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Commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France

Jeudi 18 septembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 32

Président

–  Audition, ouverte à la presse, de Mme Nicole Goulard, avocate fiscaliste associée au cabinet Jeantet Associés.

–  Présences en réunion

Présidence
de M. Luc Chatel,

L’audition débute à neuf heures trente-cinq.

M. le président Luc Chatel. Nous accueillons ce matin Mme Nicole Goulard, avocate fiscaliste associée au cabinet Jeantet Associés. La question fiscale – que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer dans nos auditions précédentes – mérite en effet un approfondissement. Travaillant sur des sujets liés à l’expatriation, vous pouvez, madame, nous éclairer sur les mécanismes qui déterminent cette dernière. Loin de vouloir dénoncer ou stigmatiser ces comportements, nous souhaitons dresser un constat pour formuler des propositions législatives ou réglementaires à même d’endiguer le phénomène de départ de nos forces vives, en particulier de nos centres de décision.

Avant de vous entendre, je vous demande, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Nicole Goulard prête serment)

Mme Nicole Goulard, avocate fiscaliste associée au cabinet Jeantet Associés. C’est en ma qualité d’avocate fiscaliste spécialisée en matière de fiscalité des personnes et du patrimoine que j’ai l’honneur de me présenter devant votre commission. Mon propos se concentrera donc sur la délocalisation des personnes physiques, laissant de côté celle des entreprises, qui relève davantage de l’analyse économique. Sans pouvoir vous livrer de chiffres – les statistiques sont à rechercher du côté du ministère des Finances ou de celui des Affaires étrangères –, je peux dresser le profil des candidats à l’exil et exposer les principales raisons fiscales qu’ils avancent pour justifier leur départ.

Les intentions des Français qui choisissent de s’expatrier sont multiples et ne sauraient se résumer au seul enjeu fiscal, même si celui-ci reste prégnant. Le rôle du conseil consiste alors à préciser les conditions du départ, à en définir le cadre juridique et à déterminer ce qu’il impose en matière de bouleversement des conditions de vie, de coût financier – une délocalisation à Londres implique par exemple un surcoût de logement –, de protection sociale, voire d’éducation des enfants. Il s’agit d’appréhender le départ dans sa globalité. Une délocalisation impose au contribuable et à sa famille une rupture en termes de conditions de vie au quotidien et de liens sociaux. Certains candidats à l’exil renoncent d’ailleurs à leur projet, estimant ces contraintes excessives.

L’expatriation des forces vives représente une réalité. Le phénomène n’est pas récent ; dès 1998, le premier dispositif d’exit tax se donnait pour objectif de lutter contre les délocalisations d’entrepreneurs ou de managers qui cherchaient des cieux plus cléments pour réaliser les plus-values de cession de valeurs mobilières. Depuis trois ou quatre ans, les départs ont toutefois connu une accélération. L’âge des candidats à l’exil a également changé : s’il s’agissait auparavant essentiellement de retraités ou d’entrepreneurs souhaitant céder leur entreprise à la fin de leur carrière professionnelle, les jeunes entrepreneurs sont désormais également concernés. Ceux-ci partent d’ailleurs pour des raisons dépassant la seule matière fiscale, à la recherche d’un cadre réglementaire stable et simple, à même de les accompagner sereinement dans le développement de leur entreprise. Même les enfants sont aujourd’hui pris dans le mouvement : en l’absence de convention fiscale, l’article 750 ter du code général des impôts fait tomber les actifs des parents déjà installés à l’étranger dans le champ d’application des droits de mutation à titre gratuit. C’est notamment le cas pour la Suisse depuis la dénonciation de la convention fiscale franco-suisse en matière de succession.

