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Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Mercredi 16 mars 2016

Séance de 16 heures 15

Compte rendu n° 9

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la prise en charge des victimes par la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et le Service d’aide médicale urgente (SAMU) de Paris

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Benet, directeur des transports de la protection du public de la Préfecture de Police de Paris et du Professeur Bertrand Ludes, directeur de l’Institut médico-légal de Paris

– Table ronde « Sécurité au Stade de France le 13 novembre 2015 », ouverte à la presse, réunissant des représentants du Consortium Stade de France et de la Fédération française de football

La séance est ouverte à 16 heures 20.

Présidence de M. Georges Fenech.

Table ronde sur la prise en charge des victimes par la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et le Service d’aide médicale urgente (SAMU), avec la participation du général Philippe Boutinaud, commandant la BSPP, accompagné du professeur Jean-Pierre Tourtier, médecin-chef de la BSPP, du médecin-chef Michel Bignand, du colonel Jean-Claude Gallet, adjoint au général commandant la BSPP et du colonel Gérald Boutolleau, chef de corps du 2e Groupement d’incendie et de secours et commandant des opérations de secours au Bataclan ; du professeur Pierre Carli, directeur médical du SAMU de Paris, chef de service au département d’anesthésie-réanimation de l’hôpital universitaire Necker-Enfants-Malades, Paris 15e, président du Conseil national de l’urgence hospitalière, accompagné du professeur Frédéric Adnet, directeur du SAMU 93, responsable pôle accueil-urgences-imagerie de l’hôpital universitaire Paris Seine-Saint-Denis Avicenne à Bobigny, du docteur François Braun, président du SAMU Urgences de France, chef de service médecine d’urgence, du docteur Yves Lambert, chef du pôle de l’urgence, directeur du SAMU des Yvelines et du docteur Valérie-Charlotte Chollet-Xémard, praticien hospitalier du SAMU 94 à l’hôpital Henri-Mondor.

M. le président Georges Fenech. Messieurs, madame, nous vous remercions d’avoir répondu à la demande d’audition de la présente commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Nous avons souhaité commencer par entendre les victimes qui ont bien évidemment droit à toute l’attention de la représentation nationale. Nous poursuivons notre série d’auditions avec vous en nous intéressant aujourd’hui à leur prise en charge, comme nous l’avons fait le 29 février en recevant le directeur général du service de santé des armées et le directeur général de l’Assistance publique de Paris.

Je suis heureux d’accueillir aujourd’hui les responsables de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) : le général Philippe Boutinaud, commandant la BSPP, accompagné du professeur Jean-Pierre Tourtier, médecin-chef de la BSPP, du médecin-chef Michel Bignand, du colonel Jean-Claude Gallet, adjoint au général commandant la BSPP et du colonel Gérald Boutolleau, chef de corps du 2e Groupement d’incendie et de secours et commandant des opérations de secours au Bataclan. Je précise que la BSPP, forte de 8 500 officiers, sous-officiers, gradés et sapeurs est placée pour emploi sous l’autorité du préfet de police de Paris, et qu’elle est compétente, outre Paris, dans les 124 communes des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.

Nous recevons également les responsables du Service d’aide médicale urgente (SAMU) : le professeur Pierre Carli, directeur médical du SAMU de Paris, chef de service au département d’anesthésie-réanimation de l’hôpital universitaire Necker-Enfants-Malades, président du Conseil national de l’urgence hospitalière, accompagné du professeur Frédéric Adnet, directeur du SAMU 93, responsable pôle accueil-urgences-imagerie de l’hôpital universitaire Paris Seine-Saint-Denis Avicenne à Bobigny, du docteur François Braun, président du SAMU Urgences de France, chef de service médecine d’urgence, du docteur Yves Lambert, chef du pôle de l’urgence, directeur du SAMU des Yvelines et du docteur Valérie-Charlotte Chollet-Xémard, praticien hospitalier du SAMU 94 à l’hôpital Henri-Mondor. Je précise que le SAMU, service public chargé de traiter les urgences à l’extérieur de l’hôpital, est en mesure de prendre en charge les patients dans les situations les plus graves.

La présente table ronde est ouverte à la presse et fait l’objet d’une retransmission en direct sur le site internet de l’Assemblée ; son enregistrement sera disponible pendant quelques mois sur ledit site. Je vous signale que la commission pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de cette table ronde. Nous avons décidé que, d’une manière générale, nos auditions seraient ouvertes à la presse car nous devons mener cette enquête en toute transparence.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative aux commissions d’enquêtes, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Philippe Boutinaud, Jean-Pierre Tourtier, Michel Bignand, Jean-Claude Gallet, Gérald Boutolleau, Pierre Carli, Frédéric Adnet, François Braun, Yves Lambert et Mme Valérie-Charlotte Chollet-Xémard prêtent successivement serment.)

Général Philippe Boutinaud, commandant la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris. C’est un honneur pour moi et pour les officiers qui m’accompagnent d’être devant vous. C’est pour ma part la quatrième fois, depuis trois mois, que j’ai l’occasion d’échanger avec des parlementaires, et je trouve cela tout à fait salutaire.

Je suis ici parce que, le 13 novembre dernier, j’étais le commandant des opérations de secours de la plaque parisienne et de Saint-Denis. Il s’est agi d’une opération de secours très complexe mais qui est considérée par les professionnels de l’urgence français et étrangers comme une réussite malgré l’immensité des difficultés. Quand on compte 130 morts, il convient toutefois de rester modeste, et c’est bien dans cet esprit que j’aborde cet échange avec vous. Mes premières pensées vont naturellement aux victimes et à leurs proches, auxquels nous pensons énormément parce que nous les avons vus de nos propres yeux ce soir-là.

Je présenterai le cadre général de l’opération, les difficultés que nous avons rencontrées, ce que j’identifie comme des facteurs de succès, ce qui constitue également des forces de frottement, enfin la coopération avec les autres acteurs.

D’abord les faits : c’est la plus grosse opération de secours dans la capitale française – du moins par le nombre des victimes – depuis les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. La dernière fois que Paris a été frappé par des attentats, c’était il y a environ vingt ans, à la station RER de Port-Royal. Le 13 novembre, les sapeurs-pompiers sont intervenus simultanément sur sept sites différents, ce qui ne s’était jamais produit – il faut le garder à l’esprit. Nous étions « fixés » sur deux sites : le Stade de France et les 10e et 11e arrondissements. Bien sûr, rien ne nous indiquait à vingt-deux heures que nous allions nous limiter à sept sites, ce qui nous a conduits à prendre un certain nombre de mesures conservatoires pour éviter de nous faire déborder.

Quarante minutes se sont écoulées entre la première explosion, à 21 heures 19, et la fixation des terroristes dans le Bataclan à 22 heures. Dans la partie parisienne, les événements se sont déroulées au sein d’un carré très limité puisque de moins de quatre kilomètres carrés. Les actes terroristes du Bataclan ont été le dernier point mais nous avions en permanence en tête que d’autres frappes risquaient de survenir.

La totalité de l’action des secours s’est établie dans un délai d’un peu moins de huit heures puisque nous avons commencé à 21 heures 20 et que les opérations actives se sont terminées à 5 heures 30, étant entendu que toutes les évacuations ont été réalisées bien avant 5 heures 30.

On peut diviser notre action en quatre phases successives. La première est une phase de réaction, chaotique et qui l’est toujours dans ce type de circonstances ; la meilleure façon de la « récupérer » est d’avoir des actes réflexes et des mesures planifiées. En clair : les gens téléphonent aux pompiers et, systématiquement, on envoie des moyens aux adresses indiquées. Cette phase dure, j’y ai fait allusion, une quarantaine de minutes, depuis la première frappe au Stade de France et le début des opérations actives au Bataclan.

La deuxième phase consiste à reprendre l’initiative et s’étend entre 22 heures et l’assaut final au Bataclan entre minuit et minuit et demie environ.

La troisième phase est celle de la concentration des efforts, car il ne faut pas oublier que, pendant que les choses continuent dans Paris, j’ai un souci permanent : celui des 72 000 spectateurs qui se trouvent au Stade de France.

La quatrième et dernière phase est celle du retour à la normale puisque, à partir de cinq heures du matin, j’ai donné des ordres pour qu’à huit heures du matin l’ensemble des moyens de secours soient ramenés à 100 %.

Au total, le 14 novembre, à 4 heures 21, le bilan que j’ai donné au préfet de police s’établissait à 381 victimes traitées par les sapeurs-pompiers de Paris, se répartissant en 124 personnes décédées, 100 urgences absolues et 157 urgences relatives. D’autres victimes se sont présentées spontanément dans les hôpitaux.

Le potentiel, je viens de le mentionner, a été ramené à 100 % à 8 heures le samedi matin, ce qui signifie que tous les vecteurs avaient été complétés à nouveau en oxygène, en tout ce que vous pouvez imaginer comme produits pharmaceutiques pour les ambulances de réanimation et pour les véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV).

Environ 500 pompiers de Paris sont intervenus auxquels il faut ajouter les 200 qui se trouvaient dans la chaîne de commandement et de soutien. Ont été déployés 125 engins dont deux ont été touchés par balles, juste en face du Bataclan, l’un étant rendu complètement inutilisable. Les premiers intervenants sont arrivés, suivant les sites, entre trois et douze minutes après le premier appel – douze minutes pour le Comptoir Voltaire puisqu’il s’agit du cinquième site frappé et qu’il a fallu chercher des secours dans des casernes un peu plus éloignées, les casernes environnantes étant déjà mobilisées. Je rappelle qu’en France les secours sont censés arriver dans les trente minutes. Nous pouvions donc difficilement faire mieux. Ce délai concerne les premiers intervenants qui ont demandé des renforts.

La difficulté initiale est, vous l’imaginez, de savoir ce qui se passe, où, et qui est contre qui… Nous avons reçu, entre 21 heures 30 et 22 heures, 700 appels. De 21 heures 20 à 22 heures, nous avons décroché 584 appels, pour des conversations d’une durée moyenne d’une minute et vingt secondes. Le temps d’attente était de six à quarante-neuf secondes, compte non tenu du disque qui vous indique que votre conversation va être enregistrée, qui dure vingt secondes et qu’aux termes de la loi nous sommes tenus de passer. Une seule personne a attendu deux minutes et cinquante-cinq secondes avant que nous ne décrochions. Je me suis entretenu avec un cadre d’une importante société française de téléphonie : il m’a indiqué qu’aucune autre plateforme que la nôtre, en France, n’était capable de répondre à un tel flot d’appels. Il faut ajouter à cette difficulté le grand nombre d’adresses différentes qui nous a été donné : quand les choses se passent à l’angle de plusieurs rues, on vous donne plusieurs adresses ; en outre, il arrive que certaines personnes soient si paniquées qu’elles vous donnent l’adresse de leur domicile.

Pour ce qui est du Stade de France, je me suis immédiatement posé la question de savoir s’il fallait arrêter le match et faire évacuer le stade. Il se trouve que j’étais déjà sur place. J’ai rejoint l’état-major et l’officier commandant les opérations de secours (COS) – présent, tout comme le directeur des secours médicaux (DSM), dès qu’est organisée une manifestation réunissant plus de 30 000 personnes – nous a demandé nos instructions. Nous lui avons demandé de dire aux autorités se trouvant sur place de ne pas faire évacuer le stade, puisque nous avions à ce moment précis la certitude qu’aucune explosion n’avait eu lieu à l’intérieur. Nous avons également demandé qu’on joue le match jusqu’au bout afin d’éviter tout flux de personnes sortant avant la fin. Le préfet de Seine-Saint-Denis était sur place avec le Président de la République et c’est à niveau-là que la décision a été prise, décision qui, il faut le souligner, a considérablement servi les secours.

Nous avions de multiples raisons de départ, les uns nous appelant pour signaler une explosion, d’autres une fusillade, d’autres encore une prise d’otages.

Malgré toutes les difficultés auxquelles nous avons été confrontés, j’estime qu’il s’est agi d’une opération de secours réussie, étant donné qu’il était vraiment difficile de faire mieux et, cela étant dit, une fois encore, je m’incline avec un profond respect devant la peine des familles endeuillées.

Je discerne quatre facteurs de succès. Le premier a été l’anticipation. Voilà dix ans, en effet, que nous échangeons avec nos collègues des autres villes européennes, en particulier ceux exerçant dans des capitales. Nous avons tiré les enseignements de ce qui s’était passé à Madrid, à Londres, à Bombay. Les pompiers de Paris avaient créé le plan « Rouge », par la suite généralisé à la France entière : conçu en 1978, il visait à faire face à un grand nombre de victimes mais en un point unique. À l’issue du retour d’expérience avec nos collègues espagnols et britanniques, nous nous sommes aperçus que si nous étions confrontés à plusieurs frappes simultanées, ce qui ne s’était jamais produit et qui a eu lieu pour la première fois le 13 novembre dernier, le plan « Rouge » ne serait pas la bonne réponse.

Aussi, en 2005, avons-nous conçu le plan « Rouge Alpha ». Il n’existe qu’à Paris et la plupart de nos collègues des grandes villes françaises sont en train de l’adopter. Il permet de faire face à plusieurs frappes simultanées en divers lieux et d’accélérer le traitement des victimes.

Nous nous sommes donc adaptés à la menace, nous suivons ce qui se passe ailleurs et observons de quelle manière nos collègues étrangers réagissent. Or, depuis quelques mois, il était évident que se multipliaient les fusillades mortifères. Nous y avons travaillé bien avant l’été 2015. Le 8 octobre dernier, avec l’accord du préfet de police, le professeur Tourtier et moi-même sommes allés voir le professeur Carli. Nos réflexions ont abouti à l’organisation d’un exercice le 13 novembre au matin avec l’ensemble des SAMU.

Le deuxième facteur de succès a été l’organisation. À la BSPP, nous avons colocalisé le centre de traitement de l’alerte, qui reçoit les appels des requérants, l’état-major opérationnel, qui est notre salle de gestion de crise, et la coordination médicale qui est ma partie puisque je dispose de plus de soixante médecins à la BSPP. Cette configuration a été définie en 2011 et fonctionne très bien puisque, quand vous devez donner un ordre ou faire circuler une consigne, il suffit d’ouvrir une porte…

Le commandement est très centralisé. C’est le commandant des opérations de secours, le chef, c’est-à-dire moi, qui donne les ordres. Leur exécution, la conduite sur le terrain n’en est pas moins totalement décentralisée. Dès lors que les priorités ont été affichées, chaque centre qui reçoit un départ de secours sait où ses effectifs doivent aller et pour quel motif, l’exécution de l’opération étant confiée au cadre le premier arrivé sur place, qui a toute autorité pour prendre sa radio et demander des moyens en renforcement. C’est le centre opérationnel qui, ensuite, lui envoie les moyens dont il a besoin. Ce système est parfaitement rodé, puisque la BSPP effectue près de 1 250 interventions par jour.

Nous avons par ailleurs un état-major opérationnel à deux niveaux. En posture immédiate, la salle de crise de la BSPP est activée environ 280 fois par an, soit très régulièrement – elle l’a été, le 13 novembre, à 21 heures 25. Mais la salle de crise peut également être activée en posture renforcée avec un certain nombre de personnes logées sur place ou à proximité et qui sont d’astreinte et, alors qu’ils disposent d’une heure et demie, toutes sont arrivées en quarante minutes. On peut donc considérer qu’à 22 heures 10 la totalité de la salle de crise de la BSPP était opérationnelle.

Le troisième facteur de succès a été la préparation opérationnelle. Nos procédures sont rodées du fait d’exercices que nous réalisons tous les samedis matins sur des thèmes portant sur les attentats. Nous nous exerçons également, je l’ai dit, avec les SAMU et avec celui de Paris en particulier. Il ne faut pas oublier que la BSPP est une unité militaire : quarante-cinq de nos soixante médecins ont des opérations extérieures (OPEX) à leur actif, et la plupart des officiers de la Brigade ont également participé à des OPEX. Par conséquence, prendre en compte des blessés et agir sous les tirs, cela nous est arrivé à tous et ne risque pas de déstabiliser mes cadres.

Les décisions prises ont constitué le quatrième facteur de succès. Certaines sont planifiées. Les demandes de renforcement, par exemple, visaient à anticiper une montée en puissance, le risque que de multiples sites allaient être frappés. Les messages correspondants sont préformatés et il suffit de les expurger de ce dont nous n’avons pas besoin, messages qui vont beaucoup plus vite à envoyer que s’il nous fallait spécifier à chaque fois ce qu’il nous faudrait. Nous avons donc demandé immédiatement deux colonnes de renfort-attentat au centre opérationnel de la zone de défense et de sécurité de Paris, mais aussi le concours d’hélicoptères dans le cas où il faudrait évacuer des blessés, en évacuation secondaire, en dehors de la région parisienne – nous n’en avons pas eu besoin, tant mieux. En outre, le concours des associations de sécurité civile est planifié. Entre les attentats du mois de janvier et ceux du mois de novembre, nous avons en effet mis au point, avec la Croix-Rouge, l’Ordre de Malte et la Protection civile de Paris un accord aux termes duquel ces organisations nous envoient immédiatement, en cas de besoin, un officier de liaison au centre opérationnel. Vers 22 heures 15, j’ai eu un représentant de chacune de ces associations, ce qui nous a permis, par leur intermédiaire, d’envoyer des vecteurs d’évacuation sur les points où c’était nécessaire. Une autre mesure d’anticipation consiste à pouvoir s’appuyer sur les hôpitaux des armées Bégin et Percy.

À côté des décisions planifiées, il y a les décisions de conduite. Parmi ces dernières, nous sommes passés en une heure de sept à vingt et une ambulances de réanimation. Une ambulance de réanimation est un petit hôpital sur quatre roues, avec un médecin, un infirmier et un conducteur. La BSPP doit en avoir six en ligne tous les jours. Il se trouve que, le 13 novembre, nous en avions sept car, occasionnellement, nous pouvons avoir besoin de procéder à des évacuations sanitaires – c’est nous qui, par exemple, prenons en compte, à Villacoublay, les soldats rapatriés d’une mission extérieure. Le docteur Bignand, ici présent, m’a proposé de rappeler les médecins et d’armer des véhicules de secours et d’assistance aux victimes pour les transformer en ambulances de réanimation. Ainsi, au bout d’une heure, je disposais de vingt et un vecteurs médicalisés avec chacun un médecin, un infirmier et un conducteur.

Une deuxième décision a beaucoup joué en faveur de la réussite de cette opération : le baptême du terrain. Je vous l’ai dit, nous avons reçu un grand nombre d’adresses différentes et l’idée a été de donner un mot-clef pour chaque site afin que nous parlions tous le même langage. Vers 22 heures, 22 heures 10, j’appelle le centre opérationnel de zone, m’entretiens avec le chef d’état-major auquel je propose de donner un nom aux différents sites : « République », « Bataclan » etc. Voilà pour la BSPP et la préfecture de police ; je ne sais pas si cette idée a été reprise au-dessus.

Sur chaque site, j’ai demandé qu’on identifie un commandant des opérations de secours et qu’on s’assure de la présence d’un directeur des secours médicaux – ce qui a été fait.

Deux décisions nous ont par ailleurs permis de reprendre l’initiative concernant les appels : nous avons changé le message d’accueil du 18 et du 112, pour informer qu’en raison des événements graves qui se déroulaient dans la région parisienne, si l’appel n’était pas urgent, il était recommandé de le différer. Cette seule mesure a permis l’effondrement du nombre d’appels. Un peu plus tard, vers 23 heures, 23 heures 15, nous avons commencé à communiquer sur Twitter et sur Facebook et notre message, du même type, a été relayé 29 000 fois par tweet et 39 000 fois via Facebook – d’après les spécialistes, il s’agit de bons chiffres, attestant d’un taux de pénétration important.

Tout, bien sûr, ne s’est pas bien passé dans le meilleur des mondes : vous devez savoir, les familles des victimes doivent savoir, qu’il y a eu des forces de frottement concernant certes les victimes, mais aussi les secours.

La sécurité des sites a posé problème. Il est impératif de protéger les secours. Or nous ne savons pas, quand nous arrivons, si les terroristes sont toujours dans les parages. Mes hommes n’ont pas hésité une seule seconde à s’engager, mais ils l’ont fait parfois au péril de leur vie. La police a fait tout ce qu’elle pouvait mais, là encore, les premiers sites étant couverts, quand vous arrivez au troisième ou quatrième, cela devient difficile. Reste que tout s’est bien terminé puisqu’il n’y a pas eu de frappe supplémentaire – mais cela, on ne le sait qu’à la fin de l’histoire.

La deuxième difficulté est l’identification du commandant des opérations de police (COP), qui s’ajoute au COS et au DSM. Le COP est pour nous important car c’est lui qui met en place le plan « Rouge Alpha Circulation » (PRAC) qui permet de libérer des axes routiers pour faire arriver les secours et, surtout, pour libérer les axes d’évacuation des blessés. Il est donc nécessaire de pouvoir identifier immédiatement le policier responsable. La préfecture de police en a bien conscience et je puis vous garantir que des décisions ont été prises puisque, depuis le 13 novembre, au cours de plusieurs opérations, j’ai vu arriver le COP portant une chasuble jaune aisément identifiable.

Ensuite, les demandes extérieures de renseignements sont chronophages. J’ai reçu un tas de coups de téléphone de gens cherchant à savoir ce qui se passait ; or, quand on commande, on n’a pas le temps de répondre à tout le monde. Je suis poli, dès lors j’ai répondu à tout le monde ; mais cela est susceptible de vous démobiliser au moment où il faut prendre une décision.

