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Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Lundi 21 mars 2016

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 11

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Audition, à huis clos, de fonctionnaires de la BAC de nuit du Val-de-Marne intervenus le 13 novembre 2015 : M. T.P., brigadier-chef, M. L. S., brigadier-chef, M. O. B., brigadier, M. N. B., gardien de la paix, M. A. D., gardien de la paix, et M. P. T., gardien de la paix

– Audition, à huis clos, de M. Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale, et de M. Marc Baudet, conseiller stratégie et prospective

– Audition, à huis clos, du général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, et du colonel Samuel Dubuis, membre de son cabinet

– Audition, à huis clos, du général Bruno Le Ray, gouverneur militaire de Paris, et du colonel Marc Boileau, chef de cabinet

La séance est ouverte à 14 heures.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, à huis clos, de fonctionnaires de la BAC de nuit du Val-de-Marne intervenus le 13 novembre 2015 : M. T.P., brigadier-chef, M. L. S., brigadier-chef, M. O. B., brigadier, M. N. B., gardien de la paix, M. A. D., gardien de la paix, et M. P. T., gardien de la paix.

M. le président Georges Fenech. Messieurs, nous achevons avec votre audition l'étude de la chronologie des événements de 2015. Votre témoignage viendra utilement compléter celui de vos collègues de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) que nous avons reçus la semaine dernière.

Vous appartenez à la brigade anticriminalité (BAC) de nuit 94, et vous êtes intervenus, le 13 novembre dernier, lors de l'attentat commis au Bataclan, à l'angle du passage Saint-Pierre-Amelot et du boulevard Voltaire, où vous avez échangé des coups de feu avec les terroristes.

Cette audition se déroule à huis clos, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer. Elle n'est donc pas diffusée sur le site internet de l'Assemblée. Néanmoins, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l'issue de nos travaux.

Je précise que les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations seront soumises à la Commission d’enquête, qui pourra décider d'en faire état dans son rapport. Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit un an d’emprisonnement et 15 000 euros d'amende, toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l'article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

MM. T. P., brigadier-chef, L. S., brigadier-chef, O. B., brigadier, N. B., gardien de la paix, A. D., gardien de la paix, et P. T., gardien de la paix, prêtent successivement serment.

Je vous laisse la parole, en vous demandant de présenter rapidement le rôle que vous avez été amené à tenir, personnellement ou avec votre unité, avec toute la précision géographique et horaire possible.

M. T.P., brigadier-chef. Le soir du 13 novembre, j’étais chef de bord du véhicule indicatif BAC 952-11, affecté en priorité sur le Val-de-Marne, dans lequel avaient pris place le brigadier N. B. et M. N. B.. Nous nous trouvions vers Ivry et Charenton lorsque nous avons entendu le premier message sur les ondes parisiennes de la conférence régionale 137, concernant une explosion au Stade de France. Notre unité a intégré la sous-direction des services spécialisés, qui a vocation à intervenir sur toute la zone de compétence de la DSPAP en cas d’événement particulier. J’ai donc décidé de rentrer à Vincennes : nous voulions dîner rapidement afin d’être disponibles par la suite pour nous rendre dans le 93.

Nous avons eu l’information relative à la deuxième explosion en chemin, ce qui nous a poussés à accélérer le mouvement. Puis, au moment où nous nous installions à Vincennes, nous avons appris, par les ondes de la conférence 137, que des attaques avaient lieu sur des terrasses parisiennes. D’initiative, nous avons repris notre véhicule et notre matériel. En entendant où se déroulait la deuxième attaque de terrasses, nous avons décidé de nous rendre place de la Nation, où le parcours des terroristes semblait les mener. Nous nous y sommes mis en position, en attente.

Nous nous y trouvions, à l’angle du boulevard Voltaire, quand nous avons entendu que des attaques visaient d’autres terrasses et qu’une Polo noire immatriculée en Belgique avait pris la fuite en direction du boulevard Voltaire. Nous nous sommes alors engagés sur le boulevard pour essayer d’intercepter le véhicule. À l’instant même, nous avons entendu une explosion, une détonation. En poursuivant notre chemin, à 300 mètres environ, nous sommes parvenus à l’angle de la rue de Montreuil, au Comptoir Voltaire, dans lequel un kamikaze venait de se faire sauter et devant lequel déambulaient des victimes.

Après avoir diffusé l’information sur les conférences parisiennes, j’ai placé M. N. B. en position de protection sur le boulevard Voltaire avec le fusil à pompe au niveau du véhicule, et M. N. B. a pris l’angle de la rue de Montreuil et du boulevard, arme de poing à la main – nous ne savions pas à ce moment si les terroristes étaient encore sur place. De mon côté, j’ai dressé un bilan des victimes à l’intérieur et à l’extérieur du bar afin de pouvoir demander des secours. J’ai dénombré deux blessés légers au niveau du bar, à l’avant, et deux autres, plus grièvement blessés, sur le côté. À l’extérieur, deux femmes enceintes étaient touchées par des éclats. Dans le bar, sous la terrasse couverte, une serveuse se trouvait au sol, très grièvement blessée, ainsi qu’un monsieur de type africain. Au fond de la terrasse, quelqu’un dispensait un massage cardiaque à une personne de sexe masculin de type européen ou nord-africain.

Lorsque je suis sorti du bar pour demander des secours, j’ai appris par les ondes que des tirs avaient lieu au Bataclan. L. S., signalait sa présence sur place avec la BAC 952-12. On entendait les tirs à la radio lorsqu’il annonçait qu’il y avait énormément de victimes qu’ils commençaient à évacuer. Nous nous sommes sentis impuissants parce que nous ne pouvions pas quitter le Comptoir Voltaire où il fallait gérer les victimes.

Un véhicule de secours de la Croix-Rouge qui passait par là nous a porté assistance ainsi qu’une femme médecin et une infirmière. Nous avons continué d’assurer la protection du lieu. Deux véhicules de pompiers sont ensuite arrivés : un véhicule incendie et la grande échelle. Un pompier m’a répondu, lorsque je l’ai interrogé sur la présence de la grande échelle, que cela permettait d’avoir des effectifs sur place. Les pompiers ont alors pris en charge les blessés les plus graves.

Un véhicule de police parisien s’est présenté. Vu l’âge de la voiture, nous avons eu des doutes sur son appartenance au parc automobile de la police. Le commissaire de la police judiciaire du 15e arrondissement de Paris se trouvait à son bord. Après avoir entendu les messages radio, il avait embarqué deux collègues avec des gilets lourds pour venir en renfort sur le terrain depuis le 15e. Je lui ai décrit la situation, et, étant donné que nous disposions d’un équipement plus lourd que le sien, il a décidé de rester sur place et de nous envoyer au Bataclan aider nos collègues.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Quelle heure était-il ?

M. A. D., gardien de la paix. Je suis le chauffeur de la BAC 952-12. Nous partons de Créteil à 21 heures 42 et nous arrivons au Bataclan à 21 heures 51.

M. T. P. Entre le moment où nous sommes au Comptoir Voltaire et notre arrivée au Bataclan, il doit s’écouler au maximum une dizaine de minutes.

Au Comptoir Voltaire, nous croyions avoir affaire à une fusillade comme sur d’autres terrasses. C’est une victime qui m’a expliqué qu’un homme était entré dans le bar et qu’il y avait eu une explosion, sans me préciser que nous nous trouvions en présence de l’acte d’un kamikaze. Je suis retourné sur la terrasse pour constater qu’il n’y avait pas de douilles au sol. Il ne s’agissait donc pas d’un tireur. La présence d’énormément de boulons indiquait qu’une bombe avait explosé, ce que j’ai immédiatement indiqué à TN 750.

En arrivant au Bataclan, entre un camion de pompiers et un car de police, nous avons vu la Polo des terroristes, garée régulièrement à l’angle du passage Saint-Pierre-Amelot et du boulevard Voltaire. Après nous être équipés d’un casque balistique avec visière non balistique et d’un fusil à pompe, O. B., N. B. et moi-même nous sommes placés en colonne pour prendre l’angle gauche du passage Saint-Pierre-Amelot afin d’éviter toute retraite des individus. S’ils sortaient de la salle pour rejoindre leur véhicule, il fallait que nous puissions nous engager afin de les neutraliser.

L. S. se trouvait à l’autre angle, côté Bataclan, et A. D. arrêtait des véhicules de particuliers et des taxis, dans lesquels il faisait évacuer des blessés avec l’aide d’une serveuse. Je voyais également P. T. qui aidait les victimes à sortir du Bataclan.

Les effectifs parisiens du car de police qui se trouvait sur place, le TC 82G, ne disposaient d’aucun équipement hormis leur gilet individuel et leur arme. Ils avaient cassé une porte qui se trouvait derrière notre position. Elle donne accès aux locaux administratifs du Bataclan, où ils avaient installé avec les pompiers un poste avancé médicalisé afin de porter les premiers soins aux victimes. A. D. et la serveuse dont je vous parlais faisaient la navette pour emmener les victimes.

La BAC 915 en civil de Saint-Maur-des-Fossés, qui nous a rejoints, s’est placée dernière nous, et le collègue stagiaire du TC s’est positionné avec nous dans la colonne. Nous avons entendu trois ou quatre tirs à l’intérieur du Bataclan et une explosion, puis la porte s’est ouverte et nous avons essuyé une première rafale de Kalachnikov.

M. Pierre Lellouche. De quelle porte s’agissait-il précisément ?

M. T. P. De la première porte de secours de la salle en venant du boulevard Voltaire. Elle donne sur le passage Saint-Pierre-Amelot.

Je n’ai pas pu riposter avec mon arme longue car un civil, hors de vue du terroriste, se trouvait debout à hauteur de la porte et tentait de transporter une femme blessée ou décédée. Les vitrines du magasin derrière lequel nous étions tous abrités me permettaient de voir l’individu armé, mais il nous voyait aussi. J’ai dit à mes collègues qui n’étaient pas protégés de dégager. L’individu a refermé la porte. N. B. s’est installé en appui feu derrière moi.

Lorsque nous avons pris une autre rafale, j’ai pu riposter par deux tirs car, cette fois, le civil était couché. Pendant le rechargement tactique de mon arme, j’ai expliqué à Nicolas que nous avions deux solutions : « Le top serait d’essayer de rentrer, mais l’un de nous ou même nous deux allons y rester, parce que nous n’avons aucune protection ; l’autre solution, sachant que nous avons face à nous une puissance de feu largement supérieure, c'est de jouer l’effet de surprise et de changer de place pour que je puisse avoir une meilleure position de tir. » Nicolas m’a dit : « Faisons ça ! »

Nous avons alors bougé. Les collègues se sont installés derrière le camion de pompiers, et je me suis positionné en appui feu au niveau du bloc moteur essieux du car de police – la seule zone qui assure une protection. J’avais un bon appui pour le fusil à pompe. Nous avons alors essuyé une troisième salve de tirs. L’individu a tiré sur l’angle du boulevard Voltaire puis, constatant que nous n’y étions plus, il a visé le camion de police et le camion de pompier. Une balle a traversé le véhicule de pompier de part en part pour ressortir pas loin de la tête d’A. D.. J’étais à nouveau dans l’incapacité de riposter, car le civil s’était relevé.

Les militaires de Vigipirate nous ont alors rejoints. Ils étaient équipés d’armes de guerre, donc plus à même que nous de riposter aux tirs. J’ai sollicité sur les ondes l’autorisation de les engager, mais on m’a répondu : « Négatif, vous n’engagez pas les militaires, on n’est pas en zone de guerre. » J’ai annoncé à un soldat que si nous étions sous le feu et qu’il ne pouvait pas utiliser son arme, je m’en servirais moi-même si je n’avais plus de munitions.

M. Pierre Lellouche. Qui vous a fait la réponse dont vous nous parlez ?

M. T. P. C’est la salle de commandement de la préfecture, par les ondes ! Nous communiquons grâce à une conférence radio : TN 750, la plus haute autorité parisienne au niveau radio.

Mme Françoise Dumas. Comment cela se passe-t-il, en temps normal et en situation exceptionnelle ?

M. T. P. En temps normal, nous écoutons les conférences du Val-de-Marne. En cas de besoin, nous sommes également toujours à l’écoute de la conférence 137 qui donne les informations régionales depuis la salle de commandement de la DSPAP qui a autorité sur Paris et sur toute la petite couronne et la grande couronne.

M. Pierre Lellouche. Relève-t-elle directement du préfet de police ? Un officier dirige-t-il la salle de commandement ?

M. le rapporteur. Je crois que le directeur de cabinet était en salle de commandement. Nous aurons l’occasion d’éclaircir ces points.

M. O. B., brigadier. De leur côté, les militaires ne sont pas gérés par la salle de commandement de la DSPAP. Ils dépendent d’un autre PC radio.

M. T. P. Le militaire m’explique qu’il n’a pas d’ordres et qu’il ne pourra pas engager le feu, même quand je lui dis que nous nous faisons tirer comme des lapins et qu’il faudra bien neutraliser ceux qui sortiront.

M. le rapporteur. Combien y avait-il de militaires ?

M. T. P. Ils étaient huit : quatre auprès de nous et quatre derrière.

M. Pierre Lellouche. De combien de munitions disposez-vous pour votre fusil à pompe en dotation normale ?

M. T. P. Dix. J’en avais six dans le fusil, et quatre dans ma poche.

M. Pierre Lellouche. Est-ce que ce sont des Brenneke ? Avez-vous d’autres armes ?

M. T. P. Ce sont des Brenneke. Ce fusil est la seule arme dont nous disposions. L. S. a la même arme, mais il ne pouvait pas engager le feu en raison de son angle de tir.

Dans le passage Saint-Pierre-Amelot, le civil, auquel nous avions demandé à plusieurs reprises de ne pas rester sur place, a tiré la personne au sol à l’arrière des portes de secours et s’est couché sur elle. Le terroriste, constatant qu’il n’avait plus l’avantage en termes de position de tir, a ouvert en grand les deux portes de secours. En face de moi, à trente mètres, l’individu s’est retrouvé derrière la porte gauche ouverte pour tirer une salve de kalachnikov. On voyait seulement dépasser son bras. J’ai visé par deux fois au travers de la porte. Après avoir rectifié mon premier tir qui était trop haut, j’ai tiré au niveau du torse. La kalachnikov s’est affaissée d’un coup sec au sol. Les portes se sont refermées tout doucement. Le civil qui était au sol m’a fait un signe, que je n’ai pas compris, en levant les deux mains. Nous avons gardé la position en attendant les renforts.

L’ensemble de notre unité est arrivé ensuite, c'est-à-dire le reste de la BAC de nuit 94 en tenue avec un équipement lourd : casque lourd, bouclier balistique, gilet lourd, armement plus adéquat. Nous sommes allés chercher de l’équipement dans notre car d’intervention, puis nous sommes revenus prendre notre position. Dans l’intervalle, d’autres effectifs étaient intervenus en renfort dont la brigade spécialisée de terrain (BST) et la BAC de Champigny-sur-Marne. La force d’intervention rapide (FIR) de la BRI est arrivée à ce moment-là.

M. le président Georges Fenech. Pouvez-vous estimer le temps qui s’est écoulé entre votre arrivée, les premiers échanges de tirs, et l’arrivée de la BRI ? Quinze minutes ?

M. T. P. Entre le premier échange de tirs et le dernier, il y a quasiment dix minutes. Nous sommes approximativement entre 22 heures et 22 heures 15. La BRI arrive à peu près vers 22 heures 45.

M. le président Georges Fenech. Vers 22  heures 50 ?

M. T. P. À peu près : je ne regardais pas ma montre.

Ils nous ont demandé de les épauler car ils n’étaient pas assez nombreux.

M. le président Georges Fenech. Combien y avait-il de membres de la FIR ?

M. T. P. Dans un premier temps, ils devaient être une douzaine.

Ils ont emprunté le bouclier balistique qu’utilisait O. B., un deuxième à la BST de Champigny et, je crois, un troisième à un autre service. Ils ne disposaient pas de protection balistique autre que leurs gilets. Leur tireur d’élite m’a demandé un appui feu et balistique pour traverser le boulevard Voltaire afin de disposer d’un angle de tir sur la façade du Bataclan. Nous nous sommes équipés en lourd avec deux boucliers et deux fusils à pompe, et nous l’avons accompagné à trois.

Le reste de la BRI est arrivé ainsi que le RAID. Ils se sont mis en position. Grâce à leur véhicule blindé, ils ont pu pénétrer dans le passage Saint-Pierre-Amelot pour secourir le civil qui s’y trouvait avec la dame au sol. Je ne sais pas combien de temps après ils ont donné l’assaut.

M. Pierre Lellouche. Est-il normal que les forces de la BRI n’aient pas de boucliers balistiques ?

M. T. P. Je ne sais pas quel était le moyen de transport des hommes de la BRI. Ils sont peut-être venus en moto. Les boucliers souples ou lourds, c'est-à-dire rigides, sont encombrants, et les véhicules administratifs dont nous disposons ne sont pas adaptés à nos missions actuelles. On ne met pas un bouclier balistique dans une Peugeot 308. Je ne vous parle même pas des collègues de commissariat avec leur Peugeot Partner.

L. S. avait un bouclier balistique parce qu’il roulait en Mondéo. Il faut aussi savoir que les boucliers balistiques souples n’arrêtent pas les munitions de kalachnikov – il faut les équiper d’une plaque spéciale qui pèse plus de vingt kilos. Les boucliers rigides arrêtent les tirs de kalachnikov, mais ils ne rentrent pas dans nos véhicules.

M. le président Georges Fenech. Monsieur L. S., je crois que la BAC 952-12 est arrivée en premier au Bataclan, n’est-ce pas ?

M. L. S., brigadier-chef. Je suis le chef de groupe de M. A. D. et de M. P. T.. Nous nous trouvions dans le secteur de Créteil lorsque nous avons entendu que des explosions avaient lieu au Stade de France. Nous nous sommes d’abord dirigés vers Saint-Denis, puis nous avons changé d’itinéraire pour rejoindre Paris et le Bataclan lorsque nous avons appris ce qui s’y passait. J’avoue que je suis un peu fâché avec les horaires : le gardien de la paix A. D sera plus précis que moi à ce sujet.

M. A. D. Je suis le chauffeur du chef L. S. et du gardien de la paix P.T. Nous sommes partis de Créteil à 21 heures 42, et nous sommes arrivés à 21 heures 51 au Bataclan. J’ai l’heure sur le tableau de bord du véhicule, et j’ai téléphoné à ma femme pour la prévenir au moment où nous sommes partis

M. le rapporteur. Vous arrivez avant le commissaire N, intervenu en premier sur les lieux ?

M. L. S. Nous arrivons juste un petit peu avant le commissaire et son équipier.

Notre intervention s’est déroulée en trois phases. Dans un premier temps, M. A. D prépare le matériel de sécurité, c'est-à-dire les casques lourds et le bouclier balistique – nous n’avons pas de gilet lourd. Pendant ce temps, M. P.T et moi-même nous engageons dans le passage Saint-Pierre-Amelot. Nous rendons compte à notre station directrice de ce que nous voyons : c’est une scène de guerre, des personnes sont au sol, blessées ou mortes. Je crois, pour avoir débriefé avec lui par la suite, qu’à ce moment le commissaire N et son chauffeur pénètrent dans le Bataclan par l’entrée principale et neutralisent l’un des terroristes. Deux cents à trois cents personnes sortent du Bataclan par le passage. Nous scannons la foule du regard à la recherche d’éventuels terroristes. Nous assistons à un mouvement de panique, mais nous demandons aux personnes valides d’aider celles qui le sont moins. Certaines font demi-tour pour aider les blessés. Nous décidons d’escorter les personnes en question jusqu’à un lieu sécurisé pour qu’elles soient prises en charge par un service d’urgence. Je crois que nous prenons une salve de kalachnikov : nous voyons tomber des personnes autour de nous, mais nous ne parvenons pas à déterminer l’origine des tirs – c’est assez frustrant. M. A. D est ensuite venu nous rejoindre.

Dans une deuxième phase, après nous être mieux équipés, nous avons rejoint le commissaire N à la porte principale. Dans l’intervalle, la BAC 952-11 nous a rejoints ; nous étions heureux de les voir arriver. Nous avons ensuite attendu les services spécialisés, BRI et RAID.

Dans une troisième phase, une fois tous les renforts présents, nous avons sécurisé les lieux et participé à l’évacuation des personnes blessées.

M. le rapporteur. Vous êtes les tout premiers à arriver au Bataclan !

M. L. S. Tout à fait. Nous sommes les trois premiers policiers sur place. Le commissaire N et son chauffeur arrivent rapidement.

M. le rapporteur. À 21 heures 54 !

M. L. S. Quelques policiers du 20e arrivent ensuite.

M. A. D. Certains viennent aussi du commissariat central du 3 !

M. L. S. Quelques minutes après, nous sommes une dizaine de fonctionnaires.

M. le rapporteur. Lorsque vous arrivez, vous assistez, selon vos propres mots, à une « scène de guerre ». Pour quelles raisons vous fixez-vous sur le passage Saint-Pierre-Amelot ? Pourquoi ne décidez-vous pas d’entrer dans le Bataclan ? Vous manquiez d’effectifs, d’équipements ?

M. L. S. Lorsque nous arrivons, des personnes sortent par le passage Saint-Pierre-Amelot, ce qui attire notre attention. Nous pensons que les individus armés vont peut-être tenter de s’enfuir par ce passage dans lequel nous progressons. Nous entendons des coups de feu et des explosions tellement fortes qu’elles résonnent dans nos corps.

M. le rapporteur. De quelles explosions s’agit-il ? Des kamikazes qui se font exploser ?

M. L. S. Nous entendons, à l’intérieur du Bataclan, un bruit qui ressemble à celui de grenades qui explosent. Nous reconnaissons aussi le bruit caractéristique de tirs nourris de kalachnikov. Les explosions sont si puissantes que nous les entendons de l’extérieur, malgré l’épaisseur des murs d’une construction haussmannienne.

Nous avons estimé ce que nous étions en mesure de faire. Nous ne disposions ni des effectifs ni des moyens matériels pour intervenir correctement. La plupart des fonctionnaires étaient engagés sur le site du Stade de France.

M. le président Georges Fenech. Si vous aviez disposé des moyens et de l’équipement nécessaires, seriez-vous rentrés dans le Bataclan ?

M. L. S. On aurait peut-être pu figer un peu la situation. Ce qui est frustrant, c’est de voir des gens tomber. Nous aurions voulu faire plus, mais nous n’avons pas pu le faire par manque de moyens matériels.

La BRI avec laquelle nous avons débriefé nous a dit que nous avions eu le bon réflexe : il fallait cerner le Bataclan afin de fixer les terroristes et de leur montrer que nous étions là. Dès lors qu’une présence policière attire leur attention, il y a des chances qu’ils s’intéressent moins aux otages.

M. le rapporteur. Après que le commissaire N a tué le kamikaze, deux à trois cents personnes sortent du Bataclan, nous dites-vous. Est-ce à ce moment que plusieurs rafales sont tirées ? Y a-t-il eu des victimes de ces tirs parmi les spectateurs du Bataclan ?

M. L. S. Des personnes s’écroulent à la sortie, mais nous ne savons pas si elles ont été blessées à l’intérieur. Comme je vous le disais, nous ne savons pas d’où viennent les tirs, même si nous voyons des impacts. Dans un instant pareil, tous nos sens sont à la fois en éveil et perturbés. Nous essayons d’être le plus réactifs et d’analyser la situation, mais le stress amoindrit une partie des réflexes professionnels. Nous essayons de travailler correctement. Le but était de sauver un maximum de gens.

M. le rapporteur. Après l’intervention du commissaire N, lorsque les spectateurs sortent en masse, tire-t-on sur eux ?

M. T. P. Lorsque nous essuyons des rafales dans le passage Saint-Pierre-Amelot, il ne s’y trouve plus que le monsieur dont je vous ai parlé, qui déplace une femme.

M. L. S. M. P. T. intervient juste après nous. À notre arrivée, il y avait du monde qui courait en tous sens en sortant du Bataclan par le passage Saint-Pierre-Amelot.

M. A. D. Lorsque les spectateurs sortent du Bataclan, l’individu ou les individus tirent depuis l’intérieur sur les spectateurs qui se trouvent quasiment à la porte. Une balle de kalachnikov traverse tout : L. S. et P. T. sont témoins de ces tirs.

M. le rapporteur. Cela se déroule avant 21 heures 57 et l’intervention du commissaire N.

M. T. P. Oui.

M. le rapporteur. Après 21 heures 57 et la mort du kamikaze, il n’y a plus de tirs, mis à part les rafales qui visent directement la BAC dans le passage Saint-Pierre-Amelot ?

M. T. P. Le commissaire N est entré avec son chauffeur. On entend alors ses tirs et une explosion. Une fois que l’individu visé est neutralisé, nous essuyons les premières rafales côté passage Saint-Pierre-Amelot. Pendant les dix minutes durant lesquelles le terroriste nous tire dessus, nous n’entendons plus d’autres tirs à l’intérieur.

M. le président Georges Fenech. Parce que l’autre est mort.

M. T. P. L’un d’entre eux a été neutralisé. L’autre est là-haut en train de… J’ai tendance à me dire que, tant qu’on tire sur moi, on ne tue personne d’autre.

M. Pierre Lellouche. Que voulez-vous dire par « en train de… » ?

M. le président Georges Fenech. Je crois que certaines choses n’ont jamais été dites. Je pense que l’on pourrait peut-être, à ce stade, éclaircir les choses.

