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Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Jeudi 17 mars 2016

Séance de 13 heures 30

Compte rendu n° 10

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Audition, à huis clos, du commissaire divisionnaire X et du brigadier Z, son chauffeur

La séance est ouverte à 13 heures 30.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, à huis clos, du commissaire divisionnaire X et du brigadier Z, son chauffeur.

M. le président Georges Fenech. Nous avons le plaisir et l’honneur d’accueillir deux fonctionnaires de police d’exception, dont nous saluons l’action menée le 13 novembre 2015, au péril de leur vie. Il s’agit du commissaire divisionnaire X et du brigadier Z, son chauffeur, primo-intervenants au Bataclan, où nous nous sommes rendus ce matin.

Nous y avons eu le récit chronologique de l’intervention des trois services : la Direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), le RAID et la Brigade de recherche et d’intervention (BRI). Cela nous a permis, messieurs, de nous rendre compte de la difficulté de votre intervention, et du sang-froid dont vous avez fait preuve pour mettre un terme à l’action de l’un des terroristes.

Je vous remercie d'avoir répondu à la demande d'audition de notre commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Au nom de l'ensemble des membres de la commission d'enquête, je salue votre courage et votre exceptionnel sang-froid. Vous êtes donc intervenus les premiers sur les lieux de l'attentat au Bataclan, et votre témoignage sera particulièrement précieux pour permettre à la Commission de comprendre comment neutraliser les terroristes dans ce genre de circonstances.

Cette audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer, se déroule à huis clos et n'est donc pas diffusée sur le site internet de l'Assemblée. Au demeurant, je précise que pour des raisons de sécurité, vous vous exprimez sous couvert de l'anonymat.

Néanmoins, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, le compte rendu de cette audition – toujours sous couvert de l’anonymat– pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l'issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations seront soumises à la commission, qui pourra décider d'en faire état dans son rapport.

Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal – un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende – toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l'article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Le commissaire divisionnaire X et le brigadier Z, son chauffeur, prêtent successivement serment.

Monsieur le commissaire divisionnaire X , je vous laisse la parole afin que vous nous relatiez les circonstances de votre intervention. Nous vous poserons ensuite des questions, ainsi qu’à votre chauffeur.

Commissaire divisionnaire X. Avant tout, je tiens à vous informer des difficultés que nous allons certainement avoir à donner une vue d’ensemble de la situation cette nuit-là. Pendant ce que nous appelons en termes policiers « l’effet tunnel », nous avons eu, en effet, une vision assez parcellaire de ce qui s’est passé. Mon chauffeur et moi-même, n’avons d’ailleurs pas eu la même vision des faits alors que nous n’étions qu’à quelques mètres l’un de l’autre. De même, d’un point de vue chronologique, il a été assez difficile pour nous de répertorier dans le temps l’ensemble des éléments que nous avons eu à vivre.

Le début de soirée s’est déroulé de manière tout à fait banale. Nous prenons notre service vers 18 heures. Nous nous sommes rendus à la préfecture de police pour y prendre nos instructions comme à l’accoutumée, en ayant équipé notre véhicule avec le matériel nécessaire à notre mission. Il s’agit essentiellement de matériel de maintien de l’ordre, puisque notre action porte principalement sur l’anticriminalité et le maintien de l’ordre. De retour au service, je me suis attelé à mes tâches administratives habituelles. Vers 21 h 20 ou 21 h 25, j’ai été avisé par la salle d’information et de commandement avec laquelle je suis en lien permanent, téléphoniquement et par l’écoute des ondes radiophoniques, qu’une explosion avait eu lieu au Stade de France.

Je n’avais pas en charge ce service, qui était sous la compétence de la Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC). J’ai donc contacté mon collègue de la BAC 93 – qui dépend de la DSPAP – et qui se trouvait sur place. Dans un premier temps, il n’avait pas d’information précise à me communiquer. Il m’a dit qu’il s’agissait peut-être d’un mortier. Dans l’attente d’informations supplémentaires, je suis resté au service. Ensuite, mon directeur m’a contacté téléphoniquement pour me demander des précisions. J’ai alors décidé de me rendre sur place. Avant de monter à bord de notre véhicule, j’ai croisé C. P., ma collègue de la BAC 75 que vous avez vue ce matin, alors qu’elle arrivait au service. Je lui ai fait un point rapide de la situation et lui ai demandé de s’équiper en urgence, en lui disant que nous partions sur le Stade de France.

Nos effectifs ne prennent leur service qu’à 22 heures 20. À cette heure, nous n’avions donc encore aucun effectif de la BAC 75 à notre disposition. Nous sommes montés rapidement dans le véhicule, et c’est à ce moment qu’ont eu lieu les appels pour la première fusillade, au niveau de la rue Bichat. Je précise que nous basés boulevard Bessières, entre la porte de Clichy et celle de Saint-Ouen. En tant que chef de service, j’ai alors hésité sur l’option à prendre : je ne savais pas s’il fallait que je reste sur Paris ou que je parte sur le Stade de France. Ce sont des options opérationnelles sur lesquelles nous devons faire des choix en permanence. J’ai finalement décidé de m’en tenir à ma destination initiale du Stade de France. Nous devions alors nous trouver au niveau de la porte de Clignancourt.

Il y a ensuite eu un second appel confirmant la fusillade. J’ai alors considéré que la situation était plus grave sur Paris, et j’ai donné pour instruction à mon équipier de se dérouter et de repartir sur Paris. J’ai avisé mon directeur téléphoniquement, lui disant que les informations concernant la situation au Stade de France lui seraient communiquées par mon collègue. Il a confirmé mon choix.

Nous nous sommes dirigés vers le centre de Paris en empruntant le boulevard Ornano et le boulevard Barbès. Au gré des fusillades annoncées sur les ondes, nous nous déroutions pour aller à chaque fois sur les lieux des dernières en cours. En entrant sur le boulevard Magenta, nous avons entendu l’appel informant des tirs rue de la Fontaine-au-Roi, et une fois au bas du boulevard Magenta, nous avons entendu l’appel concernant les tirs au Bataclan. Nous étions à environ 500 mètres, avec le gyrophare et la sirène deux tons. Nous sommes allés le plus rapidement possible au niveau du Bataclan. Nous avons supprimé nos signaux lumineux 200 mètres avant, mesure de précaution habituelle à l’approche d’un lieu d’intervention. Nous sommes arrivés tellement vite que nous avons stoppé précipitamment devant le Bataclan : nous pensions qu’il était plus loin et nous ne nous sommes rendu compte que nous y étions qu’une dizaine de mètres avant. J’ai signalé à mon équipier que le Bataclan était là, et nous nous sommes arrêtés juste derrière le bus des artistes, qui était stationné devant la salle.

Nous sommes tout de suite descendus du véhicule, et nous avons chacun fait le tour du bus. Une personne était au téléphone, certainement avec les services de police. Elle nous a requis en disant qu’il y avait une attaque à l’intérieur. Nous avons contourné le bus, et tout de suite, sur ma gauche, au niveau du passage Saint-Pierre-Amelot, j’ai vu quelques effectifs de police. Je n’y ai pas été très attentif, car mon attention s’est immédiatement portée sur les personnes décédées, au sol, devant nous. Je me rappelle en avoir vu deux : un homme devant le « Bataclan Café » et une femme devant l’entrée. Nous avons été marqués parce qu’une personne filmait avec un téléphone portable. Nous lui avons dit de dégager.