Une dernière force de frottement est ce que j’appelle les fausses alertes par le haut. N’y voyez pas de ma part une critique des médias mais, souvent, ces derniers rapportent en direct des informations qui aboutissent à un « haut niveau », à la suite de quoi on nous appelle pour nous demander si nous sommes au courant, par exemple, d’une attaque à la gare du Nord. Nous vérifions : il n’y a pas d’attaque à la gare du Nord. Dix minutes plus tard : « Mon général, on nous dit qu’il y a cent morts à la gare du Nord. » Or je suis sûr que personne n’est mort à la gare du Nord, puisque nous avons envoyé des pompiers pour le vérifier. D’où l’intérêt de colocaliser le centre de traitement de l’alerte avec la salle de crise : nous demandons aux opérateurs d’interroger les personnes qui éventuellement appellent à ce sujet pour savoir où ils se trouvent exactement et s’ils voient ou non des blessés, s’ils voient ou non des gens armés. Au bout de cinq minutes, personne n’avait rien vu : tout n’était donc que rumeurs et ces rumeurs étaient arrivées par le haut. Lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher, j’étais alors commandant en second de la Brigade et présent au centre opérationnel : on m’a demandé cinq fois dans l’après-midi des secours pour des prises d’otages qui n’en étaient pas. Or nous ne pouvons pas faire partir les secours sur le fondement d’une rumeur.

Après avoir mentionné les forces de frottement, j’en viens à la coopération avec les autres acteurs que je qualifie d’excellente malgré les difficultés rencontrées.

D’abord avec le SAMU, avec lequel nous parlons régulièrement et que par conséquent nous connaissons. Il y a toujours des difficultés initiales d’appréhension mais je puis vous assurer que la coordination, ce soir-là, a fonctionné et pour une bonne et simple raison : nous avions réfléchi ensemble, nous nous étions exercés ensemble le matin même et la nuit, au Bataclan, le professeur Carli, le professeur Tourtier – mon directeur des secours médicaux – et moi-même avons tous les trois pris la décision d’évacuer les blessés qui sortaient et de les médicaliser à environ 500 mètres de là. Tous les accès au site étaient bouclés par la police et seule la rue Oberkampf était utilisable.

M. le président Georges Fenech. Vous avez pris cette décision tous les trois ?

Général Philippe Boutinaud. Tout à fait. Nous étions tous les trois devant le poste médical avancé. Nous avons donc décidé d’évacuer les blessés vers l’arrière car les faire partir vers l’avant eût été les faire passer dans l’axe de tir des terroristes.

Nous utilisons le système d’information numérique standardisé (SINUS), qui consiste en un code-barres imprimé sur un bracelet qu’on met autour du poignet des victimes pour les identifier et pour assurer leur suivi tout au long de la chaîne de prise en charge. Tous les services de l’État n’utilisent pas encore ce système mais une réflexion est actuellement conduite au ministère de l’intérieur pour sa généralisation au plan national. Si je puis assurer au préfet de police, à 4 heures 30, que j’ai 381 victimes, c’est parce que chacune a un bracelet SINUS. Ceux qui sont allés spontanément dans les hôpitaux sans passer par les mains des pompiers sont aussi des victimes, mais je n’ai pas à les comptabiliser. Les améliorations à apporter en la matière ne sont pas de mon ressort.

Ensuite, j’y ai fait allusion, nous avons renforcé la coordination avec les associations agréées de sécurité civile. Reste, et je le leur ai dit, à juguler l’enthousiasme : il faut envoyer ce qui est nécessaire là où c’est nécessaire, afin de garder de la réserve. Nous continuerons à organiser des exercices en ce sens.

Pour ce qui est de nos rapports avec la police, sur la liste de garde, tous les jours, des éléments de liaison sont identifiables et partent dès qu’on les sonne pour aller à la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), à la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), au centre opérationnel de zone etc. Autrement dit, ces directions de la préfecture de police reçoivent un pompier qui est le correspondant du centre opérationnel – il est important pour la police de savoir ce que font les pompiers.

Je reviens sur le cas d’un journaliste du Monde qui s’est réfugié dans une cage d’escalier, puis dans un appartement au quatrième étage qui se situait précisément dans l’axe de tir de la sortie de secours du Bataclan. Nous l’avons eu sept fois au téléphone, et sept fois nous lui avons expliqué – et à la dame qui se trouvait avec lui – que nous ne pouvions pas l’atteindre parce qu’il se trouvait dans la zone d’exclusion. Nous n’avons pas tout dit à ce journaliste parce qu’il était blessé par balle, ce qui est certes douloureux, mais dès lors que quelqu’un tient deux heures avec un pansement compressif, nous considérons qu’il s’agit d’une urgence relative ; sa peine ni son angoisse ne s’en trouvent diminuées et cela ne minimise pas le respect que je lui dois. Mais, je le répète, il était dans la zone d’exclusion et il était très difficile d’aller le chercher. J’ai été mis personnellement au courant de la présence de ce journaliste à cet endroit car le préfet de police lui-même me l’a signalée – nous pensions d’ailleurs au départ, comme il y avait deux personnes, qu’il s’agissait de deux journalistes du Monde. J’ai essayé, personnellement, de m’engager dans le passage, mais les forces de l’ordre m’ont signifié que ce n’était pas possible. Je pense qu’il y a moins de vingt mètres entre la sortie de secours du Bataclan et le porche d’entrée de l’immeuble où se trouvait ce monsieur. Je reconnais que ce cas fait partie de ceux qui sont difficiles à traiter, mais il y en aura toujours de ce type. J’ignore si cet exemple est bien choisi, mais il ressemble à celui d’un soldat blessé entre deux tranchées en 1916 : vous savez qu’il est là, qu’il a de la peine, qu’il va mal, mais, pour autant – je reviens au cas du journaliste –, peut-on se permettre le luxe de risquer la vie de deux ou trois personnes pour essayer d’entrer dans le hall ? C’est compliqué. Et, de toute façon, la police est intransigeante sur le non-franchissement de la zone d’exclusion. On peut en discuter mais je pense que la décision prise ce soir-là était la bonne.

J’ai évoqué la difficulté de protéger les pompiers et que reconnaissent les policiers, et je ne leur en fais pas du tout grief ; mais nous avons eu la chance de disposer de plusieurs soldats du dispositif « Sentinelle », notamment sur le site de Charonne et sur celui du Bataclan, soldats qui se sont révélés assez utiles.

Qu’avons-nous fait depuis ? Nous avons procédé à la prise en charge médico-psychologique de tous les pompiers de Paris qui sont intervenus ce soir-là. Il y a les victimes, bien sûr, mais il y a aussi les hommes et les femmes que je commande et tous – moi y compris – sont passés entre les mains d’un psychologue ou d’un psychiatre et tous seront suivis sur le long terme. À ma connaissance, une telle prise en charge n’a jamais été organisée à cette échelle.

Par ailleurs, vous savez peut-être que nous avons manqué de brancards. Un véhicule de secours et d’assistance aux victimes est équipé d’un brancard car il est censé ne transporter qu’une seule personne. Or il convient avant tout de transporter les victimes à l’horizontale. Nous les avons donc mises sur ce que nous avions sous la main, c’est-à-dire des barrières de foule. À première vue, cela peut choquer et laisser croire qu’il n’y a pas assez de moyens. Non : il est difficile de concentrer autant de moyens nécessaires en un seul instant. Pour l’heure, ce qui comptait, j’y insiste, c’était que les blessés soient transportés à l’horizontale. Nous avons distribué des trousses de damage control dans lesquelles on trouve des garrots tourniquets, des pansements hémostatiques, trousses qui se trouvaient déjà dans toutes les ambulances de réanimation. Désormais, tous les engins de la BSPP en sont pourvus.

Nous avons par ailleurs procédé, au niveau national, au regroupement du centre d’appel de la police et de celui des pompiers en un lieu unique. Aussi, pour l’Euro 2016, une plateforme d’appel unique sera opérationnelle.

Il convient d’y ajouter, avec le soutien de la mairie de Paris, de Mme Hidalgo, la création d’un module de formation au secourisme pour les Parisiens. Dans ce genre de circonstances, en effet, l’appui des personnes qui se trouvent sur les lieux est fondamental, ne serait-ce que pour accomplir les premiers gestes qui sauvent. Ainsi, depuis la mi-janvier, dans douze casernes de la BSPP, les Franciliens sont invités à se présenter et à apprendre pendant deux heures comment on fait pour sauver quelqu’un entre le moment où l’on a appelé les secours et celui où ils arrivent.

J’ai invité personnellement, la semaine dernière, mes homologues de Londres, Madrid, Berlin et Bruxelles, avec lesquels nous avons commencé à réaliser un retour d’expérience.

Je vais m’arrêter là. Je dirai simplement, en mon âme et conscience, que j’estime qu’il était difficile de faire mieux. Il ne faudrait pas croire que les pompiers ne sont que des acteurs indifférents. Un sapeur-pompier de Paris était spectateur au Bataclan : il a été victime de deux arrêts cardiaques et a dû être amputé d’une jambe. Nous le maintiendrons dans nos rangs car nous sommes solidaires : nous relevons nos blessés et nous les gardons. J’ai personnellement écrit onze lettres de soutien ou de condoléances à des sapeurs-pompiers de Paris qui ont perdu quelqu’un au cours de ces tragiques événements. Cela pour vous dire que ce qui est arrivé à ces gens nous a touchés profondément. Le professeur Tourtier et moi-même étions dans le Bataclan : nous n’oublierons jamais tous les téléphones qui vibraient sur les victimes laissant apparaître des messages commençant par : « Papa, maman… ». Je conclus sur ce point pour vous dire que c’est la plus grosse opération que j’ai commandée de ma vie – et j’ai participé à de nombreuses opérations dans mon existence ; j’ai trente-trois ans à mon actif au sein de l’armée française ; je suis très fier des hommes et des femmes que je commande et je vous le redis très sincèrement, dans les yeux : il était difficile de faire mieux.

M. le président Georges Fenech. Je vous remercie, mon général. Nous comprenons parfaitement votre émotion et croyez bien que la représentation nationale salue le courage, la bravoure et le dévouement de tous les hommes que vous avez commandés ce soir-là. Vous avez toute la sympathie et la reconnaissance de notre commission.

Vous avez été long mais c’était utile. Je donne immédiatement la parole au professeur Carli qui dirige le SAMU. Pourriez-vous faire un exposé plus court dans la mesure où nous sommes ensemble jusqu’à 17 heures 45 seulement et où de nombreuses questions vous seront posées ?

Professeur Pierre Carli, directeur médical du SAMU de Paris, chef de service au département d’anesthésie-réanimation de l’hôpital universitaire Necker-Enfants-Malades, président du Conseil national de l’urgence hospitalière. Je ferai mon possible, monsieur le président, mais je pense que je traiterai de nombreuses questions. Mon exposé sera complémentaire de celui du général Boutinaud et, comme lui, je pense que, le vendredi 13 novembre 2015, s’est produit le plus grave attentat, en France, depuis la seconde guerre mondiale. Le bilan humain est horrible : 130 morts, 350 blessés. Il est évident que les victimes, leurs familles et de nombreuses personnes se posent des questions. Nous allons tâcher de leur expliquer notre action, de répondre à leurs attentes, et nous vous remercions de nous donner l’occasion de le faire dans un cadre solennel.

Notre mission de médecins est simple : nous sommes au service des victimes. Au quotidien, à Paris et dans la région Ile-de-France, on compte huit SAMU ; chacun d’eux a une régulation médicale, c’est la loi, et chacun déploie soixante équipes de réanimation médicale. Le SAMU de Paris, ou SAMU 75, reçoit environ 800 000 appels au 15, dispose de neuf équipes médicales et procède à quelque 13 000 interventions médicalisées par an. De garde, à savoir le soir, comme le vendredi 13 novembre dernier, nous avons six équipes de service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), deux équipes pédiatriques, deux médecins régulateurs et quatre assistants de régulation médicale qui répondent au téléphone. En cas de catastrophe, le SAMU de Paris est chargé de coordonner l’action des sept autres SAMU de l’Ile-de-France.

Comme l’a rappelé le général Boutinaud, le précédent attentat remonte à il y a vingt ans. Il y était et moi aussi. La bombe qui a explosé à la station RER de Port-Royal a fait ce soir-là soixante-dix victimes dont douze urgences graves. Sur place, nous étions plus de 300 et, en moins de deux heures, dix-sept hôpitaux recevaient l’ensemble des victimes. Il y avait pour une victime trois ou quatre personnels de santé et de secours.

En vingt ans, les choses ont bien changé avec l’apparition de l’hyper-terrorisme. Je tiens à rappeler trois points marquants que le général a mentionnés : à Madrid, en 2004, survient un attentat multisites à la bombe ; à Londres, en 2005, un attentat multisites également et là aussi dans les transports ; à Bombay, en 2008, un attentat multisites encore, utilisant tous les moyens possibles pour causer le maximum de victimes. L’analyse de ces attentats, de leur déroulement, les multiples contacts que nous avons eus avec nos collègues des autres pays nous ont conduits à élaborer de nombreux plans : le plan matriciel de prise en charge des attentats multi-sites dans les transports – c’est le plan de la préfecture de police qui prévoit deux instructions, celle des pompiers, le plan rouge alpha, et le plan zonal des SAMU, surnommé « plan camembert », appellation que le préfet de police de l’époque n’avait pas beaucoup appréciée…

Ce plan coordonne les huit SAMU, divise la région Ile-de-France en secteurs et nous permet donc d’éviter l’accumulation des moyens médicaux sur un seul site, d’avoir un engagement raisonné et de sectoriser nos forces - pour les équipes SMUR, la petite couronne vient immédiatement renforcer Paris et la grande couronne renforce, pour sa part, la petite couronne -, mais aussi de sectoriser les hôpitaux. Cela est très important pour comprendre comment nous avons organisé l’évacuation vers l’hôpital. Dans chaque secteur, des hôpitaux sont en effet présélectionnés, ce qui évite, au cours d’un événement évolutif comme un attentat, que n’apparaissent des zones blanches, c’est-à-dire sans secours médicaux ou sans hôpitaux disponibles.

M. le président Georges Fenech. Par qui sont présélectionnés ces hôpitaux ?

Professeur Pierre Carli. Par nous-mêmes, mais, si vous le permettez, monsieur le président, je développerai ce point plus tard.

La simplification des procédures de régulation nous permet d’aller beaucoup plus vite qu’au quotidien où nous pouvons traiter les sujets dans le détail, et nous gardons des moyens en réserve pour pouvoir faire face au potentiel évolutif. Face à une attaque organisée, à un véritable acte de guerre, il ne faut pas seulement opposer des moyens, il faut aussi avoir une stratégie pour contrecarrer l’objectif de l’ennemi, qui est de faire le maximum de victimes, mais aussi de désorganiser notre prise en charge. Sur ce point, la coopération internationale s’est révélée importante pour nous.

Au début des années 2010, le général l’a souligné, la nature des attentats change : l’attentat à la bombe est remplacé par des attentats beaucoup plus meurtriers, utilisant notamment des fusils d’assaut. À Utøya, en Norvège, 69 personnes sont assassinées par un tireur : c’est l’une des premières tueries de masse. Les armes à feu seront utilisées à Toulouse en 2012, puis à Bruxelles et ailleurs. Dès cette époque, nous avons mis en place deux axes de travail importants : d’abord en ce qui concerne le soin aux blessés par des armes de guerre, notamment des fusils d’assaut, ensuite, pour ce qui est de l’adaptation de notre stratégie quotidienne à la prise en charge de ces sites multiples, en dehors des transports.

Dans ce cadre, nous avons de nombreux contacts avec le professeur Tourtier. Or comme l’a rappelé le général Boutinaud, les sapeurs-pompiers sont des militaires et, ayant été sur le terrain, ils connaissent les armes de guerre. Nous allons donc travailler avec eux pour convertir leurs techniques sur des théâtres d’opérations militaires en des prises en charge de victimes civiles non protégées par des équipes médicales civiles, les SAMU et les SMUR. Nous élaborons et publions des protocoles, les soumettons à nos collègues. Nous avons ainsi réalisé deux exercices de simulation, notamment de fusillades, en 2013 et en 2014. Nous avons pris ces initiatives en tant que chefs de service et elles ont été bien entendu approuvées et confortées par nos tutelles : la direction générale de l’assistance publique, l’agence régionale de santé (ARS) et les ministères concernés.

Au mois de janvier 2015, l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo va malheureusement confirmer la justesse de notre anticipation : de nombreuses personnes sont tuées très rapidement avec un AK47. On compte en outre des blessés graves et on constate l’implication de nombreux individus. Nous en tirons deux enseignements. D’abord, nous comprenons alors que le danger est important : un policier qui se trouve sur le chemin des terroristes est assassiné ; or nous savons très bien que nos ambulances sont à proximité immédiate et que nous pouvons donc nous retrouver à tout moment face à des gens qui nous exécuteront parce que nous portons un uniforme. Le second enseignement concerne l’urgence médico-psychologique qui, si elle est importante en cas de catastrophe, se révèle essentielle dans celui d’un attentat. Or, à l’occasion de l’attentat de Charlie Hebdo, cette demande explose. Nous prenons donc, sur le terrain, des décisions opérationnelles. Ainsi, avec le prédécesseur du général Boutinaud et avec le professeur Tourtier, dans la rue, devant les locaux de Charlie Hebdo, nous décidons que les victimes médico-psychologiques doivent être amenées à l’Hôtel-Dieu dans une structure « dure », en sécurité, où elles pourront être prises en charge dans l’environnement le plus rassurant possible.

La prise d’otages à Dammartin-en-Goële et celle de l’Hyper Cacher constituent une nouvelle expérience. En effet, nous sommes là au contact de la police et de ses unités spéciales. Contrairement au contexte d’une fusillade, nous disposons de temps pour nous organiser : une négociation est engagée. Nous pouvons prévoir des voies d’évacuation très rapides, demander à la police de les sécuriser. Il s’agit donc d’un dispositif très différent où, clairement, les forces de police nous disent : « Vous, médecins civils du SAMU et du SMUR, vous ne devez pas pénétrer dans la zone dangereuse car vous n’êtes ni préparés ni entraînés pour cela ; vous êtes tout proches de nous et nous établissons un rapport entre nous pour prendre en charge les victimes. »

De janvier à novembre, nous n’allons pas perdre notre temps : nous acquérons du matériel, des garrots, des médicaments ; nous réalisons des formations pratiques, des exercices de fusillade, encore une fois – et cette fois-ci nous décidons de l’effectuer dans un TGV, dans la nuit du 17 au 18 juin, à la gare Montparnasse et, vous le savez, ce scénario d’attentat sera le même que l’attentat manqué du mois d’août – ; nous discutons des plans, occasion pour moi de rencontrer pour la première fois le général Boutinaud dont le premier mot, lorsqu’il me voit, est : « Bombay ». La direction générale de l’ARS change et, exactement de la même manière, nous travaillons sur l’attentat multisites qui paraît se rapprocher.

Le 13 novembre, à 9 heures, alors que nous avons déjà réalisé, pendant l’année, de nombreux exercices, nous menons celui de régulation zonale, préparé avec la BSPP, les huit SAMU et les hôpitaux qui doivent recevoir en première intention les blessés graves. Cet exercice dure trois heures et implique l’utilisation de téléphones, de tableaux, de cartes. Il porte sur treize sites et l’hypothèse retenue est de 66 morts et une centaine de blessés. De nombreux participants jugent qu’il s’agit d’un scénario exagéré et que ce n’est pas celui qui se produira. La suite, vous la connaissez. Nous avions prévu, la même semaine, d’autres formations dont une s’appelait « Sécurité lorsqu’on est sur les sites de fusillade », exercice que nous n’avions pas pu mener à bien et qui nous aurait été très utile le vendredi 13, mais que nous avons, depuis, bien sûr, réalisé.

Ce vendredi 13, un élément nous a beaucoup frappés. Entre le SAMU et les pompiers de Paris, depuis plusieurs années, il n’y a ni concurrence ni conflit : nous sommes complémentaires au quotidien ; nous avons créé une feuille de route ; une convention, signée par les ministères compétents, a été approuvée par nos tutelles ; nos exercices et nos formations sont communs ; nous échangeons nos médecins. Or, ce soir-là, l’action des médecins sur le terrain est partagée par la BSPP et par les médecins des SAMU. Ont été évoquées des insuffisances de communication. Eh bien, la deuxième personne qui appelle le professeur Tourtier, c’est moi. Toute la soirée, nous allons être côte à côte sur deux sites : rue Bichat et au Bataclan, avec nos moyens de communication respectifs qui nous permettent de rendre compte à nos équipes. Nous nous répartissons les rôles : au départ de la rue Bichat, Jean-Pierre Tourtier me dit : « Je vais au Bataclan, tu prends Charonne. » Et je vais rue de Charonne. Il me dit : « Renforçons les équipes ! » Je double la mienne avec un médecin et un infirmier des sapeurs-pompiers qui montent dans les véhicules du SAMU. Nous travaillons donc ensemble. Nous nous retrouvons tous les trois, dans la soirée, comme vous l’a indiqué le général, dans la rue, à côté du Bataclan, rue Oberkampf, pour prendre des décisions.