M. T. P. Des corps n’ont pas été présentés aux familles parce qu’il y a eu des gens décapités, des gens égorgés, des gens qui ont été éviscérés. Il y a des femmes qui ont pris des coups de couteau au niveau des appareils génitaux.

M. le président Georges Fenech. Tout cela aurait été filmé en vidéo pour DAECH !

M. T. P. Il me semble. Les victimes en ont parlé.

M. le rapporteur. Ces actes ont été commis par les deux survivants. Savez-vous si vous avez blessé celui sur lequel vous avez tiré dans le passage Saint-Pierre-Amelot ?

M. T. P. Je pense, mais je n’ai aucune certitude. Comme ils se sont fait sauter, on ne peut pas savoir s’il était blessé au tronc. Je pense l’avoir touché car les tirs ont cessé, et la porte s’est refermée. Le fait que la kalachnikov s’affaisse et que les portes se referment me semble significatif. Plus tard, nous avons parlé avec le civil qui nous faisait des signes dans le passage Saint-Pierre-Amelot : il nous a dit que nous avions touché le tireur et que c’est pour cela qu’il avait cessé de tirer.

Après ce moment, les tirs que nous avons entendus à l’intérieur n’étaient que très sporadiques. Il n’y a plus eu de rafales. Selon toute vraisemblance, un des terroristes ou plusieurs achevaient les gens. Ensuite, j’avoue que je n’ai fait que quinze mètres à l’intérieur du Bataclan derrière la BRI. Ma présence n’était pas nécessaire, je suis donc ressorti. Ce que j’avais vu m’avait suffi.

M. Pierre Lellouche. Les exactions sur les gens se sont déroulées à quel endroit ?

M. T. P. À l’étage.

M. Pierre Lellouche. Cela se passe après que l’individu que vous avez blessé est remonté ?

M. T. P. Je pense même que ça s’est produit avant, mais ce n’est que mon avis personnel. Pendant que nous fixions un terroriste à la porte de secours, un autre faisait toutes ces choses ignobles à l’étage.

M. Pierre Lellouche. La vidéo est partie ?

M. le président Georges Fenech. Je crois savoir que des vidéos sont parties.

M. Pierre Lellouche. On peut le savoir si l’on a récupéré les portables des victimes. On les a ?

M. T. P. Ils se sont fait exploser. Il y a eu des personnes décapitées, égorgées, éviscérées. Il y a eu des mimiques d’actes sexuels sur des femmes et des coups de couteau au niveau des appareils génitaux. Si je ne me trompe pas, les yeux de certaines personnes ont été arrachés.

M. A. D. Je voudrais apporter une précision pour répondre à la question de M. le rapporteur qui se demandait pourquoi mes collègues avaient immédiatement pris la direction du passage Saint-Pierre-Amelot. Ils l’ont dit : c’est parce que l’on voyait des victimes sortir par les portes de secours, mais c’est aussi parce que, quelque temps après que nous sommes descendus de voiture, un véhicule de police est arrivé et s’est garé devant l’entrée principale du Bataclan, en direction de la rue Oberkampf, en attendant sans doute d’autres collègues. C’est donc naturellement, puisque nous nous trouvions du côté du boulevard Richard-Lenoir, que mes collègues ont pris la direction du passage Saint-Pierre-Amelot où l’on voyait des victimes, alors que ceux qui arrivaient du côté du boulevard Voltaire s’occupaient de l’entrée principale du Bataclan.

M. Pierre Lellouche. Le commissaire N arrive trois minutes après vous et il rentre directement dans le Bataclan. Vous vous êtes parlé ?

M. L. S. Non.

M. Pierre Lellouche. En fait, vous ne savez même pas qu’il est rentré dans la salle ?

M. L. S. Nous n’en savions rien, et il ne savait pas que nous étions du côté des sorties de secours. Dans un second temps, nous nous sommes retirés pour protéger un peu les victimes, et nous avons eu un contact visuel avec le commissaire N. Notre équipage s’est ensuite dissocié en deux groupes : A. D. a rejoint la BAC 952-11 de M. T. P, tandis que M. P.T et moi-même rejoignions le commissaire N à l’entrée de la salle.

Ce dernier souhaitait pénétrer à nouveau dans le Bataclan, mais une lumière nous éblouissait, nous ne connaissions pas la topographie exacte, et nous étions encore sous-armés. Nous n’avions donc ni les moyens matériels ni la connaissance des lieux qui nous auraient permis de progresser dans le Bataclan. Si les terroristes étaient sortis, nous aurions tout fait pour les neutraliser, mais nous savions que nous n’avions pas les moyens matériels pour intervenir dans la salle en toute sécurité.

M. Pierre Lellouche. C’est pendant ce temps que vos collègues sortent les blessés du Bataclan ?

M. L. S. Deux ou trois personnes ont réussi à sortir, nous les avons accompagnées. Lorsque les services spécialisés sont arrivés, ils ont pris le relais. Nous avons élargi le périmètre puis nous l’avons sécurisé en travaillant, lorsque c’était nécessaire, en équipes mixées avec la BRI. Je me suis trouvé pendant un moment avec un collègue de la BRI qui avait ses ondes opérationnelles. J’avais conservé la fréquence de la BAC 75 N. Nous échangions nos informations. Nous avons eu beaucoup de difficultés pour communiquer sur cette intervention. C’était un gros problème. Nous avions du mal à obtenir la fréquence d’urgence…

M. Pierre Lellouche. Plusieurs fréquences émettaient en même temps ?

M. L. S. En temps normal, si vous demandez la priorité sur cette onde, on vous l’accorde, mais, ce soir-là, la demande venait de partout en même temps, ce qui a saturé le système.

M. Jean-Michel Villaumé. À ce moment, les militaires sont-ils présents ?

M. L. S. Ils sont présents dans une deuxième phase, mais pas au début de notre intervention.

M. T. P. Nous sommes arrivés sur place dix minutes après Laurent. Nous avons essuyé des tirs passage Saint-Pierre-Amelot pendant dix minutes, et les militaires sont arrivés dans cet intervalle puisqu’ils étaient avec nous lors des deux dernières salves. Ils devaient être sur place un quart d’heure après l’intervention de l’équipe de L. S..

S’agissant de la coordination et de la communication, les terroristes ont réussi à faire ce qu’ils voulaient : saturer les ondes. Ils ont utilisé un procédé militaire qui consiste à multiplier les points d’impact pour saturer les services de secours et d’intervention.

Ils ont été surpris parce qu’ils ne s’attendaient sans doute pas à une réaction aussi rapide de notre part, mais ils ont, en un sens, réussi. Laurent et moi-même nous sommes rendus sur place d’initiative. À aucun moment nous n’avons demandé l’autorisation d’aller au Bataclan. Les BAC 75, 92 et 93 ont été rassemblées pour former la BAC d’agglomération de nuit. Nous avons en conséquence la possibilité de prendre des initiatives.

M. le président Georges Fenech. Les premiers intervenants sont tous venus d’initiative. C’est le cas de la DSPAP, du commissaire N, de la BAC. Ceux qui réagissent sur commandement arrivent dans un deuxième temps, vers vingt-deux heures cinquante.

M. T. P. Il faut aussi savoir que, pour la couverture radio, Paris est divisé par arrondissement. Les ondes étaient donc déjà monopolisées parce que, dans la même zone, il y a eu multiplication des attaques puis des appels pour secourir les nombreuses victimes. Devant cet embouteillage, ni Laurent ni moi n’avons pris les ondes pour annoncer nos déplacements. Nous ne l’avons fait qu’une fois à destination : moi au Comptoir Voltaire, Laurent au Bataclan.

M. Pierre Lellouche. Lorsque nous nous sommes rendus sur place, jeudi dernier, M. B.B, Mme C.P., deux membres de la CSI-75, la compagnie de sécurisation et d’intervention compétente pour l’agglomération parisienne, nous ont raconté qu’ils avaient évacué des victimes durant toute la soirée. Ils étaient sur place lorsque vous êtes arrivés : vous avez dû les voir ?

M. T. P. La CSI n’était pas au Bataclan, mais sur les terrasses. Ils n’y sont arrivés que bien après nous.

M. le président Georges Fenech. M. B.B. est allé directement au Bataclan.

M. T. P. Nous étions sur la conférence régionale 137 ; nous n’avions pas les ondes parisiennes.

M. Pierre Lellouche. Il y a quelque chose qui ne colle pas bien : je vois le commissaire arriver, s’appuyer sur le bar et descendre un terroriste. Mais il y avait ces deux policiers…

M. le président Georges Fenech. Il y avait le commissaire B.B. et C.P. qui est son adjointe.

M. P. T. J’ai participé à l’évacuation avec le commissaire B.B. La BRI qui est venue nous relever, a installé un bouclier Ramsès devant la porte du Bataclan avant de pénétrer à l’intérieur de l’établissement qu’ils ont sécurisé comme ils pouvaient. La colonne de la BAC 75 N les a suivis avec l’armement d’assaut. Sur ordre de BRI, nous avons commencé à évacuer tous les blessés valides qui pouvaient se déplacer par eux-mêmes. Ils sont venus vers nous et, après une palpation sommaire, nous les avons dirigés vers le PC sécurité. Nous avons ensuite commencé à évacuer les blessés qui se trouvaient au sol grâce à des barrières de sécurité. Le commissaire B.B. nous a aidés avec d’autres collègues.

M. Pierre Lellouche. En gros, il s’est passé une heure entre le moment où le commissaire tue le terroriste et l’assaut.

M. le président Georges Fenech. L’assaut a lieu à minuit vingt.

M. L. S. Grosso modo, oui.

Les horaires des événements correspondaient globalement à ceux de la relève entre la CSI, qui travaille de jour, et la BAC 75 N. Pendant la relève, nous avons parfois un problème de moyens, puisque certains matériels sont mutualisés entre les équipes du jour et de la nuit.

M. Pierre Lellouche. Vous étiez sur place en permanence : vous n’avez plus entendu de coup de feu entre le moment où le commissaire a tiré et l’assaut ?

M. L. S. Seulement de manière très sporadique.

M. T. P. Au coup par coup.

M. L. S. Nous n’entendons plus de rafales.

M. Pierre Lellouche. Il y a combien de tireurs ?

M. L. S. Nous ne les voyons pas. Nous entendons des tirs de temps en temps. J’extrapole, mais on peut imaginer qu’ils faisaient le tour et que, de temps en temps, ils mettaient une cartouche ou deux dans certaines victimes.

M. T. P. Ce qui est sûr, c’est que, à partir de l’arrivée des effectifs de la BRI, il n’y a plus eu de tir du tout. Vous voudrez bien excuser l’expression, mais il régnait un silence de mort. Il n’y avait plus aucun bruit.

M. Pierre Lellouche. À ce moment, ils n’étaient plus que deux avec les vingt personnes coincées en haut.

M. T. P. Oui, je pense. Je pense qu’ils s’étaient isolés à ce moment dans la pièce dans laquelle ils se sont fait sauter.

M. Pierre Lellouche. Si vous aviez eu le matériel nécessaire, vous y seriez allés ?

M. L. S. Si nous avons les moyens de nous protéger de manière sérieuse, et du matériel en rapport avec l’agression, cela rééquilibre les forces, et nous devenons opérationnels. Ce soir-là, je vous le dis franchement, j’ai emmené mes gars en enfer. Ils sont allés au-delà de leurs capacités physiques et matérielles. Heureusement, j’ai avec moi de bons sportifs, des gars qui ont à la fois une tête et des jambes, qui s’exercent avec sérieux et qui sont capables de réagir correctement au stress. Vous ne pouvez pas faire ça avec n’importe qui. Si nous avions eu plus de matériels de protection et des armes plus efficaces, nous aurions peut-être pu être plus réactifs ou opérationnels.

M. le président Georges Fenech. Quel est votre ressenti personnel s’agissant de l’intervention du commissaire N qui est entré dans le Bataclan avec une arme de poing sans aucune protection ?

M. L. S. Des moniteurs de tir m’ont dit que le commissaire N était sportif et s’entraînait au tir régulièrement. C’est un homme de terrain polyvalent, tant physiquement qu’opérationnellement. Il est très à l’aise avec son arme. Lui et son équipier ont fait preuve de sang-froid et de courage. Ils sont vraiment allés au-delà de leurs capacités, et je suis admiratif à leur égard. Par rapport aux moyens dont ils disposaient, ils ont vraiment été « culottés ».

M. T. P. Ce qu’ont fait le commissaire N et son collègue, au moment où ils ont agi, avec un matériel qui était le même que le nôtre – je crois qu’ils n’avaient même pas de casque qui, de toute façon, ne sert à rien face à une kalachnikov –, c’est techniquement, sur le plan policier, le maximum que l’on puisse faire. Le tir a été effectué au niveau de la porte d’accès à la salle. Ils étaient dissimulés mais pas protégés. Ils ont pu neutraliser le terroriste par surprise.

Dans le passage Saint-Pierre-Amelot, ni Laurent et son équipage ni moi et le mien ne pouvions progresser : nous y serions restés, c’est sûr.

Du côté de l’entrée principale, ce qu’ils ont fait était « nickel », si je peux me permettre. C’était ce qu’il fallait faire : tenter de neutraliser l’individu sans trop progresser. C’est pour cela qu’ils n’ont pas trop progressé dans la salle.

M. le président Georges Fenech. Ils y sont tout de même retournés une deuxième fois !

M. L. S. Au risque de vous choquer, le but – ce que nous avons fait d’initiative, de façon presque inconsciente – était de juguler les terroristes et de les laisser, malheureusement, dans le Bataclan pour éviter qu’ils ne fassent d’autres victimes dans un nouveau lieu. En attendant les forces spéciales, il fallait essayer de les contenir sur le lieu où ils se trouvaient.

M. le rapporteur. Le ministre de l’intérieur a annoncé que des équipements supplémentaires seraient livrés, notamment aux BAC. Savez-vous quand ils vous parviendront ?

M. L. S. Deux jours après les événements, nous avons rencontré M. Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, qui nous a annoncé que nous serions dotés de véhicules et de moyens matériels supplémentaires. Ils nous arrivent petit à petit. Il est question que nous récupérions des berlines dont le coffre soit plus adapté au matériel dont nous avons besoin. Nous avons reçu des boucliers balistiques avec des plaques de renfort qui protègent des tirs de kalachnikov, et des armes intermédiaires : lanceurs de projectile de calibre de 40 millimètres, Taser, grenades.

M. Pierre Lellouche. Je m’entraîne régulièrement au tir dans les locaux de la police. Je sais ce que c’est de tirer à quarante-cinq mètres dans la pénombre : ce n’est pas évident, sauf si l’on est très bien entraîné. Combien de fois un policier de terrain tire-t-il par an ?

M. L. S. En BAC, nous avons des « open tirs » une fois par semaine. Nous arrivons à tirer une fois par semaine, ou une fois tous les quinze jours. Nous avons un entraînement sportif une fois ou deux par semaine. Il faut savoir que nous sommes des privilégiés. Il y a aussi eu des périodes de carence de munitions pendant lesquelles nous ne tirions que deux fois huit cartouches. Nous nous retrouvions alors dans la situation du service général qui doit effectuer un minimum de trois tirs annuels.

M. T. P. Nous sommes privilégiés parce que, grâce aux séances de tir spéciales de la BAC, nous pouvons tirer beaucoup plus que les autres. Nous tirons en général au moins dix fois par an.

M. Pierre Lellouche. En gros, donc, vous tirez une fois par mois. Combien de cartouches ? Une cinquantaine ?

M. T. P. et M. L. S. Non ! Une trentaine.

M. L. S. Nous avons deux chargeurs de quinze cartouches.

M. T. P. Fort heureusement, nos moniteurs de tir savent s’adapter. Ils proposent des tirs de situation qui optimisent les munitions dont nous disposons. Je répète que nous sommes des privilégiés : les collègues de commissariat tirent trois fois par an, c'est-à-dire quatre-vingt-dix cartouches… lorsqu’il y a des cartouches.

M. L. S. Nous allons être dotés du fusil HK G36 : nous essayons de trouver des stands de tir adaptés aux cartouches de cette arme.

M. le président Georges Fenech. Peut-être M. N. B., qui n’a pas encore pris la parole, souhaite-t-il ajouter quelque chose ?

M. N. B., gardien de la paix. Je suis l’équipier de la BAC 952-11. Ce soir-là, mon chef de bord était T.P, et mon chauffeur le brigadier N. B..

Le 13 novembre, nous nous sommes d’abord arrêtés au Comptoir Voltaire. Ma mission a consisté à sécuriser l’angle du café vers la rue de Montreuil. Le brigadier-chef T.P me donnait des instructions et m’informait. Dans le café, il a constaté qu’il y avait eu une explosion et non des tirs.

Nous étions à la recherche de la Polo en fuite. Je prenais le temps de regarder les plaques d’immatriculation – la Polo était immatriculée en Belgique – et les passagers de chaque véhicule qui passait.

Nous sommes ensuite partis au Bataclan.

M. O. B. Lorsque nous étions à l’angle du passage Saint-Pierre-Amelot, alors que des personnes dans le Bataclan subissaient des choses atroces, nous avons eu beaucoup de chance. Nous sommes retournés sur place, et le propriétaire du magasin de carrelage derrière lequel nous nous étions abrités nous a expliqué que sa boutique était une ancienne banque dont les vitres étaient blindées. Cela nous a protégés – je n’avais qu’un bouclier balistique sans plaques additionnelles.

À l’angle, nous entendions des gens gémir, mais nous ne pouvions pas aller les aider parce que nous ne disposions pas du matériel adéquat.

M. le président Georges Fenech. Pour l’information de la commission d’enquête, monsieur P. T., pouvez-vous nous dire comment vous avez appris qu’il y avait eu des actes de barbarie à l’intérieur du Bataclan : décapitations, éviscérations, énucléations… ?

M. T. P. Après l’assaut, nous étions avec des collègues au niveau du passage Saint-Pierre-Amelot lorsque j’ai vu sortir un enquêteur en pleurs qui est allé vomir. Il nous a dit ce qu’il avait vu. Je ne connaissais pas ce collègue, mais il avait été tellement choqué que c’est sorti naturellement.

M. Alain Marsaud. Les actes de tortures se sont passés au deuxième étage ?

M. T. P. Je pense, car je suis entré au niveau du rez-de-chaussée où il n’y avait rien de tel, seulement des personnes touchées par des balles.

M. Alain Marsaud. À votre connaissance, ils étaient trois sans aucun doute ? Il n’y a aucune chance qu’un quatrième se soit enfui ?

M. T. P. On est certains qu’ils étaient au moins trois, mais ils étaient peut-être quatre. Les ondes retransmettaient les appels au numéro d’urgence de la police, le 17 : on entendait parler de trois individus, voire quatre.

M. Alain Marsaud. Est-il exclu qu’une quatrième personne ait pu s’enfuir en se faisant évacuer parmi les blessés ?

M. T. P. Ce n’est pas exclu. C’est la raison pour laquelle mes collègues ont procédé à des palpations sommaires de toutes les victimes, même blessées, qui sortaient par l’entrée principale.

M. L. S. Nous effectuions systématiquement une palpation sommaire, au moins au niveau du plexus, de la base du torse, et des jambes.

M. Alain Marsaud. Un quatrième terroriste aurait pu être blessé lui-même ou s’enfuir parmi les blessés ?

M. T. P. Parmi les blessés, je ne pense pas.

M. Alain Marsaud. On ne retrouve que trois armes de guerre.

M. L. S. Cela relève des investigations. Pour notre part, nous n’en savons rien.

M. le président Georges Fenech. Messieurs, nous vous remercions vivement d’avoir livré ce très important témoignage. La commission d’enquête salue votre courage et l’intervention qui a été la vôtre.

*

* *

Audition, à huis clos, de M. Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale, et de M. Marc Baudet, conseiller stratégie et prospective.

M. le président Georges Fenech. Nous vous remercions d'avoir répondu à la demande d'audition de notre commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Vous savez que nous avons déjà tenu de nombreuses auditions, consacrées aux victimes et à leur prise en charge par les secours, puis à la chronologie des événements de janvier et de novembre 2015.

Nous commençons avec vous une nouvelle phase de nos travaux tendant, à la lumière de l'expérience des attentats de janvier et novembre 2015, à nous interroger sur les moyens et les missions des forces de police.

Cette audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer, se déroule à huis clos. Elle n'est donc pas diffusée sur le site internet de l'Assemblée. Néanmoins, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l'issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations seront soumises à la Commission, qui pourra décider d'en faire état dans son rapport.

Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal – un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende – toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l'article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

M. Jean-Marc Falcone et M. Marc Baudet prêtent serment.

Je vous laisse la parole pour un exposé liminaire qui sera suivi par un échange de questions et réponses.

M. Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale. Mesdames et messieurs les députés, je serai très bref. Je souhaite simplement, par courtoisie pour la Commission, repositionner la Direction générale de la police nationale (DGPN) parmi l’ensemble des forces de sécurité intérieure, puis vous exposer très rapidement l’action de cette direction en réponse aux attentats que nous avons connus en janvier et en novembre. Ensuite, je présenterai de manière schématique les dispositions que j’ai pu prendre à mon niveau, en qualité de directeur général, après les retours d’expérience effectués avec mes services à la suite des attentats.

La Direction générale de la police nationale est composée de 145 000 agents, et s’appuie sur des directions de police active.

Parmi elles, la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP) est une direction généraliste. Elle comprend le Service central du renseignement territorial (SCRT).

Nous avons également des directions dites spécialisées, à compétence nationale, telles que la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) ; la Direction centrale de la police aux frontières ; la Direction centrale des compagnies républicaines de sécurité, qui ont aussi compétence nationale ; le Service de recherche, assistance, intervention, dissuasion – le RAID – qui est directement rattaché au directeur général de la police nationale ; et le service de la protection qui est chargé de protéger les personnalités susceptibles d’être menacées.

L’engagement de cette direction générale a été réel, bien que les attentats ne se soient pas déroulés dans sa zone de compétence, le préfet de police de Paris ayant une compétence spécifique. Nous parlons de compétence de plein exercice. Néanmoins, les directions que je viens de citer ont apporté leur contribution aux opérations menées lors des attentats. Ainsi, le 7 janvier, les services de police situés dans les départements du Val-d’Oise, de l’Oise, de la Seine-et-Marne et de la Marne ont été mobilisés pour la recherche des frères Kouachi : près de 700 agents ont apporté leur assistance à la recherche.

Le 13 novembre, vers 22 h 40, j’ai fait converger sur Paris 215 policiers des départements de la grande couronne – Seine-et-Marne, Yvelines, Essonne et Val-d’Oise – pour prêter renfort au préfet de police, et en particulier à la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP).

La Direction centrale de la police judiciaire a aussi été très largement mobilisée, avec le « dispositif attentat », sur lequel je pourrai revenir si vous le souhaitez. Au plus fort des attentats du 13 novembre, ce ne sont pas moins de 750 enquêteurs issus de cette direction qui ont participé aux recherches, aux constatations et aux opérations de police technique et scientifique sur Paris.

La Direction centrale de la police aux frontières a également été mise à contribution ; près de 5 000 fonctionnaires de cette direction ont été déployées sur les frontières lorsque l’état d’urgence a été décrété.

Et bien évidemment, le personnel du RAID a contribué, par son action dans le cadre de ses missions, aux interventions faisant suite aux attentats de janvier et de novembre, en collaboration notamment avec la Brigade de recherche et d'intervention de la préfecture de police de Paris (BRI-PP). Ces fonctionnaires du RAID participent plusieurs fois par semaine aux opérations de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou de la sous-direction antiterroriste (SDAT) lorsque ces services interpellent des personnes radicalisées ou susceptibles de passer à l’acte dans un cadre terroriste.

Depuis les attentats de janvier, j’ai repositionné le service central du renseignement territorial sur la prévention du terrorisme, en faisant suivre un certain nombre de personnes dites radicalisées. Actuellement, près de 3 000 sont suivies par ce service.

J’ai également créé un état-major auprès de moi, car nous nous sommes aperçus que la Direction générale de la police nationale n’était plus dans la même position qu’au cours des décennies passées. Elle doit maintenant jouer un rôle beaucoup plus opérationnel pour gérer au quotidien les états-majors des différentes directions que je viens de citer. J'ai donc créé un état-major qui intègre un centre d'information de la police nationale qui regroupera, dans les prochaines semaines, les dispositifs d'information de toutes les directions, qui étaient jusqu’à présent éclatés. J'aurai donc auprès de moi un état-major pour commander l'ensemble des directions centrales de la police, et un centre d'information qui va regrouper les centres d'information des services et des directions que je viens de citer.

Au sein de la Direction centrale de la police judiciaire, nous avons fait monter en puissance la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité avec le programme PHAROS (plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements) et les enquêtes liées à la cybercriminalité. Le dispositif attentat a été mis en œuvre au mois de novembre ; et les effectifs de la sous-direction anti-terroriste (SDAT) ont sensiblement augmenté, ce qui était nécessaire au vu du nombre d'enquêtes qu'elle doit suivre.

Les sept GIPN métropolitains ont été transformés en antennes RAID, sous le commandement unique et centralisé du RAID central à Bièvres, ce qui permet de donner des instructions et d'avoir à disposition les 270 opérateurs qui composent les antennes et le service central.

