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Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

Jeudi 12 mai 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n°23

Présidence de M. Georges Fenech, Président

– Audition, à huis clos, de M. David Skuli, directeur central de la police aux frontières (PAF), M. Fernand Gontier, directeur central adjoint, et M. Bernard Siffert, sous-directeur des affaires internationales, transfrontières et de la sûreté

– Audition, à huis clos, de Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et des droits indirects, M. Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques et contentieuses, des contrôles et de la lutte contre la fraude, et M. Jean-Paul Garcia, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières 17

La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, à huis clos, de M. David Skuli, directeur central de la police aux frontières (PAF), M. Fernand Gontier, directeur central adjoint, et M. Bernard Siffert, sous-directeur des affaires internationales, transfrontières et de la sûreté.

M. le président Georges Fenech. Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. David Skuli, directeur central de la police aux frontières (PAF), accompagné de M. Fernand Gontier, directeur central adjoint, et de M. Bernard Siffert, sous-directeur des affaires internationales, transfrontières et de la sûreté.

Monsieur le directeur, messieurs, nous vous remercions d’avoir répondu à la demande d’audition de notre commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Nous allons nous intéresser avec vous à la sûreté de l’ensemble des zones portuaires, aéroportuaires, ferroviaires et des moyens de transport internationaux, ainsi qu’aux questions de coopération internationale et européenne dans un contexte d’accroissement de la menace terroriste.

Cette audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer, se déroule à huis clos. Elle n’est donc pas diffusée sur le site internet de l’Assemblée. Néanmoins, et conformément à l’article 6 de l’ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l’issue de nos travaux. Je précise que le compte rendu de la présente audition vous sera au préalable transmis afin de recueillir vos observations. Ces dernières seront soumises à la commission qui pourra décider d’en faire état dans son rapport. Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans […], divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l’article 6 précité, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure. »

MM. David Skuli, Fernand Gontier et Bernard Siffert prêtent successivement serment.

La commission se pose un certain nombre de questions sur lesquelles vous voudrez bien nous faire un exposé liminaire :

La hausse de la menace terroriste et les attentats perpétrés en 2015 ont-ils conduit la PAF à modifier son organisation ?

Comment la répartition du contrôle des flux de personnes sur le territoire national est-elle opérée entre la PAF et la douane ?

La PAF contribue à la sûreté de l’ensemble des moyens de transport internationaux et à la sécurité générale mise en œuvre sur les emprises portuaires, aéroportuaires et ferroviaires placées sous sa responsabilité. De quels moyens dispose-t-elle pour y parvenir ? Ces moyens ont-ils évolué au cours de l’année écoulée et même depuis le 7 janvier 2015 ?

Quel regard portez-vous sur le soutien apporté à la PAF par l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (FRONTEX) ? Les situations qui exigent une assistance technique et opérationnelle de FRONTEX sont-elles fréquentes ? Pouvez-vous donner un exemple de situation de cette nature ?

Les méthodes de travail de la police aux frontières dans les gares et les aéroports ont-elles évolué depuis les attentats de janvier 2015 et ceux de novembre 2015 ? Sont-elles appelées à évoluer à court terme ?

Quels sont les points de passage qui font l’objet d’une surveillance renforcée depuis le début de l’année 2015 ?

La formation initiale et continue des agents de la PAF a-t-elle été modifiée depuis les attentats de janvier 2015 et ceux de novembre 2015 ?

À quelles informations les agents de la PAF ont-ils accès lorsqu’ils contrôlent l’identité d’un passager ? Des évolutions sont-elles souhaitables ?

Des patrouilles mixtes sont organisées entre la PAF et les unités des pays limitrophes, en particulier la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et l’Espagne. Quels en sont les résultats ? Ce dispositif a-t-il été renforcé au cours de l’année 2015 ?

La PAF a-t-elle des échanges avec les services de renseignement français ? Dispose-t-elle d’officiers de liaison au sein de ces services ? Accueille-t-elle des officiers de liaison en provenance de ces services ?

Enfin, comment les échanges d’informations entre la PAF et ses homologues européens sont-ils organisés ?

M. David Skuli, directeur central de la police aux frontières (PAF). Je commencerai par vous présenter l’organisation de la PAF.

La direction centrale de la police aux frontières est une direction de police spécialisée qui porte ce nom depuis 1999. Elle s’appelait auparavant DICCILEC et, avant 1973, était une sous-direction de la police de l’air et des frontières qui appartenait au grand service des Renseignements généraux. Avant les accords de Schengen, la PAF tenait 181 postes frontières.

Cette direction centrale compte 10 300 fonctionnaires parmi lesquels 8 500 sont actifs et interviennent tant sur le territoire métropolitain qu’outre-mer – Polynésie, Nouvelle Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon… Elle est divisée en sept directions zonales – six pour le territoire métropolitain et une pour les territoires ultramarins –, elles-mêmes subdivisées en directions interdépartementales, directions départementales et services PAF.

Les décrets d’organisation de la PAF, publiés le 12 avril dernier, nous permettent d’augmenter nos capacités de projection, de traitement des flux migratoires – dans les zones frontalières mais aussi à l’intérieur du territoire puisque la frontière est devenue une notion des plus mouvantes.

Des directions départementales, quant à elles, agissent dans le cadre du département en raison de contentieux spécifiques – c’est le cas des Alpes-Maritimes, de l’Oise, de la Savoie, de départements ultramarins…

Nous disposons par ailleurs d’un service national de police ferroviaire, chargé de la sécurité des lignes et qui effectue des patrouilles communes avec les services étrangers, enfin de dix bureaux de police aéronautique.

Le contrôle transfrontière, l’une des missions de la PAF, est effectué en commun avec la DGDDI, à savoir la douane. Il s’agit de contrôler les documents, de prendre – surtout en ce moment – des mesures de non-admission sur le territoire français, que ce soit par voie aérienne, ferroviaire, terrestre ou portuaire.

Nous devons ensuite lutter contre l’immigration irrégulière et démanteler les filières – 251 l’ont été en 2015 par l’OCRIEST, l’un des seuls offices, au sein de la PAF, qui n’appartient pas à la police judiciaire.

Nous sommes également chargés de la sûreté des moyens de transport – en particulier aéroportuaires –, secteur que nous partageons avec la DGAC.

Nous intervenons aussi en matière de police aéronautique concernant les accidents aériens et le contrôle des espaces aériens dans le cadre de missions spécifiques que nous confient les préfets.

En outre, un vivier d’une centaine d’experts, sous l’égide de FRONTEX, sont engagés, dans le cadre du renforcement des frontières extérieures, en Grèce, en Italie et dans d’autres pays européens dans lesquels l’Agence demande le soutien des experts français, qu’ils soient screeners, debriefers voire experts en fraude documentaire.

Nous animons par ailleurs le réseau des officiers de liaison en poste dans les pays sensibles – Afrique de l’Ouest, Grèce… – où il est attesté que de nombreuses personnes, munies de faux documents, tentent de prendre l’avion pour la France. Aussi nos agents procèdent-ils aux contrôles pré-embarquement.

Enfin, avec nos principaux voisins européens, nous animons les dix centres de coopération policière et douanière, vecteurs d’échanges d’informations et qui parfois organisent les réadmissions ou les procédures des patrouilles mixtes qui opèrent à nos frontières. La PAF est en effet chargée d’appliquer les procédures d’éloignement forcé lorsque des personnes en situation irrégulière ont été interpellées sur notre territoire.

J’en viens à notre action en 2015. Depuis la fin de 2014, jamais la PAF n’avait été confrontée à une telle crise migratoire. Près de 1,8 million de personnes sont entrées dans l’espace Schengen, selon les chiffres FRONTEX, dont 157 000 en Italie. Notre proximité avec ce pays a entraîné la mise en place d’un dispositif important destiné à endiguer cette vague migratoire. Vous savez en outre quelle est la situation dans le Calaisis où 6 000 migrants, répartis entre Calais et Dunkerque, essayent de franchir la frontière pour se rendre au Royaume-Uni.

L’année 2015 a également été marquée par l’organisation de la COP21 et, bien sûr, par les terribles attentats des 7, 8 et 9 janvier et du 13 novembre 2015.

Comment le contrôle aux frontières était-il organisé dans ce contexte ? Avant 2015, à savoir avant les attentats, il était régi par les dispositions du code des frontières Schengen, en particulier par son article 7-2 – devenu par la suite l’article 8 – qui prévoit le principe d’une vérification minimale pour les ressortissants des États membres et d’une vérification systématique pour les ressortissants des pays tiers. Le projet du PNR était déjà envisagé mais il était bloqué par le Parlement européen et en particulier par la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE).

Pour le reste, les contrôles étaient effectués dans la bande des vingt kilomètres, comme le prévoit le code de procédure pénale.

Par ailleurs, suite à un accord entre le ministre de l’intérieur et son homologue turc, définissant une procédure concernant les djihadistes revenant de Turquie, il a été permis la récupération de 89 d’entre eux en 2015 et de 6 autres depuis le début de l’année 2016.

La loi du 13 novembre 2014 a pour sa part créé l’interdiction administrative du territoire (IAT) et l’interdiction de sortie du territoire (IST), qui s’appliquent aux individus, qu’ils soient mineurs ou majeurs, dont il est avéré qu’ils souhaitent se rendre en des lieux où l’on pratique le djihad. Au moment où je m’exprime, les fichiers comptent 319 IST et 115 IAT.

S’y ajoutent les missions « vols entrants » que la PAF effectue avec la DGAC et la GTA et qui visent à s’assurer que, dans les pays sensibles, les mesures de sûreté sont bien prises par les compagnies aériennes et par les compagnies de sûreté. Un décret du 3 avril 2015 nous donne la possibilité d’exiger que des mesures additionnelles soient prises par ces compagnies de façon à s’assurer que les vols provenant d’aéroports étrangers sensibles puissent être contrôlés selon des normes se rapprochant des nôtres.

Le système SETRADER, créé en 2013, a été renforcé depuis les attentats. Il remplissait, d’une certaine manière, les fonctions du PNR puisqu’il était fondé sur l’exploitation des données d’enregistrement – alors que le PNR prendra en compte les données de réservation – permettant un criblage FPR concernant 38 pays sensibles – dont la liste a été établie par les services anti-terroristes –, 15 aéroports et 46 compagnies aériennes.

À la suite des attentats des 7, 8 et 9 janvier, le contrôle des 22 aéroports dont nous sommes chargés a été renforcé – il s’agit des grands aéroports parisiens et de ceux de Toulouse, Nice, Marseille, Bordeaux… celui de Montpellier relevant de la compétence des douanes. Depuis la commission des attentats jusqu’à la neutralisation des terroristes, il fallait s’assurer qu’ils ne puissent fuir le pays ou que d’autres terroristes ne viennent de l’étranger. Les patrouilles dynamiques effectuant des contrôles dans la bande des vingt kilomètres ont été mobilisées. Au moment des attentats, près de 4 000 personnels de la PAF se sont positionnés sur les vecteurs terrestres, ferroviaires et aéroportuaires.

Après les attentats, la France a fait valoir sa volonté de relancer la procédure de contrôle systématique des personnes souhaitant entrer dans l’espace Schengen. Je me souviens avoir participé à plusieurs réunions, avec mes homologues, en février 2015, visant à déterminer des critères pour chaque pays. Cette procédure est en vigueur depuis peu. De plus, des mesures ont été prises – elles ont été sensiblement renforcées depuis – concernant le contrôle des badges et des habilitations. Bien avant le déclenchement de l’état d’urgence, nous avons en effet commencé à contrôler l’ensemble des personnes pourvues d’un badge leur permettant d’accéder aux zones réservées des aéroports. Puis le projet du PNR a été relancé.

À la demande du ministre de l’intérieur, nous avons commencé à étudier les hypothèses de rétablissement de contrôle aux frontières qui, vous l’imaginez, est de nature à mobiliser d’énormes moyens. Nous avons présenté nos propositions à la Commission européenne dans la perspective de l’organisation de la COP21.