Ce qui nous inquiétait, dans l’hypothèse d’un attentat multi-sites, monsieur le président, c’était l’alerte, en tout cas au SAMU. À Londres, nos collègues, pendant très longtemps, n’ont pas su ce qui se passait, ce qui les a considérablement gênés dans leur action. Là, heureusement, l’alerte a été rapide. La situation au Stade de France devient rapidement évidente, les SAMU vont échanger très vite des informations. Nous pouvons donc commencer le recensement des lits disponibles, à rappeler les personnels, ouvrir la salle zonale – qui n’avait pas été débarrassée de l’exercice du matin : il a suffit d’effacer les tableaux et de recommencer. La stratégie que nous mettons en place – la « stratégie du camembert » – consiste immédiatement à prendre une décision importante et que j’assume : je dis à Jean-Pierre Tourtier, au téléphone, qu’aucune équipe du SAMU de Paris ne se rendra au Stade de France – qui est pourtant très près. Nous devons défendre le territoire et, en conséquence, nos équipes vont avoir à se déployer dans la capitale – elles partent d’ailleurs immédiatement – car nous savons qu’il s’agit d’un attentat multi-sites.

Paris est divisé en trois grands secteurs – les portions du camembert. Celui du Nord est pris en charge par le SAMU 93, représenté ici par le professeur Adnet ; à nous de lui trouver des moyens pour le renforcer ; des hôpitaux sont affectés à ce secteur : l’hôpital Avicenne, l’hôpital Beaujon, l’hôpital Bichat, l’hôpital Lariboisière et l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP) ; des renforts de la petite couronne – avec le SAMU 92 – et de la grande couronne – avec le SAMU 95 – vont venir l’appuyer. Le secteur Est se situe pour l’essentiel dans Paris et sera donc surtout pris en charge par le SAMU 75, immédiatement renforcé par le SAMU 94, représenté ici par Mme Chollet-Xémard, qui est celui de la petite couronne le plus proche ; quant aux hôpitaux affectés à ce secteur, il s’agit, comme prévu, de la Pitié-Salpêtrière, de l’hôpital Henri-Mondor, de l’hôpital Saint-Antoine et de l’hôpital Bégin. En ce qui concerne le secteur Ouest, il n’y a pas d’attentat pour l’instant. Le SAMU 92 vient donc rapidement renforcer les SAMU 93 et 75 et le SAMU 78, représenté par le docteur Lambert, se rapproche du SAMU 92 pour savoir à quel moment il va être déployé dans la capitale, ce qui adviendra un tout petit peu plus tard sur le site du Bataclan.

Je vous l’ai dit : il n’y a pas de problème de communication entre nous, mais les outils de communication sont soumis à une très forte tension. Le général Boutinaud vous a donné ses chiffres. Le standard téléphonique du SAMU, quant à lui, subit une augmentation des appels de 420 % dans la demi-heure qui suit les attentats. Entre 22 heures et 23 heures, nous aurons jusqu’à 200 % d’augmentation en permanence. L’un des critères de qualité du centre 15 est le fait de décrocher dans les soixante secondes. Pendant un certain temps, ce critère va s’effondrer à 20 %, ce qui ne signifie pas que nous ne répondons pas mais que, au bout de vingt minutes, 20 % des appels sont décrochés dans les soixante secondes. Dans l’heure qui vient, nous parvenons à faire remonter ce taux à 50 % grâce aux personnels rappelés et qui prennent immédiatement le téléphone et qui ouvrent des lignes sans même prendre le temps de poser leurs affaires. Les lignes de la salle de crise sont libres, le système de radio ANTARES – Adaptation nationale des transmissions aux risques et aux secours- pose quelques problèmes pendant la soirée, mais sans que nous en soyons surpris – vous connaissez sans doute par cœur le rapport du sénateur Vogel ; et vous savez aussi que, pragmatiquement, nous allons utiliser nos téléphones portables de service parce que la couverture est très bonne, les relais fonctionnent très bien, et parce que ces téléphones nous permettent d’avoir des contacts personnalisés – nous « sautons » ainsi par-dessus les standards qui sont réservés à l’accueil du public.

À propos de l’organisation du commandement, ce que vous a indiqué le général Boutinaud est parfaitement vrai : il n’y a pas de discussion en la matière. Il y a un commandant des opérations de secours, un directeur des secours médicaux qui, à l’intérieur de Paris, est toujours un pompier et, à ses côtés, un médecin régulateur du SAMU. Ce dernier est un médecin senior qui connaît les procédures de régulation, connaît les hôpitaux et est chargé d’organiser les groupes de patients qui vont être évacués.

Comment les hôpitaux sont-ils choisis, m’avez-vous demandé, monsieur le président ? Cette question a fait couler beaucoup d’encre. Ils sont déterminés en fonction de la géographie. La régulation médicale est déportée sur le site – la régulation médicale, c’est ce que nous faisons tous les soirs pour tous les patients graves – ; elle reçoit des informations opérationnelles du SAMU qui indique quels sont les hôpitaux disponibles et s’ils n’ont pas trop reçu de victimes. Ainsi, nous n’enverrons pas de blessés thoraciques à l’hôpital Saint-Antoine, pourtant à proximité des sites, puisqu’il est spécialisé dans l’orthopédie et la chirurgie digestive, spécialités pour lesquelles, en revanche, nous utiliserons cet établissement. L’hôpital Saint-Louis, lui, mitoyen du site Bichat, reçoit des arrivées spontanées de blessés et des brancardages de proximité sont organisés ; aussi la régulation médicale nous demande-t-elle de ne pas y envoyer de patients graves puisqu’il en a reçus de manière inopinée.

Ce concept de régulation n’est pas rigide, mais dynamique. La chirurgie cardio-thoracique, la neurochirurgie font appel à des centres limités dans Paris. Nous ne sommes donc pas « coincés » dans le « camembert », si j’ose dire, mais nous l’utilisons au maximum. Cette organisation pré-hospitalière est un critère de qualité qu’il vous faut connaître : après cette régulation, il n’y a pas eu de transferts inter-hospitaliers – les patients ont été soignés dans les hôpitaux où ils sont arrivés. Si tout se passe bien à l’arrivée à l’hôpital, et ce fut le cas ici, c’est parce que l’hôpital dispose du temps et des informations nécessaires pour s’organiser et parce qu’il reçoit les bons patients et dans un nombre adapté. Un transport très rapide, évoqué par certains, consistant à se rendre dans l’hôpital le plus proche sans soins ni régulation, ce qu’est, d’une certaine manière, le scoop and run des Américains, si tant est du reste qu’une telle stratégie soit applicable en cas d’attentats multisites – je vous montrerai tout à l’heure qu’elle ne l’a jamais été –, aurait provoqué un afflux massif de blessés vers certains hôpitaux, avec un accueil chaotique et une baisse immédiate de la qualité et de la sécurité des soins. Le scoop and run ne fait que déplacer un problème de la rue à l’entrée de l’hôpital. La régulation médicale, le plan « camembert » que nous avons mis en place, a au contraire permis une répartition homogène des victimes, et en ce sens nous avons fait mieux que Madrid et Londres, sans compter le fait que nous n’avons pas dispersé dans toute la région nos ressources médicales.

Pour les hôpitaux qui reçoivent les victimes, ce soir-là, il n’y a pas d’afflux saturant mais un flux continu parce qu’ils reçoivent des groupes de patients, ce qui permet d’adapter le travail. La Pitié-Salpêtrière, hôpital qui n’a reçu que cinquante blessés, soit 15 % du total, alors qu’il s’agit du site le plus important, reprend son activité, comme vous l’a indiqué Martin Hirsch, dès 6 heures le lendemain matin, en effectuant des greffes qui étaient en attente de quelques heures.

La régulation médicale présente de nombreux avantages par rapport aux expériences hospitalières étrangères n’intégrant pas ce dispositif. À Madrid, seuls deux hôpitaux de proximité ont reçu 50 % des victimes – les hôpitaux militaires n’ont pas été utilisés alors que nous les avons pour notre part employés. À Londres, cinq hôpitaux étaient proches des sites : le Royal London Hospital a reçu à lui seul un tiers des blessés, soit plus de 200 et, en l’absence de régulation, un hôpital pédiatrique, à proximité, a reçu lui vingt blessés adultes alors qu’il ne s’agissait pas du tout de son type de patients habituels.

La faible mortalité hospitalière de la soirée du 13 novembre – 1,4 % – s’explique en particulier par la qualité des soins, l’absence de saturation et l’organisation pré-hospitalière et hospitalière.

La médicalisation pré-hospitalière, qui a été discutée, est très importante. Le taux de médicalisation, le nombre d’équipes médicales sur le terrain a été supérieur à ce qu’il fut lors des attentats de Londres et même de Madrid. L’arrivée des équipes médicalisées au contact des victimes a été plus rapide à Paris qu’à Londres : deux sites sur quatre, dans la capitale britannique, n’ont eu un médecin qu’une heure ou une heure et quart après le déclenchement des opérations. Or tous les rapports de tous les collègues confrontés, à Paris, à cette situation affirment que la médicalisation permet le triage médicalisé, de détecter le patient dont le cas s’aggrave, d’appliquer la technique du damage control aux blessés, de gérer le temps, de favoriser la prise en charge. Nous avons essayé d’employer le maximum de médecins sur le terrain. Ainsi, ici, certains véhicules partent du SAMU en renfort avec deux équipes médicales pour le site de Charonne ; là, deux infirmiers partent avec du matériel supplémentaire. Nous agissons comme la BSPP : avec des véhicules, nous créons des ambulances de réanimation complémentaires. Le résultat médical ainsi obtenu est supérieur à celui observé dans d’autres circonstances d’attentats. Voilà qui montre en tout cas que le scoop and run n’est probablement pas la panacée.

L’analyse scientifique précise de ce que je suis en train de vous dire est en cours : les données de chaque victime, tous les temps d’attente, les scores de gravité des lésions, les examens, sont intégrés dans une banque de données. Ce travail prendra beaucoup de temps – plusieurs mois – mais sera mené à terme et nous obtiendrons ainsi un résultat par patient et qui montrera l’importance de la médicalisation.

Cela vous paraît sophistiqué mais, dans le plan « Rouge Alpha », avec le général Boutinaud et ses prédécesseurs, nous avons prévu des verrous de sécurité. L’un d’eux est intéressant. Dans le plan « Rouge Alpha », pour quelque raison que ce soit, s’il n’y a pas assez vite de médecins sur place, le COS, officier des sapeurs-pompiers, peut décider une évacuation de proximité sans attente.

J’en viens à la sécurité des sites, évoquée par le général. Vous avez vu les vidéos et pu constater que sur tous les sites de fusillade, notamment au Bataclan, il y avait un vrai danger pour nous. Une voiture est entrée dans le périmètre où nous avions installé le poste médical avancé ; nos premières équipes se sont réfugiées sous un porche. Les policiers ont été extraordinaires avec nous : tous ont essayé de nous protéger pour nous permettre d’assurer le maximum de soins aux victimes. Il en est allé exactement de même avec les militaires du dispositif « Sentinelle ».

La sécurité des évacuations est un sujet différent. Il est en effet beaucoup plus difficile, dans ce quartier, de sécuriser nos évacuations. Il y a de nombreuses petites rues, bloquées, au bout desquelles nous ne savons pas ce qui se passe – un autre attentat est toujours possible. Des sites proches, des véhicules dans tous les sens forment un problème très complexe à résoudre pour la police, à laquelle il est difficile de nous dire que nous pouvons partir avec une escorte. Ceci a provoqué ce qui a pu être considéré par certains comme des temps d’évacuation longs. Or ils n’ont pas été si longs que cela : le fait que des victimes arrivent à l’hôpital en deux heures dans le cas d’une urgence relative – leur vie n’étant pas en danger – et alors que l’attaque s’est produite aux endroits et dans les circonstances évoqués, a été constaté à l’occasion de tous les autres attentats. Certes, les variations individuelles sont très importantes, et si des victimes atteignent l’hôpital en quelques minutes, le dernier arrivé y parviendra bien sûr beaucoup plus tard.

À Londres, par exemple, alors que nous sommes en milieu urbain, il faudra plus de deux heures à certains patients pour arriver à l’hôpital. À Madrid, la majorité des patients vont arriver à un hôpital aussi important que La Pitié-Salpêtrière et qui se trouve à proximité, entre deux ou trois heures après l’attentat. Le plus terrible est l’exemple d’Utøya : la fusillade a eu lieu à un endroit où existe un risque pour les secours dès leur arrivée. Des victimes s'enfuient et seront vite évacuées quand d’autres sont coincées sur place et seront évacuées jusqu’à cinq heures après l’attaque. C’est pour cette raison que nous ne mettons pas toute notre énergie dans le scoop and run des Anglo-Saxons, car ce dispositif joue la seule carte de la rapidité sans prise en charge médicale. C’est prendre le pari de pouvoir évacuer rapidement les victimes ; or, dans le cadre d’un attentat multisites, la faisabilité d’une évacuation immédiate n’est jamais certaine. Notre organisation – SAMU, BSPP – a l’avantage de s’adapter à la réalité du terrain, c’est-à-dire d’utiliser le meilleur compromis entre l’évacuation rapide et la médicalisation.

À Paris, ce soir-là, le temps d’évacuation n’était pas dû à un problème de régulation médicale ni à un problème de moyens, de soins médicaux ou de communication. Il fallait constituer les groupes de patients pour pouvoir organiser ces petits convois vers les hôpitaux, les faire protéger par la police et pouvoir partir avec l’escorte. La médicalisation nous a permis de « prioriser » l’évacuation des patients les plus graves, de les placer en tête et de les faire partir au plus vite. Le problème de l’accessibilité des victimes, dont on a beaucoup discuté, n’a en fait joué que pour le Bataclan puisque, vous le savez, l’extraction de victimes en grand nombre est très difficile lorsqu’une opération de police est en cours et cette situation, inédite, n’était pas similaire à celle de l’Hyper Cacher. Aussi la réflexion que nous menons sur ces points avec la police connaît-elle une évolution très importante afin que nous puissions aller encore plus loin.

Je me permets d’y insister : a posteriori, les temps d’évacuation sont comparables à ceux constatés pour les autres attentats, voire plus courts. La mortalité hospitalière des victimes a été faible – 1,4 %, je le répète –, et même l’une des plus faibles. Nous avons exploité au mieux les avantages du système mis en œuvre.

Je dirai un mot sur notre salle de régulation dont nous sommes très satisfaits : nous avons pu en disposer au mois de décembre 2014, quelques jours avant l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo. Auparavant, nous n’en avions pas. Les moyens en sont rustiques : nous utilisons des tableaux, des cartes sur lesquelles nous n’hésitons pas à dessiner. Nous avons eu de nombreux contacts avec des collègues étrangers : ils procèdent exactement de la même manière que nous. En effet, l’informatique, c’est très beau, mais c’est long à mettre en œuvre et il faut un personnel nombreux pour entrer les données. La régulation que nous avons appliquée a coordonné les autres régulations, a fourni des informations à ceux qui se trouvaient sur le terrain. Son rôle, vis-à-vis du médecin régulateur, est simple : celui-ci reçoit les informations, demande des renforts et les équipes du SMUR, une fois déployées, peuvent être « réinjectées » dans la régulation. En moyenne, toutes les équipes ont travaillé deux fois sur deux sites différents. Ainsi, le SAMU 93, depuis le Stade de France, a été redéployé vers Paris. Là encore nous avons prévu un verrou de sécurité : si, dans ce plan de régulation, les communications sont interrompues, chaque médecin régulateur, sur chaque site, qu’il soit du SAMU ou de la BSPP, continue à travailler, à faire évacuer les victimes, sans partir de la zone qui lui a été impartie.

Je tiens à présent, tout en ayant conscience que le temps passe, à communiquer à la commission quelques points qui me semblent importants.

Le fait que nous ayons gardé des ressources pré-hospitalières et hospitalières en réserve a résulté d’un choix stratégique et c’est même un critère de qualité : la situation était évolutive et, au début, nous ne savions pas quels seraient la nature, les lieux, l’ampleur de la poursuite de l’attaque. Nous n’avions qu’une idée en tête : le but des terroristes est de nuire et donc de nous désorganiser. L’attentat multi-sites n’est pas une catastrophe naturelle ou technologique : c’est un acte de guerre. Or il faut opposer à un acte de guerre une stratégie à même de contrecarrer les plans de ceux qui nous attaquent.

Deuxième point : cette nuit a été longue et nous aurions pu tenir trente heures – c’était l’objectif –, durée des combats à Bombay. Nous avions soixante équipes et en avons utilisé quarante-cinq ; quinze ont servi en renfort. Au Bataclan, le potentiel d’aggravation était majeur. Nous avons pris un certain nombre de décisions dont le maintien de l’activité quotidienne – le service à la population a été maintenu. Enfin, la réserve, pour les moyens pré-hospitaliers, a permis de relever les équipes en fin de nuit car je puis vous dire qu’à quatre heures du matin, nous étions vraiment sur les genoux. Pour l’hôpital, c’est plus terrible encore : quand il reçoit des victimes, même en petit nombre, il va brûler ses ressources, toutes ses équipes étant mobilisées, et si nous « consommons » ainsi tous les hôpitaux, il n’y a plus rien. Tous les hôpitaux ont été alertés et ont communiqué leurs disponibilités prévisionnelles, immédiates aux régulations de SAMU. Mais une partie seulement de ces hôpitaux ont reçu effectivement des victimes : 60 % pour l’assistance publique, 30 % pour la région. Le secteur Ouest a constitué la majeure réserve pour les hôpitaux. C’est dur pour ces équipes parce qu’elles sont mobilisées comme les autres, parce que leurs équipes SMUR sont déjà parties sur le terrain mais, dans ce secteur, nous avons des centres hospitaliers de grande qualité et très motivés. Reste que le dispositif n’est pas fait pour les médecins mais pour les victimes. Or, pour les victimes, il était important, j’y insiste, de garder des moyens en réserve et de proposer des soins de bonne qualité, ce qui a été fait.

130 morts et 350 blessés, c’est un bilan horrible. J’ai trente-cinq ans de SAMU, comme le général Boutinaud a trente-trois ans à son actif dans l’armée, et moi non plus je n’avais jamais été confronté à cette violence extrême. Violence extrême à laquelle ont été confrontés de jeunes médecins qui ont pris en charge, dans la rue, des victimes qui avaient leur âge. Les plus anciens avaient l’âge de nos enfants. Les enfants de plusieurs médecins – que vous avez reçus – ont été tués ce soir-là. Une femme médecin du centre d’appel du SAMU, à Paris, se trouvait malheureusement parmi les victimes : le docteur Verry était au mauvais endroit au mauvais moment…

Face à un drame comme celui-là, donner entière satisfaction est impossible.

Mais, et ce sera ma conclusion, je tiens à insister sur le fait que nous nous étions préparés, que nous avons essayé d’anticiper, que nous avons une stratégie que nous avons répétée. Or il y a toujours un fossé entre la stratégie, l’anticipation et ce qui se réalise. Reste que ce qui n’était qu’une hypothèse, avant le vendredi 13, est devenu la base de travail sur laquelle nous construisons la suite qui peut être beaucoup plus grave, beaucoup plus compliquée. Je tiens à dire aux victimes et à leurs familles que, vraiment, les personnels de santé se sont mobilisés : 70 % de ceux du SAMU. Et nos équipes n’ont pas hésité à s’engager physiquement alors que le contexte était dangereux. Nous avons fait du mieux que nous pouvions avec les moyens dont nous disposions. Notre but était que les blessés soient pris en charge de la meilleure façon possible. Nous, médecins civils, notre façon de lutter contre le terrorisme était d’être là ce soir-là et de faire le maximum.

M. le président Georges Fenech. Au nom de la commission, je vous adresse – et, à travers vous, à l’ensemble des personnels du SAMU – les mêmes hommages que ceux que j’ai adressés à la BSPP. Je vous remercie pour votre exposé, si complet qu’il nous laisse peu de temps pour la discussion, mais il était important que vous apportiez toutes ces précisions.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. À mon tour je salue le travail exemplaire de la BSPP et du SAMU.

Je reviendrai sur votre intervention au Bataclan. À quel moment commencez-vous à prendre en charge les blessés ? À quel moment pénétrez-vous à l’intérieur du Bataclan et qui vous en donne l’ordre ? Est-ce après l’assaut final ? Enfin, comment avez-vous coordonné votre action avec celle du médecin de la colonne de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) qui a joué un rôle important, qui était à l’intérieur du Bataclan et, a priori, en lien avec vous ? Pouvons-nous avoir des précisions d’ordre chronologique ?

Général Philippe Boutinaud. L’action commence au Bataclan aux alentours de 22 heures. De mémoire, le premier appel a été reçu par les pompiers de Paris à 21 heures 49. Nous avons dès lors envoyé une première équipe et qui, arrivée sur place, a été prise immédiatement sous le feu des terroristes, tirant depuis l’intérieur du Bataclan. L’engin des pompiers a été atteint par plusieurs balles. Pendant tout le temps qui a précédé, vers 0 heure 20, l’assaut final mené par la BRI avec l’appui du RAID – Recherche, assistance, intervention, dissuasion –, nous avons reçu des victimes qui parvenaient à sortir d’eux-mêmes pendant le moment où les terroristes changeaient le chargeur de leur kalachnikov – ces victimes-là étaient valides bien que blessées, parfois d’une balle dans le bras, la jambe ou ailleurs. Nous les avons donc prises en charge au fur et à mesure qu’elles sortaient par groupes. Il a fallu également prendre en compte les blessés qui se trouvaient sur le trottoir – car on évoque toujours l’intérieur du Bataclan, mais les terroristes ont commencé à tirer sur ceux qui étaient à l’extérieur en train de fumer leur cigarette. Toutes les personnes que nous avons pu récupérer, nous les avons emmenées sur le côté, dans la rue Oberkampf où nous avons ouvert successivement trois postes médicaux avancés.