Enfin, j'ai fait monter en puissance l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) avec la cellule d'appel radicalisation et le fichier FSPRT, qui répertorie l'ensemble des personnes signalées comme pouvant être radicalisées.

Au plan tactique, nous avons décidé d'adapter les dispositifs de formation initiale et continue des policiers, puisque nous nous sommes aperçus que la menace avait changé de nature, y compris dans ses formes, de plus en plus violentes et rédhibitoires. Nous avons fait en sorte de former l'ensemble des brigades et des fonctionnaires.

Nous sommes en train de mettre la dernière main au schéma national d'intervention, que le ministre de l’Intérieur pourra arrêter d'ici une semaine ou deux. Il en avait fait la demande après les attentats de novembre, afin de pouvoir concentrer et articuler l'ensemble des services d'intervention.

Nous avons également diffusé une doctrine à destination des primo-intervenants, car ce seront, par définition, les premiers à être exposés à des actes de terrorisme, et à un terrorisme de plus en plus violent et tueur. J'ai donc reconstruit une doctrine avec des « fiches réflexes » que j'ai fait distribuer avant Noël.

Il a aussi fallu organiser la police judiciaire pour prendre en compte la décision du parquet antiterroriste de saisir systématiquement la DCPJ-SDAT pour qu'elle coordonne les enquêtes en cas d'attentats sur le territoire.

Nous continuons de procéder aux différents recrutements décidés par le Gouvernement, pour la plupart dans le cadre de plans pluriannuels : le plan antiterroriste, le plan immigration et le pacte de sécurité du Président de la République. Nous prévoyons aussi l'organisation exceptionnelle de concours de recrutement de gardiens de la paix, puisque nous faisons entrer cette année 4 600 gardiens de la paix dans les écoles, tandis qu'autant en sortiront en fin d'année ainsi que l'an prochain. Il a donc fallu que mon administration réponde le plus vite possible, avec des moyens adaptés, à ces demandes tout en garantissant une formation initiale soutenue et la plus complète possible, afin de bénéficier de ces renforts dont nous avons bien besoin.

S'agissant des moyens, le plan BAC entre en vigueur. Les brigades anti-criminalité, composées de gens formés dont l'expertise est plus affirmée que celle des premiers intervenants ont en effet une capacité d’intervention. Elles peuvent, sur des tueries de masse ou des actes terroristes, stabiliser et fixer les terroristes. Nous l'avons vu à Paris lors de l'intervention d'un commissaire de la BAC.

Voilà, de manière schématique, la façon dont les différents services ont pu intervenir, et ce que j'ai pu développer.

M. le président. Deux questions liminaires, tout d’abord, pour bien clarifier les choses.

En tant que DGPN, c'est vous qui avez l'autorité pour, le cas échéant, déclencher la Force d'intervention de la police nationale (FIPN) ?

M. Jean-Marc Falcone. Tout dépend où. Sur Paris, c'est le préfet de police qui me sollicite lorsqu’il souhaite mettre en œuvre la FIPN.

M. le président. C'est donc sur la demande du préfet de police de Paris que le DGPN déclenche la FIPN. Pourriez-vous le faire d'autorité ?

M. Jean-Marc Falcone. Après un échange, je pourrais lui proposer de mettre en œuvre la FIPN, mais sur la plaque parisienne, c'est lui qui me le demande, par exemple en cas d'attentats multiples, ou parce que la BRI peut ne pas suffire à l'exécution de la tâche.

M. le président. Confirmez-vous que lorsque la FIPN se déclenche dans Paris intra-muros, le chef du RAID en prend le commandement sous votre autorité, malgré la compétence territoriale BRI-BAC ?

M. Jean-Marc Falcone. Si la FIPN est déclenchée dans Paris, c'est le patron du RAID qui en prend la direction, et qui se place sous les ordres du préfet de police.

M. le président. Le 13 novembre 2015, vous ne déclenchez pas la FIPN, alors que cela a été fait au mois de janvier. Pourquoi l’utiliser en janvier et pas en novembre, alors que les attentats étaient beaucoup plus importants ? On aurait pu imaginer que le RAID prenne la direction des opérations, mais vous avez laissé la BRI agir en tant que force menante.

M. Jean-Marc Falcone. C’est qu’au mois de janvier, le préfet de police en avait fait la demande ; tel n’a pas été le cas au mois de novembre. Le RAID a quand même été envoyé sur Paris, comme vous le savez ; il a agi en concourant du menant, qui a été la BRI.

M. le président. Cette réponse ne peut pas me satisfaire. Je veux connaître la motivation de cette décision. Je comprends que c’est votre décision mais je ne peux pas me satisfaire d’une réponse consistant à dire que c’est le préfet qui a estimé ne pas devoir demander de mettre en œuvre la FIPN, alors que c’est vous qui avez l’autorité sur cette force. Quels critères objectifs ont conduit à faire ce choix alors que nous sommes confrontés à une série d’attentats de grande ampleur à Paris ?

M. Jean-Marc Falcone. Les situations de janvier et de novembre sont différentes. En janvier, lorsque Amedy Coulibaly est entré dans l’Hypercacher, une autre action était en cours à Dammartin-en-Goële. Il fallait conjuguer les deux interventions de manière cohérente. La mise en œuvre de la FIPN a donc été demandée par le préfet de police de l’époque.

Au mois de novembre, les premières réactions ont consisté à envoyer le RAID sur Paris, en colonne.

M. le président. Qui a pris cette décision ?

M. Jean-Marc Falcone. Il y a eu un échange entre Jean-Michel Fauvergue – le chef du RAID – et moi. Le préfet de police a également demandé l’assistance du RAID.

M. le président. Il me semblait que le RAID s’était déplacé de sa propre initiative.

M. Jean-Marc Falcone. Non, pas du tout. J’ai parlé avec le chef du RAID à 22 h 05, pour l’informer qu’il y avait des attentats. Il le savait déjà : mon état-major avait eu le RAID à 21 h 45, et celui-ci avait procédé à son regroupement. Il est parti de Bièvres à 22 h 10.

M. le président. Nous n’avions pas eu ces détails de la part du RAID.

M. Jean-Marc Falcone. J’ai une main courante du SVOPN (service de veille opérationnelle de la Police nationale), mon état-major, qui recense la liste des personnes que j’ai informées en temps et en heure à partir de 21 h 55. Je vous en ferai parvenir un exemplaire.

M. Pierre Lellouche. À quelle heure dites-vous avoir donné l’ordre au RAID de se préparer ?

M. Jean-Marc Falcone. J’ai eu Jean-Michel Fauvergue au téléphone à 22 h 05 pour lui dire qu’il y avait eu des attentats à Paris, et mon état-major avait appelé le RAID à 21 h 45. Le RAID était alors en train de procéder à son regroupement.

M. Pascal Popelin. Le RAID avait-il anticipé votre ordre ?

M. Jean-Marc Falcone. Oui, parce qu’il avait eu des informations. D’autant que, dans le cadre de la préparation de l’Euro 2016, un officier du RAID et un officier du GIGN étaient présents au Stade de France. Ils ont donc vécu les premières explosions en direct et ont fait remonter l'information à leurs patrons.

M. le président. Vous avez expliqué qu’au mois de janvier, le préfet de police avait estimé devoir vous demander de mettre en œuvre la FIPN parce que plusieurs sites étaient concernés. Sur quels critères objectifs, selon vous, s’est-il fondé pour ne pas vous solliciter en novembre ? Ne lui avez-vous pas suggéré de le faire ?

M. Jean-Marc Falcone. Non. Nous étions dans le feu de l’action. Les informations qui parvenaient à Beauvau faisaient état d’attentats multiples : explosions au Stade de France, fusillades devant des établissements recevant du public, puis prise d’otages dans le Bataclan. Le premier réflexe de tous a été d’envoyer le maximum de forces spécialisées pour pouvoir intervenir dans les différents sites.

M. le président. J’essaie de comprendre la doctrine que vous suivez. La note du DGPN du 17 janvier 2014 rationalisant les modalités de saisine et d’emploi de la FIPN comprend une section I, relative aux interventions relevant de la compétence exclusive de la FIPN. Il y est prévu que l’engagement d’une unité d’intervention doit être systématique dans les situations de prises d’otages. Or nous sommes déjà dans ce cas de figure au Bataclan.

Si l'on se réfère à cette note, il devrait donc y avoir quasi-automaticité au recours à cette unité d’intervention dès lors qu’il y a prise d’otages.

M. Jean-Marc Falcone. La FIPN ?

M. le président. C’est ce qu'il me semble.

La section I, paragraphe a) du règlement de la FIPN prévoit : « Le responsable de la sécurité publique territorialement compétent présent sur les lieux (…) apprécie la gravité de la situation (…) S’il estime devoir faire appel à une unité d’intervention, il doit prendre attache sans délai avec l’état-major de la FIPN (…) »

Nous étions bien dans cette situation. Or il n’y a pas de saisine de l’état-major de la FIPN, ni de recours à la FIPN. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose, j’essaie de comprendre la raison de cette décision. Il faut que nous clarifiions ce point.

En cas de déclenchement de la FIPN, c’est le RAID qui aurait été menant, et la BRI concourant.

M. Jean-Marc Falcone. Ces unités auraient constitué une seule et même force, sous l’autorité du patron du RAID.

M. le président. Pour une telle tuerie de masse – il y avait 1 500 personnes dans le Bataclan – avez-vous estimé que la BRI était mieux à même d’agir ?

M. Jean-Marc Falcone. Non. La BRI et le RAID, comme le GIGN, sont des unités composées de personnels compétents qui disposent de l’expertise nécessaire. Je ne dis pas que la BRI était mieux à même d'investir les lieux au vu de son armement, de son expertise et de sa compétence. Ils étaient sur place, le préfet de police également, il avait déjà engagé sa BRI, et moi j’avais envoyé le RAID. Il a considéré que les deux forces devaient se répartir les différents lieux du Bataclan pour investir les lieux et procéder à l’assaut final. Je précise que, rue de la Fontaine-au-Roi, une colonne du RAID assurait également la sécurisation des lieux où il semblait que des terroristes avaient tiré.

M. le président. Après le retour d’expérience qui n’a pas manqué d’avoir lieu, pensez-vous que vous prendriez à nouveau la même décision, ou une réflexion est-elle en cours pour revoir ce qu’est la FIPN, et comment elle doit être déclenchée ?

M. Jean-Marc Falcone. Vous l’avez bien compris : la FIPN n’est pas une structure pérenne : c’est une structure ad hoc, qui répond à un besoin.

Lorsqu’elle a été créée, il y avait le RAID, sept GIPN (groupes d'intervention de la police nationale) et la BRI de Paris. Le ministre de l’Intérieur de l’époque avait considéré que cette multitude de forces d’intervention indépendantes les unes des autres devait, en cas de tueries de masse ou de problèmes particuliers, pouvoir être mise à disposition des préfets – le préfet de police de Paris, mais aussi les autres préfets territorialement compétents.

C’est à cela que le document que vous avez mentionné fait référence : il fallait pouvoir créer une structure sous l’autorité du patron du RAID, qui est normalement le plus âgé dans le grade le plus élevé. C’est un contrôleur général de la police nationale qui a l’expertise lui permettant de prendre le commandement.

Dans le schéma d’intervention sur lequel nous sommes en train de mettre la dernière main, la question du mode de déclenchement de la FIPN est posée, au moins pour Paris intra-muros. Doit-il être automatique lorsque le RAID intervient sur Paris ? Doit-il toujours dépendre de la demande exprimée par le préfet de police ? Ou bien le DGPN doit-il prendre la décision ?

M. le président. Il n’est pas question ici de critiquer la BRI, dont il convient au contraire de saluer le travail, mais cette brigade concerne essentiellement le judiciaire, l’interpellation de gangsters, de forcenés. Le RAID et le GIGN ont une autre vocation. Pourquoi avez-vous envoyé au Bataclan, en menant, des fonctionnaires méritants mais dont la mission exclusive n’est pas d’aller déloger des terroristes ? C’était la mission du RAID.

M. Jean-Marc Falcone. Je comprends tout à fait votre interrogation. Mais la BRI-PP peut intervenir en formation BRI-BAC, qui est un peu plus formée à ce type d’intervention que les BRI des directions centrales de la police judiciaire, que vous connaissez par ailleurs, et qui assurent des interpellations, des filatures, etc. C’est aussi la mission première de la BRI-PP.

Incontestablement, le GIGN et le RAID sont composés de personnels qui s’entraînent toute la journée, acquièrent une expertise et développent des doctrines pour intervenir. Néanmoins, tout cela se fait en liaison avec la BRI-PP, qui travaille de plus en plus avec le RAID. Ces deux unités ont des formations et des équipements communs. S’il fallait faire une gradation, je place la BRI-BAC au-dessus des BRI de la direction centrale de la police judiciaire en termes d’intervention.

M. le président. Mais en deçà du RAID.

M. Jean-Marc Falcone. En deçà du RAID s’agissant des prises d’otages de masse.

M. le président. Ce qui était le cas au mois de novembre.

Vous placez la BRI-PP au-delà des BRI situées hors du ressort de la préfecture de police de Paris, grâce à son entraînement spécifique, mais elle ne peut pas être considérée au même niveau que le RAID. Nous sommes bien d’accord ?

M. Jean-Marc Falcone. Elle s’en rapproche de plus en plus…

M. le président. Mais elle n’est pas au même niveau. Et c’est bien pour cela que nous nous demandons pourquoi vous n’avez pas confié cette opération au RAID, d’autant que vous lui aviez donné l’ordre d’intervenir.

M. Jean-Marc Falcone. Je lui avais donné l’ordre de se diriger sur Paris pour se mettre à disposition du préfet de police afin de renforcer les unités d’intervention, puisque l’on nous rapportait une multitude d’attentats. Je n’avais pas à donner au RAID l’ordre d’intervenir.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Au regard de ce qui s’est passé le 13 novembre, on mesure bien l’importance des primo-intervenants. Hors de Paris, ce sont essentiellement les hommes et les femmes qui composent la DGPN et la Gendarmerie nationale.

Depuis les attentats, quels moyens ont été donnés à vos effectifs en matière d’équipement ? Le ministre a annoncé un certain nombre de mesures, notamment pour les brigades anti-criminalité et les compagnies de sécurisation et d’intervention. Pouvez-vous nous en dire plus sur le plan d’équipement prévu ?

La question de la formation au tir a souvent été évoquée, surtout après les attentats de janvier, alors que plusieurs fonctionnaires de police, confrontés aux frères Kouachi, avaient tiré à plusieurs reprises sans atteindre leur cible. Cette formation a-t-elle été renforcée ? Ou bien du fait de l’augmentation des effectifs a-t-il été nécessaire de réduire la formation initiale au tir ?

En matière de formation continue, un policier de voie publique tire réglementairement quatre-vingt-dix cartouches par an – ce nombre est plus élevé pour les membres des services spécialisés, tels que la BAC. Or il semble que la qualité des formations dépende beaucoup des formateurs. Dans certains centres, par exemple, il est possible de s’entraîner sur des cibles mouvantes, tandis que dans d’autres il n’y a que des cibles fixes. Prévoyez-vous de faire évoluer cette formation ?

Par ailleurs, les stages « Amok », destinés aux primo-intervenants, semblent avoir été suspendus. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

S’agissant de la doctrine d’emploi, des consignes sont-elles passées sur la manière dont les primo-intervenants pourraient intervenir dans les situations de tueries de masse ?

Enfin, quel est votre point de vue sur la manière dont les forces d’intervention sont réparties sur le territoire ? Le critère territorial semble parfois un peu dépassé au regard de l’actualité et de la menace. Où en est cette réflexion, et de quelle manière envisagez-vous les choses à titre personnel ?

M. Jean-Marc Falcone. Après les attentats de janvier, nous avions considéré en effet qu’une nouvelle forme de terrorisme se développait sur le territoire national, celle des tueries de masse menées par des gens qui refusent de négocier et qui veulent aller jusqu’au bout de leur « mission ». Nous avons donc estimé qu’il fallait revoir le dispositif des primo-intervenants.

Nous avons distingué trois niveaux. Le service général, c’est-à-dire police-secours, arrivera le premier sur les tueries de masse, car les gens appelleront le 17. Ces agents ont pour consigne de stabiliser la situation, de rendre compte et de faire intervenir d’autres unités. C’est la doctrine à laquelle j’ai fait référence dans mon propos introductif et qui est expliquée dans la fiche - réflexe de décembre 2015.

Une deuxième catégorie de personnel, plus rompu, est constituée par les unités d’intervention en province, qui sont les BRI de la DCPJ et les BAC. Ces dernières représentent 3 200 personnes réparties sur l’ensemble du territoire.

Les BRI-PJ sont déjà équipées de protections individuelles et collectives et d’armes lourdes performantes. Tel n’était pas le cas des BAC. À la demande du ministre de l’Intérieur, un plan BAC a donc été développé – mon homologue de la Gendarmerie en bénéficiera pour ses pelotons de surveillance et d'intervention de la Gendarmerie (PSIG) – afin de doter ces unités de protections individuelles : caques balistiques et gilets capables d’arrêter des cartouches de Kalachnikov. Surtout, il a été décidé de les doter d’armes longues nouvellement acquises – le Heckler & Koch G36 – capables de tirer des munitions de calibre 5,56 mm, équivalentes à celles des Kalachnikov.

Les livraisons prévues par ce plan ont d’ores et déjà commencé, et s’accompagnent de formations, notamment au maniement de cette nouvelle arme. Tout cela fera partie du schéma national d’intervention.

La doctrine d’emploi est prévue dans les fiches auxquelles j’ai fait allusion. L’une porte sur les ceintures d’explosifs – phénomène hélas nouveau sur le territoire français Une autre est consacrée aux surattentats, pour faire en sorte, autant que faire se peut, de les éviter. Enfin, une fiche expose la doctrine d’intervention pour les primo-intervenants en cas de tueries de masse : quels sont les réflexes qu’il convient d’avoir.

Concernant les stages « Amok », au vu des événements, nous utilisons désormais, dans le cadre des nouvelles doctrines d’intervention, les fiches - réflexes, et le RAID assure dans toutes les directions départementales de la sécurité publique des formations pour faire face aux tueries de masse de ce genre.

M. le rapporteur. S’agissant de la formation au tir, nos policiers s’entraînent-ils mieux aujourd’hui ?

M. Jean-Marc Falcone. Tous les policiers sont dotés de pistolets automatiques Sig-Sauer de calibre 9 mm. À l’école de police, ils tirent 390 cartouches en 44 heures de formation.

M. Pierre Lellouche. Ça ne fait pas beaucoup de cartouches par heure.

M. Jean-Marc Falcone. La formation comprend également des mises en situation.

M. le rapporteur. Ce volume a-t-il diminué récemment ?

M. Jean-Marc Falcone. Non, il est resté identique.

Le recyclage consiste en trois tirs par an au minimum, soit 90 cartouches, et concerne tous les personnels qui doivent être formés.

S’agissant du pistolet-mitrailleur – c’est aujourd’hui le Beretta, mais la situation sera identique avec le nouveau modèle – l’habilitation en école est de six heures et 60 cartouches, et la réhabilitation se fait tous les ans, avec 30 cartouches, afin d’assurer un maintien en condition.

Ce volume de formation n’a pas baissé, et ne baissera pas dans le cadre de la nouvelle scolarité.

J’en viens à la répartition territoriale. Les forces d’intervention comprennent le RAID central, basé à Bièvres, et une antenne RAID dans chacune des six zones de défense – les GIPN ont été transformés en antennes RAID pour répondre au besoin d’un état-major commun. Par ailleurs, 336 fonctionnaires composent la BRI nationale de la police judiciaire auxquels s’ajoutent les BRI réparties sur l’ensemble des directions interrégionales de police judiciaire. Nous disposons aussi des 3 200 fonctionnaires des brigades anti-criminalité, qui sont réparties sur les 330 circonscriptions de sécurité publique et qui assurent le maillage de l’ensemble du territoire métropolitain et de l’outre-mer.

M. le rapporteur. Le GIGN est intervenu en zone police, vos forces sont intervenues en zone gendarmerie, nous avons évoqué la difficile relation parfois entre la BRI et le RAID dans Paris intra-muros : cette répartition territoriale et administrative a-t-elle encore un sens ? Une réflexion est-elle en cours pour spécialiser ces forces ? On le sait, le GIGN est plus spécialisé, par exemple, sur les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques.

M. Jean-Marc Falcone. Pour moi, la répartition administrative a toujours un sens pour les missions courantes, qui sont nombreuses : forcenés, prises d’otages de basse intensité, interpellations effectuées presque tous les matins en assistance de la DGSI ou de la SDAT.

Pour les tueries de masse, le ministre nous a demandé de ne plus tenir compte de la répartition administrative – et nous avons travaillé en ce sens avec le préfet de police et mon homologue, le DGGN. En cas de tueries de masse, il n’y aura plus de zone police et de zone gendarmerie : ce sera la force la plus proche et la plus disponible qui interviendra et qui sera menante tant que les autres forces territorialement compétentes ne seront pas arrivées sur le site. Et si l’intervention est très engagée, la première force intervenante gardera la main pour des raisons évidentes.

M. le président. Il semblerait que les BAC, primo-intervenantes au Bataclan, se soient trouvées démunies face aux terroristes, du fait de la faiblesse de leur équipement et de leur armement. Les militaires de la force Sentinelle, présents sur les lieux, avaient quant à eux des armes longues. Les policiers ont donc demandé à ces militaires d’intervenir, pour arrêter l’avancée des Kalachnikovs. Mais ordre aurait été donné de ne pas faire intervenir l’armée, ni même d’utiliser leurs armes.

M. Jean-Marc Falcone. Je ne suis pas informé de cela.

M. Pierre Lellouche. J’ai également été frappé par ce témoignage d'un policier, auquel le militaire disposant d’une arme longue qu’il avait sollicité avait répondu qu’il n’avait pas d’ordre. L’ordre devait venir, m’a-t-on dit, de la salle de commandement. De quoi s’agit-il ?

M. Jean-Marc Falcone. C’est la préfecture de police.

M. Pierre Lellouche. Cela dépend-il de vous ?

M. Jean-Marc Falcone. Non, il s’agit des salles de commandement de la préfecture de police.

M. Pierre Lellouche. Donc l’emploi éventuel de forces militaires à côté des vôtres dépend de la préfecture de police ?

M. Jean-Marc Falcone. Sur Paris. J’ignorais les instructions auxquelles vous faites allusion.

M. Pierre Lellouche. Comment est-ce possible ?

M. Jean-Marc Falcone. Parce que je ne suis pas compétent sur Paris. C’est le préfet de police qui a l’entière compétence sur l’ensemble du territoire de la capitale, tout comme pour le déclenchement de la FIPN. Je n’ai donc pas eu connaissance de cette instruction, et je n’avais pas à en connaître.

M. Pierre Lellouche. Vous avez 145 000 agents sous vos ordres, dont le RAID et l’ensemble des BAC !

M. Jean-Marc Falcone. À l’exception des fonctionnaires de police de la préfecture de police de Paris.

Mme Françoise Dumas. Cela vous semble-t-il pertinent dans la situation ?

M. Pierre Lellouche. Je trouve cela aberrant !

M. Pascal Popelin. Ce n’est pas une découverte.

M. le président. Le directeur a clairement répondu que cela ne relevait pas de sa compétence territoriale.

M. Christophe Cavard. C’est la troisième commission d’enquête à laquelle je participe, et j’ai déjà eu l’occasion de vous entendre depuis 2012. Aujourd’hui, la presse, et en particulier L’Obs, revient sur la guerre des polices. Est-ce un fantasme, ou existe-t-il des problèmes de coordination ? Imaginez la surprise que peut provoquer la lecture de certaines déclarations, dont celle d'un général que nous allons auditionner après vous !

Par ailleurs, il existe un débat concernant le rôle et les fonctions des renseignements territoriaux, qui dépendent de la direction centrale de la sécurité publique. Les choses se sont largement améliorées depuis 2012, mais de votre point de vue, d’autres évolutions de ce service particulier sont-elles souhaitables ? Pourrait-il contribuer à fournir des renforts afin de pallier les problèmes d’effectifs ?

Enfin, s’agissant de l’utilisation des deux forces que sont la police et la gendarmerie, j’ai cru comprendre à la lecture de la presse que le ministre avait donné des consignes, au moins pour les unités d’élite. Comment cela va-t-il être mis en œuvre ?

M. Jean-Marc Falcone. S’agissant de la supposée guerre des polices, ce n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire de la police et de la gendarmerie de notre pays. La Gendarmerie nationale et la Police nationale disposent, incontestablement, de compétences et d’expertise, celle-ci étant d’ailleurs identique dans de très nombreux domaines.

J’ai également lu cet article de L’Obs, et je ne m’y suis pas reconnu. Avec le général Favier, nous avons fait d’énormes progrès. Tout d’abord, nous nous entendons bien, ce qui compte car les institutions sont aussi faites d’hommes, et de chefs. En outre, le ministre de l’Intérieur apprécierait peu que des guerres des polices puissent à nouveau voir le jour, au vu des événements dramatiques que nous vivons. Nous et nos hommes savons très bien que nous ne pouvons pas jouer à cela.

M. Christophe Cavard. Je fais référence aux propos des chefs du RAID et de la BRI.

M. Jean-Marc Falcone. Ces gens ont notre respect, parce qu’ils montent au feu ; leur position n’est pas celle des deux chefs de la police et de la gendarmerie, je peux vous l’assurer.