C’est dans ce contexte qu’est survenue la tentative d’attentat du Thalys du 21 août 2015, au cours de laquelle le dénommé Khazzani, venant de Bruxelles, a cherché à s’attaquer aux autres passagers. Des mesures ont dès lors été décidées que reprend la loi Savary mais qui déjà permettaient la sécurisation permanente des 28 Thalys quotidiens. Le dispositif a été renforcé par l’installation de portiques par la SNCF dans le sens France-Belgique. Par ailleurs, les patrouilles ferroviaires mixtes ont été intensifiées, notamment avec l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne.

Après les attentats du 13 novembre, les autorités ont décidé de rétablir le contrôle aux frontières. Nous y étions du reste tout à fait prêts puisque, au même moment, commençait la COP21. Nous en avions déjà informé la Commission européenne et, lorsque le Président de la République a déclenché l’état d’urgence et prescrit le rétablissement du contrôle aux frontières, nous en étions déjà, pour notre part, à la phase 3. Cette procédure concernait 285 points de passage autorisés (PPA). Je rappelle que les PPF concernent une frontière extérieure – aéroports, ports des façades nord, ouest et sud – et que les PPA – terrestres, ferroviaires ou aériens – s’appliquent aux frontières intérieures, à savoir celles qui nous séparent de nos voisins immédiats. Juste avant les attentats du 13 novembre, la PAF a ainsi mobilisé 5 000 agents, auxquels s’ajoutaient les agents des douanes chargés de 71 PPA. Et, en profondeur, c’est-à-dire dans la bande des vingt kilomètres, une action a été menée à la fois par les services de sécurité publique et de douane et par trois compagnies républicaines de sécurité mises à disposition du directeur zonal de la PAF du Nord, pour tenir les 15 points frontières déclarés comme PPA.

Pour ce qui est des renforts d’effectifs, nos services ont bien sûr modifié leurs méthodes puisque nous avons décidé – de notre propre initiative – de contrôler 100 % des voyageurs provenant de pays extracommunautaires, mais aussi tous les ressortissants de l’UE en provenance de pays hors Schengen. Dans les aéroports de province, nous contrôlons tous les passagers empruntant des vols Schengen et, à Roissy et à Orly, compte tenu de l’importance du nombre de vols et, par conséquent, pour ne pas bloquer ces grandes plateformes aéroportuaires, nous contrôlons entre 30 et 40 vols Schengen par jour à Roissy et une vingtaine de vols sensibles par jour à Orly.

Toujours dans les aéroports, dans la perspective de l’Euro 2016, le nouveau schéma national d’intervention de la police nationale sera bientôt complètement opérationnel. Des exercices impliquant l’ensemble des services de la PAF ont été menés avec le RAID afin de réagir en cas de tuerie de masse. Les services sont en train de recevoir, avec des équipements spécifiques, 112 HK G36, utilisant des munitions de 5,56 millimètres. Les formations à l’emploi de cette nouvelle arme sont en train de s’achever. En outre, une nouvelle formation est dispensée pour les primo-intervenants. Aux effectifs de la PAF s’ajoutent ceux du dispositif Sentinelle, renforcés depuis le 13 novembre – ainsi, 289 militaires sont déployés dans les différents aéroports.

Quelque 400 fonctionnaires vont gonfler les rangs de la PAF à la faveur des différents plans définis par le Président de la République et par le ministre de l’intérieur.

Enfin, le fameux PNR, dont la France avait décidé de se doter depuis 2014, a entraîné la dévolution d’effectifs spécifiques sur les sites dédiés.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Vous nous expliquez que le processus du contrôle aux frontières était déjà amorcé au moment des attentats de janvier 2015, sachant que les frontières devaient être fermées le 13 ou le 14 novembre au soir dans la perspective de la COP21. Vous avez précisé que 4 000 agents de la PAF avaient été mobilisés à cette fin. Or nous avons pu constater que ce contrôle, notamment le contrôle routier, restait aléatoire, et que dans certains aéroports comme Roissy, il n’était pas systématique. Quel est le pourcentage de personnes réellement contrôlées ? Plus précisément, le contrôle routier est-il vraiment utile ?

M. David Skuli. La France compte 2 940 kilomètres de frontières terrestres. Aussi, comme vous le soulignez, le contrôle aux frontières est-il très difficile à assurer. Il existe en effet des phénomènes de contournement : on trouve par exemple 400 points de passages carrossables entre la Belgique et la France. Il faut savoir également que 1,7 million de travailleurs frontaliers se rendent chaque jour dans l’un ou l’autre de nos pays voisins. Je précise également tout l’intérêt de mettre en œuvre des contrôles dynamiques sur les axes routiers sensibles.

Le principe de l’espace Schengen veut qu’on assure un contrôle fort aux frontières extérieures et que prévale à l’intérieur la libre-circulation telle que définie en 1995. L’application des accords de Schengen a entraîné le démantèlement de postes frontières. Il a fallu, après les attentats, les rétablir et réactiver des BCNJ avec certains pays.

Ensuite, la France est soumise à des dispositions européennes et ne saurait rétablir les points frontières en en faisant abstraction : il convient de suivre des procédures d’information, d’invoquer des motifs – en l’occurrence celui prévu par l’ancien article 23 du code des frontières Schengen. Cette opération est donc assez difficile à mener, sans compter que le contrôle aux frontières n’a de sens, pour peu qu’on le veuille efficace, que si s’établit un véritable échange d’informations entre les services. Les bases de données doivent ainsi être renseignées par l’ensemble des pays. La difficulté à contrôler ne peut du reste que s’accroître dès lors que la Syrie ou l’Irak ne semblent pas avoir fait figurer la totalité des passeports dérobés dans la base de données SLTD, d’Interpol.

En revanche, ce contrôle est efficace dans les aéroports, dans les gares frontières. Nous avons développé un programme de contrôle automatique avec les sas PARAFE et je rappelle que la Commission européenne projette de mettre en place, à partir de 2020, le Entry-Exit System où chaque ressortissant entrant et sortant de l’espace Schengen va faire l’objet d’un contrôle avec le décompte de la durée de son séjour. Il n’en est pas moins évident qu’il faut prendre en compte les effets de masse : à Roissy, on dénombre 1 600 mouvements d’avions par jour ; on recense 890 vols Schengen en France chaque jour. Toutes les compagnies aériennes, tous les gestionnaires d’aéroports réclameront, pour leur part, une amélioration de la fluidité du trafic – d’où le paradoxe consistant à assurer dans le même temps une sécurité optimale et la nécessaire fluidité que je viens d’évoquer.

En 2015, 15 000 personnes ont fait l’objet d’une mesure de non-admission. Depuis le 13 novembre, date à laquelle le contrôle aux frontières a été rétabli, ce chiffre atteint 17 363 personnes. Plus de 4 700 fichés S et plus de 7 000 individus faisant l'objet d’une fiche de recherche ont été détectés et les fichiers de police ont été interrogés 9 millions de fois. Même si l’étanchéité du contrôle aux frontières n’est pas parfaite, pour des raisons géographiques, ces chiffres en montrent tout de même la réalité.

J’ajouterai que le dispositif d’un contrôle aléatoire est peut-être plus pertinent qu’un dispositif de contrôle fixe.

M. le rapporteur. À Roissy, par exemple, contrôlez-vous les passagers qui partent, qui reviennent, ou bien les deux ?

M. David Skuli. Grâce au dispositif SETRADER, précédemment évoqué, nous contrôlons les personnes qui partent. En outre, des procédures ont été mises en place depuis les attentats comme le passage par l’aubette ou par le sas PARAFE en fonction du type de passeport présenté. D’autres contrôles sont effectués aux postes d’inspection filtrage tenus par des sociétés sous le contrôle de la PAF. Enfin, un ultime contrôle a été imposé aux compagnies aériennes : celui de la concordance entre le billet et la pièce d’identité.

M. le rapporteur. J’imagine que la Turquie est pour vous une priorité.

M. David Skuli. Les vols à destination de la Turquie sont évidemment particulièrement contrôlés et les IST s’appliquent notamment aux vols pour Istanbul ou autres destinations.

M. le rapporteur. Pour tout vous dire, monsieur le directeur, une délégation de la commission est partie en Turquie la semaine dernière, depuis Roissy, et a été assez étonnée, pour ne pas dire plus, de l’absence de contrôles : nous sommes allés en Turquie comme n’importe où ailleurs. Le contrôle auquel nous avons été soumis s’est révélé somme toute très habituel.

M. David Skuli. Qu’entendez-vous par « très habituel » ?

M. le rapporteur. Nous avons enregistré nos bagages puis passé le filtre de sécurité et c’est à peine si la concordance entre passeport et carte d’embarquement a été vérifiée.

M. David Skuli. Je n’étais pas présent au moment de ce contrôle et je prends acte de ce que vous indiquez ; reste que, pour les vols sensibles comme ceux à destination de la Turquie, un premier contrôle, essentiel, est celui réalisé à l’aubette de police où les documents que vous présentez sont confrontés à l’ensemble des fichiers de police.

M. le rapporteur. À quel moment exactement ? Celui de l’enregistrement des bagages ?

M. David Skuli. Au moment où vous présentez aux personnels de la PAF votre billet et votre titre de voyage – votre passeport –, l’ensemble des fichiers est consulté.

M. le rapporteur. Nous n’avons pas compris à quel moment ce contrôle a eu lieu.

M. David Skuli. Vous ne l’avez pas vu mais je puis vous assurer qu’il a été réalisé. Quand vous passez par l’aubette de police pour quitter l’espace Schengen, tous vos documents sont contrôlés de façon à en vérifier la validité, à vérifier ensuite que vous ne faites pas l’objet d’une fiche particulière. Le nombre de personnes interpellées faisant l’objet d’un signalement IST, à savoir des personnes qui voulaient quitter le territoire national pour aller faire le djihad, dépasse la centaine. Ces contrôles sont réalisés quand des personnes sont signalées. Je vous assure en tout cas, j’y insiste, que sont ainsi contrôlées les destinations sensibles – qu’il s’agisse des vols au départ pour la Turquie ou pour la Grèce.

M. le rapporteur. Et pour les retours de Grèce ?

M. David Skuli. Les vols charter ou les vols qui, depuis la Grèce, arrivent à Roissy sont considérés comme des vols sensibles : nous connaissons l’état de faillite de la Grèce. D’abord, notre OLI, en Grèce, contrôle les passagers qui embarquent ; ensuite, ces vols sont contrôlés à 100 % dans les aéroports de province comme s’ils provenaient d’un pays n’appartenant pas à l’espace Schengen. Et ces contrôles sont parfois même effectués en porte d’avion.

M. le rapporteur. Nous n’avons donc vraiment pas eu de chance car, après la Turquie, nous sommes allés en Grèce et, au retour, le contrôle s’est révélé encore plus faible. C’était le vendredi suivant le jeudi de l’ascension, aussi, peut-être, les effectifs étaient-ils moins mobilisés, ce que je peux comprendre par ailleurs. Nous n’avons vu personne en Grèce et il nous a suffi de montrer notre passeport, ce qui a pris environ trois secondes par passager. Et à l’arrivée, à Roissy, nous sommes passés assez facilement.

Quand le Président de la République évoque le rétablissement du contrôle aux frontières, aux yeux de l’opinion publique, il s’agit d’un contrôle systématique ; mais j’entends bien, au regard de vos considérations, que ce dernier est impossible à mettre en œuvre.

Des personnels sont-ils formés, au sein de la PAF, au profilage ? Allez-vous développer cette pratique ? On a l’impression que le dispositif FRONTEX se révèle assez faible, compte tenu de l’enjeu représenté par les migrants et compte tenu de l’éventualité d’infiltrations terroristes. Vous avez indiqué qu’une centaine d’experts français avaient rejoint l’Agence dans le cadre de la lutte contre la fraude documentaire.