Il faut bien comprendre que, lorsque les policiers sont arrivés, ils sont parvenus à pénétrer au rez-de-chaussée après qu’un des leurs – je l’ai appris plus tard – a abattu un terroriste. Ensuite, et le commissaire qui commande la BRI a dû vous l’expliquer dans le détail, la montée dans les étages est ce qui a pris du temps : de très nombreuses personnes sortaient, il fallait les fouiller, s’assurer qu’elles ne portaient pas de gilet d’explosifs. Donc, tout au long de la soirée, nous avons pris en compte des victimes et, évidemment, dès que l’assaut final a été donné, il a fallu aller chercher celles qui ne parvenaient pas à se déplacer, et nous sommes entrés quand la BRI a donné le feu vert. Juste à côté des forces d’intervention, j’étais en contact continuel avec elles.

Le professeur qui était dans la colonne, que je connais très bien – je travaille avec lui au quotidien –, venait me voir directement au coin de la rue pour me parler et pour, notamment, me demander des brancards supplémentaires. Nous avons continuellement coordonné notre action tous les deux et c’est de visu que nous avons établi la procédure d’évacuation des victimes.

Une fois que la BRI nous a donné le feu vert pour entrer dans la salle du Bataclan, notre première action a consisté à vérifier que, sous les corps, il ne restait pas des personnes blessées, encore vivantes.

M. Philippe Goujon. En tant qu’élu parisien, ma reconnaissance va à l’action des hommes de la BSPP et du SAMU.

Les missions de la BSPP vont croissant, auxquelles il faudra éventuellement ajouter celles liées à la survenance d’autres attentats multisites – qui sait, plus difficiles encore à traiter que celui-ci –, à la construction prochaine du Grand Paris Express, au risque d’une crue centennale et donc à l’application des plans de prévention des risques d’inondation (PPRI), à la tenue, au mois de juin prochain, de l’Euro 2016, à l’organisation possible de prochains Jeux olympiques, d’une prochaine Exposition universelle…

Or on constate que le budget spécial de la préfecture de police dédié aux sapeurs-pompiers de Paris est en baisse. Et si nous avons pu le stabiliser pour cette année, il n’en reste pas moins en forte diminution par rapport à 2014, si bien que vous perdez des effectifs – perte que j’évalue à 250 personnes, ce qui est loin d’être négligeable – et si bien que vous devez fermer plusieurs sites, abandonner un certain nombre de véhicules, non seulement des grandes échelles, mais certainement d’autres aussi. Du coup, les investissements sont en baisse… Bref, on note une distorsion entre l’augmentation des besoins de la Brigade – et Dieu sait si vous avez dû intervenir massivement lors de cet attentat – et la baisse des moyens, même si cette dernière, j’y insiste, aurait pu être plus grave encore – la mise en œuvre du plan de modernisation a été quasiment interrompue.

Vous avez évoqué le PRAC et la rapidité avec laquelle vous arrivez sur les lieux ; mais, là aussi, la politique d’urbanisme de la Ville de Paris, je le dis de façon objective, consiste à restreindre de plus en plus la circulation : les projets d’aménagement d’une demi-douzaine de places parisiennes prévoient une quasi-suppression de la circulation ; la voie express de la rive droite va être définitivement fermée à partir du mois de juillet – je m’exprime en présence du député de la circonscription concernée, Pierre Lellouche, qui a d’ailleurs récemment posé une question au Gouvernement sur le sujet. Un certain nombre d’unités de police nous ont fait part de leur difficulté, déjà dans les circonstances actuelles, à se rendre sur les lieux où ont été commis des attentats. Qu’en est-il dès lors de la capacité d’intervention de la BSPP, de sa capacité, en particulier, à parvenir aussi rapidement sur les lieux que cela a été le cas au Bataclan ?

J’ai ensuite une question à poser au professeur Carli : les blessés ont certes été traités mais, nous a indiqué le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP), la durée moyenne d’attente aux urgences, à Paris, est de quatre heures – durée qui va bien souvent jusqu’à sept à huit heures dans certains hôpitaux parmi ceux que vous avez cités et que je connais bien. Aussi, que se passe-t-il pour les patients qui se trouvent déjà aux urgences et qui attendent, donc, de quatre à huit heures, et pas forcément pour de simples entorses, alors que les hôpitaux où ils se trouvent accueillent des centaines de personnes blessées par les attentats ? Pourquoi n’a-t-on pas transféré également ces blessés vers les hôpitaux privés, que vous n’avez pas mentionnés ?

Général Philippe Boutinaud. La partie budgétaire relève directement de ma responsabilité. Je confirme que la discussion budgétaire a été quelque peu compliquée. Pour l’année 2016, j’ai fait valoir des arguments auprès du préfet de police qui, intimement convaincu qu’il fallait préserver les moyens opérationnels de la BSPP, les a relayés auprès de la municipalité de Paris puis au Conseil de Paris. Fort heureusement, le budget de la BSPP pour 2016 lui permet de remplir sa mission. Les éventuels problèmes budgétaires ont-ils eu un impact sur ce qui s’est passé le 13 novembre ? Très franchement, non. Toute la rationalisation de la BSPP à laquelle il a été procédé touche le soutien logistique mais n’a absolument pas affecté la partie opérationnelle.

En outre, nous avons en effet fermé des sites au cours des deux années précédentes mais, grâce au budget que j’ai pu obtenir pour 2016, il n’y en aura pas d’autres. Et si le budget avait diminué, les sites concernés par une fermeture auraient été des centres de secours. Aussi la couverture opérationnelle de la BSPP n’est-elle en rien touchée.

En ce qui concerne le PRAC et la difficulté de circulation, la vérité statistique m’oblige à vous dire que, si les critères d’analyse restaient constants, la fermeture de voies entraînerait bien évidemment une augmentation des embouteillages. Il se trouve qu’au cours des années précédentes on n’est jamais parvenu à établir, statistiquement, que la fermeture d’un certain nombre d’axes à la circulation ralentissait les secours. Je vous le dis en toute sincérité. En effet, les gens s’y adaptent et la circulation diminue. En revanche, et je suis très attentif à ce point, les aménagements tout au long des axes, comme les bordures de trottoir qui délimitent les pistes cyclables, constituent un obstacle à la mise en station des échelles en cas d’incendie. Mais pour ce qui est de la limitation des itinéraires dans Paris, je ne suis pas en mesure, statistiquement, de vous prouver, j’y insiste, qu’elle ralentit les secours. Enfin, je n’entends pas entrer dans le débat politique.

Professeur Pierre Carli. Monsieur le député, de quoi parlons-nous ? Nous parlons d’urgences graves, de victimes qui sont prises en charge parce qu’elles souffrent d’une plaie par balle, tirée par un fusil d’assaut militaire, ou d’une lésion liée à une explosion. Ce type de victime bénéficie d’un circuit d’urgence qui est celui des polytraumatisés et des blessés les plus graves. Ce circuit est balisé par l’ARS pour un certain nombre d’hôpitaux publics. Or, dans ces hôpitaux il y a des chirurgiens formés pour les prendre en charge et il y a un dispositif très particulier qui est l’utilisation du circuit à rebours, c’est-à-dire l’utilisation de la salle de surveillance post-interventionnelle comme salle d’entrée dans le bloc opératoire, procédure qui fait l’objet d’exercices que les centres de traumatologie sont capables de réaliser.

Comme je vous l’ai indiqué, et c’est probablement le sens de votre question, il n’y a pas beaucoup, ici, de blessés légers. Ceux que nous appelons des urgences relatives sont des blessés graves qui sont stables, mais il n’y a pas, j’y insiste, de petits blessés, et il est donc difficile de les envoyer dans d’autres établissements. Car on ne fait bien que ce qu’on fait souvent.

Je vais vous raconter une anecdote pour vous montrer que les propos d’aujourd’hui sont les mêmes que ceux d’hier. Un des graves attentats de 1995 a été commis à proximité de l’Hôtel-Dieu, où l’on ne pratique plus que de la chirurgie digestive. Dans cet hôpital se trouve également un grand service d’obstétrique, dont le chef est un ancien militaire qui connaît parfaitement la chirurgie de guerre. Il a envoyé des lettres de protestation à tout le monde, au maire, au député… pour dénoncer le scandale de n’avoir pas reçu, le jour de l’attentat, des victimes qui pourtant étaient très proches de son lieu d’exercice. Nous ne mettons pas en doute la compétence de nos collègues du privé – ce sont des gens extraordinaires – mais les circuits, on ne peut pas les inventer au dernier moment. Voilà la réponse à votre question.

M. Christophe Cavard. J’éviterai les effets de tribune et en viens donc directement à mes questions. Je souhaite obtenir des précisions sur la notion de protection des secours. Qu’attendez-vous, mon général, en la matière ? Est-il question que la formation des secouristes intègre la notion de risque ? C’est sûrement déjà le cas pour les militaires que vous êtes, mais c’est une notion nouvelle pour des secouristes du secteur civil. Cette question de la formation tient au fait que nous sommes un certain nombre de députés provinciaux inquiets que d’autres villes que Paris soient touchées et qui ne disposent pas de l’organisation que vous nous décrivez.

Ensuite, on a cru comprendre que des victimes non accessibles avaient téléphoné à un centre d’appel. Comment le standard établit-il le lien direct avec un médecin afin que celui-ci puisse donner des indications de comportement ?

M. Pierre Lellouche. Je ne ferai pas non plus d’effet de tribune, mais une question me taraude depuis le 13 novembre : combien de temps faut-il, messieurs les médecins militaires, à un blessé par balle d’un fusil d’assaut, pour mourir de ses blessures ? Vous allez me répondre, sans doute, que cela dépend des blessures, mais, selon leur typologie, j’y insiste, combien de temps faut-il pour mourir à quelqu’un qui « pisse le sang » ?

Professeur Jean-Pierre Tourtier, médecin-chef de la BSPP. S’il est une population soumise au risque de blessure par armes de guerre, ce sont bien les militaires. Quand on examine les statistiques du moment du décès par rapport au moment de la blessure, quasiment une mort sur deux survient au cours des cinq premières minutes ; les trois quarts des morts surviennent au cours des trente premières minutes, c’est-à-dire pendant la phase de médicalisation et éventuellement pré-hospitalière. Il existe un concept fort, en médecine militaire, qui est celui de mort évitable. C’est sur ce point que nous avons été très attentifs avec le professeur Carli et le général Boutinaud : quelles sont ces morts que l’on peut encore éviter relativement facilement ? L’armée française a montré que, d’une part, en arrêtant les hémorragies, 90 % des morts étaient évitables ; d’autre part, en drainant les pneumothorax et en maîtrisant les voies aériennes supérieures, on peut permettre à davantage de combattants blessés, à davantage, en l’occurrence, de Parisiens blessés, d’arriver vivants à l’hôpital. Nous avons modélisé ces efforts de la médecine d’urgence, en accord avec le SAMU de Paris, il y a trois ans, par le biais d’une publication qui fait passer la médecine militaire vers la médecine traumatologique civile.

M. Pierre Lellouche. Vous avez souligné la faible mortalité hospitalière – 1,4 % – et tout le monde vous est reconnaissant du travail que vous avez accompli, que vous soyez civils ou militaires. Reste que la question qui m’intéresse, et c’est pourquoi je siège au sein de la présente commission, est de savoir comment, sur le plan opérationnel, faire en sorte que le minimum de gens meurent dans une affaire de ce genre – parce que nous en connaîtrons d’autres. Quand j’ai entendu que deux heures quarante s’étaient écoulées entre le début de l’attaque et l’intervention des forces de sécurité, je me suis demandé combien de gens étaient morts. Voilà la question qui me taraude et sur laquelle je souhaite que nous travaillions. J’ai donc bien noté la très faible mortalité une fois que vous prenez les victimes en charge et la très forte mortalité pendant les trente premières minutes. Nous aurons, j’imagine, des données plus précises à mesure que nos travaux avanceront ; sans doute nous donnerez-vous le résultat des autopsies et saurons-nous ainsi les conséquences à en tirer quant au mode opératoire de nos forces de sécurité – car c’est bien là le sujet.

M. le président Georges Fenech. Vous nous avez indiqué que, aux termes du protocole, vous ne pouviez pas entrer dans la zone d’exclusion. En revanche, nous apprenons qu’une réflexion est en cours sur la question et qui annonce peut-être une évolution. Est-il envisageable, je parle en Béotien, d’imaginer une unité d’élite de médecins dûment équipés à même de pénétrer dans la zone d’exclusion pour aller porter secours à ceux qui sont en train de mourir ? Nous avons en effet vu que vous ne pouviez pas porter secours à des victimes gravement blessées.

Général Philippe Boutinaud. Je répondrai en partie à votre question, monsieur le président, mais hors enregistrement afin que des oreilles indiscrètes et mal intentionnées n’utilisent pas ma réponse contre nous.

Pour le reste, la question est de savoir si l’on peut inventer des forces de sécurité, GIGN, BRI ou RAID, qui soient un peu pompiers, ou bien si l’on doit faire des pompiers de Paris des agents de sécurité de ces unités d’élite. Cette question complexe n’est pas tranchée et nous y réfléchissons. C’est compliqué, parce qu’il faut absolument que vous soyez protégé au moment où vous agissez. Même à la guerre, quand un médecin pose une perfusion, il ne tient pas un pistolet – c’est toute l’ambiguïté de la question. Et le pompier, si vous l’équipez avec un gilet pare-balles et un casque en kevlar, il ne faut pas qu’il se fasse tirer dessus comme un lapin. Il y a un juste équilibre à trouver, et je ne suis pas persuadé qu’il y ait de solution. Nous avons commencé d’examiner les pratiques étrangères et, pour l’instant, à ma connaissance, aucune décision politique ne demande aux secouristes, qu’ils soient militaires ou non, de s’équiper comme des forces spéciales.

Ensuite, peut-être serions-nous capables d’établir un tel dispositif à Paris, mais je suis incapable de vous dire s’il est envisageable dans d’autres villes de France, en métropole ou outre-mer. Il faut donc bien réfléchir à la portée de ce genre de proposition. Si, aujourd’hui, les Parisiens sont peut-être plus exposés que les autres, et si ce dispositif permet de mieux les protéger, les terroristes risquent de frapper dans les villes qui en seraient dépourvues.

Je suis donc prêt, je le répète, à vous répondre hors micro sur l’aspect technique de la question ; quant à l’aspect politique, il revient bien évidemment à la représentation nationale d’y réfléchir.

M. le président Georges Fenech. Je vous confirme qu’une réflexion est en cours sur le sujet.

Professeur Pierre Carli. Il y a deux points dans votre question importante, monsieur Cavard. Vous aurez compris qu’il n’y a pas seulement les équipes de secouristes, mais également des équipes médicales composées de médecins, d’infirmières, personnels dont la vocation n’est pas d’être blessés sur le terrain mais de soigner les autres le plus efficacement possible.

D’abord, toutes les équipes d’urgence doivent apprendre à se protéger lorsque, de manière inopinée, elles se trouvent confrontées à un risque. Il faut savoir faire machine arrière, savoir se mettre à l’abri très efficacement, savoir aussi alerter les autres équipes, la sécurité s’organisant pour que vous ne deveniez pas à votre tour une victime.

Ensuite, plus importante encore est la formation. Il faut former les personnels à se protéger, donc, mais aussi les former à prendre en charge des victimes d’armes de guerre, avec, souvent, des protocoles de soin à la fois rapides et précis. La direction générale de la santé (DGS), la direction générale de l’organisation des soins (DGOS), le service de santé des armées (SSA) nous ont demandé, depuis le 13 novembre, de développer un programme national en ce sens afin que l’ensemble des centres hospitaliers, dans les régions, surtout ceux qui se trouvent dans des villes où il sera difficile d’apporter rapidement du renfort à partir des grands centres, puissent prendre efficacement les premières mesures aussi bien sur le terrain, avec des équipes limitées, que dans un hôpital général qui ne dispose pas forcément des mêmes ressources qu’un centre hospitalo-universitaire. Ainsi du temps sera gagné, des vies seront préservées et sera développé un réseau de soins qui viendra en renfort. Comme vous voyez, monsieur le député, votre question a été anticipée.

M. Jean-Michel Villaumé. Ma question, professeur Carli, porte sur votre coopération effective sur le terrain avec le service de santé des armées. Travaillez-vous habituellement avec les hôpitaux de Paris et, dans l’affirmative, comment ? Ont-ils été associés à l’exercice du 13 novembre au matin ? Le SSA a tout de même une compétence militaire, issue de l’expérience du terrain, en particulier des opérations extérieures ; or ne peut-on pas l’utiliser davantage ? J’ai en effet l’impression, à la lumière d’une précédente audition, que ces services ont été sous-employés.

Mme Françoise Dumas. Vous avez évoqué la saturation des moyens de communication. Comment pensez-vous améliorer les relations avec les médias, radios, réseaux sociaux ou autres, à l’occasion d’autres types de catastrophe telles que, par exemple, des inondations, survenant dans d’autres départements ? Avez-vous senti le besoin d’améliorer votre dispositif en la matière et n’y a-t-il pas eu, à certains moments, redondance ou empêchement dans la communication ?

Professeur Pierre Carli. Je commencerai par nos rapports avec les hôpitaux militaires, question qui concerne les civils étant donné que le professeur Tourtier exerce au Val-de-Grâce. La réponse à votre question, monsieur Villaumé, est très simple : les hôpitaux militaires et les médecins militaires, nous travaillons au quotidien avec eux. Dans mon service, il y a des médecins militaires de garde. J’étais moi-même officier de réserve. Nous avons tous une culture militaire mais nous n’avons pas tous l’expérience du terrain de ceux qui se sont battus. C’est pourquoi notre coopération est des plus efficaces. Le SSA, représenté ici par Jean-Pierre Tourtier, nous a apporté son appui pour mettre au point les protocoles de soin que nous avons appliqués aux civils. Je rappelle qu’il convient de modifier ces protocoles dans la mesure où les civils ne sont pas protégés comme les militaires : ils ne portent pas de gilets pare-balles, de casques permettant d’éviter les balles – aussi les blessures par armes de guerres sont-elles pour les civils le plus souvent mortelles.

Les hôpitaux militaires travaillent-ils avec nous ? L’hôpital Percy fait partie du groupe des hôpitaux qui reçoivent les blessés graves au quotidien. D’ailleurs, les résultats concernant les blessés graves pris en charge par l’hôpital Percy – navire amiral dans cette affaire – et par l’hôpital Bégin sont totalement intégrés aux résultats globaux en la matière. Il n’est pas possible que nous oubliions les militaires puisqu’ils sont en permanence à nos côtés.

Je suis moi-même assez proche du service de santé des armées et je travaille avec le médecin-général Debonne que vous avez reçu. Nous travaillons, avec Jean-Pierre Tourtier, sur l’avenir de la médecine d’urgence de façon à créer des ponts entre la médecine d’urgence militaire et la médecine d’urgence civile. Dans ces professions, nous sommes engagés sur le terrain et il faut savoir agir vite, avec les mêmes critères de qualité, les médecines civile et militaire poursuivant le même objectif d’excellence.

Professeur Jean-Pierre Tourtier. Pour vous rassurer complètement, monsieur le député, la prise en charge de victimes balistiques est un pôle d’excellence du service de santé des armées. Or nous avons à cœur, depuis de nombreuses années, de partager nos connaissances avec les centres de traumatologie civils. De nombreux travaux scientifiques ont été réalisés à cette fin par le professeur Carli et moi-même.

Le soir du 13 novembre, les hôpitaux militaires ont été très utiles. Sur les 98 urgences absolues – blessés les plus graves, pour lesquels il fallait rapidement un chirurgien et un réanimateur –, dix-huit, soit 20 %, ont été prises en charge par un hôpital militaire, qu’il s’agisse de Bégin ou de Percy.

Général Philippe Boutinaud. Je réponds à la question de Mme Dumas. Il est nécessaire de tirer les enseignements de la saturation des centres d’appel. Je sais que vous avez reçu des personnes qui ont téléphoné à la police, laquelle, selon elles, leur aurait raccroché au nez. Il faut savoir qu’il est parfois très difficile d’entendre ce que disent les gens.

Pour ce qui nous concerne, je vous l’ai dit, le nombre d’appel s’est effondré dès lors que nous avons changé le message d’accueil. Nous avons assez rapidement pensé à utiliser Twitter et Facebook et, depuis le 13 novembre, nous continuons dans cette voie, mais quant à utiliser l’appel au secours par le biais de tweets, solution apparemment très alléchante, il ne faut pas oublier qu’il faut ensuite exploiter le message, et qu’il faut des hommes pour cela. En outre, au cours d’une conversation téléphonique, vous pouvez commencer à accompagner la victime : quand nous recevons un appel pour un arrêt cardiaque, nous donnons des instructions à notre interlocuteur pour qu’il commence le massage cardiaque. Et nous essayons de rattraper un maximum de gens de cette manière. Aussi, en l’état actuel de la technologie, la conversation téléphonique reste-t-elle très importante.

En ce qui concerne les gens qui se trouvaient dans le Bataclan, nous n’avons raccroché au nez de personne. Reste qu’il faut bien comprendre que cette espèce de soutien psychologique mobilise une ligne. Par conséquent, depuis, nous avons créé une sorte de salle de débordement. Il faut savoir que l’accompagnement psychologique d’une victime, en effet très important, peut mobiliser une ligne et un opérateur pendant une demi-heure ou trois quarts d’heure.