En ce qui concerne le Service central du renseignement territorial (SCRT), la Direction centrale des renseignements généraux a été supprimée. Une partie de ses effectifs a rejoint la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de l’époque, et l’autre, 700 ou 800 personnes, est partie dans les SDIG – services départementaux d’information générale – dont le nom même ne mentionnait plus le renseignement, ce qui montre bien que toute la doctrine du renseignement avait disparu du dispositif. Au bout de deux ou trois ans, il est clairement apparu que les effectifs et l‘expertise de ces services étaient insuffisants. Ainsi, le SDIG du département dont j’étais préfet comprenait une dizaine de personnes alors que quelques années auparavant, la direction départementale des renseignements généraux en comptait vingt-cinq ou trente !

La création de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) par le ministre de l’Intérieur de l’époque a coïncidé à la création du Service central du renseignement territorial – le mot « renseignement » est réapparu, et ce n’est pas qu’une question de sémantique. Actuellement, il regroupe 2 200 à 2 300 équivalents temps plein. Il est réparti sur l’ensemble du territoire : un important service central à Paris assure les synthèses, les analyses et les expertises, et une division nationale du renseignement permet de se pencher sur des événements majeurs pour assurer l’aide et l’assistance au personnel territorialement compétent.

M. François Lamy. Monsieur le directeur général, quel était votre niveau d’information sur l’état de la menace terroriste entre le 7 janvier et le 13 novembre ? On entendait notamment beaucoup parler du risque d’attaques simultanées.

Avez-vous fait des propositions au ministre de l’Intérieur entre ces deux dates en matière d’organisation des services de police ? L’existence d’une note que le Premier ministre aurait eue en main au soir du 13 novembre, recommandant entre autres la déclaration de l’état d’urgence, a souvent été évoquée. Des mesures avaient-elles été envisagées ?

Ma troisième question peut appeler une simple réponse par oui ou non, mais c’est la plus difficile. Je connais l’histoire de la préfecture de police de Paris, et les raisons de son existence. Pensez-vous qu’il soit toujours d’actualité d’avoir, au sein de la Police nationale, un État dans l’État qui dispose notamment de ses propres services de renseignement ? Est-ce encore utile ?

M. Jean-Marc Falcone. Les services de renseignement, l’UCLAT et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) produisent de manière hebdomadaire des notes sur l’état de la menace. Le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur n’ont cessé de répéter que le niveau de la menace n’avait jamais été aussi élevé.

Nous avions connu les prémices en octobre 2015 à Joué-lès-Tours, lorsqu’une personne radicalisée est entrée dans le commissariat avec un couteau pour tuer les policiers avant de se faire neutraliser. Nous avions donc des informations, le directeur général que je suis avait des informations, peut-être pas aussi poussées que la DGSI dont c’est le métier, mais au vu des échanges de renseignements qui existent entre les directions générales, je savais que le niveau de menace était élevé.

S’agissant des propositions que j’ai pu faire au ministre de l’Intérieur, nous avons notamment revu les plans de formation et d’équipement des fonctionnaires. Lorsque nous avons travaillé sur la COP 21, nous avions proposé le rétablissement temporaire des frontières, et le dispositif a été mis en place dès le 13 novembre au soir pour assurer la protection nécessaire à la suite des attentats. Nous avions également mis en œuvre la collaboration entre le GIGN et le RAID pour coordonner ces deux forces.

Donc j’étais bien informé, et nous avons travaillé individuellement et collectivement au sein de réunions d’état-major hebdomadaires sur le terrorisme et l’ordre public, autour du ministre de l’Intérieur. Nous avons tous participé à l’élaboration de différentes stratégies et de différents plans.

S’agissant de la préfecture de police, j’estime qu’à Paris, il doit y avoir un préfet de police et une préfecture de police, parce que les problèmes y sont spécifiques. Il faut donc un patron pour diriger l’ensemble des forces de police de la capitale, qui doit ainsi disposer d’une autorité organique et fonctionnelle sur ses effectifs.

M. François Lamy. Il y a un préfet de police qui a autorité sur les policiers à Marseille. Or vous êtes également compétent sur cette ville.

M. Jean-Marc Falcone. Pas tout à fait.

M. François Lamy. Le préfet de Marseille est en effet directement rattaché au ministre de l’Intérieur, si je me souviens bien.

M. Jean-Marc Falcone. Mais à Lyon, par exemple, je peux diriger les forces de l’ordre.

M. Pierre Lellouche. À Lyon, vous connaissez le mode d’emploi des militaires, mais pas à Paris.

M. Jean-Marc Falcone. À Lyon, le jour où il faudra faire intervenir les militaires, cela se fera avec le préfet de Lyon.

M. Pierre Lellouche. Mais vous avez une doctrine sur l’utilisation des militaires en cas de tuerie de masse ?

M. Jean-Marc Falcone. Non, elle n’existe pas.

M. Pierre Lellouche. Comptez-vous en élaborer une ?

M. Jean-Marc Falcone. Le travail est en cours avec le ministère de la Défense.

M. le président. La question de M. Lamy était très précise. L’existence de la préfecture de police de Paris, survivance du passé, se justifie-t-elle encore compte tenu des menaces qui pèsent aujourd’hui sur notre pays ? Encore une fois, c’est un problème institutionnel et non pas de personne.

M. Jean-Marc Falcone. Si les choses se passent bien entre le préfet de police et les directeurs généraux, au vu de la spécificité de Paris, avoir un préfet de police de plein exercice se justifie, à condition de ne pas faire de la PP une forteresse.

M. le président. Dans un de ses livres, le nouveau garde des sceaux avait proposé la suppression de la préfecture de police de Paris…

M. Meyer Habib. Le facteur temps est essentiel. Le 13 novembre, il y a eu l’attaque au Stade de France puis cinq événements en parallèle. Les terroristes ont tué près de cent personnes au Bataclan avant l’arrivée d’un commissaire de la BAC, qui en neutralisant l’un d’entre eux a mis, semble-t-il, un terme au massacre.

À la limite, peu importe le déclenchement ou non de la FIPN, car le temps qu’elle se prépare et qu’elle arrive, il est déjà presque trop tard. Comment faire en sorte d’avoir, en permanence, dans les grandes villes, des forces équipées et prêtes à partir dans la minute, comme cela se passe dans certains pays ? Il faut des gens formés capables d’arriver en un temps minimum. Pour mener une opération comme celle de Saint-Denis, les forces d’intervention sont maîtresses du temps. Dans le cas de tueries de masse, en revanche, le temps ne nous appartient pas, et les terroristes tuent. Seul un élément qui perturbe leur stratégie peut les arrêter.

Comment faire pour disposer dans le futur de forces prêtes à intervenir de façon immédiate ? Certes, c’est très difficile sur un territoire de 550 000 kilomètres carrés, mais au moins dans les grandes villes.

M. Pierre Lellouche. Ma question porte sur le commandement, et elle rejoint celle de François Lamy. Je trouve invraisemblable que le commandement à Paris relève du préfet, invraisemblable que vous soyez compétent à Lyon mais pas à Paris. Ce point devra effectivement être abordé dans les conclusions de notre rapport.

Je voulais revenir sur la chronologie : vous avez dit avoir fait converger sur Paris 215 policiers de la grande couronne vers 21 h 40. Par contre, vous faites intervenir le RAID bien après. Votre réflexe est donc de mobiliser les BAC des départements plutôt que le RAID ?

M. Jean-Marc Falcone. Pas du tout monsieur le député. C’est à 22 h 40 que j’ai donné l’ordre aux policiers de converger vers Paris.

M. Pierre Lellouche. Sauf que les policiers de la BAC de Créteil étaient à 21 h 42 au Bataclan.

M. Jean-Marc Falcone. L’ordre que j’ai donné à 22 h 40 s’adressait aux équipages de la grande couronne, afin qu’ils aillent prêter main-forte au préfet de police. Nous avons donné les instructions à partir du centre interministériel de crise (CIC) de la place Beauvau.

M. Pierre Lellouche. Mais le personnel de la BAC était déjà au Bataclan depuis une heure, à 21 h 40.

Ce qui m’interpelle, c’est que lorsque le policier de la BAC demande les conditions d’emploi du militaire, on ne sait pas lui répondre. Et vous faites, quant à vous, intervenir les forces spécialisées une heure après l’arrivée des policiers de terrain sur place. Il y a certainement de bonnes raisons à cela, mais j’aimerais les connaître.

Enfin, vous dites avoir créé autour de vous un état-major opérationnel et de renseignement...

M. Jean-Marc Falcone. Non, c'est mon service central du renseignement qui me nourrit en renseignement.

M. Pierre Lellouche. Y a-t-il près de vous un endroit où tout le renseignement converge ? Le service de renseignement qui rend compte à votre état-major, c’est celui de la police, qui n’est pas branché sur les autres ?

M. Jean-Marc Falcone. Monsieur Habib, les instructions données par le ministre de l’Intérieur, qui vont être déclinées dans le schéma d’intervention, répondent à votre préoccupation. Ce schéma conjugue en effet l’intervention, avant l’arrivée des forces spécialisées, des primo-arrivants et surtout des BAC et des BRI que nous équipons pour leur permettre d’intervenir dans les meilleures conditions de sécurité et avec les moyens d’attaque ou de défense les plus performants – j’y ai fait référence tout à l’heure. D’ici à la fin du mois de mai, la formation, l’équipement et le parc automobile seront donc adaptés pour pourvoir procéder à des interventions en cas de tueries de masse, dans l’objectif de stabiliser et de neutraliser la situation, à l’instar de ce qui s’est passé au Bataclan.

On ne peut évidemment pas créer des unités d’intervention sur l’ensemble du pays. Elles sont situées le plus harmonieusement possible sur le territoire. Et en cas de tueries de masse, il n’y aura plus de secteur police et de secteur gendarmerie : c’est la force d’intervention la plus proche des lieux du drame qui interviendra.

Monsieur Lellouche, mon état-major a contacté le chef du RAID à 21 h 45, pour mobiliser la force d’intervention. Je l’ai moi-même appelé quelques minutes plus tard, avant de rejoindre le CIC place Beauvau. Ensuite, quand je suis arrivé au ministère de l’Intérieur, j’étais accompagné de mes directeurs centraux, dont le directeur central de la sécurité publique, avec lequel nous avons échangé. Nous avons considéré que si cela continuait à frapper sur Paris, il faudrait apporter du renfort à la préfecture de police, pas des forces d’intervention, mais du service général. Nous avons donc envoyé les patrouilles disponibles, sans réduire à néant la présence policière dans les quatre départements de la grande couronne.

À 22 h 40, nous avons requis des unités pour assurer des points de barrage, de l’assistance, des patrouilles. Le préfet de police aurait ainsi pu les envoyer dans les gares – on ne savait pas si tous les auteurs de ces massacres étaient fixés. Les forces d’intervention ont constitué la priorité, même si la FIPN n’a pas été mise en œuvre : le but était d’envoyer le plus grand nombre d’unités formées et armées pour mettre fin à ces événements. C’est dans un deuxième temps, que nous avons décidé de mettre des unités du service général à disposition de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) du préfet de police.

M. Serge Grouard. Monsieur le directeur général, j’ai le sentiment que nous n’étions pas du tout préparés à ces attentats, que c’est la sidération qui l’a emporté. Comment vous, ainsi que l’ensemble des policiers et des intervenants, l’avez-vous ressenti ?

Vous avez mentionné toutes les évolutions en cours à la suite des attentats du 13 novembre – schéma national d’intervention, doctrine d’emploi pour les primo-intervenants, enquêtes de la police judiciaire, plan BAC, etc. Mais pourquoi ne pas avoir pris ces mesures plus tôt ? Certes, il est toujours facile de soulever ces questions a posteriori –nous sommes à huis clos et cela n’a pas vocation à être porté sur la place publique. Pourquoi ne pas avoir agi après les attentats de janvier, d’autant qu’avant cela, il y avait eu des attentats de masse partout dans le monde, en Espagne, en Grande-Bretagne…. Peut-être avons-nous pensé – et nous aussi, chers collègues – que la France était sanctuarisée et que cela n’arriverait pas chez nous. Pourquoi a-t-il fallu attendre le carnage du 13 novembre pour commencer à prendre les choses en compte ?

M. Pascal Popelin. Sur la FIPN, j’ai bien noté dans vos explications qu’elle avait été créée dans un contexte d’organisation des forces d’intervention différent de celui qui existe aujourd’hui, s’agissant en particulier de l’articulation du RAID et des GIPN, qui forment maintenant une structure intégrée. Nous avons également observé que sur le terrain, au Bataclan, l’articulation opérationnelle entre BRI et RAID semble avoir été convenable.

Considérez-vous que si nous avions formellement été dans le dispositif FIPN, cela aurait amélioré l’efficience de l’organisation des interventions au cours de la soirée ? Ou cela n’aurait-il rien changé ?

M. Jean-Michel Villaumé. Je voudrais revenir sur les conditions d’emploi des forces armées. Il y a 10 000 hommes mobilisés sur le territoire, plusieurs milliers à Paris. Quel regard portez-vous sur le rôle des militaires ? Pourriez-vous mieux travailler ensemble, ou les militaires de l’opération « Sentinelle » doivent-ils rester une force de dissuasion ?

M. Jean-Marc Falcone. Monsieur Grouard, même lorsqu’on est directeur général de la police nationale, directeur de cabinet du ministre, préfet de police ou directeur général de la gendarmerie nationale, on a forcément un moment d’interrogation quand on vous annonce des dizaines de morts et des attaques multiples. Mais nous n’étions pas dans la sidération et nous comprenions très bien ce qui se passait. Certes, nous ignorions comment les choses se déroulaient exactement et combien de temps cela durerait, mais nous savions très bien, à entendre les témoignages qui nous arrivaient, que ces événements correspondaient hélas à un scénario que d’autres pays avaient d’ores et déjà connu.

Mon propos introductif a été volontairement rapide et schématique, mais nous avions mis en place un certain nombre de dispositifs dès les attentats du mois de janvier dernier. Nous avions ainsi travaillé sur les doctrines d’emploi, préparé des commandes d’armement et de protection pour nos fonctionnaires. J’avais réuni les organisations syndicales avant la fin du mois de janvier pour envisager un déploiement de matériel. S’agissant de la coordination entre le GIGN et le RAID, il existe des notes antérieures au 13 novembre.

Non, tout n’a pas été fait après le 13 novembre : l’état-major auquel je faisais allusion est antérieur, la salle d’information également, ainsi que les recrutements. Le plan BAC a été décidé par le ministre lorsqu’un fonctionnaire de la BAC du 93 a pris une balle dans la tête sur un braquage – et c’était avant les attentats de novembre.

Bien évidemment, après le 13 novembre, il a fallu confirmer la cohérence de ces dispositifs doctrinaux, organisationnels, d’équipement, de ressources humaines, mais nous avions travaillé dès les 9 et 10 janvier, pour développer au sein de la police nationale – préfecture de police comprise – un dispositif de déploiement et d’acquisition de nouveau matériel car nous avions alors considéré que l’on risquait d’avoir besoin de ce dispositif au vu de la menace.

Dès la fin 2014, le Service central du renseignement territorial s’est réorienté, comme je l’ai dit précédemment, sur la radicalisation et le terrorisme afin de suivre un certain nombre d’objectifs pouvant être considérés comme dangereux, avec un spectre de gravité différent selon les individus. Nous n’avons pas fait monter le renseignement territorial dans sa compétence radicalisation et terrorisme après le 13 novembre. Cela s’est fait avant, avec notamment le développement de la plateforme d’appels sur la radicalisation de l’UCLAT. Et après l’attentat dans l’usine de Saint-Quentin-Fallavier, il a été décidé de créer l’EMOPT – l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme. De nombreux dispositifs ont donc été mis en place avant le 13 novembre.

S’agissant de l’opération au Bataclan, la FIPN est une procédure qui met un homme à la disposition du préfet de police – puisqu’elle ne peut pas être mise en œuvre sur le territoire métropolitain, où seul le RAID est compétent.

M. le président. La décision de ne pas mettre en œuvre la FIPN a été prise en plein accord avec le ministre de l’Intérieur ?

M. Jean-Marc Falcone. Oui, le préfet de police n’a pas exprimé le souhait de voir mettre en place la FIPN.

M. le président. Donc le ministre de l’Intérieur était parfaitement informé ?

M. Jean-Marc Falcone. Oui, nous étions tous dans la même salle.

M. Pascal Popelin. Cela n’a même pas été abordé ?

M. le président. Monsieur le directeur général, où étiez-vous physiquement, avec le préfet, lorsque la décision de laisser intervenir la BRI en force menante a été prise ?

M. Jean-Marc Falcone. J’ai appelé le RAID lorsque je me dirigeais vers le CIC, qui se trouve dans les sous-sols du ministère de l’Intérieur.

M. le président. Qui était présent à ce moment-là ?

M. Jean-Marc Falcone. Il y avait mon homologue de la gendarmerie…

M. le président. C’est-à-dire le général Favier ?

M. Jean-Marc Falcone. Oui. Il y avait également les directeurs centraux, des représentants des autres ministères, puisque c’est une salle interministérielle.

M. le président. Il n’y avait pas le ministre ?

M. Jean-Marc Falcone. Le ministre est arrivé après, avec le Président de la République et le Premier ministre. Ils sont venus faire un point.

À aucun moment, dans cette salle, nous n’avons parlé de la mise en œuvre de la FIPN.

M. le président. Cela n’a été évoquée à aucun moment, ni par vous, ni par le préfet de police, ni par le ministre ?

M. Jean-Marc Falcone. Le préfet de police était absent, par définition, puisqu’il était sur le terrain.

M. le président. La question ne s’est même pas posée ?

M. Jean-Marc Falcone. L’objectif, cette nuit-là, était de mettre à disposition du préfet de police le maximum de forces d’intervention compétentes pour mettre un terme à ces tueries.

M. le président. Nous sommes bien d’accord. Mais dans le cadre de cette réflexion, personne n’a suggéré, à aucun moment, de mettre en œuvre la FIPN ?

M. Jean-Marc Falcone. Non.

M. François Lamy. Le préfet de police était sur le terrain ?

M. Jean-Marc Falcone. Oui.

M. François Lamy. Dans la défense, il y a un état-major et un commandement tactique, qui est sur le terrain. Le 13 novembre, le principal décideur n'était pas dans la salle de commandement, mais sur le terrain. Et donc, difficilement joignable.

M. Jean-Marc Falcone. Je n’ai pas essayé d’entrer en contact avec le préfet, je le laisse travailler.

M. le président. Le préfet de police n’était donc pas au CIC à ce moment. C’est pourtant lui qui aurait compétence pour demander la mise en œuvre de la FIPN.

M. Jean-Marc Falcone. Il était sur le terrain, entouré de ses directeurs, du chef de la BRI et de Jean-Michel Fauvergue, chef du RAID. Il a considéré, au vu des événements et d’une situation qu’il vivait et en tant que responsable, qu’il n’avait pas à demander la FIPN.

M. le président. L’autorité politique aurait-elle pu se dispenser de l’avis du préfet de police, et prendre l’initiative de mettre en œuvre la FIPN sans que le préfet de police ne la demande ?

M. Jean-Marc Falcone. Le ministre commande le préfet de police, le GIPN, et tout le monde. Il aurait pu le faire à condition que nous en ayons débattu, ce qui n’a pas été le cas. Notre seul souci était d’envoyer des forces. Et celui qui était responsable de ces forces pour mettre un terme à cette tuerie était le préfet de police.

Le préfet de police était sur place, les forces d’intervention lui ont dit comment elles comptaient intervenir, et il a pris sa décision en tant que directeur des opérations.

M. Pierre Lellouche. À Lyon, il en aurait été autrement.

M. Jean-Marc Falcone. Cela aurait été exactement la même chose.

M. le président. Pas tout à fait, il n’y a pas de compétence exclusive.

M. Jean-Marc Falcone. À Lyon, c’est le RAID qui est compétent. Or la FIPN ne peut pas être mise en œuvre que lorsqu’il y a deux forces.

M. le président. Le RAID est compétent à Paris à partir du moment où l’on déclenche la FIPN. Si on ne le fait pas, le RAID n’est pas compétent.

M. Jean-Marc Falcone. Le RAID peut intervenir à Paris sans déclenchement de la FIPN, en tant que force concourante. Si l’on déclenche la FIPN, il devient menant, sous les ordres directs du préfet de police.

M. le président. Voilà, et ce n’est pas le cas hors de Paris.

M. Pascal Popelin. Les choses sont bien claires : le seul changement qu’aurait entraîné le déclenchement de la FIPN – qui n’a été ni évoqué ni demandé – eût été que le patron du RAID serait mécaniquement devenu le patron d’une opération qui, en l’occurrence, a été menée par le préfet de police et la BRI, avec l’appui du RAID qui était présent et qui s’est coordonné avec les autres unités.

M. le rapporteur. Le RAID aurait donc été menant sous l’autorité du préfet de police.

M. Jean-Marc Falcone. Le responsable, à Paris comme dans tous les départements, c’est le représentant de l’État et du Gouvernement, soit comme le prévoit la Constitution, le préfet.

M. Pierre Lellouche. Convenez qu’il n’est pas neutre de donner, ou non, le commandement opérationnel, sous l’autorité du préfet, à l’organisme le plus expérimenté parmi vos forces pour les tueries de masse et le terrorisme.

La question est bien celle-ci : quelle est la doctrine d’emploi des forces spécialisées sur la lutte antiterroriste un soir comme celui-là ? Il n’est pas neutre que ces forces ne soient pas employées comme forces menantes. Il est de notre devoir d’essayer de comprendre.

M. Jean-Marc Falcone. J’essaie de vous apporter les réponses les plus objectives possibles.

M. Pierre Lellouche. Si la raison, c’est que le préfet est souverain, elle n’est pas satisfaisante. Le Gouvernement est souverain, et en l’occurrence le ministre de l’Intérieur, qui a l’autorité hiérarchique sur tous les préfets, y compris le préfet de police de Paris.

M. le président. Au final, la BRI était menante, et s’agissant de nos deux forces d’élite nationales, qui nous sont enviées par le monde entier, l’une était concourante et est restée au rez-de-chaussée, tandis que l’autre était sur le pied de guerre à la caserne des Célestins. En fait, nos deux forces d’élite étaient en retrait.

M. Pascal Popelin. Eu égard à l’audition des différents intervenants précédents, et à la suite du déplacement fort utile sur site jeudi dernier, je ne pense pas que l’on puisse dire que le RAID ait été simplement concourant. Il était effectivement sous l’autorité du préfet de police, comme cela aurait de toute façon été le cas, mais bel et bien coacteur de l’opération.

Il est toujours facile de refaire le film après coup, mais je considère à titre personnel qu’avoir cantonné le GIGN à la caserne des Célestins au cas où d’autres événements encore se seraient produits ailleurs avait du sens.

M. Alain Marsaud. C’est une évidence !

M. le président. La réflexion que nous menons porte sur l’avenir. En tout état de cause, nous n’inventons rien puisque des réflexions en cours sur la territorialité, sur les doctrines d’emploi. Il est donc normal que nous posions ces questions.

Messieurs, il me reste à vous remercier de votre disponibilité.

*

* *

Audition, à huis clos, du général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, et du colonel Samuel Dubuis, membre de son cabinet.

M. le président Georges Fenech. Mon général, mon colonel, nous vous remercions d'avoir répondu à la demande d'audition de notre commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Vous savez que nous avons déjà tenu de nombreuses auditions consacrées tout d'abord aux victimes et à leur prise en charge par les secours, puis à la chronologie des événements de janvier et de novembre 2015 sur lesquels nous avons d'ailleurs eu l'occasion de vous entendre.

Nous poursuivons avec vous une nouvelle phase de nos travaux, commencée aujourd'hui avec le directeur général de la police nationale, et qui tend, à la lumière de l'expérience des attentats de janvier et novembre 2015, à nous interroger sur les moyens et les missions des forces de sécurité intérieure, et donc maintenant sur ceux de la gendarmerie.

Cette audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptible de nous délivrer, se déroule à huis clos. Elle n'est donc pas diffusée sur le site internet de l'Assemblée. Néanmoins, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l'issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions qui se déroulent à huis clos sont au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations sont soumises à la commission, qui peut décider d'en faire état dans son rapport.

Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende – toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l'article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Le général Denis Favier et le colonel Samuel Dubuis prêtent successivement serment.

Je vous laisse la parole pour un exposé liminaire qui sera suivi par un échange de questions et réponses.

Général d’armée Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de m’accueillir à nouveau. Je suis très heureux de pouvoir m’exprimer devant vous sur les adaptations que la gendarmerie a dû réaliser dans les mois qui viennent de s’écouler pour faire face à la menace terroriste.

Mes propos liminaires se limiteront à dresser quelques constats sur l’état actuel d’une menace que vous connaissez, qui a été définie ici à plusieurs reprises. Mon analyse vise surtout à vous exposer les conséquences que j’en tire en termes d’adaptation de mon dispositif.

Premier constat : nous sommes confrontés à une menace terroriste qui s’inscrit dans la durée. Notre adaptation ne peut donc pas être ponctuelle mais elle implique – il faut vraiment le souligner – une rénovation profonde de notre action.

Deuxième constat : cette menace terroriste latente, diffuse, est caractérisée par un faible coût des armes utilisées qui favorise le passage à l’acte, mais aussi par son lien avec la grande délinquance de droit commun. Cette caractéristique nous contraint à mieux combiner les opérations de police administrative et de police judiciaire. Il s’agit d’une priorité et des directives ont d’ores et déjà été données aux unités pour optimiser ce volet essentiel.