M. David Skuli. Nous avons en effet développé une formation de comportementalistes s’inspirant de techniques développées par les Israéliens, qui disposent d’une certaine expérience en la matière. Nous avons déjà assisté à une conférence donnée à Tel Aviv sur le sujet et nous allons être partie prenante, bientôt, d’une prochaine conférence. Cette formation est également suivie par la Gendarmerie des transports aériens (GTA). La gendarmerie va concentrer son attention sur les personnels qui contrôlent les bagages de soute, alors que nous allons agir, pour notre part, dans les zones publiques et les zones réservées. Nous allons ensuite étendre cette action aux trains internationaux.

Cette formation, organisée avec des chercheurs de l’Université de Toulouse, indépendamment des aspects liés au « flair policier » et aux techniques d’observation du comportement, fait appel à quatre critères médicaux dont la sudation et les battements cardiaques. Des capteurs seront installés à cet effet dans les aéroports, à des endroits spécifiques.

M. le rapporteur. Cette formation concerne-t-elle l’ensemble des agents ou bien des experts en particulier ?

M. David Skuli. Cette formation vient d’être lancée et concernera, dans un premier temps, une trentaine de personnels des différents aéroports français, avant d’être étendue. Ensuite, j’y ai fait allusion, elle doit être menée en coopération avec le monde universitaire et dans le cadre d’échanges internationaux. Ainsi, le recours à la technologie de reconnaissance faciale et à des paramètres médicaux aidera l’agent dans son travail de détection. Il s’agira de l’un des moyens permettant de contrôler les gens qui se présentent dans les espaces publics des aéroports qui sont devenus les vraies zones de vulnérabilité.

En ce qui concerne les hotspots, quatre sur cinq sont actifs dans les îles grecques. Nous sommes quasiment le premier contributeur en termes de personnels présents – screeners, debriefers, experts en fraude documentaire… Les hotspots sont plutôt opérationnels et les phases de passage des migrants sont assez bien définies : elles permettent de s’assurer du parcours du migrant, de son histoire et d’intégrer ses documents dans la base Eurodac. Nous avons projeté 122 experts auxquels il convient d’ajouter des escorteurs pour les personnes qui vont faire l’objet d’un retour vers la Turquie dans le cadre de l’accord récemment signé entre l’UE et ce pays.

La présence de policiers européens et notamment français est donc assez importante dans ces hotspots. Face à l’afflux de migrants en Méditerranée centrale, FRONTEX réoriente son dispositif en direction des hotspots italiens où nous sommes amenés à envoyer des experts. Aussi le nombre de policiers qui opèrent en dehors du pays commence-t-il de devenir considérable ; mais la frontière gréco-turque, en fin de compte, est notre frontière et il convient de la protéger au mieux.

M. Christophe Cavard. Les outils qui permettent l’échange d’informations avec nos partenaires européens vous paraissent-ils suffisamment performants ou bien nécessitent-ils des améliorations du fait du terrorisme ou de la crise migratoire qui impliquent pour vos services une surcharge de travail ? À cet égard, quels sont, au-delà de l’éventuelle présence d’officiers de liaison, vos liens avec Europol ? Quels circuits permettent-ils de travailler à la vitesse des événements ? Il semble que l’accès à certains fichiers doit faire l’objet de demandes spécifiques.

Quel est votre point de vue sur le risque d’infiltration terroriste parmi les flux de réfugiés ? Quelles sont, dans ce contexte, vos relations avec les services du renseignement ? Nous travaillons en effet depuis plusieurs années sur les flux d’échanges et les outils de communication entre des services qui n’ont pas toujours l’habitude de coopérer.

M. David Skuli. Il existe des outils à l’échelon européen : le fichier du Système d’information Schengen (SIS), dont une seconde version va bientôt être mise en place ; le fichier SLTD, d’Interpol, qui recense les documents volés ou perdus ; enfin le PNR qui sera bientôt établi. Il faut y ajouter, au plan national, le fichier FPR.

Quelle est la capacité des différents pays à transférer les informations de leurs fichiers nationaux vers ces outils transversaux ? Le ministre a évoqué le sujet au cours d’une récente réunion à Bruxelles où il était question d’interopérabilité des fichiers, la présidence néerlandaise, c’est l’un des éléments de sa feuille de route, souhaitant s’assurer que chaque pays veille bien au transfert des données de ses fichiers nationaux vers le SIS. Si j’avais une suggestion à faire, j’insisterais sur le grand effort qu’il reste à réaliser en matière de compatibilité des réseaux et en ce qui concerne la rigueur de leur alimentation. D’ailleurs, la France est un gros contributeur à en juger par le nombre considérable de fiches qu’elle a transmises à Interpol ou au SIS.

Un accord a été passé entre l’agence FRONTEX et Europol puisque le risque existe d’une infiltration terroriste parmi les cohortes de réfugiés, comme l’a montré le cas des deux terroristes qui se sont fait exploser au Stade de France le 13 novembre dernier. L’ampleur de la crise rend ce risque difficile à maîtriser. Or l’accord en question permet de recueillir une masse d’informations qui parviendra, désormais, aux services d’Europol qui pourra donc les analyser et les redistribuer aux différents services et notamment à l’OCRIEST, chargé du démantèlement des filières. Europol a décidé depuis peu de créer une sorte de sous-direction de lutte contre l’immigration irrégulière et les réseaux organisés, structure qui va concentrer l’ensemble des initiatives permettant de mieux échanger les informations entre les pays sur les flux migratoires.

En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, il est essentiel que les services de renseignement échangent entre eux et reversent certaines données dans des fichiers accessibles à d’autres services. C’est le cas en particulier des fiches S, dont je vous rappelle que la DGSI et le SCRT sont les grands pourvoyeurs, qui alimentent le fichier FPR consultable par la PAF.

Nos relations avec les services de renseignement sont quotidiennes puisque, dans de gros aéroports comme Roissy ou Orly, on trouve des antennes de la DGSI, de la DRPP et du SCRT. Dans le cadre du retour des djihadistes, nous avons des échanges permanents avec ces services. La consultation des fiches S qui, je le rappelle, ne sont pas des fiches d’interpellation mais de signalement, nous conduit à échanger quotidiennement avec eux, à signaler, précisément, ces personnes lorsqu’elles entrent sur le territoire national ou qu’elles le quittent. Ces relations existent également dans chaque zone où les directeurs zonaux ont des points de liaison avec les services du renseignement intérieur voire avec les services de renseignement extérieur. D’ailleurs, mon service accueille un officier de liaison de la DGSE qui elle-même compte un officier de liaison de la PAF.

La marge de progression de ces relations réside surtout dans l’interopérabilité des fichiers : on pourrait imaginer un meilleur accès des services de renseignement. C’est l’un des thèmes abordé par le ministre récemment à Bruxelles : les services de renseignement ou ceux chargés de la lutte antiterroriste doivent avoir un meilleur accès au fichier Eurodac ainsi qu’au VIS – système d’échange de données sur les visas entre pays membres de l’espace Schengen. Outre l’interopérabilité, il convient de réfléchir à la conservation des données, sachant que le système Schengen n’avait pas été conçu pour faire face à une menace prenant corps en son sein même : les fauteurs d’attentats étaient des ressortissants de l’Union européenne.

M. Christophe Cavard. Prenons le cas d’un individu qui reviendrait de Syrie en passant par plusieurs pays membres de l’UE qui n’ont pas tous encore mis en place les mêmes normes de contrôle. Il va réaliser des sauts de puce qui rendront le suivi de son parcours plus difficile que s’il rentre directement depuis la Turquie… Or, si j’ai bien compris, les services de renseignement, si la personne est susceptible d’être dangereuse, vous préviennent et c’est à partir de ce moment que vous êtes associés aux opérations. Mais vos agents peuvent très bien, directement, avoir des doutes ; dès lors, se contentent-ils de demander leur avis aux services de renseignement, interviennent-ils directement ? Il s’agit pour nous de tâcher de comprendre qui fait quoi.

M. David Skuli. Concernant les procédures de retour, un dispositif plutôt performant a été mis en place après l’accord entre les deux ministres. Tout dépend de deux vecteurs : l’information, d’abord, car nous sommes des services « capteurs » ; la coopération avec les Turcs, ensuite – j’ai été entendu par une autre commission parlementaire au moment où les Turcs, sans en avertir les services français, avaient renvoyé des individus à Marseille plutôt qu’à Paris.

Aujourd’hui, les données concernant tous ceux qui se trouvent dans les centres de rétention en Turquie et en particulier à Istanbul sont communiquées à deux services : la DGSI et la DCI qui nous informent immédiatement afin que nous envoyions des forces de sécurité récupérer directement tel ou tel individu à Istanbul pour l’accompagner lors de son vol retour. Nous l’interceptons à son arrivée à la frontière et le remettons aux services de renseignement.

Qu’une personne puisse, au départ comme au retour, emprunter un autre aéroport européen, voilà qui justifie l’établissement du PNR pour les vols intra-européens. Le Parlement européen n’en avait pas compris l’intérêt et empêchait son adoption depuis 2007. Jusque-là, il était quasiment impossible de contrôler une personne considérée comme sensible aux termes des 32 critères retenus. Le dispositif PNR enfin voté, les différents pays doivent s’en doter dans les deux ans qui viennent. La France, je l’ai dit, a anticipé puisqu’elle a mis en place son propre PNR qui devrait commencer d’être opérationnel d’ici à la fin du mois de mai pour l’être complètement en fin d’année.

Reste évident qu’il faut pallier l’absence d’un système européen d’échanges d’informations sur les voyageurs. Dans un premier temps, il faut que les services de renseignement partagent leurs fiches concernant les individus suspectés d’appartenir à une mouvance terroriste, que ces fiches soient versées au SIS afin que l’ensemble des services capteurs soient informés de la dangerosité des individus en question afin de tenir telle ou telle conduite au moment où ils franchissent une frontière.

La PAF transmet quotidiennement de multiples informations aux services de renseignement. Nous leur communiquons même des photocopies de documents de voyage des personnes signalées, notamment pour faits d’islamisme, ou qui partent pour des destinations particulières – par exemple pour les pays du Maghreb. Nous travaillons également dans le cadre des IST, nouveau dispositif qui nous permet d’entrer en contact fréquent avec les services de renseignement.

Pour me résumer, la réponse à votre question tient dans la mise en place d’outils à l’échelle européenne, outils que promouvait la France dès avant les attentats de janvier 2015. Le 1er janvier 2017, nous pourrons systématiquement contrôler l’ensemble des personnes faisant l’objet d’un signalement.

M. le rapporteur. On compte 4 700 fiches S depuis le 13 novembre. Que se passe-t-il quand un agent de la PAF contrôle un individu faisant l’objet d’une telle fiche, à qui envoie-t-il l’information ?

M. David Skuli. Les fiches S sont des fiches de sûreté de l’État qui ont suscité un grand débat car la presse n’avait pas compris leur objet. On compte 11 profils différents, correspondant à 11 conduites à tenir, dont la numérotation peut prêter à confusion puisqu’une partie de ces fiches sont dénommées S 15 ou S 16. Il s’agit de fiches de signalement et seule la fiche S 15 exige des agents de contrôle aux frontières qu’ils retiennent la personne qui en fait l’objet jusqu’à l’arrivée des services de renseignement. C’est assez compliqué car sur quelle base juridique retenir la personne en question ? Il faut alors faire durer le contrôle quitte à faire intervenir les agents des douanes.

M. le rapporteur. Vous disposez désormais d’une base juridique avec le vote par la CMP du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

M. David Skuli. En effet, mais les fiches S existaient avant. Chacune prévoit une conduite à tenir. Dès que l’agent constate qu’un individu contrôlé fait l’objet d’une fiche S, il signale aux services de renseignement la provenance de l’individu et sa destination.