Pourquoi envisager l’exil ? La forte augmentation de la pression fiscale, l’instabilité législative et la complexité – voire l’illisibilité – de certaines lois nourrissent les projets de délocalisation. La comparaison de nos taux d’imposition avec ceux de nos voisins fait apparaître que c’est moins en matière de fiscalité des revenus que de celle du patrimoine que la France se trouve dans une situation désavantageuse. Le taux marginal de l’impôt sur le revenu s’établit en France à 45 % ; la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus – la fameuse « surtaxe Fillon » – le porte à 48 ou à 49 %. Ce taux n’est pas très différent de celui que connaissent nos voisins ; le décalage vient plutôt des prélèvements sociaux qui viennent s’y ajouter. En matière de fiscalité des revenus professionnels, les cotisations de sécurité sociale – déplafonnées dans notre pays – ne sont aussi lourdes qu’en Belgique et en Italie. En matière de revenus de patrimoine et de placement, les prélèvements sociaux – la CSG, la CRDS et les prélèvements sociaux additionnels – s’élèvent à 15,5 %. On en arrive donc à des taux avoisinant 60 %, qui s’appliquent également aux gains sur stock-options et actions gratuites, ces derniers se retrouvant aujourd’hui davantage taxés que les revenus salariaux – mauvais point pour l’attractivité de notre pays lorsqu’une entrreprise réfléchit au lieu où établir le siège de sa direction. On nous a envié notre système de TVA ; aujourd’hui, ce sont la CSG et la CRDS qui font rêver certains législateurs étrangers.

C’est en matière de fiscalité du patrimoine que les termes de la comparaison sont certainement les moins favorables pour la France. Le taux d’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières soumises au régime de droit commun reste élevé, s’établissant entre 60 et 32 % – la différence des taux dépend désormais de la durée de détention des actions –, alors qu’il ne dépasse pas 30 % dans la plupart des pays voisins. Il s’établit ainsi à 28 % au Royaume-Uni, à 26 % en Allemagne, à 27 % en Espagne, à 26 % en Italie ; quant à la Belgique et à la Suisse, les plus-values – sauf exceptions – n’y sont pas imposables. Un régime dérogatoire mis en place l’an passé et applicable aux plus-values réalisées depuis le 1er janvier 2013 permet aux détenteurs de titres souscrits auprès de jeunes PME de bénéficier d’un abattement qui ramène le taux d’imposition à 23 % au bout de huit ans de détention. Ce taux incitatif et compétitif ne saurait toutefois concerner l’ensemble des contribuables.

Le sujet majeur reste néanmoins celui de la transmission. Depuis juillet 2011, le taux marginal d’imposition des droits de succession et de mutation à titre gratuit s’établit en France à 45 %. À partir d’un montant de 550 000 euros par part d’actifs donnés ou transmis en ligne directe, le taux applicable s’élève déjà à 30 %. Les abattements ont été réduits pour s’établir aujourd’hui, pour les successions ou les donations en ligne directe, à 100 000 euros, et le délai entre deux donations permettant de les appliquer est passé de six ans en 2011 à quinze ans en 2013. Le jeu de ces modifications rend désormais difficile d’organiser les transmissions en réalisant des donations au fil du temps. Les droits de succession belges – 30 % dans la région de Bruxelles – sont également assez élevés, mais la Belgique connaît des droits de donation extrêmement réduits – 3 % dans la même région de Bruxelles. Les transmissions sont donc systématiquement anticipées en Belgique. Certains cantons suisses – tels que Zurich – ne connaissent ni droits de succession ni droits de donation ; dans le canton de Vaud, à Lausanne, ils s’établissent à 7 %. Au Royaume-Uni, les droits de succession sont aussi relativement élevés, mais les donations réalisées plus de sept ans avant le décès sont libres de droits, ce qui permet là aussi d’anticiper les transmissions ; le régime des non domiciliés offre des avantages complémentaires. En Italie, les droits de donation et de succession, très réduits, s’élèvent à 4 %. Notre taux d’imposition s’avère ainsi nettement plus élevé que ceux de nos voisins.

La question de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) semble au contraire moins sensible aujourd’hui qu’elle ne l’était hier. La règle du plafonnement de l’impôt sur le revenu et de l’ISF à 75 % des revenus est certes moins favorable que les dispositions du bouclier fiscal, mais elle rend l’impôt acceptable. Ce n’est donc plus l’ISF qui suscite les délocalisations.

