Accueil > Les commissions d'enquête > Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Mercredi 30 mars 2016

Séance de 16 heures

Compte rendu n°14

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Audition, à huis clos, de M. François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, Mme Véronique Degermann, procureure de la République adjointe près le même TGI, et Mme Camille Hennetier, vice-procureure de la République près ledit TGI

– Audition, à huis clos, de Mme Laurence Le Vert, première vice-présidente chargée de l'instruction au pôle antiterroriste du TGI de Paris, et de M. David Benichou, vice-président chargé de l'instruction au pôle antiterroriste du même TGI

– Audition, à huis clos, de M. Denis Couhé, premier vice-président adjoint du TGI de Paris, M. Laurent Raviot, vice-président du même TGI, présidents de la 16e chambre correctionnelle, et M. Régis de Jorna, président de chambre à la cour d'appel de Paris 26

La séance est ouverte à 16 heures.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, à huis clos, de M. François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, Mme Véronique Degermann, procureure de la République adjointe près le même TGI, et Mme Camille Hennetier, vice-procureure de la République près ledit TGI.

M. Georges Fenech, président. Monsieur le procureur de la République, mesdames les procureurs, nous vous remercions d’avoir répondu à la demande d’audition de notre Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Nous avons déjà tenu de nombreuses auditions, consacrées tout d’abord aux victimes et à leur prise en charge par les secours, ensuite à la chronologie des événements de janvier et de novembre 2015, puis, à la lumière de l’expérience des attentats de janvier et novembre, aux moyens et aux missions des forces de sécurité. Enfin, nous avons reçu mercredi dernier les syndicats de magistrats.

Monsieur le procureur, nous sommes particulièrement impatients de vous entendre et de pouvoir vous questionner, dans le respect de la séparation des pouvoirs, sur le rôle du parquet, les procédures judiciaires et les moyens de lutter contre le terrorisme. Vous êtes accompagné des responsables du parquet anti-terroriste, Mme Véronique Degermann, procureur de la République adjoint, et Mme Camille Hennetier, vice-procureur de la République.

Cette audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer, se déroule à huis clos. Elle n’est donc pas diffusée sur le site internet de l’Assemblée. Néanmoins, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l’issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations seront soumises à la Commission, qui pourra décider d’en faire état dans son rapport. Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l’article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

M. François Molins, Mme Camille Hennetier et Mme Véronique Degermann prêtent serment.

Monsieur le procureur, je vous laisse la parole pour un exposé liminaire qui sera suivi par un échange de questions et réponses.

M. François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris. Je veux souligner, tout d’abord, qu’après chaque vague d’attentats terroristes, en janvier comme en novembre 2015, le parquet de Paris a procédé à des retours d’expérience qui ont consisté à évaluer les dispositifs et modes de fonctionnement mis en œuvre afin d’identifier ce qui pouvait être corrigé ou amélioré.

La section antiterroriste du parquet de Paris est compétente pour traiter toutes les infractions terroristes commises sur le territoire national ainsi que, dans certains cas, à l’étranger. Elle désigne les services de police chargés de l’enquête et assume ensuite un rôle de direction de l’enquête.

Ses effectifs étaient de sept magistrats du parquet en 2014. Ce nombre a été porté à huit début janvier 2015, puis à neuf en février 2015 et enfin à onze en janvier 2016. Il s’agit là des effectifs permanents, mais les moyens consacrés aux affaires terroristes peuvent être considérablement augmentés de façon ponctuelle dans le cadre de la cellule de crise puisque nous avons la possibilité de mobiliser de façon immédiate de nombreux magistrats : les effectifs localisés à Paris sont de 134 magistrats du parquet.

La cellule de crise est une unité dédiée, intégrée au parquet, dirigée par le procureur de la République et mise en œuvre par la section anti-terroriste avec le concours de l’ensemble des magistrats du parquet. Elle a vocation à être activée en cas d’événement terroriste majeur nécessitant la mobilisation, en continu et sur une longue période, d’un grand nombre de magistrats.

Sa mission est d’assurer la conduite de l’action publique mais aussi la direction des enquêtes, en assurant au sein du palais de justice de Paris une permanence de magistrats du parquet et de greffiers vingt-quatre heures sur vingt-quatre sept jours sur sept, en offrant un point d’entrée aisément identifiable à tous nos partenaires, qu’il s’agisse des services de police, des états-majors, des experts de l’Institut de médecine légale (IML), de la cellule interministérielle d’aide aux victimes (CIAV) ou des parquets extérieurs, et en assurant la centralisation et la synthèse de l’information recueillie.

La cellule de crise est activée sur décision du procureur de la République à la suite de la saisine de la section anti-terroriste et elle a vocation à fonctionner pendant toute la durée de l’enquête, jusqu’à la saisine d’un juge d’instruction.

Elle s’appuie sur une liste de magistrats mobilisables à tout moment, qui était composée de trente-neuf magistrats jusqu’en novembre 2015. Afin de pouvoir faire face à des attaques simultanées sur l’ensemble du territoire national, ces effectifs viennent d’être portés à soixante-deux magistrats, et nous avons donc ainsi la possibilité de mobiliser en permanence un total de soixante-treize magistrats du parquet.

En font partie le procureur de la République, la procureure adjointe en charge de la division dans laquelle se trouve la cellule anti-terroriste, la chef de la section anti-terroriste, le magistrat chargé de la communication du parquet de Paris, ainsi qu’un représentant du parquet général dont la présence est destinée à faciliter la remontée d’informations vers la direction des affaires criminelles et des grâces.

La cellule de crise a été activée à quatre reprises dans son histoire : à l’occasion de l’affaire Merah en 2012, à l’occasion de l’affaire Sarcelles-Torcy en 2013, à la suite des attentats de janvier et enfin à la suite des attentats de novembre. Dès que la cellule est activée, les collègues inscrits sur la liste savent qu’ils doivent se rendre disponibles.

La cellule de crise est responsable de la saisine des services d’enquête. Nous saisissons principalement trois services : la section anti-terroriste de la brigade criminelle de la police judiciaire de Paris, pour les infractions commises à Paris et dans les départements de la petite couronne, la sous-direction anti-terroriste (SDAT) de la Direction centrale de la police judiciaire, et enfin la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), pour les infractions commises à l’étranger ou par des individus ayant des liens avec l’étranger. En cas d’attentats d’ampleur, la règle est de saisir systématiquement ces trois services en même temps, l’un d’eux étant désigné par le parquet en qualité de coordonnateur.

La cellule de crise doit ensuite recevoir et traiter l’ensemble des comptes rendus intéressant les événements terroristes. Elle va devoir diriger les investigations, assurer une présence au sein des structures d’accueil et d’aide aux victimes, l’IML, la CIAV, l’École militaire, ainsi qu’au sein des états-majors et PC de crise au ministère de l’intérieur, de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), de la DGSI, et ordonner les autopsies et expertises de médecine légale nécessaires.

S’agissant des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, la cellule de crise a été activée le 7 janvier au pied de l’immeuble de Charlie Hebdo et a fonctionné en continu pendant quatorze jours, jusqu’à ce que nous saisissions un juge d’instruction. Elle a délivré pendant ce laps de temps 109 réquisitions en matière médico-légale, dix-huit requêtes en autorisation de perquisition de nuit, soixante-dix autorisations de géolocalisation, quatre-vingt-une requêtes en interceptions judiciaires, quatre demandes d’entraide pénale internationale et neuf mandats de recherche, en gérant de surcroît trente et une mesures de garde à vue.

S’agissant des attentats du 13 novembre 2015, la cellule de crise a été activée dès la saisine de la section anti-terroriste, le 13 novembre vers 22 h 30 ou 22 h 45, et a fonctionné en continu jusqu’au mardi 24 novembre, date de l’ouverture de l’information judiciaire et du défèrement de la personne gardée à vue. Elle a fonctionné de manière continue pendant onze jours, mobilisant trente-neuf magistrats du parquet, dont les neuf magistrats de la section, et onze greffiers.

Les magistrats de la section anti-terroriste ont été spécifiquement affectés aux transports sur les lieux et au suivi de l’enquête, selon une répartition par thématique, tandis que les magistrats en renfort ont été principalement affectés à l’atelier victimes-témoins. Compte tenu du nombre très élevé de victimes, c’est en effet sur cette thématique que ce sont concentrés la plus grande partie des renforts : l’établissement de la liste unique des victimes (LUV) a nécessité de synthétiser plus d’un millier d’auditions de police. De même, la présence d’un magistrat a dû être assurée à l’IML durant toute l’enquête.

Durant les onze jours de l’enquête de flagrance sur les attentats de novembre, nous avons délivré 325 réquisitions en matière médico-légale, cinq requêtes en autorisation de perquisition de nuit, quarante et une autorisations de géolocalisation, quarante-sept requêtes en interceptions judiciaires, six demandes d’entraide pénale internationale, avec la Belgique et l’Allemagne, une équipe commune d’enquête, avec la Belgique, signée le lundi 16 novembre, et trois mandats de recherche.

Pour les attentats de novembre, en présence de scènes d’attentats multiples et simultanés, il a été décidé d’assurer un suivi de chaque événement au moyen d’une articulation entre les différents magistrats présents sur place et le chef de salle présent dans les locaux de la cellule de crise. Ainsi, plusieurs magistrats ont été projetés simultanément sur les lieux à partir de 22 heures. Je me suis moi-même rendu sur la scène du crime à La Bonne Bière et au Carillon, avant de rejoindre le Bataclan. Nous avons projeté un magistrat sur les scènes de crime du Stade de France. Nous sommes restés sur le site du Bataclan jusqu’à la fin de l’assaut donné par les unités d’intervention spécialisée.

Compte tenu de la fluidité dans la circulation de l’information dans les différents services, nous n’avons pas été obligés d’envoyer des magistrats dans les différents états-majors, contrairement à ce qui avait été le cas au mois de janvier, et nous sommes concentrés sur la prise en charge des victimes et de leurs proches.

Outre le volet « victimes », les investigations se sont articulées autour de deux axes principaux : la reconstitution du déroulement des faits et l’identification des auteurs.

Je voudrais tout d’abord rappeler nos compétences dans la problématique des victimes. Dans le cadre de l’enquête de flagrance – c’est le volet « médecine légale » –, le parquet détermine les examens qui doivent être effectués sur les victimes décédées et blessées pour parvenir à la manifestation de la vérité. Il a le libre choix des experts.

En ce qui concerne la prise en charge des victimes, nous avons une double compétence. La première est de signaler au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) les victimes qui devront être indemnisées, conformément au code des assurances. Cela nécessite d’identifier le plus rapidement possible les victimes, ou leurs ayants droit en cas de décès, d’obtenir des services enquêteurs leurs coordonnées, et si possible de faire évaluer les préjudices physique et psychologique, puis de transmettre sans délai ces éléments au FGTI.

Nous intervenons dans le dispositif interministériel mis en place en cas d’événement majeur, avec trois compétences particulières : nous établissons la liste unique des victimes, acte fondateur du déclenchement du droit à indemnisation, et qui sert aussi à déterminer le moment de l’annonce des décès aux familles, nous restons en lien étroit avec la cellule de crise du ministère des affaires étrangères et la CIAV, interministérielle et constituée d’équipes pluridisciplinaires, et nous fournissons aux familles des victimes une information sur le dispositif mis en place et l’état d’avancement des investigations. Pour mieux assurer ces missions, nous disposons au sein de la section antiterroriste d’un référent victimes.

Les attentats de janvier ont fait 17 morts, 20 blessés et plusieurs dizaines de victimes choquées. Ceux de novembre ont fait 130 morts, et la LUV toujours en cours d’élaboration répertorie plus de 1 600 personnes : 486 personnes blessées, 1 032 victimes choquées.

Une instruction interministérielle relative à la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme avait été signée le 12 novembre au soir, la veille des attentats.

Pour les attentats de janvier, la problématique des victimes a été prise en charge par un pôle « victimes », avec un référent au sein de la section. Pour les attentats de novembre, compte tenu du nombre très important de victimes, nous avons densifié notre dispositif. Un pôle victimes a été mis en place, mobilisé et joignable vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comprenant le magistrat référent de la section anti-terroriste, destinataire de toutes les remontées d’informations concernant les victimes, interface privilégiée avec les partenaires extérieurs, et une équipe tournante de magistrats présents : un magistrat présent à l’IML pour valider les identifications, signer les permis d’inhumer et relayer au référent victimes toutes les difficultés relatives à la signature des permis d’inhumer, deux magistrats présents à la CIAV et à l’École militaire, notamment chargés de l’annonce des décès. Ce pôle a aussi accueilli un atelier chargé de synthétiser les auditions de témoins-victimes, permettant d’affiner le statut des victimes en temps réel.

Pour assumer nos missions, il fallait être en possession des informations relatives aux victimes et nous avions heureusement tiré les conséquences de ce qui s’était passé en janvier. Nous avions mis en évidence un point faible dans l’articulation des moyens de justice et de police : il n’y avait pas, au niveau des services de police, un référent victimes, commissaire ou OPJ, qui soit débarrassé de toutes les missions relatives à l’avancement de l’investigation, ce qui avait conduit à attendre quasiment quarante-huit heures les éléments nécessaires pour établir la LUV. Nous avons tiré les leçons de cette expérience et obtenu la désignation par la DGPJ d’un commissaire de police au niveau de la SDAT dégagé de tout souci d’investigation et dont le rôle était exclusivement consacré au recueil d’informations pour lister les victimes. Ce référent victimes a été secondé par une équipe complète d’enquêteurs au sein de la SDAT et de la brigade criminelle.

En ce qui concerne la coordination des acteurs, dans le cadre de notre retour d’expérience sur les attentats de janvier, nous avons constaté que le guichet unique destiné aux victimes, sous l’impulsion du préfet et la coordination du service des anciens combattants, n’était pas adapté, et nous avons donc émis l’idée d’une structure permanente disposant de moyens ad hoc, en l’occurrence le centre de crise du ministère des affaires étrangères.

La veille des attentats, l’instruction interministérielle de prise en charge des victimes de terrorisme a entériné le principe de la CIAV, hébergée dans les locaux du centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères. Elle rassemble des membres de différents ministères. Son rôle est de centraliser en temps réel l’ensemble des informations concernant l’état des victimes, d’informer et d’accompagner leurs proches et de coordonner l’action de tous les ministères intervenants.

La nécessité de prévoir un lieu d’accueil, d’information et d’orientation des familles s’est rapidement imposée, compte tenu de l’ampleur des attentats, et l’École militaire a été désignée. Il a alors fallu rapidement mettre en place un numéro unique pour la prise en charge des victimes et de leurs proches et prévoir des équipes pluridisciplinaires pour annoncer les décès aux familles.

Nous avons été confrontés à un certain nombre de problèmes dans la prise en charge des victimes décédées et de l’hospitalisation des blessés, qui sont gérées dans le cadre du logiciel SINUS. Ce logiciel est une application qui permet l’identification, le dénombrement et le suivi des victimes et doit fiabiliser la remontée et le traitement des informations indispensables au suivi des victimes. Il s’agit d’un outil nécessaire pour établir un bilan et savoir où se trouvent les victimes hospitalisées.

Chaque victime est dotée d’un identifiant matérialisé par un bracelet à code barre, muni de stickers supplémentaires permettant l’identification de documents ou d’effets attachés à la victime, et d’une fiche médicale de l’avant (FMA) : associée au numéro d’identifiant SINUS, contenant des données personnelles et d’ordre médical, elle est mise en place uniquement sur des victimes lors de la prise en charge pré-hospitalière au sein du poste médical avancé.