M. le rapporteur. Ce signalement se fait-il en temps réel et auprès de qui ?

M. David Skuli. L’information est transmise en temps réel soit par voie téléphonique soit par voie informatique ou encore par l’appel à l’agent de la DGSI présent sur la plateforme aéroportuaire : tout dépend de ce que contient la fiche S : il est parfois demandé de photocopier le document de voyage pour transmission aux services de renseignement.

M. le rapporteur. Mais concrètement ? Vous avez bien décrit la pression commerciale en matière de fluidité du trafic. Quand vous détectez une personne faisant l’objet d’une fiche S…

M. David Skuli. Le contrôle ne présente aucune difficulté dès lors que nous disposons d’un contrôle de première ligne et d’un contrôle de seconde ligne. Lorsque nous détectons une personne faisant l’objet d’une fiche S, nous l’invitons à venir en seconde ligne afin qu’elle libère son poste dans la queue de première ligne. Il importe d’être attentifs aux individus ainsi fichés car 80 % d’entre eux le sont pour un lien avec l’islam radical. Concrètement, on demande à la personne concernée de se mettre sur le côté et elle est prise en compte par les agents de deuxième ligne. La fiche S 15 demande en outre de retenir la personne contrôlée jusqu’à l’arrivée des services de renseignement, ce qui est l’affaire de quelques minutes sur les grandes plateformes aéroportuaires parisiennes. Toutefois, en province, quand ces services ne sont pas présents, nous faisons passer l’individu en deuxième ligne où nous effectuons, avec le concours des services douaniers, un contrôle approfondi en attendant l’arrivée des services de renseignement. Les informations téléphoniques que j’évoquais sont transmises lors du passage en deuxième ligne.

M. le rapporteur. La conduite à tenir prévoit parfois que les agents doivent agir en toute discrétion…

M. David Skuli. En effet. Quand la conduite à tenir consiste à relever les éléments d’information concernant l’individu en toute discrétion, l’avis téléphonique n’a pas à être donné simultanément : l’appel est passé une fois que la fiche S a été traitée et que l’individu est passé en deuxième ligne. À Roissy, une unité d’information a chaque jour pour mission de traiter l’ensemble des fiches S détectées aux lignes frontières.

M. le rapporteur. Le 14 novembre au matin, Salah Abdeslam est contrôlé avec deux autres individus par la gendarmerie…

M. David Skuli. À neuf heures dix.

M. le rapporteur. À neuf heures dix, en effet. Ils viennent de Paris et se rendent en Belgique à bord d’un véhicule immatriculé en Belgique. Salah Abdeslam, notamment, fait l’objet d’une fiche S… Bref, si j’ose dire, tous les voyants sont au rouge. Ce contrôle a-t-il été effectué dans le cadre du renforcement des contrôles aux frontières annoncés par le Président de la République ?

J’imagine que, dans les heures qui suivent un attentat, vous déployez du personnel aux frontières. Une procédure particulière est-elle prévue, dans un tel contexte, concernant les fichés S, des mesures de retenue, de contrôle renforcé ? Certes, quand Salah Abdeslam est contrôlé, la situation juridique, si je puis dire, est très bancale : les gendarmes le retiennent plus d’une demi-heure, à la limite de toutes les règles juridiques. En même temps – et ce n’est en rien une accusation – si les gendarmes étaient allés jusqu’au bout de leur initiative, nous aurions évité quelques péripéties ultérieures désastreuses. Donc, je le répète, lors d’une telle crise, une procédure particulière est-elle prévue pour les agents de la PAF, notamment concernant les fiches S ?

M. David Skuli. Le 14 novembre au matin, tous les éléments d’identification de Salah Abdeslam n’étaient pas connus. Il est très facile, a posteriori, une fois le dossier complété de tous les éléments de l’enquête, de dire ce qu’il aurait fallu faire. Reste que, le 14 au matin, personne ne savait que Salah Abdeslam avait abandonné sa ceinture d’explosifs, personne ne connaissait les liens entre les personnes qui étaient en train d’assurer son retour logistique vers Molenbeek.

M. le rapporteur. Mais il circulait à bord d’un véhicule immatriculé en Belgique, identifié…

M. David Skuli. J’étais alors en cellule de crise donc j’ai bien vu de quelle manière les informations sont parvenues.

Ensuite, le rétablissement des contrôles ne signifie pas la fermeture de nos 2 940 kilomètres de frontières. Seuls sont concernés les points de passage autorisé, c’est-à-dire ceux signalés comme étant des points d’entrée, ce qui ne supprime en rien les points carrossables qui permettent de passer d’un pays à un autre, comme c’est le cas chaque jour pour les travailleurs frontaliers qui ne sont contrôlés par personne.

Comme vous l’avez indiqué, pour en revenir à Salah Abdeslam, les gendarmes ont tout de même effectué un contrôle approfondi puisqu’ils l’ont gardé plus d’une demi-heure.

Pour ce qui est de la procédure, à la suite d’un tel attentat, le centre ministériel de crise est activé, décliné par la direction générale de la police nationale (DGPN) qui fixe à chaque direction une mission particulière. Au sein de ce dispositif global, la PAF doit renforcer sa présence aux frontières et donc renforcer les contrôles de sortie – pour intercepter ceux qui auraient pu commettre un attentat – et les contrôles d’entrée – pour éviter l’arrivée d’autres terroristes. Le soir-même, l’ensemble des autres pays a été avisé et ont, pour ceux qui le pouvaient, renforcé immédiatement le contrôle de leurs frontières.

En ce qui concerne les fiches S, elles ne font pas l’objet d’une procédure spécifique. Elles existent dans les fichiers en fonction du signalement opéré par la DGSI et le SCRT. Lorsque le fichier FPR est interrogé, la fiche S est automatiquement détectée et s’affiche sur l’écran de contrôle dont dispose l’agent à moins que l’existence de la fiche ne lui soit signalée par radio.

Après les attentats, toute notre action a consisté à renforcer notre présence aux frontières voire à rétablir les contrôles aux PPA qui sont les principaux points de passage terrestres : autoroutes, routes nationales, gares frontalières ou aéroports. Cette action, j’y insiste, est coordonnée par la DGPN et, au niveau supérieur, par le centre ministériel de crise où sont prises l’ensemble des décisions.

M. le rapporteur. J’entends bien, monsieur le directeur, mais, dans les heures qui suivent un attentat, les agents de la PAF ne pourraient-ils pas systématiquement utiliser la retenue de quatre heures prévue par le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme ?

M. David Skuli. Vous me demandez si nous pourrions appliquer cette disposition ?

M. le rapporteur. Oui, à l’ensemble des individus faisant l’objet d’une fiche S.

M. David Skuli. Non, parce que, comme je l’ai indiqué, la totalité des fiches S ne sont pas des fiches d’interpellation. Ou alors, il faut changer la nature de la fiche S. Elle est, je le rappelle, destinée aux services de renseignement afin qu’ils soient informés des mouvements des individus concernés. À l’exception, je l’ai dit, de la fiche S 15 ; or on compte très peu de fiches S 15.

M. le rapporteur. Je sais très bien ce qu’est une fiche S, monsieur le directeur, et j’en ai même largement défendu le principe à l’époque où personne n’y comprenait rien. Et je suis personnellement d’avis d’en faire évoluer la définition pour une meilleure compréhension et une meilleure efficacité.

Dès lors que survient un attentat, nous ne disposons pas d’une multitude d’outils. La fiche S, vous avez raison de le rappeler, est un outil de renseignement et non d’interpellation ; mais quand, d’un point de vue pragmatique, un attentat est commis, l’ensemble des agents de la PAF, par exemple, n’a pas accès au fichier FSPRT – et c’est tant mieux. Or si les agents de la PAF contrôlent un fiché S lié à l’islam radical, on peut imaginer, alors que le contexte est troublé, qu’ils retiennent systématiquement l’individu en question pour procéder aux vérifications nécessaires. Certes, l’exploitation d’une fiche S a pour vocation de renseigner les services sur le lieu où se trouve l’individu, à quel moment et avec qui, dans quel véhicule… Mais on peut aussi imaginer, je le répète, qu’en cas d’attentat, cette fiche S serve à autre chose qu’à recueillir des informations, qu’on l’utilise de façon « dérivée » pour assurer la sécurité des Français de manière que la retenue de quatre heures que j’ai mentionnée puisse être utilisée pour éviter qu’un Salah Abdeslam ne s’échappe pendant plusieurs mois et ne commette éventuellement d’autres attentats.

M. David Skuli. Il ne faut pas confondre les outils et oublier le rôle de la justice: c’est elle qui dirige les enquêtes. On ne peut pas faire n’importe quoi au motif que des attentats viennent d’être perpétrés. Il est important de garder aux outils leur vocation, ce qui n’empêche pas d’en créer de nouveaux en cas de besoin. Si la fiche S est un moyen de signalement et d’échange d’informations entre les services de renseignement, informations qui vont peut-être permettre de détecter des actions terroristes, il ne convient pas d’en faire un outil d’interpellation. Pour cela, ou l’on institue un nouveau système de fiches ou bien l’on inscrit les individus concernés au FPR avec un code établissant une fiche PJ permettant l’interpellation. Il y a aussi cette possibilité qui sera offerte d’une retenue de 4 heures dans un cadre bien précis.

Lorsqu’un attentat est commis et que nous disposons d’un signalement suffisamment précis pour être versé au FPR, nous utilisons en effet un autre code, celui des fiches PJ qui, je le répète, permet, le cas échéant, d’interpeller une personne impliquée dans une affaire judiciaire. La fiche S a une vocation et si l’on souhaite lui en donner une nouvelle, il convient de revoir le dispositif. Il faut en outre bien prendre en compte les réticences de certains de nos partenaires à l’idée de procéder ainsi à la retenue de personnes sans aucune base juridique. Nous devons nous montrer très pragmatiques, certes, mais sans que ce pragmatisme nous conduise à détourner la fiche S de son utilisation régulière.

En effet, il faut prendre en considération les critères de signalement qui ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Quelle est, ainsi, l’appréciation des services du renseignement belge pour considérer un ressortissant belge, en l’occurrence Salah Abdeslam, comme un terroriste ou comme susceptible de se livrer à une action terroriste ? Quelle est, de leur côté, l’appréciation des services français, allemands, italiens… ? La situation est donc assez complexe.

Bref, il faut laisser à la fiche S sa vocation et créer, le cas échéant, un autre outil ou se servir des fiches PJ du FPR.

Il faudra aussi considérer cette nouvelle disposition de « retenue de 4 heures » prévue par le projet de loi contre le crime organisé et le terrorisme.

M. Serge Grouard. J’ai le sentiment que nous nous trouvons dans une logique défensive, ce que reflète d’ailleurs le titre même de cette commission d’enquête. Depuis quelque temps, je me dis que, même si les dispositifs dont nous discutons sont bien sûr nécessaires, il va bien falloir se poser la question de la stratégie avant de réfléchir aux « moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme ». Aussi notre stratégie doit-elle continuer d’être défensive ou bien doit-elle devenir offensive ?

Nous revenons des Balkans. J’ai le sentiment que l’on contrôle de mieux en mieux les aéroports. On n’empêchera pas, évidemment, malgré le solide maillage, une fourmi de passer, mais les contrôles se sont organisés, densifiés et semblent, en tout cas pour la partie française, de plus en plus opératoire.

Je reprends l’exemple des voies terrestres. En Grèce, en 2015, un million de réfugiés sont arrivés. Quelque 500 000 s’y trouveraient toujours sans avoir été identifiés. Beaucoup sont de simples réfugiés qui préféreraient être dans une autre situation, mais il a pu y avoir infiltration parmi eux de terroristes. On nous a par ailleurs parlé de « l’autoroute des Balkans ». Je connais quelque peu cette région et sais qu’il existe de vraies passoires. Comment peut-on contrôler tout cela ? C’est mission impossible. On nous a indiqué que la mer Égée était un lieu de trafic en tous genres. On nous a parlé à ce sujet du « marché des réfugiés »…

Bref, cette région – Istanbul, Athènes, entre les deux – grouille de monde, si bien qu’on cherche en permanence des aiguilles dans une botte de foin. Or comme vos services sont efficaces et bien organisés, vous allez en trouver, des aiguilles, mais pas toutes.