Troisième et dernier constat : aucun point du territoire national n’est préservé, ce qui nous oblige à avoir une approche globale pour l’ensemble du pays. La compétence de la gendarmerie s’étend sur 95 % du territoire national, une zone où réside une partie importante de la population mais où se trouvent aussi de nombreux sites sensibles : des centrales nucléaires, des usines de type Seveso, de grands centres commerciaux construits à la périphérie des villes, et la plupart des sites militaires sensibles, pour ne citer que quelques exemples emblématiques.

Une fois ces constats dressés, j’ai défini quatre domaines dans lesquels notre action devait être améliorée : le renseignement ; le contrôle des flux et en particulier des entrées sur le territoire national ; le maillage territorial des unités d’intervention, sujet au cœur de l’actualité et de vos préoccupations, qui fait l’objet d’une réflexion très avancée au ministère de l’Intérieur ; notre capacité de résilience, à développer en lien avec la réserve opérationnelle de la gendarmerie et une future garde nationale française.

Dans le domaine du renseignement, nous devons poursuivre le travail collectif déjà engagé et identifier les marges de progrès. La gendarmerie ne fait pas partie des six entités du premier cercle du renseignement et elle ne revendique pas d’en devenir membre. Les unités du premier cercle font leur travail et connaissent ce que j’appellerais du renseignement fermé. La gendarmerie nationale intervient dans le deuxième cercle, avec les unités de compétence générale de la police nationale, pour collecter et analyser le renseignement territorial.

Compte tenu de l’étendue de sa zone d’intervention, de ses 3 000 brigades, de ses 60 000 militaires de la gendarmerie départementale et de ses outils informatiques, la gendarmerie a les moyens de capter les signaux faibles dans le territoire, de les analyser et de les faire remonter. Mieux prise en compte que par le passé, et s’appuyant sur un système de traitement des données très performant (la BDSP : base départementale de sécurité publique), cette capacité se révèle aujourd’hui essentielle, au regard notamment du nombre d’individus présentant des signes de radicalisation.

Dans cet esprit, nous avons décidé de créer 75 antennes de renseignement territorial (ART) dans des villes dans lesquelles nous sommes en zone de pleine compétence. Ce dispositif innovant produit d’ores et déjà des résultats probants. À titre d’exemple, je citerais Lunel, une ville qui a connu de nombreux départs pour le djihad, et d’où nous remontent des renseignements de toute première qualité depuis dix mois, ce qui nous permet de conduire une action particulièrement positive.

Notre positionnement en la matière pourrait se résumer ainsi : ancrage dans le renseignement territorial et valorisation de cette chaîne ; présence dans l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) qui a été constitué au sein du ministère de l’Intérieur après l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier, à un moment où nous avons réalisé que certaines informations s’avéraient insuffisamment partagées. Cette structure, de taille réduite et où chacun des services est représenté, permet de fluidifier le partage des renseignements et de vérifier la réalité du suivi des personnes signalées et répertoriées au sein du fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Pour ma part, je considère qu’il s’agit d’une avancée très positive qu’il faut entretenir au cours des années à venir.

Deux pistes d’amélioration pourraient être explorées. D’une part, et à l’instar de notre présence au sein de la Direction du renseignement militaire (DRM), de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) et de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), entités du premier cercle, je suis favorable au détachement de gendarmes au sein de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il serait intéressant d’explorer cette piste au cours des prochains mois.

D’autre part, et afin de conforter le haut niveau de coopération entre le renseignement territorial et la gendarmerie, il me paraîtrait opportun de réfléchir au positionnement du Service central de renseignement territorial (SCRT).

Deuxième domaine d’améliorations possibles et qui, à mes yeux, est très important : le contrôle des flux. Depuis les attentats de janvier 2015, je considère que les points vulnérables de notre dispositif sont incontestablement les nœuds autoroutiers, les gares ferroviaires et les aéroports. Nous devons mieux contrôler, dans la profondeur du territoire, tous les axes qui convergent vers les villes et qui servent de vecteurs aux terroristes, qu’il s’agisse d’infrastructures routières, ferroviaires, portuaires ou aéroportuaires.

C’est la raison pour laquelle il faut notamment développer le système de lecture automatisée de plaques d’immatriculation (LAPI), qui serait encore plus performant si les données étaient collectées au plan national. Le système de traitement central de lecture LAPI (STCL) que je défends permettrait de détecter des mouvements de véhicules sur l’ensemble de nos axes routiers, mais il faudrait aussi faire évoluer les textes pour que nous puissions vraiment exploiter ces données. Quoi qu’il en soit, nous avons là un moyen de développer une action attendue de sécurisation du territoire national.

Dans ce domaine, nous pouvons également bâtir un engagement avec les armées, notamment dans le cadre du dispositif Sentinelle. À chaque fois que nous avons tenu des barrières de péages, ce que nous avons fait après le 13 novembre pendant plusieurs semaines, nous avons obtenu des résultats importants. De tels dispositifs contribuent à valoriser le sentiment de sécurité et sont de nature à dissuader les actions terroristes.

Dépassons le cadre du territoire national et élargissons un peu le périmètre d’observation. Je pense qu’il faut, d’une manière plus large, dans la même optique de contrôle des flux, avoir une réelle action aux frontières extérieures de l’Union européenne. C’est le sens du dispositif que nous sommes en train de mettre en œuvre. Si l’on va au-delà, je pense que nous devons aussi porter un regard affûté sur les zones de départ des terroristes : l’Afrique, la Libye, les pays du pourtour Est de la Méditerranée. Nous avons là une action déterminante à conduire. C’est une action de police générale qui doit impliquer les unités de l’intérieur et sans doute aussi les armées. Ce faisant, nous pourrions développer une politique cohérente de contrôle des flux.

Troisième domaine : la doctrine et les schémas d’intervention. Les attentats de janvier et de novembre ont mis en évidence la nécessité de faire évoluer nos schémas et de rénover nos doctrines nationales, en distinguant différents niveaux d’intervention. Je prolonge aujourd’hui une analyse que j’avais déjà esquissée devant vous. Mettons à part l’intervention élémentaire, celles des primo-engagés qui arrivent sur un fait de nature gravissime et qui doivent le gérer comme on l’a toujours fait dans notre pays : en se positionnant, en observant, en ripostant, le cas échéant.

Nous devons travailler l’intervention intermédiaire, celle où nous avons une fragilité, selon le plan engagé par le ministre, qui implique les brigades anti-criminalité (BAC) et les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG). Avant l’intervention des unités du haut du spectre que sont les service de Recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) et le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), certaines unités doivent être capables d’engager le feu dans les quelques minutes qui suivent un début de tuerie planifiée. Nous devons développer de telles unités, en province notamment, en les dotant d’une puissance de feu renforcée, d’équipements de protection adaptés, et d’aides à la visée. Nous sommes en phase de montée en puissance dans ce registre et la gendarmerie aura atteint sa première cible au cours de l’été prochain : 50 PSIG « SABRE », répartis sur le territoire national, nous permettront ainsi de disposer d’une telle capacité intermédiaire.

Le GIGN et le RAID, les unités centrales spécialisées, doivent avoir des bras armés en province. La gendarmerie a trois antennes en province – à Toulouse, Orange et Dijon – auxquelles vont s’ajouter celles de Nantes, Tours et Reims dans le courant de l’année 2016. Ces unités sont en cours de formation et nous aurons à terme un dispositif assez solide, y compris outre-mer, puisque tous les départements et collectivités territoriales sont concernés. Nous allons notamment créer une antenne du GIGN à Mayotte, territoire sur lequel j’ai souhaité renforcer le dispositif d’intervention existant.

Voilà pour la théorie en matière d’intervention, mais nous devons également faire aboutir le schéma national d’intervention, qui fait l’objet d’importants débats. Nous devons notamment redéfinir ce que sont les unités du haut du spectre et ce qu’elles savent faire. Dans le cadre du schéma national d’intervention, nous avons listé des capacités qui font la différence en termes de contre-terrorisme. Nous avons également recensé les capacités des unités sur la base de déclarations ; il nous appartient à présent de vérifier leur existence réelle afin d’affiner le schéma national d’intervention.

Ce schéma, en cours de finalisation, rappelle les principes : l’unité concernée au premier chef est celle qui relève de la zone de compétence de la force considérée. Mais si cette dernière rencontre un problème technique ou si elle ne maîtrise pas une capacité nécessaire, une unité extérieure peut venir en force concourante. Ce schéma d’intervention me semble constituer une avancée considérable.

En matière d’intervention, la gendarmerie consent un effort important envers des groupes étrangers amis, notamment dans la bande sahélienne où nous devons nous déployer. Pour y être allé régulièrement, je considère qu’il y a là des menaces considérables, un besoin d’aide. Je préconise de reprendre la formation dans les cinq pays de l’arc sud sahélien – (la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad) – et le Sénégal ainsi que la Côte d’Ivoire, afin de les aider à faire face aux menaces auxquelles ils sont aujourd’hui confrontés et que nous pourrons avoir à affronter demain.

Quatrième domaine : la résilience et le rôle de la réserve de la gendarmerie. La réserve est un outil exceptionnel, constitué de 25 000 hommes et femmes, dont 70 % de personnes âgées de vingt-cinq à quarante ans et qui, en complément de leur activité professionnelle, viennent travailler en gendarmerie pour contribuer à leur propre sécurité, là où ils vivent. Ce concept, qui fonctionne vraiment très bien, me permet de faire travailler 1 500 réservistes chaque jour, de renforcer la couverture du territoire, de collecter du renseignement, d’affirmer une présence de l’État, et de rassurer nos concitoyens. Il est possible d’aller encore plus loin en sollicitant notamment les réservistes pour la sécurité quotidienne, je pense aux écoles et aux hôpitaux. Cette piste de réflexion mériterait d’être creusée. Le succès de la réserve s’explique par son ancrage dans les territoires qui nous permet de faire travailler les gens pendant des périodes très courtes, parfois de vingt-quatre heures seulement.

Voici en quelques mots, Monsieur le président, ce que je voulais dire pour lancer les débats. Je suis bien sûr à votre disposition si vous souhaitez approfondir certains sujets notamment en ce qui concerne les équipements utilisés dans le cadre du plan de lutte antiterroriste du début de l’année ou du pacte de sécurité de fin d’année.

M. le président Georges Fenech. Merci, mon général, pour ces explications liminaires qui sont très riches et novatrices, qui témoignent d’une vraie réflexion que vous devrez soumettre aux autorités politiques, en collaboration avec la police nationale. Vous proposez que le service du renseignement territorial (SRT) soit codirigé par la police et la gendarmerie, ce qui implique des évolutions structurelles considérables. Vous parlez de refonte totale, d’évolutions fondamentales.

Je vais rebondir sur vos derniers propos car les commissaires d’enquête ont besoin de comprendre, sur un plan technique, ce que vous savez faire et que d’autres ne savent pas faire. Vous dites par exemple que vous pouvez réaliser des brèches par effractions chaudes. Pouvez-vous nous décrire cette technique ? D’autres services, tels que la brigade de recherche et d'intervention (BRI), peuvent-ils le faire ? Quelle est la valeur ajoutée du GIGN en matière d’intervention ?

Général d’armée Denis Favier. Monsieur le président, je vais vous parler de mon métier, de ce que je sais faire.

Compte tenu de sa nature, le GIGN a développé son concept d’intervention contre-terroriste à partir de capacités militaires qu’il a adaptées aux missions de police. Voilà le cheminement suivi : nous partons de nos capacités militaires et nous en atténuons les effets secondaires pour diminuer les dommages collatéraux, par exemple, pour intervenir sur le segment de missions de police. Il est plus difficile d’effectuer le cheminement inverse, c’est-à-dire de partir de missions de police pour aller vers des opérations de contre-terrorisme qui supposent l’emploi de moyens lourds. C’est une démarche différente sur les plans intellectuel et technique.

Notre longue pratique des engagements opérationnels nous a conduits à évoluer, notamment à utiliser les explosifs depuis vingt ans. Pour maîtriser cette technique, qui suppose un dosage particulièrement fin, nous avons, au départ, procédé de manière empirique.

Nous avons notamment engagé cette réflexion en 1994, après l’opération de Marignane où nous sommes entrés par la porte d’un avion pour libérer des otages. Une fois éventé, un mode d’action est perdu, on ne peut plus le développer, il faut en trouver un autre. Avec la délégation générale de l’armement (DGA), nous avons alors développé de nouveaux procédés.

Nous savons aussi travailler en ambiance polluée par une substance nucléaire, radiologique, biologique ou chimique (NRBC), équipés de tenues légères ou de scaphandres.

M. le président Georges Fenech. Nous sommes au cœur du sujet. Y a-t-il des questions sur ces points-là ?

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Comment auriez-vous agi à Saint-Denis sur la porte qui a explosé sans tomber ? Avez-vous des techniques différentes de celles du RAID ?

Général d’armée Denis Favier. Pas plus qu’il y a deux semaines, je ne peux vous répondre sur ce dossier-là puisque je n’étais pas sur place.

M. Pierre Lellouche. Le RAID et la BRI savent-ils intervenir face aux produits NRBC ?

Général d’armée Denis Favier. Je ne peux vous répondre que pour le GIGN. Les équipements de protection font l’objet d’une dotation individuelle et sont rigoureusement contrôlés.

M. Pierre Lellouche. Imaginons qu’il y ait une attaque chimique dans Paris, dans le métro ou dans un grand magasin. Qui saura gérer la situation ?

Général d’armée Denis Favier. Ces capacités sont listées dans le schéma d’intervention et elles vont faire l’objet d’une vérification. Je peux vous parler de ce que j’ai.

M. Pierre Lellouche. Vous être trop poli pour parler des autres, mon général ?

Général d’armée Denis Favier. Je reviens sur la finalité du schéma d’intervention, parce que c’est un point clef. Dans ce débat, on ne peut pas s’en tenir aux déclarations. Le ministre veut qu’on aille vérifier, capacité par capacité, qui est capable de faire telle ou telle chose. C’est déterminant. Et au bout de la vérification capacitaire, on saura répondre à votre question : qui est capable d’engager des explosifs, de faire face à des risques NRBC ? C’est un point très important et attendu.

M. le rapporteur. Au Maroc, il y aurait eu des éléments d’une bombe sale. Le schéma, que vous êtes en train d’élaborer, prend évidemment en compte ce type de menace particulière. Avez-vous dès à présent augmenté les capacités d’entraînement ou les équipements pour y faire face ?

Général d’armée Denis Favier. Oui, très clairement.

M. le rapporteur. C’est une préoccupation très importante ?

Général d’armée Denis Favier. Les unités du haut du spectre s’en préoccupent depuis plusieurs années. Elles sont capables de traiter le problème de l’amont – travail sous scaphandre, détection de substances NRBC et d’explosifs – à l’aval, c’est-à-dire jusqu’à l’intervention proprement dite. Ce dossier, complexe et ancien, est largement soutenu par le SGDSN, notamment sur le plan financier. Nous ne sommes pas en retard.

M. Serge Grouard. Allez-vous jusqu’à la décontamination ?

Général d’armée Denis Favier. Nous intervenons en effet à tous les stades : détection, intervention, décontamination.

M. François Lamy. Confirmez-vous que, le 13 novembre, le GIGN était positionné à la caserne des Célestins pour réagir au cas où il y aurait eu d’autres attaques dans Paris ? Était-ce bien sa mission ?

Général d’armée Denis Favier. Je vous le confirme, comme il y a quinze jours, quand je vous avais donné des précisions sur les horaires d’arrivée et les unités engagées.

M. François Lamy. Parmi les mesures prises depuis le 7 janvier, nous avons l’opération Sentinelle qui a mobilisé jusqu’à près de 10 000 soldats et qui a connu les difficultés inhérentes à la mise en place d’un nouveau dispositif. Des gardes statiques se sont transformées petit à petit en gardes dynamiques. Les soldats, qui travaillent sous l’ordre du préfet – ce qui n’est pas dans leurs habitudes –, ont vu leur temps de formation se réduire de manière considérable : près des deux tiers des sessions de formation ont été annulés l’année dernière et le seront encore cette année, dans l’attente des recrutements. Certains soldats cumulent six à sept missions Sentinelle dans l’année, alors qu’ils font aussi des opérations extérieures (OPEX) et que leur métier est, après tout, de faire la guerre et non de garder des lieux de culte, pour faire simple.

Nous réfléchissons, les uns et les autres, sur la manière de réduire petit à petit l’importance du dispositif Sentinelle. On se pose des questions, y compris sur l’emploi des soldats, le soir des attentats. Qui donne l’ordre de tirer ? Comment ? Pourquoi ?

Or nous avons une force militaire qui peut aussi faire des opérations de police et de la garde statique ou dynamique de sites tels que les centrales nucléaires. Si une force a toute l’expérience pour accomplir les tâches de la mission Sentinelle, c’est la gendarmerie nationale. On va me répondre que c’est une question d’effectifs. Si on trouvait la solution en matière d’effectifs, la Gendarmerie nationale n’aurait-elle pas toutes les capacités pour remplir la mission Sentinelle, ce qui permettrait à nos soldats d’aller faire la guerre, ou de s’y préparer en tout cas, ce qui est leur mission première ?

Général d’armée Denis Favier. Je me suis exprimé à plusieurs reprises sur ce sujet très sensible. En tant que patron de la gendarmerie, je pense que nous faisons face de manière satisfaisante aux problématiques générales d’insécurité : les cambriolages ont régressé en 2015 ; notre engagement est fort ; nous faisons également face à de lourdes séquences de maintien de l’ordre.

Cependant, la nature de la menace que nous rencontrons nous conduit à optimiser les moyens nationaux et, dans ce contexte, le recours aux moyens militaires est intéressant. Toutefois, je ne défends pas l’idée qu’il existerait une rupture stratégique. Afficher ce constat reviendrait en effet à admettre que Daech est parvenu à conquérir une partie du territoire national. Ce n’est pas le cas.

Je reconnais volontiers un durcissement de la menace, mais je pense que nous pouvons gérer la situation avec les moyens conventionnels et juridiques dont nous disposons. L’état d’urgence nous permet de faire face à la plupart des situations. De mon point de vue, l’emploi des forces armées sur le territoire national doit être guidé par le principe de subsidiarité, ce qui n’est pas un terme péjoratif dans ma bouche, et reposer sur une étroite collaboration avec les forces de sécurité du ministère de l’Intérieur dans une logique de « menant-concourant ».

Je reste aujourd’hui persuadé que le ministère de l’Intérieur possède l’ensemble des expertises techniques pour faire face aux nouvelles menaces. En outre, les gendarmes et policiers sont capables de passer très rapidement d’une posture de sécurité publique à une posture d’intervention, avec le souci constant de la proportionnalité des moyens et de la force engagés. Ce principe de réversibilité fait partie de nos fondamentaux et constitue l’un des piliers de la formation dispensée dans l’ensemble de nos écoles.

Il faut à mon sens développer l’emploi des forces armées dans une logique de contrôle des flux, comme nous le faisons en Guyane pour lutter contre l’orpaillage illégal, dans le cadre de l’opération Harpie. Les armées et la gendarmerie sont engagées dans une même mission, avec un groupe de combat d’infanterie et deux officiers de police judiciaires (OPJ). Cet alliage de compétences a du sens. Les règles de l’état de droit sont respectées : le gendarme fait son travail de contrôle, de police administrative et de police judiciaire, mais en ayant le soutien et, si nécessaire, l’appui feu d’un groupe de combat. Ce dispositif Harpie a fait ses preuves sur le terrain et mériterait d’être transposé sur le territoire national, dans une logique de contrôle des flux qui permette d’entraver la liberté de circulation des terroristes et des délinquants tout en rassurant nos concitoyens.

Pour être complet dans ma réponse, monsieur le député, j’indique que, dans le courant du mois d’avril, à l’initiative de l’armée de terre et de la gendarmerie, nous allons engager une expérimentation de deux semaines dans le département de l’Isère. Nous allons tester cet engagement conjoint des deux institutions, dans une logique de contrôle des flux dans un département exposé à une délinquance très active, et en tirer ensuite des conséquences.

M. François Lamy. Vous n’avez pas totalement répondu à ma question. Si vous aviez les effectifs, est-ce que vous ne seriez pas plus efficaces et plus adaptés que les militaires pour remplir les missions de l’opération Sentinelle ? Vous avez toute la panoplie pour agir dans un tel contexte, y compris parce que vos gendarmes font aussi du renseignement quand ils surveillent un lieu de culte. C’est un peu dans leurs gènes, si j’ose dire.

Général d’armée Denis Favier. Si la gendarmerie avait bénéficié des renforts d’effectifs que vous évoquez, elle aurait produit un « effet terrain » significatif.

M. le rapporteur. Le 13 novembre, des informations utiles à l’intervention au Bataclan étaient parvenues par divers biais à certaines brigades de gendarmeries. Ces informations étaient-elles répercutées à la police et aux forces qui intervenaient sur le terrain ? Si oui, dans ces moments de crise, comment se fait la communication ? A contrario, quand le GIGN dirige les opérations, des informations vous parviennent-elles de la Police nationale, notamment à travers le 17 ?

Nous voyons tous l’importance des primo-intervenants et, comme le ministre de l’Intérieur, vous avez indiqué que tous les PSIG allaient être équipés avant le 1er juillet. Quel est le niveau de formation et d’entraînement au tir de vos gendarmes ? Combien de cartouches tirent-ils par an ?

Enfin, combien la gendarmerie surveille-t-elle de lieux, sous forme de gardes statiques ou mobiles ?

Général d’armée Denis Favier. La gestion de l’information diffère selon la nature de la crise, et celle du 13 novembre est ce qu’on appelle une crise à cinétique rapide, durant laquelle tout le monde recueille de l’information, les unités de gendarmerie comme les commissariats. Dans une crise aussi rapide, on n’a pas le temps de mettre en place un poste de commandement pour travailler le renseignement et recueillir toutes les données, notamment celles qui transitent par les réseaux sociaux. Entre le premier coup de feu au Bataclan et la résolution de la crise, il s’est écoulé deux heures ou deux heures trente. Ce laps de temps est trop court pour pouvoir exploiter l’ensemble des renseignements recueillis par nos brigades sur le territoire national.

On peut le faire lors d’une crise plus longue, s’il s’agit par exemple d’une prise d’otage au cours de laquelle on peut dérouler les artifices normaux, notamment la prise de contact par la négociation. On peut alors utiliser les outils qui permettent de travailler l’information : observation des réseaux sociaux, à titre d’exemple On ne peut pas mettre cela en place lors d’une crise qui nécessite un assaut d’urgence.

S’agissant des primo-intervenants et des primo-engagés, il a fallu bouleverser la doctrine. Jusqu’alors, en gendarmerie comme en police, quand nous étions confrontés à une tuerie subite et planifiée, la mission donnée aux premiers engagés était d’observer, de se poster et d’attendre le renfort des unités spécialisées, le haut du spectre. Ce n’est plus possible : on ne peut plus attendre parce que les terroristes tuent et qu’il n’y a pas de négociation possible ; nous devons intervenir très vite pour donner un coup d’arrêt, signifier qu'on est présent et qu’on ne laissera pas faire.

M. le rapporteur. Ce changement de doctrine est intervenu avant ou après le 13 novembre ?

Général d’armée Denis Favier. La réflexion a débuté après les attentats de janvier, elle a mûri dans le courant du printemps, nous avons bâti une doctrine conjointe avec la police en juin dernier, et nous en sommes à la mise en œuvre.

M. Meyer Habib. Elle n’a pas été employée le 13 novembre ?

Général d’armée Denis Favier. Le ministre a présenté ce plan le 23 octobre 2015 à Rouen et son application représente un travail considérable. Il faut faire évoluer les esprits et les procédés opérationnels. Pendant des années, les primo-engagés ont eu pour consigne de se poster, d’observer, de rendre compte et d’attendre, alors qu’on leur demande maintenant d’aller au contact. Il faut changer les doctrines d’emploi, les matériels et les concepts tactiques. C’est très compliqué. Nous avons franchi ce pas. Nous allons à Reims le vendredi 1er avril pour assister à l’entraînement des premières unités. Il a fallu acquérir l’armement. C’est fait.

Nous adaptons donc l’armement, les équipements balistiques, les concepts d’emploi. Nous achetons des boucliers balistiques. Il faut voir ce qu’est un bouclier balistique : c’est très lourd, et il faut l’intégrer dans une manœuvre de cellule. Dans certaines unités, il y avait beaucoup de gendarmes adjoints volontaires, c'est-à-dire des jeunes qui ne sont pas des militaires d’active. C’est pourquoi j’ai décidé que chaque PSIG SABRE serait composé de 2/3 de sous-officiers de gendarmerie. La direction générale suit avec la plus grande attention la montée en puissance de ce dispositif, y compris la formation aux outils et aux armes. S’agissant du volume de munitions tirées chaque année par nos gendarmes, il s’établit à environ 60 cartouches de 9 mm, ce qui a doublé par rapport au niveau d’entraînement antérieur aux attentats. Je vous transmettrai une note détaillant avec précision la formation au tir mise en œuvre depuis les attentats.