Nous entendions des tirs en rafales. Nous nous sommes avancés vers la porte vitrée, qui n’était déjà plus là : elle était tombée. Dès que nous avons commencé à progresser, les portes battantes en bois du Bataclan se sont ouvertes vers nous, et entre quinze et trente personnes ont fui en courant dans notre direction et en hurlant. Je me souviens d’un monsieur qui m’a dit : « Vite, vite, entrez, il y a ma femme à l’intérieur ! » Nous avons revu ce monsieur plus tard dans les locaux de la BRI, et il nous a avisés que sa femme était décédée.

Nous avons dit aux gens de s’enfuir en longeant les bâtiments sur le boulevard Voltaire, vers la rue Oberkampf, ce qu’ils ont fait. Dans le même temps, par l’une des portes qui s’était ouverte et qui était en train de se refermer, j’ai pu apercevoir un des terroristes. Il avait une Kalachnikov à la main, il était de côté et ne regardait pas dans notre direction. Nous étions à 35 ou 40 mètres, la vision a été très furtive et les portes se sont refermées. J’ai juste eu le temps de le voir deux ou trois secondes. Les gens se sont enfuis et nous avons progressé. J’ai passé un message radio annonçant mon arrivée sur place ; d'après les informations que j’ai ensuite reçues de la salle, il devait être 21 h 54, assez peu de temps après le premier appel à Police-secours.

Nous avons progressé dans le couloir et nous sommes arrivés au niveau des portes battantes, que nous avons ouvertes. Nous avons été frappés par la lumière extrêmement forte, puisque les spots avaient été allumés, certainement dès le début de l’attaque, par la régie. Des projecteurs très puissants éclairaient donc dans notre direction. À partir du moment où nous avons commencé à progresser dans le couloir, les tirs ont cessé, et quand nous sommes rentrés, il n’y en avait plus aucun, c’était le silence.

Là, la vision était indescriptible – vous pouvez l’imaginer. Des centaines de corps – pour nous, tout le monde était mort – étaient enchevêtrés les uns sur les autres : devant le bar, dans la fosse, parfois même entassés sur plus d’un mètre de hauteur. On se rendait vraiment compte que les gens s’étaient jetés les uns sur les autres. Pour nous, il n’y avait aucun survivant : personne ne bougeait, il n’y avait pas de gémissements, pas de bruit, il régnait un silence glacial.

Notre première réaction a été de se demander comment ils avaient fait pour tuer autant de gens en aussi peu de temps. Très rapidement, nous nous sommes reconcentrés. J’ai éteint ma radio parce que nous voulions être le plus discret possible, et avec la succession des messages radios, ce ne pouvait pas être le cas. À partir de cet instant, nous étions complètement coupés de l’extérieur. Nous avons commencé à progresser très doucement à l’intérieur de la salle.

L’un des terroristes, que nous avons identifié ultérieurement comme Samy Amimour – c’était le seul qui avait le crâne rasé – est apparu sur la scène. Il marchait à reculons, en venant de la gauche. Il était face à nous et tenait à la main son fusil d’assaut en menaçant un jeune homme à quelques mètres de lui. Il lui donnait l’ordre de se coucher au sol. Nous avons retrouvé cette personne plus tard ; elle nous a expliqué que ces ordres étaient en fait destinés à une personne située dans la fosse. Avec l’effet d’optique, nous avons eu l’impression que c’était à lui qu’il s’adressait. Ce jeune homme, initialement dans la fosse, avait profité d’un moment d’accalmie pour tenter d’accéder à la sortie de secours. Mais en fait, il était tombé nez à nez avec le terroriste, qui lui avait demandé de revenir vers lui.

Pour nous, il le menaçait clairement. Même si les ordres ne lui étaient pas destinés, ce jeune homme s’est quand même mis au sol les mains sur la tête. Je l’ai désigné à mon chauffeur, qui ne l’avait pas immédiatement vu. Nous avons avancé encore de quelques mètres. J’avais repéré une colonne, que vous avez dû voir ce matin, avec une rambarde. Je souhaitais prendre appui dessus avec mon arme pour stabiliser mon tir. Assez rapidement, nous avons pris position et nous avons engagé le tir sur le terroriste.

J’ai tiré quatre fois, et mon équipier deux fois. Je pense qu’il a tiré à partir de mon deuxième ou troisième tir, puisque j’ai entendu son dernier coup de feu. L’individu a poussé un râle, s’est affaissé et est tombé au sol. Je pense qu’il est tombé sur le dos.

Nous étions environ à 25 mètres, et avec la distance, nous n’avons pas vraiment distingué ce qu’il faisait. Dans les quelques secondes qui ont suivi, une explosion s’est produite, mais elle était très en hauteur, à environ trois ou quatre mètres du sol et au-dessus de la fosse, c’est-à-dire bien avancée par rapport à la scène. Nous n’avons donc pas compris immédiatement que c’était lui qui avait explosé, nous pensions que ses collègues avaient lancé une grenade sur nous depuis l’étage.

Dans la foulée de l’explosion, il y a eu une succession de tirs. Nous nous sommes abrités en nous mettant près du sol. D’après la chronologie que j’ai eue a posteriori, nous l’aurions abattu à 21 h 57. Il s’est donc écoulé très peu de temps entre le moment où nous sommes descendus du véhicule et celui où nous l’avons abattu, car nous n’avons jamais cessé notre progression. Il y a donc eu des tirs, et nous nous sommes protégés. Notre sentiment était que nous allions y rester : nous étions certains de ne pas ressortir vivants de cet enfer-là. Cela a duré un certain temps.

Après, il y a eu une accalmie. En tant que chef de service, je me suis rendu compte que notre action était un peu limitée. Nous n’étions que tous les deux, nous n’avions pas d’armes longues, nous ne savions pas où étaient les terroristes. J’ai donc décidé de ressortir pour voir si des renforts étaient arrivés. Je suis tombé sur des fonctionnaires de mon service qui nous avaient déjà rejoints. Il y avait trois fonctionnaires civils de la BAC 75, dont l’un était muni d’un fusil à pompe, trois fonctionnaires de la BAC 94, dont l’un avait aussi un fusil à pompe, et deux ou trois autres fonctionnaires d’une autre BAC. Ils étaient en position au niveau du couloir d’accès. Je les ai rejoints, et nous avons fait le point de situation.

Puis les coups de feu ont repris à l’intérieur. J’ai eu un doute sur mon action : je ne savais pas trop s’il fallait que j’attende à l’extérieur. Mais humainement, compte tenu de ce qui se passait – on sentait bien qu’ils étaient en train d’achever les otages –, on ne pouvait pas rester à l’extérieur.

Un des fonctionnaires a proposé d’attendre la BRI. J’ai répondu non. Nous sommes donc tous retournés à l’intérieur. J’ai repositionné mes appuis feu sur les extrémités, puisqu’on avait des fusils à pompe. Il y a encore eu des tirs dans notre direction, sans que l’on puisse réellement savoir d’où ils provenaient. J’ai riposté deux fois. Nous avons repris position et nous avons essayé de sanctuariser le rez-de-chaussée en interdisant le retour des terroristes, mais nous ne savions toujours pas où ils étaient : dans les loges au-dessus, ou sur le côté, car au même moment, les effectifs de la BAC 94 étaient également pris sous le feu d’un tireur – cela a d’ailleurs été filmé, nous avons pu le visionner sur internet – et avaient riposté avec leurs fusils à pompe. Il se pouvait donc que l’un des terroristes soit à l'extérieur ou au niveau de la sortie de secours. J’ai stabilisé mes effectifs.

J’ai oublié de préciser quelque chose : avant de rentrer avec ces effectifs-là, alors que nous étions en attente à l’extérieur, une ombre est apparue sous la porte. En fait, c’était un des terroristes qui s'était rapproché de la porte d’entrée. Mais nous ne le savions pas ; il pouvait aussi s’agir d’une victime, et nous ne pouvions pas faire feu à travers la porte sans identification. Cette ombre est passée, puis s'est écartée, et nous avons distinctement entendu le rechargement d’une Kalachnikov : le bruit du chargeur qui tombe au sol, et la culasse qui est tirée en arrière.