Je n’ai pas de solution mais cette situation me rappelle notre stratégie militaire défensive de 1940. L’idée de la ligne Maginot n’était pas si stupide, mais les Allemands sont passés ailleurs, justement, encore une fois, par la Belgique – il y a des fatalités dans l’histoire.

Mes propos sont certes quelque peu décousus, mais je me heurte, intellectuellement à ce problème. On propose de multiplier les fichiers, les dispositifs… Prenons l’exemple du trafic de drogue : il emprunte également des autoroutes et, bien qu’elles soient connues, la drogue passe tout de même. Que doit-on donc faire ? Voilà quel est l’état de ma réflexion.

M. le président Georges Fenech. Quelle est votre question, mon cher collègue ?

M. Serge Grouard. En ce qui concerne l’agence FRONTEX, monsieur le directeur, combien compte-t-on de personnels et combien de Français parmi eux ? J’ai entendu qu’ils étaient 122 mais je ne suis pas sûr qu’il s’agisse du bon chiffre.

Ensuite, vous avez évoqué la conservation des données. Qu’en est-il ? J’ai en effet le sentiment que les données de certains fichiers ne sont pas conservées dans la durée, ce qui peut rendre difficile la recherche des antécédents d’un individu, par exemple.

M. David Skuli. Il est en effet préférable d’avoir une stratégie plutôt que de réagir. Reste qu’il est déjà difficile de définir une stratégie pour soi-même, alors à vingt-huit, ce l’est encore plus. On a d’ailleurs pu constater qu’il a fallu des morts pour que le Parlement européen vote la mise en place d’outils essentiels d’échanges de données ou de contrôle. Il convient donc de mener une action de fond et qui doit être poursuivie afin de faire évoluer les systèmes. Les causes du terrorisme sont sans doute internes, mais elles sont également externes – on songe à des conflits identifiés nécessitant des actions fortes.

Pour ce qui est de l’agence FRONTEX, elle va changer de nature puisque la Commission européenne a étendu son action aux garde-côtes, augmenté ses personnels. Actuellement, on compte 300 permanents sur un volume global de personnels mobilisables par l’ensemble des États membres qui est de plusieurs milliers. La France est quant à elle un contributeur assez important : le vivier de screeners et de debriefers compte cent personnes, nombre qui va être augmenté. S’y ajoutent des personnels que nous pouvons envoyer répondant aux 13 ou 14 profils de l’Agence, notamment en matière de fraude documentaire et d’assistance aux prises d’empreintes digitales.

Assurer l’interopérabilité au sein de FRONTEX est complexe : un garde-frontière français doit pouvoir effectuer un contrôle à la frontière gréco-turque ; il doit donc bien maîtriser la langue anglaise – nous exigeons de nos agents un niveau B1. En outre, ces derniers doivent être titulaires d’une certification européenne du métier de garde-frontière qui nécessite un background commun. Des viviers de personnels formés par FRONTEX se constituent ainsi dans chaque pays.

J’en viens à la conservation des données – thème sensible au sein de l’Union européenne, au point que certains de nos partenaires, à cause d’une sensibilité à fleur de peau, ont bloqué nombre de nos dispositifs en la matière. Reste que la position française a été retenue pour le PNR : les données seront conservées pendant cinq ans, un masquage étant effectué au bout de six mois. Une action française est engagée pour que les données Eurodac soient conservées même après le retour de la personne concernée, ce qui me semble une bonne démarche car il s’agit du seul fichier renfermant des éléments biométriques et des éléments d’identité déclarés ou certifiés. Quant aux fichiers français FPR et autres, les données peuvent en être conservées jusqu’à des dizaines d’années en fonction de la nature de la fiche et de la nature de l’infraction qui a justifié l’inscription au fichier.

M. le président Georges Fenech. Avez-vous des informations sur les circonstances de l’attentat contre l’avion russe dans le Sinaï en octobre 2015 ?

M. David Skuli. Non, je n’ai que des bribes d’information ou des hypothèses. Nous avons échangé sur le sujet avec la DGAC avec laquelle nous coopérons étroitement. Or en son sein la DGAC comprend une cellule d’analyse du risque qui étudie les catastrophes ou les accidents aériens.

Les seuls éléments d’information dont je dispose concernent la nature de l’explosif – on évoque l’emploi de TATP, d’une bonbonne, ce qui pose le problème du contrôle des bagages de soute. Nous avons eu l’occasion d’échanger sur ce thème avec la DGAC lors d’une mission en Tunisie. Reste que je ne dispose pas d’informations très précises ni très claires, certifiées, qui me permettent de vous affirmer quoi que ce soit dans le cadre de la présente commission.

M. le président Georges Fenech. Un journaliste de France 24, spécialiste du Moyen Orient, nous a parlé d’une cannette de bière.

M. David Skuli. J’ai entendu également cette information. Un tel moyen de stockage de l’explosif est susceptible de provoquer des dégâts importants dans l’avion, mais tout dépend du positionnement du passager, de l’endroit où se trouvait cette cannette… J’ai entendu comme vous cette information sans que je sache si elle a été divulguée par un agent impliqué dans l’enquête.

Tous les éléments sont analysés et pris en compte et l’on s’adapte à la menace – comme l’indiquait M. Grouard. Nous nous organisons aujourd’hui en fonction des tueries de masse parce que nous avons été victimes de tueries de masse et qu’il est très difficile de penser le futur.

M. le président Georges Fenech. Nous vous remercions pour toutes vos réponses.

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* *

Audition, à huis clos, de Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et des droits indirects, M. Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques et contentieuses, des contrôles et de la lutte contre la fraude, et M. Jean-Paul Garcia, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières.

M. le président Georges Fenech. Après l’audition du directeur de la police aux frontières (PAF) qui vient d’avoir lieu, nous sommes heureux d’accueillir Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et des droits indirects, accompagnée de M. Jean-Paul Garcia, chef de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, et de M. Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques et contentieuses, des contrôles et de la lutte contre la fraude.

Madame la directrice, messieurs, nous vous remercions d’avoir répondu à la demande d’audition de notre Commission d’enquête. Nous allons nous intéresser avec vous, dans un contexte d’accroissement de la menace terroriste, aux moyens dont vous disposez pour tarir les circuits de financement et aux méthodes mises en œuvre pour assurer un partage efficace du renseignement.

Cette audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer, se déroule à huis clos. Elle n’est donc pas diffusée sur le site internet de l’Assemblée. Conformément à l’article 6 de l’ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra néanmoins être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l’issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations seront soumises à la Commission, qui pourra décider d’en faire état dans son rapport. Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans […], divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l’article 6 précité, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure. »

Mme Hélène Crocquevieille, M. Jean-Paul Garcia et M. Jean-Paul Balzamo prêtent successivement serment.

Nous souhaitons vous interroger sur plusieurs sujets. La douane a-t-elle modifié ses méthodes de contrôle dans les aéroports et autres points de passage frontaliers depuis les attentats de janvier 2015 ? Pouvez-vous par ailleurs présenter la nature et le fonctionnement de la coopération entre les agents de la douane et de la PAF ? Quels résultats avez-vous obtenus depuis le rétablissement des contrôles aux frontières après le 13 novembre 2015 ? Comment participez-vous au dispositif Frontex ?

En 2015, vos résultats en matière de lutte contre le trafic d’armes à feu ont augmenté de 40 % par rapport à 2014 : comment l’expliquez-vous ? Quelle est la tendance pour les premiers mois de l’année 2016 ?

Pouvez-vous également présenter votre dispositif de contrôle du fret international ? Quelles actions ont été entreprises le soir du 13 novembre 2015 et pour quels résultats ? Dans le cadre de la lutte antiterroriste, la douane a-t-elle mis à disposition des autres administrations les moyens opérationnels et les outils techniques dont elle dispose : centre de commandement, lecteurs de plaques d’immatriculation, Cyberdouane… ?

Nous aborderons ensuite, avec la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), des questions relatives au renseignement, notamment sur votre usage du fichier FSPRT et votre participation à l’Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT).

Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et des droits indirects. L’administration des douanes, que je dirige depuis plus de trois ans, se caractérise par la multiplicité de ses missions : économique, fiscale et de protection du territoire. C’est essentiellement au titre de sa mission de protection que la douane contribue, aux côtés des ministères de l’intérieur et de la défense, à la lutte contre le terrorisme. Grâce à la diversité de ses outils mais également à ses méthodes de travail, la douane est aujourd’hui considérée par les administrations en charge de la sécurité comme un partenaire fiable dans ce domaine.

Dès 2014, les services douaniers ont procédé à l’interpellation de Mehdi Nemmouche, à l’occasion du contrôle d’un bus Eurolines à Marseille, et, en janvier 2015, une brigade de surveillance en contrôle à Modane appréhendait deux individus soupçonnés d’être impliqués dans les tentatives d’attentats ayant donné lieu la veille en Belgique au démantèlement de la cellule dite de Verviers. Ainsi, la douane, dans le cadre de ses missions normales de surveillance du territoire, peut être en première ligne dans la lutte contre le terrorisme.

J’exposerai dans un premier temps les grandes lignes de la contribution de mon administration à la lutte contre le terrorisme et, dans un second temps, j’apporterai un éclairage sur le plan de renforcement de notre action en matière de lutte contre le terrorisme et de contrôles aux frontières présenté par le secrétaire d’État au budget le 22 janvier.

L’administration des douanes dispose de moyens juridiques et opérationnels lui permettant d’intervenir dans la lutte contre le terrorisme et son financement. Grâce à son positionnement privilégié sur les frontières, à son expertise et à ses moyens en matière de sécurisation des flux de marchandises et de personnes, mais également grâce à sa capacité de lutte contre les grands trafics, la douane inscrit son action dans une démarche de complémentarité et de coopération avec les services spécialisés.

Les contributions de la douane à la lutte contre le terrorisme sont de différentes natures. Tout d’abord, la douane assure la prévention des actes terroristes dans le cadre de ses missions spécifiques de contrôle en matière de sûreté et de sécurité du fret aérien et portuaire. Elle met ainsi en œuvre le programme communautaire ICS (Import Control System) – véritable PNR de la marchandise – qui impose aux opérateurs et logisticiens d’adresser à la douane, au premier point d’entrée dans l’Union européenne, une déclaration sommaire décrivant le contenu du fret, ainsi que des éléments en matière d’origine et de destination. Sur la base de ces transmissions – plus de sept millions de déclarations déposées auprès de la douane française en 2015 –, les services douaniers conduisent une analyse de risque et un ciblage afin de procéder à des contrôles efficients.

Toujours en matière de sécurisation des échanges de marchandises, la douane participe très activement à l’initiative de sécurité contre la prolifération, le programme PSI (Proliferation Security Initiative), qui a pour objectif d’intercepter les flux illicites de biens proliférants par mer, air et terre. L’administration des douanes apporte une expertise juridique et assure le plus souvent le contrôle et la saisie des marchandises déroutées ou arrivant par voie maritime pour le compte du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

S’agissant du contrôle des personnes, la douane mobilise un peu plus de 500 agents pour assurer la sûreté des flux de marchandises et de voyageurs empruntant le site du tunnel sous la Manche et les gares Eurostar. Elle est ainsi en charge de la détection d’armes et d’explosifs sur les individus et dans les bagages.

Comme vous le savez, l’administration des douanes s’est particulièrement investie dans les travaux de préparation du PNR, qui vise à faciliter le traitement des données des passagers pour rendre plus efficaces les contrôles. Depuis septembre 2015, la nouvelle plateforme interministérielle, l’unité d’information passagers (UIP), est ouverte dans les locaux de la douane à Roissy. L’UIP est chargée de la collecte, du traitement et de la diffusion des données provenant des compagnies aériennes. Sa montée en charge opérationnelle est prévue courant 2016 et le PNR français devrait être opérationnel d’ici à la fin de l’année. Les données de cette plateforme seront mises à la disposition des services de contrôle dans chaque aéroport de France.