Si des taux d’imposition nettement plus élevés que ceux pratiqués par nos voisins motivent certainement en partie les départs, d’autres facteurs doivent être pris en considération. Ainsi l’instabilité législative et celle de la doctrine administrative créent-elles une zone d’insécurité qui affecte largement la confiance. Les quatre lois de finances votées en 2011 et le collectif budgétaire particulièrement chaotique adopté fin 2012 ont sans doute suscité des candidatures au départ, tout comme la tentative de l’administration fiscale, en juin 2013, de passer outre la censure du Conseil constitutionnel en matière de plafonnement de l’ISF intervenue quelques mois auparavant. Ces revirements brutaux de la doctrine et l’incertitude devant laquelle se trouvent placés certains contribuables entretiennent le malaise. Autre exemple : la possibilité ou non de qualifier une société de holding animatrice conditionne tant l’exonération d’ISF à titre d’outil de travail que la mise en place des « pactes Dutreil » qui fixent le taux marginal d’imposition de la transmission à 45 % – autant d’enjeux significatifs.

La complexité et le défaut de lisibilité des textes constituent également un facteur de départ. Certains régimes fiscaux – qui semblent avoir perdu leur objectif premier – se révèlent extrêmement lourds à gérer. Depuis le 1er janvier 2013, les plus-values sur cession de valeurs mobilières sont soumises au barème progressif de l’impôt sur le revenu et assujetties aux prélèvements sociaux de 15,5 %. Dans les conditions de droit commun, un dispositif d’abattement applicable au calcul de l’impôt sur le revenu s’établit à 50 % pour les titres détenus entre deux et huit ans et à 65 % au-delà de huit ans, ce qui ramène le taux d’imposition à 31,25 % si l’on ne tient pas compte de l’impact de la déductibilité de la CSG et de la « surtaxe Fillon ». La détention des actions sur le long terme est donc bien encouragée ; cependant, les abattements jouant de la même manière en matière de moins-value, elle peut également se révéler pénalisante. Ainsi, on peut imputer 100 % d’une moins-value réalisée moins de deux ans après l’acquisition du titre ; mais au bout de huit ans de détention, on ne peut plus en imputer que 35 % en régime de plein droit et 15 % en régime dit incitatif. Taxer ainsi les pertes apparaît absurde et n’encourage pas le risque.

Le dispositif de l’exit tax représente un autre exemple de la complexité des textes. Les deux formulaires à compléter au moment du départ fiscal – 2074ETD et 2074ETS – comportent onze pages chacun, leurs notices en comptant plus de vingt. Si l’on détient plus de deux participations – ce qui amène à dupliquer les déclarations –, on se voit obligé, au moment du départ, de remplir cinquante ou cent pages. De plus, certains formulaires ne sont toujours pas disponibles, la succession de trois régimes différents d’exit tax rendant difficile pour l’administration fiscale de publier les documents dans les délais. Si cela ne signifie pas qu’il est devenu impossible de satisfaire ses obligations fiscales, il semble en revanche nécessaire, tant pour les particuliers que pour l’administration fiscale, d’alléger les formalités déclaratives des contribuables.

Pour limiter les impacts potentiels de la fiscalité sur l’attractivité de notre pays, il nous faut sortir de l’impôt abscons dont la complexité confine à l’absurdité. Le monde s’ouvre mais la France se replie sur elle-même, poussant ses forces vives à l’exil. Avec la naïveté du bon sens, je conclurai en disant que c’est moins un régime d’exit tax qu’un régime d’attractivité du territoire qui doit nous permettre de conserver notre compétitivité.

M. le président Luc Chatel. Puisque vous ne pouvez pas nous livrer de chiffres, sur quoi vous fondez-vous pour affirmer que le phénomène d’exil s’aggrave depuis quelques années ? Vous appuyez-vous sur nombre de clients qui font appel à votre cabinet ou sur d’autres indicateurs ?

Quel est, à votre avis, l’impact de l’exit tax dont vous avez souligné la lourdeur administrative ? Aurait-il un effet inverse de celui recherché par le législateur ? Quelles sont les conséquences de sa mise en œuvre ?

Pourquoi la taxation des stock-options est-elle supérieure à celle des revenus salariaux ?