Quelques secondes après, nous avons vu une autre ombre rasante passer, et la porte s’ouvrir légèrement. Nous avons pensé que c’était lui, qu’il allait faire une sortie sur nous, et on s’est préparé à le recevoir. En fait, c’était l’une des victimes, un commissaire de police qui était là à titre personnel et qui s’efforçait de ramper jusqu’à la porte. Il a juste sorti la main : nous avons couru pour aller le chercher, toujours sans savoir où se trouvaient les terroristes. Nous l’avons tiré jusque sur le trottoir. Il nous a expliqué qu’il ne pouvait plus marcher, qu’il avait été touché au dos et qu’il y avait trois terroristes armés de Kalachnikovs à l’intérieur. Il a été extrait par les fonctionnaires vers le poste médical avancé. Nous sommes quant à nous restés sur place.

Quelques secondes plus tard, cette fois sur la droite, une autre ombre est apparue et une main est sortie. Cette fois-ci c’était une femme. Nous l’avons extraite jusqu’au trottoir, – je ne me suis pas personnellement occupé d’elle. Puis nous avons décidé d’entrer à nouveau avec les effectifs présents.

Nous avons repris position à l’intérieur. J’ai fait feu à nouveau deux fois. Nous avons également subi des tirs. Puis les tirs ont cessé, ça s’est calmé. Nous avons maintenu la position un certain temps – je ne peux pas être plus précis. Les gens ne bougeaient toujours pas devant nous ; on sentait bien que même les vivants faisaient semblant d’être morts pour ne pas attirer l’attention. Constatant que notre action était encore assez limitée, j’ai laissé mes fonctionnaires sur place et je suis ressorti. J’attendais les effectifs de la BAC 75 qui avaient pris leur service entre-temps et qui devaient arriver avec de l’équipement lourd, c’est-à-dire casque de protection balistique et bouclier balistique lourd. Mais quand je suis ressorti, il n’y avait personne. J’ai attendu encore un peu ; puis j’ai fait des allers-retours entre l’intérieur et l’extérieur pendant un certain temps.

Après, j’ai réussi à faire la jonction avec la force d’intervention rapide (FIR) de la BRI, qui était arrivée. Je ne peux pas vous dire combien ils étaient exactement ; ils étaient positionnés en colonne et longeaient les bâtiments, en provenance de la rue Oberkampf. Ils étaient peut-être six ou sept.

Entre-temps, il y a eu des tirs en rafale sur la rue en direction des camions de pompiers stationnés à quelques mètres du Bataclan. J’ai fait la jonction avec l’officier de la FIR. Je lui ai dit de progresser rapidement jusqu’à l’entrée du Bataclan, car cette zone était plus ou moins sécurisée.

J’ai progressé avec lui et je lui ai fait un point de situation assez réduit car je n’avais pas beaucoup d’informations. Je lui ai dit qu’il y avait peut-être deux ou trois terroristes à l’intérieur, avec des Kalachnikovs, que nous n’étions pas sûrs qu’ils soient encore dans les lieux car il n’y avait plus de tirs – nous ne connaissions pas la configuration des lieux, nous ne savions pas s’il y avait des sorties sur les toits. En même temps, il y avait beaucoup d’appels concernant des tirs, dans de nombreux endroits de la capitale. Nous ne savions plus vraiment ce qui se passait : des gens parlaient de tirs au niveau de la Place de la République, d’autres faisaient état de blessés un peu partout. Nous avions une vision assez limitée de la situation globale.

La FIR est intervenue. Ils ont constaté la situation et considéré rapidement qu’au vu de leur nombre, ils ne pouvaient pas faire grand-chose. Puis, le reste de la BRI est arrivé, suivi de nos propres forces de la BAC 75, sans que je puisse déterminer le temps qui s’était écoulé. La BRI a commencé à progresser dans les étages, tandis que j’ai positionné les effectifs de la BAC 75 que j’avais récupérés le long de la fosse, en attente. Là encore, cela a duré un certain temps. Je n’avais pas de vision sur ce que faisait la BRI, ma vision périphérique était assez réduite.

Au bout d’un moment, il n’y a plus eu de mouvements ni de tirs. J’ai décidé d’aller chercher les victimes qui étaient dans la fosse à quelques mètres de nous. Les gens ont commencé à bouger et à se manifester. Nous avons commencé à les rassurer par la voix, en leur disant que nous allions intervenir dès que ce serait possible pour nous.

J’ai omis de dire qu’alors que nous étions en position, l’un des otages nous a parlé depuis les loges. Il nous a communiqué un numéro de téléphone de la part des terroristes, à l’intention des forces d’intervention. Nous lui avons fait répéter deux ou trois fois, le temps de le noter, et l’avons transmis à notre station directrice. Puis, il est reparti. Au vu de ce que j’ai lu dans la presse, l’un de ses proches devait être retenu à l’intérieur. Les terroristes l’avait donc envoyé passer ce message avec la certitude qu’il reviendrait auprès d’eux.

Pour en revenir à la situation, nous avons commencé à aller chercher les victimes sans savoir où se trouvaient les terroristes. Nous sommes donc intervenus sans être protégés –s’ils étaient positionnés au-dessus, ils pouvaient tirer sur nous.

Nous avons commencé à mettre en place une noria d’évacuation, avec toutes les difficultés présentes : le sol était extrêmement glissant car il y avait du sang et des douilles partout, ainsi que des chargeurs de Kalachnikovs. Nous étions obligés d’enjamber ou de déplacer des personnes décédées. Il y avait également des personnes dont nous savions très bien qu’elles étaient blessées sérieusement, mais qu’il fallait que l’on extraie quand même, sans pouvoir utiliser les gestes de secours habituels pour le transport des victimes. Nous les avons tirées comme on pouvait. Nous commencions à être épuisés. Entre-temps, en effet, nous nous étions équipés de gilets pare-balles lourds et nous avions en plus de l’armement collectif, des fusils à pompe ou des pistolets mitrailleurs, ce qui augmentait notre poids Les gens étaient eux aussi très lourds : ils étaient complètement habillés, et en sang, pour la plupart.

Nous avons donc commencé à sortir les gens. Comme vous l’avez vu, il y a deux ou trois marches entre la fosse, la sortie et le bar. Elles étaient extrêmement difficiles à monter car, à cet endroit aussi, il y avait des corps. Nous avons mis en place une noria entre le centre de la fosse et la sortie, où des personnels de secours prenaient en charge les victimes. Nous avons fait cela pendant des dizaines de minutes. D’autres forces d’intervention sont arrivées ensuite, certainement le RAID, mais je ne saurais vous dire à quelle heure. On nous a annoncé alors que les tireurs s’étaient enfuis et se trouvaient rue Amelot. Il s’est avéré a posteriori qu’il s’agissait en fait de victimes qui s’étaient enfuies et qui étaient allées se réfugier là-bas, mais nous ne le savions pas. J’ai donc récupéré tous mes effectifs de la BAC 75, et nous sommes repartis par le boulevard Voltaire et la rue Oberkampf, en remontant toute la rue Amelot jusqu’à l’arrière du bâtiment. Nous avons fait une progression dans les bâtiments pour sécuriser les lieux. C’est là que nous sommes tombés sur des victimes qui s’étaient cachées chez des gens et dans des caves.