Dans un cadre interministériel, la douane participe également à la lutte contre l’immigration irrégulière. Les services de la surveillance terrestre et aéromaritimes sont ainsi mobilisés sur quatre-vingt-deux des 131 points de passage frontaliers (PPF) en métropole et sur quatorze PPF sur trente-sept en outre-mer. Dans le cadre de cette mission, l’administration des douanes met en œuvre le régime des interdictions de sortie du territoire qui participe au dispositif de lutte contre le phénomène des combattants étrangers.

En ce qui concerne le contrôle des flux financiers, la douane, par le biais de sa législation sur les transferts physiques de capitaux, est un acteur majeur de la lutte contre le blanchiment de fonds et le financement du terrorisme. Les contrôles opérés sur le respect de l’obligation déclarative des capitaux entrants et sortants du territoire permettent d’intercepter des sommes, titres ou valeurs susceptibles de provenir d’une activité illicite ou d’y être destinés. Ainsi, en 2015, parmi les dossiers de constatations de manquement à l’obligation déclarative (MOD), le service national de la douane judiciaire (SNDJ) a démontré un blanchiment douanier dans cinquante-deux dossiers et, dans les quatre-vingt-quatorze autres dossiers, un blanchiment de droit commun, soit un total record de 146 dossiers judiciaires pour blanchiment.

Cela montre que la détection de MOD est un moyen juridique formidable pour mettre en lumière des délits de blanchiment. Ces derniers mois, les services douaniers ont constaté plusieurs MOD sur des sommes d’argents importantes – plus de 3 millions d’euros – détenues par des personnes de nationalité syrienne résidant en Europe. Les enquêtes judiciaires en cours auront vocation à démontrer les liens éventuels entre le MOD et le blanchiment ou le financement du terrorisme.

En ce qui concerne la lutte contre les trafics et la criminalité organisée, la DNRED, service à compétence nationale, est en charge du renseignement et de la lutte contre la grande fraude internationale douanière. Elle travaille notamment sur des infractions douanières sensibles à la menace terroriste, comme les trafics de tabac ou de contrefaçons, qui constituent des sources potentielles de financement d’individus appartenant à des mouvances islamistes radicales. À titre d’exemple, des enquêtes de la DNRED ont pu démontrer l’implication d’individus radicalisés dans des trafics de contrefaçons de vêtements ou de matériel informatique ; les gains issus de ces trafics servaient à financer des groupes islamistes radicaux en France et à l’étranger.

Vous l’aurez constaté, les contributions de mes services à la lutte contre le terrorisme sont nombreuses et variées. Des résultats significatifs ont pu être obtenus ces derniers mois dans ce domaine.

J’en viens au renforcement des moyens de la douane à la suite des attentats. Début 2015, face à la dégradation de la situation sécuritaire liée au terrorisme, l’administration des douanes a accéléré la modernisation de ses structures, renforcé la sensibilisation de ses agents à la menace terroriste et mis en place des circuits de remontée du renseignement vers un service dédié, le groupe opérationnel de lutte contre le terrorisme (GOLT), au sein de la DNRED.

Suite aux attentats de novembre 2015, conformément aux engagements du Président de la République, un plan de renforcement de l’action de la douane en matière de lutte contre le terrorisme et de contrôles aux frontières a été présenté par le secrétaire d’État au budget. S’inscrivant dans le prolongement de mesures qui avaient déjà été décidées en interne au début de l’année 2015, ce plan prévoit un renforcement de nos effectifs, moyens opérationnels et outils juridiques. Il consacre définitivement la douane comme un acteur essentiel du pacte de sécurité évoqué par le Président de la République et une administration incontournable dans le dispositif de réponse à la menace terroriste.

Ce plan vise en premier lieu à renforcer notre capacité de contrôle aux frontières en cas de crise majeure, comme celle que nous avons connue fin 2015. À ce titre, la douane bénéficie de mille agents supplémentaires en 2016 et 2017, ce qui inverse la courbe d’évolution de nos effectifs, en décroissance depuis vingt ans. Ces agents seront affectés en priorité aux brigades de surveillance chargées des contrôles aux frontières terrestres et dans les lieux sensibles de passage de marchandises comme les centres de tri de fret express ou de fret postal. Des effectifs supplémentaires doivent également être consacrés au renforcement des contrôles de sûreté, en matière de recherche d’armes et d’explosifs, sur la liaison Transmanche et le fret routier.

Le plan d’action prévoit en outre un programme d’équipement permettant d’accroître les capacités d’action des douaniers et de renforcer leur sécurité. Les capacités de dissuasion et de riposte des unités de la surveillance terrestre doivent être adaptées afin de garantir la sécurité des agents et l’efficacité des interceptions. C’est pourquoi, après une formation spécifique, les unités exposées vont progressivement être dotées de pistolets-mitrailleurs, armes collectives qui compléteront les armes de poing individuelles insuffisamment dissuasives. En outre, une enveloppe de plus de 6 millions d’euros va être allouée à la dotation des unités douanières en équipements de protection – gilets pare-balles – et d’interception. Ces équipements ont été commandés et leur distribution est en cours.

La communication en période de crise étant fondamentale, le plan prévoit d’accélérer la dotation de nos services en nouveaux moyens radio, qui seront raccordés à ceux du ministère de l’intérieur.

Par ailleurs, les services de la surveillance doivent pouvoir s’appuyer sur des centres opérationnels terrestres réactifs, assurant la coordination de nos équipes entre elles et avec les autres services de sécurité intérieure, pour une transmission de l’information en temps réel. C’est au sein de ces centres opérationnels que remonte l’information issue des lecteurs automatiques de plaques minéralogiques (LAPI), dont la douane poursuit le déploiement ; d’ici à 2017, elle devrait compter quatre-vingt-cinq capteurs répartis sur l’ensemble du territoire, en réseau avec les LAPI du ministère de l’intérieur.

Outre le renforcement des moyens humains et matériels, la collecte, l’analyse et le partage du renseignement sont au cœur du plan de lutte contre le terrorisme. Le GOLT a été profondément réorganisé et ses effectifs renforcés afin de dynamiser le renseignement douanier. Les modalités de remontée de l’information vers le GOLT ont été formalisées fin 2015 et un réseau de correspondants du GOLT mis en place au sein des services douaniers. Le GOLT est désormais l’unique point de contact en matière d’antiterrorisme en douane. Il reçoit en moyenne de soixante à soixante-dix fiches de signalement par semaine et travaille en étroite collaboration avec la DGSI et les services de renseignement locaux.

Il a en outre été décidé de renforcer les moyens de la cellule Cyberdouane. Sur le plan opérationnel, la douane porte actuellement une mesure dans le cadre du projet de loi tendant à renforcer la lutte contre le crime organisé, afin de permettre aux agents de la cellule Cyberdouane d’effectuer des enquêtes sous pseudonyme et de lutter ainsi plus efficacement contre les grands trafics, y compris dans le Darknet. Je souligne le besoin pour mon administration de disposer de cet outil juridique. À défaut, nous resterons dans l’incapacité d’enquêter efficacement sur internet.

L’ensemble de la communauté douanière a été sensibilisée à la problématique du terrorisme et de la collecte du renseignement. Les modules de formation ont été adaptés.

Acteur incontournable du contrôle des flux de marchandises, la douane doit également accroître son efficacité dans la lutte contre les grands trafics, susceptibles d’avoir des connexions avec le terrorisme, notamment le trafic d’armes et d’explosifs. La douane est l’autorité en charge de la délivrance des autorisations de circulation intracommunautaire des armes à feu, de leurs éléments et munitions. Dans le cadre du projet de révision de la directive européenne relative au contrôle de l’acquisition et de la détention des armes, la douane soutient actuellement la création d’un système dématérialisé et automatisé d’échange d’informations au niveau européen afin de sécuriser les flux et d’assurer une traçabilité réelle des armes, des munitions et de leurs éléments. Ce dispositif devrait prendre la forme d’une plateforme européenne dématérialisée.

Au plan national, la douane vient de finaliser un plan d’action de lutte contre le trafic illicite d’armes à feu, complémentaire du plan national présenté par le ministre de l’intérieur le 13 novembre 2015. Ce plan vise à renforcer les moyens juridiques, opérationnels et de renseignement de la douane. Parmi les mesures envisagées, figurent la possibilité pour les agents spécialisés de mettre en œuvre des procédures d’infiltration et de coup d’achat pour lutter contre le commerce illicite d’armes. Ce plan d’action prévoit également de constituer au sein de la DNRED un groupe d’investigation spécialisé en matière d’armes, mais également d’orienter les outils d’analyse de risque et de ciblage aux fins d’identification des flux suspects, en particulier dans le fret express et postal.

Afin de renforcer l’efficacité des contrôles et d’identifier les flux illégaux, le plan de lutte contre le terrorisme de janvier 2016 prévoit non seulement de renforcer les effectifs des cellules en charge du ciblage ICS, du fret postal et du fret express, mais également de doter les unités douanières de nouveaux moyens de détection non intrusifs plus performants – appareils à rayons X – sur les plateformes portuaires et aéroportuaires.

Enfin, le plan consacre la douane comme un acteur essentiel de la lutte contre le financement du terrorisme. Grâce aux constatations de manquements à l’obligation déclarative et aux déclarations de capitaux, la douane est en mesure de mettre à jour des phénomènes criminels de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Pour accroître ses capacités, le projet de loi relatif à la lutte contre le crime organisé et le terrorisme et leur financement crée l’article 415-1 du code des douanes de manière à faciliter la charge de la preuve en matière d’infraction douanière de blanchiment, imposant à l’infracteur de prouver la licéité de l’origine des fonds qu’il transporte frauduleusement.

Afin d’être en capacité de traiter les nouveaux dossiers de contentieux liés au blanchiment, les services d’enquête administratifs nationaux mais également le SNDJ verront leurs effectifs renforcés courant 2016.

En conclusion, grâce à une mobilisation forte de l’ensemble de la communauté douanière, les progrès que nous avons réalisés ces dernier mois pour nous adapter à cette nouvelle menace sont significatifs. Le soir du 13 novembre dernier, notre dispositif a été adapté dans l’urgence afin de répondre aux circonstances exceptionnelles. Cette urgence s’est transformée en un mode d’organisation à moyen terme.

Une cellule de crise a immédiatement été mise en place au sein de la direction générale et la DNRED a mobilisé l’ensemble de ses services spécialisés. Pendant plusieurs jours, la douane a travaillé en étroite collaboration avec les autres services spécialisés, DGSI, PAF…, contribuant à l’identification des individus et des véhicules soupçonnés d’être impliqués dans des attentats ou d’en préméditer. Cela a abouti à des dispositifs pérennes de coopération renforcée.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à des questions complémentaires.

M. le président Georges Fenech. Vous faites état d’un renversement de la charge de la preuve ; pouvez-vous nous donner des précisions ?

M. Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques et contentieuses, des contrôles et de la lutte contre la fraude. La commission mixte paritaire s’est réunie hier matin et les deux assemblées sont d’accord sur la rédaction d’un article 415-1 du code des Douanes.

Lorsque les agents des douanes constatent un manquement à l’obligation déclarative de capitaux (MOD), ils ont pour objectif de rechercher si cette infraction s’accompagne d’un délit de blanchiment douanier ou éventuellement de droit commun. À l’instar du délit de blanchiment de droit commun (article 324-1 du code Pénal), le futur article 415-1 du code des douanes assouplit le régime de la preuve du blanchiment douanier. Il appartient à l’infracteur qui a commis le MOD de justifier de l’origine licite des fonds qu’il transporte. Le Parlement est même allé au-delà de notre demande car le projet de loi comporte également une disposition qui soumet les déclarations de capitaux d’un montant supérieur à 50 000 € à la production de documents justifiant de leur provenance.

