et notre présence en Corée est réduite. J’ai organisé, la semaine dernière, un club Corée avec l’ambassadeur de ce pays en France. Nous organisons de même des rencontres annuelles avec les dirigeants des filiales françaises des entreprises des grands pays émergents – Chine, Russie, Inde, Brésil – et du Japon. Cela nous permet de maintenir le contact avec la communauté d’affaires de ces pays en France – nous écoutons, mais nous passons également des messages.

En ce qui concerne les zones d’implantation, sur les 685 projets d’investissement, plus de 200 ont un caractère industriel et ont vocation à être réalisés non en ville, dans les grands parcs d’activité, mais dans les usines. D’après une étude interne que j’ai commandée, en 2012, plus de 20 % des projets ont été réalisés en zone d’aide à finalité régionale – AFR –, c’est-à-dire en dehors des grands parcs d’activité. Quant aux projets à forte valeur ajoutée
– R&D et quartiers généraux –, ils ne concernent pas que les métropoles, et leur dispersion géographique est plus importante qu’on ne l’imagine : en 2013, treize régions différentes en ont accueilli.

Il m’est difficile de répondre à la question de Mme Schmid sur les motivations des Français qui partent à l’étranger, car, même s’il m’arrive d’en croiser, ceux que je rencontre dirigent des entreprises étrangères. La qualité de la main-d’œuvre et de l’écosystème sont des éléments qu’ils citent souvent parmi nos points forts et qui expliquent le bon niveau d’attractivité du pays. Ce qui pose problème, c’est le manque de flexibilité : pour réaliser son projet, un investisseur veut être sûr de pouvoir ajuster ses effectifs en fonction du niveau d’activité. Or la France est perçue par les investisseurs étrangers comme insuffisamment flexible de ce point de vue ; si, avant la crise de 2007, cette souplesse était déjà considérée comme très nécessaire, elle est aujourd’hui un facteur-clef de l’attractivité. Au-delà de la perception de la fiscalité fluctuante et de la complexité des démarches administratives, c’est ce point-là qui peut constituer le principal obstacle, quand bien même la loi sur la sécurisation de l’emploi, en vigueur depuis le 1er juillet 2013, a apporté quelques avancées.

Vous avez raison, monsieur Premat : le travail sur l’image est très important, et il convient en effet d’œuvrer à la simplicité en la matière. Or la France se complaît parfois dans une complexité qui est préjudiciable à son image… Le travail mené par M. Thierry Mandon, qui a pris le taureau par les cornes, va dans le bon sens. Les étrangers, souvent, ne comprennent pas notre pays. Dans cette guerre économique, nous devons affronter des gens très agressifs – tel le Premier ministre britannique – et nous devons nous-mêmes être beaucoup plus agressifs, dans le bon sens du terme. Les Coréens ou les Flamands que je rencontre ne sont pas des agneaux ! Si nous avons remporté le projet Kubota, c’est parce que nous avons battu les Allemands en demi-finale et les Néerlandais en finale, mais il a fallu que M. Arnaud Montebourg, l’AFII, l’Agence régionale de développement, les élus et le préfet joignent leurs forces : l’énergie dépensée a été considérable.

À ma connaissance, monsieur Sturni, la conférence des dirigeants français d’entreprises étrangères est une initiative qui nous est propre et qui n’a d’équivalent nulle part ailleurs. Nous l’avons créée avec le cabinet de conseil en communication et affaires publiques DZA, qui travaille également sur les investissements étrangers et fait le lien avec les filiales d’entreprises étrangères en France. Comme l’année dernière, trois ministres participeront cette année à la conférence : M. Fabius, M. Montebourg et Mme Pellerin. Cette première action d’influence très forte se situe à un bon niveau : celui des personnes qui décident, au sein des groupes étrangers, des investissements mobiles.