Vous avez mentionné la volonté de l’administration fiscale de contourner la censure, par le Conseil constitutionnel, du calcul du plafonnement de l’ISF ; pouvez-vous revenir sur le déroulement de cet épisode ?

Le plafonnement de l’ISF à 75 % des revenus aurait rendu cet impôt acceptable dîtes-vous ; cependant, toute fiscalité cumulée – revenus et patrimoine –, les taux applicables en France me paraissent nettement supérieurs à ceux de nombre d’autres pays. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Enfin, vous avez fait allusion à la disposition sur les holdings animatrices ; pouvez-vous préciser quelles en sont les conséquences ?

Mme Nicole Goulard. C’est le nombre de dossiers traités par notre cabinet qui me fait dire que le nombre de départs a augmenté depuis trois ou quatre ans.

M. le président Luc Chatel. Dans quelle proportion vous semble-t-il avoir augmenté ?

Mme Nicole Goulard. Le nombre de dossiers a doublé, voire triplé depuis trois ans. Certes, je ne dispose pas des chiffres de mes confrères, aussi ma vision reste-t-elle très parcellaire.

L’exit tax ne bloque en aucun cas les départs ; au contraire, au terme d’un effet pervers constaté dès la mise en place du premier dispositif en 1998, il conduit à les anticiper, conduisant les personnes à s’expatrier avant que la plus-value latente de l’entreprise n’atteigne un niveau trop important.

Depuis 2006 – année marquée par les affaires Vinci et EADS –, le législateur s’est attelé à renforcer la taxation des gains sur stock-options et attributions gratuites d’actions. Aux termes de la loi de finances rectificative pour 2012, les gains de levée – pour les stock-options – et les gains d’acquisition – pour les actions gratuites – sont taxés à la même hauteur que les salaires, avec un taux marginal de 45 %. À cela s’ajoutent d’une part les prélèvements sociaux – la CSG et la CRDS – qui s’élèvent à 8 %, et d’autre part une contribution sociale forfaitaire de 10 % due au moment de la cession des titres. On arrive ainsi aujourd’hui à un taux cumulé supérieur à celui qui pèse sur les salaires. Ainsi, pour les tranches de revenu excédant 300 000 euros – où les cotisations de sécurité sociale et les prélèvements sociaux représentent un peu moins de 10 % –, pour tout euro supplémentaire de salaire, le taux de prélèvement – cotisations de sécurité sociale et impôt sur le revenu confondus – fluctue entre 51 et 55 %, selon que l’on y applique ou non la « surtaxe Fillon » de 4 %. Le taux d’imposition qui pèse sur les gains de stock-options et d’actions gratuites s’établit quant à lui entre 60 et 64,5 %, posant de graves problèmes aux entreprises – en particulier non cotées – qui ont besoin de cet instrument pour motiver leurs cadres. Notons que dans les législations étrangères, la taxation de ces gains est au pire égale à celle des traitements et des salaires.

De plus, les stock-options et les attributions gratuites d’actions donnent lieu, du côté de l’entreprise, au paiement d’une contribution patronale de 30 %, due à la date où l’on consent les droits, c’est-à-dire avant de distribuer effectivement les actions. Ainsi, même si les cadres concernés quittent l’entreprise ou que les objectifs de performance qui leur ont été fixés ne sont pas atteints, et que les actions ne sont donc pas distribuées, l’entreprise aura néanmoins payé. Cette taxe très élevée se révèle ainsi plus chère que des charges sociales qui, elles, ne sont dues qu’au moment où les actions sont effectivement distribuées aux bénéficiaires. Il faudrait réinsuffler du dynamisme dans les plans d’actionnariat.