Une fois la zone sécurisée, nous sommes revenus à l’entrée du Bataclan où nous avons continué à participer à l’évacuation entre l’entrée du Bataclan et le poste médical avancé, soit en transportant les gens à mains nues, soit avec des barrières de chantier et des barrières Vauban qui se trouvaient à disposition. Nous avons aidé comme nous pouvions et procédé aux palpations de sécurité de toutes les victimes et les otages, qui sortaient par dizaines voire par centaines. Tout le monde devait être palpé avant de quitter les lieux. Nous avons procédé à ces opérations dans l’entrée du Bataclan, et cela a duré un certain temps. Je me souviens seulement de l’heure à laquelle j’ai pu regrouper mes effectifs à la fin : il était 3 h 30. Nous avons soufflé un peu, puis regagné le service pour le débriefing opérationnel entre nous.

Brigadier Z. Je ne vais pas pouvoir vous en dire beaucoup plus que le commissaire. La seule différence entre nos deux vécus – nous nous en sommes rendu compte trois semaines après les événements – est que lorsqu’il est parti avec la colonne rue Amelot, parce que l’on pensait que les terroristes y étaient en fuite, je suis resté à l’intérieur du Bataclan, en protection des collègues de la BRI qui faisaient une progression pour sécuriser les alentours de la scène, sans savoir qu’il avait quitté les lieux. Comme le commissaire vous l’a expliqué, nous avons connu l’effet tunnel. C’est grâce aux radios et au récit de chaque collègue que j’ai pu reconstituer la chronologie des événements. Aujourd’hui encore, je suis quasiment incapable de vous donner l’enchaînement exact des faits. Ce n’est pas compliqué : je suis resté quatre heures dans le Bataclan, à manipuler notamment des corps, mais il me reste une dizaine de minutes de souvenirs de toute cette période. Le cerveau a complètement « zappé » tout ce qui s’est passé.

Notre intervention de départ, au cours de laquelle on abat le terroriste, se déroule sur très peu de temps, trois minutes à peine : le temps d’arriver, de l’abattre et de ressortir. Je me rappelle très bien des allers-retours que nous avons faits ensuite. S’agissant de l’évacuation des corps, j’ai quelques souvenirs. Après, il y a tout le laps de temps de la progression, et de l’attente de l’arrivée de certains collègues. Nous étions toujours aux aguets. Je me suis retrouvé, par un moyen qui m’étonne encore, avec un fusil à pompe dans les mains qui n’appartenait pas à mon service. Un collègue qui en avait un en plus me l’avait donné pour faire une progression. J’ai dû rester une heure avec le fusil à l’épaule à surveiller les points hauts : il fallait être en mesure de tirer tout de suite si un terroriste arrivait pour arroser la fosse.

Ensuite, je ne dirai pas que c’est le trou noir… Ce sont les allers-retours, l’évacuation des victimes…

M. le président. À l’écoute de vos récits, on peut considérer que votre intervention – dans un premier temps avec une arme de poing, puis avec une arme longue – a sans doute eu pour effet de faire se replier les deux terroristes qui restaient à l’étage. On peut imaginer que si vous n’aviez pas assuré cette sorte de sécurisation par vous-mêmes, ils auraient pu faire beaucoup plus de victimes dans la fosse.

Brigadier Z. C’est une évidence. Même s’il est impossible de savoir ce qui se serait passé si nous n’avions pas abattu un terroriste d’entrée de jeu, et si nous n’étions pas restés présents – car nous avons reçu des tirs, et le commissaire a fait deux tirs de riposte, ils sentaient donc une présence policière sur place qui les a empêchés de redescendre.

Commissaire divisionnaire X. Je crois qu’ils ont été surpris par la rapidité et l’attaque « périmétrique » : nous étions sur l’axe principal, et dans le même temps, les collègues du 94 ont fait feu à quatre reprises. D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez vu la sortie de secours : il y a un impact en plein milieu de la porte, le collègue pensait d’ailleurs avoir touché un des terroristes. Ils ont dû se dire que les forces d’intervention étaient arrivées très rapidement, et qu’elles étaient en train d’encercler le site. C’est à ce moment-là sans doute qu’ils sont remontés.

D’après le témoin que nous avons rencontré, les deux terroristes qui étaient toujours sur place ont eu conscience que le troisième avait été abattu, puisqu’ils en parlaient entre eux. L’un a demandé : « Il est où Samy ? », et l’autre lui a répondu qu’il était mort, qu’il avait explosé. Ils savaient donc bien ce qui s’était passé au rez-de-chaussée.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. On m’a dit que vous étiez, l’un et l’autre, très modestes, mais je tiens à saluer votre courage. Vous êtes vraiment des héros. Certes, il y en a d’autres, mais vous l’êtes particulièrement et je voulais vous le dire personnellement. Votre action a été exemplaire et a permis de mettre un terme au massacre qui était en cours. Toute la représentation nationale vous est reconnaissante pour la manière dont vous avez agi.

Je voudrais tout d’abord vous poser une question d’ordre général. Il y a les protocoles, et la vraie vie : j’imagine que les protocoles ne vous autorisaient pas à pénétrer dans le Bataclan de votre propre initiative, sans renforts. Y avez-vous réfléchi, ou êtes-vous entré instinctivement ? Avez-vous pris votre décision à la vue des victimes ?

S’agissant ensuite du déroulé des événements, vous avez prévenu par radio que vous étiez sur place à 21 h 54, et vous tuez le terroriste à 21 h 57. Je n’ai pas bien saisi la situation : était-il sur la scène ? J’avais compris qu’il mettait en joue un jeune homme. Dans le témoignage paru dans La tribune du commissaire, vous écrivez que si le tir avait échoué, vous étiez finis. Lorsque vous êtes entrés, y avait-il des exécutions en cours, ou avaient-elles déjà eu lieu ? Ce matin, il nous a été dit que les terroristes économisaient leurs munitions. Ils tiraient dans la tête en pas en rafale. Lorsque vous êtes intervenus, la plupart des victimes avaient-elles déjà été tuées ?

Par ailleurs, les autres terroristes semblaient être à l’étage lorsque vous avez tiré. Vous dites les avoir vus recharger lorsque vous êtes ressortis, pensez-vous qu’ils soient redescendus ?

Il nous a été dit qu’après votre intervention, les tirs à l’intérieur du Bataclan avaient cessé – les échanges avaient lieu à l’extérieur avec la BAC 94. Or vous nous apprenez que lorsque vous êtes entrés pour la deuxième fois, vous avez à nouveau échangé des tirs avec les terroristes. Ces tirs vous visaient-ils, ou bien y avait-il d’autres exécutions d’otages en cours ?

Commissaire divisionnaire X. Une tuerie de masse de ce type était une première en France. Les protocoles existent pour les prises d’otages classiques, dans un établissement bancaire ou n’importe quel autre lieu. Le mode d’intervention consiste alors à rester à l’extérieur et à envoyer des effectifs en civil faire une observation discrète. On coupe la circulation, on interdit la fuite des preneurs d’otages et l’on établit un périmètre de sécurité. On fige la situation et on attend les forces d’intervention, seules habilitées à intervenir. C’est ce que l’on fait en présence de forcenés, avec des armes supposées ou réelles : on fige, et on attend les services d’intervention.

En cas d’attaque de moindre importance, ou à l’arme blanche, les services généralistes peuvent intervenir. C’est le protocole habituel.

Pour les tueries de masse, il n’y avait pas encore de protocole. Mais nous avons l’habitude de travailler avec la BRI dans Paris, et avec le RAID en banlieue. Généralement, on fige, on fait un périmètre d’exclusion dans lequel nous sommes les seuls présents parce que nous sommes équipés en matériel lourd, celui de la Force d’intervention de la police nationale (FIPN) – dont nous faisons partie. Ensuite, à l’arrivée des effectifs spécialisés, nous faisons des relèves de colonne, c’est-à-dire qu’ils nous relèvent point par point. Puis eux progressent, éventuellement avec un soutien arrière de notre part : on suit la colonne de la BRI ou du RAID pour procéder aux extractions d’otages qui sont faites par eux. Nous constituons donc leur base arrière sur ce type d’interventions.