Nous avons constaté qu’un certain nombre de points méritaient d’être améliorés. Il nous est ainsi apparu pertinent d’enrichir SINUS en y ajoutant des données personnelles, numéro de téléphone et adresse des victimes, pour accélérer la prise en charge. Parmi les difficultés constatées, on peut citer des doublons, des bracelets souillés par le sang et devenus illisibles, des bracelets ne comportant pas le lieu d’origine et de prise en charge... Nous estimons que les enquêteurs devraient se charger de désigner la scène et de poser eux-mêmes les bracelets sur les corps, en multipliant la pose de stickers sur les linceuls, les sacs mortuaires afin d’éviter les pertes d’informations. Chaque corps doit être enregistré sous X ab initio pour sécuriser le processus d’identification et seuls les ensembles tête-buste doivent être enregistrés sur la base du logiciel SINUS, à l’exclusion des fragments de corps. Le besoin d’harmonisation de l’utilisation du logiciel SINUS en région parisienne, au-delà du ministère de la santé, et plus largement au niveau national s’est immédiatement fait ressentir.

En janvier comme en novembre, le choix a été de saisir l’IML de Paris, qui s’est renforcé. L’Institut dispose de quatre tables de médecine légale dont, pour des raisons d’organisation interne, trois fonctionnent. L’IML s’est adjoint trois médecins légistes de la Gendarmerie nationale, ce qui porte les effectifs à quinze, ainsi que de balisticiens de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN). La capacité de stockage des corps de l’IML s’élève à 400 cases frigorifiques.

L’IML a enregistré 168 entrées, correspondant à des corps ou fragments de corps. L’absence de scanner au sein de l’IML a été palliée par le recours aux scanners des hôpitaux environnants, l’Hôtel-Dieu et la Salpêtrière.

Nous avons été très rapidement confrontés à la nécessité de faire un choix. Les causes de la mort étaient connues. Si une autopsie était systématiquement réalisée, cela aurait nécessité au minimum deux, voire trois, semaines et aurait retardé d’autant les présentations et restitutions de corps aux familles des victimes, dont la demande à cet égard était extrêmement forte. Le choix d’un second site pour effectuer les autopsies aurait par ailleurs complexifié le processus d’identification des corps et multiplié les équipes référentes de chaque service engagé ; enfin, et surtout, cela aurait beaucoup compliqué le parcours des victimes, que nous nous sommes efforcés de simplifier le plus possible.

Nous avons donc décidé de discriminer entre les autopsies indispensables et les examens de corps approfondis. Il a ainsi été décidé que seraient soumis à autopsie complète les corps des terroristes, les débris de corps, les corps de victimes non identifiables, et les corps des victimes décédées après hospitalisation, ainsi que tous les corps avec projectiles incorporés, c’est-à-dire avec des orifices d’entrée mais pas d’orifices de sortie. Pour les autres corps, il a été décidé de les soumettre à des examens de corps approfondis avec imagerie médicale, c’est-à-dire radios puis scanner, et recours aux services d’un balisticien de l’IRCGN. Il a été demandé au directeur de l’IML d’être le plus précis possible dans ses rapports sur les causes et les circonstances de la mort.

Ce choix a permis de réaliser l’ensemble des actes de médecine légale en moins d’une semaine, entre le dimanche 15 et le jeudi 19 novembre, et de restituer les corps aux familles dans un délai raisonnable, qui ne devait pas excéder une semaine à compter des attentats. Sur les 130 victimes, nous avons réalisé quatre-vingt-deux examens externes approfondis et quarante-huit autopsies complètes. Nous sommes toutefois conscients des limites du système et savons que, dans l’hypothèse d’attentats de plus grande ampleur, il sera nécessaire de doubler, voire tripler, le nombre de sites d’examen.

L’identification des victimes constitue un enjeu majeur mais de façon nuancée selon les types d’attentat. Un attentat à l’explosif, comme à Bruxelles la semaine dernière, se traduit par des problèmes majeurs d’identification des corps. Pour un mode opératoire à l’arme de guerre, nous n’avons pas les mêmes difficultés.

Pour les attentats du 13 novembre, l’Unité nationale d’identification des victimes de catastrophes (UNIVC) a, pour la première fois, été activée par la DCPJ dans ce type de contexte. L’identification des corps a été effectuée par cette unité selon le protocole Interpol. La commission UNIVC s’est réunie toute la journée du 16 novembre 2015 pour procéder à la corrélation des éléments ante-mortem et post-mortem. Le processus d’identification s’est achevé le 19 novembre avec la dernière présentation aux familles.

Il est toutefois apparu assez rapidement que le protocole UNIVC classique, prévoyant la réunion d’une commission a posteriori et le recueil systématique de l’empreinte génétique, pertinent dans l’hypothèse d’accidents collectifs ou d’un attentat à l’explosif où les corps sont fortement dégradés, n’était pas adapté aux attentats du 13 novembre, où les corps des victimes étaient le plus souvent identifiables sur photographies ou par les familles avec des signes distinctifs tels que des tatouages. L’allégement de cette procédure en simplifiant le processus a permis d’accélérer l’identification des corps, préalable indispensable à la restitution aux familles.

À la suite du retour d’expérience que nous avons effectué, nous pensons également que l’intervention précoce de la cellule post-mortem, le cas échéant directement sur les scènes d’attentat, peut être de nature à accélérer le processus d’identification. Le recueil à titre conservatoire des éléments primaires d’identification auprès des familles dès la phase d’accueil par la cellule ante-mortem accélère également ce processus. Enfin, nous tiendrons à l’avenir une réunion de la commission ante-mortem post-mortem au moins une fois par jour, pour travailler au fil de l’eau.

M. le président. La question des moyens est très importante et notre Commission d’enquête sera sans doute amenée à formuler des propositions à cet égard. En dehors de la cellule de crise, soixante-deux magistrats peuvent être mobilisés très rapidement. Les effectifs permanents de la section anti-terroriste du parquet de Paris, qui a une compétence nationale, sont de onze. Est-ce que ce sont des moyens suffisants compte tenu de la menace existante ?

M. François Molins. Ces effectifs correspondent aux nécessités de l’activité de la section aujourd’hui mais ce ne sera plus le cas dans quelques mois. Les chiffres qui nous ont été communiqués hier font état de 250 enquêtes ou informations en cours sur le djihad irako-syrien et de 782 personnes mises en cause, qu’elles soient déjà mises en examen ou encore recherchées. Ces chiffres sont en augmentation.

Le nombre de personnes suivies par les services de renseignement est globalement constant depuis plusieurs mois, entre 1 850 et 1 900. En revanche, le nombre d’individus judiciariés ne cesse d’augmenter, conséquence de l’augmentation très importante des effectifs du département judiciaire de la DGSI et de la SDAT. Le nombre de personnes mises en cause a donc vocation à doubler ou tripler.

Les effectifs de la section devront par conséquent augmenter dans les mois et années à venir. Dans le cadre du nouveau palais de justice des Batignolles, la direction judiciaire a acté le fait que les locaux de la section anti-terroriste seront configurés à partir de novembre 2017 pour accueillir un effectif de dix-huit à vingt magistrats.

M. le président. À la suite des attentats de novembre, il a été évoqué la commission d’actes de barbarie.

M. François Molins. C’est une rumeur. Les médecins légistes ont été formels : il n’y a pas eu d’acte de barbarie, pas d’utilisation, notamment, d’armes blanches. Selon un témoignage, les testicules d’une personne auraient été coupés, mais aucune constatation n’a permis de le corroborer.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Je salue, monsieur le procureur, votre travail. Votre parole est entendue et respectée par tous.

Quelle est votre appréciation du quantum des peines ? La réflexion est en cours sur l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (AMT) criminelle. Ce n’est pas un sujet simple. Vous êtes en outre confrontés à des mères, des jeunes filles, des mineurs. Pouvez-vous nous donner des éléments chiffrés sur les condamnations prononcées ces deux dernières années ?

Comment travaillez-vous, concrètement, avec les services de renseignement ? Considérez-vous que cette coopération soit bonne ou faut-il encore améliorer la fluidité des informations ? Même question au sujet de vos relations avec Eurojust et vos partenaires européens.

La presse a fait état d’un rapport de la DCRI de 2009 rapportant une menace sur le Bataclan. De même, des menaces sur un « concert de rock » ont été rapportées en août 2015. Lors de notre audition des victimes, le point de vue a souvent été exprimé que, le Bataclan ayant été menacé, les mesures de précaution qu’une telle situation appelait n’ont pas été prises. Quel est votre sentiment ?

Enfin, y a-t-il selon vous des points d’amélioration possibles au niveau du parquet ?

M. François Molins. Nous avons des rapports de très grande qualité avec la DGSI, qui a l’initiative de soumettre au parquet les éléments qui lui semblent devoir être judiciarisés.

La politique pénale a considérablement évolué vis-à-vis du djihad franco-syrien. Dans le premier dossier, on nous objectait que la France soutenait l’opposition au régime de Bachar el-Assad ; vous voyez le chemin qui a été parcouru depuis lors. Une prise de conscience a eu lieu. La politique pénale est allée dans le sens de la densification et d’une plus grande répression.

La configuration de l’AMT correctionnelle ne permet pas de faire une différence entre ceux qui ont commis des actes de moindre gravité – logistique d’organisation d’une filière – et ceux qui ont participé aux menées terroristes de Daech en tant que combattants. Nous avons donc annoncé il y a deux semaines au sein de notre hiérarchie que nous partions désormais sur une criminalisation. Quand nous ouvrons aujourd’hui une enquête ou information contre des gens ayant rejoint Daech, nous ne le faisons plus pour AMT correctionnelle mais pour AMT criminelle. Les affaires iront devant la cour d’assises spéciale, ce qui n’est pas non plus sans poser la question des moyens.

Mme Camille Hennetier, vice-procureure de la République au pôle anti-terroriste du tribunal de grande instance de Paris. Sur 261 personnes mises en examen dans le conflit irako-syrien, vingt-neuf sont des mineurs, dont un fait l’objet d’un mandat d’arrêt, huit sont détenus et trois sont mis en examen pour des faits de nature criminelle. Sur ces vingt-neuf, il y a sept jeunes filles, dont deux sont détenues. Huit de ces vingt-neuf mineurs avaient moins de seize ans au moment de la commission des faits.

Cinquante-quatre femmes sont actuellement mises en examen, neuf d’entre elles sont détenues. On ne peut pas dire que nous avons une politique de non-poursuite à l’égard des femmes, mais nous avons considéré qu’elles méritaient sans doute un traitement différencié, dans la mesure où elles ne participent pas aux combats sur zone. Nous mettons en examen des femmes qui participent au soutien logistique des filières, financent des combattants de Daech, ou bien ont pour projet de passer à l’acte sur le territoire national ou de recruter d’autres femmes pour partir épouser des combattants sur zone.

La réflexion sur l’AMT criminelle n’est pas récente. Il ne convient pas de plafonner les peines à dix ans pour des individus combattant au sein de Daech quand le fait même de rejoindre cette organisation terroriste implique de facto l’intention de commettre des crimes d’atteinte aux personnes. Mais nous nous autocensurions car, si nous criminalisons les personnes partant sur zone, il faut que la cour d’assises spéciale puisse suivre. On ne peut plus raisonner de cette manière : il ne faut plus adapter notre politique pénale aux moyens dont nous disposons mais adapter les moyens eux-mêmes. Une révolution est à mener du côté de la cour d’assises, qui doit juger dans des délais plus brefs des individus ne comparaissant pas, sur la base de dossiers dans lesquels il y aura peu de preuves.

Nous avons des rapports de confiance avec la DGSI. La phase en amont de la judiciarisation comporte un procès-verbal qui blanchit le renseignement et pose les bases de l’ouverture d’une enquête. Un dialogue s’instaure entre la DGSI et le parquet sur les éléments de renseignement communiqués et les raisons pour lesquelles la DGSI sollicite la judiciarisation d’un individu. Il nous est arrivé, la semaine dernière, de refuser une judiciarisation – ce n’était pas, je vous rassure, un combattant sur zone –, estimant que les éléments étaient trop ténus.

Mme Véronique Degermann, procureure de la République adjointe au tribunal de grande instance de Paris. Je précise que nous travaillons avec le département judiciaire de la DGSI. Cette dernière nous fournit également des PV de contexte dans les procédures, ce qui est très utile pour situer des individus, permettre des rapprochements ; nous en sommes très demandeurs.

M. le rapporteur. Nous avons le sentiment que les protagonistes du terrorisme sont des gens connus des services de renseignement. Il s’agit de réseaux anciens qui se défont et se refont. Comment se font les échanges d’informations entre les services de renseignement et le parquet au quotidien ? Quelle est la méthode de travail ?

M. François Molins. Celui qui peut appuyer sur le bouton, c’est celui qui détient l’information, c’est-à-dire la DGSI. Nous sommes donc tributaires du moment où elle viendra nous voir pour nous parler d’un cas. Cela se fait pratiquement tous les jours. Chaque fois, un dialogue s’instaure afin de rechercher si le dossier tel qu’on nous le présente permet d’ouvrir une procédure judiciaire. Dans la grande majorité des cas, c’est ce qui se passera, mais il peut aussi arriver que nous demandions à la DGSI d’approfondir tel ou tel point. Nous n’avons pas encore assez de recul sur l’application de la loi du 25 juillet pour savoir si elle a enrichi ou modifié le processus de judiciarisation.

La coopération internationale se passe bien. Eurojust a joué un rôle important de facilitateur et de rassembleur sur des enquêtes impliquant plusieurs pays. En matière pénale, la coopération sur les attentats de janvier et novembre a été positive avec un certain nombre de pays. Le travail avec l’Espagne est toujours de très grande qualité. La coopération a également très bien fonctionné avec les Américains. Dans le cadre d’une demande d’entraide pénale internationale, nous avons obtenu des éléments en une nuit – quand ils veulent aller vite, ils y arrivent ! La Belgique est un cas plus complexe. Les relations entre les deux parquets sont excellentes mais nos deux systèmes sont très différents. L’évolution législative en France a renforcé les pouvoirs du parquet, permet des gardes à vue jusqu’à six jours, des enquêtes téléphoniques… En Belgique, la garde à vue est de vingt-quatre heures, le parquet fédéral est obligé d’ouvrir une information très rapidement, les écoutes téléphoniques doivent être entièrement retranscrites, même ce qui ne présente aucun intérêt. L’équipe commune d’enquête, signée immédiatement après les attentats, a cependant bien fonctionné. La Belgique est le pays avec lequel nous avons le plus d’équipes communes en cours.

En ce qui concerne les améliorations législatives, on ne peut jamais dire « fontaine je ne boirai pas de ton eau » ; la problématique évolue sans cesse. Nous avons le sentiment que le projet de loi actuellement au Sénat va dans le bon sens, notamment sur l’extension des possibilités d’action la nuit. Nous souhaitions durcir un peu le régime d’exécution des peines, notamment en prévoyant des modes plus offensifs pour la frange de cinq à dix ans, avec le suivi socio-judiciaire et la surveillance judiciaire, pour éviter les sorties sèches.

Au sujet du Bataclan, il serait hasardeux de laisser croire que les attentats auraient pu être évités sur la seule base de renseignements reçus des autorités égyptiennes en 2009, qui n’ont jamais pu être étayés en procédure et ont au contraire été mis à mal par l’attitude des Égyptiens, lesquels ont remis en liberté les principaux acteurs soupçonnés d’être en relation avec M. Ben Abbes, tout cela ayant abouti à une décision de non-lieu par un juge d’instruction. On ne peut nier que le problème s’est posé à un moment donné mais, dès lors qu’un juge d’instruction a conclu, après enquête, que la menace n’était pas avérée, il était difficile d’engager une protection, qui aurait dû s’étendre sur plusieurs années.