J’apporterai pour finir un complément de réponse à M. Lellouche. Dans la colonne de la BRI, le professeur Safran était là pour assurer la sécurité et le soutien médical des hommes de la BRI. Néanmoins, il a passé son temps à sortir des victimes et c’est ainsi que nous avons pu faire sortir un maximum de blessés bien avant l’assaut final de 0 heure 20. Les gens, les familles doivent savoir que tous ceux que nous pouvions aller chercher, nous sommes allés les chercher. Reste que le professeur Safran, lui, était équipé d’un gilet pare-balles, d’un casque en kevlar, et avait donc plus de facilité pour le faire. Très honnêtement, il faut dire la vérité : la BRI n’avait plus de soutien santé parce que les médecins de la BRI ne s’occupaient que des victimes.

M. Serge Grouard. Ma première question prolonge vos considérations, mon général, sur les victimes psychologiques. Quand on se trouve dans des situations d’extrême urgence telles que celles que vous avez décrites, on se doute bien qu’il y a des priorités, mais, vous l’avez certainement vu, nous avons auditionné des victimes qui ont évoqué cette question de la prise en charge dans la durée. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Ne voyez pas dans ma seconde question la moindre critique, mais la présente commission a pour objet de comprendre ce qui s’est passé et, si possible, de proposer des pistes d’amélioration. Encore une fois, il ne s’agit en rien d’une critique, au vu du dévouement des personnels qui se trouvaient sur place. Des attentats de masse, il y en a eu d’autres, et en Europe, vous les avez rappelés. Avez-vous imaginé, avant novembre et peut-être même avant les attentats de janvier 2015, ce type de scénario et réalisé des exercices permettant de tester vos capacités de réaction, d’adaptation comme d’ailleurs les militaires le font régulièrement ? J’ai participé à plusieurs livres blancs de la défense nationale dans lesquels on peut trouver des scénarios, des sous-scénarios, la description de situations de crises. On ne peut bien sûr pas tout prévoir, mais je souhaite savoir si des scénarios envisageant des attentats de masse tels que ceux que nous avons subis avaient été prévus, qui auraient permis d’appréhender la réalité.

M. Pierre Lellouche. L’attentat du théâtre de Moscou et la prise d’otages de Beslan constituent deux précédents au Bataclan.

M. le président Georges Fenech. Il me semble que des débuts de réponses ont déjà été apportés aux questions de M. Grouard.

Général Philippe Boutinaud. Les pompiers s’exercent très régulièrement, tous les samedis matins. Une fois par mois, les groupements d’incendie sont associés à l’exercice. Nous définissons des thèmes compagnie par compagnie. Il serait laborieux de détailler la quantité astronomique de nos exercices. Et ce n’est pas d’aujourd’hui. Il y a huit ans, je commandais un groupement d’incendie et nos exercices étaient inopinés – celui qui part ne sait pas si c’est pour un exercice ou pour une intervention réelle – puis, sans doute pour moins gêner la population, ils ont été planifiés. J’ai demandé au préfet de police la possibilité de reprendre les exercices inopinés et il m’y a récemment autorisé. La coordination avec les autres services est une autre affaire et qui se décide au-dessus de moi. Nous nous exerçons en tout cas presque systématiquement avec la police, tandis que c’est un peu plus compliqué avec les autres services. Il ne faut par ailleurs pas perdre de vue que, lorsque vous procédez à un exercice, vous êtes quelque peu démuni s’il se passe quelque chose pendant ce temps-là.

Professeur Pierre Carli. Contrairement aux militaires, pour les civils le temps d’exercice n’existe pas, donc nous le prenons. Chaque année, le SAMU de Paris, dans un cadre universitaire, celui de la capacité de médecine de catastrophe, c’est-à-dire dans le cadre de la formation des médecins – qui à cette occasion proviennent de toute la France –, nous organisons un exercice. Des exercices d’envergure ont été réalisés au cours de la période 2005-2010 portant sur des attentats multi-sites dans les transports. À cette époque, le scénario retenu était celui d’explosion de bombes ainsi que cela s’était passé à Madrid et à Londres. Est venue s’y ajouter la notion de fusillade, qui ne faisait pas partie du scénario, et qui changeait la prise en charge des victimes, nous obligeant à prévoir des parcours différents. C’est pourquoi nous nous y sommes attelés dès 2013. Nous avons donc effectué trois exercices de fusillade monosite qui nous ont permis d’avoir une certaine connaissance – certes théorique – du sujet.

M. le président Georges Fenech. La BSPP et le SAMU font-ils des exercices contre les attaques de type nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) ?

Professeur Jean-Pierre Tourtier. Jeudi prochain a lieu une formation commune BSPP-SAMU sur le risque NRBC. Par ailleurs, je ne souhaite pas donner d’éléments d’information à des oreilles qui ne nous seraient pas bienveillantes. Nous adaptons nos plans de secours à l’évolution que nous percevons de la menace.

M. le président Georges Fenech. Parmi les personnes présentes qui n’ont pas encore pris la parole, quelqu’un souhaite-t-il s’exprimer ?

Docteur François Braun, président du SAMU Urgences de France, chef de service de médecine d’urgence. Je reviendrai sur la province. Les principes mis en place par nos collègues du SAMU de Paris et de la BSPP sont depuis plusieurs années déclinés dans toutes les régions de France. Nous appliquons exactement les mêmes principes de sectorisation, de « filiérisation » des victimes qu’à Paris, à une échelle qui va néanmoins nous imposer un plus en matière de capacité de réponse. En région Lorraine, par exemple, on compte 24 équipes SMUR de garde, ce qui ne représente pas du tout le même volume qu’à Paris. Aussi appliquons-nous des principes d’obligation de renforts très rapides, de devoir d’ingérence, si l’on peut le résumer ainsi. Autrement dit, les SAMU de proximité, dans le cadre des plans ORSAN – acronyme d’« organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles » – définis par le ministère de la santé, vont envoyer immédiatement des moyens supplémentaires. En outre, et c’est une chose que l’on n’a pas vue, l’ensemble des zones de défense ont envoyé par anticipation des moyens vers Paris sans même que nos collègues parisiens nous les aient demandés. En particulier, des moyens héliportés étaient en route avant même l’assaut du Bataclan. Et, constatant que, malheureusement, les victimes potentielles étaient décédées, ils ont fait demi-tour. L’idée est bien que chacun envoie un peu de renforts afin de ne pas se démunir, mais ce qui représentera au total beaucoup pour ceux qui les reçoivent. Voilà, grosso modo, quelle est l’architecture de tous les plans désormais mis en place en province, fondés sur des concepts de prise en charge, d’équipes d’intervention en kit damage control, établis à la suite des expériences parisiennes.

M. le président Georges Fenech. N’est-il pas envisageable de procéder à des évacuations par voie aérienne dans Paris ?

Professeur Pierre Carli. Ce sujet est très important. Non seulement il n’est pas simple de se poser de nuit en hélicoptère dans Paris, mais nous disposions d’hôpitaux à proximité. Les hélicoptères de la sécurité civile et du SAMU étaient bien là pourtant, et ils étaient au nombre de huit, pourvus d’équipes médicales qui sont allées pour certaines jusqu’à l’héliport d’Issy-les-Moulineaux. Ces hélicoptères constituaient la troisième ligne de défense. Une zone de posée était prévue à côté du Bataclan qui devait permettre l’emploi d’hélicoptères pour transporter des victimes vers les hôpitaux de la petite et de la grande couronne.

M. le président Georges Fenech. Où se trouvait la zone de posée, exactement ?

Professeur Pierre Carli. Un peu derrière, vers le cours de Vincennes.

Général Philippe Boutinaud. Les zones de posée sont identifiées et nous savons lesquelles utiliser de jour, lesquelles de nuit. L’autorisation du survol de Paris appartient à la préfecture de police. Il n’est pas rare, dans la petite couronne, que nous utilisions un hélicoptère qui, en général, sert précisément à s’affranchir des difficultés de la circulation pour sauver un patient atteint d’une pathologie particulière. Le cas qui nous occupe était quelque peu différent. Nous avons demandé des hélicoptères pour anticiper les évacuations secondaires dans l’hypothèse d’un scénario « à la Bombay » avec beaucoup plus de victimes – même si, bien sûr, le nombre de victimes a été déjà beaucoup trop élevé. Connaissant les capacités de l’AP-HP pour en avoir discuté avec Pierre Carli bien avant l’attentat, il fallait, en cas de victimes bien plus nombreuses, être capable d’envoyer les urgences relatives vers les hôpitaux de province. En effet, un blessé en urgence absolue doit être traité immédiatement, sous peine de mourir dans l’heure. Les urgences relatives peuvent, pour leur part, attendre cinq ou six heures.

Il s’agit donc bien des victimes en urgence relative qui étaient éventuellement destinées à être évacuées par hélicoptère. Nous serions allés les chercher dans les hôpitaux où elles ne pouvaient être traitées et nous les aurions emmenés à l’aide de nos VSAV vers une zone où auraient pu se poser des hélicoptères lourds, à savoir des NH90, capables de transporter de dix à quinze personnes. Des places nous avaient déjà été attribuées à Lille, Nancy et Metz. Nous n’avons finalement pas eu besoin de ce dispositif, qu’il est de toute façon nécessaire de prévoir à l’avance plutôt que de monter au dernier moment.

M. le président Georges Fenech. Pourquoi ne pas avoir utilisé ces hélicoptères pour transporter les blessés du Bataclan vers les hôpitaux parisiens ?

Général Philippe Boutinaud. Parce que la distance était presque supérieure à la distance terrestre entre le Bataclan et l’hôpital. Le transport par hélicoptère n’aurait apporté aucune plus-value.

Colonel Jean-Claude Gallet, adjoint au général commandant la BSPP. Il y avait même un risque à faire voler un hélicoptère de nuit. La manœuvre aéromobile a été lancée à 22 heures 30.

Docteur Yves Lambert, chef du pôle de l’urgence, directeur du SAMU des Yvelines. Pour reprendre une précédente question, il n’y a pas que Paris. Les blessés, dans cet horrible attentat, étaient à proximité des hôpitaux – c’est ce qu’on vient de montrer en précisant que l’hélicoptère n’apportait pas, ici, de valeur ajoutée. Or, ne serait-ce que dans la grande couronne, nous voyons bien que nous serions amenés à utiliser des moyens quelque peu différents, a fortiori, donc, dans le reste de la France.

D’une manière générale, nous sommes en train de parler de plans, de préparation, de différentes activités. Reste qu’il faut souligner l’importance de la cellule d’urgence médico-psychologique qui a été très sollicitée. Les rapports des départements concernés ont montré que l’implication de ces cellules a duré plus d’un mois après les attentats.

Quand surviennent des événements qui ne correspondent pas tout à fait au plan, l’objectif n’est pas d’appliquer ce dernier mais bien de sauver le maximum de patients. Il faut pour cela un raisonnement d’état-major. En l’occurrence, l’involution par rapport au plan a été dans le bon sens. Ainsi, dans le cadre du damage control, nous avons dû prendre en charge un nombre de patients qui n’était pas prévu par ce système. Le damage control, qui est une prise en charge réfléchie, qui n’est pas le scoop and run des Anglo-Saxons, est une méthode qui doit être comprise par l’ensemble des services, y compris par la police. Le « tuilage » dont il a été fait état à plusieurs reprises est très important. Nous aussi, de notre côté, en tant que SAMU, nous devons comprendre comment fonctionnent les services de police afin de pouvoir intervenir. Nous avons eu de la « chance », si je puis dire, que les services de police, pour courageux qu’ils aient été ainsi que tout le monde l’a souligné, aient été peu impliqués. Mais comme il n’en ira sans doute pas toujours ainsi, nous avons besoin de comprendre les stratégies de tous.

En bref, il ne s’agit pas d’appliquer un plan parce que c’est le plan, mais le plan demeure fondamental pour aider à structurer l’action, mue par une réflexion d’état-major commune impliquant donc l’ensemble des services.

Professeur Frédéric Adnet, directeur du SAMU 93, responsable du pôle accueil-urgences-imagerie à l’hôpital universitaire Paris Seine-Saint-Denis Avicenne, Bobigny. J’étais responsable du service qui a pris en charge les premiers attentats, conformément au plan « camembert ». La spécificité de l’attentat perpétré au Stade de France, c’est que nous étions sur place avant. À l’intérieur du stade, se trouve un poste de commandement où sont représentés le service médical des sapeurs-pompiers, le SAMU, les forces de police, la RATP… Ce dispositif prudentiel nous a énormément aidés à assurer l’interface entre les différents services pour prendre en charge les victimes et pour savoir immédiatement ce qui se passait. Il me paraît important de le souligner car ces dispositifs prudentiels doivent à mon sens être développés dans les futurs rassemblements de masses qui vont avoir lieu en 2016 et par la suite. Il faut bien intégrer le fait que les personnels médicaux et ceux de la BSPP doivent être très présents au sein de tels dispositifs. Nous connaissons en effet les lieux et les hommes.

Ensuite, on a beaucoup évoqué la sécurité des personnels engagés ; mais je vous signale que le « sur-attentat », nous l’avons vécu. La deuxième explosion, au Stade de France, se produit lorsqu’une équipe du SAMU est présente et que les premiers secours de la BSPP sont présents. La troisième explosion, celle qui provoque le plus grand nombre de cas d’urgence absolue, survient longtemps après et toutes les équipes médicales sont présentes, de même que toutes les équipes des pompiers. Heureusement pour les équipes intervenantes, cette explosion a eu lieu au niveau d’une file d’attente du Mc Donald’s qui était un peu éloignée des secours. J’entends par là vous faire mesurer que le risque de sur-attentat n’est pas que théorique. Si l’explosion s’était produite au milieu des secours, non seulement le bilan aurait été plus grave mais les secours auraient été vraiment désorganisés. Aussi, j’y insiste, le point d’équilibre entre la sécurisation des personnels engagés et la prise en charge des victimes n’est-il pas que théorique.

Colonel Jean-Claude Gallet. Je suggère une piste d’amélioration facile à appliquer. Elle relève d’une volonté politique et relève du niveau interministériel. Elle concerne le partage de l’information.

Celui-ci doit s’effectuer en amont, de façon à connaître les modes opératoires que décrit très bien le professeur Carli : élaboration d’une stratégie, préparation d’exercices, cela par rapport au mode opératoire des terroristes. Il s’agit également pour les agences de se connaître mutuellement – la chaîne de l’urgence se compose d’un ensemble d’acteurs hétérogènes. Il nous faut mener un combat, élaborer une doctrine interarmées. Or, pour l’heure, nous n’avons pas de doctrine, nous sommes des acteurs différents, donc nous avons besoin de nous connaître, nous avons besoin de connaître nos facteurs dimensionnants, nos capacités critiques – car la décision se prend dans les deux à trois minutes.

Le partage de l’information doit aussi s’effectuer pendant les opérations. Le général vous a expliqué qu’il s’agissait d’une séquence de quarante minutes. Nous avons affaire à une vague, à une autre, nous sommes confrontés à une attaque NRBC… Ces informations sont nécessaires au politique de façon qu’il dispose d’un cadre temporel de communication. Car ensuite il y a la résilience, la résilience de la nation.

Enfin, le partage de l’information doit s’effectuer dans la phase qui suit : c’est ce que nous sommes en train de faire avec vous en ce moment. C’est la phase « retour d’expérience ».

M. Pierre Lellouche. Je vous ai entendus dire que vous vous étiez entraînés en vue d’opérations dans les trains, que vous vous étiez entraînés pour faire face à des mitraillages ; mais je reviens à la question de M. Grouard. Il y a eu un attentat dans un théâtre à Moscou en 2002, puis l’attaque de Beslan et, en 2009, un attentat en Égypte où il a été question d’attaquer le Bataclan. Une enquête a en effet révélé que le Bataclan était cité. À aucun moment, naturellement, vous n’avez été mis au courant de cela ? Et à aucun moment vous ne vous êtes entraînés sur des salles de spectacle ? Question annexe : comptez-vous le faire ?

M. le président Georges Fenech. La question est précise : avez-vous en effet été amenés à disposer de plans de salles de spectacle ? Saviez-vous que le Bataclan était une cible possible ?

Général Philippe Boutinaud. La difficulté pour les pompiers est qu’ils ne sont pas identifiés comme un service public ayant besoin de recevoir des informations sensibles. La police dispose de son système de remontée d’informations, l’armée du sien, et les pompiers, à la croisée des chemins, sont appelés quand quelque chose est arrivé. Or, pour pouvoir anticiper, il faut savoir exactement quels sont les modes d’action. C’était le sens de l’intervention tout à fait pertinente de mon adjoint.

Personnellement, je n’ai jamais su que le Bataclan était menacé. Quelqu’un, dans le pays, l’a-t-il vraiment su ? Ce que je puis vous dire, c’est que le colonel Gallet et moi passons notre temps à éplucher les modes d’action des autres. Vous avez cité Beslan ; la veille, à Beyrouth, il y a eu un attentat au cours duquel les secours ont été frappés. Nous discutons avec un certain nombre de nos homologues exerçant dans des zones très exposées. Je connais nombre de mes collègues, au Liban et ailleurs, et nous croisons nos informations. Mais cette pratique n’est pas institutionnalisée.

M. Pierre Lellouche. C’était le sens de ma question.

Général Philippe Boutinaud. Il faudrait progresser en la matière. J’en ai discuté personnellement avec le préfet de police et il en est tout à fait conscient.

Pour ce qui concerne les plans, les pompiers ont les plans de partout depuis longtemps. D’ailleurs, quand vous entrez dans n’importe quelle salle de spectacle, si vous tournez la tête à droite ou à gauche, vous tomberez sur le plan des lieux, dont l’affichage est obligatoire. Ces plans sont faits pour les pompiers et représentent le niveau où vous vous trouvez. Comme, dans la fumée, vous n’y voyez rien, vous arrachez le plan du mur pour vous en servir. Ainsi, en France, vous devez trouver dans tous les établissements recevant du public, le plan du niveau où vous êtes, c’est la loi.

De là à disposer des plans du sous-sol, du plan d’ensemble d’un immeuble, c’est une autre question. Les policiers, par exemple, peuvent prendre notre plan mais, n’ayant que celui du niveau où ils se trouvent, ils ne sauront pas tout à fait ce qu’il y aura à l’étage au-dessus. Constituer une base de données dans laquelle on trouverait tous les plans n’est pas impossible à imaginer, mais son usage serait compliqué ne serait-ce que pour la mettre à jour : le bureau de prévention de la BSPP traite 700 dépôts de permis de construire ou de demandes d’aménagements nouveaux par semaine !

M. Meyer Habib. Je souhaite revenir aux deux heures quarante minutes qui ont précédé l’assaut final au Bataclan. La semaine dernière, dans le cadre de la présente commission, j’ai interrogé le ministre de l’intérieur sur la possibilité d’un changement de doctrine, qui consisterait, quand il ne s’agit pas d’une prise d’otages mais d’un massacre, à entrer au contact le plus vite possible. Tout à l’heure, l’un des officiers a déclaré que l’un des médecins, équipé d’un gilet pare-balles et d’un casque, avait pu sortir des victimes. Je souhaite avoir votre sentiment sur ce changement de doctrine, en particulier sur la doctrine israélienne suivant laquelle il convient d’aller au plus vite au contact lorsqu’on n’est pas confronté, je le répète, à une prise d’otages. Peut-on ainsi imaginer que plusieurs médecins soient placés derrière les unités…

M. le président Georges Fenech. La question a été posée avant que vous ne nous rejoigniez, mon cher collègue.

Général Philippe Boutinaud. Je me permettrai toutefois de rappeler un point : le médecin qui suit la colonne de la BRI ou du RAID est là pour assurer le soutien médical des policiers. Or il se trouve que le professeur Safran, en l’occurrence, je l’ai mentionné, a passé son temps à sortir des victimes afin que nous les prenions en compte. Pour ce qui est du changement de doctrine, je n’ai pas souhaité vous donner tous les détails de la réflexion en cours sur le sujet, en tout cas publiquement.

M. le président Georges Fenech. Nous vous auditionnerons éventuellement à huis clos.

Il me reste, madame, messieurs, à vous remercier infiniment pour nous avoir apporté ces explications très précieuses pour notre commission d’enquête.

*

* *

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Benet, directeur des transports et de la protection du public de la préfecture de police de Paris et du professeur Bertrand Ludes, directeur de l’Institut médico-légal de Paris.

M. le président Georges Fenech. Merci, messieurs, d’avoir répondu à l’invitation de notre commission d’enquête. L’Institut médico-légal de Paris est rattaché à la direction des transports et de la protection du public de la préfecture de police de Paris. Il reçoit les corps en cas de décès, accidentel ou non, sur la voie publique, de décès d’origine criminelle ou considéré comme suspect, de demande de la famille, par mesure d’hygiène publique ou bien encore lorsque le corps n’est pas identifié.

J’indique que cette audition est ouverte à la presse et fait l’objet d’une retransmission en direct sur le portail vidéo du site internet de l’Assemblée nationale. Son enregistrement y sera disponible pendant quelques mois.

Je vous signale également que la Commission pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui sera fait de cette audition. Nous avons décidé que nombre de nos auditions seraient ouvertes à la presse afin d’assurer la nécessaire transparence vis-à-vis du public.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Jean Benet et le professeur Bertrand Ludes prêtent successivement serment.

Je vous laisse la parole pour un exposé liminaire. Ensuite, le rapporteur, les membres de la Commission et moi-même serons amenés à vous demander des précisions ou à vous poser d’autres questions.

M. Jean Benet, directeur des transports et de la protection du public de la préfecture de police de Paris. Je compléterai vos propos, monsieur le président, en précisant que la direction des transports et de la protection du public de la préfecture de police de Paris (DTPP) participe de l’action sanitaire qui relève du préfet de police. La préfecture de police exerce, en lieu et place du maire de Paris, le suivi de l’Institut médico-légal en matière administrative et financière, mais n’interfère pas dans ses missions de nature médico-judiciaire dont les prescripteurs sont les autorités de police judiciaire. Cela signifie en particulier que, à l’occasion de crises, la DTPP peut venir apporter son soutien au directeur de l’Institut médico-légal, le professeur Ludes, sans pour autant qu’il y ait de relations hiérarchiques. L’Institut médico-légal est rattaché, pas intégré, à la DTPP.