Depuis, des notes ont été rédigées, modifiant les schémas d’intervention afin que les primo-arrivants soient les primo-intervenants, dans la mesure de leurs possibilités et de la protection matérielle dont ils disposent. Je pense notamment à la note EVENGRAVE, qui a été rédigée par la zone de défense, dont vous avez dû avoir connaissance et qui décrit tout ce schéma d’intervention : la notion de périmètre d’exclusion, de zone contrôlée, de zone de soutien, en détaillant le rôle de chacun.

Concernant notre intervention au Bataclan, il est vrai que d’après le protocole, nous aurions peut-être dû rester à l’extérieur. À titre personnel, deux éléments m’ont poussé à entrer.

Tout d’abord, je considère qu’en tant qu’homme, on ne peut pas rester dehors pendant que des gens se font massacrer. En outre, on ne choisit pas notre métier par hasard. Si on devient policier, c’est que l’on a un sens du devoir et du service public qui font qu’au quotidien, nous sommes prêts à prendre des risques physiques pour nos concitoyens. C’est le cœur de notre métier, l’une des raisons pour lesquelles nous entrons dans la police. Même dans des fonctions qui comportent plus de tâches administratives, comme celles de commissaire.

Je ne l’ai pas précisé, mais, avec mon équipier, nous avons eu très peu d’échanges verbaux au moment où nous sommes entrés. Nous nous sommes regardés, je crois avoir dit : « Il faut qu’on y aille. » Je ne suis même pas certain qu’il m’ait répondu : il m’a regardé et cela m’a suffi pour comprendre que nous étions sur la même longueur d’onde et que dès lors, nous ne faisions plus qu’un. Je crois que nous avons la même perception de notre intervention sur ce point.

Peut-être que le grade de commissaire fait peser un poids supplémentaire sur mes épaules. Cela me donne une responsabilité et un devoir d’exemplarité. Si je n’entre pas, personne ne le fera. Je ne peux pas demander à mes effectifs d’entrer si moi-même je ne suis pas devant. C’est ma place en tant que chef de service.

Il n’y a donc pas eu de doutes sur la nécessité d’intervenir ; nous n’avons pas réfléchi. Je pense d’ailleurs qu’il n’y a pas eu de peur à ce moment-là. Peut-être y en a-t-il eu après, quand on a commencé à se faire tirer dessus. Nous avons alors pris conscience du risque.

Notre intervention ne relevait pas non plus de la bravoure déplacée, nous nous sentions prêts à intervenir. Mon équipier est à la BAC depuis longtemps et j’ai fait moi aussi de nombreux postes de terrain. Nous avons l’habitude en outre de travailler ensemble puisque nous le faisons depuis plus de quatre ans. Nous n’avions donc aucune appréhension au niveau technique.

S’agissant de la situation avant notre tir, pour nous, le terroriste menaçait le jeune homme. Il apparaît en reculant, arrivant de la gauche de la scène, derrière les rideaux, vers le centre de la scène. Il tenait sa Kalachnikov à hauteur d’homme et la pointait vers ce jeune homme, qui avait les mains sur la tête. Pour nous, il lui dit : « Couche-toi au sol », et le jeune homme commence à se baisser. L’arme est pointée dans sa direction et il y a eu un carnage auparavant : pour nous, il n’y a pas de doute sur le fait qu’il va l’exécuter. À ce moment-là, quand bien même il aurait pointé sa Kalachnikov vers le plafond, nous aurions fait feu, même si juridiquement, la légitime défense n’était pas constituée. Souvent, dans les actions de police, les policiers hésitent à faire usage de leur arme car ils se demandent s’ils sont en légitime défense. Dans cette situation, à aucun moment nous ne nous sommes posé la question.

M. le rapporteur. Y a-t-il des tirs lorsque vous entrez ?

Commissaire divisionnaire X. Non. Lorsque nous arrivons devant le Bataclan, que nous sortons de la voiture, il y a de nombreux tirs en rafale. En fait, ce n’était pas des rafales, c’étaient des coups très rapprochés. Je pense qu’ils n’ont tiré en rafale que lorsqu’ils ont tiré du premier étage vers l’extérieur, sur le trottoir et les camions de pompiers.

M. le rapporteur. Lorsque vous arrivez, à 21 h 53 ou 21 h 54, vous entendez des tirs dans le Bataclan. A priori, c'était pour exécuter. Votre entrée dans la salle permet donc stopper ces exécutions.

Commissaire divisionnaire X. À notre arrivée, il y avait quelques tirs. Lorsque les portes se sont ouvertes et que les gens ont couru vers nous, nous avons précisément entendu les coups de feu. Ce n'était sans doute pas des tirs en rafale, car lorsque l'on tire en rafale, le tir n’est pas précis et a tendance à monter. C’était des tirs successifs, très rapprochés, en continue. Les terroristes n’étaient donc pas en train d'exécuter des personnes au sol ; ils devaient tirer dans la foule.

Quand nous sommes entrés, les coups de feu avaient cessé depuis environ une minute. C'est d'ailleurs aussi pour cela que nous avons pénétré dans la salle : s'ils avaient tiré en continu, je ne sais pas si nous serions entrés. C'est lorsque nous sommes ressortis, après avoir fait feu sur le terroriste, que nous avons subi des tirs. Je pense qu'il y avait un terroriste en haut, et un autre au niveau de la sortie de secours. Chronologiquement, c'est à ce moment que les effectifs de la BAC 94 ont fait feu. D'ailleurs, on entend une explosion sur la vidéo lorsque l'un des collègues de la BAC 94 après avoir reculé sous le feu, reprend position. C'est assez bref, mais on perçoit l’explosion. Je pense que c'est à ce moment-là que notre terroriste s'est fait exploser.

Lorsqu’il a rechargé sa Kalachnikov, le deuxième terroriste devait donc revenir de la sortie de secours. Certes, c'est une hypothèse – peut-être qu'il était en haut et qu'il est redescendu… Mais je pense que si nous n'étions pas ressortis à ce moment-là, soit nous l’aurions vu sur notre gauche, et nous faisions feu, soit nous étions toujours dans notre « effet tunnel, » et c'est lui qui nous abattait. Cela s'est joué à quelques secondes car lorsque nous avons fait feu, notre vision périphérique était occultée. En période de stress, la vision périphérique se réduit, en effet. Étant vraiment concentrés sur la salle, nous ne pouvions plus voir ce qui se passait sur les côtés.

Nous sommes donc ressortis faire le point parce qu'il n'y avait plus de tirs, et c'est à ce moment-là que le terroriste est venu recharger sa Kalachnikov derrière la porte.

M. le rapporteur. On ne sait pas si c'était le terroriste qui était en haut.

Commissaire divisionnaire X. Pour moi, c'était le terroriste qui était en train de faire feu au niveau de la sortie Saint-Pierre-Amelot. Cela me paraît plus logique. Je ne vois pas pourquoi celui qui était en haut serait redescendu.

À cet instant, il n'y a plus de tirs. C’est lorsque j’ai repris contact avec mes premiers fonctionnaires - mes fonctionnaires en civil et ceux du 94, nous devions être neuf en tout - que les tirs ont recommencé. Et cette fois, c'était vraiment du coup par coup. Nous comprenons donc qu'ils sont en train d'exécuter des gens. Ce sont des tirs uniques, espacés de quelques secondes. Je suis incapable de vous dire combien il y en a eu, peut-être une dizaine.