On compte 20 000 entreprises étrangères en France, il est donc difficile de traiter tous leurs dirigeants comme ils devraient l’être. L’AFII est en relation chaque année avec 5 000 entreprises étrangères dans le monde, dont une petite partie en France. Nos interlocuteurs – à raison d’une conversation d’une heure et demie chaque fois – nous parlent de leurs projets d’investissement. Si nous ne pouvons rencontrer tous ces dirigeants, nous maintenons le contact avec la communauté d’affaires grâce aux clubs que j’ai évoqués. Ainsi, à l’occasion du club avec la Corée, nous avons discuté avec des dirigeants coréens qui ont réussi en France et qui avouent avoir du mal à convaincre leurs compatriotes que la flexibilité du travail est possible dans notre pays. C’est donc le thème qui a été choisi pour le club Corée. Nous avons en outre fait intervenir un représentant du cabinet Gide dans le cadre du « club AFII ». Nous travaillons en effet avec des partenaires privés, manière pour nous de délivrer un message positif, puisque cette pratique de faire tandem avec un partenaire privé est très prisée dans certains pays.

M. Sturni m’a ensuite interrogé sur la répartition des décisions d’investissement étranger en France. Sur les 685 projets, en 2013, 341 étaient des projets de création, 260 d’extension et les autres de reprise. Quant à leur avenir au-delà de trois ans, la question n’est pas simple et nécessite des études ad hoc. Notre rapport, de la même manière que le cabinet EY, fait état du nombre d’emplois créés en l’espace de trois ans. Pour vérifier si les emplois envisagés sont réellement créés, nous menons des études ponctuelles. La dernière, il y a quelques années, montrait que, globalement, les objectifs étaient atteints, voire dépassés.

Souvent, les étrangers qui s’installent en France sont très contents : ils n’imaginaient pas que c’était aussi simple, qu’ils allaient pouvoir se développer ainsi. La difficulté, pour nous, est de les faire venir. Une fois en France, ils admettent qu’ils ne pensaient pas que les gens travaillaient autant – je rappelle que, selon Eurostat, les cadres français sont ceux qui travaillent le plus en Europe, à raison de quarante-quatre heures hebdomadaires, et que la productivité horaire de la main-d’œuvre française est la plus forte en Europe après les pays du Benelux. Nos salariés ne sont pas des mercenaires. Le coût du chercheur aux États-Unis est plus élevé qu’en France : la guerre des talents conduit les chercheurs à se déplacer souvent, alors que, en France, une certaine continuité dans les activités de recherche peut être assurée. J’y insiste : notre main-d’œuvre qualifiée est très appréciée des investisseurs étrangers. C’est pourquoi je suis optimiste : nous bénéficions de talents et d’un écosystème favorable.

M. Tetart, enfin, m’a interrogé sur la nature des entreprises qui investissent en France. Nous travaillons certes avec des fonds, mais de façon très marginale, quand ils rachètent des entreprises ou décident d’investir et qu’il y a des créations d’emplois à la clef. Nous travaillons donc essentiellement avec des entreprises qui s’implantent en France et créent de l’emploi. Pour elles, le principal facteur d’attractivité de la France, c’est le marché. Nous sommes le deuxième marché en Europe et nous serons bientôt le premier, dans vingt ou trente ans, grâce à une démographie plus dynamique que celle des Allemands. Nous avons également la chance d’être la première destination touristique du monde.

De plus en plus de petites entreprises s’installent en France – un tiers du total, en 2013, étaient en effet des PME. Dans une économie de valeur ajoutée, si vous êtes ambitieux, vous allez vous implanter à l’étranger. Quelqu’un qui travaille dans la haute technologie ira aux États-Unis. Mais c’est en France qu’ira notamment un Américain ou un Asiatique pour attaquer le marché européen – ou un Belge qui recherche un grand marché à côté de chez lui. L’investissement étranger en France n’est pas l’apanage des grandes entreprises : les start-up étrangères sont de plus en plus nombreuses à s’installer chez nous. Au total, en 2013, outre le tiers de PME déjà mentionnées, un tiers d’entreprises de taille intermédiaire et un tiers de grands groupes se sont implantés en France. Cela pose la question des talents, des petites équipes qui viennent en France et qui s’installent en tribus – à nous de faciliter leur installation.

M. Luc Chatel. Monsieur, nous vous remercions.

L’audition s’achève à dix-sept heures vingt-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mercredi 9 juillet 2014 à 16 h 15

Présents. - M. Luc Chatel, M. Marc Goua, M. Christophe Premat, M. Alain Rodet, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni, M. Jean-Marie Tetart

Excusé. - Mme Nicole Ameline

——fpfp——