Du point de vue de la chronologie des événements, Bertrand Ludes interviendra pour les attentats du mois de janvier 2015, car je n’étais pas encore en poste à cette époque. S’agissant des attentats du mois de novembre 2015, nous avons été alertés immédiatement par les services de permanence du cabinet du préfet des événements dramatiques de la soirée du 13 novembre. Nous nous sommes placés en situation d’alerte et j’ai contacté très rapidement le professeur Ludes ainsi que les responsables de tous les services susceptibles d’être mobilisés. C’est officiellement à 4 heures du matin qu’il m’a été très clairement demandé quelle était la capacité d’accueil de l’Institut médico-légal et c’est à ce moment-là que nous avons eu des informations très précises sur l’étendue du drame. Nous savions déjà que l’Institut allait devoir recevoir très rapidement de nombreux corps.

Professeur Bertrand Ludes, directeur de l’Institut médico-légal de Paris. Nous avons réceptionné les corps des victimes le lendemain, samedi 14 novembre, à partir de 6  heures du matin. Les opérations d’imagerie post-mortem ont débuté dans l’après-midi. Les opérations médico-légales proprement dites ont été effectuées à partir du dimanche 15 novembre et se sont achevées, pour les victimes, le jeudi 19 novembre. Au total, nous avons eu à traiter pendant ce laps de temps 123 corps, dont 17 corps mutilés, sous réquisition judiciaire de M. le procureur de la République.

S’agissant des attentats du mois de janvier, nous avons réceptionné un premier corps le 7 janvier dans l’après-midi puis les autres corps dans la soirée après 23 heures. Le lendemain matin, nous avons procédé aux opérations d’imagerie post-mortem et l’après-midi aux autopsies médico-légales. Le vendredi, nous avons poursuivi les opérations médico-légales et reçu les corps d’autres victimes, dont celles de l’attentat de l’Hyper Cacher. Ces opérations ont été achevées, pour les victimes, le samedi 10 janvier tard dans la soirée. En ce qui concerne les auteurs, les autopsies ont été faites le lundi 12 janvier.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. J’aimerais savoir si les opérations médico-légales concernant les victimes des attentats du 13 novembre ont toutes été achevées à ce jour.

Professeur Bertrand Ludes. Nous avons terminé les opérations thanatologiques sur l’ensemble des victimes.

M. le président Georges Fenech. Pouvez-vous nous préciser ce que recouvre ce terme ?

Professeur Bertrand Ludes. Il s’agit des autopsies médico-légales et des examens de corps approfondis.

M. le rapporteur. Les responsables de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et du SAMU, que nous avons auditionnés juste avant vous, nous ont expliqué qu’un décès sur deux survenait dans les cinq minutes suivant les blessures par balles infligées par des kalachnikovs, et trois décès sur quatre dans les trente minutes. Cela implique de se concentrer sur les morts évitables pendant les opérations de premier secours.

Les autopsies que vous avez réalisées vous permettent-elles d’établir des éléments chiffrés de décès qui auraient pu être évités ?

Professeur Bertrand Ludes. La question pour nous est difficile dans la mesure où cette notion de mort évitable est portée par les médecins urgentistes qui traitent les personnes lorsqu’elles sont encore vivantes. Pour notre part, c’est en fonction des lésions que nous constatons lors des autopsies que nous pouvons émettre, avec une prudence extrême, un avis sur les possibilités de survie de la victime. L’expérience en la matière est détenue par les médecins militaires qui prennent en charge les blessés.

M. le rapporteur. Il nous a encore été précisé que 90 % de ces morts évitables sont liées à des hémorragies des membres et 10 % à l’obstruction des voies aériennes supérieures. J’ai bien compris la difficulté qui était la vôtre mais, compte tenu des lésions que vous avez constatées, êtes-vous en mesure de nous indiquer dans quelles proportions les morts sont dues à des hémorragies ou à l’obstruction des voies aériennes supérieures ?

Professeur Bertrand Ludes. Je ne peux pas répondre à votre interrogation portant sur la liberté des voies aériennes. Nous effectuons nos observations lorsque l’ensemble des appareillages a été retiré : nous ne pouvons que constater des plaies ou des lésions des voies aériennes supérieures. La liberté des voies aériennes ne peut être observée que de manière dynamique, lorsque la réanimation est en cours et que des sondes d’intubation sont posées.

Ensuite, nos opérations ne sont pas achevées. Nous n’avons pas remis l’ensemble de nos rapports d’autopsie. Nous sommes encore en train de travailler sur ces questions. En tout état de cause, nous avons souvent eu à constater des lésions multiples sur les victimes, qui laissent penser qu’il n’y avait pas simplement un membre qui était touché. Les victimes ont souvent été touchées par plusieurs projectiles.

M. le rapporteur. C’est un élément important pour notre commission d’enquête : vous semblez nous indiquer que, d’après vos premières observations, il y a eu peu de morts évitables, en raison des lésions multiples.

Professeur Bertrand Ludes. Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai dit. Le travail est en cours. La vue d’ensemble que je peux retirer est qu’il y a eu des lésions multiples par balle chez les victimes.

M. le rapporteur. Les décès ne sont donc pas seulement dus au fait qu’un membre a été touché.

Professeur Bertrand Ludes. Ils ne sont pas forcément liés au fait qu’un seul membre a été touché. Nous pourrons réaliser d’autres travaux, une fois que l’ensemble des rapports auront été rédigés, à la demande de M. le procureur.

M. le rapporteur. J’en viens à des questions sur l’organisation qui a été la vôtre.

Dans les réponses que vous avez faites au questionnaire que nous vous avons transmis, vous mentionnez le fait que le procureur, me semble-t-il, a fait le choix de ne pas mobiliser l’institut médico-légal de la gendarmerie et de concentrer les équipes sur un lieu unique, l’Institut médico-légal de Paris. Je vous pose la question de manière un peu abrupte : vous êtes-vous senti dépassé par le nombre de victimes ? J’ai cru comprendre que certains gendarmes ont été dépêchés à l’Institut médico-légal de Paris. Néanmoins, vous aurait-il paru pertinent d’ouvrir le deuxième institut médico-légal ? La Commission a besoin d’avoir des explications sur le choix qui a été fait de n’ouvrir qu’un seul centre.

Par ailleurs, vous dites avoir été prévenu à 4 heures du matin dans la nuit du 13 au 14 novembre. Par qui vous ont été communiquées ces informations ? Pourquoi vous avoir prévenu si tard dans la nuit ?

Nous aurions besoin que vous nous apportiez des précisions sur certains éléments factuels. Le président et moi-même avons reçu le témoignage écrit d’une famille de victime, qui fait part des difficultés qu’elle a rencontrées à l’Institut médico-légal. Elle rapporte que le standard téléphonique n’était pas en adéquation avec l’ampleur des demandes et dit avoir eu l’impression d’être « face à une administration ordinaire dans son fonctionnement ordinaire ». « Le lundi, à 9 heures, nous avons appelé pour prévenir que nous serions sur place à 10 heures 30. Surpris et visiblement pas disposé à nous recevoir, notre interlocuteur nous a indiqué qu’il fallait attendre, qu’on allait nous rappeler très vite. À 10 heures 30, sans nouvelles, nouvel appel de notre part, nouvel interlocuteur et confirmation que nous ne serions pas en mesure de voir le corps le lundi. On nous demande même si nous aurions d’autres créneaux dans la semaine ». Attitude qui a choqué les parents de la victime, car le corps de leur fils n’avait toujours pas été identifié et une incertitude planait encore sur son décès. En outre, ils soulignent qu’il aurait été impossible, pendant un moment, de savoir où le corps se trouvait entre le départ de l’hôpital Percy et l’arrivée à l’Institut médico-légal. Ils disent aussi s’être heurtés à de nouvelles difficultés lors de la levée du corps : horaires inadaptés, mauvaises indications pour entrer dans l’Institut.

Je ne veux pas vous accabler, car vous avez fait, avec votre personnel, un travail exemplaire et je me dois de vous préciser que cette famille indique dans son témoignage avoir pu compter sur un interlocuteur extrêmement disponible, qui lui a donné son numéro de téléphone et a apporté des réponses efficaces. L’organisation de crise de l’Institut, avec notamment des personnels venus en renfort, vous a-t-elle paru assez solide ?

M. Jean Benet. Nous étions informés dès le début de ce qui se tramait. À 4 heures du matin, nous avons eu connaissance de manière très précise du nombre de corps que nous étions susceptibles d’accueillir. Mais nous étions d’ores et déjà organisés, y compris pour apporter notre appui à d’autres titres. L’Institut médico-légal s’est mis tout de suite en ordre de marche et il a pu recevoir les corps dès 6 heures du matin.

Professeur Bertrand Ludes. Je confirme ce que vient de dire M. le directeur. Nous étions en alerte dès la veille et avions déjà contacté nos collègues pour qu’ils soient présents dès l’arrivée des premiers corps.

Le procureur de la République a décidé de concentrer les moyens sur un seul centre. L’IML comporte une salle dite de catastrophe, qui permet d’accueillir 200 corps. Et l’autorité judiciaire peut décider de la mobiliser.

Par ailleurs, nous avons reçu l’appui de nos collègues de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) : le général Yves Schuliar s’est rendu sur place dès le samedi, et trois médecins sont venus nous épauler dès le début des opérations thanatologiques, le dimanche matin, ainsi qu’une équipe de balisticiens, qui nous a apporté une aide indispensable.

En ce qui concerne l’accueil, nous avons mobilisé nos agents et la psychologue de l’Institut. Nous avons accueilli quatre familles le samedi après-midi et procédé à deux présentations de corps. Le dimanche 15 novembre, vingt-six présentations ont eu lieu ; le lundi 16 novembre, quarante-trois ; le mardi, trente-sept ; le mercredi, vingt-huit ; le jeudi, dix-huit ; le vendredi, dix-sept ; le samedi, huit. Puis ces présentations ont suivi un rythme moins soutenu dans la mesure où les familles avaient déjà pu voir le corps de leur défunt.

Nous avons étendu les horaires d’ouverture autant que faire se peut : l’Institut permettait les départs de corps à partir de 7 heures 30 du matin jusqu’au soir, vers 18 heures ou 18 heures 30 pendant la semaine qui a suivi nos opérations. Les départs pour inhumation ont commencé à partir du jeudi.

S’agissant des interlocuteurs, les familles ont certainement eu affaire à diverses personnes. Le problème des créneaux se posait, compte tenu du nombre très important de demandes. Il fallait que nous puissions répondre à chacune des familles. Nous avons fait en sorte que toutes les familles puissent voir une fois le corps avant d’autoriser des deuxièmes ou des troisièmes présentations.

On ne peut donc pas parler de fonctionnement ordinaire. Nous nous sommes organisés en fonction de l’ampleur des événements. Nous avons même reçu des familles la nuit pour certaines présentations difficiles.

Vous avez cité le cas de ces parents qui ne trouvaient plus trace du corps de leur fils. Nous ignorons quand les corps partent des hôpitaux, nous les enregistrons à leur arrivée à l’Institut. Je ne peux donc pas me prononcer sur ce qui se passe auparavant.

M. le rapporteur. L’ouverture de l’IRCGN aurait-elle pu vous aider à mieux gérer l’accueil des familles ou la charge de travail ?

Professeur Bertrand Ludes. Il m’est difficile de répondre. Avoir reçu le soutien de l’IRCGN nous a indéniablement aidés. L’échange avec les balisticiens a été capital dans notre travail judiciaire.

Autre élément extrêmement important : nous avons également reçu le soutien de la Cellule interministérielle d’aide aux victimes (CIAV), qui apaise aussi bien les familles que les intervenants.

M. Jean Benet. L’Institut médico-légal procède chaque année à 2 000 autopsies et 8 000 examens externes, le plus souvent à caractère sensible. Il totalise le quart des autopsies médico-légales effectuées en France. Il offre, à Paris et petite couronne, une grande capacité pour les catastrophes de cette nature. Je ne sais pas quelle est la capacité de l’IRCGN.

M. Pierre Lellouche. Je voudrais revenir sur une question que j’ai déjà posée aux représentants des sapeurs-pompiers de Paris et du SAMU. Avez-vous établi une typologie des blessures ? Quand aurez-vous achevé le travail d’autopsie ? Autrement dit, êtes-vous en mesure de savoir combien de personnes auraient pu être sauvées si les secours étaient arrivés plus tôt ? C’est la question de fond qui se pose, pas seulement pour la soirée du 13 novembre, mais aussi pour la gestion d’autres attentats de ce type.

Professeur Bertrand Ludes. La typologie est faite, elle est incluse dans nos rapports d’autopsie. D’ici à la fin du mois d’avril, ce travail sera complété.

M. Pierre Lellouche. Monsieur le président, je souhaiterais que les membres de la Commission puissent en avoir connaissance afin de mieux comprendre ce qui pourra être fait à l’avenir.

M. le président Georges Fenech. Ce sont des éléments que vous devez d’abord fournir à la justice, n’est-ce pas ?

Professeur Bertrand Ludes. En effet. Ces travaux sont effectués à la demande du procureur de la République, et maintenant des magistrats instructeurs.

M. le président Georges Fenech. Nous solliciterons le parquet pour savoir s’il est possible de nous communiquer ces informations.

Pourriez-vous nous en dire plus sur vos méthodes d’identification et évoquer les difficultés que vous avez pu rencontrer ?

Professeur Bertrand Ludes. L’identification est de la responsabilité de l’unité de police d’identification des victimes de catastrophes (UPIVC), qui se divise en une cellule ante-mortem et une cellule post-mortem. En ce qui nous concerne, nous concourons aux données post-mortem. Les enquêteurs, de leur côté, relèvent l’ensemble des signes primaires et secondaires – cicatrices, tatouages, empreintes digitales, empreintes génétiques, odontogrammes. Ce sont ces équipes qui présentent ensuite au magistrat les identifications, auxquelles nous adjoignons des constatations médicales pour que ce dernier puisse signer le permis d’inhumer. Il s’agit donc d’un travail d’équipe.

Les difficultés sont toujours liées au nombre de personnes, à l’altération éventuelle des corps et à la connaissance des éléments ante-mortem. Des équipes de l’UPIVC relèvent auprès des familles des éléments pour établir une fiche ante-mortem. Concomitamment, nous réalisons des fiches post-mortem avec les enquêteurs. Et c’est la comparaison des deux fiches qui permet d’établir l’identification.

M. le président Georges Fenech. Vous avez indiqué que le premier corps était arrivé à 6 heures du matin, le samedi 14 novembre, et le dernier à 10 heures 50, le jeudi 19 novembre. Comment expliquez-vous ce laps de temps ?

Professeur Bertrand Ludes. Nous avons reçu après le 14 novembre les corps des victimes décédées dans les hôpitaux. Et ensuite ceux des auteurs des attentats.

M. Christophe Cavard. J’aimerais avoir des précisions sur les étapes qui séparent les constats de décès sur place et le transport à l’Institut médico-légal. Qui prend la décision de transport des corps : le médecin qui constate le décès ou une autre personne ? Cette précision a son importance lorsque les décès sont aussi nombreux.

Comment les visites des proches se sont-elles concrètement déroulées ? Le nombre limité de places pour l’accueil des familles a-t-il posé des problèmes ?

Quelles demandes vous ont été faites s’agissant des corps des terroristes et quels travaux médicaux avez-vous eu à effectuer ?

M. le président Georges Fenech. Je rappelle que le professeur Ludes est tenu au secret de l’instruction. Il me paraît difficile pour lui de répondre à cette dernière question.

Professeur Bertrand Ludes. S’agissant du circuit, c’est l’officier de police judiciaire, placé auprès des médecins du SAMU et de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, qui décide du transport du corps et du lieu où il va être acheminé par des services de pompes-funèbres, avec des véhicules autorisés, une fois tous les indices nécessaires recueillis. La constatation de décès sur place est établie par les médecins-urgentistes et les réanimateurs. Je n’interviens qu’à la réception du corps à l’institut. Il n’y avait pas de membre de mon équipe sur place. Nous étions rassemblés à l’IML pour traiter au mieux la situation.

S’agissant de la visite du public, il faut préciser que le défunt peut être vu lorsqu’il a été identifié ou lorsque nous avons suffisamment de critères, au vu des éléments fournis par les officiers de police judiciaire, pour pouvoir présenter le corps. Il y a eu des personnes qui ont pris rendez-vous par l’intermédiaire de la CIAV, d’autres qui se sont rendues directement à l’Institut. Nous avons pris en charge les familles dans leur ordre d’arrivée. Elles ont d’abord été accueillies par les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) installées sous des tentes à l’entrée de l’Institut. Puis, nous les avons fait patienter dans une des deux salles d’attente où elles étaient accompagnées par une psychologue-clinicienne qui leur a apporté son soutien et leur a expliqué comment les choses allaient se dérouler. Enfin, nous avons présenté chaque corps individuellement dans une vaste salle de présentation où la famille pouvait se recueillir. Autrement dit, les familles ont été prises en charge par étapes avec plusieurs sas de décompression pour essayer d’introduire autant de sérénité que possible.

Nous avons connu des pics de présentation, avec, par exemple, le lundi 16 novembre, quarante-trois corps.

Pour les terroristes eux-mêmes, je peux vous dire, tout en respectant le secret auquel je suis tenu, que le traitement médico-légal est le même. Les questions posées par le magistrat valent pour les victimes comme pour les auteurs. Nous devons déterminer un certain nombre d’éléments fixés dans la mission, donc, nous le faisons : ils figureront dans le rapport. Certaines familles des auteurs ont souhaité qu’il y ait présentation. Les opérations funéraires ont ensuite suivi leur cours en respectant la volonté des proches et la réglementation, mais de manière différée par rapport aux victimes des attentats, à quoi peut s’ajouter une complexité du travail plus importante.

M. le président Georges Fenech. Tous les corps ont-ils été identifiés ?

Professeur Bertrand Ludes. Pour les victimes, oui, monsieur le président.

M. Jean-Michel Villaumé. J’aimerais revenir sur l’accueil des familles. Nous avons auditionné des victimes et avons entendu des témoignages poignants. Je pense à celui de Sophie Dias, dont le père est mort au Stade de France. Votre personnel est-il formé pour accueillir les familles et annoncer les décès ?

Professeur Bertrand Ludes. Le personnel est formé pour l’accueil. Nous devrons certainement revoir ce qui touche à l’annonce de décès en grand nombre. Je ne pense pas pouvoir être autorisé à parler du cas que vous avez cité. Je ne souhaite pas m’exprimer en citant des noms propres.

M. le président Georges Fenech. Vous avez raison.

Mme Françoise Dumas. Pensez-vous que d’autres instituts médico-légaux auraient pu être mobilisés pour vous permettre de faire votre travail dans des conditions plus sereines ?

Professeur Bertrand Ludes. J’ai mobilisé d’autres instituts. Le samedi, dans l’après-midi, nous avons eu le renfort d’un collègue de Strasbourg et d’un collègue de Lille. Nous avons un réseau et pouvons l’activer.

Mme Françoise Dumas. Qu’en serait-il si des attentats analogues se produisaient en province ? Les mêmes prestations pourraient-elles être assurées ?

Professeur Bertrand Ludes. C’est un plan d’ensemble qu’il faudra étudier avec la communauté médico-légale. La Société française de médecine légale mène une réflexion en ce sens.

M. le rapporteur. En cas d’attaques en province, l’Institut de Paris serait-il en mesure de dépêcher des personnels ? Où en êtes-vous de vos réflexions ? Un protocole ou un plan est-il à l’étude ?

Professeur Bertrand Ludes. Un plan est en cours d’élaboration. Nous avons rendu notre copie et le ministère de la santé est en train de traiter les données.

La Société française de médecine légale a recensé les capacités des différents instituts médico-légaux de France et réfléchi aux possibilités de projeter des personnels, qu’il s’agisse de techniciens, de secrétaires, de médecins, et d’envoyer des matériels – cases réfrigérées et tables d’autopsie. Même si n’avons pas encore fait d’exercice, nous avons d’ores et déjà élaboré une vision d’ensemble.

M. le rapporteur. Dans les jours qui ont suivi l’attentat, avez-vous été perturbés par des tiers, à proximité des locaux ou par téléphone ? Comment avez-vous géré vos relations avec la presse ?

Professeur Bertrand Ludes. Très clairement, nous n’avons pas été gênés par des tiers. Notre autorité de soutien étant la préfecture de police de Paris, nous avons été immédiatement protégés : l’Institut peut être isolé en moins de dix minutes, comme nous avions déjà pu le constater après les attentats de janvier 2015. Les deux accès de l’IML étaient gardés par des fonctionnaires de police.

Quant aux relations avec la presse, nous n’avons pas eu à nous en soucier. C’est le service de communication de la préfecture de police qui s’en est occupé.

M. Jean Benet. S’agissant de la presse, lorsque les questions relevaient de l’autorité judiciaire, l’autorisation était demandée au procureur de la République. Il y a eu une prise en charge différenciée des réponses, selon qu’elles étaient techniques ou qu’elles mettaient en jeu la procédure judiciaire.

M. Georges Fenech. Monsieur le directeur, professeur, merci d’avoir contribué à nos travaux avec autant de précision.

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* *

Table ronde sur la sécurité au Stade de France, le 13 novembre 2015, réunissant des représentants du Consortium Stade de France et de la Fédération française de football.