Il y a une zone d'ombre pour nous – j'ai entendu des victimes se poser des questions ce matin à la radio – : nous ne savons pas du tout comment les victimes sont décédées. Nous ne savons pas si elles sont décédées des suites de leurs blessures, si elles ont été exécutées tout de suite ou plus tard. Nous ne savons pas non plus comment les quatre-vingt-dix morts sont répartis entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Nous aimerions d’ailleurs avoir des explications, parce qu'il y a un impact post-traumatique assez important, et nous nous posons beaucoup de questions.

M. le rapporteur. Quelques exécutions auraient donc encore eu lieu à l'intérieur du Bataclan, après votre sortie. C'est après votre retour et à la suite de l'échange de tirs, qu’il n’y a plus rien ?

Commissaire divisionnaire X. Lorsque nous ressortons, il y a effectivement encore des tirs. Je pense qu'ils proviennent du premier étage, car ils semblent assez éloignés. J'ai la certitude à 99,99 % qu'il n'y a plus d'exécutions au rez-de-chaussée. Selon moi, plus personne n'a été abattu au rez-de-chaussée, après que nous avons abattu le terroriste.

Lorsque nous sommes entrés à nouveau et que nous avons repris position, il y a quelques tirs sur nous. Nous pouvions distinctement les voir : il y avait de la fumée et des impacts au-dessus de nos têtes. Mais nous ne savions pas d’où ils provenaient. Je n’ai pas le souvenir d’autres tirs après.

M. Serge Grouard. Je me joins bien sûr aux hommages qui vous ont été adressés il y a un instant. Vous avez vécu une situation de guerre, comment allez-vous aujourd'hui ? Arrivez-vous à prendre de la distance ?

Par ailleurs, tirez-vous des enseignements de cette expérience, notamment en matière de doctrine d'emploi des forces ? La doctrine générale, notamment lorsqu'il y a prise d'otages, consiste à figer la situation, à sécuriser, à chercher à prendre contact avec les preneurs d'otages – c'est un temps long – dans l'espoir de calmer les choses, de limiter les dommages collatéraux et de mettre fin à la situation de la manière la « moins risquée possible ».

Vous, vous n’avez pas fait cela : vous êtes intervenu en premier, directement, et, grâce à cette intervention, vous avez évité une tuerie plus grande encore. En tirez-vous l'enseignement que dans ce type de situation, face à des gens qui ne sont plus dans les ressorts psychologiques que l'on connaît, il faut y aller tout de suite, avec tous les risques que cela comporte ?

Commissaire divisionnaire X. Pour répondre à votre première question, je vais bien. Il est clair que nous avons été proches de la mort, donc beaucoup de choses changent, surtout vis-à-vis des familles. Il n’est pas facile d'expliquer à sa femme et à ses enfants que l'on est prêt à donner sa vie pour des personnes que l'on ne connaît pas. « C'est très bien, mais si tu meurs, que devenons-nous ? » : m’ont-ils demandé. Cela a été difficile à gérer, mais il n'y a pas eu trop de réactions de nervosité au sein de la cellule familiale.

Ensuite, j'ai évalué le temps pendant lequel j'ai rêvé du Bataclan : cela a duré pratiquement trois mois et toutes les nuits. Je ne faisais pas de cauchemars, parce que j'étais serein, mais je revoyais la scène, je pensais à ce que nous aurions pu faire autrement : si nous étions montés à l'étage peut-être aurions-nous pu mettre fin à cette attaque. Nous nous posons beaucoup de questions sur ce point.

Ce qui nous a fait du bien, par ailleurs, c'est d’avoir reçu des courriers de victimes – en préservant toujours notre anonymat. J'ai répondu à chacune en ne mentionnant que mon grade. Certaines ont envoyé des photos les montrant parfois sur un lit d'hôpital. Elles nous remercient, et nous disent que si elles sont encore vivantes aujourd’hui, c’est grâce à nous. Pouvoir mettre des visages ou des noms sur toutes ces personnes, nous a fait du bien.

Nous avons aussi fait connaissance du jeune homme, que nous avons retrouvé. Il y a enfin ce petit comité de victimes, très restreint, qui a déjà été filtré par notre syndicat, que nous allons rencontrer chez un particulier.

M. le président. Pourquoi tenez-vous absolument à garder l'anonymat ?

Commissaire divisionnaire X. Pour des questions de sécurité, surtout à l'égard de nos familles.

M. le président. Vous craignez d'éventuelles représailles ?

Commissaire divisionnaire X. Tout à fait. Nous sommes face à des fanatiques. En temps normal, déjà, nous craignons d'éventuelles représailles, parce que nous interpellons des voyous.

M. le président. Les trois terroristes en question sont morts.

Commissaire divisionnaire X. Mais il y a des ramifications, et tout un tas de fanatiques qui gravitent autour de ces gens-là, leurs proches. Ce n'est pas tant pour nous que pour nos familles. Nous faisons donc très attention.

Personnellement, je suis armé en permanence, même hors service, ce que je ne faisais pas avant. Je suis ainsi prêt à riposter lorsque je conduis mes enfants à l’école parce que je me dis que l’un de ces fanatiques va peut-être débarquer et attaquer l'école. Je leur ai expliqué que si ça commençait à tirer, ils devaient s’enfuir par les sorties de secours. Ce sont tout un tas de choses qui changent au quotidien pour nous.

Brigadier Z. Je vais bien, moi aussi. Comme je l’ai expliqué, la majorité des souvenirs a été occultée par le cerveau. Ce qui reste, je vis avec. Cela étant, et comme l’a dit le commissaire, nous refaisons l'histoire. Ce ne sont pas des cauchemars, ce sont des rêves d’autant que les premières semaines, nous avions de nouveaux éléments presque tous les jours, ce qui modifiait la perception de ce que nous avions fait, et de ce que nous aurions pu faire. Je revivais notre entrée au Bataclan. J'imaginais ce qui serait arrivé si nous ne nous étions pas focalisés sur un seul d'entre eux.

Quant à la doctrine d'emploi, ce n'est pas à moi de le dire, mais je pense qu'il a été essentiel de couper leur schéma d'intervention. Ces terroristes ont un projet bien défini, en l'occurrence, pour le Bataclan, procéder à une tuerie de masse. Le fait d'en éliminer un tout de suite les a perturbés. Ils attendent les unités d'élite pour se confronter à elles. L’arrivée de « flics lambda » a bouleversé leur schéma.

Dans le futur et dans des situations comparables, les primo-arrivants seront amenés à être les primo-intervenants, pour casser ce schéma.

Commissaire divisionnaire X. Nous avons élaboré une théorie à partir des événements de l'Hypercacher et du Bataclan : à partir du moment où la police intervient, les terroristes arrêtent de s'intéresser aux victimes, se retranchent, et attendent la confrontation avec les forces d'intervention. Mais ces deux cas ne sont pas suffisants et nous n'avons pas le recul nécessaire pour élaborer une doctrine. Je ne sais pas ce qui se passe à l'étranger, peut-être que le RAID ou la BRI ont d'autres expériences.

On part désormais du principe que les primo-arrivants seront les primo-intervenants, et qu’à la suite de cette intervention, les terroristes vont cesser d'abattre leurs otages. Mais ces fanatiques-là n'ont pas trop de logique. De tout cela je tire donc l'enseignement qu'il faut effectivement intervenir rapidement, parce que l'on peut difficilement faire autrement. Mais j’en déduis aussi qu'on ne peut pas établir une doctrine qui sera appliquée en permanence par les effectifs : c’est dans les tripes que ça se passe. Nous sommes entrés le 13 novembre au Bataclan mais si un tel événement se reproduisait demain sur un autre site, peut-être aurions-nous peur de le faire. On ne peut pas demander à tous les effectifs d’entrer, certains vont avoir peur, d’autres ne seront pas prêts techniquement, d’autres encore seront entrés dans la police depuis seulement un mois ou deux, il s’agira parfois d’adjoints de sécurité… On se rassure en se disant que nous allons établir une doctrine, fixer un schéma d'intervention, et que les choses se dérouleront désormais ainsi, mais dans les faits, les choses seront différentes.