M. le président. Le dossier n’était pas étayé en 2009 et a fait l’objet d’une ordonnance de non-lieu. Il y a eu ensuite, en 2015, l’information d’une menace sur une salle de spectacle. Mais la question du rapporteur n’est pas celle de la judiciarisation ; il s’agit de savoir s’il n’aurait pas fallu informer les propriétaires du Bataclan de la menace. Nous avons posé la question à M. Cazeneuve, qui a répondu qu’il n’avait pas d’information particulière en raison du secret de l’instruction.

M. François Molins. Je ne suis pas le mieux placé pour vous répondre car la justice n’est pas en charge de la protection des personnes et de l’ordre public, mais si nous avions apporté l’information d’une menace en 2009, nous aurions aussi apporté en 2011 celle d’un non-lieu en raison du fait que rien n’avait pu être vérifié.

Mme Camille Hennetier. Selon les PV de garde à vue, Reda Hame parle d’un concert de rock dans un pays européen. Il dit qu’Abaaoud lui a demandé de choisir « une cible facile, un concert, par exemple, là où il y a du monde ». Cela reste assez vague et le Bataclan n’est pas ciblé. Énormément de cibles sont aujourd’hui susceptibles de faire l’objet d’attentats. La présence de deux policiers ou militaires à l’entrée du Bataclan aurait-elle dissuadé trois individus armés de kalachnikovs et de gilets d’explosifs d’entrer dans les lieux ?

Mme Françoise Dumas. Au nom de l’ensemble du groupe socialiste, je vous remercie, monsieur le procureur, pour la sérénité et la précision de votre communication au moment des attentats. Comment arrivez-vous à gérer la presse ? Comment, tout d’abord, avez-vous appréhendé cette question lors des attentats et comment, ensuite, pourrait-on améliorer le dispositif dans le sens à la fois de la prévention, d’une information utile et protectrice, et de la lutte contre les rumeurs et les informations irresponsables ?

M. François Lamy. Je rejoins la question de Françoise Dumas sur la gestion de la presse. Comment avez-vous abordé le problème entre janvier et novembre, et depuis novembre ? Dans un environnement d’information permanente, de réseaux sociaux et autres, de nouvelles procédures ne doivent-elles pas être envisagées ?

Quel est par ailleurs votre sentiment sur le rôle et l’utilité de l’état d’urgence ?

M. François Molins. Selon les époques et les problèmes, les approches concernant la presse peuvent être extrêmement permissives ou au contraire extrêmement répressives. Quand on ouvre aujourd’hui une enquête pour violation du secret de l’instruction et recel de violation du secret de l’instruction, la législation est telle que l’on ne peut quasiment rien faire à l’égard d’un journaliste qui refuse d’indiquer comment il a obtenu une information. D’un autre côté, le besoin d’information dans les affaires terroristes est immense et je pense qu’il est du devoir de l’institution de communiquer un minimum d’informations objectives au public ; c’est la responsabilité du procureur, aux termes de l’article 11, alinéa 3, du code de procédure pénale. Nous l’avons intégré dans notre fonctionnement, mais nous sommes tenus au respect de certains principes : objectivité, respect des victimes, présomption d’innocence… Ainsi, on peut difficilement s’exprimer au cours d’une garde à vue ; le bon moment est plutôt le défèrement des personnes mises en examen, et après.

Il y a des fuites. Nous essayons d’appeler les journalistes à la responsabilité mais nous n’avons pas rencontré beaucoup de succès jusqu’à présent et nous sommes parfois très choqués de voir que certains journaux sont en possession d’informations qu’ils ne devraient pas avoir car elles concernent des investigations en cours et sont protégées. Certains jouent le jeu et retiennent ce genre d’informations, d’autres les divulguent. Quant aux réseaux sociaux, il est absolument impossible de les contrôler. J’ai aussi appris qu’une agence de presse avait perdu un gros marché parce que l’un des actionnaires avait eu vent du fait que l’agence n’avait pas communiqué une information en sa possession…

M. le président. Pourquoi ne faites-vous pas un flagrant délit en recel de violation du secret de l’instruction, ne serait-ce que pour marquer les esprits ?

M. François Molins. Quand nous ouvrons des enquêtes, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent elles n’aboutissent à rien. Elles aboutissent seulement quand des photos sont partagées sur les réseaux sociaux, par des journalistes à la lisière, des apprentis policiers ou pompiers qui ont pris des photos sur les scènes de crime…

M. le rapporteur. Au mois de janvier, M. Jean-Paul Ney, sur les réseaux sociaux, est le premier à diffuser l’identité des frères Kouachi. J’imagine que cela pouvait nuire grandement à l’enquête. L’avez-vous poursuivi ?

M. François Molins. Oui. Je ne pense pas que sa révélation ait freiné les investigations mais il est certain qu’elle aurait pu avoir cet effet.

Il faut tenir compte également de la Cour européenne des droits de l’homme, dont l’attitude est extrêmement permissive à l’égard du droit à l’information. Elle a ainsi rétréci comme une peau de chagrin la jurisprudence des tribunaux français, puisqu’elle reconnaît un droit à informer dès lors que cela correspond à un besoin légitime de l’information du public. Il y a des faits pour lesquels nous pouvions condamner une personne il y a vingt ans et nous ne le pouvons plus aujourd’hui.

M. François Lamy. Le secret de l’instruction n’existe plus. Nous avons vu la semaine dernière encore que les procès-verbaux de police se retrouvent dans la presse. N’avons-nous pas intérêt à passer à un autre système, à une communication de crise par l’information en temps réel des Français ?

M. François Molins. La communication judiciaire doit être maîtrisée et s’appuyer sur la certitude de la véracité et de la réalité de ce qui sera porté à la connaissance du public. Ce n’est pas un hasard si le parquet communique très peu dans les deux ou trois heures qui suivent ce genre d’événements, car nous serions conduits à dire des choses qui seraient contredites par la suite. Je ne veux pas non plus polluer la communication du politique, et notre communication sera de toute façon toujours limitée par le fait que nous ne pouvons dire des choses qui pourraient nuire au déroulement des enquêtes.

M. le président. Il semblerait tout de même que vous avez été un moment induit en erreur sur le nombre de balles tirées à Saint-Denis. N’est-ce pas l’exemple d’une communication trop rapide ?

M. François Molins. Tout à fait, c’est un bon exemple.

M. Jean-Michel Villaumé. L’avocat de Salah Abdeslam a menacé de porter plainte contre vous pour violation du secret de l’instruction.

M. François Molins. C’est plus qu’une menace, il l’a fait, mais, comme je l’ai dit publiquement, je suis très serein. Les dossiers français et belges sont reliés par un dispositif particulier qui est une équipe commune d’enquête, laquelle alimente les deux de la même façon. Français et Belges travaillent donc sur un dossier identique, mais nous communiquons chacun selon nos règles propres. Je communique en respectant l’article 11, alinéa 3, du code de procédure pénale français et non le code belge. Il n’y a donc pas de problème.

L’état d’urgence, monsieur Lamy, permet de procéder sur un mode administratif à des perquisitions pour lesquelles il n’y aurait pas d’éléments suffisants permettant de les conduire dans un cadre judiciaire. L’autorité judiciaire reste donc en dehors. J’ai le sentiment que l’état d’urgence a donné lieu à de nombreux résultats en matière de crime organisé mais à des résultats plus modestes sur le terrorisme : cinq perquisitions ont permis l’ouverture de procédures judiciaires.

M. le président. Dont quatre relèvent de l’apologie, n’est-ce pas ?

M. François Molins. Non, nous sommes sur de l’AMT. Pour être précis, une de ces cinq perquisitions a permis d’enrichir un processus de judiciarisation déjà en cours.

M. Alain Marsaud. Si j’avais un doute, je viens de prendre conscience, en vous écoutant, que le monde a véritablement changé depuis l’époque où j’ai quitté votre maison. Nous étions, au sein de la section anti-terroriste, des amateurs ; nous n’avions pas en charge des opérations telles que celles que vous avez menées, et je suis admiratif du professionnalisme de cette section aujourd’hui. Je suis rassuré, alors que j’avais eu des doutes en entendant certains autres acteurs auditionnés par cette Commission d’enquête.

J’ai écrit au président de notre Commission il y a quelques temps au sujet d’un enregistrement audio effectué au sein du Bataclan et permettant de connaître l’exact déroulement des faits. Le président vous a saisi et m’a laissé entendre que, ce document étant couvert par le secret de l’instruction, vous ne pouviez en révéler la teneur à notre Commission. Cela aurait pourtant été bien utile.

Avez-vous des rapports avec la DGSE, même informels, en vue d’obtenir des informations concernant les zones au Moyen-Orient, notamment sur les retours en France, sans passer par la DGSI ? Notre crainte à tous, ce sont les retours de Syrie lorsque l’État islamique sera réduit. Vous avez indiqué que vous souhaitiez mettre en place des procédures d’AMT criminelle. Si l’on en croit nos autorités politiques, cela concernerait entre 500 et 700 Français. Avez-vous réfléchi à la mise en place d’une procédure criminelle spécifique, épurée ? Il faudrait nettement raccourcir les délais.

M. François Molins. La bande sonore est en effet sous scellé. Je l’ai écoutée et elle montre qu’il y a bien eu deux temps ce soir-là : l’avant et l’après l’entrée du commissaire de la BAC. Les exécutions de victimes ont lieu avant l’intervention de ce commissaire et de son chauffeur.

Nous n’avons pas de relations institutionnelles avec la DGSE, même si j’ai personnellement les meilleures relations du monde avec M. Bajolet. Notre interface est la DGSI. C’est elle qui fait l’interface avec toute la communauté du renseignement, à l’exception de Tracfin.

S’agissant des retours de Syrie, je vous rejoins. Il est certain que le changement de politique pénale posera une question de moyens. Il faut, comme le disait ma collègue, que ce soient les moyens qui suivent.

Il n’est pas interdit de réfléchir à la manière d’assouplir la procédure criminelle. Un questionnaire est actuellement diffusé par la direction des affaires criminelles et des grâces pour consulter la totalité des parquets français sur leur sentiment à ce sujet. Des évolutions procédurales seront indispensables pour juger tous ces gens dans des délais compatibles avec le respect des délais de détention et les exigences du délai raisonnable de la Convention européenne.

M. Meyer Habib. Selon l’avocat de certaines victimes, l’information aurait dû être transmise aux propriétaires du Bataclan qu’il y avait eu une menace sur cette salle en raison du fait qu’elle avait organisé des soirées pour la communauté juive ou pour Israël.

Ce que vous avez dit au sujet d’internet est inquiétant. Je me souviens des 20 000 tweets « je suis Kouachi » ou « je suis Coulibaly », et c’est sans doute de facto impossible d’identifier ces 20 000 personnes. Les menaces de mort sur internet ne sont pas rares non plus. N’y a-t-il rien à faire ? Ne faudrait-il pas prévoir des sanctions très lourdes pour dissuader de profiter de l’immensité et de l’anonymat de la Toile ?

Au cours de l’attentat de l’Hypercacher, BFMTV révélait que des otages se trouvaient dans la chambre froide, alors que l’on essayait de bloquer l’information. Ne conviendrait-il pas de légiférer pour établir un black-out absolu, comme cela existe dans certains pays : une interdiction totale de communiquer assortie de sanctions très lourdes ?

M. François Molins. Je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai dit sur le Bataclan. Si l’information avait été donnée à l’époque, le non-lieu serait venu signifier que la menace n’a pu être accréditée.

Internet est tout de même surveillé. Je ne me fais pas d’illusion, compte tenu de l’immensité du problème, mais il existe à la DCPJ une plateforme PHAROS spécialisée dans la surveillance, qui reçoit de nombreux signalements et permet d’initier des enquêtes lorsque sont découverts des contenus illicites, notamment des délits d’apologie.

L’embargo que vous évoquez me semble une bonne idée. La Belgique a un système connu dans notre jargon sous le nom de « système des petits chats ». En mettant des « petits chats » sur internet, ils parviennent à faire comprendre aux journalistes et à la population que tout le monde doit se taire sur ce qui est en train de se passer. Et cela marche : nous l’avons constaté il y a quelques semaines quand une gigantesque opération a été diligentée et personne n’en a parlé, ce qui a conduit la police belge à mettre sur internet un énorme plat de croquettes pour récompenser les petits chats.

De même, la procédure espagnole permet au juge de prendre une décision d’embargo interdisant à qui que ce soit de publier des informations sur le dossier concerné. Cela fonctionne aussi.

M. le président. C’est ce que font les Anglo-Saxons.

M. Meyer Habib. Israël également.

Mme Camille Hennetier. Une plainte a été déposée contre BFMTV par une des femmes présentes dans la chambre froide. Nous nous sommes demandé quel fondement juridique il convenait de donner à cette plainte, car il nous paraissait important, au moins symboliquement, de mettre BFMTV et les journalistes qui avaient relayé l’information face à leurs responsabilités. Nous n’en avons pas trouvé et nous avons donc dû recourir à l’infraction générique de mise en danger de la vie d’autrui, mais nous savions dès le départ que c’était voué à l’échec parce qu’il fallait prouver la violation délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Cela a tout de même permis de procéder à des auditions. Une transaction a eu lieu avec les victimes et la procédure s’est arrêtée. Les fuites peuvent mettre en danger la vie des personnes ou bien contraindre les services à précipiter des opérations d’interpellation, comme c’est arrivé dans le cas de l’interpellation de Salah Abdeslam, alors que cette opération extrêmement dangereuse devait se passer dans un quartier avec des écoles. Les opérations sont conduites à s’adapter au timing de la presse. Il conviendrait donc de réfléchir à une infraction permettant de réprimer des comportements qui mettent en danger les fonctionnaires de police et les victimes.

M. le président. La Commission d’enquête va y réfléchir.

M. Olivier Marleix. Je me réjouis de l’inflexion de la politique pénale. Y a-t-il déjà eu des mises en examen sur le fondement de l’article 421-6 du code pénal ? Quel est le délai prévisible du jugement sur la première mise en examen sur ce fondement ? Par ailleurs, l’article 411-4 sur l’intelligence avec une puissance ou organisation étrangère pourrait-il servir de fondement à l’accusation contre les terroristes de Daech, ou bien est-ce un article désuet ? Ces personnes ne pourront-elles pas être protégées par le principe du non bis in idem faute d’avoir été poursuivies sur une qualification suffisamment lourde ?

M. Serge Grouard. Ne faudrait-il pas aller vers un maillage territorial de l’organisation, en utilisant les parquets de province ?

M. François Molins. Il faut un maillage territorial dans une approche pragmatique qui permette au parquet anti-terroriste d’utiliser les ressources des parquets locaux pour faire face aux attentats d’ampleur. Si des attentats multiples se produisent demain dans l’agglomération lyonnaise, ou niçoise, il faudra, lorsque nous ouvrirons une cellule de crise à Paris, nous appuyer – une circulaire a été publiée en ce sens le 18 décembre dernier – sur les ressources humaines du parquet local, car nous en aurons besoin pour l’aide aux victimes ou la gestion de la médecine légale en lien avec l’IML. Mais cela ne saurait se traduire par une dévolution des compétences à des parquets autres que le parquet de Paris. Si une justice spécialisée en matière anti-terroriste a été créée en 1986, c’est justement pour lutter contre la déperdition qui résultait de l’absence d’unité d’action et de cohérence dans le traitement de ces dossiers.

Sur l’article 411-4, quand on évoque une puissance étrangère, on pense à un État. Ce serait donner à Daech des titres de noblesse qu’il ne mérite pas.

Des AMT criminelles ont déjà été notifiées pour des gens rentrés de Syrie, où ils avaient participé à des exactions, mais on peut avoir affaire à des dossiers tentaculaires renvoyant à l’organisation de filières comme à des dossiers beaucoup plus simples dont le traitement ne présente pas la même difficulté.