Je reviens sur la volonté farouche de l’administration, en juin 2013, de contourner la censure du Conseil constitutionnel en matière d’ISF. Dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012 et de la loi de finances pour 2013, on a débattu du périmètre des revenus à retenir pour le calcul du plafonnement de l’impôt sur le revenu et de l’ISF – mesure qui date de la suppression du bouclier fiscal. La loi a finalement prévu d’intégrer dans la notion de revenu un certain nombre d’éléments qui ne relèvent pas du revenu disponible, notamment les dividendes accumulés au sein d’une société contrôlée par le contribuable et la valorisation des contrats d’assurance vie. Ce dispositif a fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel. Or le 14 juin 2013 – alors que les déclarations d’ISF avaient quasiment toutes été déposées –, une instruction a été publiée enjoignant de compter la prise de valeur des contrats d’assurance vie en euros parmi les revenus à retenir pour le calcul du plafonnement de l’ISF 2013. Cet incident a créé beaucoup d’émoi ; l’instruction étant non conforme à la Constitution et illégale – puisqu’elle ajoutait aux textes de loi –, elle a été annulée par le Conseil d’État statuant sur un recours.

Le plafonnement actuel de l’ISF à 75 % des revenus reste élevé, mais il n’excède que de quinze points les 60 % du bouclier fiscal. Certes, les contribuables concernés se seraient bien passés de cet impôt ; mais les modalités actuelles du plafonnement le rendent acceptable. Il ne figure pas parmi les motifs de délocalisation.

M. le président Luc Chatel. Ce mode de calcul de l’ISF pénalise peut-être un autre profil de ménages, ayant des revenus moins élevés mais un patrimoine important.

Mme Nicole Goulard. En effet, l’ISF pose problème aux tranches moyennes des contribuables qui y sont soumis – à distinguer des tranches moyennes des contribuables soumis à l’impôt sur le revenu.

À la différence de la holding pure, la holding animatrice est définie comme animant ses filiales et participant activement au contrôle de celles-ci. Cette notion conditionne une série d’avantages fiscaux. Ainsi, les participations que le contribuable détient dans l’entreprise dans laquelle il travaille sont en principe exonérées d’ISF s’il s’agit de son outil de travail. L’exonération n’est pas applicable à une holding pure ; on accepte cependant un degré de superposition où l’outil de travail est directement détenu via une holding non active. Si la superposition de deux holdings pures fait tomber le bénéfice de l’exonération d’ISF, il reste possible d’avoir une holding pure au dernier étage, une holding animatrice et une société opérationnelle.

La définition du rôle de holding animatrice a été codifiée pour une série de dispositifs, notamment ceux applicables en matière de souscription au capital de PME ; en dehors de ces cas, on ne dispose que d’une définition donnée par la doctrine. Or les récents revirements de position et contrôles fiscaux montrent la fragilité de cette notion qu’il conviendrait de sécuriser. En effet, pour un patron d’entreprise, savoir si son outil de travail est ou non exonéré d’ISF représente un enjeu financier important, d’autant que le délai de prescription est dans ce cas de six ans et non de trois ans.

Il en va de même des « pactes Dutreil » qui permettent, sous certaines conditions, d’exonérer d’impôt 75 % de la valeur des entreprises transmises. Le dispositif est applicable aux sociétés superposant deux holdings pures, mais au-delà de deux niveaux de superposition, il faut pouvoir démontrer que les détentions faites via des holdings animatrices répondent bien à cette qualification. Les enjeux sont là aussi considérables : lors de la donation d’une entreprise, si l’on considère celle-ci comme une holding animatrice, on paie des droits à hauteur de 25 % de sa valeur ; en cas de contrôle fiscal et de requalification, on peut se voir obligé de payer des droits portant sur 75 % de cette valeur, avec un taux d’imposition de 45 % – une situation intenable. Il est donc impératif de préciser la définition. Actuellement, les positions divergent sur ce sujet, le débat portant sur la définition du contrôle des filiales par les holdings animatrices ainsi que sur la possibilité d’une double animation, souvent contestée alors qu’elle représente une réalité dans toutes les entreprises à deux branches familiales. Il est dommage que la structuration juridique de certaines opérations n’obéisse qu’à des objectifs fiscaux et non aux impératifs économiques.

Mme Claudine Schmid. Le nombre de personnes qui vous consultent pour quitter la France a doublé, voire triplé depuis quelques années. Avez-vous également constaté un changement de profil ? S’agit-il d’actifs, créateurs d’emplois et payant l’impôt sur le revenu, ou bien de personnes ayant terminé leur activité qui partent pour des raisons liées à l’imposition sur le patrimoine ?