M. Pascal Popelin. Je m'associe aux mots de remerciements qui vous ont été adressés. Nous nous félicitons que vous soyez bons tireurs, c'est ce qui vous permet de nous parler aujourd'hui.

Nous étions sur site ce matin. Où étiez-vous exactement par rapport à la porte d’entrée quand vous avez pris la décision d'engager un tir ?

S'agissant du déroulement des faits, vous avez indiqué que lorsque vous êtes ressortis, il y a eu un certain nombre de tirs. Combien de temps cela a-t-il duré ? Ces tirs ont cessé lorsque vous êtes rentrés. Comment cela s'est-il articulé avec l'arrivée de la BRI ?

Abattre le terroriste qui était sur la scène a considérablement perturbé leur stratégie, mais tout ne s'arrête pas tout de suite. Il y a donc un deuxième événement qui les a fait entrer dans une logique de retranchement et de prise d'otages. Est-ce votre retour ? L'arrivée de la BRI ?

Commissaire divisionnaire X. S'agissant de la topographie, nous ne sommes jamais retournés dans les lieux, donc je n'ai pas pu refaire le schéma. Dans mon souvenir, le bar est un peu surélevé, il y a une colonne à sa gauche, et une main courante. J'ai pris appui sur cette main courante, tandis que mon équipier, qui n'avait pas d'appui, était à environ un mètre sur ma droite. Nous étions à quelque 25 mètres de la scène – les tirs en stand nous permettent d’évaluer assez précisément les distances. Le terroriste était en mouvement, mais ne bougeait pas trop. En outre, il était sous les projecteurs et habillé en noir.

On peut se demander, à cet égard, s’il faut ou non rallumer les lumières dans pareille situation. C'est aux techniciens de le dire.

Concernant votre deuxième question sur le moment clé où cessent les tirs : nous sommes entrés une première fois, nous avons abattu le terroriste, et il n'y avait plus de tirs lorsque nous sommes ressortis. Un deuxième terroriste a alors rechargé sa Kalachnikov. C’est lorsque nous faisions la jonction avec les premiers effectifs que nous avons entendu cette dizaine de tirs au coup par coup. Lorsque nous avons à nouveau pénétré à l'intérieur du Bataclan, il y a eu quatre ou cinq tirs dans notre direction, et après, de mémoire, il n'y en a plus eu.

M. Pascal Popelin. Les forces d'intervention étaient-elles là ?

Commissaire divisionnaire X. Non, elles n'étaient pas encore arrivées.

M. Pascal Popelin. C’est donc vous qui avez figé la situation.

Commissaire divisionnaire X. C'est ma perception. Mais elle est peut-être faussée. Après notre première entrée, il n'y a plus eu de tirs en bas ; en haut, les tirs se sont arrêtés après notre deuxième progression dans la salle.

M. Pascal Popelin. Quand la BRI arrive, il n'y a plus de tirs. Les tirs avaient-ils cessé avant ?

Commissaire divisionnaire X. Oui puisque j'ai dit au précurseur de la force d'intervention rapide de la BRI que je ne savais pas si les terroristes étaient encore à l'intérieur. La jonction avec la BRI se fait donc avec la FIR – la force d'intervention rapide, les précurseurs de la BRI – le long des bâtiments, à peu près au niveau de la laverie. Je suis allé vers eux – ils ne m'ont d’ailleurs pas identifié tout de suite et m'ont demandé de me pousser. Je leur ai expliqué qui j'étais, et je les ai raccompagnés à l'intérieur du Bataclan, où ils sont restés en attente du soutien de la BRI. Nous ne pouvions pas franchir, notamment, la porte à gauche qui donne sur l'escalier. À cet égard, et j’ai omis d’évoquer cet élément, dans la décision d’intervenir, il y a certes l'objectif, mais il y a aussi la pondération et les limites. Ainsi, je n’ai pensé à aucun moment que l'on pouvait monter. Je ne connaissais pas la configuration des lieux, je n’avais pas de protections lourdes. Quand bien même les aurais-je eues, je ne pense pas que je serais monté car il aurait suffi d'un seul tireur au-dessus avec une Kalachnikov pour anéantir toute l'équipe.

Je n'ai pas de remords sur ce point ; je connais très bien les limites de notre intervention.

M. Olivier Falorni. Messieurs, je veux à mon tour vous faire part de toute notre reconnaissance et de notre admiration. Je voulais vous poser deux questions, l’une sur la visibilité et l’autre sur la distance de vos tirs. Le concert se déroule dans la pénombre. Lorsque vous entrez, la scène est éclairée. Les lumières avaient-elles été rallumées dans la salle ? Cela aurait-il pu vous mettre en danger ?

Par ailleurs, la distance à laquelle vous avez tiré semble exceptionnelle. À quelle distance pouvez-vous raisonnablement abattre quelqu'un avec votre armement ? J'ai été sidéré de votre capacité à abattre un terroriste à une telle distance, plus encore compte tenu du stress auquel vous étiez soumis.

Commissaire divisionnaire X. S'agissant de la visibilité, tout était éclairé. J’ai été ébloui même depuis l'extérieur, lorsque les portes se sont ouvertes pour la première fois et que les gens ont couru vers nous. Nous étions pourtant sur le trottoir, à la limite des portes vitrées. Ce sont des spots de concert. Vaut-il mieux les éteindre ou les allumer ? S’ils sont éteints, les gens pourront peut-être s'enfuir plus rapidement mais ils ne verront pas forcément les sorties de secours… Pour une intervention dans la pénombre, il faudrait être équipés de dispositifs de vision nocturne, dont nous ne disposons pas.

M. Olivier Falorni. Il semble qu'après, les lumières aient été éteintes, puisque la BRI nous a dit avoir progressé dans la pénombre.

Commissaire divisionnaire X. Peut-être y avait-il un éclairage différent au premier étage ?

M. Olivier Falorni. Vous distinguiez la fosse ?

Commissaire divisionnaire X. Nous distinguions tout. Le bar était un peu moins éclairé.

S'agissant de la distance de tir, en tir police, on fait généralement beaucoup de tirs réflexes, mais cela va devoir évoluer. Les actions de tir sur la voie publique, en légitime défense, se font entre 5 et 7 mètres. Nous nous entraînons donc beaucoup sur ces tirs de riposte. Comme nous aimons pour notre part faire des tirs de précision, nous nous entraînons donc, de temps à autre, à 25 ou 30 mètres, ce qui n'est pas forcément le cas de tous les effectifs de police. De plus, les stands de tir sont limités en distance.

M. Olivier Falorni. Quelle est la fréquence de vos entraînements ?

Commissaire divisionnaire X. Réglementairement, il faut faire trois séances de tir par an, au cours desquelles nous tirons deux chargeurs, donc trente cartouches. Mais nous, nous tirons plus souvent. Nous avons des créneaux de tir réservés la nuit. Nous avons ainsi peut-être fait une dizaine de séances dans l'année. Si nous voulions tirer tous les jours, nous pourrions le faire… Sans nous jeter de fleurs, nous sommes tous les deux bons tireurs.