Mme Camille Hennetier. Les dossiers sont ouverts au criminel dès lors qu’un individu est sur zone, et nous reconsidérons d’anciennes mises en examen sous un visa correctionnel en sollicitant du magistrat instructeur une saisine supplétive sur l’AMT criminelle. Le calendrier, en termes de comparution devant la juridiction de jugement, ne devrait pas être très long. Outre les individus dont il est établi qu’ils ont commis des exactions sur zone, l’AMT criminelle est également visée sur les enquêtes concernant les attentats. Par exemple, quand Salah Abdeslam sera de retour en France, il sera mis en examen pour assassinat, tentative d’assassinat et AMT criminelle.

Mme Véronique Degermann. La centralisation de l’information fait notre force. La remontée vers cette cellule de crise unique, seul lieu de décision, est absolument essentielle. À titre de comparaison, il est très compliqué de travailler avec l’Allemagne, dont les structures sont éclatées dans les différents Länder.

M. le président. Merci. Nous vous adressons la reconnaissance de la représentation nationale pour le travail que vous accomplissez.

*

* *

Audition, à huis clos, de Mme Laurence Le Vert, première vice-présidente chargée de l'instruction au pôle antiterroriste du TGI de Paris, et de M. David Benichou, vice-président chargé de l'instruction au pôle antiterroriste du même TGI

M. le président Georges Fenech. Nous accueillons Mme Laurence Le Vert, première vice-présidente chargée de l’instruction au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris et M. David Benichou, vice-président chargé de l’instruction dans ce même pôle. Nous vous remercions, madame la première vice-présidente et monsieur le vice-président, d’avoir répondu à l’invitation de notre commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015. Nous venons d’entendre le procureur de la République de Paris et les responsables du parquet antiterroriste et avons commencé d’aborder l’ensemble des questions judiciaires ; nous poursuivons avec vous, dans le respect de la séparation des pouvoirs, nos investigations sur les moyens de lutter contre le terrorisme. Nous allons nous intéresser au pôle antiterroriste et à la pertinence des dispositions législatives que vous mettez en œuvre.

En raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer, cette audition se déroule à huis clos et n’est donc pas diffusée sur le site internet de l’Assemblée. Néanmoins, et conformément à l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l’issue de nos travaux. Les comptes rendus des auditions à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces dernières seront soumises à la commission, qui pourra décider d’en faire état dans son rapport. Conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l’article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Laurence Le Vert et M. David Benichou prêtent serment.

Mme Laurence Le Vert, première vice-présidente chargée de l’instruction au pôle antiterroriste de tribunal de grande instance de Paris. La section antiterroriste de l’instruction comporte actuellement un premier vice-président et chef de section, ainsi que huit vice-présidents, le dernier poste ayant été créé en 2015 à la suite des attentats de janvier et pourvu en septembre dernier. Nous sommes tous chargés de l’instruction et comptons chacun un greffier dans notre cabinet ; deux agents administratifs scannent les dossiers d’information, et quatre autres agents – deux à temps plein et deux à temps partiel – mettent en forme les dossiers, en établissent la cotation, les photocopient et délivrent les permis de visite, ces tâches administratives s’avérant très lourdes.

Depuis les attentats du 13 novembre dernier, un nouveau greffier a rejoint notre équipe ; placé auprès du vice-président, magistrat premier saisi du dossier des attentats de novembre, il reçoit les constitutions de partie civile, dont le nombre dépasse, à l’heure actuelle, les six cents. Il s’agit donc d’une tâche à temps plein pour une personne, voire deux, d’autant que nous avions déjà reçu beaucoup de constitutions de partie civile après les attentats de janvier et constaté que cela engorgeait le cabinet et empêchait le magistrat instructeur de procéder à des interrogatoires, la présence d’un greffier étant indispensable. Outre le greffier compétent que nous avons reçu, un autre agent administratif à temps plein remplacera bientôt l’une de nos agentes à mi-temps, qui va partir en congé maternité.

À la suite des attentats de janvier 2015, nous avions exposé à la garde des sceaux et à notre hiérarchie le problème du traitement des données informatiques. Un assistant spécialisé en informatique, en provenance des Douanes, nous a enfin rejoints cette semaine et aidera à plein-temps la section à exploiter tous les supports informatiques saisis, qui fournissent les données principales des dossiers d’information.

Nous avons également été équipés de nouveaux matériels, notamment de tablettes qui nous évitent de transporter nos ordinateurs et offrent davantage de sécurité puisque les données se trouvent uniquement sur une clef USB. Nous avons été dotés d’un double écran informatique qui nous fait gagner un temps considérable puisque cela permet de copier des paragraphes des dossiers scannés. Nous disposons de téléphones portables cryptés, sur lesquels nous pouvons recevoir nos mails professionnels, alors que cela n’est pas autorisé sur nos téléphones et nos ordinateurs personnels pour des raisons de sécurité. Enfin, nous avons été le dernier service du ministère de la justice à recevoir la version NPP4 du système de scanner : plus efficace et plus rapide, elle nous aide surtout à effectuer des inventaires de dossiers.

Nous sommes six magistrats à instruire les attentats du 13 novembre 2015, et ces renforts humains et techniques s’avèrent des plus nécessaires !

M. le président Georges Fenech. Voilà pour les moyens. Et pour la législation ?

Mme Laurence Le Vert. Nous attendons le vote du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, encore en cours d’examen au Parlement.

Nous rencontrons des problèmes en matière informatique, la législation se révélant insuffisante pour nous permettre d’accéder aux données, alors que les systèmes employés par les membres de l’État islamique (EI) sont très perfectionnés. Ils cryptent leurs documents, avec des containers notamment, et se dotent des derniers iPhone qui leur permettent de sécuriser leurs données. Le volume de ces dernières est considérable, et nous avions souhaité que la loi nous autorise à capter, dans le cadre d’une commission rogatoire technique, les données stockées et non pas seulement celles à venir, comme actuellement. Notre requête n’attente pas aux libertés, et sa satisfaction nous éviterait de perdre des mines de renseignement sur l’activité de ces gens, sur la manière dont ils sont partis en Syrie, sur ce qu’ils y ont fait et sur les personnes avec lesquelles ils correspondent.

Nous aimerions que le délai de prolongation des détentions correctionnelles, actuellement fixées à quatre mois, soit porté à six mois. En effet, la norme actuelle nous contraint à établir une ordonnance au bout de deux mois et demi pour saisir le procureur de la République afin d’obtenir des réquisitions et une transmission au juge des libertés et de la détention (JLD). Entre deux prolongations, les détenus peuvent former jusqu’à deux demandes de remise en liberté par jour, ce qui représente une importante perte de temps pour le cabinet, et même un risque si l’on ne statue pas en temps voulu sur une demande de saisine de la chambre de l’instruction. Les détenus peuvent faire appel de chaque décision.

Il faut dorénavant intégrer les supports de données dans le fonctionnement de la justice, leur volume pouvant être considérable ; on ne peut plus commettre d’experts pour qu’ils impriment tout ce qui pourrait intéresser l’enquête. Les experts rapportent leurs opérations, décrivent les scellés et les techniques utilisées, et placent les données auxquelles ils ont accédé sur disque dur. Ce dernier devient une pièce de la procédure à laquelle les avocats ont accès ; la consultation du dossier requiert un matériel adapté que nous n’avons pas, si bien que les avocats ne peuvent pas voir les pièces. Nous devrons en outre dupliquer six cents fois le matériel informatique pour le mettre à disposition de chaque partie civile – sans compter les mis en examen. Ce sera matériellement impossible et même dangereux, car les enquêteurs joignent souvent, sur CD-ROM, une vidéo significative qui doit figurer dans le dossier ; or, dans le cadre d’une demande de liberté, l’avocat doit pouvoir consulter le dossier à la chambre de l’instruction et, s’il n’a pas accès à ces données, la remise en liberté doit être ordonnée automatiquement dans les deux jours précédant le passage devant la chambre de l’instruction. Ces supports de données sont devenus incontournables, mais il n’existe pas d’autre solution que de les placer sous scellés.

M. le président Georges Fenech. La prolongation de la garde à vue tous les quatre mois concerne bien les seules procédures délictuelles ?

Mme Laurence Le Vert. Oui. En matière criminelle, la première détention peut durer un an et le renouvellement a lieu tous les six mois. Nous aurions souhaité que l’on retienne ce même délai de six mois pour les détentions correctionnelles.

M. le président Georges Fenech. Selon le procureur de la République, vous êtes de plus en plus saisis sur un fondement criminel, via l’incrimination d’association de malfaiteurs.

M. David Benichou, vice-président chargé de l’instruction au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris. Oui, le parquet a commencé à faire évoluer sa doctrine.

Mme Laurence Le Vert. En fin d’information, il faut correctionnaliser pour éviter d’engorger la cour d’assises spécialement composée, car les dossiers sont lourds et il n’y a que deux chambres. Nous devons veiller à ne pas exposer notre pays à être condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), qui estime que, sauf circonstances exceptionnelles, une cour d’assises doit juger une personne en détention provisoire depuis un an.

M. le président Georges Fenech. Combien de magistrats travaillent sur les dossiers de co-saisine ?

Mme Laurence Le Vert. Nous sommes au moins deux.

M. le président Georges Fenech. Et sur ceux des attentats du 13 novembre dernier ?

Mme Laurence Le Vert. Nous sommes six. Au bout de deux semaines, 56 tomes de pièces sont arrivés, dont beaucoup d’actes urgents à réaliser – poursuivre l’action du parquet sur les restitutions de corps et les identifications des victimes, lancer des investigations urgentes comme les commissions rogatoires internationales en Allemagne, en Belgique et en Autriche, qui ont nécessité des déplacements. Nous ne sommes pas trop de six pour ce dossier, le plus gros que j’aie vu.

M. le président Georges Fenech. Cela signifie que les deux tiers des juges d’instruction antiterroristes sont mobilisés par ce dossier ?

Mme Laurence Le Vert. Oui, tout en continuant l’instruction des autres dossiers.

M. le président Georges Fenech. Vous n’êtes pas déchargés des autres affaires ?

Mme Laurence Le Vert. Non, mais notre effectif permet de traiter en urgence ce qui doit l’être.

M. le président Georges Fenech. Qui est le juge directeur dans ce dossier ?

Mme Laurence Le Vert. M. Christophe Teissier.

M. David Benichou. Il est vrai que nos moyens augmentent ; nous avons ainsi reçu cette semaine un assistant spécialisé, qui nous sera très utile. Il n’en reste pas moins que nous avons encore besoin d’aide, et que nous sommes encore, sur le plan législatif, en demande d’ajustements.

En avril 2015 a été publié un essai intitulé « Le Jihadisme » aux éditions Plon, dans lequel je proposais des pistes de réflexion très concrètes. Certaines d’entre elles sont déjà débattues, d’autres le seront bientôt.

M. le président Georges Fenech. Par exemple ?

M. David Benichou. La question de l’articulation entre le judiciaire et le renseignement. Depuis 2001, les États-Unis ont compris qu’il fallait abattre la muraille de Chine entre les services. En France, on maintient la séparation entre le renseignement et le judiciaire ; or, dans le domaine du terrorisme, une information non partagée ne sera pas bien exploitée. Nous sommes plombés par cette culture de division, héritée de l’Histoire ; dans le renseignement, on évolue dans le secret pour effectuer du contre-espionnage et on ne partage pas l’information, alors qu’elle doit être communiquée, dans le domaine de l’antiterrorisme, à tous les services concernés, voire à nos partenaires internationaux.

Changer cette culture se révèle lent dans notre pays, et nécessite de mener une réflexion philosophique sur l’organisation de l’État. Y a-t-il aujourd’hui un impératif justifiant la séparation du renseignement et du judiciaire ? Peut-être dans certains domaines, mais pas forcément dans d’autres.

C’est la pratique qui m’a permis de dresser ce constat. Les juges ont la légitimité pour employer certains moyens d’enquête, mais ils n’en disposent pas, alors que la situation est inverse pour le renseignement. La situation a évolué pour le renseignement, qui a le droit, depuis la promulgation de la loi du 24 juillet 2015, de faire ce qu’il faisait déjà dans les faits. La judiciarisation du renseignement reste néanmoins une course d’obstacles : la déclassification des documents est complexe et les entretiens administratifs, normalement systématisés, ne sont pas définis ; ils peuvent donner lieu à des notes classifiées, alors qu’ils constituent parfois le point de départ de poursuites pénales.

Magistrat, je suis attaché au respect des textes et à leur cohérence avec le fonctionnement des institutions. En application de l’article 40 du code de procédure pénale l’opportunité des poursuites est de la responsabilité du procureur de la République. Or, dans le contre-terrorisme, celui qui détient l’information décide de la judiciariser ou non, la judiciarisation entraînant de facto l’ouverture de poursuites. Le procureur de la République se trouve donc dépossédé de son pouvoir d’apprécier l’opportunité d’engager des poursuites ; le service de renseignement ne se tournera vers lui que lorsqu’il considérera la judiciarisation nécessaire. Le renseignement occupera toujours une place essentielle dans le dispositif, mais il y a lieu de trouver une articulation lui permettant de travailler plus étroitement avec le judiciaire.

M. le président Georges Fenech. Le procureur nous a en effet dit qu’il était tributaire du renseignement, mais il juge excellentes les relations entre le parquet et les services. Il y a quelques semaines, M le rapporteur et moi-même avons rencontré M. Molins et lui avons demandé si l’on pouvait envisager de détacher une cellule de la DGSI auprès du parquet pour favoriser la judiciarisation. Il ne l’a pas estimé utile. Que proposez-vous pour décloisonner le renseignement et le judiciaire ?

M. David Benichou. Je ne vous suggérerai pas de créer une commission, je souhaitais juste poser le problème… Cela n’est pas parce que cela fonctionne parfois mal que les relations ne sont pas bonnes au quotidien ; en revanche, si l’on raisonne en termes de synergie entre les institutions, certaines choses sont à améliorer. Le judiciaire est ainsi complètement étranger à l’activité de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), le ministère de l’intérieur et les services de renseignement font circuler leurs informations entre eux et définissent ensemble des priorités. On pourrait imaginer une instance offrant une place au parquet et à chaque service, afin d’échanger des informations, de dégager des priorités et d’exprimer des préoccupations générales ou concrètes – comme l’opportunité de judiciariser pour protéger une source. Les magistrats ont intérêt à connaître ces éléments le plus précocement possible pour ne pas avoir à gérer des situations invraisemblables, comme, par exemple, une réquisition de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) nous faisant retomber sur un ordinateur utilisé par un agent de la DGSI !

M. le président Georges Fenech. Vous développez une vision « parquetière », très en amont du renseignement, mais vous pouvez, en tant que juge d’instruction, délivrer une commission rogatoire en co-saisine avec la DCPJ et la DGSI, et avez donc autorité sur le renseignement et accès à l’information.

M. David Benichou. Mon autorité se limite au judiciaire, et mes interlocuteurs à la DGSI trahissent parfois des secrets pour m’informer – tous les renseignements étant classifiés –, si bien que la gestion des relations entre le judiciaire et le renseignement reste toujours difficile. Je n’ai pas de solution pour régler ce problème, qui mériterait une vraie réflexion.

On peut néanmoins envisager des initiatives concrètes, comme le développement de formations communes aux magistrats et aux agents du renseignement. Depuis peu, je présente, à l’académie du renseignement, notre activité à des gens dont on ne me dit ni le nom ni la fonction. Ces échanges s’avèrent très utiles, sans doute parce que chaque partie ignore largement le travail de l’autre. Il est très important, d’un point de vue opérationnel, de rapprocher les hommes : cela permet de connaître les contraintes de chacun et de dissiper la défiance naturelle du renseignement envers le judiciaire, les services craignant que toute information transmise au judiciaire ne se retrouve dans la presse.

Les magistrats instructeurs devraient également recevoir les notes de synthèse envoyées aux cabinets des ministres sur la lutte contre le terrorisme, car certaines informations pourraient les intéresser pour des enquêtes en cours. Or, aucun retour n’est effectué.