Les moyens juridiques du SNDJ ont par ailleurs été étendus. Ont ainsi été ajoutés à son champ de compétences le blanchiment du terrorisme et le financement du terrorisme. En effet, le SNDJ participe à la stratégie globale de la douane en matière de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment. Or, ce service dispose d’un champ de compétence limité dans la lutte contre le terrorisme. Il ne peut agir que lorsque les infractions liées au terrorisme sont connexes aux infractions entrant dans son périmètre d’attribution. Ce projet de loi comble désormais cette lacune.

M. le président Georges Fenech. Mme la directrice générale a évoqué 3 millions d’euros en possession de Syriens. Ces personnes vivent-elles en France ? Qui sont-elles ?

M. Jean-Paul Balzamo. Deux des Syriens ayant commis des MOD résidaient en Espagne, le troisième en Allemagne, et étaient en transit en France. Les sommes, en liquide, étaient conséquentes et n’avaient fait l’objet d’aucune déclaration en douane, et les justificatifs présentés pour justifier une prétendue activité commerciale étaient par ailleurs totalement inopérants. Nous avons donc saisi l’autorité judiciaire, qui a décidé d’ouvrir une information judiciaire et les informations ont également été communiquées à la DGSI.

M. le président Georges Fenech. Vous allez pouvoir appliquer immédiatement le dispositif de renversement de la charge de la preuve, n’est-ce pas ?

M. Jean-Paul Balzamo. Oui, car la loi et la procédure sont immédiatement applicables.

M. le président Georges Fenech. Vous souhaitez un nouveau dispositif juridique pour les procédures anonymisées en matière de cybercriminalité. La sécurité juridique de ces procédures n’est pas suffisante, si j’ai bien compris.

Mme Hélène Crocquevieille. Il s’agit de la sécurité juridique des procédures mais aussi de celle de nos personnels. Pour que la procédure soit valide, il faut qu’un agent soit nommément désigné. Compte tenu de la dangerosité de certains individus, il est important, notamment dans le cadre de coups d’achat sur internet, que nos agents habilités puissent avoir recours à des procédures anonymisées.

M. Jean-Paul Balzamo. Le coup d’achat nous est ouvert en matière de stupéfiants, de trafic de cigarettes et de contrefaçons. Nous avons été la première administration européenne à réaliser des coups d’achat sur le Darknet mais nous avons été très rapidement confrontés au problème de l’anonymat. Il y a environ deux ans, le Parlement a accordé à l’administration des douanes la possibilité de réaliser des coups d’achat de manière anonymisée car la sécurité de nos agents était en jeu.

Avant de basculer sur un coup d’achat, il faut patrouiller sur le Net et, pour entrer sur des sites particuliers, montrer patte blanche. D’où l’intérêt de permettre d’acter des procès-verbaux sous pseudonyme, afin de relever les sites vendant des produits de manière illégale. Cette disposition a été actée dans la commission mixte paritaire hier.

M. le président Georges Fenech. Votre demande est donc satisfaite.

Vous n’avez pas évoqué vos relations avec Tracfin.

Mme Hélène Crocquevieille. Tracfin est membre de la communauté du renseignement, tout comme la DNRED. Les relations de Tracfin avec la direction générale des douanes sont fluides. Nous avons un protocole de coopération bilatérale, sur laquelle a lieu une revue annuelle de mise en œuvre. J’ai par ailleurs repositionné, début 2015, un officier de liaison au sein de Tracfin. Enfin, nous poursuivons la mise en service d’accès automatisé à certains fichiers de données douanières.

M. le président Georges Fenech. Vous avez reçu en 2015 des gilets pare-balles et des pistolets-mitrailleurs. Des agents des douanes sont-ils aujourd’hui munis de pistolets-mitrailleurs ?

Mme Hélène Crocquevieille. La loi de finances pour 2016 comporte un premier volet de 29 millions d’euros supplémentaires, et 15 millions sont prévus pour 2017, en vue de renforcer les équipements des services douaniers. Nous en avons profité pour généraliser les dotations individuelles en gilets pare-balles. Par ailleurs, les brigades de surveillance sont de plus en plus fréquemment confrontées à des refus d’obtempérer dans le cadre de la criminalité classique, avec des individus qui n’hésitent plus à foncer dans les véhicules ou les dispositifs piétons mis en place, ce qui nous a conduits à prévoir, pour les situations à risque, la présence d’au moins un agent équipé d’une arme lourde. Une expérimentation a été conduite. Nous doterons en priorité les unités sur les axes les plus sensibles et à proximité des points frontaliers, à raison d’une arme lourde par unité. La dotation sera collective, affectée à la brigade. Nous commençons à déployer ces équipements.

M. Jean-Paul Balzamo. Ce n’est pas nouveau en douane : les garde-côtes disposent d’armes lourdes depuis des années. Nos moniteurs de tir sont déjà formés.

Nous sommes confrontés à plus de 400 oppositions à fonction par an, avec passage de vive force – plus d’une par jour. Une a eu lieu hier sur le péage autoroutier du Capitou à Aix-en-Provence. Non seulement le véhicule n’a pas obtempéré mais il a par deux fois tenté de forcer nos motards, ce qui les a contraints à tirer en bas de caisse du véhicule. L’affaire est judiciarisée. La fouille du véhicule n’a rien donné mais les identités des deux individus sont totalement fausses.

M. le président Georges Fenech. Le rapporteur et moi nous sommes rendus à Marseille où nous avons rencontré vos services qui ont réussi la prise de Mehdi Nemmouche. Est-ce suite à une vigilance renforcée ou bien après un contrôle aléatoire que ce dernier a été interpellé ?

M. Jean-Paul Balzamo. À la suite des événements relatés par la presse, la vigilance de nos agents était naturellement plus grande. Par ailleurs, nos services, et c’est moins connu, contrôlent les lignes sensibles de bus et de train. Certaines lignes sont plus propices que d’autres à certains trafics. Le contrôle est certes aléatoire mais nous travaillons à partir d’éléments concrets.

M. Sébastien Pietrasanta, rapporteur. Quelle a été l’attitude de la douane le 13 novembre au soir, dans les heures qui ont suivi les attentats ? Par ailleurs, comment se passe votre collaboration avec les autres services du renseignement, notamment la DGSI ? Quelles seraient, selon vous, les pistes d’amélioration ?

Mme Hélène Crocquevieille. Nous étions prêts à nous déployer rapidement, le 13 novembre, car nous préparions la COP21 et la mise en place de contrôles renforcés dans ce cadre. Des points de passage autorisés (PPA) sur les frontières intracommunautaires avaient été répartis entre la PAF, et la douane avec l’appui de la gendarmerie. La nuit du 13 novembre, le Président de la République a annoncé le rétablissement des contrôles aux frontières. J’ai donc veillé, dans la nuit, à informer l’ensemble de la chaîne de commandement. Au moment de leur prise de poste tôt le lendemain matin, les unités douanières se sont déployées sur les PPA en priorité, et ont mis en œuvre des modalités de contrôle systématique. Les unités de l’hinterland sont ensuite venues renforcer le dispositif afin de permettre des rotations. L’organisation des contrôles physiques s’est par la suite ajustée, sous la responsabilité des préfets, en fonction des flux observés et des contraintes induites pour la population, notamment les travailleurs transfrontaliers.

M. le président Georges Fenech. Depuis la création de l’espace Schengen, vous étiez en effet en baisse d’effectifs. Aujourd’hui, la courbe est inversée, pour cinq ans.

Mme Hélène Crocquevieille. Le plan annoncé couvre deux ans. La cohérence voudrait que l’on ne pratique pas trop de yo-yo en matière de ressources humaines mais, pour le moment, les annonces n’ont été faites que pour les deux exercices 2016 et 2017.

M. Jean-Paul Balzamo. Dès le lendemain des événements, sur la base des éléments d’information fournis à la DNRED par le ministère de l’intérieur, nous avons injecté les numéros d’immatriculation dans nos portiques LAPI. Nous avons ainsi pu connaître dès l’après-midi les passages de véhicules concernés par les attentats : quand ils sont venus sur Paris et quand ils sont retournés en Belgique. Nous avons fait la même chose pour nos collègues belges à la suite des attentats de Bruxelles.

S’agissant des LAPI, la douane a fait un choix différent de ce qui avait été prévu en interministériel, à savoir des LAPI mobiles, car si un tel dispositif est adapté à la police et à la gendarmerie, la douane recherche quant à elle une infraction dont personne n’a encore connaissance. En utilisant les LAPI de manière fixe, nous avons démultiplié les informations. Avec trente-six lecteurs fixes, l’administration des douanes fonctionne H24, recueille ainsi plus d’informations que les 500 lecteurs mobiles du ministère de l’intérieur. Nous enrichissons les fichiers de ce ministère avec nos données.

M. le rapporteur. On nous a expliqué que les radars automatiques avaient également été utilisés dans la nuit du 13 novembre.

M. Jean-Paul Balzamo. Cela n’empêche pas.

M. Jean-Paul Garcia, chef de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières. Si, après les attentats de janvier, nous avons eu quelque peine à recueillir les informations permettant au réseau douanier de se positionner dans des conditions d’efficacité immédiate, en novembre, en revanche, nous étions prêts immédiatement. Avant vingt-deux heures, le relai de la cellule de crise de la direction générale était installé à la DNRED et notre officier de liaison au sein de la cellule Allat, cellule inter-agences installée à la DGSI, était à son poste à Levallois et pouvait informer l’ensemble de la structure douanière d’alerte, de crise et de réaction avant minuit. Cette différence est essentiellement due à une meilleure intégration de la direction générale des douanes dans le dispositif de la DGSI. La difficulté, pendant la première moitié de l’année 2015, était d’obtenir de ce partenaire des informations pratiques d’utilisation immédiate, la DGSI étant extrêmement réticente à l’idée d’échanger des informations dès lors qu’une partie de l’opération est judiciarisée.

Les progrès à cet égard ont été considérables en raison de la création au sein de la DGSI de la cellule Allat réunissant des représentants de chacune des six centrales de renseignement ainsi que des services du second cercle, le service central du renseignement territorial (SCRT) et la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP).

Le GOLT a été créé au sein de la DNRED au lendemain du 11 septembre 2001, en lien étroit avec Tracfin et les autres services de renseignement. Ce service a été très actif dans les mois et les années suivantes, puis il est progressivement devenu secondaire dans la mesure où, pendant la décennie 2005-2015, le terrorisme n’était plus un objectif majeur de la direction générale des douanes, et le trafic d’armes lui-même était plutôt secondaire, derrière les stupéfiants, le tabac, les contrefaçons et les mouvements de capitaux.

Ce sont les événements marseillais qui ont conduit la douane à renforcer sa mobilisation contre le trafic d’armes. Dès l’entrée en fonction de la nouvelle majorité en 2012, le ministre des Finances a demandé aux directeurs des douanes marseillaises de jouer un rôle plus important dans la lutte contre le trafic d’armes alimentant la délinquance marseillaise. La DNRED a mobilisé à cet effet ses compétences et ses moyens notamment ceux du GOLT. C’est ainsi que nous avons été conduits à renforcer le GOLT dès avant les attentats de janvier 2015.

Le GOLT participe depuis 2001 aux réunions de l’UCLAT. Mon point de vue personnel est que l’UCLAT est une structure de rencontre, non opérationnelle, où s’échangent des informations générales. Très différente est l’approche au sein de la coordination nationale du renseignement, qui débouche sur des échanges entre services au plan opérationnel. La direction du renseignement douanier a acquis entre 2010 et 2015 une véritable légitimité tant dans ses publications de niveau stratégique que dans le ciblage, le criblage et l’analyse issue du ciblage et du criblage. Nous échangeons des renseignements opérationnels et conduisons même des opérations conjointes, davantage avec la DPSD ou la DGSE qu’avec la DGSI, laquelle, en raison de sa finalité judiciaire peut moins aisément échanger du renseignement opérationnel avec des services non judiciaires.