Pour le Consortium Stade de France :

M. Christophe Bionne, directeur de la sécurité et de la sûreté, M. Jean-Philippe Dos Santos, directeur-adjoint de la sûreté, Mme Florence Gaillot, assistante de direction, en charge de la saisie de la main courante de l’événement, M. Pascal Begain, chargé de sécurité incendie, M. Damien Chemla, préventeur, chargé des moyens humains et techniques, Mme Suzanne Delourme, chargée de sûreté ;

Accompagnés de représentants de sociétés de sécurité : M. Jean-Marc Peninou (Stand up), M. Mustapha Abba Sany (Gest n’sport), M. Bastien Rousseau (SGPS), M. Fabrice Laborie (ACA), M. Olivier Bruel (Alès Event’s), M. Olivier Ploix (ISMA), M. Christian Glaz (MCS), M. Ludovic Foret (JM Sécurité), M. Olivier Roussel (Europa Secure Dog), M. Bruno Lafond et M. Franck Chaboud (Main Sécurité).

Pour la Fédération française de football :

M. Victoriano Melero, directeur de cabinet et directeur général adjoint, Mme Cécile Grandsimon, responsable réglementation et gestion de la sécurité des rencontres, et M. Didier Pinteaux, responsable sécurité et sûreté.

M. le président Georges Fenech. Notre dernière table ronde de la journée porte sur les événements survenus au Stade de France le 13 novembre 2015 et l’action des différents intervenants chargés de la sécurité. Sont ainsi présents les responsables de la sécurité du Consortium Stade de France, de la Fédération française de football, ainsi que les personnels des sociétés privées, notamment de sécurité. Tous ont participé à la sécurisation du public le 13 novembre dernier.

Cette table ronde est ouverte à la presse. Elle fait l’objet d’une retransmission en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Son enregistrement sera également disponible pendant quelques mois sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale, et la Commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu qui sera fait de cette audition.

Nous avons décidé que, d’une manière générale, nos auditions seraient ouvertes à la presse, car nous devons mener cette enquête en toute transparence.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d’enquête, je vous demande de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

M. Christophe Bionne, M. Jean-Philippe Dos Santos, Mme Florence Gaillot, M. Pascal Begain, M. Damien Chemla, Mme Suzanne Delourme, MM. Jean-Marc Peninou, Mustapha Abba Sany, Bastien Rousseau, Fabrice Laborie, Olivier Bruel, Olivier Ploix, Christian Glaz, Ludovic Foret, Olivier Roussel, Bruno Lafond et Franck Chaboud, et M. Victoriano Melero, Mme Cécile Grandsimon et M. Didier Pinteaux prêtent serment.

M. le président Georges Fenech. Je vais donner la parole à M. Christophe Bionne et à M. Victoriano Melero pour un propos liminaire, puis un débat s’engagera, au cours duquel les membres de la Commission vous poseront, mesdames, messieurs, des questions.

M. Christophe Bionne, directeur de la sécurité et de la sûreté du Consortium Stade de France. La sécurité et la sûreté au Stade de France reposent sur des dispositifs créés en commun par l’organisateur – le 13 novembre, c’était la Fédération française de football – et l’exploitant, le Consortium Stade de France. Ces dispositifs, préparés en partenariat complet, sont ensuite présentés en préfecture de la Seine-Saint-Denis, puisque le poste de commandement opérationnel (PCO) lors des événements est placé sous l’autorité du préfet.

Nous sommes nombreux autour de cette table – merci de nous avoir invités – pour la simple et bonne raison que nous employons environ 1 200 agents de sûreté par événement au Stade de France, qui peut accueillir plus de 80 000 personnes. Pour réunir autant d’agents, nous recourons à plusieurs sociétés référencées par le Stade de France.

Comment le dispositif fonctionne-t-il le soir du 13 novembre ? C’est un peu flou, en ce sens où nous avons travaillé toute la nuit par réflexe et en complète coordination avec les services de l’État – police, brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), services de secours –, sans oublier la société ISMA, qui prépare les dispositifs médicaux pour l’organisateur. Tout cela est le résultat d’un partenariat total : tous les dispositifs sont préparés, les acteurs se connaissent depuis maintenant plusieurs années et ont l’habitude de travailler ensemble. Nous avons également eu la chance d’avoir de grands professionnels avec nous, ce qui a concouru à la sécurisation de toutes les personnes dans le stade et surtout permis d’éviter des mouvements de foule dont les conséquences auraient pu être plus dramatiques que l’action des kamikazes à l’extérieur du Stade de France.

M. Victoriano Melero, directeur de cabinet et directeur général adjoint de la Fédération française de football. Je confirme tout à fait ce qu’a dit M. Bionne. La responsabilité de la sécurité de l’événement dans l’enceinte sportive relève de la Fédération en sa qualité d’organisateur, conformément au code du sport et aux dispositions législatives en vigueur. En pratique, il y a une véritable cogestion de la sécurité entre les équipes du Consortium et celles de la Fédération. La parfaite connaissance des hommes et des lieux a permis une parfaite coopération, une très grande réactivité, sans moment de flottement lorsqu’il s’est agi de prendre des décisions en fonction du déroulement des événements. Il y avait un peu plus de 1 000 agents de sécurité pour cet événement, soit le dispositif de sécurité classique mis en place pour chaque match important de l’équipe de France au Stade de France. Je rappelle que la coopération implique autant les équipes de sécurité du Consortium que les sociétés de sécurité, la Fédération et les autorités de l’État, sans oublier les services de secours. Si nous avons pu sécuriser l’enceinte sportive et procéder à l’évacuation des spectateurs sans heurt majeur, cela résulte vraiment du fait que les équipes se connaissent et que les décisions ont été prises en temps utile sans atermoiement.

M. le président Georges Fenech. Immédiatement après que les explosions ont retenti, à 21 h 19 puis à 21 h 22, aux portes D et H, quelles sont les premières mesures prises par les responsable de la sécurité, du Consortium Stade de France ou de la Fédération française de football, ou encore par les agents des sociétés de sécurité privée ?

M. Didier Pinteaux, responsable du pôle sûreté et sécurité de la Fédération française de football. En tant que responsable du pôle sûreté et sécurité de la Fédération française de football, j’étais coordinateur principal au PCO, auprès du préfet. Dès la deuxième explosion, M. le préfet a pris la main sur la manifestation. Il nous a demandé de sécuriser le secteur Est dans sa totalité et d’éviter tout départ de spectateur par ce même secteur. Avec le Consortium, nous avons pris des dispositions pour fermer des accès de sorte qu’aucun spectateur ne parte vers ce secteur. Toutes ces opérations ont été menées et, à la mi-temps, les spectateurs ont été sortis sur les secteurs Sud et Nord ; aucun n’a été autorisé à accéder au secteur Est. Pendant que les secours s’organisaient sous l’autorité du préfet, nous avons laissé la manifestation se poursuivre jusqu’ à son terme.

À la fin de la rencontre, nous devions faciliter le départ des spectateurs, toujours sans les laisser sortir par le secteur Est, pour éviter de les exposer à d’éventuels nouveaux attentats. Tout s’est bien passé, mais, deux minutes plus tard, un groupe de spectateurs est revenu dans le stade, par le secteur Sud, à la suite de l’explosion de pétards près de l’autoroute A86, en allant vers le RER D. Entre 2 000 et 5 000 spectateurs se sont ainsi réfugiés sur la pelouse. Vingt à vingt-cinq minutes plus tard, le commissaire principal présent au PCO ayant trouvé la cause des explosions, nous avons laissé ressortir les gens. Tous sont partis sans problème.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. On n’a pas très bien compris la manière dont les choses se sont passées au Stade de France, ni comment les terroristes, qui n’ont pas réussi à entrer, étaient organisés, structurés. On connaît le rôle joué par la sécurité privée, en particulier par le vigile qui a repoussé, dans une action héroïque et exemplaire, l’un des kamikazes, mais pas le scénario exact des événements. Quelle certitude aviez-vous qu’il n’y avait pas de risque de sur-attentat au moment de la sortie du public ? La question se pose d’autant plus que l’équipe allemande a refusé de quitter les lieux et dormi sur place. Quel était le niveau d’information, à ce moment-là ? Et comment la décision de laisser sortir les spectateurs a-t-elle été prise ?

M. Didier Pinteaux. Toutes les décisions ont été prises par M. le préfet. Pour toute décision que j’avais à prendre, je devais demander son autorisation. Lui seul pourra donc vous répondre sur ce point. Comme il travaillait avec les forces de l’ordre, sur place et à proximité des attentats, il est le seul à savoir.

M. le rapporteur. À 21 h 44, le préfet avait pris la décision d’interdire aux spectateurs de sortir du stade.

M. Didier Pinteaux. Il prend cette décision à la deuxième explosion.

M. le rapporteur. Selon le déroulé qui nous a été transmis, c’est à 21 h 44.

M. Didier Pinteaux. Non, c’est à la deuxième explosion.

M. le rapporteur. Selon la main courante qui nous a été transmise par certains d’entre vous : 21 h 44, ordre du préfet : « personne ne sort du stade ». Des spectateurs sont-ils sortis malgré cet ordre ? Les zones étaient-elles sécurisées ?

M. Didier Pinteaux. Ils essayaient de sortir, mais le préfet avait refusé toute sortie de spectateur du stade.

M. le rapporteur. Vers 21 h 45, j’imagine que des informations ont circulé, par SMS, par les réseaux sociaux, et que des spectateurs étaient au courant. Y a-t-il eu des mouvements de foule aux portes, des demandes de sortie ? Comment la foule a-t-elle été gérée à l’intérieur du Stade de France ? Pendant la deuxième mi-temps, on a vu que les tribunes ne se vidaient pas.

M. Didier Pinteaux. À notre grande surprise, justement, rien n’a circulé dans le stade, il n’y avait pas vraiment de communication. Les spectateurs ne bougeaient pas. Quelques-uns voulaient sortir, mais vraiment peu – entre 50 et 100.

M. le rapporteur. Vous dites que, étonnamment, ils n’avaient pas l’information ?

M. Didier Pinteaux. Je le pense.

M. Christophe Bionne. Moi, je pense que les gens qui avaient des informations n’y ont pas cru.

Pour en revenir au risque de sur-attentat, il y a eu trois explosions : les deux premières à trois minutes d’intervalle, la troisième environ vingt minutes plus tard. Après la troisième, nous savions qu’il y avait très peu de risques que les terroristes soient entrés dans le stade. Il a donc été décidé que les gens y seraient plus en sécurité. Nous avons attendu que la police ait bien vérifié la zone et tous les parcours vers les RER B et D, et la ligne 13 du métro, pour laisser partir les gens.

M. le rapporteur. Le match s’est terminé entre 22 h 45 et 22 h 50. La grande majorité des Français était au courant de ce qui se passait au Stade de France, tout au moins qu’il y avait des suppositions d’explosion. Ils pouvaient faire le rapprochement avec les attentats qui s’étaient produits dans cinq autres zones de Paris ; l’information s’est diffusée. Jusqu’à la fin du match, il n’y a eu aucun mouvement d’inquiétude ou de panique, aucune tentative de sortie ? Je serais étonné qu’aucun des 65 000 spectateurs n’ait eu d’information.

M. Christophe Bionne. Les informations ont circulé : le stade est connecté, les notifications push passent, et avec BFM TV et les différents réseaux, l’information circule très vite.

Après la deuxième explosion, j’ai quitté le secteur Ouest pour aller à l’Est. Dans un premier temps, le PCO a donné l’ordre de fermer toutes les portes. Nous avons tiré une ligne de barrières Vauban sur le parvis du Stade de France. Puis, voyant que les gens ne bougeaient pas, nous nous sommes rapprochés du bâtiment pour fermer les portes basculantes et les escaliers monumentaux. À la mi-temps, j’étais encore sur place. Les gens venaient regarder, mais ils ne voyaient rien parce que, même si les explosions ont vidé la rue, il n’y a eu ni départ de feu, ni véhicule retourné, ni fumée. Les gens n’ont pas réellement vu qu’il se passait quelque chose.

M. le rapporteur. J’entends bien. Ils ne voient rien et ils doutent, tant une explosion au Stade de France paraît surréaliste. Mais dans les minutes qui suivent…

M. Christophe Bionne. Aucun mouvement, monsieur le rapporteur.

M. le rapporteur. Mais entre ce moment, à 21 heures 20, et la fin du match, à 22 h 50, presque une heure et demie se passe pendant laquelle l’information circule. Les chaînes d’information continue, les réseaux sociaux, les proches informent, confirment qu’il y a eu des explosions au Stade de France. Ce qui se passe à Paris, notamment au Bataclan, est également connu. J’ai bien compris que, dans les minutes qui ont suivi les premières explosions et pendant la mi-temps, il n’y a rien eu de spécial. Mais plus la soirée avançait, plus les spectateurs étaient au courant. Comment expliquez-vous que la gestion de la foule n’ait posé aucune difficulté au sein du Stade de France ? Les gens se sentaient-ils en sécurité parce que confinés ?

M. Christophe Bionne. Notre plus grande crainte était les mouvements de foule. Aussi avons-nous demandé à tous les coordinateurs ou patrons de société ici présents de ne mentionner qu’un problème technique. À aucun moment, ils ne devaient parler d’attentats ou de kamikazes.

M. le rapporteur. Cette explication est-elle encore crédible à 22 h 30, alors que la terre entière est au courant ?

M. Christophe Bionne. Je n’ai pas d’autre explication à vous donner. Je ne peux vous dire que ce que nous avons fait : nous avons dit de ne jamais évoquer autre chose qu’un problème technique et d’être rassurant avec le public. C’est ce qui a été fait.

M. le rapporteur. Au risque de sur-attentat s’ajoutait, pour vous, les difficultés liées à la gestion de la foule. Un dispositif particulier a-t-il été mis en œuvre par le personnel, en lien avec la police ? Je crois savoir que l’entrée des « renforts pelouse », à 21 h 42, est habituelle pour éviter les intrusions sur la pelouse pendant la mi-temps. Cela n’avait rien à voir avec les attentats.

M. Christophe Bionne. Tout à fait.

M. le rapporteur. Quelles dispositions supplémentaires, liées aux attentats, ont été prises pour éviter les mouvements de foule, pendant le match et au moment où le préfet autorise la sortie des spectateurs ?

M. Christophe Bionne. Des agents ont été déplacés de leurs postes pour se rapprocher au plus près du public, le rassurer et bloquer les accès vers le secteur Est et la moitié du secteur Nord, où étaient initialement déployés les véhicules de la BSPP. En fin de compte, nous avons évacué le Stade de France par deux secteurs et demi au lieu de quatre, en positionnant des agents qui ont très bien fait leur travail. Je n’ai pas d’autre explication à vous donner.

Quant à l’équipe allemande, je pense qu’elle a reçu des consignes pour rester au Stade de France. Elle avait déjà subi, semble-t-il, une alerte à la bombe à l’hôtel, dans l’après-midi.

M. le président Georges Fenech. Pouvez-vous répéter cela ?

M. Christophe Bionne. Il nous a été dit qu’il y avait eu une alerte à la bombe à leur hôtel au cours de l’après-midi.

M. Victoriano Melero. Il y a eu une alerte à la bombe à leur hôtel. Avec, en plus, les événements autour du Stade de France, ils ont décidé de rester jusqu’à leur départ pour l’aéroport, à sept heures du matin.

M. le président Georges Fenech. À quel hôtel étaient-ils descendus ?

M. Victoriano Melero. Au Molitor, porte d’Auteuil.

M. le rapporteur. À la mi-temps, vers 21 h 45, personne ne sort du stade. Outre la consigne que vous aviez donnée au personnel de communiquer sur des problèmes techniques, des messages ont-ils été diffusés à la mi-temps ? Je sais qu’il y en a eu à l’issue du match.

M. Christophe Bionne. Pour égayer la soirée, des animations au cours de la mi-temps sont prévues par l’organisateur. Nous avons suivi le programme normal ; toutes les animations se sont déroulées, et il n’y a pas eu de message pour dire autre chose. Nous avons été aussi surpris que vous l’êtes ce soir de voir que le public ne réagissait pas.

M. Didier Pinteaux. L’objectif principal que nous avait donné le préfet était clair : personne ne devait aller dans le secteur Est. Compte tenu de la deuxième explosion, il voulait le sécuriser en totalité, en prenant le temps qu’il faudrait pour lever le doute. Le deuxième point, c’était de rassurer les spectateurs présents dans le stade. Pour ce faire, nous avons donné l’instruction à l’ensemble des personnels d’invoquer un incident technique pour expliquer la fermeture des grilles. En voyant cela, un habitué comprend vite qu’il y a un problème, car ce n’est pas un dispositif habituel en cours de manifestation. Le message a été parfaitement passé par le personnel de sûreté, et aucun mouvement de foule n’a été observé pendant toute cette période.

M. Meyer Habib. La Fédération a-t-elle envisagé, à un moment donné, d’interrompre le match ? Je comprends que l’on craigne des mouvements de foule, mais il y a quand même des terroristes qui se font exploser au sein du Stade de France !

M. Christophe Bionne. À l’extérieur du Stade de France, monsieur le député !

M. Meyer Habib. Oui, à l’extérieur. Cette question s’est-elle néanmoins posée ?

Nous avons longuement auditionné le vigile, psychologiquement extrêmement marqué, qui a vu le kamikaze. Il l’a remarqué longtemps avant qu’il ne se fasse exploser, et il pensait qu’il s’agissait d’un policier. Que se serait-il passé si, au lieu d’attendre à l’extérieur du stade, le kamikaze était entré une demi-heure, un quart d’heure avant le match, lorsque les gens font la queue pour passer les contrôles de sécurité ? Notre chance est qu’il se soit fait exploser après le début du match, et à l’extérieur. Depuis, votre protocole de fouille a-t-il changé ? Je sais qu’il y a une palpation physique de tous les spectateurs.

M. Christophe Bionne. Je laisserai la FFF s’exprimer sur l’éventualité d’un arrêt du match. Je demanderai aussi à M. Dos Santos et à M. Pinteaux d’évoquer les dispositifs mis en place depuis les attentats, en partenariat avec la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) et la préfecture de Seine-Saint-Denis.

M. Victoriano Melero. La décision de continuer le match a été prise par les autorités de l’État présentes sur le site ce soir-là. Après concertation avec le préfet, les forces de police et les autorités politiques présentes, il a été décidé, assez rapidement, par tout le monde, que l’endroit le plus sécurisé était l’enceinte du stade. Si la question d’un arrêt s’est posée, très vite, les autorités de l’État ont pris la décision que le match continuerait comme si de rien n’était. Peut-être M. Pinteaux pourra-t-il répondre aux autres questions.

M. Didier Pinteaux. Je laisserai la parole à M. Dos Santos, qui a œuvré lors des matchs de rugby joués au Stade de France depuis les attentats. Le même dispositif exactement sera déployé lors du prochain match de l’équipe de France – France-Russie, le 29 mars prochain.

M. Jean-Philippe Dos Santos, directeur adjoint de la sûreté du consortium Stade de France. Le dispositif de sécurité à l’extérieur du stade a été beaucoup modifié, au niveau des entrées des parkings publics et des parkings à l’intérieur du stade, notamment pour les VIP qui stationnent au P0. Tous les passagers descendent des véhicules pour une fouille complète. En plus du contrôle de l’habitacle et du coffre, qui était déjà pratiqué, des équipes cynophiles spécialisées dans la détection d’explosifs ont été déployées sur les parkings. Ce système convenait à l’ensemble des parties prenantes, mais nous nous sommes vite aperçus que les explosifs pouvaient être remontés à l’intérieur du parking, sous forme de très petites pièces. Nous avons donc décidé de contrôler une deuxième fois les personnes qui sortent des parkings. Une fois qu’elles ont emprunté les escaliers qui les ramènent au niveau des portes d’entrée du stade, la même fouille est donc refaite par des stadiers – ouverture des blousons, contrôle des sacs, palpation rapide uniquement sur la partie haute du corps. Une fois passés les parkings, un pré-filtrage a lieu au niveau des portes pour vérifier que les personnes qui se présentent détiennent bien un billet. Ensuite, elles passent leur billet au niveau des tripodes, derrière lesquels une palpation complète est refaite.

Le stade étant ouvert également sur l’avenue Jules Rimet, où se trouvent des commerces dont il n’est pas question d’interdire l’accès, nous ne contrôlons pas les billets. En revanche, deux heures avant le coup d’envoi – donc à 17 heures pour un match à 19 heures –, tout un dispositif est mis en place sur sept points de contrôle, avec des stadiers et des forces de l’ordre. La procédure est la même : ouverture des blousons, contrôle des sacs, palpation du haut du corps avant d’accéder au périmètre. Puis les gens suivent le même cheminement que les personnes arrivées par les parkings : contrôle du billet au niveau du barriérage, passage aux tripodes et palpation complète. Tous ces points sont requadrillés par les forces de l’ordre. Les stadiers sont en premier rideau ; derrière, nous avons toujours des forces de police armées, prêtes à intervenir, sur tous les points de filtrage, mais également aux parkings.

Depuis les trois derniers matchs, la direction de l’ordre public et de la circulation met également, sur les accès aux parkings, trois véhicules équipées du système de lecture automatisée de plaques d’immatriculation (LAPI) qui permet de savoir tout de suite si un véhicule est recherché pour un motif quelconque. La veille des événements nous faisons également les mêmes fouilles.