En ce qui concerne Sentinelle, je ne suis pas très favorable à ce que des gendarmes mobiles soient engagés dans des dispositifs statiques qui, à mon sens, ne sont pas suffisamment efficients. Ce concept doit évoluer. La gendarmerie garde actuellement cinq sites dans Paris. Des moyens passifs, électroniques, pourraient être utilisés. Il faut optimiser nos capacités en moyens techniques pour dégager de la ressource vive qui peut alors être employée à d’autres missions.

M. le rapporteur. Vous êtes spécialisés sur les explosifs et les risques NRBC. La territorialisation des forces d’intervention a-t-elle encore un sens ? La pratique évolue en cas de tuerie de masse, mais ne faut-il pas aller plus loin ? Lors des attentats du mois de janvier 2015, le GIGN, le RAID et la BRI sont intervenus dans des zones ne relevant pas de leurs compétences. À votre avis, les choses doivent-elles évoluer sur ce point ? Si oui, de quelle manière ?

Général d’armée Denis Favier. Elles vont évoluer avec le schéma national d’intervention.

M. le rapporteur. Il faudrait aller encore plus loin.

Général d’armée Denis Favier. Dans 95 % des cas, le métier des unités spéciales consiste à maîtriser un forcené, à résoudre une prise d’otage à mobile crapuleux ou une situation de rétention familiale, à arrêter des individus dangereux à leur domicile. Dans ces cas, la question de la compétence territoriale a du sens. Ce dont nous parlons aujourd’hui représente les 5 % du métier qui nécessitent que l’on revisite les process. Le schéma d’intervention va nous y aider. Il faudra alors que nous sachions engager, quelle que soit la zone de compétence, tous les moyens disponibles. Ce schéma va nous permettre, en fonction des problèmes rencontrés, d’engager des moyens détenus au titre des capacités particulières par telle ou telle unité, dans une logique de « menant » et « concourant ». Nous allons déboucher à court terme sur cette évolution qui me semble notable. Pour les 5 % que j’évoque, nous allons évoluer dans ce sens.

M. Christophe Cavard. Mon général, vous avez donné une information qui m’intéresse particulièrement : vous regrettez que la gendarmerie ne soit pas associée au plus haut niveau à la DGSI. Avec les militaires de la DGSE et de la DRM, vous êtes entre vous, même si c’est déjà une évolution. Que pourrait vous apporter une présence au sein de la DGSI ?

La question de la codirection du renseignement territorial se pose, à un moment où une vraie réflexion est menée sur le renfort qu’ils peuvent apporter. Vous avez cité l’exemple de Lunel pour valoriser le rôle des brigades, là où elles sont, et prôner une fluidification de l’information. À une époque, l’information se faisait dans un sens mais il n’y avait pas beaucoup de va-et-vient. Comment ces évolutions se passent-elles concrètement ?

Les assignations à résidence et autres décisions administratives, qui se multiplient, ne concernent pas seulement les villes. En tant que gendarmes, comment êtes-vous préparés à y faire face ?

M. le président Georges Fenech. Je vous rappelle, chers collègues, que nous avons prévu tout un bloc pour le renseignement, donc nous aurons l’occasion d’auditionner la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) qui dépend du général Favier.

Général d’armée Denis Favier. La DGGN entretient des rapports très constructifs avec la DGSI et le niveau de coordination a évolué de manière positive depuis quelques années. Nous avons clairement décloisonné le suivi des personnes signalées et assignées à résidence, notamment grâce à la création auprès du ministre de l’Intérieur de l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) consécutivement à l’attentat de Saint-Quentin Fallavier du juin 2015. Je suis favorable au détachement d’un officier de liaison au sein de la DGSI.

S’agissant du renseignement territorial, et comme je l’indiquais au début de mon intervention, il me semble opportun de conduire une réflexion sur le positionnement du Service central de renseignement territorial.

M. Christophe Cavard. Il y a un souci ?

Général d’armée Denis Favier. Dans les départements, le détachement de gendarmes au sein des SDRT, la réunion hebdomadaire du bureau de liaison ont permis de rehausser le niveau de coordination de façon intéressante. Il faut poursuivre dans cette voie, notamment dans le domaine du suivi des individus radicalisés.

Quant aux assignations à résidence, nous en avons pris notre part : nous avons conduit 1 200 perquisitions administratives, et nous avons eu jusqu’à soixante-dix assignés à résidence entre le 13 novembre et la fin février – il doit en rester une dizaine. La DGSI nous avise systématiquement dès lors qu’un individu est assigné à résidence dans notre zone de compétence.

M. Philippe Goujon. Sur le renseignement, j’aimerais approfondir la question précédente. D’après votre réponse, la solution optimale ne serait-elle pas que vous soyez intégré dans le premier cercle de la communauté du renseignement, puisque vous regrettez de ne pas avoir de correspondant à la DGSI et la codirection du SCRT ?

Le GIGN était à la caserne des Célestins, à proximité du Bataclan, prêt à intervenir. Tant mieux, mais cela n’a pas été possible à cause de la territorialisation. On nous dit que vous étiez placés là en réserve, pour éventuellement intervenir dans d’autres secteurs. N'est-ce pas un handicap ? Vous étiez peut-être le service le plus près du Bataclan, et celui qui serait intervenu le plus rapidement. Ne faudrait-il pas envisager une sorte de fusion des forces d’intervention ou au moins une interopérabilité ? La question se pose d’autant plus que la BRI nous a indiqué qu’elle avait eu du mal à accéder au site, en raison de la circulation parisienne.

Vous parlez d’une garde nationale qui pourrait occuper une partie des missions dévolues à l’armée dans le cadre de l’opération Sentinelle. La réserve opérationnelle, transformée en garde nationale, serait sous l’autorité de la gendarmerie. Quel rôle pourrait-elle précisément avoir dans ce type de mission ?

Ma dernière question porte sur les effectifs dont vous disposez. Vous n’êtes pas convaincu par les gardes statiques, ce que je peux comprendre. Nombre d’escadrons sont mobilisés pour la garde de palais nationaux, l’Assemblée nationale, le palais de justice, etc. Dans ces conditions, n’est-il pas opportun de diminuer ces forces ? Nous sommes certes en situation de crise, mais il serait peut-être possible d’employer d’autres moyens ou d’autres effectifs, de façon que vous récupériez des personnels.

Général d’armée Denis Favier. Monsieur le député, je ne revendique pas le rattachement au premier cercle : c’est un renseignement particulier qui relève de la sécurité intérieure, alors que je me situe plutôt sur l’information générale. La place de la gendarmerie dans le deuxième cercle est satisfaisante. Si je pense que nous devons être présents à la DGSI, c’est pour mieux travailler la zone frontière entre le premier et le deuxième cercles.

Le GIGN était en effet présent à la caserne des Célestins avec quarante-cinq hommes. Aurait-il pu changer la donne ? Franchement, je n’en suis pas convaincu. Au moment où il est arrivé, beaucoup de choses avaient déjà été faites. Je ne peux pas répondre dans ce sens-là. Je n’en suis pas certain. Je n’ai de surcroît pas une connaissance exacte de ce qui s’est passé à l’intérieur du Bataclan.

Faut-il fusionner les unités d’intervention ? Il s’agit des fleurons des deux maisons. Il nous faut être responsable pour avoir un outil performant. À mon avis, en cas de tuerie planifiée et face à des situations d’urgence qui se déroulent toujours au moment le plus défavorable, nous devons collectivement accepter – et c’est le schéma d’intervention qui va nous y conduire – l’engagement immédiat de toutes les capacités disponibles.

Dans un tel contexte, il ne faut plus se poser la question de savoir qui fait quoi ; il faudra que nous allions tous très vite mettre un terme à la situation de crise. C’est une question de responsabilité. Il faudra que l’on prenne les moyens disponibles à l’instant considéré. Le schéma prévoit cette situation d’action placée sous le signe de l’urgence absolue. Je pense qu’on devra y faire face. Le GIGN se tient d’ores et déjà en mesure de se déployer plus rapidement, en particulier sous la forme de petites équipes « toutes capacités » dont la mission sera de donner un coup d’arrêt aux auteurs des faits. Nous avons bien vu comment se comportent les terroristes : au premier coup d’arrêt, la donne change. Nous devons nous placer dans cette logique. Si nous allons au bout du schéma d’intervention, nous allons y parvenir à très court terme.

La gendarmerie possède une expertise unanimement reconnue en matière de gestion et d’emploi des réservistes opérationnels. Notre réserve opérationnelle tire son efficacité de sa « territorialité ». Si on veut la gérer sur le plan national, faire travailler dans le nord de la France pendant un mois un individu qui habite dans la région Centre, cela n’ira pas. Nous devons pouvoir faire travailler les individus là où ils vivent et pendant des durées extrêmement courtes. Tout autre schéma, qui n’irait pas dans ce sens, rencontrera de mon point de vue de sérieuses difficultés de mise en oeuvre. Les préfets sont les mieux armés, le cas échéant avec l’appui de la gendarmerie, pour piloter cette forme de réserve « garde nationale » qui me semble être un concept intéressant.

Votre dernière question concernait les gardes statiques. J’en assure cinq et j’ai quatre escadrons mobilisés dans ce cadre.

M. Philippe Goujon. Ces gardes concernent surtout les palais nationaux et le palais de justice.

Général d’armée Denis Favier. Nous allons bientôt récupérer une partie des escadrons mobilisés au palais de justice : c’est la préfecture de police de Paris qui assurera la garde des nouveaux locaux, dont les travaux avancent très rapidement, aux Batignolles. Il faudra néanmoins conserver un certain nombre de postes car la cour d’appel et la Cour de cassation demeureront sur l’île de la Cité.

M. Pierre Lellouche. Votre exemple sur la Guyane m’a un peu étonné. Pour y avoir passé un peu de temps avec la gendarmerie, j’ai pu observer que le système de coopération avec l’armée se passait bien, en effet, mais que notre politique de lutte contre les orpailleurs était un échec retentissant. Avec tout le respect que je vous dois, je n’utiliserais pas cet exemple, même si je vois bien que vous faites allusion au fonctionnement opérationnel.

M. le président Georges Fenech. Nous ne sommes pas saisis du problème des orpailleurs.

M. Pierre Lellouche. D’accord, mais le général parlait de la coordination entre les militaires et la gendarmerie dans le cadre de la lutte antiterroriste, en donnant l’exemple de la Guyane où, malheureusement, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

J’avais une question précise sur ce qui s’est passé à Cambrai, quand Salah Abdeslam était en vadrouille. D’après la presse, la voiture où il se trouvait aurait été contrôlée à trois reprises. Elle l’a été à coup sûr à Cambrai, par la gendarmerie. Pourquoi les gendarmes n’avaient-ils aucun renseignement ? Pourquoi le système de renseignement n’a-t-il pas fonctionné entre Paris et vos hommes sur le terrain ? En plus, nous avons appris ensuite que les informations ne circulaient pas entre les Belges et nous : la totale ! Comment peut-on régler ce problème ?

Sur le renseignement, votre idée de rattacher le SCRT au directeur général de la gendarmerie et au directeur général de la police devrait être l’une des conclusions de notre commission, tant elle paraît évidente : il n’y a aucune raison pour que le renseignement territorial dépende de la police et non de la gendarmerie alors que vous y contribuez.

S’agissant du fonctionnement en premier et deuxième cercles, permettez-moi de vous dire que, par opposition au renseignement classique interétatique, le renseignement antiterroriste nécessite de regrouper l’ensemble de l’information dans un lieu unique et dans un délai très rapproché entre la collecte et l’utilisation opérationnelle. Autrement dit, le fait que la gendarmerie ne soit pas dans le premier cercle, alors que vous avez des capteurs sur tout le territoire, me paraît un non-sens. Vous faites preuve d’une grande diplomatie en vous déclarant très bien dans le deuxième cercle mais, en vérité, il faut un aquarium où toutes les informations arrivent, soient traitées et transmises le plus vite possible sur le terrain.

Ma dernière question porte sur un point très important : le renseignement humain. Avez-vous des informations sur ce que font ces groupes à Lunel, Molenbeek ou ailleurs ? Pour notre part, nous n’en avons pas. En revanche, nous voyons que M. Salah Abdeslam peut survivre quatre mois sans téléphone dans un quartier où il est nourri et logé. Il n’est finalement repéré que sur dénonciation, ce qui veut dire que les services de renseignement sont absolument sourds et aveugles. C’est très inquiétant. Quelle est votre capacité de pénétrer ces milieux ?

Général d’armée Denis Favier. Monsieur le député, en prenant l’exemple de la Guyane, je faisais référence aux structures. En termes de structures, nous avons mené une réflexion et la coordination fonctionne bien désormais entre l’armée de terre et la gendarmerie pour accomplir cette mission difficile dans un environnement inhospitalier. L’expérience me semble intéressante et peut être dupliquée.

À Cambrai, nous avons mis un dispositif de contrôle dans la nuit du 13 au 14 novembre. Le matin du 14 novembre, cette voiture s’est présentée sur le point de contrôle au péage de Thun-Lêvèque sur l’autoroute A2. Il y avait trois hommes à bord, dont Salah Abdeslam. Les gendarmes les ont interceptés et ils ont interrogé les fichiers. Une fiche est sortie, effectivement, mais c’était une fiche police judiciaire Schengen et non pas une fiche S française : l’individu était connu pour un trafic de stupéfiants entre la Belgique et les Pays-Bas. À ce moment précis, personne ne savait que c’était l’homme que nous recherchions. La conduire à tenir était de le relâcher et de signaler son passage.

M. Pierre Lellouche. N’avez-vous pas dit vous-même qu’il existe un lien entre la criminalité organisée et le terrorisme ? Ce n’était pas dans les tuyaux à ce moment-là ?

Général d’armée Denis Favier. Le lien a été établi depuis plusieurs mois. Le gendarme, qui connaissait l’existence d’un tel lien, a retenu l’individu contre toute règle de droit, et a téléphoné au bureau SIRENE France, chargé de la gestion opérationnelle de la partie nationale du système d’information Schengen. Il sentait qu’il y avait peut-être quelque chose. Vérification faite, le bureau SIRENE a dit au gendarme de laisser passer. Le travail a été fait. Le gendarme a été prudent : outrepassant son rôle, il a pris des photographies du passeport qui ont été utilisées par la suite pour rechercher des renseignements. L’enquête établit par la suite l’implication directe des individus dans les attentats du 13 novembre. Je rappelle que la fiche qu’avaient les gendarmes n’était pas une fiche S.

J’en viens à votre question sur le rattachement du SCRT au directeur général de la gendarmerie et au directeur général de la police. Tous les services lourds et conjoints entre police et gendarmerie qui fonctionnent bien – qu’il s’agisse de coopération internationale, de télécommunications, de systèmes d’information ou d’achats d’équipements – sont copilotés par les deux directeurs généraux. Dans cet esprit, il pourrait être envisage de repositionner le SCRT.

Vous revenez sur la question du premier et du deuxième cercles du renseignement. Le gendarme agit de manière ouverte. Il est connu de la population. Dans le deuxième cercle, je peux rassembler de l’information générale, la transmettre en vue d’alimenter une base de données. Je peux rester dans le deuxième cercle et être associé au renseignement de nature terroriste. Comme je vous l’expliquais il y a quelques instants, il nous faut collectivement amplifier la fluidité des échanges de renseignement, dans le sens montant et descendant. L’EMOPT incarne ce nouveau souffle dans le domaine essentiel du suivi effectif et adapté des individus radicalisés.

M. Pierre Lellouche. La solution, c’est qu’il n’y ait qu’un seul cercle.

Général d’armée Denis Favier. En ce qui concerne le renseignement humain, il faut être prudent. Il n’est pas évident de rentrer dans certains secteurs. La création des antennes de renseignement territorial (ART) s’est accompagnée de pédagogie pour expliquer tout l’intérêt d’avoir des gendarmes insérés au cœur des populations. Si on le fait, on recueille vraiment des renseignements qu’on n’avait pas avant. À Lunel, les gendarmes vivent dans la cité, ils sont dans le club de sport avec les jeunes de la ville. Il en résulte un échange d’informations extrêmement fluide, vraiment bénéfique et qui va dans le sens d’un retour d’informations particulières que vous évoquez. Nous avons progressé dans ce domaine et nous poursuivons notre montée en puissance.

M. Guillaume Larrivé. Mon général, vous avez évoqué l’opportunité qu’il y aurait à disposer de nouveaux moyens juridiques pour mieux contrôler les flux d’entrées sur le territoire national. Sur quels points les législateurs que nous sommes pourraient-ils faire évoluer le droit ?

Général d’armée Denis Favier. Une mesure importante consisterait à optimiser le système LAPI, qui enregistre les vues des voitures et lit leurs plaques d’immatriculation. Nous ne disposons que d’applications locales qui ne permettent pas d’exploiter les données sur le plan national. Dans une optique post 13 novembre, il serait pertinent de connecter l’ensemble des capteurs de la DGG N, de la DGPN et des douanes à un système centralisé pour que l’exploitation de l’information soit instantanée.

Je vous transmettrai dans les tout prochains jours les propositions que je formule destinées à accroître l’efficacité des opérations de contrôle des flux.

M. Guillaume Larrivé. Si le président et le rapporteur en sont d’accord, je pense qu’une note écrite de la direction générale de la gendarmerie nationale sur ces points juridiques serait effectivement utile.

M. Meyer Habib. Mon général, vous avez parlé de l’importance des 1 500 réservistes que vous employez tous les jours. J’ai la conviction qu’à moyen, court ou long terme, nous devrons responsabiliser tous les citoyens, c'est-à-dire que nous devrons revenir à une forme de service militaire. Je crains que nous ne soyons obligés de responsabiliser et de former, au moins à un niveau minimum, la population, comme cela se passe hélas dans certains pays qui vivent avec ce genre de menace.

Venons-en à la doctrine. Comme dans toutes les armées du monde, il existe une compétition saine entre les différents corps d’armée et de police, qui doit s’effacer dans les situations d’urgence absolue. Nous vivons aussi à une époque « d’ubérisation » : le client veut le taxi qui va arriver le plus tôt parce qu’il est le plus près ; il préfère une 4L qui vient le chercher dans la minute à une Rolls Royce qui est à une heure et demie de lui. L’objectif est d’avoir, dans toutes les grandes villes, des forces adaptées capables d’intervenir le plus rapidement possible. Le fait qu’un commissaire de la BAC ait réussi à tuer l’un des trois assaillants du Bataclan, changeant ainsi le cours des événements, montre bien l’importance d’aller au contact le plus vite possible. Que pensez-vous de l’idée d’avoir le maximum de fonctionnaires de police, voire de militaires, armés, répartis dans la population ?

Général d’armée Denis Favier. La réserve est un outil formidable qui permet de faire le lien avec la société. Durant l’été, au mois de juillet, nous formons des jeunes qui sont ensuite reconnus aptes au service dans la réserve, et qui font un travail de gendarme pendant une vingtaine de jours par an. Ce sont des jeunes de la société civile qui rendent un service. C’est responsabilisant pour eux et c’est bon pour notre société. Ce système fonctionne vraiment bien. Je préside chaque année une cérémonie de fin de formation et c’est très impressionnant : en un mois, ces lycéens changent ; ils ont une autre vision de la société et ils s’inscrivent vraiment dans une logique d’intérêt général. Je suis un fervent défenseur de la réserve. Pour la gendarmerie, la cible idéale serait de 40 000 réservistes opérationnels.

Après le 13 novembre, nous avons vu arriver dans les brigades, des personnes qui demandaient ce qu’ils pouvaient faire pour aider. Ils peuvent sécuriser des écoles en faisant traverser les enfants à la sortie des classes, intervenir dans les hôpitaux, etc. Les gens veulent apporter leur contribution à l’intérêt général. On peut étendre le concept, même si je ne suis pas convaincu qu’il faille aller vers le modèle de la garde nationale américaine. Il n’est pas question de cela. Mais nous avons quelque chose à bâtir sur le territoire national. En tout cas, dans mon domaine, je vais vraiment loin en ce qui concerne la réserve.

La doctrine doit en effet évoluer, et les travaux que nous avons engagés tendent à doper les capacités des primo-intervenants. Le port de l’armement « hors service » est autorisé au sein de la gendarmerie durant la période couverte par l’état d’urgence. Cette disposition est rigoureusement encadrée, elle permet aux militaires volontaires et évoluant dans des territoires sensibles d’en bénéficier.

M. le président Georges Fenech. Général, ne pensez-vous pas qu’il manque, à côté de la cellule interministérielle de crise (CIC), un état-major opérationnel qui institutionnaliserait le salon fumoir ?

Général d’armée Denis Favier. Cela fait partie des retours d’expérience auquel le ministre nous a demandé de réfléchir. Il pourrait y avoir une structure permanente. Au-delà de la permanence classique, qui fait remonter les informations de portée générale, nous devons avoir une structure plus opérationnelle, qui s’emboite plus harmonieusement avec les postes de commandement des directions générales.

M. le rapporteur. Au mois de janvier, vous étiez au fumoir puis sur les lieux, à Dammartin-en-Goële. Quand vous allez sur le terrain, ne faites-vous pas défaut au ministre ?

Général d’armée Denis Favier. Je suis allé à Dammartin-en-Goële au moment où la crise allait s’y terminer.

M. le rapporteur. Elle était à Dammartin-en-Goële et à l’Hypercacher ensuite, dans une zone qui, certes, ne relevait pas vraiment dans votre compétence territoriale. Nous devons redouter des crises multiples, se déroulant dans divers endroits comme le 13 novembre. Le patron de la gendarmerie, le préfet de police et tous les chefs doivent-ils être nécessairement sur le terrain ? Il nous a été dit qu’il valait mieux être sur le terrain pour passer les ordres et avoir les informations le plus rapidement possible. Ce qui se passe au fumoir, place Beauvau, est-il moins important ?

Général d’armée Denis Favier. En janvier, nous avons respecté les différentes phases. La phase fumoir était nécessaire pour bâtir l’opération à forte connotation judiciaire et gérer la crise dans sa globalité nationale. J’étais à ma place au fumoir pour diriger l’opération dans ma zone de compétence et faire des propositions d’engagement au ministre. Cette période a duré deux jours. La manœuvre de contrôle de zone autour de la station-service était pilotée depuis Paris, par des ordres allant dans le détail jusqu’à la répartition des zones d’engagement de la police et de la gendarmerie. Nous avons procédé ainsi durant toute la nuit du 8 au 9 janvier. Le matin du 9 janvier, nous avions le résultat de notre opération : les frères Kouachi ont tenté de sortir du dispositif. Ils ont été décelés et se sont réfugiés dans l’imprimerie et nous savions qu’ils ne pourraient plus en bouger. Il s’agissait de contribuer à la résolution de la crise qui allait s’achever là.

M. le rapporteur. Pardonnez-moi d’insister, mon général, mais nous sommes très préoccupés par le risque de multi-attentats qui peuvent se dérouler aussi dans votre zone de compétence. Que se passe-t-il si une deuxième crise survient alors que vous êtes allé sur le terrain pour résoudre la première ? Au fumoir, qui vous accompagne ?

Général d’armée Denis Favier. La direction active à chaque crise son centre des opérations qui a la capacité de piloter les opérations sur l’ensemble du territoire, de recueillir le renseignement en temps réel, de me renseigner en permanence et de relayer mes directives à l’ensemble des chefs territoriaux. La continuité du commandement est ainsi garantie, quel que soit l’endroit où je me trouve.

M. le rapporteur. J’imagine mais n’y a-t-il pas une perte d’information ?

Général d’armée Denis Favier. Très sincèrement, je ne le pense pas. Je suis allé à Dammartin-en-Goële, imprégné de l’esprit de l’opération à mettre en œuvre. La place de la gendarmerie a été tenue au « fumoir » : des collaborateurs, comme le colonel Dubuis, ici présent, ont suivi toute l’opération depuis le CIC et le « fumoir ». Nous ne perdons pas le fil. À un moment, il faut que le patron aille sur le terrain.

M. le rapporteur. La place d’un patron est vraiment au cœur de l’opération ?

Général d’armée Denis Favier. C’est ainsi que je conçois l’exercice du commandement, surtout au moment crucial.

M. Christophe Cavard. J’ai une dernière question concernant les PSIG qui peuvent devenir des primo-intervenants en zone gendarmerie, si j’ai bien compris.

Général d’armée Denis Favier. Cette capacité de primo-intervention sera détenue par les 150 PSIG « SABRE » dont le déploiement est programmé selon un plan triennal à raison de 50 unités par an. Les premiers seront opérationnels au cours de l’été 2016.

M. Christophe Cavard. D’aucuns ont « glorifié » la réaction spontanée d’un officier qui entre, qui tue, qui ressort, en prenant la décision tout seul. Mais dans ce cas-là, il n’y a plus de protocole, plus rien. Comment préparez-vous les personnels, qui pourraient être des primo-intervenants, au changement de protocole d’intervention ?

Général d’armée Denis Favier. Le changement de notre doctrine d’intervention nécessite bien évidemment un effort de pédagogie et de formation vis-à-vis de nos personnels, notamment vis-à-vis des militaires affectés au sein des PSIG « SABRE ». Ce travail est en cours. C’est la raison pour laquelle je mets moins de volontaires et plus de professionnels. Ces PSIG vont, à 98 %, faire le travail de surveillance générale normale. Un jour peut-être, ils vont être confrontés à une situation où ils devront agir en primo-intervenants. Cette réversibilité ne saurait s’improviser.

M. le président Georges Fenech. Nous avons terminé cette audition très riche. Il me reste à vous remercier d’avoir répondu à nos nombreuses questions.