Certains moyens techniques nous font également défaut ; depuis la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 », les juges peuvent capter des données à distance en mettant en place des « chevaux de Troie » légaux dans les ordinateurs et dans les téléphones. En novembre 2014, cette faculté a été fort opportunément étendue à la prise d’images et de son, mais le régime juridique d’emploi de ces outils prévoit une autorisation administrative, délivrée par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et soumise à des conditions très strictes. Il a été proposé un assouplissement visant à permettre aux magistrats de désigner des experts judiciaires – personnes honorables et compétentes qui ont parfois reçu la même formation que les personnes travaillant à l’ANSSI – capables de développer un outil spécifique pour un dossier, car une grande flexibilité est nécessaire, la fenêtre d’opportunité pour traiter une affaire pouvant se refermer en deux semaines. Mais, en novembre 2014, M. Cazeneuve, ministre de l’intérieur, estimant indispensable l’agrément de l’ANSSI, avait convaincu le Sénat de retirer un amendement proposant cette évolution.

Ce sujet m’intéresse particulièrement, et je vous lis un extrait du compte rendu du débat qui s’est tenu le 3 mars dernier devant votre Assemblée, dans lequel M. Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, féru de ces questions, avait déclaré, à propos d’un amendement identique, défendu par M. Ciotti : « Maintenant que l’offre est construite et que les habilitations sont demandées, nous pouvons considérer que ce problème est derrière nous ». Je me suis réjoui de cette déclaration et ai appelé mon correspondant au ministère de la justice, car ces outils peuvent m’aider dans une dizaine d’affaires. Mon correspondant m’a expliqué que deux sociétés ont reçu l’agrément, mais qu’elles développent des produits qui ne fonctionnent que sous un système d’exploitation. Ce système d’autorisation administrative privilégie les grands industriels capables, de consacrer du temps et des moyens à commercialiser des systèmes leur permettant de décrocher des commandes publiques sur l’important marché qu’est la captation de données à distance. Nous allons donc nous retrouver avec des outils d’enquête lourds et peu réactifs, comme c’est le cas de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), à peine en service, déjà dépassée.

Il conviendrait d’autoriser les magistrats à recourir à des experts qui développeraient des outils d’intrusion adaptés à chaque affaire. Une autre solution consisterait à utiliser le centre technique d’assistance (CTA), qui concilie le besoin de confidentialité exprimé par les services et le besoin de résultat de la justice. Le code de procédure pénale permet au juge de requérir les moyens de l’État protégés par le confidentiel défense pour décrypter des supports, et l’on pourrait confier au CTA la mission de mettre en œuvre des moyens de captation à distance. La manière dont est réalisée cette captation importe peu, puisqu’elle est légale par nature, étant ordonnée par un juge dans une affaire particulière et pour des raisons précises. La légalité ne doit pas découler de l’agrément d’un service technique. Les services de renseignement se servent de ces outils, mais ils ne veulent pas les partager avec le judiciaire, par crainte légitime de divulgation et de menace sur l’emploi qu’ils en font. Pourtant, la priorité est la lutte contre le terrorisme, et nous avons besoin de ces instruments que l’État possède et que le contribuable a financés. Mutualisons-les pour qu’ils soient utilisés à plein rendement ; des députés inventifs sauront bien trouver les moyens juridiques de garantir leur confidentialité... Etant donné que l’on s’appuie sur le CTA pour le décryptage, on pourrait faire de même pour la captation de données à distance.

Cette problématique ne concerne pas que le terrorisme. Vous avez sans doute entendu parler des escroqueries au « faux président », dont j’ai instruit l’une des premières affaires, qui concernait le vol d’un million d’euros à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) en 2012. Je souhaitais mettre en place une captation de données à distance pour identifier les auteurs, et un expert, ancien agent de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), pouvait développer un outil efficace. Cependant, des personnes lui ont dit qu’il n’avait pas d’agrément et qu’il n’était pas autorisé à me fournir cet instrument. Cela n’aurait peut-être pas permis de résoudre l’affaire, mais ces escrocs, qui sont connus et qui ont volé au total plusieurs centaines de millions d’euros à des entreprises françaises, ne seront jamais arrêtés si on ne les traque pas en temps réel. Notre pays a les moyens techniques de faire face à cette forme de criminalité, mais nous nous créons parfois des difficultés juridiques qui nous rendent incapables de mobiliser utilement toutes les forces à notre disposition pour faire appliquer la loi.

Le renseignement peut servir le judiciaire, mais l’inverse est également vrai.

Nous ne disposons pas toujours du cadre juridique le plus adapté à nos besoins, et il faut vraiment établir des passerelles de communication entre les mondes judiciaire et du renseignement. Je n’ai pas de solution miracle, et les évolutions seront complexes car chaque service possède sa propre culture. Lançons donc au moins la réflexion ! Nous avons tenu la semaine dernière, avec la DRM et le service juridique du ministère de la défense, une réunion au cours de laquelle nous avons évoqué les échanges que nous souhaiterions développer ; pour chacun d’entre eux, le service juridique, faisant son métier, a rappelé le besoin de disposer d’un véhicule juridique.

Lorsque l’on trouve des téléphones et des disques durs lors d’une perquisition, on réalise des copies pour exploiter les données, et ces copies de travail des scellés numériques posent un problème aigu. Nous avions l’habitude de les confier à un expert judiciaire qui nous les rendait six mois plus tard dans des brouettes de papier... Cette méthode s’étant avérée improductive, nous en avons changé, d’autant qu’il était devenu impossible d’imprimer le contenu de toutes les données recueillies : l’impression des données d’un disque dur de 80 gigaoctets représente une hauteur de papier égale à trois fois celle de la tour Eiffel. Nous devons donc travailler avec des supports numériques, qui deviennent des éléments de la procédure, mais nous nous trouvons dans l’impossibilité matérielle d’en délivrer des copies. Or la chambre de l’instruction libère les prévenus si l’on n’a pas mis l’ensemble des supports à leur disposition. On peut placer ces éléments sous scellés pour sauver la procédure, mais alors on n’exploite pas les données ; inversement, on peut les exploiter, mais cela fait courir des risques à la procédure. Pour sortir de ce dilemme, il faudrait que la loi dispose que la copie de travail d’un scellé obéit au même régime juridique que le scellé, que l’on n’est pas obligé de transmettre aux parties. Cela provoquerait certes des protestations, mais l’avocat pourrait toujours demander un examen contradictoire des scellés. En tout cas, il faut que les enquêteurs et le juge puissent exploiter ces supports pour remplir leur mission.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Quelle méthode employez-vous pour partager l’information entre vous ? Parvenez-vous à établir les ramifications entre les différentes affaires qui portent souvent sur des nébuleuses et des réseaux ? Comment faites-vous pour ne pas perdre l’information, essentielle en matière de terrorisme ?

Par ailleurs, la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a créé l’incrimination d’entreprise terroriste individuelle. L’avez-vous déjà utilisée ? Des condamnations ont-elles déjà été prononcées sur son fondement ?

M. David Benichou. Le partage de l’information entre nous s’avère empirique, car nous ne disposons pas d’outil de partage des informations de nos dossiers. La version supérieure, NPP4, du logiciel de numérisation des procédures constitue un net recul à mes yeux. On mettait trente secondes pour accéder à un dossier, et ce temps s’élève désormais à cinq minutes. Nous nous parlons donc entre collègues, mais ce sont parfois les enquêteurs ou le parquet qui font le lien entre nos affaires. Il nous faudrait une base de données contenant tous les noms apparaissant dans nos dossiers, comme celle dont disposent les services de renseignement. Le déploiement d’un tel fichier nécessiterait une simple autorisation juridique, la ressource humaine étant déjà disponible et la technique n’étant pas complexe : il suffit d’un serveur et d’un logiciel.

M. le rapporteur. Un fichier de données personnelles, le FSPRT, commun et alimenté par différents services, a été instauré. Comment ne pas perdre la mémoire des dossiers lorsqu’un juge quitte le pôle antiterroriste ? Vous prônez la création d’une base de données judiciaire permettant de rassembler les informations, mais, sans aller jusqu’à la rendre commune avec les services de renseignement, pourrait-on l’harmoniser avec ce qui est déjà utilisé ailleurs dans l’État ? Dans les moments de crise, l’accès rapide à l’information s’avère primordial, si bien qu’il importe que les enquêteurs aient accès à vos connaissances. Comment établir de tels circuits de transmission ?

M. David Benichou. Lorsque des noms apparaissent dans une affaire, j’aimerais savoir s’ils sont connus, et un fichier comme le FSPRT nous serait des plus utiles. Aujourd’hui, je dois appeler mon correspondant pour qu’il sollicite les services de renseignement.

M. le rapporteur. L’UCLAT est responsable de la base de données du FSPRT, que l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) alimente. Pouvez-vous demander la fiche d’un individu pour l’un de vos dossiers ?

M. David Benichou. Dans notre domaine, nous avons toujours besoin de disposer de toutes les informations, car un simple détail, même insignifiant pour celui qui en a connaissance, peut s’avérer important pour telle ou telle affaire. Quant au FSPRT, aucun agent de la DGSI ne m’a parlé de ce fichier de pur renseignement, qui pourrait être utile pour le judiciaire. Nous récoltons également beaucoup de matière qui pourrait intéresser les services de renseignement. Nos dossiers sont numérisés et indexés, et un simple moteur de recherche permettrait d’en tirer parti. Néanmoins, le secret de l’instruction autorise le juge à n’avoir accès qu’aux dossiers dans lesquels il est désigné, même si la codésignation permet de partager les informations.

M. le rapporteur. Dans les services de renseignement, l’alimentation de ce fichier s’est révélée complexe : pensez-vous pouvoir nourrir un tel fichier au fil de l’eau ?

Un fichier commun au renseignement et au judiciaire, au-delà des problèmes juridiques qu’il poserait, serait-il utile et permettrait-il de réduire la séparation entre ces deux mondes ?

M. David Benichou. L’idée d’un fichier commun est trop ambitieuse, car sa création se heurterait à trop de difficultés. En revanche, on pourrait aménager des instances de concertation et d’échange. Les Américains ont mis en place des groupes de travail – joint task forces – dans lesquels plusieurs services se réunissent, présentent leurs demandes aux autres et étudient ce qui peut être réalisé.

On n’a pas forcément besoin de créer un nouveau fichier traitant les données, puisque tous nos dossiers sont déjà numérisés et indexés en plein texte. Une recherche par mots-clés permet d’accéder à l’information.

M. le rapporteur. Avez-vous ce moteur de recherche ?

M. David Benichou. Oui, j’en ai un. J’ai obtenu, au bout de six mois, le financement d’un serveur pour mon cabinet ; on y insère tous les scellés des procédures, ce qui permet de trouver ensuite toutes les données immédiatement.

M. le rapporteur. Mais il n’est pas commun au pôle antiterroriste ?

M. David Benichou. Non, ce n’est pas possible juridiquement. Pourtant, on pourrait installer un serveur avec un moteur de recherche comme le mien à l’échelle d’un service entier. Il faut savoir ce que l’on veut : avancer vite dans les enquêtes, ou privilégier la protection des données ?

J’ai interrogé hier une personne dans le cadre d’une procédure d’entreprise terroriste individuelle, mais les cas sont rares. Pour un temps, cet outil ne sera utile qu’à la marge. En effet, on retombe presque toujours sur une entreprise d’au moins deux personnes ; les projets individuels sont souvent montés par des fous. En revanche, on peut imaginer que cette incrimination serve pour une personne très déterminée et ne communiquant avec personne.

M. Alain Marsaud. Vos souhaits quant à la communication entre le judiciaire et le renseignement correspondent au monde idéal, mais lorsque j’ai défendu cette idée, Mme Le Vert en a été témoin, le ministre de l’intérieur de l’époque m’a reproché de vouloir lui prendre « sa » direction de la surveillance du territoire (DST) ! On a quand même réussi à ce que les enquêteurs de la DST deviennent officiers de police judiciaire (OPJ).

Les agents des services de renseignement ne souhaitent pas communiquer l’identité de leurs sources, encore moins expliquer la manière dont ils se sont procuré leurs informations, leurs méthodes étant presque toujours illégales. Les magistrats ne se trouveraient-ils pas en difficulté s’ils avaient accès à ces éléments ?

M. David Benichou. On peut partager une information sans fournir l’identité de la source. Dans le domaine judiciaire, nous gérons des sources humaines depuis des années pour les affaires de stupéfiants. Le monde du renseignement croit toujours que nous sommes novices en la matière, mais en matière de stupéfiants, une source identifiée est condamnée à mort.

Nous n’avons pas besoin de connaître les raisons incitant une source à travailler pour un service de renseignement. Il nous faut simplement l’information et sa vérification. Cet exercice est complexe, mais il faut que le juge puisse avoir des échanges confidentiels avec les services de renseignement. Dans certaines affaires, je constate une grande différence entre les informations recueillies par le renseignement et ce qui figure dans le dossier judiciaire. Il arrive qu’une personne s’accuse elle-même devant quelqu’un pour apparaître comme un caïd, en ignorant qu’elle parle à une source.

M. Alain Marsaud. Et si Salah Abdeslam vous demandait de bénéficier du statut de repenti en vous informant sur un réseau à Molenbeek, en France, en Syrie ou ailleurs, quelle serait votre attitude ?

M. David Benichou. Selon la procédure, je ne peux interroger un mis en examen que pour mon dossier. S’il souhaite parler à un service de renseignement, je peux le mettre à disposition et établir des permis de communiquer. Cependant, certains services ne veulent même pas apparaître sur un permis de communiquer alors qu’il faut s’enregistrer pour entrer dans une prison.

M. Olivier Marleix. Connaissez-vous des systèmes judicaires de pays démocratiques où l’on a su surmonter certains des obstacles que vous avez évoqués ?

M. David Benichou. En 2014, j’ai effectué un séjour d’étude en Israël. Ce pays a développé une jurisprudence et des procédures en la matière, et il était intéressant d’examiner la façon dont un État démocratique réussissait à intégrer l’usage de la force dans son fonctionnement. Une démocratie moderne doit disposer des outils juridiques lui permettant d’employer la force selon des conditions prévues et écrites. Les autorités israéliennes évoquent souvent leur procédure de détention administrative, mais elles rêveraient de disposer de notre détention provisoire. Elles ont adopté un système anglo-saxon qui s’avère complexe pour les enquêteurs, et elles nous envient notre juge d’instruction, guichet unique et informel pour les enquêteurs, qui constitue notre force. En effet, celui-ci peut délivrer très rapidement des autorisations. Le renseignement s’est inspiré de ce fonctionnement en créant la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Certains agents de la DGSI se plaignent de la complexité de la mise en place d’une écoute administrative, alors que le processus des écoutes judiciaires est très simple du fait de la proximité entre le juge et l’enquêteur. Ce dernier ne prendra pas le risque de tromper le juge avec lequel il travaille tous les jours. Il y a des échanges féconds à développer entre la France et Israël dans ces domaines, Israël bénéficiant malheureusement d’une certaine expérience.

Je viens de faire un séjour d’étude aux États-Unis, où le renseignement est prédominant. Les structures d’échange d’informations entre les agences fonctionnent plutôt bien et seraient encore plus adaptées à notre taille, les Américains rencontrant des difficultés à coordonner les structures de coordination.