Néanmoins, dès la fin de l’année 2014, une cellule inter-agences a été créée au sein de la direction du renseignement militaire (DRM) et du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), la cellule Hermès, ayant vocation à faire travailler ensemble les six centrales afin de fournir des informations en rapport avec le théâtre irako-syrien. Cette cellule a été en quelque sorte le brouillon de la cellule Allat, du point de vue organisationnel, sachant que dans l’une et l’autre, les deux grands services, la DGSE et la DGSI, donnent le ton aux autres partenaires.

Après les événements de 2015, le coordinateur national du renseignement pousse la DGSI à créer la cellule Allat, qui est opérationnelle en juin 2015 et produit tous ses effets à partir de novembre de la même année. La cellule est dirigée par un commissaire de la DGSI et comprend des agents de catégorie A ou officiers des six centrales ainsi que du renseignement territorial, dont le rôle est capital car c’est le réseau vivant du renseignement sur le terrain, et de la DRPP et du SCRT.

M. le rapporteur. Pour résumer votre propos, vous considérez la cellule Allat comme un progrès en matière d’échange d’informations et, a contrario, l’UCLAT comme n’étant guère qu’une sorte de club. Que pensez-vous de l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), créé à l’été 2015, et quels sont vos rapports avec cette structure ?

M. Jean-Paul Garcia. Qu’est-ce que l’EMOPT ? La question est une réponse.

M. le rapporteur. L’EMOPT est rattaché à la place Beauvau et gère le FSPRT. Je m’étonne que le patron d’un des principaux services de renseignement ne connaisse pas l’EMOPT un an après sa création. Je ne vous mets pas en cause mais je m’interroge.

M. Jean-Paul Garcia. Monsieur le rapporteur, cela ne me gêne aucunement d’être mis en cause en la matière. Avant de vous répondre, deux précisions. Tout d’abord, la DNRED compte 700 agents, dont 200 s’occupent de gestion ou de fonctions fiscales et douanières, à savoir le recouvrement et le redressement des droits, 400 travaillent sur les stupéfiants, le tabac, les contrefaçons, et une centaine font du renseignement pour la communauté douanière, un renseignement à finalité douanière avant tout. L’ensemble de ces agents ont été mobilisés sur l’objectif prioritaire de la lutte contre le terrorisme, ce qui, pour la majorité d’entre eux, est quelque chose de nouveau.

Ensuite, il existe dans le milieu de l’anti-terrorisme une multitude de structures au sein du ministère de l’intérieur, l’UCLAT, la sous-direction anti-terroriste (SDAT), la DRPP…, et la DGSI, qui est à la fois une structure de renseignement et une structure judiciaire. Depuis 2015, les rapports avec les services opérationnels du ministère de l’intérieur se sont améliorés, grâce à la cellule Allat. Nous sommes par ailleurs toujours au sein de l’UCLAT, où s’échangent des formules de politesse et des informations générales.

Sur ce qui est organisé au sein du ministère de l’intérieur, apparemment à un très haut niveau puisque vous parlez d’état-major, si cela ne relève pas de la coordination du renseignement ni ne participe aux conseils nationaux du renseignement, je me retire pour laisser la parole à la direction générale des douanes, qui se situe au niveau des états-majors. Mon service n’a quelque autonomie qu’au sein de la coordination nationale du renseignement.

M. le rapporteur. Vous n’avez donc jamais entendu parler non plus du FSPRT, un fichier concernant les personnes jugées pour radicalisme et terrorisme, créé à l’été 2015 en vue d’éviter les « trous dans la raquette » en centralisant les signalements départementaux de la gendarmerie, par exemple. Alors que les informations douanières sont, j’imagine, des éléments importants, utiles dans la lutte contre le terrorisme, le FSPRT, si je comprends bien, ne comporte pas d’éléments douaniers.

M. Jean-Paul Garcia. Les rapports avec les services du ministère de l’intérieur ne sont pas toujours simples.

Les conditions du partage ont été fixées dès après les événements de janvier 2015 afin d’éviter, en effet, les trous dans la raquette. Par conséquent, nous n’avons pas accès à l’ensemble du fichier tel que vous venez de le décrire. En revanche, nous avons accès, par la cellule Allat mais aussi dans le cadre de nos partenariats avec les services, à celles des « fiches S » dont la thématique est la radicalisation.

M. le président Georges Fenech. L’EMOPT semble rester limité au ministère de l’intérieur. Ne voyez en tout cas aucune mise en cause personnelle ou de votre administration dans la remarque du rapporteur ; c’est simplement une interrogation sur la coordination du renseignement.

M. Christophe Cavard. Nous avons voté il y a peu la loi sur le renseignement. Considérez-vous que son impact, en particulier en termes de moyens et de techniques de renseignement, soit réel sur les services des douanes ?

Beaucoup se demandent comment peuvent entrer des armes de guerre dans un pays comme la France, dont les services sont efficaces. Quels sont les réseaux ? Cela a-t-il toujours existé ou bien est-ce dû aux déstabilisations géopolitiques de certains pays, dont certains se trouvent en Europe ? On a par exemple beaucoup parlé de l’ex-Yougoslavie.

M. Jean-Paul Garcia. Avant la loi Renseignement, les interceptions administratives de sécurité étaient codifiées, avec un contrôle par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) et un quota de lignes, qui est devenu par la suite un quota de cibles, globalement suffisant. Je n’étais pas demandeur de la loi car je mettais déjà des techniques en œuvre : balisage de véhicules et de bateaux, interception de communications par satellite, IMSI-catcher – la presse s’est fait l’écho de la possession de cet outil par la douane –, et tout le reste, y compris l’intrusion dans des lieux privés, et c’était globalement satisfaisant. Aucun de mes agents n’a jamais invoqué un risque juridique personnel pour décliner une mission qui lui était confiée.

La loi sur le renseignement n’a donc pas apporté à la DNRED un surcroît de capacités. Elle offre en revanche un confort juridique appréciable car la responsabilité de la mise en œuvre des techniques de renseignement, qui n’était que la mienne et celle de l’opérateur, au niveau pénal, est désormais prise en compte au plus haut niveau de l’État. Les rapports de la DNRED avec la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement (CNCTR) sont excellents.

L’essentiel des agents opérationnels de la DNRED est constitué d’agents de catégories B et C, ce qui est une exception au sein des centrales de renseignement. Il a fallu que ces agents apprennent à écrire de manière intelligible pour les services de Bercy et nous avons donc eu un petit temps d’adaptation. J’indique cependant ma satisfaction de la réactivité de la CNCTR car nous obtenons les autorisations utiles très rapidement. Le processus a vocation à être informatisé, ce qui nous fera encore gagner du temps. Par ailleurs, nous n’avons jamais essuyé un refus depuis l’entrée en vigueur du dispositif.

À l’exception des techniques nécessitant une intelligence humaine et artificielle de niveau très élevé – algorithmes d’analyse de métadonnées… –, nous recourons à toutes les techniques de renseignement, en France et à l’étranger. Lorsque nous opérons à l’étranger, nous ne le faisons jamais dans la clandestinité : cela se passe toujours dans un pays partenaire, qui assure la sécurité de l’opération.

M. Christophe Cavard. Les objets d’art sont une source de financement potentielle du terrorisme. Avez-vous monté en puissance sur cette problématique ? Quand les objets proviennent de Syrie ou d’Irak, vous ne pouvez pas tellement opérer dans ces pays, j’imagine.

M. Jean-Paul Garcia. Le sujet des biens culturels est en soi complexe. Je dispose de quelques spécialistes, à la direction des enquêtes. Ils travaillent essentiellement sur l’exportation – la protection de notre patrimoine – car l’interdiction de l’importation est très récente. Les États-Unis nous avaient déjà demandé d’intervenir sur l’importation de biens culturels amérindiens, et force avait été de reconnaître que nous n’avions pas alors la capacité juridique d’agir ; nous ne pouvions que recueillir du renseignement. Les informations sur les pays que vous citez, qui sont des théâtres d’opérations, sont beaucoup plus difficiles à obtenir. Par ailleurs, les « aviseurs », les personnes qui nous informent, ont, concernant les biens culturels, un profil différent de ceux qui nous informent pour le reste. Ce sujet est un nouveau défi qu’il nous faut relever.

S’agissant du trafic d’armes, la DNRED, comme je l’ai expliqué, s’est mobilisée en raison de la préoccupation marseillaise. Nous avons comme toujours cherché à être dans l’anticipation, c’est-à-dire à connaître les réseaux. Le travail accompli entre 2013 et 2014, dans des opérations concrètes contre le trafic d’armes destituées à la délinquance, nous a permis de développer une compétence aujourd’hui largement remise au service de la lutte contre l’environnement du terrorisme.

M. Jean-Paul Balzamo. Nous avions traditionnellement deux modes d’intervention classiques, à l’importation dans le fret et par les contrôles aléatoires de la surveillance, mais nous avons aujourd’hui recours à d’autres moyens sur le trafic d’armes, des moyens spécifiques à l’administration des douanes et complémentaires de l’action des autres services répressifs de l’État.

La finalité de l’ICS est que les frets à destination du territoire européen ne soient pas contaminés par des produits dangereux, tels qu’armes et explosifs. C’est un moyen d’intervention sur lequel nous montons en puissance.

Le fret express permet, avec une facilité déconcertante, l’acquisition via internet, de nombreuses marchandises prohibées. Dans ce secteur, nous montons en puissance en amont, sur l’analyse et le ciblage, et dans l’intracommunautaire, et nos résultats progressent. Plus d’un tiers des saisies réalisées par les douanes en matière de contrefaçons, qui correspondent à 99,9 % des résultats de l’ensemble des services répressifs de France en contrefaçons, sont réalisées dans le fret express. Nous en sommes à quarante-huit constatations pour des armes en fret express. Nous voulons faire mieux.

Le plan armes dont a parlé la directrice générale ne pourra prendre toute son ampleur que dans un cadre interministériel. C’est pourquoi nous sollicitons le ministère de l’intérieur, qui dispose de bases de données sur les armes utilisées par des malfaiteurs grâce aux laboratoires de la police et de la gendarmerie. Si les services de l’Intérieur nous transmettent les noms des expéditeurs ou des destinataires d’armes, nous pouvons conduire une action très en amont et diligenter des contrôles extrêmement ciblés et efficaces. Cela déclencherait un cercle vertueux : les services judiciaires, policiers et de gendarmerie récupèreraient en enquête les constatations d’infraction réalisées par les services des douanes. Le travail en commun est indispensable. La victoire ne pourra être que collective.

M. Jean-Paul Garcia. Nous souhaitons discuter sérieusement avec l’autorité judiciaire sur la lutte contre le trafic d’armes. Il convient aussi d’avoir avec les pays de l’Europe de l’Est, où circulent tant d’armes, sans même parler des Balkans, une coopération comme celle que nous avons avec les États-Unis, par exemple. La lutte contre ce trafic implique par ailleurs un travail sur internet ; Cyberdouane va chercher sur le Darknet les gens qui vendent des armes ou des pièces détachées d’armes.

M. le président Georges Fenech. Serait-il possible, monsieur Balzamo, de nous communiquer un document écrit sur ce que vous venez de dire au sujet du trafic d’armes ?

Mme Hélène Crocquevieille. Les ministres viennent tout juste de valider notre plan armes, que nous pourrons vous transmettre. Le besoin de coordination existe entre les différents services nationaux mais aussi au plan communautaire où il est impératif que la réglementation sur le contrôle de la circulation des armes à feu soit renforcé et puisse s’appuyer sur des outils informatiques.

M. le président Georges Fenech. Nous vous en remercions.

La séance est levée à 12 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christophe Cavard, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Marianne Dubois, M. Georges Fenech, M. Jean-Luc Laurent, Mme Lucette Lousteau, M. Sébastien Pietrasanta

Excusés. - M. David Comet, M. Jean-René Marsac