*

* *

Audition, à huis clos, du général Bruno Le Ray, gouverneur militaire de Paris, et du colonel Marc Boileau, chef de cabinet.

M. le président Georges Fenech. Mon général, mon colonel, nous vous remercions d’avoir répondu à la demande d’audition de notre Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Vous savez que nous avons déjà tenu de nombreuses auditions consacrées tout d’abord aux victimes et à leur prise en charge par les secours, puis à la chronologie des événements de janvier et de novembre 2015 – à ce titre, nous avons d’ailleurs reçu des militaires de l’opération Sentinelle déployés dans le 11e arrondissement le soir du 13 novembre.

Mon général, en qualité de gouverneur militaire de Paris, vous êtes l’officier général de la zone de défense et de sécurité en Île-de-France (OGZDS) et commandez les unités déployées en Île-de-France dans le cadre de l’opération Sentinelle. Vous êtes également chargé de planifier les opérations en cas de troubles à l’ordre public, sur réquisition du préfet de police. Nous sommes donc désireux de vous entendre, tant sur l’action des forces armées sur les différents sites d’attentat et la coordination des forces de sécurité, que sur le dispositif Sentinelle en Île-de-France et ses éventuelles perspectives d’évolution.

En raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptible de nous délivrer, cette audition se déroule à huis clos, et n’est donc pas diffusée sur le site internet de l’Assemblée. Néanmoins, et conformément à l’article 6 de l’ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l’issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations seront soumises à la commission, qui pourra décider d’en faire état dans son rapport.

Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal (un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende) toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l’article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Le général Bruno Le Ray et le colonel Marc Boileau prêtent serment.

Je vais vous laisser la parole pour un exposé liminaire qui sera suivi par un échange de questions et réponses.

Général Bruno Le Ray. Monsieur le président, madame, messieurs, je suis très heureux de m’exprimer devant vous aujourd’hui en tant que gouverneur militaire de Paris. En poste depuis l’été 2015, j’exerce le contrôle opérationnel de l’ensemble des forces placées sous le commandement du chef d’état-major des armées. Au cours de ce propos liminaire, je vais vous rappeler les conditions d’engagement de nos forces, en particulier telles qu’elles ont été appliquées les 13 et 14 novembre derniers.

Les attentats de janvier avaient déjà créé un contexte exceptionnel, notamment sur le plan militaire, avec le déploiement d’un nombre important de militaires sur le territoire national, en particulier en Île-de-France. Les attentats de novembre ont eu pour effet de nous faire franchir un palier supplémentaire : à deux reprises, des unités de la force Sentinelle se sont en effet retrouvées au plus près de la zone de combat – une expression inhabituelle pour un événement survenu à l’intérieur de nos frontières, mais correspondant à la réalité des faits –, en situation d’appui direct des forces de sécurité intérieure.

Vendredi 13 novembre, avant que ne surviennent les attentats, près de 4 000 militaires étaient déployés sur l’Île-de-France, répartis en 49 unités élémentaires – ce chiffre a son importance pour ce qui est de certains aspects relatifs au commandement – engagées dans des missions de protection de 325 sites sensibles : 20 sites dits « Vigipirate historique » – principalement les lieux touristiques et les gares – et 305 sites confessionnels – presque exclusivement des lieux de culte israélites.

Notre dispositif en Île-de-France avait été réorganisé courant 2015, passant de quinze à huit états-majors tactiques ; à la mi-octobre, une deuxième évolution nous avait fait passer à trois états-majors tactiques. Toute l’Île-de-France était donc – comme elle l’est encore à ce jour – répartie en trois zones : Paris intra muros, avec un PC établi à Vincennes, Paris Est, avec un PC au fort de l’Est, et Paris Ouest, avec un PC à Satory. Ces trois groupements sont sous les ordres de chefs de corps en titre, commandant des régiments en s’appuyant sur un état-major de régiment – étant précisé que, depuis l’année dernière, nous faisons en sorte que le déploiement des unités corresponde au découpage territorial, afin de faciliter les mesures de coordination avec les échelons administratifs locaux, les arrondissements, les districts et les départements.

Le 13 novembre en fin de soirée, nous disposions encore d’environ 1 000 militaires déployés sur le terrain, puisque la garde ne prend fin qu’entre vingt et une heures trente et vingt-deux heures trente, selon l’activité des sites concernés. En l’absence d’informations précises nous permettant de disposer d’une vision exhaustive de ce qui se passait au cours des premières heures de la soirée, l’idée maîtresse des décisions que j’ai prises a consisté à m’assurer que tous les moyens militaires se trouvant au contact, c’est-à-dire engagés sur l’un ou l’autre des événements, se trouvaient en capacité effective de coordonner leur action avec celle des forces de sécurité intérieure, et que les renforts pouvant se révéler nécessaires étaient disponibles au bon moment et au bon endroit. À cet effet, une réflexion a été menée en deux temps, d’abord avec les personnels se trouvant au contact, puis avec ceux susceptibles d’être appelés en renfort.

Il se trouve que le soir du 13 novembre, je me trouvais au Stade de France, assis une rangée derrière le Président de la République. J’ai entendu les deux premières explosions ayant retenti à proximité du stade et assez rapidement, juste avant vingt et une heures trente, j’ai été informé par mon état-major stationné à Saint-Germain-en-Laye – depuis les attentats de janvier 2015, il fonctionne 24 heures sur 24, 365 jours par an, afin de coordonner l’ensemble des soldats déployés à Paris…

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Par qui votre état-major avait-il lui-même été informé ?

Général Bruno Le Ray. Il est alimenté par deux canaux : d’une part, celui des forces elles-mêmes – ainsi le 54e régiment d’artillerie, basé au PC de Vincennes, recueillait-il les renseignements transmis par les soldats sur le terrain –, d’autre part, celui constitué par les officiers de liaison répartis dans les différents centres opérationnels (CO) de la préfecture de police. Par ailleurs, mon état-major est également en contact avec le secrétariat général de la zone de défense (SGZD), qui est son interlocuteur naturel en temps ordinaire. Il se trouve qu’à l’heure des faits, le SGZD n’était pas totalement opérationnel, ce qui fait que les renseignements sont arrivés par tous les canaux. C’est ainsi que j’ai été personnellement informé peu avant vingt et une heures trente que plusieurs attentats avaient été commis dans Paris.

J’ai quitté le Stade de France à la mi-temps – le Président de la République avait lui-même quitté la tribune officielle quelque temps auparavant pour gagner le poste de sécurité du stade – afin de rejoindre mon lieu de travail situé aux Invalides, à partir duquel j’ai continué à assurer le suivi de l’opération et son commandement tout au long de la nuit. Dès le départ, j’ai donné des ordres afin de mettre en alerte, au sein de chacun des trois groupements, l’élément de réaction rapide prévu pour faire face à ce type de situation – il s’agit d’une compagnie dans chaque groupement. J’ai demandé que soient sécurisés tous les sites sur lesquels des militaires étaient encore déployés, et j’ai fait rappeler tous les militaires qui se trouvaient en repos – certains, qui se trouvaient au Stade France, ont ainsi dû regagner leur unité à Vincennes en petites foulées.

Dès que j’ai obtenu de mon CO – qui tenait lui-même le renseignement de la préfecture de police – la confirmation du fait que nous étions confrontés à une attaque coordonnée multisite, j’ai fait renforcer la sécurité de tous les sites sur lesquels des militaires se trouvaient déployés, et j’ai engagé un élément de réserve du groupement Paris centre, afin de renforcer l’unité déjà au contact rue de Charonne et au Bataclan. La compagnie de réserve du groupement de Vincennes est partie renforcer les unités du 11e arrondissement, tandis que je dirigeais les deux autres – celle du groupement Est celle du groupement Ouest – vers Bastille, où se trouvaient regroupées des forces de sécurité, afin qu’elles puissent intervenir rapidement en cas de nécessité. Dans le même temps, j’ai fait placer l’ensemble du dispositif sous les ordres du chef de corps du groupement, qui est parti sur le terrain avec un PC tactique afin de coordonner l’action des militaires et pallier toute difficulté de liaison avec les FSI : de cette manière, il pouvait en effet « commander directement à la voix ».

La présence militaire, sous la forme de l’arrivée de soldats lourdement protégés et armés, a rapidement eu pour effet de rassurer la population, les pompiers et les policiers. Appuyant les forces de sécurité intérieure suivant les consignes qui leur étaient données sur place, nos hommes ont bouclé des secteurs, ils ont couvert certaines directions et en ont interdit d’autres – afin d’éviter la fuite ou l’arrivée de terroristes. J’ai fait sécuriser l’aéroport du Bourget, tenant compte de la présence sur ce site d’éléments détachés dans le cadre de la préparation de la COP21 et non armés. Enfin, sur réquisition de la préfecture de police, nous avons pris en charge le remplacement des forces de sécurité intérieure qui assuraient la protection de Matignon, de l’Assemblée nationale, du Sénat et de l’hôpital Necker ; pour ce qui est de ce dernier site, nous avions reçu des informations provenant du secrétariat général de la zone de défense, selon lesquelles ce lieu accueillant des blessés risquait de faire l’objet d’une attaque.

Dans le même temps, pour préparer le futur, c’est-à-dire pour anticiper l’arrivée probable de renforts dans les heures et les jours suivants, j’ai fait mettre en alerte la zone de transit de Brétigny, qui est l’endroit par lequel arrivent et repartent toutes les unités militaires de Paris : elles y perçoivent leurs équipements – bombes lacrymogènes, matraques télescopiques, gilets pare-balles et casques lourds – avant de partir sur site, et les y restituent au retour de mission. Au total, nous disposions au milieu de la nuit d’environ 500 militaires engagés sur ou à proximité des lieux d’attentat du 11e arrondissement – j’englobe les unités se trouvant en renfort éventuel à Bastille – et de 500 militaires engagés sur la sécurisation des quatre sites que j’ai évoqués précédemment.

Dès le lendemain matin à six heures trente, nous avons repris la mission Sentinelle habituelle, consistant à sécuriser les 325 sites que j’ai mentionnés – j’avais doublé l’effectif sur tous les sites « Vigipirate historique », en particulier les gares. Le soir du 14 novembre, nous avons accueilli les premiers renforts sous la forme de deux compagnies Guépard TAP du 3e régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMa). Au total, dans les quarante-huit heures ayant suivi les attentats, nous avons reçu le renfort de 2 500 soldats. Durant toute la durée des opérations, je suis resté en contact avec le cabinet du ministère de la défense et le chef d’état-major des armées.

M. le président Georges Fenech. Vous nous avez expliqué que le rôle des forces militaires avait d’abord consisté à rassurer la population, les pompiers et la police, par la présence de personnels en armes, ainsi qu’à appuyer les forces de sécurité intérieure en bouclant les secteurs et en organisant la circulation. Le soir du 13 novembre, les premières forces à intervenir ont été celles des BAC . Alors que les forces militaires étaient également présentes, elles ne disposaient pas du cadre juridique qui leur aurait permis d’intervenir – je veux dire, de participer à un assaut contre les terroristes.

Alors que l’on se trouvait dans une situation de guerre, avec des assaillants munis d’armes lourdes, les militaires se tenaient donc en arrière, se contentant de sécuriser le quartier, tandis que les forces de police – qui, elles, n’étaient équipées que d’armes légères – étaient au plus près de l’action et tentaient même de neutraliser l’un des terroristes à l’angle du boulevard Voltaire et du passage Saint-Pierre-Amelot. À un moment donné, les fonctionnaires de police ont demandé aux personnels de l’opération Sentinelle s’ils pouvaient leur prêter leurs armes, mais se sont heurtés à un refus.

Si vous aviez été les premiers à intervenir au Bataclan, aurait-il été concevable qu’en entendant les coups de feu tirés à l’intérieur, vous décidiez de pénétrer dans le bâtiment dans le but de neutraliser les terroristes ?

M. le rapporteur. Par ailleurs, y a-t-il eu une évolution dans votre doctrine d’intervention, faisant que vous interviendriez si une situation semblable se présentait demain ?

Général Bruno Le Ray. Si je vous ai laissé penser que la mission première des personnels de l’opération Sentinelle était de rassurer, je me suis mal exprimé. En réalité, la mission première des militaires est d’appuyer, de soutenir les forces de sécurité intérieure. J’ai été informé, dans le courant de la soirée, que les militaires avaient retiré les dispositifs de sécurité de leurs armes – les TOC –, afin de rendre celles-ci immédiatement opérationnelles : en clair, les militaires qui se trouvaient aux côtés de la police et des pompiers auraient été en mesure d’ouvrir le feu immédiatement si des terroristes étaient sortis du Bataclan.

M. le rapporteur. En réplique ?

Général Bruno Le Ray. En réplique, effectivement : comme toutes les forces de sécurité, nous appliquons les règles de la légitime défense.

M. le président Georges Fenech. Mais vous n’auriez pas cherché à entrer dans le bâtiment pour aller abattre les terroristes ?

Général Bruno Le Ray. Les seuls moments où des coups de feu ont été échangés, c’est lorsqu’un terroriste a entrouvert une issue de secours pour lâcher des rafales à l’aveuglette – des impacts ont été relevés sur certains véhicules, notamment ceux des pompiers –, ce qui ne permettait pas à nos hommes de riposter efficacement. Si les terroristes étaient vraiment sortis du bâtiment en ouvrant le feu dans la rue, les militaires auraient tiré à leur tour dans le cadre de la légitime défense, sans que j’aie besoin de les y autoriser.

M. le président Georges Fenech. Vous n’avez pas répondu à ma question.

Général Bruno Le Ray. J’y réponds en vous disant qu’à l’instar des forces de sécurité intérieure, nous aurions ouvert le feu si les conditions de la légitime défense avaient été réunies, comme des soldats l’ont fait à Valence en janvier dernier. Les militaires ne sont pas inhibés dans l’usage de leur arme : ils connaissent parfaitement les règles de la légitime défense et les appliquent de manière rigoureuse.

Pour ce qui est d’entrer dans le Bataclan, nous avons agi conformément à notre mode d’action habituel – applicable en opération extérieure comme sur le territoire national –, qui veut que l’on n’entre pas dans une bouteille d’encre, c’est-à-dire sans savoir où l’on va, ce que l’on va faire et contre qui ! En mon âme et conscience, je n’aurais donc pas donné l’ordre à mes soldats de pénétrer dans le bâtiment sans un plan d’action prédéfini. Je peux concevoir que l’on intervienne en appui des forces de sécurité intérieure, qui décident de donner l’assaut parce qu’elles connaissent les lieux et savent ce qu’elles vont y trouver, mais pas que l’on se lance dans l’inconnu.

M. le président Georges Fenech. Vous entendiez tout de même des tirs en provenance de l’intérieur !

Général Bruno Le Ray. Certes, mais des bruits de tirs ne fournissent que fort peu d’informations sur ce qui se passe à l’intérieur.

M. le rapporteur. Vous saviez cependant que l’attaque des terroristes avait fait des morts et des blessés, puisque certains se trouvaient à l’extérieur. Un commissaire de la BAC et l’un de ses collègues policiers ont pris l’initiative d’entrer dans le bâtiment, alors qu’ils ne savaient pas plus que vos hommes ce qui s’y passait ; armés et protégés beaucoup moins efficacement que les militaires, ils sont parvenus à tuer l’un des terroristes avant de ressortir. Étant précisé que cette question ne constitue en rien un jugement de valeur – nous cherchons simplement à comprendre –, comment se fait-il que vous n’ayez pas pris la décision d’en faire autant, ni donné l’autorisation de le faire ?

Général Bruno Le Ray. Aucune demande d’entrer dans le Bataclan ne m’a été adressée, et je n’ai donné aucune autorisation en ce sens. Je ne connais pas les circonstances exactes de l’intervention du policier de la BAC et, si j’admire son courage, je vous répète qu’il était exclu que je fasse intervenir mes soldats sans savoir ce qui se passait à l’intérieur du bâtiment.

M. le président Georges Fenech. Il y avait des morts sur le trottoir !

Général Bruno Le Ray. Comme il y en a sur tous les théâtres d’opérations. Il est impensable de mettre des soldats en danger dans l’espoir hypothétique de sauver d’autres personnes. L’intervention en zone d’exclusion est un sujet très délicat. Pour moi, la première question à se poser consiste à savoir si l’on est en mesure d’assurer la protection des personnels allant au contact. Si les soldats que j’envoie dans le bâtiment se font eux-mêmes tuer, parce qu’ils ne sont pas en capacité de répondre aux tirs dont ils sont la cible, nous n’aurons guère progressé dans la résolution de la situation.

M. le président Georges Fenech. N’est-ce pas la vocation des soldats que de protéger les populations civiles ?

Général Bruno Le Ray. Si, bien sûr, et c’est ce qu’ils font. En revanche, ils n’ont pas vocation à se jeter dans la gueule du loup s’ils ne sont pas assurés de disposer de chances raisonnables d’accomplir leur mission.

M. le rapporteur. Si le commissaire entré dans le Bataclan avait demandé à des militaires de fournir un appui à son intervention, ceux-ci vous auraient-ils demandé l’autorisation de le faire, auraient-ils pu prendre d’eux-mêmes l’initiative d’entrer dans le bâtiment avec la police, ou cela leur aurait-il été purement et simplement interdit ?

Par ailleurs, quel lien aviez-vous avec le préfet de police au cours des différentes phases de l’opération ?

Général Bruno Le Ray. Les soldats ont des conduites à tenir en fonction des situations auxquelles ils sont confrontés, mais nous ne pouvons prévoir tous les cas de figure…

M. le rapporteur. Depuis les faits, avez-vous intégré la situation du 13 novembre à vos scénarios d’intervention ?

Général Bruno Le Ray. Comme la Police nationale, les forces armées terrestres travaillent à l’élaboration de conduites à tenir dans différentes situations, notamment celle d’un terroriste sortant du Bataclan qui, sans menacer les soldats, cherche à s’enfuir – dans l’intention éventuelle d’aller commettre d’autres actes de violence ailleurs. Si le policier de la BAC avait souhaité faire une seconde incursion dans le bâtiment en se faisant cette fois accompagner de soldats, je ne peux dire avec certitude quelle réponse il aurait reçu, mais j’ai tendance à penser qu’ils seraient entrés avec lui.

M. le président Georges Fenech. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont refusé de donner leurs armes !

M. le rapporteur. Plus exactement, quand la BAC leur a demandé s’ils accepteraient de prêter leurs armes à la police dans l’éventualité d’une nouvelle intervention, ils ont répondu que non.

Général Bruno Le Ray. Cela n’a rien d’étonnant : les militaires ne confient jamais leurs armes à quelqu’un d’autre.

En revanche, un policier de la BAC a demandé aux soldats de couvrir la sortie du bâtiment et de faire feu si les terroristes se montraient – il leur a même précisé de viser de préférence la tête, ou en tout état de cause en dehors des zones du corps susceptibles d’être entourées d’une ceinture d’explosifs –, et mes hommes l’auraient fait si la situation s’était présentée.

La question de l’entrée dans le bâtiment s’apparente à celle d’une prise d’otages de masse : en pareil cas, on fait systématiquement appel à des unités spécialisées, qui n’interviennent qu’à l’issue d’un minimum de préparation. Je me mets à la place d’un soldat entrant dans une pièce où il risque de tomber à la fois sur les terroristes et leurs victimes, dans une configuration inconnue, avec une luminosité peut-être insuffisante et des gens qui hurlent de tous côtés : comment faire, dans ces conditions, pour discriminer instantanément les agresseurs des victimes ? Ma propre expérience opérationnelle me porte à penser qu’une telle chose est quasiment impossible.

M. le président Georges Fenech. Je ne pense pas que les termes d’« agresseurs » et de « victimes », qui évoquent une situation de criminalité ordinaire, soient adéquats : en réalité, nous avions affaire à des terroristes kamikazes en train de perpétrer un massacre.

Imaginons que des soldats de Sentinelle se trouvent aux abords de Saint-Lazare, et que des terroristes ouvrent le feu à l’intérieur de la gare avec des Kalachnikov. Quelle serait la réaction de vos soldats ?

Général Bruno Le Ray. Ils ouvriraient le feu à leur tour, sans l’ombre d’un doute.

M. le président Georges Fenech. Dans ce cas, pourquoi n’en ont-ils pas fait de même au Bataclan ?

Général Bruno Le Ray. La situation n’était pas la même. Au Bataclan, les terroristes étaient retranchés dans un lieu fermé, tandis qu’une gare est un lieu ouvert.

M. le président Georges Fenech. Selon vous, donner l’assaut à un bâtiment fermé suppose l’intervention d’unités spécialisées, dont Sentinelle ne fait pas partie ?

Général Bruno Le Ray. Les soldats de Sentinelle sont formés pour intervenir dans le cadre d’opérations extérieures, mais pas dans celui d’une prise d’otages de masse dans un lieu fermé.

M. le président Georges Fenech. Une réflexion a-t-elle été engagée sur ce point ?

Général Bruno Le Ray. Nos forces spéciales travaillent sur cette question, car elles sont amenées à intervenir, à Bamako ou ailleurs, sur des situations très semblables. Sur le territoire national, nos soldats « de base », qui représentent 99 % des effectifs, ne sont pas formés à ce type d’opérations. Mais je vous confirme que si une attaque devait survenir à la gare Saint-Lazare, les soldats de Sentinelle n’hésiteraient pas une seconde à ouvrir le feu – comme ils l’ont fait dernièrement à Valence.

M. le président Georges Fenech. Je n’ai malheureusement pas pu écouter l’intervention faite par le ministre de la défense devant l’Assemblée nationale, puisque les travaux de la Commission d’enquête étaient en cours au même moment, mais nous l’auditionnerons prochainement. Il serait bon de savoir si une réflexion va être menée en vue de mieux associer la force militaire aux forces de sécurité intérieure quand surviennent des situations similaires à celles que nous évoquons.

Général Bruno Le Ray. Des réflexions sont en cours, mais je pense que le policier et le militaire de base ne sont pas préparés à faire face à de telles situations : cela relève de compétences et d’une formation bien particulières. Le policier de la BAC qui est entré dans le Bataclan s’est placé peut-être au-delà de ce qu’il était raisonnablement censé faire, et mes soldats ne sont pas formés pour aller déloger des terroristes retranchés dans une salle de spectacle.

M. Olivier Falorni. Si je comprends bien, les militaires de Sentinelle ne peuvent pas intervenir dans un lieu clos où se produit un massacre. Je rappelle qu’au Bataclan, après l’intervention isolée de deux policiers de la BAC, une quinzaine de fonctionnaires de police sont entrés une deuxième fois dans le bâtiment, de façon organisée : il ne s’agit dont pas d’une initiative individuelle et incontrôlée, comme vous le laissez entendre.

Pour ce qui est d’une intervention des militaires, vous dites qu’elle ne ferait aucun doute dans une gare, mais qu’il en est tout autrement dans le cadre d’une attaque comme celle du Bataclan. Imaginons que la police n’ait pas été en mesure d’arriver aussi vite qu’elle l’a fait, et que vos hommes se soient trouvés seuls boulevard Voltaire : dans ce cas, ils seraient restés à l’extérieur sans intervenir, alors même qu’ils auraient entendu des tirs et des cris à l’intérieur ? Alors qu’ils sont habitués au combat, ils se seraient refusés à entrer au seul motif qu’ils ne savaient pas ce qu’ils allaient trouver derrière la porte ? Ne prenez pas cela pour une mise en accusation, mais je vous avoue que cette idée me sidère.

Général Bruno Le Ray. Loin de moi l’idée de dénigrer en quelque façon que ce soit l’intervention des forces de sécurité intérieure, avec lesquelles nous travaillons au quotidien : je vous ai simplement dit ce que m’inspirait, à la lumière de ce que j’ai pu en lire, les conditions de leur intervention.

Dans un espace ouvert, on voit ce qui se passe et on n’a aucune difficulté à faire la différence entre les terroristes et les victimes potentielles. En revanche, les soldats de Sentinelle ne sont pas formés à intervenir dans un contexte proche d’une prise d’otages en milieu fermé. Il existe, parmi les unités militaires, des forces spéciales compétentes pour intervenir en pareil cas. C’est la même chose au sein de la police et, de ce point de vue, les unités de la BAC sont déjà des unités particulières.

Au demeurant, je ne dis pas que nous serions absolument incapables d’intervenir, mais simplement que ce n’est pas une mission à laquelle nos hommes sont préparés. Les services du chef d’état-major de l’armée de terre réfléchissent aux moyens de faire mieux dans l’hypothèse où surviendrait à nouveau une telle situation sur le territoire national, étant précisé qu’en pareil cas, nous ne serions pas en état de guerre au sens juridique – c’est le droit commun, et non le droit militaire, qui aurait vocation à s’appliquer. À certains égards, intervenir au cœur de Paris est bien plus compliqué que de livrer combat au fin fond du Mali ou de la Côte d’Ivoire, car on ne dispose évidemment pas de la même liberté d’action, et il est bon d’en avoir conscience.

M. le président Georges Fenech. Depuis janvier 2015, des exercices militaires ont-ils été effectués en coopération avec les forces de sécurité intérieure ?

Général Bruno Le Ray. Je suis simplement utilisateur des forces de l’armée de terre, la préparation opérationnelle des unités ne se faisant pas à mon niveau. Si des exercices sont effectivement menés, je ne pense pas qu’ils aient pour objet de nous préparer à intervenir dans le cadre d’une situation de type Bataclan – en tout cas, pas avec les soldats de l’opération Sentinelle. Le recours aux forces spéciales en pareil cas a été récemment évoqué, mais cela ne pourrait se faire que dans des conditions d’encadrement très strictes, en complément des forces de sécurité intérieure et des unités particulières.