Les États-Unis ont une procédure pénale très contraignante, mais d’excellentes peines, soit l’inverse de notre pays, qui a une excellente procédure pénale mais de moins bonnes peines. J'ai instruit une affaire, jugée en 2014, concernant des djihadistes très radicalisés qui revenaient en Europe en provenance de la zone pakistano-afghane avec des projets d’attentat. Ces individus, au profil extrêmement préoccupant, n’ont rien « lâché » ; poursuivis en correctionnelle pour association de malfaiteurs à caractère terroriste (AMT), ils ont été condamnés à huit et neuf ans de prison. Arrêtés en 2008 et 2011, ils vont bientôt sortir. On poursuivait alors systématiquement pour AMT correctionnelle, pour laquelle la peine maximale s’élève à dix ans. Les Américains m’ont dit qu’un tel dossier donnerait lieu à vingt-cinq ans au moins d’emprisonnement dans leur pays. Je constate avec satisfaction que la politique du parquet commence à changer et qu’il utilise davantage les poursuites en AMT criminelle pour les gens passés par la Syrie, cette procédure pouvant déboucher sur une condamnation à vingt ans d’emprisonnement. Cette évolution suscite des débats, mais il faut comprendre à quoi l’on fait face. Une très longue peine d’emprisonnement représente le seul moyen de neutraliser durablement une personne ; parfois, elle ne suffit même pas, comme le montre l’exemple d’un condamné qui a encore tenté, il y a deux ans, de s’évader à l’explosif du quartier de haute sécurité où il avait réussi à faire entrer du C-4 ! Des personnes comme lui, nous en aurons par dizaines à l’avenir !

M. Olivier Marleix. L’article 411-4 du code pénal incrimine le fait d’entretenir des intelligences avec un autre État ou une organisation étrangère : pourrait-il constituer un fondement pertinent pour des poursuites pénales ? J’ai posé la même question au procureur de la République de Paris tout à l’heure. On recherche des peines efficaces pour les nombreux djihadistes qui reviendront de Syrie, sachant qu’il sera difficile de recueillir des preuves quant aux actes commis sur le théâtre des opérations. En matière criminelle, l’intention suffisant à caractériser l’infraction, on pourrait s’interroger sur l’utilisation de l’article 411-4 qui prévoit une peine de détention criminelle de trente ans.

M. David Benichou. Je connais mal cette disposition et ne sais pas si elle a déjà été utilisé. Il est intéressant d’explorer toutes les pistes, mais s’appuyer sur cet article reviendrait à reconnaître à DAECH le statut d’organisation étrangère, voire d’Etat étranger, ce qui poserait un problème politique. Il faudrait alors capter des communications pour démontrer l’existence de l’entente avec DAECH et donc effectuer des progrès en matière d’interception de contenus chiffrés.

On peut agir dans le dispositif en obtenant la conversation avant le cryptage ou après le décryptage : cette action s’appelle la captation de données à distance. Le législateur nous a autorisés à le faire en 2011, mais nous n’en avons toujours pas les moyens.

M. le rapporteur. Comment travaillez-vous avec la police et la gendarmerie en matière de contrôle judiciaire ? On a constaté des difficultés dans ce domaine ; quelles sont vos réflexions sur ce sujet ?

Mme Laurence Le Vert. Les contrôles judiciaires s’avèrent en effet difficiles. Soit l’on procède à des contrôles classiques reposant sur des pointages dans un service de police ou de gendarmerie, sur des interdictions en lien avec les infractions reprochées, comme le fait d’entrer en communication avec certaines personnes, et, éventuellement, sur le port du bracelet électronique ; celui-ci est cependant un outil faillible, les personnes pouvant partir sans que l’on s’en aperçoive. Soit l’on met en place des contrôles judiciaires organisés par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), mais le processus est lourd car le service aide la personne à chercher du travail et la suit dans ses obligations, comme le pointage ou le compte rendu hebdomadaire de ses activités. Lunel est la ville française ayant fourni le plus grand nombre de djihadistes, dont beaucoup sont morts en Syrie, et une fois que j’en ai placé deux auprès du SPIP de Nîmes et deux auprès de celui de Montpellier, il n’y a plus de capacité d’accueil. En outre, le contrôle judiciaire géré par le SPIP ne vaut que pour les personnes les moins radicalisées. Parmi les individus revenant de Syrie, seuls des mineurs ou des femmes peuvent entrer dans cette procédure. De nombreuses personnes placées sous contrôle judiciaire disparaissent – ce fut le cas de djihadistes ayant défrayé la chronique –, si bien que la détention s’avère bien plus indiquée pour celles que l’on estime dangereuses. L’administration pénitentiaire a mis en place des mesures de déradicalisation, dont on peut espérer la réussite afin de substituer la mise en liberté sous contrôle judiciaire à la détention provisoire.

J’ai instruit de nombreux dossiers relatifs au terrorisme basque. L’ETA cherche aujourd’hui à négocier sa reddition totale, car elle a été démantelée grâce aux fréquents accidents de la circulation impliquant des terroristes basques clandestins en France dans des voitures volées et, surtout, grâce à des opérations conduites sur le fondement de renseignements fournis par les services espagnols. Ces derniers, à partir de l’assassinat de deux gardes civils à Capbreton en 2007, ont eu la possibilité de travailler armés en France ; cela a contribué à développer fortement la coopération franco-espagnole en matière de renseignement. Afin que la procédure soit valable, les services français établissaient un rapport destiné à la police judiciaire, en l’occurrence à la sous-direction antiterroriste (SDAT), indiquant que des renseignements mettaient en évidence la présence de tel et tel individu dans un gîte rural ou un chalet. Ces éléments n’étaient pas probants, mais suffisaient pour que le parquet ouvre une enquête préliminaire qui se transformait le plus souvent en flagrance, puisque les renseignements étaient exacts. On pouvait ensuite ouvrir l’information, et la procédure était totalement régulière. Des services espagnols et français ont donc fourni des renseignements et le processus fonctionnait parfaitement.

En matière de terrorisme international, les services de renseignement ne peuvent pas communiquer toutes leurs informations, car certaines proviennent de services étrangers qu’ils ne peuvent transmettre à aucun prix. Les services de renseignement opérationnels français ne vont pas se tourner vers les juges d’instruction, mais vers leurs homologues du judiciaire. Une fois couchés sur procès-verbal, les éléments sont transmis au procureur de la République qui peut ouvrir une enquête préliminaire. Celle-ci utilisera les renseignements fournis pour établir des charges qui serviront à obtenir des résultats judiciaires.

Le renseignement ne peut se faire que dans l’anonymat des enquêtes. Si l’on judiciarisait ces informations dans le cadre de la criminalisation de l’association de malfaiteurs djihadistes, on contraindrait l’agent des services à témoigner devant la cour d’assises. Or on ne peut pas leur faire courir le risque de briser leur anonymat. Dans l’exemple cité par M. Benichou, l’agent de la DRM a été désigné comme expert et ne savait pas que ce statut pouvait l’amener à témoigner. On ne peut pas faire courir un tel risque à des membres des services de renseignement, qui assument une tâche lourde et difficile et qui, pour certains, s’exposent dans le cadre d’infiltrations et de traitements de sources. Les magistrats doivent avoir conscience de cette situation et en tenir compte. Lorsque le renseignement peut être utilisé dans un cadre judiciaire adapté et suivant une procédure légale et claire, faisons-le, mais nous ne devons pas judiciariser le renseignement si nous ne sommes pas certains de conduire la procédure jusqu’à la juridiction de jugement sans encourir la moindre suspicion, sans risquer l’annulation et sans mettre en danger des gens qui consacrent leur vie à trouver les auteurs des attentats ou les personnes pouvant en commettre.

M. le président Georges Fenech. Madame la première vice-présidente, monsieur le vice-président, nous vous remercions d’avoir répondu à nos questions au cours de cette audition intéressante et utile.

Audition, à huis clos, de M. Denis Couhé, premier vice-président adjoint du TGI de Paris, M. Laurent Raviot, vice-président du même TGI, présidents de la 16e chambre correctionnelle, et M. Régis de Jorna, président de chambre à la cour d'appel de Paris.

M. le président Georges Fenech. Avec le procureur de la République de Paris et les responsables du parquet antiterroriste, d’une part, et les magistrats du pôle antiterroriste chargés de l’instruction, d’autre part, nous nous sommes intéressés cet après-midi au volet judiciaire.

Nous allons poursuivre avec vous, messieurs les présidents, dans le respect – naturellement – de la séparation des pouvoirs, nos investigations sur les moyens de lutte contre le terrorisme. En particulier, nous allons nous pencher sur le rôle spécifique des juridictions parisiennes, en particulier le tribunal de grande instance et la cour d’appel, où siège la cour d’assises, ainsi que sur la pertinence des dispositions législatives que vous mettez en œuvre.

Cette audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer, se déroule à huis clos. Elle n’est donc pas diffusée sur le site internet de l’Assemblée. Néanmoins, et conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l’issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces dernières seront soumises à la commission, qui pourra décider d’en faire état dans son rapport. Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal » – un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende – « toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans […], divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l’article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure. »

MM. Denis Couhé, Laurent Raviot et Régis de Jorna prêtent successivement serment.

M. Denis Couhé, premier vice-président adjoint du tribunal de grande instance de Paris, président de la 16e chambre correctionnelle. Je vais vous présenter succinctement la 16e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, chambre que nous présidons, M. Raviot et moi-même, ainsi que Mme Faivre, qui n’a pas pu venir aujourd’hui. Depuis le 1er janvier 2016, on a attribué à cette chambre le traitement de tous les dossiers de terroristes dont le tribunal est saisi. Ce n’était pas le cas jusqu’à présent puisque les dossiers de terrorisme étaient répartis entre trois chambres, la 10e, la 14e et la 16e, lesquelles étaient elles-mêmes subdivisées en deux sections, chacune composée d’un président et de deux assesseurs, soit au total six sections qui ne siégeaient que deux après-midi par semaine.

Outre les dossiers de terrorisme, les trois chambres traitaient également des dossiers de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS), c’est-à-dire liés à la criminalité organisée, au trafic de drogue, au trafic d’armes, aux réseaux de proxénétisme, à la traite des êtres humains, aux filières d’immigration clandestine… Cet éparpillement des attributions avait pour inconvénient majeur de morceler le traitement de ces dossiers qui, pour nombre d’entre eux, requerraient plusieurs jours d’audience. Ainsi, au rythme de deux audiences par semaine, trois dans le meilleur des cas, ces affaires monopolisaient certaines sections pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

À partir de 2012, il a été envisagé la création d’une chambre spécialisée « JIRS », autrement dit appelée à traiter de toute la criminalité organisée, mais également les dossiers de terrorisme. Cette chambre a été mise en place en septembre 2013 et a la particularité de siéger non pas à raison de deux ou trois audiences par semaine, mais en continu, c’est-à-dire au rythme de cinq audiences par semaine. La 16e chambre, où il n’y avait plus de section, est désormais composée de trois présidents, aujourd’hui Mme Faivre, M. Raviot et moi-même, et de trois assesseurs, les six magistrats siégeant en alternance.

Il convient néanmoins de rappeler que cette chambre a conservé toutes ses attributions en matière de délinquance organisée aux côtés des dossiers de terrorisme. Ces derniers dossiers, qu’ils concernent le terrorisme islamiste, le terrorisme basque, le terrorisme du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le terrorisme corse – même si les derniers cas remontent ici à plusieurs années –, ne représentent, en jours d’audiences, que le tiers du contentieux qui nous est confié, alors même que, depuis le 1er janvier 2016, nous avons reçu une compétence exclusive en matière de terrorisme. Cet état de fait a créé, dès les premiers mois de fonctionnement de la 16e chambre, un engorgement de l’audiencement. Malgré sa réorganisation ou bien du fait de celle-ci, elle a rapidement été dans l’incapacité d’absorber tous les gros dossiers touchant au terrorisme, au grand banditisme, etc. L’engorgement a concerné des dossiers pour lesquels il n’y avait pas de détenus et qui passaient toujours après les autres, l’urgence étant bien entendu de traiter les dossiers pour lesquels il y avait des détenus. Aussi, le stock des dossiers de terrorisme et de grand banditisme augmentant, fallait-il trouver une solution pour les purger.

C’est dans ces conditions que M. Hayat, président du tribunal de grande instance de Paris, a sollicité et obtenu de la Chancellerie du personnel supplémentaire pour créer, au sein de la 16e chambre, une deuxième section – nous sommes donc revenus au système antérieur –, mise en place le 1er janvier 2015, donc sans rapport avec les événements survenus quelques jours plus tard. Cette deuxième section, destinée, à l’origine, à absorber ces stocks, ne fonctionne malheureusement pas comme la première, mais comme les autres chambres du tribunal, avec uniquement un président et deux assesseurs, et elle ne siège que trois jours par semaine – elle ne peut donc pas absorber ce que nous, première section, devons absorber.

L’arrivée massive de dossiers de terrorisme islamiste, jointe au fait que le nombre d’affaires relevant du crime organisé ne diminue pas, bien au contraire, a tout récemment conduit M. Hayat à solliciter un renfort de cette fameuse deuxième section pour obtenir un président supplémentaire et pouvoir siéger une audience supplémentaire par semaine. Ce renfort ne devrait être effectif qu’à compter de septembre 2016. Toutefois, il nous est apparu évident que cet appoint ne sera pas suffisant pour absorber tous les dossiers qui s’annoncent. Le procureur a été entendu par votre commission, et j’imagine qu’il vous a dit quel était le volume des dossiers qui arrivaient et que nous allions devoir prendre en charge dans la mesure où ils relèvent de notre compétence exclusive. A l’évidence, il serait nécessaire de créer une deuxième section qui soit à l’égal de la première, c’est-à-dire fonctionnant avec trois présidents et trois juges assesseurs – c’est à mon sens le minimum que l’on puisse imaginer.

M. le président Georges Fenech. La douzième proposition du rapport de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, commission aux travaux de laquelle le rapporteur et moi-même avons participé, prévoyait de confier à la JIRS, avec l’accord et sous le contrôle du parquet de Paris, l’instruction, la poursuite et le jugement des affaires terroristes de faible gravité.

M. Denis Couhé. Le problème est que nous sommes à la fois JIRS et juridiction traitant du terrorisme. Nous traitons donc tous les gros dossiers de la JIRS. Du fait que nous sommes la seule chambre à fonctionner en continu, à chaque fois qu’arrive un dossier relevant de la JIRS lié au terrorisme et fixé sur cinq, dix voire quinze audiences…

M. le président Georges Fenech. Sans doute me suis-je mal exprimé : est-il possible de confier ce type de dossier à des JIRS de province ?

M. Denis Couhé. Cela me paraît très délicat.

M. le président Georges Fenech. La proposition à laquelle j’ai fait allusion envisage de confier « la poursuite, l’instruction et le jugement d’infractions terroristes de faible gravité » à des JIRS de province. Souhaitez-vous que toutes les affaires soient centralisées, même celles de faible gravité ?

M. Denis Couhé. Personnellement, dans la mesure où il y a un parquet antiterroriste à Paris, où les cabinets des juges d’instruction sont à Paris, il paraît logique que toutes les affaires soient jugées à Paris. En outre, ces affaires ont tout de même une particularité dont on prend la mesure en pratiquant ce type de dossiers. Il me paraît donc important de limiter le nombre de juridictions qui ont à en traiter. C’est d’ailleurs pourquoi M. Hayat a décidé, ce qui est tout à fait nouveau, de confier tous les dossiers de terrorisme, depuis janvier 2016, à la 16e chambre, ce qui n’était absolument pas le cas auparavant : j’ai ainsi présidé il y a une dizaine d’années la 10e chambre, où parvenaient, notamment, les dossiers de terrorisme basque. La volonté est désormais de concentrer tous les dossiers non seulement à Paris mais au sein d’une seule et même chambre, quitte à demander que ces chambres soient étoffées, à l’instar de ce qui existe concernant l’instruction ou le Parquet.