Nous ne pouvons pas contrôler tous les semi-remorques qui viennent pour des livraisons à l’intérieur du stade, mais les identités de toutes les personnes qui accèdent au stade sont récupérées. Des véhicules sont choisis aléatoirement pour être complètement déchargés : les stadiers les accompagnent jusqu’au point de déchargement où les caisses et les cartons sont ouverts. Malheureusement, on ne peut pas le faire pour tous les véhicules, cela représenterait un travail immense, et, surtout, un gros retard pour toutes les préparations. La majorité des véhicules n’en est pas moins vérifiée.

M. le président Georges Fenech. Vous n’êtes pas obligés de donner tous les détails.

M. le rapporteur. Aux abords du stade, comment sont répartis les périmètres de compétence entre stadiers, vigiles et forces de police ?

Selon quel processus les sociétés de sécurité sont-elles choisies ? Comment sont recrutés les vigiles et les stadiers, et sur quelle qualification ?

M. Jean-Philippe Dos Santos. Les sociétés répondent à un appel d’offres. Aujourd’hui, nous en avons référencé treize. Selon le type d’événement, elles sont huit ou neuf à intervenir au stade. Le recrutement est géré directement par les entreprises. Nous avons choisi chacune des sociétés par rapport à un type d’activité. Certaines sont plus spécialisées sur les palpations, d’autres sur le contrôle d’accès.

Sur le mail extérieur, une coordination est faite avec les forces de l’ordre. Nous n’intervenons que sur les pré-fouilles, les forces de l’ordre vont intervenir sur tous les problèmes qu’il pourrait y avoir sur le mail – mouvements de foule, etc.

M. le rapporteur. Plus précisément, y a-t-il, à votre niveau ou à celui des sociétés de sécurité, un travail de criblage effectué avec les services de renseignement ? De tels dispositifs sont prévus, et renforcés, à la RATP et à la SNCF, notamment à la suite de l’adoption récente d’une proposition de loi.

M. Christophe Bionne. Les 5 000 personnes qui travaillent sur un événement au Stade de France, des vendeurs d’écharpes aux buffetiers, sont accréditées. La seule autre manière d’entrer au Stade de France un jour d’événement est d’avoir un billet pour assister audit événement. La FFF nous délègue la mission d’édition des accréditations. Toutes les sociétés qui doivent ou veulent travailler au Stade de France reçoivent un fichier qui est ensuite transmis à différents services pour criblage. Les agents de sécurité ont obligatoirement la carte professionnelle délivrée par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). Depuis maintenant deux ans, le numéro de la carte professionnelle doit être inscrit à l’accréditation, pour une vérification directe, avec les services de l’État, de la conformité de la carte professionnelle.

M. le président Georges Fenech. Le criblage a-t-il donné des résultats ?

M. Christophe Bionne. Je ne suis pas au courant de cela.

M. Christophe Cavard. Le soir du 13 novembre, il se passe des choses à l’extérieur puisque la personne qui n’a pas pu entrer choisit de se faire exploser à côté d’un bar. Votre personnel est-il vraiment confiné à l’intérieur ou bien, compte tenu de la situation, une partie se retrouve-t-elle à l’extérieur ?

Des consignes sont données pour éviter les mouvements de foule et le public n’est pas informé. Mais qu’en est-il de l’information délivrée à votre personnel ? À quel niveau hiérarchique est-il mis au courant de la réalité de l’attentat ?

En tant que député de province, j’aimerais savoir si le Stade de France possède des spécificités en matière de sécurité que ne présenteraient pas des stades importants de province ? La FFF travaille-t-elle sur de possibles évolutions des dispositifs dans ces stades ?

Des évolutions législatives sont actuellement à l’étude s’agissant de droits administratifs nouveaux conférés aux personnels de sécurité privée intervenant lors des grands événements. L’avis administratif rendu sur les personnels en voie de recrutement s’en trouverait renforcé mais n’aurait toujours qu’une valeur d’avis. Quelle serait l’attitude des chefs d’entreprise de sécurité vis-à-vis de cet avis ?

M. Christophe Bionne. Le périmètre d’action d’un agent de sûreté sur la voie publique est soumis à l’autorisation du préfet. Les différents périmètres tracés entre les organisateurs, l’exploitant et la police sont donc présentés pour autorisation préfectorale. On demande aux sociétés de sécurité qui auront à placer des agents sur les extérieurs d’en donner les noms et numéros de carte professionnelle ; on les transmet à la préfecture, et le préfet prend un arrêté qui autorise ces sociétés à travailler sur la voie publique.

Le Stade de France comporte dix-huit portes. Pour pouvoir réguler au mieux les flux du public, un barriérage avec pré-filtrage est installé. Deux agents de sécurité vérifient que vous êtes bien porteur d’un billet. Le stade est sectorisé : si vous êtes muni d’un billet pour le secteur Est, vous ne pourrez pas entrer à l’Ouest. Pour éviter aux gens de faire la queue et les diriger au mieux, les agents de sûreté sont chargés d’une mission d’accueil et les invitent à se diriger vers la bonne porte. Cela permet aussi de réguler au mieux les palpations de sécurité.

Qui était au courant de quoi ? Il est impossible de communiquer par texto ou par téléphone avec toutes les personnes avec qui nous travaillons. Nous utilisons des talkies-walkies, entre 600 et 800 par événement, avec cinquante et un groupes de parole, dont l’un est réservé aux coordinateurs et aux dirigeants, en plus de ce qu’a la FFF. Nous communiquons sur ce canal.

M. Christophe Cavard. Jusqu’à quel niveau les personnes présentes sont-elles au courant qu’il y a une attaque terroriste ?

M. Christophe Bionne. Personnellement, je suis arrivé cinq minutes après la deuxième explosion ; j’ai donc pu apprécier par moi-même. Puis je suis revenu au poste de commandement opérationnel relever Jean-Philippe Dos Santos, qui est parti sur le site. Le PCO du Stade de France est une ligne droite le long de laquelle se succèdent la police, la sécurité de l’organisateur, l’exploitant, la RATP, la SNCF, la BSPP et le SAMU. Nous sommes tous là et c’est pourquoi nous avons eu de bons résultats : nous nous connaissons tous, nous travaillons ensemble à chaque événement, nous participons à toutes les réunions de sécurité en préfecture. Nous travaillons également sur tous les dossiers d’animation avec la BSPP. C’est vraiment un travail collégial, et c’est pourquoi ça marche aussi bien.

M. le rapporteur. Dites-vous à votre personnel qu’il y a eu des attentats ? Si oui, à quel moment ? Ou bien ne parlez-vous que d’un problème technique ?

M. Didier Pinteaux. Nous ne parlons que d’un problème technique. Et cela a été transmis aux coordinateurs et responsables par moi-même.

M. le rapporteur. Jamais des responsables intermédiaires ne vous ont interrogé ? Personne ne vous a dit « vous vous fichez un peu de moi alors que j’ai reçu telle ou telle alerte » ?

M. Christophe Bionne. Absolument pas.

M. le rapporteur. Je vous crois, mais j’ai du mal à me dire que, jusqu’à la fin du match, personne, ni dans le personnel ni dans le public, n’ait douté de vos problèmes techniques alors que des alertes parlant d’explosions de kamikazes au Stade de France et d’attentats en plein Paris étaient envoyées de partout.

M. Christophe Bionne. Personne. Les seules personnes qui voulaient bouger, c’étaient les journalistes.

M. le rapporteur. Je veux bien vous croire mais c’est extraordinaire !

M. Christophe Bionne. Nous avons prêté le serment de dire la vérité. De plus, nous avons une machine qui nous permet d’enregistrer les talkies-walkies.

M. Victoriano Melero. Ce qui a été fait porte la marque d’un très grand professionnalisme de l’ensemble du personnel.

M. le rapporteur. C’est vrai. Nous avons d’ailleurs auditionné, au début de nos travaux, l’un de vos collègues vigiles dont l’action fut héroïque. Reste que c’est étonnant.

M. Victoriano Melero. En ce qui concerne la province, tout déplacement de l’équipe de France donne lieu à des repérages sur le site où elle jouera et à des réunions, notamment en préfecture, pour définir le dispositif de sécurité. Bien entendu, compte tenu des événements, des dispositifs de sécurité renforcés seront mis en place pour les matchs qui auront lieu en province au cours des prochains mois. De toute façon, par principe, il y a toujours une organisation, des réunions de sécurité, une forte collaboration avec l’exploitant du stade. En raison du contexte particulier, les dispositifs seront renforcés, en concertation avec les autorités locales.

M. Christophe Cavard. Existe-t-il un « protocole attentat » qui anticipe jusqu’à des événements tels que ceux de la soirée du 13 novembre ? Ces derniers ont-ils révélés la nécessité d’apporter des évolutions ?

M. Didier Pinteaux. Il n’y a pas de protocole dédié prêt, mais tous, en particulier M. le préfet, nous avons en tête tout ce qui peut se passer lors d’une grande manifestation sportive rassemblant un grand nombre de spectateurs.

M. le rapporteur. Combien y a-t-il de vigiles par porte ?

M. Jean-Philippe Dos Santos. Cela varie en fonction du type d’événement et du public attendu. Le Stade de France est équipé de 141 tripodes et, ce soir-là, je crois qu’il y avait au total 170 agents. Il y avait donc une dizaine d’agents par porte.

M. le rapporteur. Une fois le match commencé, les vigiles restent-ils à une dizaine par porte ou bien sont-ils déplacés ailleurs ? Les explosions ont eu lieu à proximité des portes D et H, alors que le public était déjà rentré. Combien de vigiles étaient alors présents ?

M. Didier Pinteaux. Il faudrait voir cela avec la société Main Sécurité.

Lorsque nous fermons les portes du stade, nous en laissons une d’ouverte par secteur. Ce soir-là, nous voulions tester un déploiement des stadiers sur une autre mission, et nous nous sommes retrouvés avec beaucoup moins d’agents que prévu aux portes, étant donné qu’elles étaient fermées. Ne restaient donc que les agents qui devaient retirer le barriérage devant les portes pour préparer l’évacuation. Ils étaient très peu. Il faudrait demander à M. Bruno Lafond.

M. le rapporteur. Je complète mon propos avant que nous ne lui laissions la parole. J’imagine qu’au moment des explosions, des vigiles, des personnels équipés d’une radio étaient présents. Jamais les autres vigiles n’ont été au courant de ce qui s’est passé ? Ceux qui ont vu les explosions n’ont pas communiqué ? Ensuite, des ambulances, des pompiers sont arrivés… Tout cela n’a suscité aucune interrogation ni fait l’objet de transmissions entre collègues, de porte à porte ? L’information ne s’est pas répandue ?

M. Didier Pinteaux. Au PCO, l’ordre que j’avais donné à tous les responsables de société et coordinateurs de secteur était clair : on ne voulait entendre aucune communication parlant de l’attentat.

M. le rapporteur. Monsieur Lafond, pouvez-vous nous dire ce qu’il en était de vos vigiles ?

M. Bruno Lafond, représentant la société Main Sécurité. Les seuls stadiers qui ont pu voir les explosions sont ceux qui se trouvaient aux portes où elles se sont produites. Seuls les chefs d’équipe sont munis de talkies-walkies et ceux qui se trouvaient là ont peut-être communiqué entre eux. Mais pour ce qui est des stadiers, seuls ceux qui étaient à ces portes ont pu voir ce qui s’était passé. Il n’y a pas eu d’autre mouvement, même sur les autres portes.

M. Jean-Jacques Cottel. Nous sommes effectivement étonnés du calme qui a régné dans ce stade, et nous ne pouvons que nous satisfaire que vous n’ayez pas communiqué et que la foule n’ait pas réagi.

D’ordinaire, combien de temps faut-il pour évacuer les lieux lors d’une manifestation où il ne se passe rien d’exceptionnel ?

Dans la perspective de l’Euro de football prochain, des stadiers sont recrutés, qui ne sont pas des professionnels. La FFF peut-elle indiquer quels critères de recrutement sont retenus pour avoir le plus de garanties possible ?

M. Victoriano Melero. La sécurité est assurée par des professionnels. Des volontaires et des bénévoles participent effectivement à l’organisation d’événements internationaux, mais en aucun cas ne leur sont confiées des missions de sécurité.

Les sociétés de sécurité ont été sélectionnées à la suite d’un appel d’offres de la société Euro 2016 SAS. Bien entendu, bon nombre des sociétés qui assurent aujourd’hui la sécurité autour du Stade de France seront de la partie pour l’Euro 2016.

M. Christophe Bionne. Le Stade de France, qui peut contenir environ 80 000 personnes, se vide, si tout se passe bien, en huit minutes. Ensuite, les spectateurs cheminent vers les différentes gares. Pour assurer une meilleure régulation, les services de police et de gendarmerie, parfois accompagnés de gardes républicains à cheval, procèdent à une sorte de filtrage et de régulation du flux. Il y a aussi toute une coordination avec les points de vente que l’on gère à l’extérieur, pour faire des points d’accroche et éviter que tout le monde arrive à la gare en même temps – une rame de métro ou de train, c’est 2 500 personnes. C’est pour assurer cette régulation que des responsables de la SNCF et de la RATP sont présents au PCO. Une convention RATP-police nous permet aussi d’avoir un retour des images des différents quais des RER B et D et de la ligne 13 du métro.

M. le rapporteur. Le même vigile que nous avons auditionné a dit que lors de la première explosion, à la porte D, des vigiles qui se trouvaient avec lui à la porte H se déportent vers la porte D. Du coup, il se retrouve assez seul à sa porte où a lieu la deuxième explosion. Ce déport de vigiles correspond-il à un protocole en cas d’incident qui surviendrait à une porte ? Dès lors, n’y a-t-il pas de risque d’affaiblir la protection des autres ?

M. Didier Pinteaux. La première chose que l’on demande, c’est de fermer la porte pour éviter que les spectateurs entrent. La deuxième, c’est de faire un périmètre de sécurité pour écarter l’ensemble des personnels. C’est pourquoi ils partent vers des portes qui se trouvent à proximité.

M. le rapporteur. En l’occurrence, les portes ont-elles été fermées lors de la première explosion ?

M. Didier Pinteaux. Nous étions en train de les fermer, comme on le fait normalement une fois que les spectateurs sont entrés dans le stade. On le sécurise en limitant le nombre de portes ouvertes à quatre sur dix-huit – une par secteur.

M. le rapporteur. Quelle a été la consigne au moment de la première explosion ? A priori, vous ne savez pas alors qu’il y a un attentat.

M. Didier Pinteaux. Nous avons simplement sécurisé la zone proche. Nous pensions qu’une bouteille de gaz avait explosé à proximité. La vidéosurveillance montrait que les barres étaient retournées, mais pas de victime au sol. Nous pensions à un simple acte de malveillance. C’est à la deuxième explosion que nous avons su que c’était un attentat.

M. le président. Et c’est à 21 h 09 que les portes avaient été fermées, à l’exception de quatre pour les retardataires.

M. le rapporteur. Sans forcément tout dévoiler, avez-vous eu un retour d’expérience suggérant que tel ou tel dispositif devrait être amélioré ? Pouvez-vous dire lesquels ?

M. Victoriano Melero. Une réunion s’est tenue en préfecture avec l’ensemble des personnes et services concernés ce jour-là, pour faire un état des lieux de ce qui avait bien marché et ce qui avait moins bien marché. Des préconisations en sont ressorties, dont certaines seront mises en œuvre, et même renforcées, pour l’Euro 2016. Donc, oui, il y a bien eu des retours d’expérience, au niveau de l’ensemble des acteurs et du ministère de l’intérieur, notamment dans la perspective de l’Euro 2016.

M. le président. Vous parlez de moyens et de dispositifs nouveaux par rapport à ce qui existait jusqu’à maintenant ?

M. Victoriano Melero. Des dispositifs renforcés.

M. le président. On peut le dire, nous avons frôlé une terrible catastrophe. Qu’il n’y ait pas eu d’autre victime que M. Dias relève du miracle. Le risque zéro n’existe pas, mais pensez-vous véritablement que tous les dispositifs nouveaux permettront d’être plus efficace encore pour se prémunir de ce genre d’agression ?

M. Christophe Bionne. Il est difficile de répondre à cette question. Nous faisons tout pour assurer la sécurité du public, c’est un fait. Pour ma part, je me suis refait plusieurs fois le film de cette soirée : je n’aurais pas voulu faire différemment. Heureusement, nous avons eu beaucoup de chance, mais notre chance aussi, c’est de travailler avec de grands professionnels, en toute confiance et transparence. C’est une des clés de notre réussite, à mettre au crédit des acteurs tant de la sécurité privée que de la sécurité publique, même si on peut se féliciter d’avoir aussi un petit peu d’amateurisme de l’autre côté.

M. Christophe Cavard. Il y a une vie au Stade de France, et pas seulement les soirs de match. Même s’il y a des gardiens, comment vérifie-t-on, après un match ou à la fin d’une journée ordinaire, que le stade est vide au moment de tout fermer ?

M. Christophe Bionne. Nous avons différents systèmes de contrôle. Le plus simple consiste, comme à l’entrée de l’Assemblée nationale, à remettre un badge en échange d’une pièce d’identité, cela pour tout le monde. D’autres processus dont, si vous me le permettez, je ne donnerai pas le détail, impliquent des points de filtration, des agents de sûreté, un système de vidéosurveillance…

M. le président Georges Fenech. Quelqu’un parmi les personnes présentes souhaite-t-il apporter un complément ?

M. Olivier Ploix, représentant la société ISMA. La société ISMA, dont je suis le directeur des opérations, a un profil particulier en ce qu’elle assure, pour l’organisateur, la coordination du service médical et des secours. À ce titre, elle se réfère, pour son dispositif prévisionnel de secours, aux recommandations en termes de médicalisation, d’organisation de matériels et de compétences, émises au mois de juillet 2014 par SAMU-Urgences de France à destination des organisateurs.

Nous sommes présents au Stade de France et nous sommes également présents en province, où nous couvrons, à l’année, neuf sites accueillant de grands événements. Y sont pré-positionnés à la fois des médecins, des infirmiers, une coordination médicale, une interface avec les services publics et du matériel de réanimation. Le soir du 13 novembre, nous avons géré jusqu’à deux heures du matin 200 personnes impliquées dans ce qui s’est passé et en avons évacué trente-quatre sans saturer les hôpitaux de périphérie ou à proximité immédiate, ni affecter notablement leur activité. Nous avons pris le relais, à l’intérieur du stade, et géré toutes les personnes impliquées dans la première vague liée directement aux attentats, puis dans le mouvement de foule de la fin de l’événement. Nous avons pu traiter les urgences, retarder ce qui était moins urgent et orienter en coordination avec la BSPP, en bref, nous avons pu gérer le dispositif.

Nous faisons partie intégrante du service de sécurité, et sommes soumis aux mêmes règles et aux mêmes contrôles. Notre personnel était totalement informé, puisqu’au contact des victimes, mais suffisamment occupé pour ne pas pouvoir échanger. Les communications avec l’extérieur étaient très compliquées du fait de la saturation des réseaux – data, téléphoniques et SMS – qui se produit dès lors que le Stade de France est plein. La capacité d’information des personnes présentes était donc limitée.

Je voulais juste souligner qu’outre la sécurité et les questions de contrôle, il faut gérer à la fois le quotidien, les pathologies qui se rencontrent habituellement dans une population de 80 000 personnes, mais aussi anticiper le risque, l’enjeu étant la capacité de réaction immédiate en attendant le déploiement des secours. En l’espèce, la situation était d’autant plus compliquée qu’il s’agissait d’attentats multi-sites, et que nous avons dû gérer avec le dispositif intérieur ce qui se passait non seulement à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur, certaines personnes ayant dû être rapatriées à l’intérieur, car les moyens de secours publics étaient dépassés en périphérie et au centre de Paris.

M. le président Georges Fenech. Vous avez indiqué qu’un poste médical avancé avait été déployé place du Cornillon. Qui l’a mis en place ?

M. Olivier Ploix. Il y en a eu deux : l’un, mis en place par la BSPP, pour gérer ce qui était extérieur, et le nôtre, à l’intérieur du stade, dans les sous-sols, au niveau du centre médical principal. Le commandant des opérations des sapeurs-pompiers de Paris était présent à l’intérieur du site, pré-positionné au niveau de la régulation, pour gérer en interne tout ce qui était gérable avec le matériel et le personnel sur place.

M. le président Georges Fenech. Quelqu’un d’autre veut-il ajouter quelque chose ?

M. Christophe Bionne. Juste une petite réflexion concernant les aptitudes qui seront requises à l’avenir pour les agents de sécurité. Ayant, dans une autre vie, été dans la situation des prestataires actuels du Stade de France, il me paraîtrait utile et nécessaire de s’appuyer davantage sur la formation des agents de sécurité. De ce point de vue, il faut les aider. Aujourd’hui, on leur demande de faire de plus en plus de choses, mais il faudrait un peu plus les accompagner au niveau des formations. Ce n’est pas parce qu’on a obtenu son permis de conduire lors du passage devant un examinateur qu’on sait conduire. Dans cet esprit, comme pour toute mission, une formation continue ou des rappels seraient les bienvenus.

M. le président Georges Fenech. La Commission vous a entendu et en tiendra compte.

Mesdames, messieurs, je vous remercie beaucoup de votre disponibilité et de vos réponses, qui nous seront extrêmement utiles.

La séance est levée à 20 heures 30.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Pierre Aylagas, M. Christophe Cavard, M. David Comet, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Falorni, M. Georges Fenech, M. Philippe Goujon, M. Serge Grouard, M. Meyer Habib, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, M. Pierre Lellouche, Mme Lucette Lousteau, M. Jean-René Marsac, M. Sébastien Pietrasanta, M. Pascal Popelin, Mme Maina Sage, M. Jean-Michel Villaumé