Mme Françoise Dumas. Pour ma part, je souhaite évoquer la situation de la province, étant précisé que je suis élue d’un territoire présentant un haut risque, dans la mesure où l’on y trouve un grand nombre de mosquées, de synagogues et d’églises. Vous avez évoqué tout à l’heure le déploiement de vos personnels sur les lieux confessionnels. Dans la mesure où vos hommes ne fouillent pas les personnes qui pénètrent dans les lieux de culte, quelle serait votre réaction si une attaque survenait à l’intérieur d’un tel lieu, qui est par définition un lieu clos ?

Général Bruno Le Ray. Il n’existe pas de réponse simple à une telle question. Ce que je peux vous dire, c’est que des soldats montant la garde devant un site y entreraient s’ils voyaient des terroristes s’apprêter à y commettre des violences.

Au Bataclan, les militaires n’ont pas vu entrer les terroristes, et ne savaient donc pas ce qui se passait à l’intérieur. À l’inverse, ils connaissent très bien les synagogues qu’ils ont pour mission de surveiller – il leur arrive même de se reposer à l’intérieur – ainsi que les personnes censées s’y trouver, qu’ils voient entrer et sortir. J’imagine donc qu’en pareil cas, ils interviendraient systématiquement s’ils se trouvaient en situation de le faire.

M. le président Georges Fenech. Vous « imaginez » qu’ils interviendraient ? Vous n’en êtes pas sûr, alors même que vous entendriez des tirs de kalachnikovs en provenance d’une synagogue bondée ?

Général Bruno Le Ray. Peut-être me suis-je mal exprimé, monsieur le député. Ce que je veux dire, c’est que des soldats en faction devant l’unique entrée d’une synagogue ne pourraient manquer de remarquer l’arrivée de terroristes.

M. le président Georges Fenech. On ne peut exclure que les terroristes s’introduisent dans les lieux en empruntant un passage souterrain, comme cela se fait dans la bande de Gaza !

Général Bruno Le Ray. Il n’y a pas de réponse toute faite à cette question, mais je pense qu’ils interviendraient…

M. le président Georges Fenech. Vous « pensez » ? Comment peut-on seulement imaginer que des militaires armés restent au seuil d’une synagogue où des victimes innocentes se font massacrer ! Ce n’est pas possible !

Général Bruno Le Ray. Je ne me place pas sur le plan des principes…

M. le président Georges Fenech. Le simple risque de se voir reprocher une non-assistance à personne en danger devrait leur commander d’intervenir !

Général Bruno Le Ray. Vous mettez en parallèle deux situations radicalement différentes : d’une part, celle du Bataclan, où aucun soldat ne savait ce qui se passait à l’intérieur, ni même combien de terroristes et combien de victimes potentielles s’y trouvaient, d’autre part, celle d’une synagogue, qui n’est jamais bondée, contrairement à ce que vous dites, et que les soldats de Sentinelle connaissent bien – c’est pourquoi il y a 99,9 % de chances pour qu’ils y soient entrés en cas d’attaque, car cela correspond à leurs compétences en termes de lieu, de nombre de personnes sur place, et de capacité à gérer la situation de chaos régnant à l’intérieur.

Mme Françoise Dumas. L’attaque d’une synagogue ne constitue sans doute pas le meilleur exemple, car ce lieu de culte est généralement très contrôlé à l’entrée…

M. le président Georges Fenech. Alors, que se passerait-il en cas d’attaque d’une école ?

Général Bruno Le Ray. Nous sommes devant les écoles à longueur de journée, et filtrons très soigneusement leurs accès. Certes, on ne peut exclure que quelqu’un passe par les toits ou par des souterrains, et dans ce cas nous interviendrions, car nous connaissons très bien tous ces lieux que nous protégeons depuis plus d’un an, qu’il s’agisse des écoles, des synagogues, de l’espace Rachi – le Centre d’art et de culture juive du 5e arrondissement – ou de la Grande mosquée de Paris.

Mme Françoise Dumas. Mais que se passerait-il dans une cathédrale ou une église où serait célébré un mariage, c’est-à-dire un lieu où les allées et venues ne font pas l’objet du même contrôle ?

Général Bruno Le Ray. J’ai été réquisitionné pour protéger certains lieux de culte catholique durant la période des fêtes de Pâques. Je précise que les accès de ces lieux sont généralement filtrés par les fidèles eux-mêmes – c’est en tout cas la consigne donnée par le préfet de police à la communauté religieuse. À cette protection de base viendra s’ajouter la sécurisation effectuée par mes hommes à l’extérieur des sites concernés.

M. le président Georges Fenech. Ne pourrait-on imaginer une coordination des forces de sécurité intérieure et des militaires, comme c’est déjà le cas dans certaines situations particulières – je pense en particulier à l’opération Harpie mise en place en Guyane, dans le cadre de laquelle la gendarmerie travaille en collaboration avec les militaires ? Un centre opérationnel pourrait être mis en place, qui coordonnerait l’action des forces de sécurité intérieure et des militaires.

Général Bruno Le Ray. Je connais bien l’opération Harpie, qui ne consiste pas à faire travailler ensemble les policiers et les militaires, mais à intégrer les gendarmes à une chaîne de commandement militaire. À l’échelle de Paris, des dizaines de milliers de policiers sont déployés dans le cadre d’une forte activité de sécurité générale. Il me paraît difficilement concevable de mettre en place un centre de coordination permanent, qui n’aurait vocation à coordonner l’action des policiers et des militaires que dans les cas très exceptionnels où l’on sort du cadre de l’activité de sécurité générale pour entrer dans celui de la gestion d’une situation de crise.

M. le président Georges Fenech. Nous sommes en état d’urgence : n’est-ce pas une situation exceptionnelle qui justifierait la mise en place d’une coordination des interventions en période de crise ?

Général Bruno Le Ray. L’une de nos pistes de réflexion consiste à trouver les moyens d’être en mesure de basculer très rapidement d’un mode de fonctionnement normal à celui d’une période de crise, nécessitant la mise en place d’un système de coordination.

Aujourd’hui, des officiers de liaisons sont présents au sein des différents centres opérationnels de la préfecture de police, et nous avons décidé qu’en cas de crise, un officier de liaison serait envoyé dans le CO de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) – le général Boutinaud, qui commande cette brigade, a dû vous en parler –, ce CO étant particulièrement bien informé de la nature et de la localisation des incidents qui surviennent, et ayant la capacité particulière à discriminer rapidement les vraies alertes des fausses.

Si j’ai très souvent le préfet de police au téléphone, cela n’a pas été le cas dans la nuit du 13 au 14 novembre, car il était injoignable du fait de la situation. En revanche, tous ses services étaient en relation permanente avec les miens, et nous avons répondu à toutes les sollicitations qui nous ont été adressées. Quand on nous a demandé de remplacer les forces de sécurité intérieures présentes à Matignon, à l’Assemblée nationale, au Sénat et à l’hôpital Necker, cela s’est fait sur réquisition de la préfecture de police.

M. le rapporteur. Quel jugement portez-vous sur l’efficacité de l’opération Sentinelle ? Si la protection de 325 sites sensibles constitue une mission importante, un débat s’est ouvert sur l’efficacité des gardes statiques qui sont actuellement effectuées, par rapport à ce que pourrait être celle de gardes dynamiques. Votre doctrine a-t-elle évolué sur ce point au cours des derniers mois ?

Général Bruno Le Ray. La doctrine a effectivement beaucoup évolué. Si nous assurions la protection de 325 sites début novembre 2015, nous en protégeons désormais un peu plus de 1 800 sur l’ensemble de l’Île-de-France, selon différentes modalités. Ainsi, un grand nombre de sites sont désormais sécurisés par des patrouilles, ce qui nous permet de pallier le fait que le dispositif statique consomme une partie importante des forces armées : une patrouille couvre en effet plusieurs sites, contrairement à une garde statique – que certaines personnes continuent de préférer, car elles attachent de l’importance au fait qu’un site soit protégé en permanence, et à ce que cela se voie. Comme les forces de sécurité intérieure, nous tendons toujours plus vers des dispositifs dynamiques, qui présentent également l’avantage d’être plus aléatoires, donc moins prédictibles pour nos adversaires potentiels.

M. le rapporteur. Élu francilien – je suis maire d’Asnières-sur-Seine –, je discutais dernièrement avec le commissaire de ma circonscription au sujet de la garde dynamique qui y a été mise en place et couvre à la fois les lycées, la gare et certaines stations de métro. Pouvez-vous nous préciser si vous êtes en contact avec les commissaires afin de coordonner vos actions de protection avec celles de la police, et si le choix des lieux et des heures où vous intervenez relève de votre initiative, ou est défini en accord avec le préfet de police ?

Général Bruno Le Ray. Cette question est très intéressante. La moitié des 1 800 sites dont nous assurons actuellement la protection figure dans les réquisitions que m’adresse le préfet de police, tandis que l’autre moitié est définie par contact direct avec les préfets et les commissaires de district ou d’arrondissement, ainsi que les directions départementales de la sécurité publique (DDSP). Cela donne lieu à une coordination très étroite : ainsi, chaque capitaine a en charge un arrondissement parisien et se coordonne avec le commissaire territorialement compétent pour effectuer la répartition des effectifs en fonction des sites et des horaires, afin d’optimiser l’emploi des forces de sécurité intérieure et des forces armées. De la même manière, les chefs de corps, les commandants d’unité et les chefs de section se coordonnent chacun à leur niveau avec leurs interlocuteurs des forces de sécurité locales, afin d’éviter que certains sites soient doublement protégés ou ne le soient pas du tout.

Un officier de liaison assure la coordination avec la direction de la police territorialement compétente – il peut s’agit d’une DDSP ou d’une direction territoriale de la sécurité de proximité (DTSP), cela dépend du lieu concerné. Hormis les sites pour lesquels le préfet de police effectue des réquisitions, le préfet lui-même peut demander aux chefs de corps d’assurer la protection d’un site lui paraissant exposé à une menace particulière.

M. le rapporteur. Considérez-vous devoir protéger un trop grand nombre de sites ?

Général Bruno Le Ray. Non, je considère que nous faisons beaucoup mieux que ce que nous faisions précédemment, et que nous pouvons faire encore mieux si on nous laisse libres de définir les modes d’action que nous estimons être les plus adaptés à notre mission. Notre référence est l’instruction ministérielle n° 10100, qui fixe les relations « contractuelles » entre le donneur d’ordre, à savoir le préfet, et les forces armées. Ce texte pose le principe selon lequel une mission est confiée aux forces armées, qui déterminent elles-mêmes les modes d’action et les volumes d’effectifs nécessaires pour la remplir. C’est en faisant application de ce principe que nous serons à même d’assurer la sécurité sur le plus grand nombre possible de sites.

M. Christophe Cavard. Ayant fait partie de l’un des derniers contingents d’appelés, je suis en mesure de distinguer les différents uniformes des personnels de l’opération Sentinelle, et j’ai donc conscience de la très grande variété des régiments intervenant dans le cadre de cette opération. La question d’une sur-sollicitation de certaines unités a été évoquée, ainsi que celle de la fatigue des personnels. Pouvez-vous nous préciser selon quels critères on décide de faire intervenir tel ou tel régiment, et pour quelle durée ?

Par ailleurs, au cours d’une audition, des militaires nous ont indiqué être logés dans les combles de la mairie du 11e arrondissement dans des conditions « assez spartiates » – ce qui était sans doute un euphémisme. Pour que des personnels soient en mesure d’intervenir rapidement et efficacement en situation de crise, il faut qu’ils soient en situation physique et morale de le faire – et de manière durable, car il est à craindre que la situation actuelle ne se prolonge. Considérez-vous que les conditions de vie, notamment d’hébergement, de vos hommes, soient satisfaisantes ?

M. David Comet. Mon général, je vous remercie pour l’action de l’armée durant la période difficile que nous vivons actuellement.

On assiste actuellement à une interpénétration grandissante entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. Nous sommes en état de guerre, même s’il s’agit d’une guerre diffuse, et ce sont les mêmes soldats qui interviennent en opérations extérieures ou sur le territoire national : ils ont les mêmes compétences. Le mois dernier, j’ai rencontré les forces françaises en Côte d’Ivoire – en l’occurrence, les Marsouins du 1er régiment d’infanterie de marine (RIMa) d’Angoulême – et je sais que ces soldats, qui luttent contre le terrorisme en Afrique, peuvent être amenés à le faire également à Paris dans le cadre de Sentinelle.

Une nouvelle doctrine d’emploi est récemment entrée en application en matière de sécurité intérieure, mettant en avant le rôle stratégique des primo-intervenants : on reconnaît désormais l’importance d’intervenir avec efficacité dès les premiers temps, afin de figer la situation. Dans ce cadre, on pourrait concevoir qu’un groupe de huit militaires, par exemple, se tienne à disposition des forces de police, qui feraient éventuellement appel à eux pour concourir à leur action. Ne pensez-vous pas qu’un tel dispositif aurait pu être mis en application au Bataclan et, plus largement, qu’il ait vocation à être adopté afin de faire face aux situations de crise qui se présenteront à l’avenir ?

Le principe d’une coopération entre forces de sécurité intérieure et militaires est très important sur le plan stratégique. À l’inverse, le fait de ne pas l’appliquer nous fait courir le risque d’aboutir à des situations de non-assistance à personne en danger : des personnes pourraient être torturées et tuées dans un bâtiment alors que des personnels ayant vocation à assurer la sécurité de la population se trouvent à proximité, mais n’interviennent pas.

Général Bruno Le Ray. La question de la sollicitation des personnels de l’armée de terre ne relève pas de ma responsabilité, puisque je ne suis qu’un employeur des moyens que l’on met à ma disposition. Cela dit, c’est un sujet particulièrement sensible. En début d’après-midi, j’ai effectué une présentation pour le ministre de la défense, ce qui m’a amené à me rendre sur les sites de l’îlot Saint-Germain et du fort de l’Est. Cela a été pour moi l’occasion de rappeler que 43 régiments différents – sur les 80 régiments environ que compte l’armée de terre – sont présents en ce moment à Paris pour une rotation de six semaines, étant précisé que certaines unités interviennent pour la septième fois. La sollicitation des personnels de l’armée de terre est donc effectivement très forte, ce qui justifie la campagne de recrutement actuellement mise en œuvre. Si cette campagne donne d’excellents résultats, nous n’en profiterons pas immédiatement, car la formation nécessaire pour qu’une nouvelle recrue puisse intervenir sur le terrain dure un certain temps.

Me faisant ici le porte-parole du chef d’état-major de l’armée de terre, qui est aussi mon chef sur une autre partie de mes responsabilités, je pense pouvoir affirmer que des unités supplémentaires vont être constituées au sein des régiments à partir de la fin de l’année, ce qui nous autorisera à revenir à un taux de rotation plus satisfaisant, permettant aux personnels d’être engagés sur les opérations, de se préparer correctement à l’éventualité de devoir livrer des combats de haute intensité au Mali ou en République centrafricaine, et de prendre un peu de repos entre-temps. En l’état actuel des choses, la sollicitation intense des régiments nous impose de déterminer au plus juste le volume des effectifs à déployer pour répondre aux besoins.

Pour ce qui est des conditions d’hébergement, celles de l’îlot Saint-Germain m’ont semblé tout à fait satisfaisantes, tandis que le fort de l’Est est plus spartiate. Quant à la mairie du 11e arrondissement, si elle offre un hébergement effectivement peu confortable – on ne peut y installer que des lits Picot –, elle présente l’avantage d’être située en plein cœur du 11e arrondissement, ce qui permet aux unités qui y sont basées de rejoindre leur lieu de mission en dix minutes à pied, au lieu d’avoir à effectuer un trajet d’une heure et demie en camion pour venir de Brétigny-sur-Orge, par exemple – sans compter que les personnels concernés apprécient, quand ils sont en repos, de pouvoir aller boire une bière en ville très facilement : c’est pourquoi, si vous faisiez un sondage parmi les personnels des unités logées dans la mairie du 11e arrondissement, vous n’auriez sans doute pas que des avis négatifs.

En tout état de cause, les conditions d’hébergement constituent un sujet de préoccupation permanent, et d’importants investissements sont effectués afin d’améliorer la situation – ainsi certains bâtiments du fort de l’Est sont-ils rénovés de fond en comble. Nous avions déserté – quand elles n’avaient pas été vendues – les enceintes militaires situées à l’intérieur de Paris, et nous sommes en train de les réinvestir afin de remonter durablement nos capacités, ce qui prendra un an ou deux. Les travaux effectués à l’Îlot Saint-Germain – où des bureaux doivent être transformés en lieux de vie – et au Val-de-Grâce vont nous permettre d’héberger environ 1 000 hommes en plein Paris dans des conditions satisfaisantes.

Sur le fait que les mêmes soldats soient amenés à intervenir en opérations extérieures et sur le territoire national, je veux souligner que les soldats présents le soir du 13 novembre ont mis en œuvre ce que leur expérience du combat sur le terrain leur avait appris : ils sont allés au contact des forces de sécurité intérieure afin de proposer leurs services, et se sont ensuite répartis pour assurer des missions d’appui ou de sécurisation des accès – par exemple en installant des chicanes improvisées –, qui ont aidé à circonscrire et à maîtriser la situation.

Pour moi, la notion de primo-intervenant implique celle de la responsabilité : or, de mon point de vue, la responsabilité d’assurer la sécurité sur le territoire national doit rester aux forces de sécurité intérieure. Si les militaires interviennent, c’est donc toujours sous le contrôle de l’autorité civile, et ils ne réclament pas d’être plus autonomes pour aller faire la guerre dans un quartier de Paris ou de Marseille. Les forces de sécurité intérieure et les militaires doivent se coordonner sur place comme ils l’ont fait le 13 novembre. Tous les jours, mes soldats sont sollicités pour accomplir des missions relevant de leurs compétences. Il peut s’agir, par exemple, de mettre en place un périmètre de sécurité dans un aéroport lorsqu’un bagage abandonné y est découvert, de sécuriser des zones où interviennent des chiens détecteurs de drogue, ou encore de mettre en place une bulle de protection aérienne pour couvrir certains grands événements.

Quand les militaires se trouvent confrontés seuls à une situation nécessitant d’intervenir, ils figent la situation comme le feraient les policiers, et entrent en contact avec les forces de sécurité intérieure au moyen d’ACROPOL pour leur demander d’intervenir. Fort heureusement, ils interviennent le plus souvent pour d’autres situations que des attaques terroristes : en dehors du prêt de main-forte, il peut s’agir de flagrants délits – qu’ils soient en présence d’individus brisant des vitres devant la gare Montparnasse, ou d’autres prenant des photos sur l’esplanade de la Défense –, en présence desquels ils font ce qu’est censé faire tout citoyen, à savoir geler la situation en attendant l’arrivée des personnels compétents.

M. Christophe Cavard. Si les militaires sont sollicités par les forces de sécurité intérieure, à quel niveau de hiérarchie la décision est-elle prise d’intervenir ou non ?

Général Bruno Le Ray. La cellule de base sur le terrain est constituée de trois soldats, dont un caporal-chef, à qui revient la responsabilité de cette décision. C’est le cadre d’emploi extrêmement précis de nos soldats qui leur permet de réagir à 99,9 % des situations sans requérir l’autorisation d’un supérieur hiérarchique – étant précisé qu’ils doivent rendre compte a posteriori, évidemment.

M. Christophe Cavard. La décision de tirer est-elle soumise aux mêmes conditions ?

Général Bruno Le Ray. Absolument. Dès lors que les conditions de la légitime défense sont réunies, les soldats peuvent tirer sans en demander l’autorisation, comme ils l’ont fait à Valence et comme ils étaient sur le point de le faire sur l’esplanade des Invalides – même si, dans ce dernier cas, c’est un gendarme qui a ouvert le feu.

M. Jean-Luc Laurent. La sollicitation intensive de nombreuses unités de l’armée de terre dans le cadre des opérations de Sentinelle, visant à appuyer les forces de sécurité intérieure et à rassurer la population, a des conséquences sur le moral des troupes – même si des efforts sont faits afin d’améliorer la coordination entre les effectifs militaires et ceux des forces de sécurité intérieure. Un dispositif interministériel a-t-il été mis en place afin d’assurer une coordination des unités présentes sur le terrain, mais aussi des autorités civiles et militaires ?

En termes de communication, existe-t-il, en plus du contact physique sur le terrain, des réseaux d’information communs destinés à faire remonter ou redescendre l’information ?

En ce qui concerne le retour d’expérience, pouvez-vous nous préciser quel a été le niveau d’activité de Sentinelle depuis sa mise en place, c’est-à-dire le nombre de fois où des militaires ont dû intervenir, et quel est le coût du dispositif – qui, sur le plan budgétaire, représente une ligne particulière ?

Enfin, j’ai tendance à considérer que l’armée a plutôt vocation à intervenir en dehors de nos frontières. Que pensez-vous de l’idée consistant à soulager les 7 000 personnels de l’armée des missions qu’ils accomplissent sur le territoire national, en faisant davantage appel à la réserve ?

Je pourrais vous parler du fort de Bicêtre, situé sur ma circonscription et abritant des unités qui contribuent largement au dispositif Sentinelle, mais je ne voudrais pas monopoliser la parole trop longtemps, aussi me contenterai-je d’évoquer ce sujet avec le général, directeur central, présent sur le site.

Général Bruno Le Ray. Vous avez été plusieurs à évoquer la mission de Sentinelle consistant à rassurer la population. Si cette mission existe, elle n’arrive qu’en troisième position après celles consistant à protéger et à dissuader, dont elle est surtout un effet induit. Ce n’est pas qu’une question de sémantique : cette hiérarchie des priorités reflète bien notre façon de concevoir la mission qui nous est confiée, et ce serait faire injure aux soldats que de leur dire qu’ils sont là uniquement pour rassurer.

Pour ce qui est de la coordination, une cellule interministérielle de crise (CIC) est actionnée en temps de crise – cela a été le cas à partir du 13 novembre, pour quelques jours durant lesquels elle a fonctionné 24 heures sur 24. En temps normal, des réunions interministérielles sont régulièrement organisées par le ministère de l’intérieur, auxquelles participent l’état-major des armées et, en tant que de besoin, les forces parisiennes.

Une coordination est donc mise en œuvre en amont – dans la programmation des activités par les cabinets ministériels – comme sur le terrain – par contact physique ou par radio, puisque toutes nos patrouilles sont équipées de moyens radio leur permettant de communiquer avec les forces de sécurité à l’intérieur du périmètre où elles se trouvent.

Nous répertorions tous les incidents, ce qui me permet de vous dire que l’an dernier, nous avons identifié 1 600 incidents de toute nature, parmi lesquels on compte essentiellement des incivilités, des insultes ou des tentatives de photographier un dispositif sensible, mais très peu d’agressions ou de tentatives d’agression sur la personne des soldats – la plupart du temps, les incidents sont d’ailleurs le fait de personnes sous l’emprise de l’alcool, qui ne se rendent pas compte de ce qu’elles font. Nous prêtons souvent main-forte aux forces de sécurité intérieure pour établir des périmètres de sécurité, et nous décelons des actions de surveillance de nos sites ou des sites que nous protégeons – nos soldats sont entraînés à identifier les allées et venues suspectes. Chaque incident fait systématiquement l’objet d’un rapport transmis par radio aux forces de sécurité avec lesquelles nous nous coordonnons.

Pour ce qui est du coût de l’opération Sentinelle, même si cela ne relève pas de mes attributions en tant que gouverneur militaire de Paris, je vous dirai de mémoire qu’il s’est élevé à 170 millions d’euros pour 2015.

Il se trouve déjà un certain nombre de réservistes parmi les personnels dont je dispose. En moyenne, depuis janvier 2015, ce sont un peu moins de 200 réservistes qui sont déployés en permanence au sein du dispositif Sentinelle – ce chiffre s’est élevé à 400 durant les fêtes de fin d’année, ce qui s’explique par le fait que les réservistes se libèrent plus facilement durant les périodes de congé.

Enfin, pour ce qui est de l’emploi des forces armées, que M. Laurent préférerait voir affectées aux missions situées en dehors de nos frontières, mon point de vue de militaire me porte à penser qu’il faut faire face à la menace où qu’elle soit : j’aurais du mal à considérer que mes hommes sont capables d’aller combattre au Mali, mais que nous n’avons pas de rôle à jouer dans la défense de nos compatriotes, de nos familles, sur le territoire national. Cela ne doit cependant pas aller jusqu’à transformer les militaires en forces de sécurité intérieure, car si des soldats préparés aux missions extérieures sont capables d’intervenir sur le territoire national, l’inverse n’est pas vrai. En disant cela, je pense exprimer un point de vue qui est également celui des chefs militaires et du ministre de la défense.

M. le président Georges Fenech. Mon général, nous vous remercions pour votre intervention devant notre Commission.

La séance est levée à 19 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christophe Cavard, M. David Comet, M. Jean-Jacques Cottel, M. Jacques Cresta, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Falorni, M. Georges Fenech, M. Philippe Goujon, M. Serge Grouard, M. Meyer Habib, M. François Lamy, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, M. Pierre Lellouche, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Sébastien Pietrasanta, M. Pascal Popelin, M. Jean-Michel Villaumé

Excusée. - Mme Lucette Lousteau