Or nous savons qu’un nombre très important de dossiers va nous parvenir, et nous nous interrogeons sur les conditions dans lesquelles nous allons réellement pouvoir les traiter tous, étant entendu que nous ne souhaitons pas, par expérience, être spécialisés de façon exclusive. Il nous paraît en effet quelque peu dangereux que des chambres ne traitent que de dossiers de terrorisme : il y a un risque d’identification par les terroristes des cinq ou six magistrats qui n’exerceraient que cette activité et qui constitueraient donc des cibles ; de plus, nous avons besoin de nous extraire, de temps en temps, de ce type de dossiers tout de même particulièrement lourds sur le plan psychologique et sur celui du stress, sans compter l’aspect médiatique…

M. le président Georges Fenech. C’est pourtant le sort des juges d’instruction spécialisés.

M. Denis Couhé. Certes, mais ils sont au nombre de dix et ne traitent que de terrorisme, alors que nous ne sommes, de notre côté, que trois présidents à traiter de terrorisme entre autres choses. Cela mérite qu’on y réfléchisse. C’est pourquoi notre proposition que deux chambres travaillent en continu avec deux fois six magistrats ne paraît pas ahurissante – d’autant, j’y insiste, que les dossiers de la JIRS nous arrivent en nombre et qu’ils monopolisent nos journées pendant trois semaines au mois de juin, soit quinze audiences. Cela pose des problèmes inextricables d’audiencement, surtout quand il nous faut organiser des audiences-relais et prolonger les détentions parce que nous ne sommes pas en mesure de juger ces dossiers dans le délai de deux mois fixé par la loi. Nous sommes ainsi, désormais, presque systématiquement contraints de prolonger les délais au maximum, soit deux fois deux mois, pour un total de six mois, ce qui n’est satisfaisant pour personne.

M. le président Georges Fenech. Ces problèmes sont probablement pris en compte par le président Hayat ainsi que par la Chancellerie.

M. Denis Couhé. Nous craignons qu’à très court terme, c’est-à-dire dès la rentrée de septembre, comme nos collègues du parquet nous l’indiquent, il n’y ait un problème réel : nous n’allons pas pouvoir absorber tous les dossiers.

M. le président Georges Fenech. Tenez-vous également, dans le domaine du terrorisme, des audiences de comparution immédiate ?

M. Denis Couhé. Non, aucune.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Et en ce qui concerne l’apologie du terrorisme ?

M. Denis Couhé. Elle relève d’une autre chambre.

M. le président Georges Fenech. Partagez-vous le même sentiment, monsieur Raviot ?

M. Laurent Raviot, premier vice-président du tribunal de grande instance de Paris, président de la 16e chambre correctionnelle. Je partage l’avis de mon collègue sur la centralisation, pour deux raisons : d’abord elle permet la spécialisation des juges et une meilleure connaissance des dossiers terroristes, qui présentent une vraie particularité ; elle permet ensuite une harmonisation de la jurisprudence, car il convient d’éviter des jurisprudences dissonantes qui seraient difficilement compréhensibles pour l’opinion et même pour le justiciable.

J’ai bien conscience toutefois du caractère paradoxal d’une telle centralisation car, comme mon collègue, je ne souhaite pas devenir une cible potentielle de la part des gens que nous jugeons ou de ceux qui leur sont proches, risque auquel peut conduire la spécialisation exclusive d’une chambre. Je pense notamment aux difficultés rencontrées par la JIRS de Marseille, qui traite du banditisme marseillais et corse et qui fait l’objet de critiques très fortes de la part des avocats locaux et de la presse – phénomène que nous ne rencontrons pas à Paris. On reproche donc à cette JIRS sa compétence trop restreinte.

M. le président Georges Fenech. C’est un peu le lot de tous les magistrats répressifs.

M. Laurent Raviot. Certes mais, j’y insiste, cette critique nous est rarement faite à Paris, même si l’on évoque parfois le spectre de la Cour de sûreté de l’État, d’une chambre inféodée au pouvoir. En tout cas, à titre personnel, je n’ai jamais subi cette critique.

M. Denis Couhé. Elle est plus fréquente en province, en effet. Lorsque je présidais la JIRS de Bordeaux, on entendait plus régulièrement qu’à Paris la chambre se faire traiter de juridiction d’exception. Dans la mesure, en outre, où nous sommes trois à coprésider cette chambre, et où nous avons presque toujours affaire aux mêmes avocats, ils se rendent compte que la composition n’est pas strictement la même, ce qui montre que nous sommes un certain nombre à pouvoir traiter de ces dossiers avec des sensibilités différentes et qu’une forme de jurisprudence se crée notamment grâce aux assesseurs. En effet, par définition, les présidents ne participent pas aux procès présidés par leurs deux collègues ; en revanche, nos assesseurs, eux, tournent et nous informent que, sur tel dossier, ils ont rendu telle décision, que sur tel autre s’est posé tel problème qui a été réglé de telle façon. Or, même deux chambres, avec six présidents et six assesseurs, ne seraient pas suffisantes pour faire éclater cette jurisprudence. Car je suis tout à faire d’accord avec M. Raviot pour considérer que disperser le traitement du terrorisme dans toute la France provoquerait des disparités qui rendraient la jurisprudence peu compréhensible.

M. le président Georges Fenech. Vos décisions sont-elles souvent frappées d’appel ?

M. Denis Couhé. En matière de terrorisme, très peu.

M. le président Georges Fenech. Et lorsqu’elles le sont, ont-elles tendance à être confirmées ?

M. Denis Couhé. Les rares appels étaient plutôt à l’initiative du parquet et portaient sur le quantum de la peine.

M. le président Georges Fenech. Et dans quel sens va la cour ?

M. Denis Couhé. La cour va en général dans le sens du parquet et aggrave la peine.

M. le rapporteur. Le faible nombre d’appels sur les questions de terrorisme est-il lié au fait que les djihadistes ne reconnaissent que la justice divine ? Il y a quelques mois, le barreau de Paris m’avait fait rencontrer un certain nombre d’avocats de djihadistes ; or j’ai été frappé par le fait que la plupart ne reconnaissaient pas la justice française.

M. Denis Couhé. Ce n’est pas le discours auquel nous sommes confrontés en matière de terrorisme islamiste. Cette contestation-là, nous la rencontrons plutôt avec les Basques qui, régulièrement, refusent de s’exprimer, ne se défendent pas et ne font pas appel puisqu’ils ne reconnaissent pas notre juridiction et se considèrent comme des détenus politiques. Or, je le répète, nous ne rencontrons pas cette argumentation chez les terroristes islamistes ou les personnes que nous jugeons pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui, eux, sont très bavards. Ils contestent, discutent, argumentent, rationalisent énormément – leurs audiences sont très lourdes. Et, d’une manière générale, ils se plient à notre décision, sachant que la cour d’appel a tendance à aggraver les peines que nous prononçons.

M. le rapporteur. Depuis combien de temps jugez-vous des affaires liées au terrorisme ?

M. Denis Couhé. Depuis douze ou treize ans. Il s’agissait au début de dossiers touchant essentiellement au terrorisme basque et accessoirement au terrorisme corse.

M. le rapporteur. Avez-vous noté, avec le terrorisme lié à l’islam radical, un changement d’attitude des personnes qui vous font face ?

M. Denis Couhé. Pour ce qui concerne les clients jugés en correctionnelle, c’est-à-dire ceux poursuivis pour des actes préparatoires – ceux qui partent ou projettent de partir en Syrie –, il est faux d’imaginer, contrairement à ce qu’on entend très régulièrement dans la presse, qu’il y ait un profil-type. On entend systématiquement dire que ces gens ont un casier judiciaire. Or, il y a quinze jours, j’ai jugé un dossier dont pas un des douze protagonistes n’avait de casier judiciaire. Le prochain dossier que j’aurai à juger concerne quinze personnes dont une seule a un casier. C’est donc une erreur absolue, j’y insiste, de penser et de dire qu’il y a un profil-type.

Ce qui réunit tous ces gens est l’idéologie, même si, en creux, certains profils ne se retrouvent pas : je n’ai pas encore rencontré de fils de famille provenant du 16e arrondissement de Paris... Nous avons, en tout cas, de très nombreux convertis, et en particulier de converties ; l’intervention des femmes a en effet, au départ, très largement échappé aux services d’enquête. L’importance des femmes dans ce type de dossier, et leur nombre désormais, sont très inquiétants. Les premières femmes – la plupart du temps des converties – commencent à être renvoyées devant le tribunal.

Certes, les personnes concernées ont dans leur famille, leur histoire personnelle, des failles, mais c’est aussi le cas, souvent, des délinquants liés au trafic de stupéfiants…

M. le président Georges Fenech. Vous risquez, messieurs les présidents de la 16e chambre correctionnelle, d’être quelque peu soulagés, si l’on en croit la nouvelle politique pénale annoncée par le procureur de Paris, visant à criminaliser l’association de malfaiteurs pour les terroristes. Ce sera toutefois une charge pour vous, monsieur le président de la cour d’assises, puisque l’on peut penser que, d’ici quelque temps, il puisse y avoir davantage d’affaires à juger.

M. Régis de Jorna, président de chambre à la cour d’appel de Paris. On compte à Paris trois cours d’assises non spécialisées. Aucune n’est spécialisée en matière de terrorisme, ou spécialement composée, c’est-à-dire ne comprenant donc pas de jurés mais des magistrats professionnels.

En matière de terrorisme, on vient presque de terminer tout ce qui a trait au terrorisme national, qu’il s’agisse du terrorisme corse – hormis quelques dossiers disjoints très secondaires – ou du terrorisme basque – hormis, si je ne m’abuse, un appel encore en cours –, et il ne reste qu’un dossier lié au PKK. En revanche, vont arriver les premiers dossiers terroristes lourds, criminalisés, d’association de malfaiteurs en bande organisée. Viennent de sortir des cabinets d’instruction ce que j’appellerai les attentats déjoués peu médiatisés.

Ces attentats déjoués ressemblaient de beaucoup aux attentats du mois de novembre 2015, avec la même logistique, la même intention… C’est grâce à des failles qu’ils ont pu être déjoués.

M. le président Georges Fenech. Vous nous l’apprenez ! Êtes-vous bien en train de nous dire qu’ont été déjoués des attentats du type de ceux du 13 novembre ?

M. Régis de Jorna. Tout à fait.

M. le président Georges Fenech. C’est une bonne nouvelle, que nous ignorions.

M. Régis de Jorna. Je fais allusion à la filière Cannes-Torcy.

M. le rapporteur. Nous avions connaissance d’attentats déjoués récemment comme celui du Thalys, ceux que Ghlam voulait commettre dans des églises, d’autres encore, mal préparés, contre deux forts militaires… Quant à la filière de Cannes-Torcy, elle était très organisée.

M. Régis de Jorna. En effet : vingt-deux personnes sont renvoyées en cour d’assises et, à l’occasion du procès, le grand public constatera la similarité de pans entiers de l’affaire avec les attentats du mois de novembre dernier.

M. le président Georges Fenech. Sont-ils en cours d’audiencement ?

M. Régis de Jorna. L’instruction est terminée. La chambre d’instruction a rendu son arrêt mais il y a un pourvoi. Reste qu’on est prêt à audiencer.

M. le rapporteur. Quels sont les délais ?

M. Régis de Jorna. La chambre criminelle n’a pas encore rendu son arrêt, mais l’audiencement aura vraisemblablement lieu en 2017.

Un dossier sera médiatiquement important, avec une ordonnance de mise en accusation qui, sauf erreur, n’est pas frappée d’appel : l’affaire Merah – plus exactement, ce qui reste de l’affaire Merah. Je connais non le détail mais le gros du dossier, et je crois qu’est renvoyé un des frères Merah pour le vol du scooter notamment. Si l’affaire devait venir devant la cour d’assises – je ne sais pas du tout ce qu’il en est –, sur un plan judiciaire on pourrait considérer que la montagne accouchera d’une souris…

M. le président Georges Fenech. En effet, il ne s’agira pas de l’auteur principal.

M. Régis de Jorna. Non, mais l’affaire aura pour autant un certain impact médiatique.

M. le président Georges Fenech. Pouvez-vous revenir sur le rôle des trois cours d’assises parisiennes ?

M. Régis de Jorna. Jusqu’à présent, ces trois cours d’assises traitaient les dossiers en fonction de leur sortie, si je puis dire. À partir de 2017, se posera la question de savoir s’il ne faudra pas une quatrième cour d’assises qui ne se consacre qu’au terrorisme, ou qui se charge également de dossiers comme ceux liés aux génocides, qui prennent beaucoup de temps. Face à l’afflux des dossiers de droit commun, dont le traitement dure en moyenne de trois à cinq jours, il est nécessaire, à Paris, de disposer de trois cours d’assises. Jusqu’à présent, chaque année, un ou deux dossiers – essentiellement liés au terrorisme national corse ou basque – faisaient l’objet d’une cour spécialement composée. Or, on risque désormais d’avoir des dossiers lourds et longs. On peut ainsi penser que l’affaire Cannes-Torcy fera l’objet de deux ou trois mois d’audience : vingt-deux personnes, plusieurs faits incriminés… Il va falloir faire face à l’éventuelle montée en puissance de ce type de dossier.

M. le rapporteur. Le parquet souhaite criminaliser l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, ce qui implique une adaptation de nos moyens. Dans cette perspective, est-il possible de réduire les délais et de prévoir plus de personnels ?

M. Régis de Jorna. C’est un problème qui affecte en général les cours d’assises et qui fait l’objet de projets de réforme. Les délais de chaque affaire augmentent : alors que, voici dix ans, nous jugions une affaire moyenne en deux jours, il en faudra bientôt quatre. En effet, les avocats plaident de plus en plus, font de la procédure, si bien que chaque affaire devient de plus en plus chronophage.

M. le président Georges Fenech. C’est valable aussi pour la juridiction correctionnelle. Avez-vous une formation particulière, une sensibilisation particulière au phénomène du djihadisme, à ce qu’est le salafisme ? Des séminaires sont-ils organisés par l’École nationale de la magistrature (ENM) pour les magistrats spécialisés tels que vous, ou bien vous faites-vous sur le tas votre propre culture sur ces phénomènes nouveaux et complexes ?

M. Denis Couhé. Nous nous formons à cette question principalement sur le tas, en examinant les dossiers. Néanmoins, il y a deux ans, j’ai suivi un stage très intéressant d’une semaine sur le terrorisme, organisé par l’ENM. L’expérience se forge aussi au contact des individus eux-mêmes, contact en effet très important et qui apprend beaucoup.

Par ailleurs, vous annoncez la criminalisation par le parquet de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste – le juge d’instruction devant tout de même être d’accord. On sait qu’à la cour d’assises une procédure de ce type prend beaucoup plus de temps qu’au tribunal correctionnel. On sait que les cours d’assises de Paris sont particulièrement encombrées, et je vois très mal certains dossiers quitter le tribunal correctionnel pour la cour d’assises sans déperdition d’énergie. Ainsi, il y a quinze jours, treize personnes étaient mises en examen dans tel dossier, dont certaines sur mandat d’arrêt car se trouvant en Syrie, et le juge d’instruction a choisi de faire une disjonction pour une seule d’entre elles, toujours en Syrie, qui sera donc jugé par défaut. Cela signifie que j’ai été obligé de prendre connaissance de l’intégralité du dossier pour juger douze personnes ; mais le président de la cour d’assises va, lui, être obligé de prendre connaissance de l’intégralité du dossier pour en juger une personne, qui de plus ne sera pas là. S’agit-il bien du bon système ?

Mon prochain dossier concerne quatorze personnes et nécessitera huit audiences ; or, quatorze prévenus devant la cour d’assises, cela représente une durée de deux mois. Combien de magistrats mobilisés sur une seule affaire, alors que nous ne sommes que trois magistrats à être mobilisés sur une affaire en correctionnelle ? Nous avions suggéré à Mme Taubira, quand elle était garde des sceaux, que, dans les projets de réforme, au lieu de criminaliser l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, avec toutes les difficultés que cela comporte, l’on aggrave plutôt les peines maximales, aujourd’hui de dix ans, pour les porter à quinze ans.