Les expatriés vendent-ils leurs biens en France ou bien conservent-ils leur patrimoine français ? Il me semble que la fin de la convention franco-suisse devrait conduire les héritiers à quitter la France en vendant les biens qu’ils y détiennent ; partagez-vous mon sentiment ?

Les jeunes entrepreneurs qui veulent créer une entreprise partent pour éviter que celle-ci, si elle réussit, ne soit lourdement taxée. Quitte à prendre un risque, ils souhaitent qu’il leur rapporte en cas de succès. Partir jeune pour débuter ailleurs permet d’être dès le départ moins imposé et évite de devoir payer l’exit tax.

La façon dont se déroulent les contrôles fiscaux contribue-t-elle au désir d’exil ? Une grande entreprise peut engager un spécialiste pour faire face à un contrôle fiscal tout en continuant à fonctionner, mais dans une PME c’est le patron qui doit s’en occuper, perdant toute possibilité de démarcher des clients. La méthode et surtout la durée des contrôles fiscaux peut-elle inciter des personnes qui en ont connu un à se délocaliser ?

Mme Nicole Goulard. Parmi les candidats à l’exil on trouve tant des jeunes que des personnes qui se délocalisent pour des raisons liées à la transmission de patrimoine.

En cas de transfert de résidence fiscale, le pays concerné doit devenir non seulement le lieu de vie, mais également le centre des intérêts économiques de l’expatrié, ce qui n’est pas le cas si l’on se délocalise en conservant tous ses actifs en France. Il est donc logique que les personnes qui s’établissent à l’étranger y réalisent des investissements. Quant au point particulier que vous évoquiez, il est à relier à l’instabilité administrative déjà mentionnée : en 2012, l’administration fiscale a subitement supprimé une tolérance qui existait depuis 1972 et qui permettait aux personnes installées en Suisse et placées sous régime du forfait, à certaines conditions, de bénéficier des dispositions de la convention fiscale franco-suisse en matière d’impôt sur le revenu et d’ISF. Ce revirement implique nécessairement pour ceux qui ont gardé une résidence secondaire ou d’autres actifs immobiliers en France de les céder pour éviter une remise en cause de leur résidence fiscale.

Les jeunes entrepreneurs partent généralement lorsque leur entreprise est déjà développée et possède un potentiel de plus-value. L’exit tax ne fait pas partie de leurs préoccupations ; ils se délocalisent pour des raisons fiscales, mais également en quête d’un cadre simple et stable offert par certaines législations étrangères.

Quelle qu’en soit la méthode, un contrôle fiscal est toujours vécu avec beaucoup d’émotion par les contribuables. Le nombre et la durée des contrôles se sont accrus ces dernières années, tant pour les entreprises que pour les particuliers, et les procédés utilisés semblent devenus plus violents que par le passé. Une PME ne dispose pas des mêmes moyens qu’une grande entreprise pour répondre à ces contrôles ; si c’est généralement l’expert comptable qui les prend en charge, le dirigeant y consacre également beaucoup de temps, délaissant ses affaires.

M. le président Luc Chatel. Quel est l’impact de la taxe à 75 % – qui frappe les revenus supérieurs à un million d’euros – sur le départ de cadres dirigeants ?

Les représentants de la Direction générale des finances publiques – DGFiP – nous ont indiqué en audition avoir beaucoup de mal à mesurer le phénomène de l’exil fiscal ; y croyez-vous ?

Faut-il supprimer l’exit tax ? Quel dispositif fiscal doit-on envisager pour rendre notre pays plus attractif et enrayer les départs ?

Vous avez concentré vos propos sur le départ de personnes physiques ; que savez-vous sur celui des centres de décision ?