S'agissant de la distance de tir et de la précision de l'arme – une arme que j'apprécie – elle est de 25 à 30 mètres en stand de tir. Nous étions donc pratiquement au maximum, mais j'avais un appui, ce qui permet de gagner encore quelques mètres, les appareils de visée ne bougeant pas. Mon équipier tire encore mieux que moi, puisque même sans appui, il a réussi à toucher.

S'agissant du choix du tir, j’ai considéré que nous étions trop loin pour faire un tir à la tête : j’ai donc visé son buste. Je ne savais pas s'il portait un gilet pare-balles en dessous, mais comme il se tenait un peu de profil, ses flancs n’étaient pas protégés. En visant le tronc, j'étais persuadé de le toucher à 99 %.

M. Pascal Popelin. Vous a-t-il vus ?

Commissaire divisionnaire X. Non, c'est ce qui nous a permis de prendre notre temps, malgré l'urgence. Nous n'étions pas nous-mêmes sous le feu. S'il nous avait tiré dessus, les conditions auraient été totalement différentes. Techniquement, nous n'avons pas été stressés du tout : nous connaissons bien notre arme, nous la sortons régulièrement en intervention sans nécessairement faire feu, donc une mécanique se créé.

M. Olivier Falorni. Mais il y a le contexte, des cadavres partout…

Commissaire divisionnaire X. Notre cerveau a dû se bloquer pour faire abstraction de l'environnement. Je n'ai aucun souvenir de cadavres – j'ai essayé de ne pas trop les regarder. Nous nous sommes concentrés sur les aspects opérationnels.

M. Jean-Michel Villaumé. Je ne reviendrai ni sur la chronologie ni sur votre action, que nous qualifions tous d'héroïque et qui a permis de mettre un coup d'arrêt au massacre. J'aimerais vous interroger sur vos conditions d'intervention, de fonctionnement, sur vos moyens matériels. Comment pouvons-nous les améliorer ? Vous disiez qu'il fallait intervenir rapidement. Concrètement, qu'est-ce que cela implique ? Au niveau matériel, qu'attendez-vous de nous, qui votons des budgets, des programmes ? Quels sont vos besoins ?

Commissaire divisionnaire X. Comme vous le savez, nous n'avions pas d'équipement de protection. Mais je ne suis pas certain que cela nous ait porté préjudice. Nous avons eu l'avantage de la rapidité et de la discrétion. Un casque balistique peut en effet provoquer des reflets et attirer l’œil. Avec un gilet pare-balles et un bouclier lourds, vous faites forcément plus de bruits. En outre, vous ne pouvez tirer que d’une main. Je ne regrette donc pas d'avoir eu l'équipement habituel pour intervenir.

En ce qui concerne les moyens de protection et balistiques, nous allons recevoir du matériel avec le plan BAC : soit des gilets pare-balles lourds type BRI, soit des portes plaques. La plupart des fonctionnaires vont maintenant être équipés de moyens de protection. Il faut en effet que chaque agent possède individuellement un gilet pare-balles lourd ou un porte plaques, à même d’arrêter des munitions de type Kalachnikov, ainsi qu'une protection balistique au niveau du casque. Ensuite, avoir un bouclier lourd ou un bouclier balistique souple avec double porte plaque par équipage serait une bonne chose, avec une arme longue.

Il y a eu une polémique sur le choix de l'arme. Le G36 est une bonne arme. Le tir au coup par coup ou par deux coups est suffisant, car le tir en rafale ne peut pas être maîtrisé. Le calibre 9 millimètres, du type PM ou Heckler & Koch, n'est pas assez perforant si les individus portent des gilets pare-balles : donc du point de vue de la munition, le G36 est adapté.

En revanche, nous sommes dépourvus de moyens de protection auditifs et de moyens de communication, qui sont pourtant essentiels pour nous. On nous a livré des casques de protection balistique et c’est bien. Mais vous êtes sourd après avoir tiré une fois ou deux avec un fusil G36. Il faut donc aussi penser à ce qui n'est pas visible du public, comme les protections auditives.

M. Serge Grouard. En aviez-vous ?

Commissaire divisionnaire X. Non, mais sur du 9 millimètres, c'est moins gênant. En plus dans une salle de concert, la configuration atténue peut-être les bruits. Nous n'avons donc pas subi de traumatismes sonores, alors que nous avons tiré à un mètre l'un de l'autre.

Cette protection auditive doit être associée à des moyens de communication. Lorsque nous progressons en milieu clos, en colonne d'intervention, nous devons pouvoir communiquer, savoir où chacun se trouve et se parler. C'est essentiel en termes de sécurité. Il faut donc que les fonctionnaires portant un casque balistique soient aussi équipés de moyens de communication qui servent aussi de protection auditive.

M. le président. Cette audition est bientôt terminée, et je ne voudrais pas que vous ayez commis d'erreur dans votre déclaration, c'est pourquoi je voudrais que vous nous répétiez un élément précis. Vous étiez boulevard Voltaire, à l'entrée du Bataclan, après être ressortis après avoir neutralisé le terroriste lorsque la FIR est arrivée. Combien d’hommes y avait-il dans la première colonne ?

Commissaire divisionnaire X. Je n'ai pas pu déterminer leur nombre exact. Visuellement, je dirais qu'ils étaient peut-être six ou sept.

M. le président. Êtes-vous sûr qu'ils n'étaient pas quinze ?

Commissaire divisionnaire X. Je vois ce que représente une quinzaine de fonctionnaires quand j'aligne les miens : j’ai l'impression qu'ils étaient un peu moins, mais je ne peux pas être formel.

Brigadier Z. Je confirme les chiffres du commissaire. Mais il faut savoir que nous étions dans l'entrée du Bataclan. La première partie de la FIR était là, nous l’estimons à six ou sept personnes, mais l'entrée ne pouvait pas accueillir plus de monde que cela. Je ne les ai pas vus, mais il est possible, et même fortement probable, que les collègues aient été juste derrière, en attente de l'avancée des premiers.

M. le président. C'est pour cela que je vous demande de préciser ce point : vous avez dit que la FIR était arrivée à six personnes, sans émettre de doutes. Vous avez même dit qu'ils étaient en attente de leur soutien. Qu'est-ce que cela signifie ?

Commissaire divisionnaire X. Je crois avoir dit que je n'étais pas sûr de leur nombre. Leur soutien, c'est en référence au mode d'intervention de la BRI : il y a la FIR, et ensuite le H+30. Ce que j’appelle leur soutien, c’est le gros de la troupe. Moi, je n'ai eu de visuel que sur le chef de colonne, l'officier. Les hommes étaient le long du mur, et j'étais face à leur officier. J'ai pu penser qu'ils étaient six ou sept, mais ils étaient peut-être le double, peut-être que la seconde partie de la FIR était plus éloignée dans la rue. J'ai pris contact avec le précurseur, et j'ai progressé ensuite avec lui à l'intérieur du Bataclan, puis je n'ai plus du tout regardé ce qu'il faisait.

M. le président. Vous ne pouvez pas exclure la présence de la deuxième partie de la FIR derrière, arrivée en même temps que la première colonne ?

Commissaire divisionnaire X. Je n'ai pas de précision sur leur nombre exact, sur le fait de savoir s'ils étaient scindés en deux ou trois colonnes. Je ne saurais le dire.

M. le président. Messieurs, il nous reste à vous remercier d’être venus devant notre commission. Il est très important pour nous de disposer de tous ces éléments. Je vous exprime à nouveau toute notre reconnaissance.

La séance est levée à 15 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. David Comet, M. Olivier Falorni, M. Georges Fenech, M. Philippe Goujon, M. Serge Grouard, M. Alain Marsaud, M. Sébastien Pietrasanta, M. Pascal Popelin, M. Jean-Michel Villaumé

Excusé. - M. Jacques Cresta