M. le président Georges Fenech. Comme cela existe en matière de stupéfiants.

M. Denis Couhé. Tout à fait ! Cette possibilité existe et je ne sais pas pourquoi elle n’a pas l’heur de plaire alors que, manifestement, dans certains dossiers, nous sommes bloqués sur la peine de dix ans. Si, en cas de récidive, nous pouvons aller jusqu’à prononcer une peine de vingt ans, la plupart du temps, comme je vous l’indiquais tout à l’heure, les prévenus n’ont pas de casier judiciaire. Or il serait plus intéressant de pouvoir aggraver les peines maximales tout en gardant la qualification correctionnelle. La difficulté pour nous est que nous nous retrouvons avec, d’un côté, celui qui donne cinquante euros pour permettre à un ami de prendre un billet d’avion pour aller en Syrie, et, de l’autre, celui qui se rend en Syrie et dont on sait qu’il va combattre : or nous ne disposons que d’une fourchette de peines de dix ans pour les deux. Si l’on ajoute ceux qui s’arrêtent à la frontière syrienne mais qui vont revenir, on va se retrouver avec des fourchettes de plus en plus réduites : entre six ans et dix ans, ce qui peut être largement insuffisant ; on préférerait parfois prononcer une peine beaucoup plus longue pour certains dont on sait qu’ils ont combattu, afin que notre décision soit cohérente par rapport à l’implication des uns et des autres. Aussi la criminalisation envisagée ne va-t-elle pas nécessairement régler grand-chose.

M. le président Georges Fenech. Sauf que la criminalisation permet des détentions provisoires plus longues…

M. Laurent Raviot. Depuis deux ans et demi, sur une dizaine de procédures concernant des prévenus pour terrorisme djihadiste, un seul dossier a été criminalisé. Je ne pense donc pas qu’on puisse attendre de la criminalisation un miracle. J’ai ainsi eu à connaître, dernièrement, d’un dossier lié à une filière de soutien à des islamistes qui comptaient rejoindre la Syrie et qui, pour cela, avaient financé leur projet en commettant un vol à main armée – qualification ici typiquement criminelle. Or le parquet a fait le choix de la correctionnalisation, auquel personne ne s’est opposé. Les peines prononcées par le tribunal correctionnel ont été de sept et huit ans selon les participants. Personne n’a fait appel : ni le parquet ni les prévenus. J’ignore si c’est le gage d’une bonne décision, mais c’est déjà un signe. Ce dossier aurait pu, certes, être renvoyé devant la cour d’assises, mais pour quoi faire ? Si le parquet requiert des peines à peu près identiques à celles prononcées par le tribunal, cela n’a pas d’intérêt.

Je ne suis pas certain qu’à long terme, j’y insiste, la criminalisation soit une solution, sauf pour certains dossiers.

M. président Georges Fenech. S’agissant de l’échelle des peines, vous avez sans doute suivi le débat politique et judiciaire sur la peine perpétuelle. Pouvez-vous, monsieur le président de Jorna, nous faire part de votre opinion ?

M. Régis de Jorna. Vous m’interrogez sur la peine incompressible…

M. le président Georges Fenech. Oui. L’avez-vous déjà prononcée ?

M. Régis de Jorna. Non. La réclusion à perpétuité n’a pas été prononcée dans les cas de terrorisme basque ou corse. Quant à l’affaire Carlos, la période de sûreté était alors limitée à vingt-deux ans.

Il existe déjà, juridiquement, la possibilité de prononcer des peines incompressibles, mais il faut qu’elles soient compatibles avec les exigences – notamment – de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Autrement dit, une peine incompressible ne doit pas être exclusive de la possibilité de tout recours.

M. le président Georges Fenech. Il faut également compter avec le droit de grâce du Président de la République.

M. Régis de Jorna. Tout à fait. Il y a actuellement, je crois, deux ou trois individus dont les condamnations sont effectivement incompressibles ; mais demeure toutefois la possibilité d’un recours afin que cette incompressibilité ne soit que théorique.

M. Georges Fenech. Il s’agit de trois ou quatre cas, comme celui de Fourniret ou ceux de meurtriers d’enfants.

M. Régis de Jorna. Voilà.

Je crois qu’on va arriver à cela. Si l’on examine la législation en vigueur, la peine incompressible existe, avec la possibilité d’y déroger par le biais de certains recours. C’est un peu la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide. Si l’on veut appliquer les textes, en tout cas, c’est possible.

M. David Comet. Pour en revenir à la centralisation, que vous jugez positive dans la lutte antiterroriste, on nous a parlé du modèle italien, qui semble avoir fait ses preuves en la matière.

Par ailleurs, les liens entre la communauté du renseignement et la justice sont-ils solides ? Faudrait-il changer de paradigme et faire en sorte qu’il y ait une coopération plus étroite entre ces deux « communautés » ?

Ensuite, l’endoctrinement des apprentis djihadistes est-il similaire à celui pratiqué par les sectes pour enrôler leurs adeptes ?

Enfin, pourquoi la propagande djihadiste est-elle aussi facilement accessible sur internet ? Pourquoi ces publications ne sont-elles pas bloquées ?

M. le président Georges Fenech. Le modèle italien est en effet décentralisé, notamment pour les grands procès de mafieux, et cela semble donner des résultats.

M. Denis Couhé. Nous sommes en effet plutôt favorables, pour ce qui nous concerne, à la centralisation.

Par ailleurs, au stade du jugement, il va de soi que nous n’avons aucun contact avec le renseignement. Il serait du reste délicat d’imaginer qu’il puisse y avoir des contacts puisque, par principe, ils seraient souterrains et ne pourraient donc être officialisés, alors que la loi nous oblige à être totalement transparents.

Quant à l’endoctrinement des djihadistes, je ne pense pas qu’il soit similaire à celui des sectes. Il est souvent individuel et, comme je l’ai indiqué précédemment, il n’y a pas de profil idéal : on ne sait pas pourquoi, tout à coup, un jeune se fait endoctriner. Certes il ne va pas s’endoctriner tout seul ; il le sera par le biais, notamment, d’internet, mais aussi en allant assez régulièrement à la mosquée – qui n’est pas nécessairement le lieu où il va s’endoctriner, mais plutôt le lieu où trouver le moyen de s’endoctriner. Dans le prochain dossier que j’aurai à traiter, les réunions ne se tenaient pas à la mosquée, qui n’était que le point de rendez-vous, mais à l’extérieur. Reste, j’y insiste, qu’on ne sait pas réellement pourquoi ils se font endoctriner, sinon à cause de failles dans leur personnalité, je l’ai dit, mais ce sont des failles que l’on retrouve assez régulièrement dans d’autres cas.

M. Laurent Raviot. Si les profils sont en effet très individualisés, il y a tout de même des filières d’endoctrinement. J’ai eu à connaître dernièrement d’un dossier concernant des gens partis en Syrie et qui venaient de Trappes. En examinant le dossier dans le détail, on remarque qu’il y avait dans cette commune un vrai foyer d’endoctrinement, avec des gens qui ont dirigé une vraie filière : des passeurs, des contacts en Syrie… Il existe donc un processus assez commun, malgré des cas individuels très différents, qui peut conduire à ces départs pour le djihad.

M. le rapporteur. Avez-vous eu à juger des entreprises terroristes individuelles depuis le 13 novembre ?

M. Laurent Raviot. Pour ce qui me concerne, oui.

M. le rapporteur. Et votre troisième collègue ?

M. Denis Couhé. Non, d’autant qu’elle est arrivée très récemment. La plupart des dossiers concernent en effet des filières, et je partage ce que vient de dire M. Raviot sur les foyers d’endoctrinement qu’on trouve dans certaines communes.

M. le rapporteur. Quel était le profil de l’individu en question, monsieur Raviot ?

M. Laurent Raviot. Il s’agissait d’un individu parti pour le Mali afin de rejoindre les rangs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et qui a combattu contre l’armée française, notamment lors de l’offensive de Diabaly. Il a été arrêté à la faveur de l’intervention française alors qu’il avait trouvé refuge dans un village au nord de Tombouctou.

À la réflexion, j’ai eu à traiter une seconde affaire du même type. Il s’agissait d’un djihadiste parti dans les mêmes conditions que le premier, pour rejoindre AQMI au Mali et qui a combattu contre l’armée française, et qui a été découvert par les soldats français dans l’Adrar des Iforas, donc après la déroute d’AQMI aux alentours de Tombouctou.

M. le rapporteur. Quelles condamnations ont-elles été prononcées contre ces individus ?

M. Laurent Raviot. Huit ans d’emprisonnement pour les deux.

J’ajoute qu’à la différence des Basques, qui revendiquent leur appartenance à une organisation que par ailleurs ils ne considèrent pas comme terroriste, les prévenus suspectés de participation et d’organisation terroriste islamiste, ne reconnaissent pas, voire contestent, le fait même d’avoir voulu intégrer une organisation terroriste. La plupart des prévenus, après maints revirements, admettent être partis en Syrie, mais sans qu’il ait jamais été question, selon eux, d’y avoir une activité combattante. Ils disent s’y être rendus pour mener des activités humanitaires, pour parfaire leur connaissance de l’islam, mais pas pour intégrer un groupe combattant.

M. le rapporteur. A contrario, avez-vous eu affaire à des repentis sincères, ou vous donnant à penser qu’ils l’étaient ?

M. Laurent Raviot. C’est très difficile à apprécier, car on est là au cœur de la difficulté de juger, non pas par rapport à un acte commis dans le passé, mais par rapport au risque de réitération et à la dangerosité potentielle de nos prévenus. Au sein de ma chambre, nous avons eu une expérience malheureuse. Ni M. Couhé ni moi-même ne présidions l’audience. Parmi nos assesseurs, une jeune femme avait participé au procès d’une filière djihadiste dans lequel était impliqué Coulibaly. Après les événements de janvier 2015, elle m’a expliqué qu’elle était atterrée par ce qu’il s’était passé : Coulibaly avait bénéficié de la mansuétude judiciaire puisqu’il présentait le meilleur profil de réinsertion par rapport aux autres prévenus – c’est celui qui a été le moins sévèrement condamné. Comment vais-je aujourd’hui pouvoir juger ce type de prévenu, s’est-elle demandée, si j’ai à l’esprit que, de toute façon, il ne dira que des mensonges ? Or, j’y insiste, Coulibaly présentait un vrai profil de réinsertion. Nous sommes tous confrontés à cette difficulté : certains prévenus paraissent sincères, d’autres pas du tout ; comment faire la part des choses ? C’est la difficulté de juger, il n’y a pas de règle pour cela. Je n’aurai jamais la garantie qu’une personne à laquelle on va accorder confiance ne deviendra pas un meurtrier.

M. Denis Couhé. Je partage ce qui vient d’être dit. Je pense même que des gens peuvent être des repentis sincères le jour de l’audience et, dans les mois qui suivent, au contact de gens qui ne le sont pas du tout, vont redevenir de véritables bombes humaines.

M. Laurent Raviot. On ne peut exclure que, parmi les gens que nous jugeons et qui sont arrêtés après un retour de Syrie, il y en ait qui soit sincèrement repentants. Ils ont vu ce qu’était l’État islamique et décident de revenir en France parce qu’ils ne sont pas du tout d’accord avec les pratiques de cette organisation.

M. le rapporteur. Notamment avec la pratique de la takiya.

Peut-il exister, selon vous, des alternatives à la prison pour ce genre d’individus ? On parle de centres de déradicalisation… Pourriez-vous être amenés, pour les cas les moins problématiques, les moins dangereux, à proposer ce genre d’alternative ?

M. Laurent Raviot. J’y suis favorable. Dans tous les cas, même après la sanction, même après une période d’incarcération plus ou moins longue, il faudrait que ces gens-là soient suivis de façon très active.

M. le rapporteur. Et comme mesure alternative ?

M. Laurent Raviot. Sur le principe, on ne peut pas l’exclure, tout dépend des situations. Nous avons des prévenus qui comparaissent sous contrôle judiciaire, qui n’ont donc pas fait de détention ou très peu.

M. le rapporteur. Forts de votre expérience, auriez-vous pu, si cette mesure était prévue, la prononcer comme alternative à la prison ? Pour certains individus, vous demandez-vous si, étant donné leur apparente fragilité, il ne vaudrait pas mieux éviter de les envoyer en prison, lieu de « socialisation », si je puis dire, entre personnes radicalisées ?

M. Laurent Raviot. Là encore, il s’agit d’une question complexe. Ce n’est pas que je veuille me défausser mais, quoi qu’il arrive, qu’une personne séjourne en prison ou qu’elle soit laissée libre, même sous mesure de contrainte, même dans un centre de déradicalisation, on ne peut jamais exclure que, au contact de certaines personnes… En prison, selon ses fréquentations, un détenu va pouvoir accéder à un début de repentir ou non. Cela pose le problème de savoir si l’on met ensemble les détenus islamistes ou si on les sépare. Là encore, je ne pense pas qu’il puisse y avoir une réponse certaine. Il faut vraiment juger cas par cas. Il faut absolument isoler certains détenus islamistes des autres détenus islamistes, dès lors qu’on sent chez eux une possibilité de changement.

M. le rapporteur. Il s’agit notamment de les éloigner de ceux qui ont une aura particulière.

M. Laurent Raviot. Évidemment. Il ne faut surtout pas mettre ces derniers avec d’autres détenus de droit commun, afin d’éviter tout prosélytisme, et il faut éviter, si possible, de les mettre avec des détenus fragiles étiquetés islamistes. Il n’y a pas de règle, je le répète, et les situations sont vraiment à apprécier cas par cas – compte tenu, notamment, de l’évolution des gens.

M. le président Georges Fenech. Nous retiendrons vos précisions fort intéressantes et importantes, ainsi que votre inquiétude quant aux moyens nécessaires pour faire face à la masse des dossiers que vous allez avoir à traiter. Nous aborderons, bien sûr, ces questions avec le garde des sceaux dans la perspective de la discussion du projet de loi de finances pour 2017.

M. Laurent Raviot. Si vous permettez, monsieur le président, je souhaite vous donner quelques chiffres montrant l’évolution du contentieux lié au terrorisme islamiste.

M. le président Georges Fenech. Je vous en prie.

M. Laurent Raviot. De septembre 2013 – date de création de notre chambre – au 31 décembre 2013, nous avons eu, sur 79 jours d’audience, 16 jours consacrés au terrorisme islamiste soit 3 dossiers.

En 2014, sur 208 jours d’audience, 25 jours ont été consacrés au terrorisme islamiste, soit 8 dossiers.

En 2015, nous avons eu, toujours pour ce type d’affaires, 14 dossiers pour 40 jours d’audience.

En 2016, nous en sommes déjà à 9 dossiers pour 30 jours d’audience.

Ces chiffres montrent bien que nous avons à traiter de plus en plus de dossiers de cette nature.

M. le président Georges Fenech. Et il n’y a malheureusement aucune raison pour que cela s’arrête.

M. Laurent Raviot. Au regard des prévisions qui nous ont été données par le parquet, le phénomène va en effet être amené à s’accentuer.

M. le président Georges Fenech. Nous vous remercions pour ces informations fort intéressantes.

La séance est levée à 20 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Pierre Aylagas, M. David Comet, M. Jean-Jacques Cottel, M. Jacques Cresta, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Georges Fenech, M. Philippe Goujon, M. Serge Grouard, M. Meyer Habib, M. François Lamy, M. Jean-Luc Laurent, M. Michel Lefait, Mme Lucette Lousteau, M. Olivier Marleix, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Sébastien Pietrasanta, M. Pascal Popelin, M. Patrice Verchère, M. Jean-Michel Villaumé