Mme Nicole Goulard. Sans disposer de chiffres concernant son impact sur les volontés de délocalisations et les départs effectifs, je classerais la taxe à 75 % parmi les impôts abscons. Ce type de dispositions est à proscrire. Il s’agit d’abord d’un impôt totalement inefficace d’un point de vue budgétaire. Censé à l’origine taxer les hautes rémunérations – donc des personnes physiques –, il taxe désormais certaines entreprises
– choix incompréhensible d’un point de vue philosophique et économique. Enfin, annoncée à 75 %, cette taxe s’établit finalement à 50 %. Alors qu’il apparaît inutile, cet impôt suscite un rejet épidermique chez les dirigeants, l’effet d’image à l’international étant désastreux pour l’attractivité de notre pays. Je laisse à Bercy le soin de déterminer si cette taxe s’est révélée efficace pour limiter les montants des rémunérations allouées par les entreprises.

La DGFiP tout comme le ministère des Affaires étrangères disposent certainement de chiffres, mais ces derniers sont difficiles à interpréter. Lorsqu’une personne se délocalise, l’administration vérifie si elle a déposé une déclaration d’exit tax, si elle était redevable de l’ISF et concernant quel patrimoine. Mais les motivations réelles du départ échappent aux statistiques, peu de personnes étant prêtes à affirmer qu’elles s’expatrient pour des raisons purement fiscales.

L’exit tax semble elle aussi largement inefficace. Les recettes qui y sont attachées – 42 millions d’euros fin 2012, à la place des 180 millions escomptés – se sont révélées décevantes. Au-delà du seul plan financier, cette taxe sème le trouble tant parmi les contribuables que sur la scène internationale. Ce nouveau dispositif de sanction s’applique en effet de la même manière à ceux qui se délocalisent pour des raisons fiscales et à ceux qui le font pour des raisons professionnelles. Ainsi les expatriés des entreprises en subissent-ils également les contraintes. Le dispositif prévoit l’application d’un régime de sursis de paiement à l’intérieur de l’Union européenne ; mais le contribuable qui souhaite s’installer hors d’Europe doit, pour bénéficier d’un sursis, présenter des garanties à hauteur d’une partie de ses plus-values soumises à l’exit tax. Ces garanties ne sont pas nécessaires si la personne se délocalise à des fins professionnelles et peut attester d’une mutation ou d’un recrutement par une entreprise à l’étranger, et si le pays où elle s’établit a signé avec la France une convention fiscale prévoyant non seulement des clauses d’assistance administrative classique pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, mais également une clause en matière d’assistance au recouvrement. Or c’est loin d’être le cas pour tous les pays ; ainsi les entreprises qui envoient du personnel en Chine – destination économique importante – doivent-elles gérer des formalités très lourdes. Enfin, le contribuable doit faire un suivi déclaratif pendant quinze ans pour voir l’impôt dégrevé ou restitué : on préjuge donc qu’une personne qui se délocalise moins de quinze ans le fait pour des raisons d’évasion fiscale. Il est nécessaire de revoir ce dispositif, sinon l’abroger. Plus généralement, il faudrait harmoniser notre fiscalité avec celle de nos voisins ; en effet, c’est la compétitivité fiscale entre États qui se trouve à l’origine de ces délocalisations.

Pour renforcer l’attractivité de la France, il faudrait introduire des dispositions fiscales qui permettent au contribuable de rester dans notre pays et de contribuer au développement de notre compétitivité. En effet, les mesures d’attractivité qui existent aujourd’hui restent trop partielles. Ainsi le régime des impatriés – codifié à l’article 155 B du code général des impôts et applicable aux salariés appelés de l’étranger à venir travailler en France – représente-t-il un dispositif efficace mais temporaire. En matière d’ISF, il permet par exemple aux personnes qui n’ont pas été fiscalement domiciliées en France dans les cinq ans qui précèdent leur arrivée de ne pas être taxées, pendant cinq ans, sur les actifs qu’elles détiennent à l’étranger. Pour salutaires qu’elles soient, ces mesures ne confortent pas la situation d’un résident permanent en France. Il faut élaborer des taux d’imposition plus pérennes et en assurer la sécurité juridique.

M. le président Luc Chatel. Je vous remercie, maître, pour vos réponses.

L’audition s’achève à dix heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du jeudi 18 septembre 2014 à 9 h 30

Présents. - M. Luc Chatel, Mme Claudine Schmid

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Étienne Blanc, M. Yann Galut, M. Marc Goua, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet

——fpfp——